ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 13

mercredi 10 janvier 2001
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. Philippe Duron, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Patrice Béghain, conseiller technique au cabinet de la ministre de la culture et de la communication, de Mme Catherine Virassamy, chargée de mission à la DATAR et de Mme Anita Weber, déléguée au développement et à l'action territoriale du ministère de la culture et de la communication, présidente du comité stratégique du schéma de services collectifs culturels

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La délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a entendu M. Patrice Béghain, conseiller technique au cabinet de la ministre de la culture et de la communication, Mme Catherine Virassamy, chargée de mission à la DATAR et Mme Anita Weber, déléguée au développement et à l'action territoriale du ministère de la culture et de la communication, présidente du comité stratégique du schéma de services collectifs culturels.

M. le Président : Mes chers collègues, nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui, pour évoquer le schéma de services collectifs culturels, Mme Anita Weber, déléguée au développement et à l'action territoriale du ministère de la culture et de la communication, présidente du comité stratégique du schéma de services collectifs culturels, M. Patrice Béghain, conseiller technique au cabinet du ministre de la culture et de la communication, et Mme Catherine Virassamy, chargée de mission à la DATAR.

Les schémas de services collectifs sont des documents de planification qui, élaborés sur la base d'un horizon à vingt ans, couvrent l'ensemble des politiques sectorielles structurant le territoire.

Dans ces schémas, la perspective traditionnelle est inversée : au lieu de promouvoir l'extension d'une offre standardisée d'équipements, ils privilégient l'accessibilité de tous aux services et la nécessité de répondre aux besoins ; de ce fait, le champ traditionnel de la planification s'ouvre à des secteurs nouveaux tels que les espaces naturels et ruraux, par exemple.

Etant donné leur importance pour les vingt ans à venir, il était fondamental que le Parlement soit informé de leur élaboration et puisse se prononcer sur leur contenu. De ce constat, et à la suite de longs débats au sein de la Commission de la production et des échanges, puis dans l'hémicycle, est née notre Délégation qui devra rendre un avis sur ces schémas avant le premier juin 2001.

Tout au long du mois de janvier, la Délégation va recevoir les auteurs des différents schémas afin de disposer d'un premier éclairage sur chacun d'eux. La Délégation a désigné un rapporteur pour chaque document : Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a été nommée rapporteure du schéma des services collectifs culturels par lequel nous entamons ce "marathon", ce dont je me réjouis car j'estime tout à fait opportun de commencer cet examen par la culture, l'esprit et les arts.

M. Patrice Béghain : Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, je tiens d'abord à vous apporter quelques précisions sur la méthode que nous avons suivie pour l'élaboration de ce schéma qui intervient, ainsi que vous l'avez rappelé, dans le cadre de la loi sur l'aménagement et le développement durable du territoire.

Nous sommes heureux que l'un des schémas soit consacré aux services collectifs culturels car ils représentent, à notre sens, un enjeu important en matière d'aménagement et de développement du territoire.

L'élaboration de ce schéma a donné lieu à toute une série de consultations et de concertations. Il a d'abord fait l'objet de contributions en provenance des différentes régions ; à l'initiative conjointe des préfets de région et de nos Directions régionales des affaires culturelles (DRAC), ont été mobilisés de multiples partenaires et interlocuteurs : des élus, des responsables associatifs, des directeurs d'institutions culturelles. La collecte et l'analyse de toutes ces contributions, souvent fort riches, ont été assurées par la délégation qu'anime Mme Anita Weber.

Il en est résulté un document de synthèse, forcément réducteur par rapport à ces contributions régionales, qui a fait l'objet de différentes procédures d'examen.

Dans un premier temps, nous l'avons étudié au sein de notre comité d'orientation qui était, d'une part, composé d'un certain nombre de personnalités et était, d'autre part, ouvert sur d'autres départements ministériels voisins et amis, tels que ceux de la jeunesse et des sports, de l'éducation nationale et, bien sûr, celui de l'intérieur, toujours très attentif à ces questions.

Dans un second temps, nous avons suivi le cycle habituel des réunions interministérielles et des confrontations et ce schéma, national et donc général, a été adopté lors d'un comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) comme d'ailleurs les autres schémas.

Il est aujourd'hui de nouveau diffusé dans les régions.

Toutefois, - et je me permets d'insister sur ce point - nous avons, avec la DATAR, jugé utile de lui adjoindre une contribution par région  - modeste puisque nous l'avons limitée à deux pages maximum - de façon à ce que ce schéma donne également lieu à une actualisation.

Nous en sommes donc maintenant à la phase de concertation et de consultation prévue par le gouvernement dont nous espérons que les schémas nous reviendront enrichis, nourris, et affinés.

C'est la première fois que le ministère de la culture se livre à ce genre d'exercice qui, pour lui, est vraiment stratégique puisqu'il doit concilier en permanence deux éléments qui peuvent apparaître contradictoires : une forte prégnance thématique, disciplinaire des champs artistiques et culturels sur lesquels il intervient - la structure même du ministère au niveau de ses grandes directions est ainsi organisée, même s'il existe des directions ou des délégations transversales comme celle qu'anime Anita Weber - et une intégration croissante de la dimension territoriale de son action avec la montée en charge, voulue et pleinement assumée, de ses services déconcentrés qui ont précisément pour mission d'articuler sur cette logique artistique et culturelle parfois trop sectorisée une préoccupation territoriale.

Ce schéma intervenait pour nous au bon moment et s'est révélé être un exercice dans lequel nos directions régionales des affaires culturelles se sont pleinement engagées parce qu'elles s'y retrouvaient.

Outre cet exercice, une deuxième difficulté consistait à appréhender les situations de façon prospective.

Le délai de vingt ans est long à telle enseigne d'ailleurs que le législateur dans sa sagesse a prévu, pour un autre schéma sur lequel nous sommes intervenus, celui de l'information et de la communication, de le réduire à cinq ans ce qui représente déjà un grand risque.

On peut concevoir, y compris en matière culturelle, qu'un délai de vingt ans soit adapté en termes d'infrastructures, compte tenu du temps nécessaire pour prendre les décisions, les mettre en _uvre et réunir les financements. En revanche, la culture proprement dite est un champ où l'évolution des formes artistiques, des pratiques culturelles, peut parfois être assez imprévisible : qui aurait dit, par exemple, que, comme nous l'avons constaté au cours de notre travail, les pratiques en amateur dans le domaine culturel se développeraient au rythme où elles l'ont fait ces cinq dernières années ?

Cette évolution et cet engagement très fort de nos concitoyens dans le domaine des pratiques en amateur sont des nouveautés qui seront certainement suivies d'autres phénomènes comparables dans les années à venir.

Il est un troisième élément avec lequel nous avons dû compter, qui tient au fait que ce schéma s'applique à un domaine où le ministère de la culture et de la communication n'est qu'un des départements ministériels concernés et où l'État agit en partenariat.

En effet, chacun connaît l'importance de l'engagement des collectivités territoriales, notamment celui des communes, dans les financements publics de la culture.

Le ministère de la culture joue un rôle important parce qu'il est parfois amené à "donner le la", à jouer un rôle fédérateur et régulateur, mais il était extrêmement complexe pour nous de devoir dégager un certain nombre d'objectifs sans pour autant donner le sentiment d'empiéter sur les libertés des collectivités territoriales. Je dois dire que, dans notre comité stratégique, cette difficulté a même occasionné des échanges amicaux mais parfois fermes avec les représentants du ministère de l'intérieur qui se montrent toujours très sourcilleux quant à la rigueur de la répartition des compétences.

Or, dans le domaine culturel, la politique menée depuis des décennies a été une politique partenariale entre l'État et les collectivités territoriales et nous sommes en permanence à la recherche d'une amélioration de ces outils partenariaux, d'où le débat actuel sur l'établissement public de coopération culturelle.

Pour ce qui est du schéma lui-même, notre premier souci a été de dresser un rapide état des lieux. Nous sommes à même de le faire puisque nous menons régulièrement, par l'intermédiaire de notre département des études et de la prospective, une enquête sur les pratiques culturelles des Français. De cette enquête et de différentes enquêtes complémentaires, il ressort que depuis un certain nombre de décennies, malgré les efforts extrêmement importants de l'État et des collectivités territoriales - donc des pouvoirs publics -, une situation de relative inégalité persiste dans le domaine de l'accès aux biens culturels.

Certes, le développement de l'offre culturelle a été dans ce même temps considérable - et nos concitoyens sont pleinement conscients du grand nombre de bibliothèques, de salles de spectacles, de musées, de monuments restaurés qui leur sont proposés - mais un certain nombre d'inégalités subsistent néanmoins dans les conditions et les possibilités même d'accès à ces biens culturels. L'offre culturelle reste, ainsi que tout le monde le sait, une offre majoritairement urbaine dont une partie du monde rural est encore privée.

Un certain nombre de déséquilibres demeurent entre les régions : les spécialistes de l'aménagement du territoire nous parlent régulièrement d'une "diagonale aride" qui irait des Ardennes aux contreforts méridionaux du Massif central ...

M. le Président : On pourrait même aller jusqu'à la "meseta" espagnole.

M. Pierre Cohen : Au moins jusqu'au Lot !

M. Patrice Béghain : Dans le domaine de l'équipement en matière de spectacles vivants, de création et de diffusion, le Sud-Ouest, la région Midi-Pyrénées et plus encore l'Aquitaine restent quand même largement sous-dotés par rapport au nord ou à l'ouest de la France.

A l'intérieur même des régions et des départements, de grandes zones d'inégalités perdurent : la situation du département du Nord est à certains égards inégalitaire si l'on compare ce qui est concentré dans la métropole lilloise et ce qui peut se trouver à l'est du département dans le secteur de Valenciennes, de Maubeuge ou de Hautmont.

De même dans la région Midi-Pyrénées, les inégalités entre des départements comme le Tarn, l'Aveyron et le Lot et la métropole toulousaine, sont encore très fortes.

Il est d'ailleurs à noter que la répartition de la dépense culturelle publique, aussi bien celle de l'État que celle des collectivités, traduit cette situation mais qu'elle fournit aussi un levier d'action par une éventuelle évolution de ladite dépense.

A ces différentes inégalités viennent s'ajouter des inégalités qui ne sont pas de nature géographique mais de nature sociologique et culturelle : sans aller très loin, il suffit de sortir dans Paris pour constater que, pour de multiples raisons, une partie de nos concitoyens sont restés à l'écart du développement culturel.

Cela étant dit, j'évoquais précédemment l'engouement pour les pratiques en amateur qui a incontestablement marqué ces dernières décennies et tout particulièrement celle qui vient de s'achever. Il manifeste peut-être une mutation, ou en tout cas, une évolution dans la façon dont nos concitoyens conçoivent et pratiquent leur rapport à la culture : ils ne se veulent pas simplement consommateurs même s'ils fréquentent les musées, les salles de spectacles ou encore les médiathèques - chaque maire sait que lorsqu'il peut consentir des crédits pour la réalisation d'une bibliothèque ou d'une médiathèque, il obtiendra un taux de fréquentation de ces équipements qui sera très rapidement en expansion - mais ils s'investissent aussi dans des pratiques personnelles, que ce soit dans le domaine de la musique ou de la danse. C'est peut-être là que des évolutions devront intervenir dans la réponse publique au niveau de la définition de ce que j'appellerai "des pratiques culturelles de proximité" qui constituent probablement l'un des points faibles du dispositif qu'ensemble nous avons mis en œuvre ces dernières décennies

Il est une deuxième évolution importante à retenir pour cette période : le rôle de plus en plus important des technologies - on n'ose plus parler de "nouvelles technologies" tant elles nous sont maintenant familières - de l'information et de la communication. Je veux parler naturellement du spectacle offert à titre individuel ou collectif par la télévision mais aussi de tout ce que permettent Internet, tous les moyens de reproduction et de communication de l'image et du son, ainsi que leur connexion.

C'est là un enjeu important, mais le schéma spécifique consacré aux technologies de l'information et de la communication a développé ces différents points.

Je m'attacherai à une troisième mutation d'importance qui correspond à une exigence, à une demande de prise en compte d'une certaine forme de diversité culturelle.

Nos concitoyens, et les jeunes en particulier, refusent de s'inscrire dans un moule unique en matière d'art et de culture, préférant un certain nombre de pratiques qui leur sont spécifiques. A l'intérieur de la jeunesse même, les adolescents - issus, par exemple, des milieux de l'immigration -ont développé, à travers la musique et la danse des pratiques propres, qui sont d'ailleurs autant de spécificités qui contribuent à enrichir le vocabulaire artistique académique. Chacun peut ainsi constater que la danse "hip hop" a eu, ces dernières années, une influence sur l'évolution de la danse contemporaine et que toute une partie des pratiques musicales d'aujourd'hui est marquée par le métissage.

Cette diversité culturelle est donc aussi une dimension qu'il nous faut prendre en compte. Il n'y a plus une culture unique que les pouvoirs publics auraient pour mission de transmettre partout et à tous, mais une culture qui repose aujourd'hui sur une certaine forme d'échange. A nos yeux, en tout cas, la construction d'une véritable démocratie culturelle passe par la prise en compte de cette diversité.

Tout cela se traduit par l'émergence de nouveaux lieux : on parle, par exemple, aujourd'hui, à côté des théâtres, des lieux consacrés à la diffusion de la danse, des lieux consacrés à la diffusion de l'art contemporain, et des lieux dits "intermédiaires" qui mélangent ces genres et qui, souvent, s'ouvrent dans des friches industrielles, dans des sites qui au départ ne sont pas culturellement connotés.

A partir de ce constat, le schéma de services collectifs culturels fixe un certain nombre d'objectifs. Le premier d'entre eux consiste à fortement affirmer une exigence politique, à savoir qu'il ressort à la responsabilité publique de favoriser un égal accès de tous aux pratiques artistiques et culturelles, indépendamment de l'âge et du lieu de résidence. A travers cette formule, nous pensons pouvoir couvrir toute une série de problèmes liés aux inégalités d'accès que j'évoquais tout à l'heure.

Cette volonté passe notamment par la mise en œuvre d'une politique forte dans le domaine de l'éducation artistique qui est le souci conjoint de M. le ministre de l'éducation nationale et de Mme la ministre de la culture et de la communication. Ils se sont exprimés à ce sujet il y a quelques semaines à peine et l'éducation artistique nous paraît constituer l'une des réponses aux situations d'inégalités et à la nécessaire prise en compte de la diversité culturelle que j'évoquais précédemment.

Le deuxième axe de notre action suppose un effort important, non plus seulement, cette fois, dans le domaine de l'éducation artistique durant le temps et l'âge scolaire, mais dans le développement des enseignements spécialisés. Il devrait permettre à chacun de dépasser la simple sensibilisation pour parvenir à une véritable pratique dans le domaine de la musique, de la danse, du théâtre et de tout ce qui concerne le champ de l'art et de la culture.

Tout cela nous conduit à déclarer très clairement que la mise en place d'un véritable service culturel de proximité est l'un des enjeux à vingt ans de ce schéma. De même qu'il existe des services de proximité dans les domaines qui relèvent de la santé, des transports, de l'éducation, il nous faudra, dans les vingt ans à venir, franchir l'étape qui nous conduira à considérer que les équipements culturels ne doivent plus seulement être situés au centre des villes, dans les grandes agglomérations, mais qu'ils doivent être le plus près possible des citoyens. Cette conception n'implique évidemment pas de construire dans chaque quartier ou dans chaque arrondissement des grandes métropoles un théâtre ou un musée, mais impose de jouer la carte de la mise en réseau des équipements existants. Certaines zones dont la démographie n'appelle pas la présence d'équipements de ce type ont besoin d'être reliées à des équipements présents ailleurs.

A partir d'une contribution intéressante de notre direction régionale de Lorraine, nous avons tenté d'entamer une démarche en termes - mot quelque peu barbare bien qu'il vienne du grec - "d'isochronie".

La DRAC de Lorraine a conduit un travail pour montrer à travers l'exemple de bibliothèques - dont on considère généralement qu'elles doivent être assez proches des habitants - qu'il était possible de faire ressortir les zones non couvertes par ces équipements de lecture publique, en dessinant autour d'eux des cercles concentriques dont le rayon correspond à une distance donnée. Cette mise en évidence de trous dans le maillage des bibliothèques est un élément important qui peut, par rapport à une logique de mise en place d'un service culturel de proximité, considérablement nous aider.

A côté de cette action d'égal accès aux pratiques artistiques et culturelles, je voudrais insister sur la mise en place parfois trop négligée des moyens de soutien et d'aide aux créateurs.

Il n'y a pas d'art sans artistes et le fait d'ouvrir un théâtre ou un centre d'art est tout à fait légitime et souhaitable ; toutefois, si, en parallèle, nous n'offrons pas aux artistes d'une ville les moyens de travailler, par exemple par une politique d'attribution d'ateliers ou de studios de répétition pour les musiciens, un élément du dispositif fera défaut.

De la même façon, avoir des conservatoires de musique et de danse, des écoles d'art dans les villes, au moins dans les plus importantes d'entre elles, est évidemment indispensable, mais il faut aussi se doter des moyens d'une stratégie d'insertion professionnelle pour les jeunes qui sortent de telles écoles.

Quand on voit ce qui peut se faire dans les écoles supérieures d'ingénieurs ou de commerce en termes d'insertion professionnelle, nous ne pouvons que constater qu'il nous reste encore du chemin à parcourir pour que les jeunes diplômés dans le domaine de la musique, de la danse, ou des arts plastiques, bénéficient des mêmes possibilités.

Enfin, toujours dans cet esprit du soutien à la création, il faut que les pouvoirs publics se préoccupent à leur niveau de responsabilité, de tout ce qui relève des industries culturelles qui, évidemment, s'inscrivent dans une logique d'économie et de marché, que ce soit dans les domaines de la librairie, de la vente de disques ou de l'exploitation cinématographique ; sur ce dernier point, chacun sait - et les prises de position de Mme la ministre de la culture et de la communication vont bien dans ce sens - que la présence d'un cinéma, même si elle ne relève pas directement de la puissance publique, est un paramètre important d'égalité si nous voulons que le public ait un rapport direct au cinéma et non pas seulement par le biais des films diffusés sur le petit écran.

Par conséquent, la question des modalités d'intervention, de soutien aux industries culturelles est aussi, à notre sens, un facteur important dans ce schéma des services collectifs culturels même si nous nous situons là à l'intersection des responsabilités publiques et de l'initiative privée.

Le troisième point sur lequel vous me permettrez d'insister a trait à l'architecture et au patrimoine. Chacun connaît désormais l'engouement de nos concitoyens pour le patrimoine ; chacun sait aussi à quel point, en milieu rural ou dans les petites villes en particulier, la mise en valeur du patrimoine est un élément à la fois de fierté et d'adhésion au territoire sur lequel on vit, mais aussi de développement économique à travers le tourisme. Il y a donc là , comme en architecture nous semble-t-il, un axe d'action important en matière d'intervention publique pour les décennies à venir. Le retour de l'architecture au sein du ministère de la culture peut être une bonne occasion pour influer sur la façon dont nos concitoyens vont se sentir concernés, et donc intervenir par rapport à l'espace bâti, par rapport à la qualité de l'environnement urbain dans lequel ils vivent.

Ces enjeux sont apparus à nos yeux et à ceux de notre direction de l'architecture et du patrimoine et de nos directions régionales, comme étant essentiels.

Le quatrième point sur lequel je souhaite mettre l'accent c'est que la mise en _uvre de cette politique publique dans le domaine culturel, à la différence peut-être - encore que je ne sois pas sûr qu'elle soit si marquée - de ce qui se passe dans d'autres domaines, s'élabore dans le cadre d'un partenariat entre l'État et les collectivités territoriales.

Si je considère ce qui se fait aujourd'hui dans le domaine de la formation, y compris lorsqu'elle relève uniquement en principe de la compétence de l'État - je pense à l'enseignement supérieur - je note que le partenariat est désormais de règle : les différents plans engagés par les ministres successifs de l'éducation nationale que ce soit M. Lionel Jospin, M. Claude Allègre ou aujourd'hui M. Jack Lang, ont été réalisés en partenariat avec les villes, les régions et les départements. Il en va de même, en matière d'équipements hospitaliers, d'infrastructures de transports ou de toute autre nature. J'ajoute que la répartition des compétences n'a pas constitué un obstacle à ce partenariat.

Cette formule du partenariat nous semble nécessaire dans le domaine culturel car il ne serait pas bon qu'une seule collectivité soit responsable à ce niveau. C'est une question presque éthique parce qu'elle touche aux domaines de la liberté de créer et de l'égal accès à la création et qu'il serait préjudiciable que seuls l'État, les régions ou les villes détiennent cette responsabilité.

Le partenariat, pour nous, est et doit rester dans le domaine culturel, une visée stratégique. Il convient simplement d'en modifier, d'en adapter les outils et de ne pas hésiter, lorsque les choses apparaissent parfois trop entremêlées, à les clarifier.

A ce propos, j'ouvrirai une petite parenthèse pour signaler que c'est le sens de la démarche que Mme Catherine Tasca et M. Michel Duffour viennent d'engager en matière de protocoles de décentralisation culturelle. Ils ont en effet choisi, pour 2001, huit territoires qui sont soit des régions, soit des départements et qui, avec la ou les collectivités territoriales concernées, vont faire l'objet de protocoles dans des domaines tels que les enseignements artistiques, la connaissance et la conservation du patrimoine de façon à tenter de dégager là une notion qui nous semble importante pour l'avenir, celle de collectivité chef de file.

Cela ne marquera pas une rupture mais une évolution et une clarification du partenariat !

J'en arrive au dernier point que je souhaitais aborder : le rôle de l'État dans ce dispositif où il conserve la responsabilité majeure d'être finalement garant du pluralisme et solidaire d'un développement équilibré.

C'est à lui qu'il revient, dans sa mission régulatrice et correctrice si je puis dire, d'identifier des territoires d'action prioritaire, le cas échéant en pratiquant ce que nous n'avons pas hésité à appeler, dans notre schéma, "une discrimination positive".

C'est, dans notre perspective, une dimension assez nouvelle que cette discrimination positive. Elle peut s'opérer en octroyant davantage de crédits à telle ou telle zone géographique ou, en pratiquant des taux de subvention modulés selon les besoins, et les capacités ou l'effort contributifs des collectivités concernées.

En effet, nous constatons parfois que certaines grandes collectivités peuvent avoir une dépense par habitant très inférieure à celle de collectivités dont le produit par habitant est nettement moindre.

Ce rôle important de l'État passe donc par l'identification de territoires d'action prioritaire, par un renforcement de sa capacité d'expertise au niveau central et plus encore au niveau déconcentré, mais il passe aussi par une mission qu'il doit parfois assumer en partenariat avec les collectivités territoriales : celle du développement et de la qualification dans le domaine de l'emploi culturel. Durant les dernières décennies, y compris dans les périodes difficiles qu'ont traversées notre économie et nos régions, ce secteur a régulièrement été créateur d'emplois mais pour répondre aux nouveaux besoins, il appelle aujourd'hui plus de qualification.

Telles sont, monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, les quelques précisions que je voulais apporter un peu rapidement sur le schéma des services collectifs culturels.

M. le Président : Nous vous remercions pour cette présentation très intéressante et très suggestive de l'état de la culture dans notre pays. Nous sommes ici des élus nationaux mais souvent aussi des élus régionaux, départementaux ou municipaux et nous savons quel est l'enjeu politique de la culture depuis près de quarante ans maintenant et quelle importance revêt cet enjeu depuis la décentralisation.

Nous mesurons aussi le paradoxe qui existe entre une montée en puissance de l'offre et des pratiques culturelles et, comme vous l'avez bien souligné, l'inégal accès à la culture.

Cette inégalité est géographique et, dans cette Délégation qui est composée de députés des villes et de députés des champs, vous répondez au souci des uns et des autres en tentant de mieux équilibrer l'offre culturelle. Nous savons qu'il s'agit d'une correction très complexe dans la mesure où la population française est aujourd'hui essentiellement urbaine.

Cela étant dit, dans le monde urbain, l'accès à la culture n'est pas toujours, non plus, aisé ni favorisé dans la mesure où il existe des ghettos culturels - peut-être l'expression est-elle un peu forte - ou pour le moins des groupes pour lesquels cet accès est plus difficile.

Vous avez évoqué le métissage qu'il faut sûrement prendre en compte, vous avez évoqué les nouveaux lieux de culture qu'il nous semble tout à fait essentiel de développer, vous avez évoqué le problème difficile et majeur de l'accès à une culture artistique des jeunes Françaises et des jeunes Français par le biais de l'école mais aussi par celui d'une meilleure coopération entre l'école et les institutions culturelles de l'État ou des collectivités territoriales.

Je laisserai Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont vous interroger sur les différents points que vous avez abordés, me réservant de signaler un thème que vous n'avez pas mentionné : celui de l'évaluation et de la péréquation de l'État.

L'évaluation parce que, dans le cadre des politiques d'aménagement du territoire, il nous semble nécessaire, pour les pratiques culturelles comme pour toutes les politiques de l'État, d'évaluer au mieux les résultats des actions menées par l'État et par les collectivités territoriales afin de les réorienter, tout en sachant qu'il est probablement plus aisé de mesurer l'efficacité de l'accessibilité à la culture ou l'évolution des pratiques culturelles que la qualité des créations artistiques dont seul le temps est juge...

Concernant la péréquation, vous avez bien mis l'accent, notamment dans les cartes de votre document de présentation, sur le caractère inégal de l'effort consenti par les collectivités territoriales en faveur de la culture. Il est donc bon que l'État encourage celles qui sont un peu en retard à mener une action plus déterminée, plus ambitieuse, plus vigoureuse.

Par ailleurs, comme vous l'avez également souligné, il est indéniable que certains territoires sont plus en difficulté : parce que les densités et les ressources humaines y sont plus faibles ; parce que, sinon la matière grise, du moins la créativité y est moins élevée ; parce que les populations, la culture locale ou le patrimoine y sont moins importants.

J'aimerais qu'au cours de cette audition nous puissions réfléchir à ces deux questions : comment évaluer au mieux l'impact des politiques culturelles et comment corriger les inégalités qui peuvent exister sur le territoire ?

Je cède maintenant la parole à notre rapporteure, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, qui va vous interroger avec plus de compétence et de précision.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, Rapporteure : Le président a, de façon bien évidemment très succincte mais néanmoins très précise, repris l'essentiel des questions que nous allons vous poser, monsieur, à la suite de votre exposé.

Vous disiez, d'entrée de jeu - point de vue que nous partageons - qu'il était extrêmement important qu'il y ait un schéma des services collectifs culturels tant ils participent de l'aménagement du territoire. En effet, ce n'est pas un hasard si les collectivités territoriales ont outrepassé leurs compétences en la matière : les régions qui a priori n'en exerçaient aucune et les conseils généraux qui n'avaient en charge que la lecture publique et les archives.

C'est donc une dimension très nouvelle et très importante !

Pour autant, il peut sembler un peu antinomique, voire un peu iconoclaste, d'imaginer une planification dans le domaine culturel et j'imagine que bien des acteurs locaux peuvent presque être hérissés à la pensée que l'on puisse organiser sur vingt ans la pratique culturelle tant effectivement elle est évolutive, tant effectivement les artistes et les créateurs sont soucieux de leurs prérogatives. Il y a donc là une antinomie de surface qu'il nous faudra lever pour que les choses soient bien comprises.

Parmi les mesures préconisées pour lutter contre les inégalités sociales dans les pratiques culturelles auxquelles vous faisiez référence, figure, bien sûr, le renforcement de l'enseignement artistique. Le plan de recrutement pluriannuel que vient d'annoncer M.  le ministre de l'éducation nationale est extrêmement prometteur. Il nous appartiendra de veiller à la place qui sera réservée au recrutement d'enseignants pour les formations culturelles et aux tremplins à prévoir dans ce domaine. Ce problème nous ramène ainsi à la nécessaire transversalité entre les schémas, le schéma des services collectifs culturels ne pouvant s'imaginer déconnecté de celui de l'éducation et de la recherche ou de celui de l'information et de la communication.

Cette transversalité se retrouve au niveau des financements. Vous avez souligné à juste titre que, dans les cofinancements, les collectivités territoriales étaient des acteurs majeurs et j'ajoute que dans les cofinancements on retrouve essentiellement les communes. Il s'agira donc de bien définir le rôle de chacun et de ne pas oublier le rôle régalien de l'État dans certains domaines, faute de quoi nous risquerons d'arriver exactement à l'opposé de l'objectif que nous nous assignons légitimement dans ce schéma, lequel, au demeurant, reprend bien la problématique culturelle de notre pays.

Le schéma prévoit une politique de discrimination positive pour les zones d'intervention prioritaire. J'y suis très favorable avec toutefois quelques réserves : qui seront les partenaires chargés de définir ces zones ? Quels seront les critères retenus ? Comment les acteurs locaux, qui sont très à même d'établir un diagnostic sur ce qui fonctionne ou pas, seront-ils intégrés à la définition de ces zones ? Ce sont autant de questions qui me semblent essentielles.

Ces différentes définitions ne peuvent - mais je sais bien que telle n'est surtout pas la vocation de l'État car ce serait contraire à l'esprit de la loi - en aucun cas être imposées, mais doivent venir de concertations dont j'imagine donc qu'elles sont prévues.

Pour parler des sujets qui fâchent, mais qui sont incontournables, j'aimerais aussi savoir quels seront ensuite les acteurs chargés de partager et d'attribuer les crédits corrélatifs à cette discrimination positive que nous appelons de nos v_ux dans le domaine culturel comme dans les autres et dont je crois qu'elle est l'unique façon d'aller vers un aménagement harmonieux du territoire ?

La politique de contractualisation préconisée entre l'État et les régions renvoie le plus souvent à un problème dans la mesure où les contrats de plan 2000-2006 étant bien engagés, la question se pose de savoir comment insérer le schéma de services collectifs culturels dans un ensemble déjà organisé.

Par ailleurs, le schéma prévoit la création de différentes institutions au nombre desquelles on compte les conseils territoriaux de la culture, les commissions régionales ou départementales de structuration et de diffusion des _uvres, les établissements publics de coopération culturelle et j'en passe ... Ne craignez-vous pas - et je serai un peu familière - de monter un peu une "usine à gaz" comme nous en avons déjà connu dans le milieu culturel ?

Mes fonctions de vice-présidente du conseil général de mon département, chargée des affaires culturelles depuis plus de dix ans, m'ont permis une longue pratique de ces innovations un peu compliquées qu'il conviendrait d'éviter...

Enfin, par rapport au dernier sujet que vous avez abordé, je souhaiterais revenir sur la qualification des emplois et sur la professionnalisation qui constituent, à mon sens, un des gros problèmes dans le domaine culturel. Nous rencontrons trop souvent - et nous l'avons encore vu avec les emplois-jeunes - des jeunes gens qui, après des cursus prestigieux dans le secteur culturel, pourraient prétendre à un emploi dans ce domaine mais qui ont bien du mal à s'y insérer. Quelle réflexion allons-nous avoir en corrélation avec l'université pour dépasser ce décalage momentané ?

C'est là une première série de questions. Je me suis efforcée d'être brève, sachant que mes collègues souhaitent, eux aussi, intervenir nombreux.

Merci, en tout cas, monsieur, pour cet exposé très complet.

M. Serge Poignant : Je commencerai par vous poser une question sur la partie intitulée "les constats" dans le schéma de services collectifs culturels.

Vous prétendez que l'on enregistre une évolution vers la pratique culturelle plus que vers la consommation. N'en étant pas moi-même convaincu, je prendrai l'exemple du sport : quand au sein d'une commune, on observe la façon dont se comportent les habitants et notamment les jeunes, on s'aperçoit que nous traversons une époque où la consommation évolue ; les jeunes passent d'un club à l'autre, "zappent" et consomment plus qu'ils ne s'engagent.

Ressentez-vous une différence entre la culture et le sport ? Pourquoi parlez-vous d'une évolution de la pratique culturelle plus que de la consommation, ce qui sous-tend beaucoup de choses ?

Par ailleurs, il est un point que vous n'avez pas abordé mais qui me semble important et qui m'intéresse au plus haut point : la diffusion culturelle via les médias et la télévision en particulier.

Dans une prospective à vingt ans et dans la mesure où vous le savez bien, la transmission de l'image télévisée véhicule bien des choses, quel est votre sentiment ?

M. Pierre Cohen : Pour faire écho à ce qui vient d'être dit, je crois que la pratique de la culture n'empêche pas sa consommation ; les gens peuvent tout à la fois avoir des exigences de consommateur, y répondre pour se faire plaisir et pratiquer des activités. Ce qui, cela étant, signifie que l'objectif ne correspond pas forcément à la volonté affichée...

Je partage assez et votre point de vue en termes d'objectifs de proximité, et votre définition de la culture comme un service public susceptible de côtoyer l'industrie culturelle. Je souscris également à votre souhait de rendre cette culture de proximité plus accessible à tous dans un souci de qualité.

Certaines affirmations qui me semblent intéressantes appellent néanmoins plus de précisions.

Je suis assez convaincu qu'il faut éviter - et d'ailleurs le rapport de M. Pierre Mauroy n'en fait pas état - une sorte de définition des compétences de l'État ou des collectivités en fonction des lieux. En revanche, j'ai retenu de votre propos, qu'il serait bon qu'aux financements et aux capacités croisés soient adjoints des pilotes ou des chefs de projet.

En conséquence, je me demande si ces derniers seront prédéfinis selon les disciplines ou les types de projets ou s'ils seront nommés au coup par coup, en fonction des dynamiques locales, avec une articulation entre les différentes compétences.

En d'autres termes, est-ce du dynamisme local et des discussions sur la base du contrat de plan État-région que sortira le chef de projet ?

Il me semble aussi que deux acteurs sont privilégiés : bien évidemment les créateurs mais également les acteurs, telles les collectivités locales. J'ai le sentiment que se dessine une volonté de travailler avec ces deux entités. Je soulèverai pourtant une objection : un certain nombre de manifestations culturelles de grande qualité s'appuient essentiellement sur une confiance existant entre le ministère de la culture par le biais des DRAC et les acteurs et créateurs ; une telle situation interdit de ce fait aux collectivités locales de jouer un autre rôle qu'un rôle de complément, lequel consiste essentiellement à participer financièrement à un projet et parfois à l'accompagner. On leur reconnaît une crédibilité financière mais pas une crédibilité sur le projet culturel. D'ailleurs, on entend très souvent dire que ces collectivités n'ont pas de projets faute de disposer d'un label de créateurs ou de qualité de créateurs.

A travers vos propos, je nourris un petit espoir que la reconnaissance des amateurs leur permette d'être considérés différemment en tant qu'interlocuteurs.

M. Jean Proriol : Globalement, j'approuve les orientations du schéma que vous avez présenté. Néanmoins j'ai noté qu'au nombre des acteurs, vous n'avez fait aucune mention des associations.

Dans votre schéma de services collectifs culturels, ne convient-il pas d'insister également sur le rôle de nos associations qui sont parfois à l'initiative d'un certain nombre d'activités culturelles relativement importantes et qui ne se contentent pas de demander des subventions, mais jouent un rôle primordial dans le domaine culturel ? Votre silence à leur sujet s'explique-t-il par un manque de reconnaissance, d'habilitation, ou de compétences ?

J'aimerais en savoir un peu plus car nous travaillons souvent avec les moyens du bord, notamment dans les milieux ruraux.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, Rapporteure : M. Pierre Cohen vient de mettre l'accent sur un point essentiel que j'ai omis de mentionner, en évoquant les pratiques qui régissent l'activité culturelle en région depuis de nombreuses années.

Effectivement, les projets sont montés par les acteurs locaux, avec les DRAC le plus souvent, et très rarement à partir d'une consultation des collectivités territoriales et locales qui, en fait, ne font qu'abonder financièrement un projet.

Il ne s'agit pas, pour les collectivités locales, de s'arroger des compétences culturelles ni de s'ingérer dans ce qui représente l'indépendance même, à savoir la création culturelle, mais il serait quand même souhaitable d'élargir les consultations. La notion de chef de file permettra peut-être d'y parvenir si, n'étant pas imposée d'en haut, elle vient bien de la base.

Il me semble tout à fait essentiel de clarifier ce point et je suis heureuse que M. Pierre Cohen ait pensé à soulever ce problème que j'estime déterminant pour l'avenir.

Mme Anita Weber : Avant de répondre plus en détail à vos questions, je reviendrai quelques secondes sur les artistes et la matière artistique. J'ai bien entendu Mme la Rapporteure dire qu'il était difficile de faire de la prospective par rapport au milieu artistique et à sa propre dynamique. Il est vrai que, respectant totalement la liberté de création, nous avons élaboré le schéma des services collectifs culturels en concevant le rôle de l'État comme un accompagnement des artistes et de la création. Nous proposons des dispositifs qui vont dans le sens d'une part de cet accompagnement des artistes, d'autre part de services à la population.

M. le Président, vous nous avez interrogés sur l'évaluation des politiques publiques qui est évidemment fondamentale. Comment évaluons-nous et comment envisageons-nous les péréquations possibles ?

Concernant l'évaluation des politiques, vous en connaissez la difficulté. Pour ne pas parler du passé - même si nous avons toujours évalué les politiques et dressé les bilans d'activité des DRAC - mais plutôt de l'avenir, je dirai qu'actuellement la directive nationale d'orientation proposée par le gouvernement nous permet de formuler des objectifs extrêmement précis et concrets et de mettre en place des indicateurs pour vérifier qu'ils sont atteints. Au nombre des ces indicateurs, on compte ceux de la création et de la fréquentation des équipements, et ceux d'une meilleure répartition des crédits culturels sur le territoire en vue de son amélioration.

Nous disposons ainsi d'éléments très précis sur la répartition des crédits culturels en provenance de l'État, nous connaissons bien la répartition des crédits culturels des collectivités et nous avons une vision assez claire de la façon dont s'articulent et se répartissent ces crédits sur un territoire régional.

Cette directive nationale d'orientation qui, elle-même, s'appuie sur le schéma, nous permettra d'être encore plus attentifs. Dorénavant, à partir des grandes orientations de ce dernier, nous allons évaluer au mieux les politiques culturelles grâce à des batteries d'indicateurs qui sont d'ores et déjà en place.

Vous avez, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, soulevé l'importance de l'éducation artistique. A ce niveau, nous avons travaillé avec le ministère de l'éducation nationale dans un rapport qui n'était pas pleinement satisfaisant dans la mesure où son schéma porte essentiellement sur l'enseignement supérieur.

Pour autant, le ministère de l'éducation nationale faisait partie du comité stratégique et a été consulté sur les orientations du schéma de services collectifs culturels. Il faut savoir que lors de son élaboration, quand nous avons souhaité généraliser l'éducation artistique avec ce souci d'une égalité d'accès à la culture pour tous, le ministre de l'éducation était M. Claude Allègre et qu'il a validé cette orientation ; et cette dernière est aujourd'hui largement reprise par le ministre en place.

Nous sommes donc bien en phase avec le ministère de l'éducation nationale avec lequel nous travaillons en très étroite collaboration.

Pour ce qui est du recrutement des enseignants, nous sommes évidemment très attentifs à l'établissement de passerelles entre l'éducation nationale et les enseignants qui sont formés dans nos propres institutions - les écoles de musique et d'art qui sont sous la tutelle du ministère de la culture - de manière à ce qu'un professeur de musique nanti d'un diplôme d'enseignement puisse, par exemple, se présenter aux concours des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM).

Nous veillons à ce qu'il existe des homologations de diplômes, des passerelles entre les filières et des possibilités pour des professionnels de la culture formés par nos soins, d'avoir accès aux IUFM : nous ferons des annonces à ce sujet dans les mois qui viennent. C'est là une question que nous suivons de très près !

En matière de péréquation, je rappelle que M. Patrice Béghain a précédemment fait allusion à notre cheminement à partir du concept de discrimination positive, que nous n'avons bien évidemment pas inventé, mais que nous n'avions jamais utilisé, contrairement au ministère de l'éducation nationale qui gère depuis bien longtemps les zones d'éducation prioritaire.

Nous allons donc, au niveau national, essayer de moduler les dotations budgétaires des différentes DRAC en fonction d'un certain nombre d'indicateurs prenant en compte la nécessité d'une discrimination positive. Nous n'agirons peut-être pas sur la base budgétaire, mais nous agirons sur tout ce qui relève de mesures nouvelles : les augmentations de dotations budgétaires des régions seront notamment modulées en fonction de critères permettant d'effectuer une discrimination positive.

Je pense que dès cette année nous nous engagerons dans cette voie.

En outre, au sein des régions, nous demandons aux DRAC d'identifier des interventions prioritaires et de mettre en œuvre cette politique de discrimination positive à travers l'essentiel de leurs actions. De façon très concrète, s'il s'agit, par exemple, de développer dans les institutions, des services éducatifs, nous leur demanderons d'établir un plan de développement de ces services et de le faire porter prioritairement sur les zones les plus dépourvues de vie culturelle.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, Rapporteure : Vous abordez là un point essentiel, mais par quels acteurs sera-t-il élaboré et par quelles instances sera-t-il validé ? Vous ne l'avez peut-être pas encore déterminé mais c'est là une question à laquelle nous nous devons de réfléchir ensemble.

Mme Anita Weber : L'idée c'est que les commissions régionales d'aménagement durable du territoire - CRADT - pourraient, à travers leur commission culturelle - mise en place il y a déjà un an dans le cadre de l'entrée en vigueur de la loi - être les instances qui valideraient des plans de développement de la culture qui s'inscrivent dans le cadre du schéma.

Pour le moment nous estimons que la commission culturelle des CRADT est l'instance la plus adéquate puisqu'elle réunit l'État, les collectivités et les principaux acteurs culturels dont le milieu associatif. Nous sommes d'ailleurs intervenus auprès des DRAC et des préfets pour que les associations, comme cela figure dans le schéma, soient également présentes dans la commission culturelle des CRADT où nous pensons qu'elles ont un rôle très important à jouer.

La seconde façon de faire de la péréquation et de la discrimination positive consiste à utiliser les moyens de contractualisation. Vous avez rappelé fort justement, madame, que le contrat de plan était signé et que nous étions dans sa phase de mise en œuvre. Pour autant, le volet territorial du contrat de plan n'est pas totalement arrêté, les contrats d'agglomération sont très peu nombreux à être signés, les contrats de ville ne le sont pas tous non plus, et je ne parle pas des contrats de pays. En conséquence, les différentes formes de contractualisation territoriale vont nous permettre de privilégier des volets culturels qui répondront le mieux à ce souci d'une répartition plus équilibrée des activités culturelles sur le territoire.

Nos deux modes d'intervention seront donc les suivants : une discrimination positive au niveau des dotations budgétaires annuelles des DRAC qui sera opérée par le ministère de la culture, des plans de développement culturel élaborés en concertation dans les CRADT qui tenteront des répartitions plus équitables des ressources et des services culturels sur le territoire régional - nous espérons que cette position sera validée à l'issue de la concertation sur le schéma - enfin un rééquilibrage à travers les différentes formes de contractualisation.

Vous avez, par ailleurs, concernant la pratique et la consommation, établi un parallèle avec le sport et vous vous êtes interrogé sur la réalité d'une très forte appétence pour les pratiques artistiques. Nous fondons cette affirmation sur les études que nous avons conduites au sujet des pratiques en amateur. Elles nous ont permis de constater qu'un Français sur deux avait eu une pratique en amateur dans sa vie et qu'un sur quatre s'adonnait actuellement à cette pratique.

Nous disposons de chiffres extrêmement frappants sur l'engagement des citoyens dans des pratiques artistiques, que ce soit le fait de jouer d'un instrument, d'écrire, de peindre, de sculpter etc. Actuellement en France, 12 millions de personnes pratiquent des activités dans le domaine des arts plastiques - sculpture, peinture, lithographie - et 6 millions de personnes dans le domaine musical.

Pour affirmer qu'il y a une véritable propension à la pratique artistique nous nous appuyons sur cette analyse des pratiques en amateur, ainsi que sur une étude menée par le ministère de la culture auprès des lycéens, d'où il ressort que leur demande est une demande de pratique artistique et non pas de fréquentation des lieux culturels ou de consommation. Cette dernière passe en effet beaucoup plus par le disque, par le livre et donc par des produits culturels et un peu moins par la fréquentation de lieux culturels.

M. Patrice Béghain : Pour ce qui concerne la question de Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, sur la complexité des procédures et des lieux de décision, Mme Anita Weber a dit quelle était l'instance qui nous paraissait être la plus adéquate ; une petite difficulté doit tout de même être soulevée : théoriquement, ces groupes culturels des CRADT n'ont pas d'existence légale. C'est la raison pour laquelle le schéma propose l'institutionnalisation de ces structures qui nous paraissent constituer un bon outil pour éviter que seul l'État détermine les zones où doivent être mises en _uvre des procédures spécifiques. Il est très important que la décision intervienne dans un dialogue associant le conseil régional, les conseils généraux et un certain nombre d'acteurs culturels, notamment avec les associations.

Vous me permettrez d'indiquer sur ce point, qu'avec les grandes fédérations d'éducation populaire et leur représentation locale, nous avons organisé, notamment sur l'initiative de Mme Anita Weber, une concertation nationale qui n'existait pas au sein de notre ministère. Elles deviennent ainsi des partenaires de l'action du ministère de la culture alors qu'elles étaient auparavant exclusivement tournées vers celui de la jeunesse et des sports

M. le Président : Vous avez évoqué l'institutionnalisation de la structure de décision en y prévoyant l'intégration des associations, des régions et des départements, mais il me semble que les villes, et notamment les plus importantes, consentent un effort considérable en matière culturelle. Il se traduit même parfois par une dépense par habitant plus importante que celle des régions ou des départements sans que le dialogue entre les régions, les départements et les villes, soit toujours forcément harmonieux.

Est-il possible d'associer les villes qui ont les plus fortes ambitions et les charges les plus lourdes en matière culturelle, ou cette question n'a-t-elle pas été envisagée ?

M. Patrice Béghain : Elle l'a bien sûr été ! Sans avoir rédigé de projet de décret, il est évident, M. le Président, pour les raisons que vous venez de rappeler, que les villes sont indispensables d'autant que nous constatons dans un certain nombre de régions, dont la région Rhône-Alpes, par exemple, la mise en place de réseaux de villes ...

M. le Président : Oui et ce cas est exemplaire !

M. Patrice Béghain : ... qui, au-delà même des divergences politiques, fonctionnent entre Lyon, Grenoble, Saint-Etienne, Chambéry, Annecy, Valence et qui sont des outils tout à fait importants, en particulier dans le domaine culturel.

Ce qui me frappe, c'est combien le secteur de l'intercommunalité, qui se trouve évidemment aujourd'hui au premier plan, peut bien fonctionner, notamment dans le domaine culturel qui, mieux que d'autres peut-être, s'y prête.

M. le Président : Tout ce que vous avez dit prouve effectivement que nous avons tout intérêt à mieux répartir l'offre culturelle et à unir nos efforts dans le cadre d'une intercommunalité.

Mme Anita Weber : Cette question est vraiment centrale pour nous car il n'existe pas d'instance susceptible de jouer ce rôle de régulation qui nous paraît aller tout à fait dans le sens des orientations qui sont celles du schéma. L'institutionnalisation de la commission culturelle des CRADT permettra de concrétiser ces orientations et nous plaidons auprès de vous pour qu'elle voie le jour...

M. Patrice Béghain : Pour ce qui nous concerne, nous avons proposé sa création : la DATAR en est d'accord mais il est vrai que le ministère de l'intérieur et les préfets sont plus réticents, notamment pour des raisons pratiques.

M. le Président : Je dirai pour des raisons d'ordre culturel !

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, Rapporteure : Il faut en effet que vous insistiez sur la représentation des villes qui sont les plus gros investisseurs en la matière et dont le rôle est essentiel. Comme elles fournissent des équipements qui, très souvent, sont moins prestigieux qu'un centre d'art ou autre, on a quelque peu tendance à les mettre au second plan par rapport aux régions et aux départements. Or, il ne faut pas oublier que ce sont bien les villes qui sont les acteurs essentiels de la pratique culturelle et que leur rôle va devenir de plus en plus important dans le cadre de l'intercommunalité et des mises en réseau.

Notre président avait bien raison d'insister sur ce point : je parlais des autres collectivités mais je pensais essentiellement aux villes.

M. Patrice Béghain : Vous avez également posé le problème de la pluralité des structures et du risque de complexité qui pourrait en résulter puisque vous avez employé l'expression "usine à gaz" .

Nous partageons votre souci et nous pensons que chaque structure doit répondre à un objectif précis. La CRADT, dans la composition que nous esquissions à l'instant, y compris en y intégrant les villes, ce qui va de soi, est un outil un peu "global" au niveau d'une région. L'établissement public de coopération culturelle est, quant à lui, un outil de gestion concret affecté à une action bien particulière dans un domaine donné : c'est, par exemple, la forme que peut prendre demain l'établissement chargé de la gestion d'un opéra, d'un grand musée, d'une scène nationale. Il ne s'agit donc pas d'un outil de programmation de crédits.

Quant aux propositions de structures favorisant la diffusion, il s'agit, dans le schéma, de structures de nature opérationnelle. Il existe, par exemple, à l'échelle d'un département assez peuplé ou d'une région, un outil pour favoriser la circulation des spectacles d'une ville à l'autre, à l'instar de ce que font pour la musique, dans un certain nombre de départements, les associations départementales de la musique qui portent des noms différents selon les lieux : les associations départementales pour la diffusion et l'initiation musicale (ADDIM), les associations départementales d'action musicale (ADAM) et autres.

Il faut donc évidemment que chaque structure ait une fonction précise : la seule ayant, à mon avis une fonction "politique", si je puis dire, serait la CRADT, les autres ayant vocation à gérer des politiques mais n'étant en aucune manière des structures de décision et d'orientation.

Une question a également été posée concernant la télévision. C'est, bien sûr une question très préoccupante qui pose la limite de l'intervention publique dans la mesure où tout un secteur privé obéit à la régulation sous le contrôle du conseil supérieur de l'audiovisuel. Comme vous le savez, c'est là une préoccupation de Mme la ministre. En lisant le discours qu'elle doit prononcer pour offrir ses vœux à la presse cet après-midi, j'ai constaté d'ailleurs qu'elle y revenait.

Elle estime en effet que, dans le domaine culturel, la télévision publique doit avoir une certaine exemplarité ; qu'une justification de la redevance et du financement de la télévision publique tient à l'exercice de missions de service public - en particulier dans ce domaine - ; que, plus spécialement encore dans le domaine de l'éducation artistique, la télévision peut jouer un grand rôle. Cela se confirme à travers la Cinq, mais d'autres chaînes pourraient sans doute y être appelées.

C'est là un fort enjeu, mais dans un secteur qui échappe pour une part importante à l'État et aux pouvoirs publics en général.

Nous avons été interrogés par M. Pierre Cohen sur la façon dont se définiraient les compétences en fonction de la dynamique locale. Je crois effectivement qu'il faut éviter de définir des thèmes a priori et qu'il n'appartient pas à l'État de décider qui doit intervenir dans tel ou tel domaine, d'où l'intérêt de la formule expérimentale des protocoles que j'ai évoquée précédemment et qui va nous permettre d'y voir un peu plus clair.

Ce qui apparaît intéressant, c'est que nous avons, pour la mise en œuvre de cette première vague de protocoles de décentralisation culturelle, sollicité les préfets de région et les directeurs généraux des affaires culturelles, pour qu'ils fassent remonter les potentialités du terrain. Or, les deux domaines d'où émanaient de très fortes demandes des collectivités territoriales en matière de clarification du partenariat sont les enseignements artistiques spécialisés et le patrimoine.

Ce processus nous fournit une indication quant aux secteurs où, dans les années à venir, pourra être réaménagée l'actuelle répartition des compétences et des moyens, étant entendu que, dans le domaine culturel, très peu de compétences sont fixées par la loi.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a mentionné les lois de 1982 qui ont transféré aux départements la gestion des bibliothèques, dites alors "centrales de prêt" et des archives, mais il existe aussi quelques textes fondateurs qui fixent à l'État des responsabilités majeures dans le domaine du patrimoine comme la loi de 1913 sur les monuments historiques et celle de 1941 sur l'archéologie.

Vous serez prochainement - c'est du moins l'espoir de Mme la ministre - saisis d'un projet de loi sur les musées à la suite de l'excellent travail qui s'est fait avec la mission d'information sur les musées, créée par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale et présidée par M. Alfred Recours. J'ajoute que l'État exerce de façon réglementaire un certain nombre de missions de contrôle scientifique et technique dans le domaine des archives, des bibliothèques et des musées en particulier.

Pour le reste, rien ne dit que c'est l'État, une ville ou un département qui doit financer un centre d'art, un théâtre, un opéra ou un orchestre : ce sont les pratiques, les usages et les moyens budgétaires que chacun s'est donnés qui en décident, y compris dans le domaine des enseignements artistiques spécialisés : rien n'oblige une commune à avoir un conservatoire national de musique ! La commune doit financer les écoles élémentaires, mais rien ne dit qu'elle doit financer un conservatoire ou que l'État doit avoir un conservatoire national supérieur à Paris, un autre à Lyon, et demain, éventuellement, un troisième à Toulouse, à Nantes ou à Strasbourg.

Nous sommes là dans un domaine où les choses évoluent forcément en fonction de l'histoire, d'une part, et de l'expérimentation, d'autre part, d'où l'importance du dynamisme local.

A ce propos, il nous a été objecté à fort juste titre, concernant la mise en place de nos protocoles, que ce serait des collectivités motivées, actives qu'émanerait la demande. Or le rôle de l'État est aussi d'avoir un effet d'incitation, de correction et c'est pourquoi vous constaterez que notre schéma réserve une part importante à cette dimension d'un État garant et solidaire. Il est vrai que dans ce domaine où rien n'oblige les collectivités, il n'est pas souhaitable à notre sens de les contraindre : il faut que l'État conserve des moyens importants d'intervention.

Il est un dernier point sur lequel je souhaiterais intervenir qui renvoie à la question posée par M. le Président et reprise par Mme Anita Weber : l'évaluation et la péréquation.

Contrairement à ce que l'on peut penser le domaine culturel et artistique n'est pas un domaine "impressionniste", au mauvais sens du terme. Autant il n'appartient pas à l'État, ni aux pouvoirs publics en général, d'intervenir dans l'évaluation du fait artistique - ce n'est pas à nous de dire que tel tableau est beau ou telle forme d'art ridicule puisque c'est la postérité qui jugera et qu'il existe une communauté critique et des experts qui s'expriment et polémiquent parfois - autant il y a des indicateurs. On peut ainsi dire que pratiquement tout ce qui est évoqué dans notre schéma peut être quantifiable.

C'est d'ailleurs une nouveauté pour le ministère de la culture que de s'engager dans cette démarche où des indicateurs objectifs permettront d'abord d'évaluer l'action déconcentrée du ministère - la contrepartie accrue et voulue de la déconcentration, c'est bien cette évaluation de ce qui est fait avec les crédits votés par le Parlement, fait important auquel j'espère que les parlementaires sont sensibles - ensuite, d'ajuster en permanence l'argent public là où il est le plus nécessaire, enfin de veiller à sa bonne utilisation.

Cette mise en place de toute une panoplie de critères d'évaluation, sans tomber dans une technocratie excessive, constitue donc un enjeu important pour notre action future.

M. le Président : Sur cette évaluation, j'aurais aimé vous poser deux questions.

Premièrement, comment l'envisagez-vous ? Est-ce que ce sont les services qui engagent les politiques qui s'auto-évalueront ou imaginez-vous de créer au sein du ministère des affaires culturelles une structure plus spécialisée dans l'évaluation ?

Deuxièmement, est-il possible de disposer dans quelques semaines de la littérature que vous élaborez en matière d'évaluation. J'ai en effet l'intention de demander à nos collègues de rédiger un rapport sur ces problèmes d'évaluation dans la mesure où ils vont être transversaux, où nous allons les retrouver sur l'ensemble des schémas et où ils constituent l'une des grandes innovations de la prochaine décennie.

Dans ces conditions, il est bon que le Parlement s'interroge, lui aussi, et réfléchisse sur ces nouvelles pratiques.

M. Patrice Béghain : M. le Président, l'évaluation doit être une construction. Sans tomber dans l'auto-évaluation, il existe un premier niveau d'estimation là où l'évaluation est conduite. Nous souhaitons que nos DRAC ou nos services départementaux de l'architecture et du patrimoine soient à même de disposer de moyens "en interne".

En outre, dans les régions, nous préconisons, comme c'est déjà le cas dans un certain nombre d'entre elles, la mise en place d'observatoires des politiques culturelles. Il est important - et c'est un élément qui figure d'ailleurs dans les schémas - que dans chaque région ou pour les régions de taille plus modeste au niveau interrégional, il y ait un observatoire des politiques culturelles qui, le cas échéant, s'adjoigne l'aide des universités, des chercheurs.

Au niveau central, je crois que la déconcentration implique une évolution des missions de l'administration centrale. Cette dernière ne le comprend pas toujours très bien, ayant le sentiment d'être dépossédée de son pouvoir et jugeant important de donner l'impression de pouvoir attribuer depuis Paris une subvention de 50 000 F comme si c'était un enjeu essentiel...

L'administration centrale doit donc évoluer dans ses fonctions de conseil de Mme la ministre mais aussi dans ses fonctions d'évaluation : le renforcement des corps d'inspection et des capacités d'expertise de l'administration centrale est important et il nous conduira à avoir une gestion prospective en termes d'emplois puisque la déconcentration implique des transferts d'emplois dans les régions, d'éventuels transferts de compétences ou de missions aux collectivités territoriales.

De plus, nous avons un département d'études et de la prospective - DEP - au sein de notre direction de l'administration générale qui est un outil qui conduit des études tout à fait intéressantes et qui doit prendre une place plus importante encore en matière d'évaluation.

Enfin, ainsi que Mme Anita Weber l'a évoqué, la directive nationale d'orientation qui remplacera désormais chaque année la circulaire d'emploi des crédits déconcentrés, mais en s'en tenant à ses grandes lignes, sera assortie d'une batterie d'indicateurs et nous pourrons vous faire parvenir sous quinze jours, puisque ce texte doit être adopté dans les meilleurs délais, ce premier document qui vous éclairera sur notre conception des choses.

Il s'agit donc d'un processus de construction et, sans faire de jeu de mots, il faut véritablement développer une culture de l'évaluation à tous les échelons de notre ministère. Je pense qu'il ne serait pas bien que certains services agissent et dépensent et que d'autres évaluent. Sans en arriver à l'autoévaluation, il faut que chacun ait le souci de l'évaluation de l'action publique dans laquelle il détient une parcelle de responsabilité.

M. Jean Espilondo : Ma question est très particulière, pour ne pas dire particulariste. Il existe dans certaines régions, et notamment dans la mienne qui appartient au Pays basque, des cultures régionales. Une demande culturelle très forte, qui est traitée de façon pour le moins empirique, vient donc se rajouter à la demande culturelle normale. Ce problème qui est réel est-il traité dans le cadre des schémas de services collectifs culturels ou dans le cadre de la discrimination positive au niveau des régions ?

M. Patrice Béghain : Cette question est traitée de façon générale dans le schéma à travers le concept de diversité culturelle et la prise en compte d'un certain nombre de réalités culturelles et linguistiques du Pays basque ou de la Bretagne ou de l'Alsace, par exemple. Nous avons commencé à y apporter une réponse dans le cadre des contrats de plan actuels puisque, pour la première fois, un certain nombre de ces contrats de plan, notamment celui d'Aquitaine, intègrent ces questions.

J'ai participé, il y a quelques semaines, à une réunion interministérielle sur une convention spécifique au Pays basque, signée par le préfet, le président du conseil régional, le président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques, et qui tient compte de ces aspects.

En outre, j'ai dit au début de mon intervention que notre schéma serait assorti de très brèves contributions régionales qui actualisent et mettent en situation ces orientations générales. Les contributions d'Alsace, d'Aquitaine ou de Bretagne, par exemple, comportent des données sur tous ces aspects.

Cela étant dit, le ministère de la culture est toujours attentif à ce que son intervention, son soutien, soient l'occasion de l'affirmation de cette identité mais sans en faire un lieu d'enfermement : que ces identités soient des identités d'ouverture et de dialogue et non pas de fermeture. Je crois que c'est extrêmement important parce que le monde de l'art est, par définition, un monde de partage, d'échange et j'irai jusqu'à dire un monde "cosmopolite" : il n'y a pas d'art sans échange, étant entendu que, pour s'ouvrir à l'autre, il faut avoir quelque chose à lui apporter

M. Serge Poignant : Puisque nous avons parlé de collectivités territoriales, de l'intercommunalité au sens de la loi du 12 juillet 1999, des contrats de pays, vous me permettrez de dire que les pays, au sens de la loi du 25 juin 1999, mériteraient d'être davantage pris en considération dans ces politiques culturelles car ils correspondent à une identité sociologique certes, mais également culturelle. Il faut que les pays vivent, disposent de soutiens culturels et ne fassent pas simplement l'objet de conversations à l'occasion de l'élaboration de la loi.

Je sais bien que des contrats existent avec les régions mais je crois qu'on pourrait aller plus loin avec les pays d'autant qu'ils répondent à votre souci, que je partage, de proximité et de territorialité.

Mme Catherine Virassamy : Je pense qu'ils sont, de fait, pris en compte dans le schéma des services collectifs culturels dès lors qu'il encourage la prise en compte d'une logique de proximité et la prise en compte du patrimoine et de l'architecture, ce qui devrait aider à structurer les territoires et les pays dans leur identité et dans le développement local. A l'intérieur de ces pays vont se trouver mobilisés toutes les associations qui font du service de proximité ainsi que tous les autres acteurs qui s'investissent en matière de patrimoine ; de cette façon, toutes les énergies culturelles seront réunies pour construire les politiques sectorielles culturelles et les territoires. Je pense donc que ce schéma répond à l'enjeu des pays, voire des agglomérations et qu'il est particulièrement décentralisé par rapport à d'autres.

M. Pierre Cohen : Après l'économie, la culture va certainement être pour les pays un des points fédérateurs d'une identité, mais ce sera plus difficile pour l'agglomération où se retrouveront toujours cette notion d'équipement phare, de dimension d'ailleurs souvent plus régionale, et cette difficulté pour les villes de périphérie d'exister au niveau culturel à côté des villes centres en termes de proximité et de qualité.

M. Patrice Béghain : Les pays sont évidemment riches de potentialités dans le domaine culturel. Leur prise en compte fait partie de nos priorités et beaucoup de nos directeurs régionaux s'inscrivent dans la négociation des contrats de pays et n'avaient d'ailleurs même pas attendu la loi pour engager des actions dans ce sens.

Pour ce qui concerne les agglomérations, je crois effectivement que l'intercommunalité ne réussira pas - et j'exprime une opinion toute personnelle - si elle consiste pour les villes centres à transférer la gestion d'équipements particulièrement onéreux. Pour prendre l'exemple de Toulouse ou de Lyon, si l'intercommunalité se résume à transférer à la communauté urbaine ou à la communauté de communes la gestion de l'opéra, ce sera un acte administratif. Il se trouvera peut-être une majorité pour l'entreprendre, mais ce n'est pas ce que nous souhaitons.

En revanche, si, dans une agglomération comme Toulouse, Lyon, ou Nantes, on utilise l'intercommunalité pour, par exemple, bâtir un véritable schéma d'enseignement de la musique et de la danse, un véritable réseau de la lecture publique en utilisant les équipements de la ville centre qui parfois pèsent d'un poids très lourd sur les finances communales, ou encore un dispositif de qualification des écoles de musique municipales ou associatives, on aura franchi un grand pas.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont Rapporteure : Pour apporter une note optimiste, je voudrais dire que ces politiques existent déjà. On a conçu des médiathèques qui bénéficient à toute l'agglomération et où le public a accès sans bourse délier. Sur le plan musical, les acteurs sont souvent difficiles à manier et je dois avouer que vouloir fédérer les écoles de musique à partir des conservatoires de région est un casse-tête sur lequel je me suis personnellement cassé les dents après des années de travail. Malgré tout, dans beaucoup d'agglomérations, il existe déjà des pratiques culturelles partagées car certaines grosses métropoles ont eu l'intelligence de comprendre que leur rôle était aussi d'irriguer les autres agglomérations. Certains combats peuvent être délicats mais après certaines échéances, je ne désespère pas de les voir aboutir.

M. Pierre Cohen : C'est grâce aux schémas de services collectifs que nous y parviendrons.

M. le Président : Il nous faut malheureusement clore cette audition. Mesdames, Monsieur, nous vous remercions infiniment pour la présentation de ce schéma qui répond tout à fait à l'esprit de la loi dont nous avons débattu, discuté et que nous avons votée. Cette dernière, qui s'appuie autant sur la nécessité d'apporter des services aux citoyens que de mettre en place des infrastructures, prend en compte la recomposition des territoires et, enfin, nous engage sur le voie de la contractualisation, de l'évaluation et de toutes sortes de politiques nouvelles qui nous semblent porteuses d'un enrichissement.


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