ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 8

mercredi 15 novembre 2000
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Philippe Duron, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Michel Sapin, Ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État

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La délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a entendu M. Michel Sapin, Ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État.

M. le Président : Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État à qui je souhaite la bienvenue parmi nous.

La délégation a choisi comme deuxième thème d'étude les services publics et les territoires. La modernisation des services publics a été l'un des points importants de la loi d'orientation et d'aménagement durable du territoire du 25 juin 1999. La loi prévoit un certain nombre de précautions : des conventions, des contrats ou des cahiers des charges doivent fixer les obligations d'aménagement du territoire des organismes et établissements publics ou des entreprises nationales. Ceux qui n'en disposent pas doivent se doter d'un plan d'organisation au niveau départemental, approuvé par le préfet, le non-respect de ces documents déclenchant la suspension de la décision prise et la réalisation d'une étude d'impact.

La loi encourage par ailleurs le développement des maisons des services publics en leur fournissant pour la première fois un cadre juridique souple afin de faciliter leur constitution et leur fonctionnement. Enfin, elle institue neuf schémas de services collectifs dont l'un des objectifs est de garantir et d'optimiser le fonctionnement des services publics. Nous avons ici désigné neuf rapporteurs pour l'étude de ces schémas et la délégation devra fournir un avis sur l'ensemble des schémas après que les régions aient donné le leur ; nous avons convenu avec le gouvernement que nous allions commencer à travailler dès maintenant pour pouvoir être en situation de faire rapidement la synthèse des avis.

Votre ministère a également un rôle important à jouer concernant l'implantation des services publics dans les territoires ; la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration comporte de nouvelles précisions sur le fonctionnement des maisons des services publics. Le comité interministériel de la réforme de l'État du 12 octobre dernier a arrêté de nombreuses décisions dont un certain nombre contribueront à la modernisation des services publics : le développement de l'administration électronique, l'amélioration de la qualité de l'accueil et du service rendu aux usagers, la poursuite de la déconcentration, la mise au point de politiques interministérielles, la réforme de l'ordonnance organique relative aux lois de finances.

Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous apporter des précisions sur un programme aussi vaste, qui est celui de votre ministère ?

M. Michel Sapin : Monsieur le président, messieurs les députés, je vous remercie tout d'abord de l'intérêt que vous portez à l'action de mon ministère qui, effectivement, bien qu'il soit très transversal - et peut-être parce qu'il est très transversal - s'intéresse à la question des services publics sur le territoire, à leur présence, leur évolution, leur modernisation et à leur adaptation aux besoins d'aujourd'hui et de demain.

J'organiserai mon propos autour de trois thèmes très concrets : les lieux, les gens, les techniques.

Tout d'abord, les lieux. Vous y avez fait allusion, monsieur le président, puisque vous avez cité les deux textes qui, aujourd'hui, organisent la manière dont l'État doit débattre de la présence des services publics, de leur évolution en termes de localisation, et instituent des formes peut-être nouvelles de présence de ces services publics, les maisons des services publics. Celles-ci portent parfois des noms très différents en fonction des situations locales. Je n'y reviendrai que pour insister sur la nécessité de respecter les procédures instituées par la loi sur l'aménagement du territoire, ce qui n'est pas toujours évident. En tant qu'élu local, je sais que l'on met l'accent au niveau national sur l'existence des procédures, notamment pour les concertations, mais l'administration les utilise parfois un peu formellement, tandis que les élus locaux s'en affranchissent parfois un peu rapidement : les responsabilités sont partagées. Un effort conjoint des uns et des autres doit être réalisé pour faire fonctionner correctement ces lieux de débats, la concertation ayant des conséquences juridiques, en termes de moratoire, par exemple, sur la fermeture de tel ou tel service public en milieu rural ou en milieu urbain.

L'aspect le plus novateur, c'est la question des maisons des services publics, question qui ne se pose pas uniquement à l'État. En effet, dans les termes "services publics", nos concitoyens incluent des réalités très hétérogènes : des services publics de l'État, des services publics gérés par des établissements autonomes, tels que La Poste et, pour une partie encore, France Télécom, des services publics gérés par des collectivités locales, tels que les services sociaux, mais aussi tout ce qui concerne l'action sociale, comme la sécurité sociale, et l'emploi, comme les ASSEDIC, qui sont des associations ou des organismes de droit privé.

L'objectif de ces maisons de services publics est de pouvoir rassembler en un lieu un certain nombre de ces services malgré leur hétérogénéité. Et créer et faire fonctionner ces lieux est difficile en raison même de leur hétérogénéité. Nous avons à la fois un cadre juridique, avec la loi sur l'aménagement du territoire et la loi relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration, et un dispositif financier, avec en particulier le fonds pour la réforme de l'État qui peut apporter des aides non seulement pour les dépenses d'investissements, mais également pour les frais de fonctionnement, tout au moins lors de la mise en place de ces maisons ; tout cela demande une imagination locale considérable. Il ne peut pas exister un modèle unique de la maison des services publics ; on ne peut pas dire de Paris quel est le bon modèle. Elles ne pourront pas avoir le même contenu et les mêmes modalités de fonctionnement en ville et à la campagne ; les caractéristiques varieront en fonction des situations de terrain ; ce sera un regroupement autour d'un service public existant ou bien la création d'une structure nouvelle qui accueillera des services éventuellement non existants jusque là. Cela peut être une maison tournée vers les questions de l'emploi
- ANPE, ASSEDIC, organismes de formation - ou assurant plus spécifiquement des services administratifs relevant de la puissance publique tels que les papiers d'identité ou les cartes grises, ces documents ayant pour caractéristique d'être délivrés par l'État mais par l'intermédiaire des collectivités territoriales.

Ma deuxième préoccupation concerne les gens. Le propre d'un service public, ce n'est pas seulement de posséder un toit et des murs, mais également des fonctionnaires, des personnes vers qui l'on vient chercher le contact, le renseignement, mais aussi la présence humaine. Et quelle que soit l'évolution des techniques, rien ne remplace la qualité d'un contact humain.

Nous rencontrons, de ce point de vue, un certain nombre de difficultés aujourd'hui, et je voudrais vous rendre attentifs aux évolutions de demain. Les difficultés d'aujourd'hui, ce sont, bien entendu, les évolutions d'effectifs globaux, et je pense que vous serez tout particulièrement sensibles à l'idée selon laquelle il est contradictoire de demander toujours moins de fonctionnaires au niveau national et d'en réclamer toujours plus pour son propre territoire, en termes d'instituteurs, de professeurs, de policiers, etc. La question du nombre de fonctionnaires, globalement, n'est pas indifférente à la question de la présence des services publics, notamment dans les zones les plus difficiles.

Par ailleurs, quel que soit le nombre de ces fonctionnaires, les postes existants ne sont pas toujours pourvus. Dans un certain nombre de régions françaises, on rencontre des difficultés pour disposer de fonctionnaires sur les postes existants, ce que l'on appelle un déficit de candidats ou un déficit de recrutement. Ce phénomène est bien connu : le nombre de candidats à la fonction publique dans le sud de la France est plus élevé que dans le nord, alors que, démographiquement, le nord a davantage besoin de fonctionnaires. N'y aurait-il pas dès à présent des réformes à entreprendre pour territorialiser les fonctionnaires le plus possible, en conservant certaines limites nécessaires pour certains corps ? Prenons l'exemple des personnels enseignants : doivent-ils tous être recrutés sur des concours nationaux, avec des affectations automatiques et contraires à leur volonté ? Ne pourrait-on pas avoir, comme c'est le cas pour les instituteurs, des recrutements plus territorialisés afin de pallier ces difficultés qui, au bout du compte, sont préjudiciables aux zones les plus fragiles ?

Enfin, il convient que chacun soit bien conscient que, compte tenu du nombre des départs à la retraite, et indépendamment de celui des emplois globaux dans la fonction publique, il faudra recruter, dans les quinze ans à venir, deux fois plus de jeunes que nous n'en avons recruté ces quinze dernières années, ce qui pose des problèmes considérables.

C'est un enjeu que nous avons abordé au comité interministériel pour la réforme de l'État ; ce qui nous paraît décisif, pour les prochaines années, c'est la gestion prévisionnelle de nos effectifs, une connaissance précise des effectifs existants, des évolutions démographiques par corps, par métier, par qualification, et à partir de là, une vision détaillée, année après année, des besoins, non pas seulement d'un point de vue quantitatif mais aussi d'un point de vue qualitatif.

Il s'agit de décisions qu'il convient de prendre dès maintenant : il faut quatre à cinq ans pour former un professeur, sept ans pour un professeur des universités. Il est peut-être déjà un peu tard ! La grande qualité du plan présenté par le ministre de l'éducation nationale, M. Jack Lang, c'est d'avoir inscrit ses perspectives non pas seulement en termes de stocks, mais en termes de flux : quelle décision faut-il prendre dès maintenant en termes de concours, de formations et d'incitations pour que les jeunes se dirigent dans ces différents métiers pour ensuite mieux aménager l'espace ?

Le troisième thème que j'aborderai concerne les nouvelles techniques d'information et de communication. Les disparités du développement des territoires peuvent être amoindries, notamment par ces nouvelles techniques.

Elles peuvent nous permettre d'améliorer considérablement le service rendu aux usagers ; un progrès notable peut être réalisé grâce aux points d'accès aux informations et aux procédures en ligne qui vont se développer dans les prochaines années, s'ils sont mieux répartis sur le territoire, y compris dans des lieux existants aujourd'hui, avec un agent, quel que soit son statut, pouvant être l'intermédiaire entre l'usager ne sachant pas utiliser cette technique et la technique elle-même. Il s'agit là d'un des aspects les plus importants du dernier comité interministériel pour la réforme de l'État, c'est l'un aussi des projets que partagent tous les pays européens ; le langage est le même sur un ordinateur.

Qu'apportent ces techniques d'information et de communication, notamment aux zones fragiles de notre territoire ? Une capacité à pénétrer les territoires, donc à être plus proche de chacun des usagers, ainsi qu'une dimension interministérielle car on peut trouver dans un même lieu des renseignements concernant de nombreux domaines. J'incite ceux d'entre vous qui n'auraient pas encore visité le site "service-public.fr", que le gouvernement a ouvert le 23 octobre dernier, à le faire car l'on y trouve des renseignements avec une facilité extraordinaire : l'usager qui sait utiliser un clavier et une souris peut y trouver toutes sortes d'informations concernant la naissance, la mort, le mariage, le fisc... et avoir accès très aisément à l'ensemble des sites publics des communes, des départements et des régions.

Ces techniques apportent à nos territoires fragiles des services de proximité. En leur absence, nous serions obligés de prévoir des locaux et des effectifs importants que, budgétairement, personne ne serait en capacité de supporter. Le jour où les procédures en ligne, qui sont en train de se mettre progressivement en place, seront efficaces, l'amélioration pour les usagers sera réelle. La procédure en ligne consiste à pouvoir, à partir de chez soi ou d'un de ces points publics d'accès, remplir sa déclaration d'impôts, ses déclarations de demandes d'aide sociale ou d'allocations familiales, demander des papiers d'identité et les recevoir. Aujourd'hui, par exemple, la plupart des vendeurs d'automobiles neuves remplissent leurs cartes grises, non pas en se déplaçant à la préfecture, mais depuis leur bureau. Il conviendra de faire de même lors d'une vente de voiture de particulier à particulier.

Aujourd'hui, il existe déjà une dizaine de procédures en ligne, la plus connue étant la déclaration d'impôts. L'objectif est la généralisation de ces procédures. Nous devons, dans les cinq ans à venir, pouvoir remplir en ligne tous les documents et effectuer toutes les procédures administratives. La principale limite au développement de ces procédures, aujourd'hui, est la question de leur sécurisation et de la signature électronique ; la loi sur cette dernière a été adoptée, les décrets de mise en œuvre sont en cours d'adoption et seront publiés d'ici à la fin de l'année. Il reste à étudier les mécanismes de sécurité qui, s'ils sont de trop haut niveau, risquent d'être dissuasifs ; si je suis persuadé que personne ne cherchera à payer les impôts de son voisin, il vaut mieux éviter que ce dernier touche à votre place les allocations familiales.

Je terminerai mon propos liminaire en vous disant qu'il convient de ne jamais oublier, quel que soit le développement des nouvelles techniques d'information et de communication, que tous n'y auront pas accès. D'abord parce que certains n'en ont pas la formation ou la capacité - encore faut-il se méfier de l'idée selon laquelle les personnes âgées ont plus de difficultés que les plus jeunes -, et ensuite parce qu'il existe une forme d'analphabétisme électronique. Il est donc indispensable de maintenir une présence physique, même si celle-ci peut permettre également un accès à ces nouvelles techniques.

M. le Président : Monsieur le ministre, je vous remercie pour cet exposé extrêmement clair. Vous avez très bien évoqué les trois points fondamentaux de la question. Il nous semble qu'il n'y a pas d'aménagement du territoire sans services rendus aux habitants. Comme le montrent les premiers résultats du recensement, c'est lorsqu'il existe un certain nombre de services que la population se maintient, voire augmente, même en milieu rural. Et les services publics font partie de ces services rendus à la population, qui sont essentiels et qui permettent de structurer la vie sociale et de maintenir la cohésion sociale dans notre pays.

Vous avez évoqué les lieux, et effectivement il n'y aura pas, nous en sommes convaincus, de maisons des services publics établies sur un modèle unique. Je pense que nos deux rapporteurs vous interrogeront sur les maisons des quartiers en difficulté qui souffrent d'un déficit de services publics, et sur les moyens de conserver un accès aux services publics dans les zones en déprise agricole, en déprise démographique.

Vous avez évoqué le problème des fonctionnaires. Vous l'avez fait dans des termes tout à fait pertinents, notamment lorsque vous avez parlé de la pyramide des âges de la fonction publique et de la nécessité de recruter. Nous savons que cela est difficile, nous l'avons mesuré dans les années 1980 lorsque nous nous sommes trouvés confrontés à la pénurie d'enseignants, avec une grande difficulté à recruter des professeurs dans certaines matières. Aujourd'hui, le problème sera d'autant plus difficile à résoudre que la conjoncture de l'emploi est meilleure et que l'attrait de la fonction publique en est réduit d'autant. Enfin, reste le problème suivant : les fonctionnaires sont effectivement attirés vers le sud.

Nous avons, à ce propos, au cours d'autres auditions, pu remarquer qu'il existait une certaine incompréhension des élus à l'égard de la rationalisation des services publics qui s'est toujours faite, dans les dernières décennies, par la concentration de ceux-ci. Il nous semble aujourd'hui que la présence des techniques d'information et de communication peut nous amener à envisager peut-être les problèmes d'une autre manière ; notamment par une territorialisation différente des services publics : il n'est pas nécessaire que tous les services de décision ou d'instruction d'études soient concentrés, soit dans la capitale, soit dans une métropole régionale ; peut-être pourraient-ils être mieux répartis sur le territoire. Nous avons auditionné M. Adrien Zeller, président de la région Alsace, pour un précédent rapport, qui nous a dit que la région envisageait de territorialiser dans plusieurs villes secondaires des services qui étaient, jusqu'à présent, concentrés à Strasbourg. L'État est-il capable d'adopter une telle attitude afin de mieux équilibrer la présence des fonctionnaires sur le territoire ?

En ce qui concerne les techniques d'information et de la communication, il s'agit effectivement d'une solution d'avenir. Nous avons cependant une inquiétude relative aux réseaux à haut débit : nous craignons, lorsque nous voyons par exemple l'appel d'offre qui a eu lieu sur la boucle locale radio, qu'il y ait un équipement à deux, voire à trois vitesses, que dans les villes les plus importantes, les villes les plus denses, les opérateurs soient nombreux, contrairement aux territoires plus fragiles, à ceux qui auraient réellement besoin de posséder un accès aux nouvelles techniques. Il nous semble donc que l'État doit, de ce point de vue, revoir les méthodes d'attribution qui ont servi pour la boucle locale radio et peut-être inciter - ou contraindre - les opérateurs souhaitant prendre les meilleures parts du gâteau, à desservir également des régions plus défavorisées ou en tout cas moins denses et donc moins profitables.

M. Pierre Cohen, rapporteur : Monsieur le ministre, vous avez rappelé, avec raison, les ambiguïtés qui existent dans l'esprit des usagers sur la notion de services publics. Mais on constate aussi des différences de points de vue sur la notion de service public à l'intérieur même de l'État. La définition du service public se décline sur des critères relativement différents en fonction des services.

Les maisons des services publics ne sont-elles des réponses que pour des territoires qui sont en déficit ? La réponse est positive, mais il convient également de rechercher une coordination plus forte entre les différents services publics. L'objectif est-il d'avoir une notion de services publics plus cohérente, afin de pouvoir passer d'un service à une autre ?

Et ce contenu va obligatoirement nous amener à penser en termes de territoire : quels sont les territoires pertinents pour réaliser cette cohérence, quels sont les interlocuteurs ? Je suis frappé de constater le cloisonnement qui existe entre les services publics ; on le voit très bien dans les politiques de la ville : les deuxièmes contrats de ville ont démontré cette difficulté à prendre des mesures cohérentes en fonction d'un objectif défini. Le problème est donc de déterminer non seulement un territoire, mais également un coordinateur.

S'agissant de la modernisation des services publics, le préfet est un interlocuteur important pour les collectivités locales, mais il est de moins en moins le référent pour certains services comme l'éducation nationale. On se pose donc la question de savoir si la modernisation du service public, qui est attaqué par un certain nombre de personnes, est un bon moyen pour le défendre et pour mener une action offensive en sa faveur.

Deuxièmement, je suis convaincu de la nécessité de la gestion prévisionnelle des emplois - recruter des personnes compétentes demande une longue formation - sans laquelle nous serons confrontés à une impossibilité de pourvoir des postes qualifiés. Par ailleurs, il convient de valoriser les emplois de la fonction publique si nous voulons que les jeunes, en période de croissance, s'intéressent au service public.

Enfin, s'agissant des nouvelles techniques de l'information et de la communication, je suis parfaitement convaincu qu'elles apporteront un certain nombre de réponses. Mais là aussi, il convient d'éviter qu'elles ne soient des objectifs ; elles ne doivent être qu'un outil et être intégrées dans les valeurs du service public.

M. Henri Nayrou, rapporteur : Monsieur le ministre, je vous remercie pour cette introduction ; cependant, j'ajouterai à votre exposé un quatrième volet : les administrations et la façon dont on pourrait les relier entre elles.

J'interviens dans un secteur particulier, celui des zones rurales, où l'on ne peut pas se contenter de parler des services publics, des services au public, sans prendre en compte la notion d'aménagement du territoire, ces services représentant les premiers moyens de revitalisation de ces zones. Le problème est de délimiter le niveau de pertinence dont parlait M. Pierre Cohen tant pour les services que pour les publics et les lieux. Je serai volontiers iconoclaste ou provocateur, car je pars du principe que l'avenir d'une société ne peut pas être hyper-concentrée d'un côté et hyper-désertifiée de l'autre.

Les maisons des services publics ne doivent pas être l'occasion de rassembler ce qui existe déjà, mais, au contraire, de faire revenir dans certaines zones des services qui, pour des raisons de simplification, ont disparu. Par ailleurs, je suis tout à fait d'accord avec vous, monsieur le ministre, lorsque vous dites qu'il ne peut y avoir un modèle unique.

Je souhaiterais connaître votre avis sur le problème du statut mixte des agents qui fait débat en ce moment à La Poste. On touche là au problème qui vous incombe, à savoir la polyvalence.

Par ailleurs, les services publics relèvent de chaque ministère et de chaque ministre. Adhérez-vous au principe selon lequel un envoyé spécial ou un chef de projet serait nommé dans les départements, que ce soit le préfet ou le sous-préfet - à titre personnel je souhaiterais qu'un rôle particulier soit dévolu au sous-préfet, comme dans les années 1990 avec les sous-préfets développeurs -, et disposant d'un vrai pouvoir et non pas, chargé comme cela est le cas à l'heure actuelle, de présider des commissions départementales peu efficaces ?

M. Serge Poignant : Monsieur le ministre, vous avez évoqué la contradiction qui existe quand nous réclamons plus de fonctionnaires dans les collectivités locales et moins au niveau national ; mais le problème doit être posé de façon plus globale : disposons-nous de fonctionnaires qui réalisent strictement leur travail ou qui ont une capacité intellectuelle à évoluer ? La question se pose plus en termes de redéploiement et de l'utilisation des fonctionnaires qu'en termes de quantité.

M. Henri Nayrou vient d'évoquer les commissions inefficaces. Il existe en effet un grand nombre de commissions qui mobilisent beaucoup de participants sans grand résultat. Je suis tout à fait d'accord avec ce qui vient d'être dit, notamment sur la territorialisation.

Cependant, si l'on décentralise, mais si le responsable de la maison de services publics doit toujours rendre des comptes à une autre personne qui est chargée de prendre les décisions, nous n'aurons rien simplifié ! Or, il convient de le faire et cela doit être décidé au plus haut niveau de l'État. Je vais vous citer un exemple : la circulaire relative à l'aide directe aux entreprises que nos préfectures ont reçu va occuper un grand nombre de fonctionnaires, et ce pendant des heures, simplement pour l'interpréter, car elle comporte 35 pages ! Si l'on ne fait aucun effort de simplification, la territorialisation et la réflexion sur le nombre de fonctionnaires ne serviront à rien.

Enfin, il est indispensable que les fonctionnaires de nos administrations soient plus mobiles ; et je parle non pas de mobilité géographique, mais intellectuelle. Et lorsqu'on va rassembler les services, il faudra désigner un chef de file qui devra être accepté par les autres. Je me permets d'insister sur ce point, car c'est une véritable révolution intellectuelle qui doit être entreprise, sans pour autant critiquer les fonctionnaires ; il convient de faire en sorte qu'ils se sentent mieux dans leur travail et que leur rémunération soit plus adaptée.

M. Nicolas Forissier : Un vrai libéral défend l'État et donc les fonctionnaires ; les fonctionnaires doivent se trouver en nombre suffisant là où l'État doit être présent. Le vrai débat est là. Mais sur le fond, nous sommes d'accord, et l'objectif du ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État est, j'imagine, d'essayer de trouver les moyens pour donner plus de formations, de possibilité d'évolution, de souplesse, et de bonheur aux fonctionnaires.

Je voudrais revenir, pour ma part, sur deux aspects qui ont déjà été évoqués. Premièrement, la réforme de l'État. Il existe une chance historique, liée à l'arrivée d'Internet et des nouvelles techniques d'information et de communication, qui est une révolution considérable, et qu'il faut saisir, pour redéployer réellement la présence du service public sur le territoire.

Nous avons, dans ma ville, récupéré, grâce à un service en ligne, les services de la mutualité sociale agricole et le "point sécurité sociale" ; nous pouvons ainsi allier à la fois cette présence physique indispensable, des agents sur place, et la gestion des dossiers grâce aux nouvelles techniques. Voilà la vraie chance à saisir.

Ma question est donc la suivante : dans le cadre de la réforme de l'État qui est à l'étude, allons-nous vraiment nous donner les moyens nécessaires et mettre en _uvre ce reploiement sur le territoire ? Je rejoins tout à fait le président lorsqu'il parle de la nécessité d'une présence physique, car rien ne remplacera jamais le rapport direct entre deux personnes.

Deuxièmement, le problème des réseaux à haut débit devra relever du service public afin de faire en sorte que toutes les régions, et à commencer par les plus fragiles, puissent être desservies en lignes à haut débit. Ma seconde question est donc la suivante : les engagements, les moyens et les modifications de procédures sont-ils inscrits à l'ordre du jour et font-ils partie de la volonté pratique du gouvernement ?

M. le Président : J'ajouterai, avant que le ministre ne réponde, que s'agissant des réseaux à haut débit, nous devons prendre garde. La Scandinavie, la Suède, la Finlande ont réalisé un effort considérable depuis quelques années en matière de nouvelles technologies et de haut débit. Ils ont géré à la fois les problèmes des zones pleines où des collectivités territoriales ont favorisé l'accès à Internet de tous leurs fonctionnaires, par des dispositions matérielles et fiscales, et ceux des zones à très faible densité que sont les régions polaires.

Il nous semble qu'il appartient effectivement à l'État de compenser le manque de moyens des zones moins denses, afin qu'un dualisme nouveau ne caractérise pas le réseau à haut débit. Mais nous avons tous perçu que les nouvelles techniques d'information et de communication étaient une partie intégrante de l'avenir de notre pays.

M. Michel Sapin : Je répondrai tout d'abord à la question du nombre des fonctionnaires : sachez que la moitié des fonctionnaires de l'État font partie de l'éducation nationale. Dans son rapport, le sénateur Gérard Braun ne comprenait pas que l'on prévoie des créations d'emplois dans l'éducation nationale, alors que le nombre des élèves diminue. Si le problème ne se résumait qu'à une simple relation entre le nombre des élèves et le nombre des professeurs, effectivement, le nombre de ces derniers aurait déjà dû commencer à diminuer. Mais il ne vous échappe pas qu'une évolution de la moyenne ne recouvre pas la réalité d'un territoire et ce n'est pas parce que le nombre des élèves est passé de 25 à 15 dans une commune, que l'on va pour autant fermer l'école. Il se peut qu'au même moment, le nombre d'élèves soit passé de 25 à 40 dans une commune périphérique, où il va bien falloir ouvrir le poste nécessaire pour scolariser ces enfants supplémentaires.

La simple relation statistique ne reflète pas la réalité de la vie sur le territoire français, contrairement à la Hollande, par exemple. Notre territoire est marqué par des différences considérables de densité, ce qui a des conséquences, y compris en termes de coût de fonctionnement de nos services publics, dès lors que l'on veut qu'ils soient présents partout. L'éducation nationale est donc obligée de créer des postes si elle veut rendre le même service dans toutes les communes, y compris dans les communes les plus fragiles. Ce qui n'ôte rien au problème du recrutement qui risquerait de toucher, plus tard, les zones les plus fragiles.

Je reviendrai ensuite sur les nouvelles techniques d'information et de communication. Il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit d'un outil, mais d'un outil tout de même exceptionnel.

Tout d'abord les autoroutes sont un des grands enjeux pour parvenir à un développement égal du territoire ; si nous laissions à la seule appréciation du marché la mise en _uvre de ces capacités importantes et surtout de ces coûts faibles de transport, nous créerions une disparité plus grande encore que celle à laquelle nous avons réussi à remédier en termes de circulation des automobiles. J'insiste sur l'aspect du coût, car pour bien connaître cette question - j'ai lancé dans ma région un programme d'équipements dans ce domaine pour que chaque collectivité puisse en bénéficier - je sais qu'il s'agit de la question la plus pertinente. Bien entendu, la rapidité est également importante, mais pour une entreprise qui fonderait son développement sur l'utilisation de ces techniques, le coût est décisif. Et une entreprise, comme un service public, ne souhaite pas payer trois fois plus cher pour faire fonctionner une ligne à tel endroit par rapport à tel autre.

Dès lors que le marché ne peut pas répondre à cette demande, la responsabilité de la puissance publique est engagée, qu'il s'agisse de celle de l'État, qui élabore actuellement les schémas de services collectifs , pour y faire face, ou de celle des collectivités territoriales. La Bretagne a mis en place une politique dans ce domaine, par exemple, mais dans le cadre actuel, cela devrait évoluer avec la loi relative à la société de l'information, avec des restrictions très fortes quant à l'implication des collectivités territoriales. Une possibilité devrait être offerte plus largement dans l'avenir pour permettre aux puissances publiques, notamment locales, d'intervenir dans ce domaine pour pallier les carences.

Ces techniques d'information et de communication sont composées de deux volets en termes de réforme de l'État, de réforme du fonctionnement des puissances publiques et de gestion de l'intérêt général.

Première élément : les usagers. La procédure en ligne est une facilité nouvelle, même si l'on ne les utilise pas soi-même. S'il existe, près de chez vous, un endroit où quelqu'un peut vous aider à vous servir de ces techniques pour trouver facilement tous types de renseignements, c'est un gain de temps et d'énergie considérable.

Deuxièmement, il s'agit également d'une révolution dans le fonctionnement interne de l'administration. Comment fonctionne aujourd'hui, juridiquement, une administration ? Quand une personne écrit à une administration, elle écrit au ministre ; quand un fonctionnaire répond à un usager, c'est le ministre qui répond. Ce qui veut dire que la ligne hiérarchique est l'élément fondamental. Cela a des avantages, mais également des inconvénients, notamment en termes de lourdeur des procédures, et je dirais même en termes de prise de responsabilité de la part du fonctionnaire.

Lorsque vous travaillez en ligne, vous êtes directement responsable des demandes que vous recevez et des informations que vous délivrez, ce qui change considérablement. Cela ne veut pas dire que la ligne hiérarchique est effacée, mais elle est d'une toute autre nature. L'agent doit repérer la question à laquelle il ne sait pas forcément répondre, de manière que, remontant la hiérarchie, une interrogation générale sur l'ensemble du territoire permette de donner partout la même réponse. Il s'agit donc d'une organisation totalement différente, qui peut avoir des conséquences, y compris en termes de redéploiement des effectifs, et donc de meilleure présence des effectifs sur l'ensemble du territoire, à condition que la polyvalence soit réalisée.

Il ne sera pas possible que chaque administration soit présente sur chaque territoire. En revanche, des espaces peuvent être reconquis ou tout simplement occupés - car ils ne l'ont jamais été - par une présence, dès lors qu'existe la polyvalence. C'est-à-dire que l'on ne se pose pas la question de savoir si c'est un postier qui répond à une question relative à la sécurité sociale ou aux impôts, ou si c'est un agent de la direction des impôts qui répond à une question concernant la comptabilité publique : un agent possède une certaine polyvalence dans l'utilisation de la nouvelle technique d'information et de communication, et va chercher soit le renseignement juste, soit la personne adéquate à qui il va envoyer le e-mail et qui lui répondra immédiatement. La distance est immédiatement effacée dès lors que l'on accepte la polyvalence.

Or, le réflexe du ministère, de la sécurité sociale et parfois de l'organisation syndicale, est de dire que la question n'est pas de son domaine de compétence, et qu'il n'y répondra donc pas. Nous devrons aller au-delà. L'agent sera compétent pour répondre à un certain nombre de questions et bénéficiera d'une capacité d'accès à un canal qui lui permettra d'aller chercher la compétence pour le compte d'une autre administration ou d'un autre service public. Cette façon de procéder donne des possibilités en termes d'augmentation de la qualité du service rendu à l'ensemble des usagers, et peut-être aussi en termes de diminution des coûts de fonctionnement des divers services publics, ainsi qu'en termes de capacité de redéploiement sur le territoire, absolument considérables.

On constate donc que ces techniques d'information et de communication sont composées de nombreux éléments : le service rendu à l'extérieur, mais également l'amélioration importante de l'organisation de l'administration. Ces mutations sont en cours.

Et l'on en arrive à une autre vision de la territorialisation. Quels sont les territoires adéquats ? Il faut éviter, me semble-t-il, une vision purement homogène sur l'ensemble du territoire : on ne s'organise pas de la même manière dans les zones de montagne que dans des quartiers en difficulté, dans certains pays bien constitués, avec un centre très attractif, et dans d'autres endroits plus éclatés. Il faut savoir s'adapter à tout cela.

Enfin, je pense qu'il est absolument nécessaire que, dans ce domaine, soit désigné un interlocuteur sinon unique, du moins privilégié, disposant d'une capacité de commandement, pour les élus locaux qui sont très proches de ces préoccupations. Aujourd'hui, le préfet est le coordinateur de l'ensemble des services de l'État dans son département ; il est vrai que l'éducation nationale, les services financiers, la justice ou tel autre service ont tendance à échapper à son autorité. Il doit être l'interlocuteur fondamental, et non pas simplement le président de telle ou telle commission, et avoir une capacité de décision dans ce domaine.

M. le Président : Monsieur le ministre, je vous remercie pour ces réponses qui ouvrent des pistes pour l'avenir. Comme vous l'avez souligné, le débat n'est pas clos et j'espère que nos collègues MM. Pierre Cohen et Henri Nayrou feront des suggestions concrètes, pratiques, qui permettront de le faire avancer.

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