ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N°11

Mardi 23 janvier 2001
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Philippe Duron, président

SOMMAIRE

 

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- Examen du rapport de MM. Pierre Cohen et Henri Nayrou, sur les services publics et les territoires

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La délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a examiné le rapport de MM. Pierre Cohen et Henri Nayrou, sur les services publics et les territoires.

M. Pierre Cohen, rapporteur, a souligné que, pour ce deuxième thème étudié par la délégation, les profils différents des deux rapporteurs, l'un étant un élu rural et l'autre un élu urbain, n'avaient pas entraîné de difficultés dans la conception du rapport et n'avaient pas empêché l'élaboration de conclusions proches sur de nombreux points. Pour tenir compte à la fois de ces accords et des sensibilités différentes, il a été décidé que le rapport comporterait un socle commun présentant la synthèse des informations relatives aux services publics sur notre territoire obtenues au cours des auditions, ainsi que le point de vue de chacun des rapporteurs.

Le rapporteur a ensuite formulé trois remarques. Il a, en premier lieu, précisé qu'il avait constaté, au cours des différentes auditions réalisées, que la notion de service public était floue, définie seulement par un arrêt du Conseil d'État de 1925. Il a ensuite rappelé que le service public avait en France un caractère original, que les Français y étaient très attachés, mais que, en raison de la mondialisation et du développement des idées libérales, les critères de rentabilité devenaient prédominants, et le remettaient en cause. Il a, en troisième lieu, relevé l'existence de deux phénomènes importants, la poursuite de la réforme de l'État et du renforcement de la déconcentration et, parallèlement, le développement de la décentralisation. Il en résulte la nécessité de réfléchir au rôle des différents acteurs concernés et aux missions des services publics. Il s'agit d'un travail difficile, ainsi qu'en témoigne l'échec de la réforme du ministère de l'économie et des finances qui visait à mieux répondre aux besoins, mais n'a pu voir le jour en raison de solutions maladroites .

Le rapporteur a souligné ensuite qu'il était indispensable que soient identifiés les besoins sur le terrain et qu'il lui paraissait souhaitable de tenir des assises du service public afin de remettre à plat cette notion, prenant pour exemple les assises de 1982 sur la recherche, qui avaient permis aux différents acteurs de se mobiliser. Elles seraient l'occasion d'un débat sur la notion d'accessibilité des services à rendre au public, sur les moyens à mettre en œuvre pour conforter le service public et surtout, sur une définition de cette notion, qui pourrait ensuite être reprise dans un texte. Elles permettraient en outre à la France d'avoir, au plan européen, une attitude offensive sur cette question, d'autant plus indispensable que l'Europe, actuellement, remet en cause le service public dans le domaine de l'éducation ou de la santé.

M. Henri Nayrou, rapporteur, a également indiqué qu'il était d'autant plus nécessaire de redéfinir les missions du service public, notamment dans les zones rurales où il était en position défensive, que l'espace rural a de nouveau un avenir. Il a souligné que l'accès aux services publics devait être le même pour tous et que les besoins devaient être identifiés sur le terrain.

Il a estimé qu'il fallait décloisonner les administrations afin que les décisions concernant les services publics soient transversales, qu'un partenariat entre l'État et les collectivités locales était indispensable et que le volet territorial des contrats de plan État-région était le levier permettant de revitaliser les services publics et donc les territoires, même si certaines régions craignent que cela n'induise un désengagement de l'État. Ce volet territorial pourrait financer les investissements nécessaires aux maisons des services publics, et certaines dépenses de fonctionnement à définir ultérieurement.

Le rapporteur a souligné qu'il convenait d'adopter une démarche globale en élaborant un constat, en développant la concertation, puis en encourageant la contractualisation, avant de passer à l'action. Il a souhaité que le conseil national des services publics réfléchisse à une définition de ceux-ci, que soit élaboré un schéma des services publics par territoire pertinent en y faisant participer les conseils de développement et qu'un pouvoir accru soit conféré aux préfets, aux sous-préfets, ainsi qu'aux commissions départementales d'organisation et de modernisation des services publics. Il a souhaité que soient préparés des contrats d'accès aux services publics, comportant des cahiers des charges fixant les obligations de l'État, des collectivités locales, des usagers et des personnels.

Abordant les outils nécessaires à la dynamisation des services publics, le rapporteur a souligné que les nouvelles technologies de l'information et de la communication étaient l'arme absolue pour permettre le développement des maisons des services publics et le décloisonnement des administrations. Il a estimé que les maisons de services publics n'avaient pas vocation à réunir dans un même lieu des services publics qui existaient déjà dans leurs locaux respectifs, mais plutôt à coordonner des services proches et à favoriser le retour des services publics qui avaient déjà déserté le territoire. Il a souligné qu'il serait opportun de les installer en tenant compte de l'émergence des nouveaux territoires. Il a proposé de prévoir cinq niveaux pour les maisons de services publics (le chef-lieu de département, le chef-lieu d'arrondissement, le chef-lieu de canton, les deuxièmes communes de canton, le village). Il a suggéré, au niveau des chefs-lieux de canton, un partenariat clair : les locaux seraient à la charge des collectivités et les personnels à celle de l'État. Dans le cas du village, les services de pourraient être centralisés au niveau de la mairie.

Il a enfin souligné la nécessité de procéder à la relocalisation d'emplois publics, grâce aux nouvelles technologies de l'information et de la communication. Ces transferts seraient différents des vagues de délocalisations lancées par le gouvernement de Mme Edith Cresson en 1991 et 1992 et seraient favorisés par l'emploi des nouvelles techniques de l'information et de la communication ; il s'agirait d'opérer de manière plus souple pour obtenir un meilleur équilibre territorial.

M. Philippe Duron, président, a fait remarquer qu'au cours des dernières années on avait cherché des formules pour garder sur les territoires un certain nombre de services au public, mais que l'on n'avait pas encore trouvé de solution qui satisfasse les usagers et les administrations. Il s'est demandé si on pouvait parler au niveau du village de maisons de services publics ou s'il ne fallait pas envisager ces maisons uniquement comme têtes de réseau dans le monde rural, soit dans le cadre du canton, soit dans le cadre du pays et si, au niveau le plus fin, notamment on constate une déprise démographique, il ne fallait pas prévoir d'autres solutions, comme la mutualisation des services publics par la mairie ou la constitution de "drugstores villageois" selon la formule de M. François Doubin, où les services pourraient être assurés par une petite entreprise commerciale ou par un particulier. En ce qui concerne les relocalisations, il a suggéré d'employer le terme de territorialisation de la fonction publique. Il s'est enfin déclaré en faveur de l'établissement de schémas de services publics en cohérence avec les nouveaux territoires.

M. Henri Nayrou, rapporteur, a estimé que les maisons de services publics faisaient parfois peur, dans la mesure où les personnels concernés s'imaginaient qu'elles allaient regrouper en un seul lieu des services existant déjà. Il a souligné que la polyvalence était difficile à réaliser. Il a ajouté que les zones rurales accessibles voyaient leur population augmenter, que les nouveaux habitants souhaitaient des services car ils avaient des habitudes prises à la ville et qu'il fallait centraliser les services publics en un seul point du village.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a apprécié que le rapport soit bicéphale afin de tenir compte des problèmes du service public à la fois en milieu rural et en milieu urbain. Tout en soulignant son attachement à la décentralisation, elle a souhaité que soit réaffirmé le rôle déterminant de l'État dans la territorialisation de la fonction publique, et que la parole de celui-ci reste engagée, même en cas de changement de gouvernement. S'agissant des commissions départementales d'organisation et de modernisation des services publics, elle a demandé qu'elles aient un pouvoir réel ; actuellement le préfet ne peut que suspendre temporairement une décision, la concertation est trop limitée, et les administrations ont, en fait, toute latitude pour prendre les décisions. Enfin, en ce qui concerne les maisons des services publics, elle s'est déclarée d'accord avec les rapporteurs, tout en s'interrogeant sur la nécessité d'en doter les villages.

M. Jean-Claude Daniel fait remarquer qu'il existait trois types de services publics : les services publics liés au fonctionnement de l'État, les entreprises ayant une mission de service public et les services au public relevant de l'économie marchande. S'agissant des premiers, il a estimé que les différents contrats de ville, d'agglomération et de pays devaient comporter des clauses claires pour assurer l'interministérialité des décisions ; il a souligné qu'en plus des services publics de l'État, il fallait réfléchir à ce que devraient être les services publics territorialisés et à la façon dont pouvaient être mis en cohérence les services publics de l'État et ceux qui seront territorialisés.

M. Philippe Duron, président, a suggéré que cela soit la mission des sous-préfets, cette mission pouvant être indépendante de leur localisation géographique. Certains sous-préfets ont, en effet, actuellement des missions qui couvrent l'ensemble d'un département.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont s'est déclarée favorable à la réaffirmation du rôle des sous-préfets, si on leur donnait ce type de mission.

M. Jean-Claude Daniel a ajouté ensuite qu'il était nécessaire de remettre en cause les différents bastions existants, comme, par exemple, les agences régionales de l'hospitalisation, les directions régionales des différents ministères et les secrétariats des affaires régionales.

Abordant les entreprises ayant une mission de service public, il a suggéré de préciser la notion de service universel, qui est apparu dans certains domaines comme le domaine postal, mais pas dans d'autres, comme celui de la santé. Il a estimé que la territorialisation des agences de développement économique devait être réalisée. S'agissant du développement des maisons des services publics, il a fait remarquer qu'on pouvait y trouver à la fois les services publics stricto sensu, mais aussi des services relevant de l'économie mixte, en soulignant qu'il fallait dans chaque cas être vigilant sur les termes du contrat signé par les différents partenaires de la MSP. A propos des technologies de l'information et de la communication, il a déploré que toutes les zones du territoire ne puissent encore bénéficier de la téléphonie mobile et que toutes n'aient pas accès aux réseaux à hauts débits. Il a souhaité une réflexion sur les activités des services publics liés aux secours, qu'il s'agisse de la police, de la gendarmerie, des pompiers, mais aussi des activités privées comme les ambulances. S'agissant des services au public qu'il faudrait mieux les connaître à l'échelle du territoire, il a estimé qu'ils devaient être pris en compte dans le volet territorial des contrats de plan État-régions.

Il a enfin fait remarquer qu'il fallait réfléchir à la façon dont on répondait sur les territoires à ces divers besoins. Il a ajouté que les services publics avaient une valeur marchande à l'extérieur de nos frontières et qu'ils représentaient donc de ce fait un enjeu important auquel il fallait réfléchir.

M. Pierre Cohen a estimé que l'on abordait les problèmes qui devraient être effectivement traités par les assises du service public qu'il proposait, soulignant que l'on disposait d'autant de visions du service public que de décideurs. Le service au public est l'impératif auquel on doit réfléchir, et ce n'est pas de Paris que l'on peut définir les besoins. Il a fait remarquer que les territoires émergents que sont les pays et les agglomérations étaient le niveau pertinent pour le développement des services publics, et qu'il convenait donc de renforcer le pouvoir des commissions départementales d'organisation et de modernisation des services publics, le rôle de coordonnateur du préfet, et de faire des conseils de développement le lieu d'expression des besoins de la population.

Il a souligné que la coordination au niveau régional de certains services publics (tels que la santé, l'enseignement supérieur), était légitime, et que la région était d'autant plus importante qu'elle était le niveau privilégié de contractualisation, grâce aux contrats de plan État-région.

A propos des nouvelles techniques de l'information, il a insisté sur la nécessité de couvrir intégralement le territoire et d'en faire bénéficier les publics en grande difficulté afin qu'elles ne soient pas un facteur d'exclusion supplémentaire. Il a ajouté que ces techniques pourraient continuer à l'établissement de réseaux de compétence, dans la mesure où les agents polyvalents en contact avec le public pourraient contacter d'autres agents afin d'obtenir une réponse rapide.

M. Henri Nayrou, rapporteur, a également estimé que les commissions départementales d'organisation et de modernisation des services publics devraient avoir un pouvoir plus important que celui qui leur est conféré actuellement par la loi et que, le schéma des services publics élaboré sur les territoires pertinents, permettrait de prendre en compte les besoins des usagers et a réaffirmé que le préfet devait avoir un rôle de coordonnateur. Il a rappelé qu'il souhaitait que les maisons des services publics soient présentes à cinq niveaux différents.

M. Jean-Claude Daniel a expliqué qu'il ne fallait pas, à l'échelle régionale, reconstituer les comportements centralisateurs existant au niveau national.

M. Pierre Cohen, rapporteur, a proposé qu'au niveau régional le préfet ait un rôle de coordonnateur, comme au niveau du département. Il a ajouté qu'il fallait tenir compte des usagers : ainsi dans le cadre des contrats de ville, on pourrait constituer autour du sous-préfet une cellule constituée des représentants de chaque ministère et les comités de quartier auraient la tâche de recenser les besoins.

Les rapporteurs ont ensuite présenté leurs propositions de recommandations.

La délégation a adopté ces recommandations.

La délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a autorisé à l'unanimité, en application de l'article 7 de son règlement intérieur, la publication du rapport sur les services publics et les territoires.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES PAR LA DÉLÉGATION

1. Identifier les besoins sur le terrain afin qu'ils ne soient plus définis a priori par les administrations centrales

2. Organiser des "assises du service public" pour mener une réflexion collective sur le service public

3. Confier au conseil national des services publics départementaux et communaux le soin d'effectuer un bilan des expérimentations menées sur l'ensemble du territoire et encourager la création d'une cellule dans chaque ministère chargée de l'organisation des services publics

4. Instaurer un schéma de services publics par territoire qui recensera les besoins locaux et contribuera à examiner les services publics en réseaux.

5. Renforcer le partenariat entre l'État et les collectivités locales et élaborer des contrats d'accès aux services publics entre l'État et les territoires

6. Remettre en cause le cloisonnement des administrations, notamment au niveau départemental, pour favoriser l'émergence de projets interministériels et prévoir des passerelles entre les différents corps de la Fonction publique

7. Renforcer l'échelon de coordination entre les administrations qu'est le préfet

8. Redéfinir les missions des commissions départementales d'organisation et de modernisation des services publics afin de leur donner un pouvoir accru sur le fonctionnement des services publics dans les territoires

9. Renforcer les techniques de l'information et de la communication comme outil de réponse aux besoins des usagers

10. Tenir compte, pour l'organisation des services publics, de l'émergence des nouveaux territoires que sont les pays et les agglomérations et donner aux conseils de développement la mission d'identifier et d'exprimer des besoins, afin de leur apporter une réponse adaptée

11. Réserver une part des crédits du volet territorial des contrats de plan État-région au financement des services publics implantés sur les nouveaux territoires

12. Réaffirmer l'importance des maisons de services publics comme instrument moderne d'organisation des services publics.


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