ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N°18

mercredi 24 janvier 2001
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Philippe Duron, président

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de M. Bruno Cassette, chargé de mission à la DATAR et de M. Alain Ducass, chargé de mission à la sous-direction de la réglementation des télécommunications au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, sur le schéma de services collectifs de l'information et la communication

2

La délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a entendu MM. Bruno Cassette, chargé de mission à la DATAR et Alain Ducass, chargé de mission à la sous-direction de la réglementation des télécommunications au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie , sur le schéma de services collectifs de l'information et de la communication.

M. le Président : Je suis heureux de recevoir aujourd'hui M. Bruno Cassette, chargé de mission à la DATAR, accompagné de M. Alain Ducass au secrétariat d'État à l'Industrie à propos du schéma de services collectifs de l'information et la communication.

La délégation a désigné un rapporteur pour chacun de ces schémas. Notre collègue, M. Nicolas Forissier, a été chargé de celui de l'information et de la communication. C'est probablement un des secteurs où la planification à long terme s'avère difficile, puisqu'ici nous sommes dans un monde où les techniques sont en pleine évolution, en pleine mutation, où les acteurs se transforment et où nous sommes en présence d'inconnues très fortes.

Il s'agit ici plus d'orientations, qu'il faudra revoir de façon régulière afin d'orienter les politiques de l'État et afin que les territoires ne soient pas desservis par ces évolutions techniques et technologiques très rapides.

En effet, une de nos préoccupations, dans ce schéma de services collectifs de l'information et de la communication, sera de veiller à ce qu'un égal accès de tous les Français à ces nouvelles technologies soit possible, et qu'il n'y ait pas dans ce domaine une France à deux, voire trois vitesses.

Enfin, je tiens à souligner que ce schéma est d'autant plus important qu'il peut avoir un impact sur les autres.

M. Bruno Cassette : Je voudrais introduire mon propos par une conviction. La délégation parlementaire de l'Assemblée Nationale comme celle du Sénat, et au-delà, peut-être, le conseil national de l'aménagement et du développement du territoire (CNADT), sont les rares instances à pouvoir émettre un avis national sur les schémas pris individuellement, mais aussi sur l'ensemble du dispositif. C'est fort de cette conviction que j'ai souhaité ce soir vous présenter le schéma suivant ses problématiques fondamentales et ses liens avec les autres schémas.

Le schéma de services collectifs de l'information et de la communication est un document prospectif, qui en tant que tel, se veut être un schéma d'objectifs. Il a donc fait le choix de ne pas inclure dans ses réflexions ce qui relevait de la mise en œuvre de ces objectifs.

S'il fallait résumer ces objectifs en deux termes, je dirais : dynamique et proximité.

Dynamique, parce que la France est clairement entrée dans la société d'information, c'est-à-dire dans la diffusion des technologies de façon générique. Infrastructures, usages et services aujourd'hui se développent, comme en témoignent un certain nombre d'indicateurs qui figurent en première partie du schéma. Cette dynamique doit être poursuivie. C'est la vocation de l'État de l'accompagner dans tous les sens du terme, y compris en corrigeant le cas échéant les possibles dérives.

Proximité, parce qu'un des enjeux, à partir du moment où l'on évoque l'ambition d'une "société d'information pour tous", est de permettre à chacun, quel que soit son statut social et culturel, d'accéder à cette chaîne de valeurs ajoutées que sont les technologies de l'information et de la communication.

Ces technologies constituent désormais un enjeu territorial, et c'est pourquoi le schéma de services collectifs a été confié à la DATAR.

Tous les travaux, les contributions régionales préparatoires, les consultations menées au niveau national et la rédaction du schéma lui-même, ont mis en évidence trois constats qui sont à la source de trois problématiques.

Le premier constat a la forme d'un paradoxe : alors que l'on parle tant de la société de l'information, on s'est rendu compte d'un certain manque de connaissance quant à la réalité de cette société.

On évoque les technologies de l'information et de la communication comme des éléments déterminants du développement local, pourtant on ne dispose pas, au niveau national, par exemple de cartographies des réseaux à hauts débits. Il n'existait pas de bases de données complètement constituées relatives aux technologies de l'information en France, avec des indicateurs régulièrement remis à jour donnant une bonne vision de l'existant dans les ménages, à l'école, dans l'administration, auprès des entreprises, sur les territoires, dans les collectivités locales, etc.

C'est pourquoi ce schéma a souhaité, dans sa première partie, remplir ce cahier des charges, présenter un diagnostic de l'existant et préciser ce qu'est "la France dans la société d'information". Les indicateurs proposés dans le schéma montrent que la France est entrée dans la société de l'information avec une dynamique extrêmement forte. L'ensemble des forces vives de la nation utilise aujourd'hui les technologies, toutefois suivant des degrés divers.

Au-delà de cette dynamique, on a constaté deux limites. La première est la faiblesse de l'accès aux réseaux hauts débits. Le débat entre offre et demande existe, mais il est inutile de penser recourir à la télémédecine ou à la téléimagerie si l'accès aux hauts débits n'est pas assuré.

L'autre limite est que l'usage des technologies de l'information et de la communication, l'usage de l'Internet sont encore trop limités à des communautés disparates. Nous ne constatons pas aujourd'hui une vision globale, un partage des usages qui permette de parler vraiment d'une "société de l'information". L'effort est donc aussi à porter dans cette direction.

La conclusion de cette première partie est qu'il faut poursuivre les efforts produits, mais avec des principes novateurs. Ces principes sont rendus nécessaires par l'environnement nouveau dans lequel nous nous trouvons. Pour illustrer cette évolution, citons le rapport de M. Gérard Théry en 1994, intitulé "Les autoroutes de l'information", qui proposait une réflexion autour de ces questions mais sans évoquer l'"Internet".

M. Gérard Théry est exemplaire pour avoir créé et mis en place le minitel en France. La qualité de l'homme montre justement qu'en quelques années l'environnement peut être ouvert à de telles évolutions technologiques qu'on ne peut pas forcément en mesurer la portée.

Cet environnement nouveau est déterminant et, à ce titre, nous a incités à proposer quatre principes novateurs pour l'action publique.

Le premier est d'engager aujourd'hui notre action et nos réflexions à partir, non pas de l'offre mais des besoins et des attentes des usagers. Avant d'intégrer les technologies, il apparaît indispensable de réfléchir préalablement à leurs usages.

Le deuxième principe est la nécessité de renforcer les partenariats, puisque les technologies sont d'abord et avant tout des sources de dialogue et d'échange. Le premier auquel nous pensons, c'est le partenariat entre l'État et les collectivités locales, mais d'autres sont tout aussi importants (chambres de commerce et d'industrie par exemple). Il faut faire en sorte qu'à travers ces partenariats, on fasse émerger une véritable dynamique territoriale.

Le troisième principe est que l'État doit proposer une nouvelle donne territoriale. Cela implique une réflexion sur l'équité territoriale. Il s'agit bien sûr de proposer les services fondamentaux à chaque région française, mais cette réflexion n'a de sens que si elle permet de distinguer aussi des spécificités entre ces régions pour qu'elles puissent être compétitives sur le plan international avec leurs propres ressources.

Il faut aussi se préoccuper de l'équité entre espace rural et espace urbain, et c'est le moins que puisse faire la DATAR. Mais on se rend compte, et l'exemple du SIPPEREC est là pour le démontrer, que même dans les grands centres urbains et en Ile-de-France, l'accès à ces technologies est difficile pour certaines populations. Certaines zones ne sont pas desservies en téléphonie mobile, car les opérateurs estiment qu'elles ne sont pas rentables. Il existe des réalités qu'on ne mesure pas spontanément et que cette partie de diagnostic a montrées.

Parler de "nouvelles donnes territoriales", c'est, conformément à l'esprit de la décentralisation, donner aux acteurs locaux plus de pouvoir et plus de moyens financiers pour agir. Ils connaissent leur territoire mieux que quiconque et ils sont les mieux placés pour répondre aux défis auxquels ils sont confrontés. Cela implique aussi de définir le rôle de l'État.

Le quatrième principe est la nécessité de réfléchir à la régulation. La loi de réglementation des télécommunications du 26 juillet 1996 inscrivait à échéance de quatre ans la nécessité de faire un premier bilan de ce nouveau mode de gestion publique. Dans ce cadre, il n'est pas illégitime de se demander si les décisions de l'Autorité de régulation des télécommunications (l'ART) satisfassent les attentes des territoires, conformément aux prescriptions d'aménagement du territoire figurant dans la loi de 1996. C'est une question que vous serez amenés à vous poser puisque l'échéance des quatre ans est révolue.

Mais au-delà de cette évaluation, on constate des phénomènes nouveaux. Les enjeux financiers étaient assez peu perceptibles en 1996 et ils sont aujourd'hui devenus fondamentaux. Les quotidiens nationaux évoquent régulièrement les contraintes de rentabilité économique des opérateurs. Quelles sont les conséquences de ces contraintes ? Quelles sont les exigences de ces nouveaux actionnaires que découvrent les collectivités locales ? Ce sont d'autres questions fondamentales qui doivent être intégrées dans une réflexion plus globale sur les modalités de la régulation.

Voilà ce premier constat : un manque de visibilité que le schéma essaie de corriger, et la nécessité de disposer dans l'avenir de meilleurs outils d'observation et de suivi opérationnel grâce aux organismes statistiques. Les premières études régionalisées apparaissent désormais, alors qu'elles n'existaient que partiellement l'été dernier. Nous disposerons donc au fur et à mesure d'une connaissance plus fine qui améliorera la pertinence de nos propres actions.

Deuxième constat : inscrire la France dans la "société de l'information" nécessite clairement une réflexion stratégique sur les grandes sources d'évolution de ce sujet : technologiques, économiques, juridiques - et les parlementaires ont un rôle manifeste sur le sujet - mais aussi culturelles et sociologiques. On constate que l'accessibilité à ces technologies est devenue un enjeu considérable.

Je vous proposerai deux éléments de réflexion à ce sujet : d'une part, il est important de souligner que la première vraie révolution en la matière vient à peine d'être vécue ; nous avons quitté la société du téléphone fixe pour entrer dans la société du téléphone mobile avec 33 millions de mobiles vendus aujourd'hui en France, soit plus d'un Français sur deux. La France était le pays de la téléphonie fixe avec les quelques 30 millions de lignes du réseau de France Télécom et du Minitel. Il y a quelques semaines, nous avons franchi cette première étape qui nous fait entrer dans cette nouvelle ère, celle de la mobilité, avec toutes les implications mais aussi les incertitudes que cela peut entraîner.

Je crois qu'il est important de le préciser, parce que nous ne parlerions pas de l'Internet mobile si nous n'avions pas fait cette révolution.

D'autre part, la prospective à propos du développement des services de l'Internet mobile est complexe. La meilleure façon de résumer les enjeux est de dire que finalement, aujourd'hui, l'homme est devenu le point fixe qui voit se développer les technologies et non plus l'inverse. Avant, les technologies mettaient plusieurs générations avant de s'imposer, aujourd'hui nous voyons apparaître des évolutions majeures dans une même vie d'homme. Et ce fait conditionne la façon dont l'anticipation et la prospective doivent être menées.

La seconde partie du schéma propose une réflexion à l'échéance 2003. Ce choix s'explique par la mise en œuvre d'un programme d'action gouvernemental pour la société de l'information, à partir de 1998. Dans ce contexte, on voit émerger une dynamique à cinq ans qui s'est articulée autour d'un cercle vertueux associant l'accessibilité aux technologies, l'acculturation des usages, et l'appropriation des services.

Ce triptyque a été appliqué dans quatre domaines, identifiés dans la première partie.

Le premier domaine est la sphère domestique, c'est-à-dire tout ce qui relève des ménages et de l'école, avec le souci d'une prescription intergénérationnelle. Il ne s'agit pas, en effet, de considérer qu'une partie de la population est condamnée parce qu'elle serait dans le troisième ou le quatrième âge.... Il est nécessaire de proposer une formation pour tous, un accès pour tous.

Cette prescription intergénérationnelle s'organise autour de l'école et d'espaces publics numériques, où chacun pourra s'initier à la bureautique et à l'Internet grâce à un dispositif d'initiation gratuit et des formations débouchant sur un "passeport de l'Internet".

Le deuxième domaine est la réforme de l'administration. Le schéma s'adresse aux pouvoirs publics en premier lieu. L'administration doit être exemplaire : elle doit renforcer sa capacité à faire dialoguer les services et permettre aux citoyens de mieux y accéder, d'avoir des réponses plus rapides et plus concertées.

Au-delà, il convient d'apporter une attention particulière aux services collectifs, qui relèvent des droits fondamentaux du citoyen : la santé et la culture. En faisant état de la possibilité de développer à la fois la formation à distance pour les médecins, d'accéder au dossier du patient, d'échanger des informations, d'établir un télédiagnostic, le schéma fait écho aux propositions figurant dans le schéma de services collectifs sanitaires. Pour la culture, il s'agit en particulier de la numérisation du patrimoine, et de l'émergence d'une logique de développement local par le patrimoine.

Le troisième domaine est la préparation de l'avenir par la recherche et la formation. On ne fait rien sans anticipation. Il s'agit d'un travail important pour inciter l'État à renforcer son dispositif de recherche. Le CNRS ne disposait pas de département "sciences et techniques de l'information et de la communication" ; il a été créé voici quelques mois.

Il faut promouvoir une recherche sur ces sujets, sur les infrastructures, les technologies, mais aussi sur les usages et les services, sur la façon dont ces technologies peuvent être utilisées, à quoi elles peuvent servir, quelles innovations peuvent-elles permettre...

En parallèle, il faut développer un dispositif de formation. Nous manquons d'ingénieurs et de formation pour les futurs formateurs. Certains dispositifs comme le groupe des écoles de télécommunications, le réseau des écoles de l'Internet, ont été identifiés, avec des projets de campus numériques de formations à distance.

Le quatrième domaine concerne l'économie et les territoires. Il faut faire un effort en faveur des entreprises pour améliorer les formalités administratives ou l'accès aux technologies. Quant aux territoires, la prochaine loi pour la société de l'information proposera une modification de l'article 17 de la loi du 25 juin 1999, devenu l'article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales, dont les modalités très contraignantes empêchaient les collectivités locales d'intervenir dans le secteur des télécommunications, l'exception du SIPPEREC étant l'exemple qui confirma la règle. Le législateur va pouvoir réexaminer ces dispositifs et c'est souhaitable.

Le troisième constat est que la prospective est complexe. Le schéma de services collectifs d'information et de communication n'a pas souhaité s'engager dans une prospective à vingt ans. Nous avons proposé un compromis raisonnable de prospective à dix ans. Il nous parait toutefois important de souligner que, dans dix ans, nous serons confrontés à une rupture générationnelle. Nos enfants vivront dans un univers totalement bouleversé par la technologie. Très vite, nous allons voir apparaître des outils qui vont modifier les modalités de connexion. Demain nous n'aurons plus besoin de portable. Le stylo sera capable de faire de la reconnaissance de caractères et de les scanériser, mais aussi de la traduction simultanée en plusieurs langues, et envoyer des mails au moyen d'une petite plaque numérique.

Faire ce travail d'anticipation était prendre un risque. Mais, aussi complexe soit-il, si l'État ne prend pas ce risque, qui d'autre le fera ? Comme dit l'adage, "gouverner, c'est prévoir".

Pour éviter ce que nous avons connu dans l'histoire, le plan Calcul, le plan Informatique pour tous, il était important de faire apparaître clairement dans ce schéma ce qu'étaient pour nous les logiques d'évolution, c'est-à-dire ce qui fondait les analyses que nous formulions à travers les principes directeurs proposés.

Nous constatons pour l'avenir une mixité fonctionnelle croissante. Les logiques monoculturelles ont vécu. Nous voyons très vite se marier le vêtement ou l'électroménager avec les télécommunications, l'autoradio avec la navigation par satellite. Cette culture va modifier très concrètement notre façon de nous comporter, de nous mouvoir et peut-être de travailler.

Par ailleurs, nous sommes confrontés, comme l'avait prédit M. Jacques Attali, au nomadisme. Tous les outils poussent à l'individualité croissante (et non pas à l'individualisme). La logique communautaire apparaît, mais l'individu est de plus en plus central.

Dernière logique d'évolution : nous pensons, au regard des évolutions, que ce qui a été un obstacle financier ne le sera plus demain. Les coûts financiers ne seront plus des contraintes, qu'il s'agisse des équipements ou des connexions.

Nous pensons donc que si l'obstacle financier n'en est plus un, alors deux obstacles majeurs s'imposent à nous : l'obstacle culturel et l'obstacle géographique.

S'agissant de l'obstacle culturel, le médiocre niveau de maîtrise de la langue anglaise de nos concitoyens ne leur permet pas de profiter des richesses des bases de données anglo-saxonnes. Or l'Internet est d'abord et avant tout anglo-saxon. Une grande partie de cette valeur ajoutée est donc difficilement accessible. La réponse n'est pas de mettre tous les Français en cours intensif d'anglais, mais d'abord de développer un Internet francophone. Or nous sommes obligés de constater que le pays qui a le plus défendu l'Internet francophone est aujourd'hui le Québec.

Nous avons encouragé l'industrie multimédia pour faire émerger concrètement un esprit de l'Internet et pour développer une série de produits qui nous permettent d'occuper cet Internet de nouvelle génération francophone.

Deuxième contrainte : la barrière géographique. Il faut qu'au-delà de la diversité des territoires, chacun puisse accéder aux usages et aux nouveaux services et ne soit pas limité par la faiblesse des débits disponibles. Les services ont de plus en plus un besoin croissant de débits. Pour accéder à ces nouveaux services, il faut que les territoires disposent d'infrastructures adaptées.

Aux côtés des télécommunications, il faut souligner l'existence d'enjeux importants autour de la télévision numérique terrestre. L'accessibilité au multimédia de proximité est un enjeu tout aussi important. La répartition des pylônes de Télédiffusion de France (TDF) sur le territoire est un enjeu aussi important que la couverture de téléphonie mobile. Ce sont des sujets sur lesquels nous travaillons de façon régulière.

Nous avons arrêté trois principes directeurs qui constituent autant d'objectifs que de réflexions à l'échéance 2010.

Premièrement, une appropriation généralisée : il faut que soient démocratisés les accès aux équipements, à la connaissance et au développement d'Internet. L'école sera le point central de cette appropriation généralisée, une école qui s'ouvre aux connaissances extérieures. A partir du moment où les technologies permettent à chaque école d'avoir son portail Internet, elles lui permettent de mieux dialoguer avec la sphère parentale, de donner des indications sur la vie de l'élève à l'école, ses projets pédagogiques, ses notes.

Au-delà, le dialogue avec la communauté pédagogique pourra se faire de façon plus intense, voire s'ouvrir sur la sphère de l'entreprise. Nous voyons apparaître de nouvelles logiques d'interaction des temps de vie.

Deuxièmement, l'administration numérique : l'administration doit être désormais complètement accessible au citoyen avec la généralisation des téléprocédures et des formulaires en ligne. Il n'existe toutefois aujourd'hui que dix téléprocédures en France et 600 formulaires en ligne. Il faut bien mesurer la réalité des choses. On avance en marchant, l'important est d'avoir un objectif, nous avons ici clairement un chantier à mener.

Nous menons aussi des réflexions sur une nouvelle organisation des services publics. On utilise beaucoup les termes de "back office" et "front office". Je parlerai plutôt de service public et d'action publique. Grâce aux technologies de l'information et de la communication, on peut réfléchir à la manière de réaliser le service public ailleurs que là où on produit l'action. Cela permet effectivement de maintenir des services publics là où, a priori, la demande ne le justifie plus. Grâce aux technologies, on peut en effet apporter du travail à des personnes qui resteront proches de la demande citoyenne.

Troisièmement, la performance territoriale : les territoires doivent disposer de moyens propres d'intervention pour assurer leur compétitivité.

Quelques mots pour conclure cette présentation un peu réductrice qui se voulait toutefois moins exhaustive et plus stratégique.

La dimension européenne n'a pas été négligée dans le schéma : le programme e-Europe évoqué en annexe, rappelle que les objectifs fixés par le schéma, sont conformes avec ceux proposés par la commission européenne. Les orientations de l'Europe n'ont donc pas été ignorées.

La dimension européenne est déterminante parce qu'elle est aussi source d'évolutions juridiques majeures. Depuis le 1er janvier 2001, un règlement européen impose le dégroupage dans tous les pays de l'Union. La différence de perception entre les pays européens du sud et ceux du nord peut être importante en termes d'enjeux et de conséquences pour la France.

Mais au-delà, il faut considérer que l'Europe doit se positionner dans le contexte mondial entre l'Amérique et l'Asie, qui est émergente dans ce secteur.

Par ailleurs, on a évoqué l'importance d'une réflexion autour de la régulation. C'est l'apanage de la représentation nationale. Sur l'esprit de la loi, il est important de préciser que pour la première fois, en 1996, le législateur a institué un nouveau mode de gestion publique, la régulation, en l'appliquant dans un secteur complexe, celui des télécommunications, où le monopole public a été supprimé pour laisser place à la concurrence. Il a créé une autorité de régulation, certes déjà un peu explorée dans l'audiovisuel, mais qui ouvrait un champ assez nouveau.

Ces évolutions ne resteront pas limitées aux secteurs de l'information et de la communication. Demain, la représentation nationale et le gouvernement auront à discuter de ces questions dans le secteur des transports et dans celui de l'énergie. C'est pourquoi il apparaît important de prendre dès à présent la mesure de ces enjeux pour l'avenir.

Enfin, le dernier point porte sur la nécessité d'une convergence satisfaisante de l'action de l'État et des collectivités locales. Les collectivités locales souhaitent être de plus en plus engagées dans le domaine des télécommunications. De fait, la question des financements doit être posée. Elle le sera dans le projet de loi pour la société de l'information. C'est un débat qui aura lieu au Parlement, mais je ne peux pas conclure ce travail sans dire que l'État sera très attentif aux recommandations qui pourront lui être faites en la matière par le législateur. Il faut donner une règle qui, jusqu'à présent, a plutôt été fixée de façon informelle et au coup par coup. Nous avons besoin, étant donné les échéances de la société d'information, d'une lisibilité qui soit beaucoup plus forte et d'une prescription beaucoup plus nette dans le texte législatif. Je vous remercie par avance pour votre aide et pour votre attention.

M. le Président :Merci beaucoup pour cet exposé dynamique et intéressant, qui met bien en perspective à la fois les enjeux et les stratégies arrêtées par l'État. On voit bien en effet que les techniques de l'information et de la communication sont non seulement un enjeu technique, mais aussi un enjeu économique. A ce titre, j'ai été très impressionné par ce que j'ai pu voir en Scandinavie au printemps, et notamment en Suède et Finlande, où ces pays touchés par l'effondrement de l'URSS et victimes d'une montée très importante du chômage, ont réglé leurs problèmes économiques en misant leur stratégie de reconquête industrielle et économique sur l'économie de l'information et de la communication, avec un très grand succès.

Le développement de l'accès à l'information à Stockholm est très impressionnant de même que le développement de Nokia en Finlande. Il s'agit d'un enjeu industriel majeur et qu'il faut peut-être savoir saisir.

Ces nouveaux langages et nouvelles technologies sont aussi un enjeu culturel. Et les chiffres que vous donnez concernant l'accès à Internet nous montrent qu'aujourd'hui, l'effet de mode passé, c'est devenu un phénomène de masse.

Enfin, vous évoquez tous les problèmes qui sont liés à l'accessibilité, et notamment au rôle des collectivités territoriales dans l'équipement de leur territoire pour les réseaux de haut débit. Là encore, l'amendement que nous avions voté lors de la LOADDT a été un facteur de freinage de ce développement. Nous étions inspirés par des principes généreux, maintenir une péréquation tarifaire sur le téléphone, faire en sorte de ne pas déstabiliser l'opérateur historique, mais, ce faisant, nous avons probablement un peu ralenti l'évolution et l'équipement de nos territoires.

Le débat est posé. Pensez-vous qu'il soit prudent, compte tenu de la vitesse d'évolution des technologies, de laisser s'engager les collectivités territoriales dans un effort d'équipement lourd, et n'y a-t-il pas un risque d'obsolescence rapide de leurs investissements et donc des risques financiers et budgétaires trop importants pour elles ?

M. Nicolas Forissier, rapporteur : Merci aussi pour cet exposé très brillant et qui nous donne sur un sujet, à la fois extrêmement complexe et très évolutif, une synthèse du problème.

J'ai envie de commencer par une question un peu iconoclaste. Au fond, vous le dites vous-même, et le schéma le dit : tout cela évolue très vite. En moins de 10 ans, nous avons vu l'arrivée d'Internet qui a complètement changé la donne dans les zones rurales. Tout cela a été très vite et les quelques exemples que vous avez donnés de nouveaux produits, me laissent penser que cela se poursuivre.

N'y a-t-il pas une certaine incohérence ou une grande incertitude à vouloir écrire un schéma de service public des nouvelles technologies sur un sujet qui par essence est totalement évolutif, et si rapidement ?

Vous avez dit vous-même qu'il existe une grande incertitude sur la prospective. Et vous avez souligné qu'au départ nous ne disposons d'aucune cartographie de l'équipement, des utilisateurs, et cela renforce aussi la difficulté à écrire ce schéma.

Nous sommes très sensibles à la réflexion de l'État et au rôle joué par cette Délégation pour mieux cerner cette question, mais le problème reste posé.

Ma deuxième question porte sur les retards que vous avez évoqués, notamment les inégalités qui existent dans l'accès aux réseaux à haut débit et les retards qui existent sur l'accès aux réseaux de téléphonie mobile ; la question a été posée par un de nos collègues cet après-midi en séance.

Ce sujet, c'est l'objectif du schéma, est un sujet essentiel d'aménagement du territoire. Comment assurer l'équilibre des territoires, comment assurer l'égalité dans l'accès aux nouvelles technologies ? Et cette question ne porte pas seulement sur Internet, mais aussi sur la téléphonie mobile.

Que nous dit l'État face à ce type de problème ? Estime-t-il devoir jouer lui-même le rôle de rééquilibreur et d'aménageur de territoire ou, comme c'est parfois le sentiment des élus locaux, n'a-t-il pas un peu tendance à laisser les collectivités locale rattraper elles-mêmes les retards, notamment en matière d'investissements ?

Nous avons des zones rurales dans nos départements et je pense que pour la téléphonie mobile, les opérateurs n'ont pas intérêt commercialement à installer des relais dans certaines de ces zones, qui pourtant, accueillent des touristes, des entreprises ou des particuliers, ayant besoin d'accéder à la téléphonie mobile.

Quelle va être la règle définie entre l'État et les collectivités territoriales locales ? Et n'est-ce pas à l'État de jouer son rôle d'administrateur du territoire, en tout cas pour les zones difficiles d'accès, sans forcément se décharger sur les collectivités locales ?

Troisième question : je ne vois pas clairement dans ce schéma comment s'articule la notion de schéma de service public et le monde de l'entreprise. C'est un problème compliqué.

Par exemple dans ma région, la région Centre, un programme très ambitieux et sûrement très utile a été décidé par le conseil régional, afin de mettre en œuvre un schéma régional d'accès aux réseaux haut débit. Mais les entreprises rencontrent des problèmes pour accéder à ce réseau qui est par essence un réseau de service public concernant les écoles, les hôpitaux, et les mairies.

Dans le schéma, il me paraît important de bien définir l'articulation entre les besoins de l'entreprise, l'acteur économique, et le schéma de service public.

Ma quatrième question porte sur la modernisation. Elle s'inscrit dans le cadre des projets de l'action du ou des gouvernements sur la réforme de l'État. Vous avez souligné aussi que le schéma de service public porte en lui-même un germe de contradiction : au fond, on pourrait très bien estimer que plutôt qu'un schéma général, il faudrait plutôt un chapitre sur les technologies d'information et de communication.

Au fond, tous les sujets sont concernés par l'évolution de ces technologies. Avoir une vision globale et positive est plus intéressant, même si dans les différentes auditions nous pourrons essayer d'avoir une approche plus sectorielle en fonction des sujets abordés. Mais il s'agit là d'un sujet majeur. Avez-vous le sentiment que dans le cadre global de la réforme de l'État, la modernisation de l'administration, par la mise en _uvre de ces toutes nouvelles technologies d'information et communication, se fait bien et assez vite ? Avons-nous du retard ou sommes-nous en avance ? Moi, j'ai plutôt l'impression que cela ne se fait pas mal.

Enfin, je ne reviendrai pas sur la question de la formation à Internet, qui est également un sujet très important. Le fossé numérique est une fracture essentielle et il faut absolument la combler avec toutes sortes d'outils.

Je voudrais insister sur l'approche internationale et européenne. Je poserai la question sous un double angle : n'est-ce pas une lacune de ce schéma, alors que nous sommes dans une Europe qui est de plus en plus intégrée et qui coopère de plus en plus, et que, sur un sujet neuf, on pourrait avancer beaucoup plus vite ensemble ?

Et d'autre part, avons-nous ou aurons-nous, parce que c'est toujours intéressant, des comparaisons internationales ? Vous en avez évoqué une avec l'Allemagne et le Québec, mais il est important de pouvoir se situer. Sur un schéma de services collectifs, peut-on faire plus et mieux ?

M. Pierre Cohen : Il est évident que pour couvrir l'ensemble du territoire par les nouvelles technologies, il fallait un schéma de services collectifs, et d'autant plus que les interrogations sont nombreuses et qu'il est difficile de programmer à vingt ans. C'est une nécessité pour l'État d'être présent, d'autant plus qu'il doit se préoccuper de la couverture de l'ensemble du territoire par les réseaux haut débit, afin que les capacités soient les mêmes partout.

De nombreuses fonctions et de nombreux contenus vont se développer avec les réseaux à haut débit, par exemple dans le domaine de la santé. Cela veut dire qu'il faut se garder de faire une société de l'information à deux vitesses, d'autant plus que les technologies ne serviront pas seulement à transporter l'information mais aussi à développer des services publics comme l'enseignement et la santé, à quelqu'endroit du territoire que ce soit.

En ce qui concerne la recherche et la formation, il existe un autre schéma des services collectifs ; il est important de rester les plus compétents et les plus pointus dans l'innovation.

En ce qui concerne la sphère domestique, il ne faut pas négliger le risque de l'exclusion, mais il ne faut pas parler seulement d'accessibilité. Il faut également déjà commencer à parler de contenu. Vous avez évoqué le problème de la démocratie. Je crois que le plus important, quelle que soit la technique et même si on n'est pas capable de le faire tout de suite, c'est de réfléchir à la manière dont les gens vont participer collectivement à l'élaboration d'un certain nombre d'actions.

Les techniques risquent d'induire des comportements de repliement sur soi. La télévision a amené les gens à être de plus en plus isolés en famille. Et Internet peut amener les gens à être isolés individuellement, à prendre leurs distances par rapport à une société qui doit débattre, réfléchir et décider.

Il faut très vite inciter les gens à réfléchir, travailler et décider ensemble.

L'un des plus gros risques est que cette révolution culturelle soit soumise à une loi du marché plutôt qu'à une loi de l'intérêt général.

Cela m'amène à la discussion sur la réforme de l'administration. Il existe une réflexion extrêmement importante des services publics, de la fonction publique et des administrations pour fournir réellement un service public.

Or, pour l'éducation, les technologies de l'information peuvent induire des comportements semblables à ceux qui résultent d'un produit marchand

C'est un enjeu politique, idéologique et qui fait que si l'État, dans l'intérêt de tous, n'y prend pas garde, n'y a pas réfléchi, les valeurs de service public disparaîtront d'elles-mêmes.

M. Bruno Cassette : Monsieur le Président, vous avez posé la question de savoir quels risques on faisait courir aux collectivités locales en les laissant agir de leur propre chef. Acceptez cette première réponse. Certains, dont je fais partie, peuvent trouver étonnant que, dans le cadre de la décentralisation, on confie aux collectivités locales la compétence des déchets ménagers, qui est techniquement et financièrement très complexe, et qu'on empêche les mêmes acteurs locaux de s'impliquer dans des enjeux qui sont autrement plus importants pour leur développement économique.

Votre question porte sur la compétence intellectuelle nécessaire pour accompagner ces développements dans de bonnes conditions. On constate que les régions et les départements, mais aussi les grandes collectivités locales, se sont dotées de véritables services pour suivre ces questions. Je ne connais pas de conseil régional qui n'ait au moins un chargé de mission pour les nouvelles technologies, qui est en général très compétent et qui sait bien éclairer les choix à faire. Cette articulation n'est pas simple à réaliser car le choix technique est très dépendant du choix politique. En clair, nous voyons apparaître la ressource humaine nécessaire pour éviter aux collectivités locales de faire des choix hasardeux.

Face à cet enjeu culturel, l'État a pris des dispositions pour accompagner l'ensemble des élus. Le comité interministériel pour la société de l'information (CISI) du 10 juillet 2000 a pris la décision de créer un poste relatif aux technologies de l'information et de la communication au sein de chaque secrétariat général aux affaires régionales (SGAR). On assiste à l'émergence d'une valeur ajoutée intellectuelle, une compétence régionale, qui devrait rapidement répondre à l'attente des territoires.

De plus, les directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE) disposent tous d'ingénieurs de télécommunication et de réseaux, et de fonctionnaires qui suivent l'évolution des technologies.

Le schéma suggère, par ailleurs, de mutualiser les forces pour profiter de cette action collective parce que nous disposons actuellement de démarches trop segmentées. Ainsi, nous avons proposé qu'au niveau régional, se mettent en place des "centres de ressources" qui pourront prendre des structures juridiques diverses (associations, syndicats mixtes, SEM, GIP) pour faire en sorte que l'ensemble de ces acteurs se réunisse régulièrement et mène une réflexion commune et globale au niveau de la région, fasse des études, accompagne les choix stratégiques et organise les décisions. La question des infrastructures est une question de cohérence régionale.

C'est la meilleure façon, je crois, de répondre à la question que vous posez. Aujourd'hui, on voit apparaître des personnes capables d'accompagner les élus dans leurs choix fondamentaux.

La transition est naturelle avec la question de monsieur le rapporteur. Il existe effectivement un risque de se tromper que nous assumons. Mais il nous semblait a contrario que nous prenions un plus grand risque en laissant faire. Si nous n'anticipions pas, des effets négatifs auraient pu s'ensuivre. La première génération des technologies a produit des effets dont on peut s'émouvoir.

J'ai la conviction qu'il faut des chapitres "nouvelles technologies" dans chaque schéma de services collectifs, mais il faut aussi une réflexion globale sur ces technologies et prendre le risque de faire de la prospective. Les dispositifs d'études sont désormais très puissants et nous savons tracer des perspectives assez fines pour l'avenir. Nous avons proposé une réflexion à dix ans et je serais, en tant que rapporteur, heureux que ce schéma soit caduc avant cette échéance. Cela prouverait que les choses avancent vite et que nous avons la nécessité de remettre l'ouvrage sur le métier. Quoiqu'il en soit, je ne suis pas inquiet. Le schéma met en place des outils d'observation, et bénéficiera d'études pour affiner toujours davantage la connaissance des enjeux et pour corriger les dynamiques à l'œuvre.

Les évolutions sont rapides, c'est pourquoi nous n'avons pas voulu faire de déclinaisons opérationnelles en raison des incertitudes existantes. Si on avait commencé à dire que ce schéma pouvait être un "contrat de plan bis" qui ne disait pas son nom, je pense qu'on aurait pris beaucoup plus de risques pour l'ensemble des acteurs, parce que leur marge de manoeuvre aurait été plus faible.

Quant au retard de l'accès aux réseaux à haut débit, c'est un sujet essentiel, auquel la DATAR est très attentive en termes d'aménagement du territoire. Il faut également édicter une règle à ce sujet. L'application de la loi du 25 juin 1999, dite loi Voynet, a clairement posé problème, eu égard à la réalité constatée. Il est nécessaire de l'amender car les collectivités locales ne peuvent agir sans se mettre dans une situation qui était un peu en marge de la légalité.

M. le Président : Les collectivités locales étaient déjà en marge de la légalité avant cette loi. Il y avait un contentieux à Nancy, un autre était en train de sourdre au niveau du SIPPEREC. Le législateur a essayé de trouver un encadrement qui permette de sortir du contentieux. Il est vrai qu'il était encore trop rigide.

M. Alain Ducass : Concernant la relation entre secteur public et privé, et en partant de l'exemple que vous avez cité du conseil régional de la région Centre lançant un appel d'offres, la question d'achat de service se pose pour six ans pour le secteur public. Le problème qui apparaît aujourd'hui est de savoir si, parmi les critères de choix, le conseil régional retiendra le moins-disant, celui qui va offrir le meilleur coût pour le secteur public, ou celui qui va maximiser l'effet économique pour la région. Suivant qu'il prendra un critère ou un autre, le résultat du marché ne sera pas forcément le même.

Ils ont conscience de cette problématique et ils y travaillent parce qu'ils se rendent compte que le rôle des collectivités locales en matière d'infrastructures et d'achat de services aura un impact sur le secteur privé. Et la coopération du conseil régional Centre avec le secrétariat d'État à l'industrie, tant au plan régional que national, est le signe que la problématique est prise en compte.

M. Bruno Cassette : A propos de la règle à définir, notre conviction est que les enjeux sont tels qu'il ne faut pas faire de répartition étanche. Je crois que l'ensemble des acteurs doit y contribuer.

L'application de la loi Voynet a posé problème pour définir une règle. Vous évoquiez la jurisprudence de Nancy ; l'anecdote veut que le tribunal administratif ait rendu une décision le lendemain de la Fête de l'Internet où le Premier ministre annonçait une implication croissante des collectivités locales dans le secteur. Cette convergence de dates montre bien la difficulté que nous avons tous eu à relever ce défi.

L'État s'implique de façon importante. Le secrétaire d'État à l'industrie s'est engagé à remettre au Parlement un rapport sur l'état de la couverture de téléphonie mobile, à échéance du premier trimestre 2001, pour permettre à la représentation nationale d'avoir une bonne connaissance de la façon dont le marché et les décisions de l'autorité de régularisation ont produit des effets sur ce secteur.

Nous constatons un certain nombre de zones blanches encore importantes. La DATAR a pris la décision de ne pas attendre que le législateur donne les moyens de corriger cette situation pour engager des initiatives. Nous menons actuellement sur l'"espace central", sur les 19 départements du Massif Central, une opération d'envergure d'évaluation de l'ensemble des zones blanches, qui pourrait conduire à solliciter l'attention d'un prochain comité interministériel à l'aménagement et au développement du territoire (CIADT). Nous ne voulons pas laisser les choses en l'état et souhaitons engager une concertation, en mettant autour de la table les collectivités locales, les opérateurs et les administrations pour essayer de définir une réponse globale et pertinente, qui nous fournirait une jurisprudence pour l'avenir.

Par ailleurs, le Secrétaire d'État à l'industrie a souligné, en réponse à une question d'actualité, que les financements européens, qui sont de plus en plus tournés vers ces enjeux, pouvaient être utilement sollicités.

Au-delà de ces initiatives, il nous semble important de donner plus de marges de manœuvre aux collectivités locales, même si celles-ci estiment que l'État leur confie ainsi le soin de chercher elles-mêmes des réponses à la disparité territoriale. La question de l'investissement de l'État doit être posée. Ces débats appartiennent clairement à la représentation nationale.

Le débat relatif au fait de savoir s'il faut consacrer une partie de l'enveloppe des licences UMTS à l'équité territoriale, est de nature parlementaire. C'est une question sur laquelle nous pouvons avoir des convictions. Madame la ministre de l'environnement et de l'aménagement du territoire avait fait part aux ministres des finances et de l'industrie de son souhait de faire écho à l'amendement du président de la commission des finances de l'Assemblée nationale. La DATAR, avant les arbitrages ministériels qui ont conduit à ce projet de schéma, a défendu également un certain nombre de positions. Le débat n'est pas clos.

Il peut être résumé ainsi pour le législateur : la méthode qui consiste à constater la carence du marché au terme d'un certain délai et d'y pourvoir, est-elle à renouveler dans l'avenir ? L'examen du projet de loi sur la société de l'information sera très probablement le moment adéquat pour y répondre.

S'agissant des relations entre le schéma de services collectifs et le monde de l'entreprise, le schéma s'adresse exclusivement aux pouvoirs publics. Il s'agit d'une limite de nature mais je m'engage à développer davantage les parties consacrées au monde de l'entreprise. Les DRIRE sont par nature intéressées à ces questions et peuvent apporter une aide aux entreprises à propos des dispositifs qui pourront leur être proposés dans l'avenir.

En parallèle, il a été proposé d'ouvrir le réseau Renater à l'ensemble des services publics, au-delà de la sphère de la recherche et de l'éducation. Ces dispositifs devront renforcer la desserte territoriale.

Comment se fait la modernisation de l'État ? L'administration se veut exemplaire. Nous ne pouvons pas produire un schéma de services collectifs si, à terme, l'administration française n'est pas une administration numérique exemplaire. D'après certaines études, l'administration française est aujourd'hui la mieux placée en Europe.

Il existe à peu près 2 500 sites publics aujourd'hui en France. Un bon millier relève de l'administration centrale et déconcentrée. Un portail unique d'administration, www service public.fr a été mis en place. De plus, l'administration est progressivement mise en réseau grâce au projet ADER. Nous réfléchissons à la constitution d'un Intranet de l'ensemble des administrations centrales et à la fourniture à chaque agent public d'une adresse Internet. Mais ces évolutions ne sont pas simples à mettre en œuvre. Au-delà des défis technologiques se posent des problèmes juridiques. Quelle est la valeur d'une réponse d'un agent de l'État quand il est interrogé via l'Internet ? Ce sont des questions sur lesquelles nous travaillons avec l'ensemble des services de l'État. La réforme de l'État, s'agissant de nouvelles technologies, avance vite. Les derniers comités interministériels ont montré une réelle volonté d'améliorer et de développer les dispositifs.

Sur l'enjeu international, je ne peux qu'approuver la remarque de M. Nicolas Forissier. Les références à l'Europe sont faibles. Une plus grande attention doit être portée aux comparaisons internationales. Je crois que c'est nécessaire et je le remercie de sa remarque.

Par ailleurs, nous pouvons prendre acte des décisions du Conseil européen et de la commission européenne, qui forment le dispositif e-Europe. Mais l'articulation entre le programme e-Europe et la déclinaison nationale est encore assez faible. Les commissaires ont incité les régions et les États-membres à prendre en compte les dispositifs proposés par l'Union. Mais les liens entre les deux sont encore faibles. En tout cas, ce qui est clair, c'est que les débats se feront de plus en plus avec Bruxelles.

Dernier point, je ne peux qu'abonder dans le sens des remarques de M. Pierre Cohen sur la nécessité d'améliorer les contenus pour permettre une réflexion et un travail collectif. Je partage pleinement son avis. Certes, les technologies sont des opportunités de très grande valeur. Ils comportent aussi des risques majeurs. Prenons l'exemple symbolique qui veut qu'un des acteurs nouveaux du domaine de la santé, du fait des technologies, est désormais le douanier. A partir du moment où par un site Internet, vous pouvez commander des médicaments qui ne sont pas en libre circulation en France, vous mettez clairement en danger tout le dispositif de la santé publique. La seule façon d'empêcher ces médicaments d'entrer sur le territoire national, c'est de les arrêter à la frontière. Les services douaniers aujourd'hui en France ne sont pas encore équipés ni organisés pour lutter contre ce type d'évolutions.

On se trouve face à des dangers qui nécessitent une réflexion de fond. Il faut être très vigilant sur les risques d'exclusion, mais les technologies peuvent également être des outils parfaits pour corriger, prévenir et gérer le service.

Je l'ai dit, notre souci est de répondre prioritairement aux besoins et aux attentes des usagers pour mettre du contenu dans ce qui est proposés aux populations, afin que les technologies permettent de développer partenariat, dialogue et échange.

Il ressort des premières études sociologiques dont nous disposons que l'usage d'Internet ne fait que renforcer les comportements économiques et sociaux. Si vous êtes une société qui fonctionne bien dans le commerce traditionnel, vous remporterez encore plus de succès grâce à l'Internet. En revanche, si aujourd'hui vous ne marchez pas bien dans le réel, le e-commerce ne fera pas de miracle.

De même, l'enfant qui est déjà très socialisé verra sa socialisation se renforcer grâce à Internet ; mais l'enfant qui est plutôt introverti et isolé n'augmentera pas sa sociabilité par l'Internet. On a remarqué un effet positif d'augmentation du lien social, mais on n'a pas discerné de phénomènes d'isolement. L'internaute est quelqu'un qui utilise bien les contacts et qui, en retour, à un moment, a besoin du contact physique. Les "premiers mardi" (first tuesday) qui ont émergé dans la nouvelle économie, sont l'expression de gens qui veulent se parler et échanger à un moment choisi.

C'est la culture du basculement. Il faut être capable d'assurer la confiance du consommateur en lui permettant de dialoguer avec un opérateur. De même que pour signer les grands contrats, les présidents se déplacent et se rencontrent. Cette réalité-là n'a pas disparu avec l'Internet ; elle s'est seulement déplacée par le fait que vous pouvez toucher plus de clients.

M. Alain DUCASS : Ceux qui investissent, ce sont les opérateurs de télécommunications, à hauteur de près de 40 milliards de francs par an dans ces domaines. Il faut qu'ils puissent continuer à le faire dans des conditions de rentabilité satisfaisantes.

Le gouvernement s'attache par ailleurs à garantir le service public des télécommunications. Des négociations sont ainsi en cours à Bruxelles au sujet du service universel.

L'État a un rôle local à jouer qu'il partage avec les collectivités locales en matière de télécommunications et de développement des technologies de l'information et de la communication, que je vais décrire rapidement. Faut-il que les collectivités locales investissent lourdement ? Je pense que oui, mais vous verrez qu'elles peuvent le faire d'une manière différente.

L'État et les collectivités locales sont d'abord acheteurs, et ils acquièrent notamment des services de télécommunication. C'est ainsi que le conseil général de Bretagne a investi 300 millions de francs pour donner au secteur public la capacité d'utiliser les technologies d'information à des coûts raisonnables. Ils achètent en gros pendant longtemps et ils ont un effet d'entraînement avec des conséquences favorables sur le secteur privé.

Le deuxième secteur où l'État et les collectivités locales agissent également, c'est en tant que gestionnaires du domaine public. La Savoie et l'Essonne ont ainsi décidé d'embaucher deux personnes pour accueillir et démarcher les opérateurs susceptibles investir dans leur département, pour les aider à trouver les points hauts, faciliter leurs contacts avec les services administratifs, pour que les opérateurs investissent efficacement. Il semble que les résultats soient intéressants puisque les opérateurs investissent plus vite avec l'aide du département. D'autres essaient de gagner beaucoup d'argent en louant au domaine public à des tarifs élevés, ce qui peut freiner la venue des opérateurs. Chaque collectivité locale, à son niveau, gère son domaine public. L'État le fait également.

L'État et les collectivités locales sont enfin aménageurs du territoire, chacun à leur niveau. Un jour, je parlais avec des collègues de la ville de Lyon en disant que les opérateurs venaient naturellement chez eux. Il m'a été répondu qu'ils venaient volontiers dans le centre ville, mais pas dans les quartiers nouveaux. Même une agglomération comme Lyon doit donc aménager son territoire pour faire en sorte que les opérateurs de télécommunications aillent investir dans les quartiers où la collectivité territoriale souhaite diminuer la fracture sociale ou dans les quartiers qu'elle entend développer. Cet argument est a fortiori important pour l'État, et notamment pour le secrétaire d'État à l'Industrie chargé de prendre en compte l'intérêt des territoires dans l'accès aux services et aux équipements de télécommunications (article L.32-1-7 du code des postes et télécommunications).

Quant à l'article 17 de la loi du 25 juin 1999, si décrié, il a néanmoins deux grands mérites. Il dit que les collectivités locales ne sont pas opérateurs de télécommunications. Au moment où on voit les mouvements boursiers des technologies de l'information, où la Banque de France met en garde le secteur bancaire français sur les risques de ce secteur, au moment où on voit en Allemagne que les collectivités qui ont créé des opérateurs en partenariat avec le secteur privé, ont commencé à les revendre, on peut se féliciter que de tels investissements soient pas supportés par les collectivités locales et le contribuable.

La loi posait le principe que les collectivités pouvaient créer des infrastructures de télécommunications et les mettre à disposition des opérateurs. Je crois que c'est un bon choix. Les données physiques n'évolueront pas. Toute la téléphonie mobile dispose d'une gamme de fréquences qui est celle du spectre hertzien. Une seule fibre optique est capable de faire passer le même spectre que l'ensemble du spectre hertzien. Pour les très hauts débits, la fibre optique restera, au moins pour les réseaux de transport, pour des liaisons entre villes ou entre grands comptes, le moyen incontournable pour véhiculer l'information. D'ailleurs, les opérateurs investissent dans la fibre optique. De même pour les pylônes, il vont servir à la téléphonie mobile GSM, au transfert de données GPRS, UMTS, à la boucle locale radio, à la télévision numérique terrestre.

Donc, faire en sorte que les collectivités locales travaillent sur l'infrastructure en même temps que les usages, ne peut pas être un mauvais choix pour le développement des télécommunications et l'aménagement du territoire, voire même pour les finances publiques s'il reste raisonnable et proportionné aux besoins du marché.

M. le Président : Merci beaucoup. Je vous remercie l'un et l'autre pour la qualité de cette information. Je ne doute pas que notre rapporteur fera appel à vous autant qu'il en aura besoin.

M. Bruno Cassette : Je voudrais vous remercier de cet échange, qui est toujours enrichissant quand on est chargé de ces questions.

Je serai, en tant que rapporteur, très attentif aux amendements que vous souhaiterez proposer, afin d'aboutir à un schéma qui sera de toute manière amélioré, et peut-être conforme aux souhaits de la délégation.

M. le Président : Merci. Nous ne manquerons pas de vous faire part de nos suggestions et nos remarques.


© Assemblée nationale