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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES

COMPTE RENDU N° 26

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 29 janvier 2001
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. André Lajoinie, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. René RENOU, président de l'Institut national des appellations d'origine (INAO)


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- Information relative à la commission :

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La commission a entendu M. René Renou, président de l'Institut national des appellations d'origine (INAO).

M. André Lajoinie, président, a posé plusieurs questions sur le rôle de cet organisme. Il a rappelé que la loi du 9 juillet 1999 « d'orientation agricole » avait renforcé les attributions de l'INAO et il s'est demandé si cet organisme disposait de moyens financiers et logistiques suffisants, pour mener à bien ses missions. Il a également souhaité savoir s'il existait des difficultés de coordination entre la réglementation française des appellations d'origine contrôlée et celle des appellations d'origine prévues par le droit communautaire.

M. André Lajoinie, président, a souligné que des parlementaires avaient été saisis de plaintes de la part de certains agriculteurs relatives à des retards dans l'instruction des dossiers par l'INAO et indiqué que celui-ci semblait rencontrer des difficultés à procéder au contrôle des méthodes de production, suite à l'attribution d'appellations d'origine contrôlée, pour veiller au maintien d'une qualité exemplaire. A ce titre, il a souhaité savoir si l'INAO avait besoin de moyens supplémentaires pour procéder à des contrôles sur les méthodes de production agricoles.

Il a enfin interrogé le Président de l'INAO sur le problème de la concurrence très vive provoquée par l'arrivée massive des vins du « nouveau monde », qui semble parfois menacer la survie de nos vins de qualité. Il lui a demandé si l'INAO avait des propositions pour permettre de protéger les appellations contrôlées françaises.

M. René Renou, a souhaité rappeler l'origine de l'INAO. Il a expliqué que cet organisme est un établissement public administratif créé en 1935 après de longs efforts menés par M. Joseph Capus, ministre de l'agriculture qui, dès 1924, souhaitait protéger les productions agricoles de qualité.

M. René Renou a rappelé que l'attribution d'une appellation d'origine contrôlée posait un problème de conciliation du droit privé et du droit public. Les exploitations agricoles relèvent, en effet, de la propriété privée, alors que l'attribution d'une appellation d'origine est une prérogative importante de la puissance publique qui a de lourdes conséquences sur la valeur des productions agricoles. Il s'agit donc de concilier une gestion dans l'intérêt général du patrimoine national confiée à la puissance publique, avec le fait que les propriétaires privés restent maîtres de leur production. Le point d'équilibre a été trouvé en attribuant aux syndicats d'appellation le pouvoir d'attribuer les agréments pour obtenir une appellation d'origine, les professionnels siégeant dans ces syndicats non pour défendre les agriculteurs, mais pour préserver une production de qualité.

M. René Renou a indiqué que l'INAO avait été créé pour recevoir une délégation de la puissance publique et veiller au maintien de la qualité de la production agricole en ayant le pouvoir de nommer les professionnels qui siégeaient au sein des syndicats de la profession. Soulignant qu'une appellation est la fusion entre un terroir, c'est-à-dire un sol et un climat et le savoir-faire traditionnel de l'homme, il a indiqué que les appellations d'origine étaient aujourd'hui au nombre de 450 pour les productions viticoles, de près de 40 pour les produits laitiers et d'environ 15 pour les autres produits agro-alimentaires. Il a précisé qu'un produit d'appellation est ainsi un produit qui a des spécificités non reproductibles.

Pour mener à bien ses missions, l'INAO dispose pour 2002, d'un budget de 100 millions de francs (15,24 millions d'euros), 80 millions de francs (12,2 millions d'euros) étant versés par l'Etat et 20 millions de francs (3,05 millions d'euros) par les professionnels, l'Etat souhaitant que la participation des professionnels soit accrue. Le débat actuel porte sur l'élévation de la quote-part des professionnels à 25 %, la puissance publique devant en toute hypothèse garder un rôle prédominant. Constatant que le budget de l'INAO avait une excellente rentabilité, car il contribue à dégager 40 milliards de francs de devises (6,1 milliards d'euros) à l'exportation, M. René Renou a souhaité que l'INAO puisse continuer sa mission avec des moyens accrus, car c'est là un des seuls domaines agricoles où il n'existe pas de subventions, l'attribution d'une « appellation d'origine contrôlée » permettant de valoriser très nettement la production et constituant un élément de fierté pour les agriculteurs, qui se ressentent ainsi comme des paysans et non des industriels.

M. René Renou a également souligné que, loin d'être une simple question économique, l'attribution d'une appellation d'origine contrôlée a également un impact essentiel en matière d'aménagement du territoire, en sauvegardant des paysages aménagés pour une exploitation équilibrée de la nature, comme le montrent les exemples des olives de Nyons ou du fromage de comté.

M. René Renou a rappelé aux commissaires que l'INAO s'est vu confier une nouvelle mission : la promotion des indications géographiques protégées (IGP) qui permettent de reconnaître des productions de qualité en insistant sur leur enracinement local, comme, par exemple, l'indication « mâche nantaise ». Il a expliqué que, dans ce cas, une appellation d'origine contrôlée ne pouvait être attribuée, car les plantes de mâche ne restent que peu de temps en terre, ce qui limite l'influence du terroir, même si la production de mâche est très localisée dans cette région. Soulignant que l'intérêt de l'IGP est de consacrer un enracinement local, il a conclu que cette formule doit être développée, afin de permettre aux producteurs d'adopter une stratégie commerciale identitaire plutôt que concurrentielle sur la même production, la seule appellation « mâche nantaise » permettant de vendre plus cher le produit.

De même, pour les appellations d'origine contrôlée, il a souligné que le prix n'était plus l'élément discriminant pour remporter des marchés, mais que l'effet de notoriété permettait aux producteurs de disposer de plus de latitude pour négocier les conditions de vente de leur production.

S'agissant de la concurrence des vins du « nouveau monde », il a précisé que l'effet de notoriété des appellations d'origine contrôlée continuait à être un véritable atout, même si les prix proposés par les producteurs sud-américains étaient beaucoup plus bas que ceux des vins français.

M. René Renou a indiqué une nouvelle fois qu'un produit d'appellation contrôlée a essentiellement une valeur culturelle, traduisant une âme, une histoire, un paysage architectural, une tradition ; consommer une boisson alors, c'est consommer une culture, comme le montre l'exemple du « Bonnezeaux », produit à Thouarcé dans le Maine-et-Loire et qui bénéficie d'une « valeur ajoutée irrationnelle ».

Abordant la question des moyens dont dispose l'INAO, il a souhaité insister sur l'urgence de certaines décisions et a conclu en espérant que cet organisme obtiendrait les 30 millions de francs (4,57 millions d'euros) supplémentaires demandés, les professionnels devant quant à eux verser 10 millions de francs (1,52 million d'euros), ces sommes paraissant très modestes au regard des retombées pour l'exportation.

Un débat a suivi l'intervention de M. René Renou.

M. Jean-Jacques Filleul a souligné qu'il appréciait le combat mené par l'INAO sur le contrôle de la qualité à la parcelle, estimant que c'était une nécessité. Il a souhaité savoir quelle était la position de M. René Renou sur les débats actuels mettant parfois en cause les appellations contrôlées, d'aucuns soulignant qu'il y a des pays où elles n'existent pas et qu'elles pourraient constituer un frein à l'évolution de nos vins.

M. Pierre Micaux s'est interrogé sur les liens existants entre l'INAO et les comités interprofessionnels.

M. Serge Poignant a indiqué qu'il était un ardent défenseur des appellations d'origine contrôlée, car la France n'avait pas d'autre choix vis-à-vis de la concurrence. Il a ensuite interrogé M. René Renou sur la notion de « vins de cépage » et sur les possibilités d'évolution de l'outil « appellation d'origine contrôlée », notamment pour les « gammes spéciales ».

M. Philippe Martin a approuvé les positions développées par M. René Renou, en soulignant que les produits à caractère industriel, notamment dans le secteur de la viticulture, n'avaient pas leur place en France. Il s'est inquiété du surcroît de charges entraîné par la gestion des indications géographiques protégées (IGP) par l'INAO, estimant qu'il convenait de préserver des moyens importants au service des AOC. Il s'est enfin enquis des relations entre l'INAO et les instances communautaires.

M. François Brottes rappelant que le législateur, dans le cadre de la loi n° 2001-602 relative à la forêt, avait décidé de créer des AOC dans le secteur forêt-bois, notamment pour lutter contre certains trafics tel celui portant sur le chêne du Tronçais, s'est interrogé sur la mise en _uvre concrète de cette disposition.

M. Jean-Claude Robert, après avoir noté que les consommateurs se tournaient de plus en plus vers des produits « haut de gamme », s'est interrogé sur les risques d'une telle évolution pour les appellations d'origine régionale. Par ailleurs, il a demandé à M. René Renou quelle était sa position sur la question des droits de plantation.

M. Pierre Micaux, tout en approuvant l'application de la formule de l'appellation d'origine contrôlée au secteur forêt-bois, a noté toutefois qu'existaient également dans certains pays d'Europe centrale, tels que la Bosnie, des forêts de grande qualité, ce qui pouvait générer des problèmes au plan européen. Il a ensuite interrogé M. René Renou sur le fonctionnement de l'INAO.

En réponse aux différents intervenants, M. René Renou a apporté les précisions suivantes :

- les mises en cause des appellations d'origine contrôlée sont totalement irresponsables. En effet, lorsque les appellations contrôlées n'existent pas, c'est qu'elles ne sont pas nécessaires. L'exemple des Etats-Unis est à cet égard significatif : tant que la production était faible, la question des appellations ne se posait pas. Aujourd'hui, à l'inverse, avec une production importante, les producteurs américains souhaitent la mise en place d'appellations pour protéger leur production et donner une identité à leur vin par rapport à un terroir : Sonoma Valley, Napa Valley, Anderson Valley...

En outre, les appellations, loin d'être un carcan administratif et un frein à l'évolution des vins, sont la garantie d'usages loyaux et constants, nécessaires pour le maintien de l'identité du vin. La réglementation n'est pas là pour affaiblir l'appellation, mais pour préserver son identité, son histoire et ses spécificités. Garantie pour le producteur, l'appellation est par là même aussi une garantie pour le consommateur. Depuis les années 1980, le vin est en effet de plus en plus appréhendé par les consommateurs comme un plaisir, mais aussi, dans les années récentes, comme une culture, ceux-ci consommant avec le vin tout à la fois une boisson, une histoire, une culture et un terroir.

Les enjeux actuels sont ainsi très qualitatifs et différents de ceux des années 30, où il convenait avant tout de lutter contre les fraudes et les concurrences déloyales ou de la période 1950-1980, où il fallait nourrir le pays et obtenir des marchés à l'exportation. Cette évolution ne fait que renforcer l'utilité et l'importance de l'AOC ;

- l'INAO travaille à l'amont de la filière et doit contrôler les conditions de la production, puisqu'il délivre l'agrément aux professionnels. Cet agrément constitue une sorte de « carte d'identité du vin » octroyée au terme de dégustations « à l'aveugle » opérées chaque année permettant de vérifier que le produit satisfait à certaines conditions. Il convient à cet égard de renforcer la fiabilité de la procédure d'agrément et de renoncer à délivrer des agréments « sociaux » accordés au motif que le retrait d'agrément aboutirait à mettre en danger l'exploitation. C'est aux professionnels ensuite, au sein des interprofessions, d'assurer un suivi « aval » de l'appellation, de vérifier le respect des règles fixées et la qualité constante des produits ;

- l'INAO ne souhaite pas que les vins de cépage soient encouragés car cela conduirait à une industrialisation de la production viticole et à une banalisation des produits. En outre, la France ne saurait être concurrentielle sur ce marché, des pays à faible coût de main d'_uvre étant beaucoup plus compétitifs ;

- la notion d'appellation est avant tout l'expression d'un terroir. Or, on assiste actuellement à deux dérives tout aussi néfastes : en premier lieu, une dérive industrielle, avec les vins de cépage : des productions trop importantes diluent en effet le caractère du terroir. En second lieu, une dérive technologique : à trop vouloir concentrer, bonifier ou perfectionner les vins, comme on l'a fait pour certains vins de la région bordelaise, on perd également la notion de terroir qui est une spécificité profondément française ;

- la mission donnée à l'INAO dans la gestion des IGP a été voulue par le Gouvernement mais les moyens donnés à l'INAO sont largement insuffisants et n'ont que très peu augmenté. Or, l'INAO doit rester un établissement public administratif efficace et donc doté de moyens à la hauteur de ses responsabilités ;

- en ce qui concerne le secteur forêt-bois, le principe de l'AOC est tout à fait défendable, mais les moyens nécessaires à la mise en _uvre de cette disposition ne sont pas à la hauteur des attentes de la profession. Le patrimoine forestier fait partie du patrimoine national ; il est donc évident qu'il convient de le protéger et l'AOC permet de réaliser cet objectif ;

- concernant les droits de plantation, l'INAO privilégie le développement des appellations les plus prospères, afin qu'elles se développent et refuse les droits de plantation aux appellations en crise, afin d'éviter qu'elles ne périclitent. Par ailleurs, la « règle du 1% » va être réformée pour permettre des marges de 4 à 5 %. Depuis trente ans, la gestion des droits de plantation pour les AOC a permis de doubler la surface du vignoble français d'appellation, sans crise économique et tout en lui conservant une certaine qualité ;

- en ce qui concerne les appellations régionales, on ne pourra faire l'économie d'un débat. Dans le cas contraire, les dérapages qualitatifs risquent de se multiplier et de nuire à la lisibilité des AOC. S'il convient d'être rigoureux, il faudra peut-être malgré tout différencier deux grands styles d'appellations : pour les grandes régions, des indications de provenance et, au sein de ces régions, des AOC, plus strictement contrôlées ;

- s'agissant du fonctionnement concret de l'INAO, il existe, d'une part, 16 comités régionaux (Bourgogne, Bordeaux, Champagne, Provence, notamment), composés de 30 à 40 personnes, nommées pour 6 ans par le ministre de l'agriculture et qui se réunissent trois fois par an. Ces comités donnent des avis consultatifs sur les questions intéressant leur région.

D'autre part, quatre ou cinq personnes par comité régional sont nommées par le ministre de l'agriculture aux comités nationaux sectoriels. Dans ce cadre, elles ne sont plus les « porte-parole » de leur région, mais de toutes les appellations. Pour le comité national des vins et eaux de vie, ces 60 personnes sont majoritairement des viticulteurs, mais aussi des négociants et des personnalités qualifiées. L'administration est représentée par des fonctionnaires des douanes, de l'agriculture, de la DGCCRF et par un commissaire du Gouvernement.

Le président de l'INAO est, quant à lui, nommé par un arrêté interministériel signé de quatre ministres ; son mandat est de six ans renouvelables.

Chaque comité national se réunit quatre fois par an, sur deux jours. Tous les membres d'un comité national sont des bénévoles ;

- s'agissant des relations entre l'INAO et les instances communautaires, le principe de subsidiarité s'applique à la gestion des appellations d'origine, Bruxelles se bornant à exercer un contrôle sur l'INAO.

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Information relative à la Commission

La commission a désigné M. Jean-Claude Daniel rapporteur sur le projet de loi relatif au développement des petites entreprises et de l'artisanat (n° 3555).


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