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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 60

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 14 juin 2000
(Séance de 16 heures)

Présidence de M. Henri Emmanuelli, Président

SOMMAIRE

 

pages

- Examen du rapport d'information de MM. Gérard Fuchs et Daniel Feurtet sur les mouvements internationaux de capitaux


2

- Informations relatives à la Commission

5

   

La commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a procédé à l'examen du rapport d'information présenté, en application de l'article 145 du Règlement, par MM. Gérard Fuchs et Daniel Feurtet sur les mouvements internationaux de capitaux.

En préambule, le Président Henri Emmanuelli a appelé les rapporteurs spéciaux à limiter la taille de leurs rapports écrits. Il a jugé en effet que la brièveté permettait d'obtenir un impact politique plus important et de mettre le projecteur sur quelques points essentiels sans nuire à l'exhaustivité. Il a souligné que les retards dans les réponses aux questionnaires ne devaient pas être admis, notamment compte tenu des nouvelles procédures budgétaires. Il a souhaité, en conséquence, être informé d'éventuels retards.

Prenant la parole au nom des deux rapporteurs, M. Gérard Fuchs a indiqué que la libre circulation des capitaux avait conduit à une globalisation financière à l'échelle mondiale et que les transactions quotidiennes sur les marchés monétaires étaient évaluées à quelques 1.500 milliards de dollars. Il a estimé que ce chiffre pouvait, certes, être discuté dans la mesure où il mêlait des transactions réelles et des prises de position, mais que le montant de ces transactions quotidiennes équivalait à un an de PIB de pays comme la France ou l'Italie ou à un trimestre de commerce mondial. Si la crise asiatique a eu un effet de 2 % de PIB, cela équivaut, pour un pays comme la France, à un impact de 160 milliards de francs.

Cette globalisation comporte des effets positifs : meilleur accès aux capitaux, capital moins cher, possibilité pour les pays émergents de bénéficier de financements, mais elle induit trois principaux effets négatifs :

- une réduction des marges de man_uvre des gouvernements, obligés notamment de taxer davantage le travail en raison de la mobilité du capital ;

- un facteur d'amplification des crises financières ;

- une perte de souveraineté des États obligés de se conformer aux réactions des marchés financiers, ce qui pose un problème démocratique.

Le rapport d'information examine quatre thèmes : les paradis fiscaux et les centres dits « off-shore », les fonds spéculatifs, le système monétaire international et la régulation des capitaux à court terme. Les paradis fiscaux jouent un rôle certain en matière d'évasion fiscale, mais sont utilisés par de grands établissements bancaires dans certaines opérations de commerce international, comme en témoigne la récente condamnation des États-Unis devant l'OMC. Les fonds spéculatifs, qui manient environ 325 milliards de dollars, alors qu'ils ne sont soumis à aucune règle prudentielle, génèrent un fort effet de levier ; leur rôle dans la déstabilisation du système financier russe, par exemple, est indéniable. La puissance économique et militaire des États-Unis conserve au dollar une place prépondérante au sein du système monétaire international, mais l'émergence graduelle de zones monétaires régionales, comme la zone euro, peut permettre à terme de rééquilibrer le système. Enfin, les capitaux à court terme ne constituent pas le seul facteur de déclenchement de crise, mais jouent incontestablement un rôle aggravant. À cet égard, l'expérience chilienne sur le contrôle des entrées de capitaux est intéressante et a eu des effets stabilisateurs.

M. Gérard Fuchs a présenté les propositions du rapport. Une fois déterminée la liste des centres les plus problématiques, des sanctions diplomatiques pourraient être prises à l'encontre des paradis fiscaux s'ils n'acceptent d'eux-mêmes aucune réglementation. En ce qui concerne les fonds spéculatifs, la transparence est, certes, nécessaire mais elle ne pourra se substituer à l'établissement de ratios entre les engagements et les fonds propres. En toute hypothèse, même les plus minimalistes estiment nécessaire la mise en place de mesures de surveillance. Trois pistes de réformes du système monétaire international peuvent être proposées : le renforcement du rôle du président du Conseil de l'euro, la mise en _uvre de l'article 109 du Traité de Maastricht qui confère à ce Conseil un rôle en matière d'orientation de la politique des changes, enfin une expression extérieure plus dynamique de l'Union européenne. Dans la mesure où elle dispose au sein du Fonds monétaire international de droits de vote plus importants que ceux des États-Unis, il conviendrait que l'Europe parle d'une seule voix.

S'agissant enfin de la régulation des mouvements de capitaux et de la question de la taxe Tobin, l'audition d'une série de personnalités et d'experts ne permet pas d'obtenir de réponse technique définitive. L'un des problèmes est de distinguer les mouvements liés à la nécessaire liquidité de la spéculation dangereuse. Les arguments à l'encontre d'une telle taxe sont connus, mais la plupart de ces critiques sont contradictoires. Si la taxe Tobin a un effet sur la liquidité, il paraît peu vraisemblable, compte tenu de son faible taux, qu'elle fasse disparaître les produits dérivés véritablement utiles à l'économie réelle. À l'inverse, si la taxe Tobin n'a pas ou peu d'effets sur la liquidité, elle aura un rendement effectif.

Il est clair, en toute hypothèse, que la taxe ne peut être instaurée dans un seul pays. Le rapport propose donc que la mise en place de la taxe figure parmi les quatre propositions que le Gouvernement défendra devant l'Union européenne.

En conclusion, il est indispensable d'arriver à mettre en place des règles au niveau mondial. À défaut, les marchés gouverneront le monde, ce dont on ne peut se satisfaire en termes démocratiques.

Après avoir exprimé son accord sur l'analyse menée par les deux rapporteurs, M. Philippe Auberger a cependant jugé floue leur conclusion sur la taxe Tobin. Le rapport appelle des précisions supplémentaires sur les questions des zones cibles et du prêteur en dernier ressort. En tout état de cause, l'institution d'une taxe de ce type constituerait une nouvelle manifestation de l'exception française et produirait des effets quasiment nuls, sauf action concertée à la fois dans la zone euro et aux États-Unis. À propos de l'expérience chilienne, qu'il conviendrait de détailler davantage dans le rapport, il faut signaler que le FMI, notamment à la suite des événements constatés en Asie, a admis l'idée que les pays faisant face à des difficultés temporaires puissent mettre en place un contrôle des mouvements de capitaux, notamment sous la forme d'une modulation des réserves obligatoires en fonction de la liquidité des marchés de capitaux.

M. Jean-Marie Le Guen a estimé pédagogiques l'exposé des rapporteurs ainsi que leur analyse des risques du système financier international. Il faut toutefois accorder une attention accrue à la question du prêteur en dernier ressort, qui sous-tend celle du risque systémique, comme l'ont montré les mécanismes de diffusion des comportements lors des crises asiatique et russe. Ces crises ont aussi révélé à certains pays, qui jusqu'ici n'en avaient connu que les bienfaits, les dangers de la globalisation financière et la nécessité de démocratiser le système financier international. Aujourd'hui, la question de la régulation se pose de manière concrète et globale à des pays qui, jusqu'à présent, étaient des contemplateurs béats du système monétaire international, dont ils sont devenus des victimes.

Dans ses efforts de réforme de ce système, la France est actuellement moins isolée et inaudible qu'elle ne l'était par le passé, comme l'ont montré l'écho rencontré par ses propositions de renforcement de la commission politique du FMI, même si elles n'ont pas été suivies, les débats relatifs aux règles de l'organisation mondiale du commerce ou encore les réactions des opinions publiques lors de la réunion récente de la banque asiatique de développement. Le but n'est pas de conforter la bipolarisation économique mondiale autour de l'euro et du dollar, mais bien de promouvoir les coopérations monétaires régionales et d'assurer le développement d'autres monnaies que le dollar et l'euro.

Après avoir relevé l'intérêt d'un travail commun à deux rapporteurs de sensibilité politique différente, M. Daniel Feurtet a estimé qu'une prise de conscience mondiale pouvait provoquer un changement de comportement des États-Unis et qu'il n'était pas envisagé d'instituer une taxe Tobin dans la seule France mais bien de proposer des zones d'application régionale expérimentales, de la taille de l'Europe, ce qui devrait recueillir l'assentiment indispensable de la Grande-Bretagne. Il existe d'ores et déjà des mouvements d'opinion dans plusieurs pays, autour de parlementaires britanniques, ou au Canada, et la France ne doit pas prendre de retard dans ce processus, louable, de prise de conscience politique.

M. Michel Bouvard a souhaité savoir si les rapporteurs avaient mené une réflexion sur les marchés de matières premières de la place de Londres, dont le caractère spéculatif est avéré et porte sur des montants considérables, alors qu'ils ne font pas l'objet d'autant de contrôles que les autres types de marché.

M. Gérard Fuchs a alors répondu aux différents intervenants. Au sujet des zones cibles, le fait de parler d'orientation de politique de change, notamment à travers le mécanisme des parités de pouvoir d'achat, est une première réponse à la question, mais tout le problème est de savoir s'il faut les rendre publiques. L'existence de prêteurs en dernier ressort n'est pas contestée puisque l'observation des crises montre qu'il existe bien une socialisation des risques à la suite de la privatisation des bénéfices et que les interventions des banques centrales devraient mieux équilibrer les contributions des prêteurs en dernier ressort entre le secteur public et le secteur privé.

Il existe actuellement deux acteurs principaux dans le secteur financier international mais l'objectif est bien d'aboutir à une plus grande régionalisation.

S'agissant de la taxe Tobin, on doit distinguer l'action de proposition, qui pourrait constituer une exception française, de sa mise en _uvre effective qui, naturellement, dépend d'un accord beaucoup plus large.

La spéculation qui règne sur les marchés des matières premières a toujours un fondement relevant de l'économie réelle et apparaît moins exclusivement financière que sur d'autres marchés, comme le montre l'exemple du cacao, même si celui du marché de l'argent est moins probant. Leur volume n'apparaît en outre pas déterminant.

Après avoir rappelé que la proposition de M. Tobin datait de 1971, au moment de l'abrogation des accords de Bretton Woods, M. Michel Inchauspé a déclaré que la vague d'enthousiasme pour ses idées surprenait jusqu'à M. Tobin lui-même, qui pourrait être utilement auditionné par la commission des Finances.

En tout état de cause, on peut estimer que cette taxe existe déjà, puisque les opérations faites sur le Matif subissent un prélèvement par les différents intermédiaires de marché d'un montant de 0,5 %. Sauf à atteindre un taux critique de l'ordre de 10 %, une telle taxe n'empêchera jamais la spéculation, comme le montre l'exemple de la crise asiatique où l'influence des fonds spéculatifs, comme ceux qui sont gérés par M.  Georges Soros, a été déterminante, en Thaïlande ou en Birmanie. Les dérèglements vont par ailleurs inéluctablement augmenter avec la progression exponentielle des mouvements de capitaux résultant de l'utilisation de l'Internet et de la fusion entre la production et la distribution des activités financières. Comme l'avait qualifiée naguère M. Dominique Strauss-Kahn, la taxe Tobin est une mesure utopique dont les finalités n'apparaissent pas clairement et peuvent même se révéler contradictoires selon que l'on prend en compte son effet sur les recettes fiscales ou sa contribution à la régulation des mouvements de capitaux. Dans ce domaine, l'attitude raisonnable consiste à s'inspirer de mécanismes de régulation prudents du type des recommandations prônées par la banque centrale américaine à l'adresse des fonds spéculatifs, lors de l'épisode de la faillite du fonds LTCM. Enfin, il convient de savoir si l'objet de la taxe est de procurer des recettes ou d'assurer une meilleure régulation des mouvements de capitaux.

Le Président Henri Emmanuelli a jugé cette dernière question importante et s'est interrogé sur le niveau de taxation éventuel et ses effets.

Après avoir fait part de ses incertitudes relatives à la possibilité d'apprécier a priori l'incidence d'une taxe Tobin respectivement sur la liquidité des marchés de capitaux et sur le montant des recettes fiscales, M. Gérard Fuchs a jugé que même un taux faible pourrait produire un rendement important et a réitéré son souhait de voir le gouvernement français proposer à ses partenaires européens une telle taxe, à titre d'expérimentation, dans la perspective inéluctable où l'institution de ce type de mécanisme facilitera la redistribution internationale des ressources.

La Commission a autorisé la publication du rapport d'information.

*

* *

La commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a procédé à la nomination des rapporteurs spéciaux pour le projet de loi de finances pour 2001 dont on trouvera la liste ci-après.

Elle a également désigné M. Jean-Louis Dumont comme candidat pour siéger au comité consultatif pour la gestion du Fonds national pour le développement des adductions d'eau.

LISTE DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX
POUR LE PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2001

_______

BUDGET GÉNÉRAL

 

A.- Dépenses civiles

 

Affaires étrangères :

 

. Affaires étrangères

M. Yves Tavernier (Socialiste)

. Affaires européennes

M. Gérard Fuchs (Socialiste)

. Coopération

M. Maurice Adevah-Poeuf (Socialiste)

Agriculture et pêche :

 

. Agriculture

Mme Béatrice Marre (Socialiste)

. Pêche

M. Louis Mexandeau (Socialiste)

Aménagement du territoire et environnement :

 

. Aménagement du territoire

M. Alain Rodet (Socialiste)

. Environnement

M. Michel Suchod (RCV)

Anciens combattants

M. Jean-Pierre Kucheida (Socialiste)

Culture et communication :

 

. Culture

M. Jean-Louis Idiart (Socialiste)

. Communication

M. Jean-Marie Le Guen (Socialiste)

Économie, finances et industrie :

 

. Charges communes

M. Thierry Carcenac (Socialiste)

. Commerce extérieur

M. Gilles Carrez (RPR)

. Industrie

M. Michel Destot (Socialiste)

. PME, commerce et artisanat

M. Didier Chouat (Socialiste)

. Poste et télécommunications

M. Edmond Hervé (Socialiste)

. Services financiers, monnaies et médailles

M. Henry Chabert (RPR)

Éducation nationale, recherche et technologie :

 

. Enseignement scolaire

M. Jacques Guyard (Socialiste)

. Enseignement supérieur

M. Alain Claeys (Socialiste)

. Recherche

M. Christian Cuvilliez (Communiste)

Emploi et solidarité :

 

. Solidarité

M. Pierre Forgues (Socialiste)

. Formation professionnelle

M. Jacques Barrot (UDF)

. Rapatriés

M. Francis Delattre (DL)

. Santé

M. Gilbert Mitterrand (Socialiste)

. Travail et emploi

M. Gérard Bapt (Socialiste)

. Ville

M. Pierre Bourguignon (Socialiste)

Équipement, transports et logement :

 

. Logement

M. Jean-Louis Dumont (Socialiste)

. Mer

M. Guy Lengagne (RCV)

. Tourisme

M. Michel Bouvard (RPR)

. Transports aériens et météorologie

M. Gilbert Gantier (DL)

. Transports terrestres

M. Augustin Bonrepaux (Socialiste)

Fonction publique, réforme de l'État et décentralisation :

 

. Fonction publique

M. Jean Vila (Communiste)

Intérieur :

 

. Sécurité

M. Tony Dreyfus (Socialiste)

. Collectivités locales

M. Gérard Saumade (RCV)

Jeunesse et sports

M. Alain Barrau (Socialiste)

Justice

M. Patrick Devedjian (RPR)

Outre-mer :

 

. Départements d'outre-mer

M. François d'Aubert (DL)

. Territoires d'outre-mer

M. Philippe Auberger (RPR)

Premier ministre :

 

. Secrétariat général de la défense nationale

M. Pierre Hériaud (UDF)

. Services généraux, Conseil économique et social, Plan et Journaux officiels


M. Georges Tron (RPR)

B.- Dépenses militaires

 

Défense

M. Jean-Michel Boucheron (Socialiste)

BUDGETS ANNEXES

 

. Légion d'honneur - Ordre de la Libération

M. Christian Cabal (RPR)

. Prestations sociales agricoles

M. Charles de Courson (UDF)

AUTRES

 

. Comptes spéciaux du Trésor et entreprises publiques

M. Dominique Baert (Socialiste)

. Taxes parafiscales

M. Daniel Feurtet (Communiste)

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