ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 20

Mardi 30 janvier 2001
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Philippe Duron, président

SOMMAIRE

 

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Audition de Mme Ariane Azéma, conseillère à la DATAR, MM. Jean-Richard Cytermann, directeur de la programmation et du développement au ministère de l'Éducation nationale, Emmanuel Kesler, directeur adjoint du cabinet du ministre de la Recherche et Dang Tran, conseiller technique au cabinet du ministre de l'Éducation nationale, sur le schéma de services collectifs de l'enseignement supérieur et de la recherche.

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La Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a entendu Mme Ariane Azéma, conseillère à la DATAR, MM. Jean-Richard Cytermann, directeur de la programmation et du développement au ministère de l'Éducation nationale, Emmanuel Kesler, directeur adjoint du cabinet du ministre de la Recherche et Dang Tran, conseiller technique au cabinet du ministre de l'Éducation nationale, sur le schéma de services collectifs de l'enseignement supérieur et de la recherche.

M. le Président : Nous sommes heureux de vous recevoir pour examiner le schéma de services collectifs de l'enseignement supérieur et de la recherche. La LOADDT considère les services collectifs d'enseignement comme partie intégrante de la politique d'aménagement du territoire. En effet, l'organisation territoriale de l'enseignement supérieur et de la recherche manque actuellement de lisibilité. Une stratégie d'ensemble s'impose donc, elle passe notamment par une meilleure insertion locale du système d'enseignement supérieur et de recherche, et par la mise en réseau des différents centres.

Je vous rappelle que la Délégation a désigné comme rapporteur de ce schéma M. Pierre Cohen.

M. Emmanuel Kesler : Au titre de la recherche, nous sommes partis du constat d'une répartition inégale des organismes de recherche sur le territoire national.

Une distinction institutionnelle et traditionnelle est faite entre les établissements d'enseignement supérieur et les établissements de recherche ; elle a un impact en termes d'aménagement du territoire : alors que les établissements d'enseignement supérieur sont globalement assez bien répartis sur l'ensemble du territoire grâce à la création d'antennes universitaires et à une politique vigoureuse d'aménagement du territoire depuis les années 1990, la recherche est restée en retrait.

Il est important de nuancer ce constat dans la mesure où, depuis le début des années 1980, sous l'impulsion de plusieurs rapports - dont celui de M. de Gaudemar - les organismes de recherche comme le CNRS ont fait beaucoup pour essayer de nouer des liens avec les établissements d'enseignement supérieur et donc, par la création d'unités mixtes, de s'implanter plus finement sur l'ensemble du territoire.

Aujourd'hui, si l'on constate que la répartition entre l'Île-de-France et le reste du pays en termes de potentiel de recherche, du nombre d'enseignants chercheurs et de chercheurs est satisfaisante, cette répartition est encore déséquilibrée pour les organismes de recherche. En dehors de l'Île-de-France, il y a des régions très dynamiques (l'Alsace, les régions du sud-est et du sud-ouest) En revanche, l'ouest et le nord, malgré le dynamisme dont ces régions ont su faire preuve en matière de recherche universitaire, connaissent peu d'implantations d'organismes de recherche. Il en résulte que l'on y trouve aussi moins de chercheurs.

A partir de ce constat de déséquilibre, le ministère de la recherche, en lien avec l'enseignement supérieur, a essayé d'anticiper les évolutions qui risquaient d'accroître ces déséquilibres sur les vingt prochaines années ou, à l'inverse, de les nuancer afin de se donner les chances d'y remédier.

Plusieurs facteurs interviennent, le premier d'entre eux étant l'ouverture croissante des frontières qui oblige nos centres de recherche à être compétitifs par rapport aux autres centres européens (Munich, Oxford, Madrid) et aux centres de recherche d'excellence mondiale aux États-Unis ou au Japon. Cette ouverture des frontières impose de faire émerger en Île-de-France et dans quelques métropoles régionales des centres de recherche d'excellence mondiale qui puissent être compétitifs par rapport aux meilleurs centres de recherche mondiaux.

En sens inverse, cette ouverture des frontières risque d'introduire une compétition extrême et d'aggraver les inégalités entre les territoires. D'où l'utilité de prévoir une organisation territoriale à différents niveaux pour arriver à un niveau d'excellence internationale dans de grandes métropoles régionales, sans leur interdire d'être en réseau avec d'autres sites qui disposent d'un potentiel de recherche plus ou moins ciblé, mais qui adossé à ces métropoles régionales permettent de faire vivre une région.

Le deuxième facteur qui va poser problème dans l'évolution de l'appareil de recherche réside dans les départs importants à la retraite d'enseignants-chercheurs et de chercheurs. Dans certaines disciplines comme la physique, la chimie et les sciences humaines et sociales et dans certaines régions, ces départs risquent d'aggraver les déséquilibres. L'Île-de-France et la région Provence-Alpes-Côte d'Azur seront les plus touchées par ces départs dans les dix à quinze prochaines années.

Si l'on n'anticipe pas ce phénomène dans ces régions qui reconstitueront sans trop de mal leur potentiel de recherche mais en puisant dans des centres de recherche moins bien dotés, les inégalités risquent de s'aggraver du fait de ces départs à la retraite et de cette concurrence accrue entre les différents territoires.

D'où une organisation de l'enseignement supérieur plus cohérente avec, à chaque fois, la nécessité de penser ensemble l'enseignement supérieur et la recherche, et donc de distinguer,

a) les grands centres universitaires pluridisciplinaires où plusieurs établissements offrent des formations de haut niveau sur l'ensemble de ces champs disciplinaires et où existent des laboratoires de recherche dotés des infrastructures nécessaires, (une palette d'établissements d'enseignement, une gamme très large de formations de haut niveau et des centres de recherche très performants d'excellence mondiale) ;

b) puis d'autres pôles universitaires, sièges d'universités, mais avec des formations de troisième cycle plus spécialisées -on n'a pas ici tout l'éventail des disciplines- et des capacités de recherche plus ciblées sur quelques créneaux d'excellence.

c) enfin, les implantations universitaires (IUT, et antennes universitaires) situées dans des agglomérations de taille moyenne -plutôt que des villes, s'agissant de ce dernier niveau- où la recherche serait peut-être moins présente mais où la recherche technologique serait en revanche plus poussée. A travers les liens noués par ces centres avec les PME PMI et avec des centres de transferts de technologies, on peut espérer vivifier le tissu local par la recherche technologique.

Sur cette stratégie d'ensemble, la recherche a un rôle important à jouer compte tenu du retard pris. C'est la stratégie d'une meilleure répartition sur le territoire national, ce qui implique, à partir des atouts et faiblesses constatés, d'accentuer l'effort vers le Nord-Pas-de-Calais et le Grand Ouest (Bretagne et pays de Loire).

A cet égard, le schéma de services collectifs présente quelques grandes lignes d'action pour le nord et le Grand ouest en se basant sur les contrats de plan État/régions. Pour le nord, c'est le développement des sciences du vivant, avec la constitution d'une génopôle à Lille, le développement des sciences et technologies de l'information et de la communication dans le nord, avec sans doute, du fait de l'extension de l'Institut national pour la recherche en informatique et en automatique (INRIA), des projets de création d'unités mixtes entre l'INRIA et les universités locales. Nous travaillons en ce sens.

Toujours pour le nord, c'est aussi le développement du pôle transport déjà très fort dans la région avec la présence de l'Institut national de recherche pour le transport et la sécurité routière (INRETS).

Pour la Bretagne, également, une stratégie de développement des pôles scientifiques qui prend appui sur leurs compétences propres et qui passe pour une meilleure association des grands organismes de recherche avec les universités locales -très dynamiques- nous semble répondre à cette nécessité d'un meilleur aménagement du territoire. C'est en effet par la présence de chercheurs dans ces régions, par des crédits supplémentaires accordés à ces laboratoires que l'on pourra renforcer les pôles existants. Cette démarche nous semble celle à suivre par rapport à une démarche plus autoritaire consistant à implanter ici ou là des équipements et des hommes sans s'interroger sur les atouts scientifiques des pôles existants.

Pour terminer sur cette présentation d'ensemble des liens entre la recherche et l'aménagement du territoire, une meilleure insertion de la recherche dans le tissu local passe également par :

- le développement des quelque 31 incubateurs implantés dans chaque région de France, dont un vient d'être créé en Corse il y a deux mois.

- la création d'incubateurs, de plates-formes technologiques associant les lycées professionnels, les IUT, parfois des établissements d'enseignement supérieur et des entreprises, qui permette de diffuser le savoir-faire technologique de ces établissements vers les PMI PME locales.

- la création de centres nationaux de recherche technologique au plan local (la pile à combustible pour Belfort-Montbéliard ou le traitement de l'information à Lannion) qui associent des entreprises, des laboratoires publics et qui ont une excellence nationale -d'où le terme "national"-, c'est-à-dire servant de référence dans leur secteur à la recherche française technologique.

L'objectif pour la recherche est, au terme de ce schéma, dès la fin des contrats de plan État/régions, d'avoir une recherche mieux répartie sur le territoire avec une organisation dont j'ai esquissé les trois niveaux et qui fonctionnent sur la mise en réseau afin, autour des grandes métropoles régionales, d'associer les compétences universitaires situées dans des villes moins importantes.

Notre objectif est aussi que ces grandes métropoles soient reliées entre elles à travers des réseaux -physiques comme RENATER- ou virtuels et intellectuels, tel le réseau des maisons des sciences de l'homme en sciences humaines et sociales qui relie les différents pôles de recherche pluridisciplinaire en sciences humaines et sociales. Il y en aura un à Strasbourg, un à Paris-Nord et bientôt sans doute à Montpellier et à Dijon. Un réseau dans le domaine des sciences de la vie est en constitution ; un génopôle avec la région parisienne (Evry), Lille, Strasbourg et d'autres villes aujourd'hui candidates. C'est par cette notion de réseaux couvrant l'ensemble du territoire que nous pensons pouvoir, au terme des contrats de plan et surtout au terme du schéma avoir une recherche mieux répartie sur l'ensemble du territoire national.

M. Dang Tran : Le champ de l'enseignement supérieur et de la recherche a nécessité un travail de coordination entre plusieurs ministères, dont M. Jean-Richard Cytermann, Directeur de la Programmation et du Développement, a été le cheville ouvrière.

Pour l'enseignement supérieur, le diagnostic a été établi : une offre caractérisée par une très grande diversité des formes de l'enseignement supérieur et une forte densité du maillage territorial, avec une forte présence des sections de techniciens supérieurs et des IUT dans les villes moyennes, mais un manque de visibilité du découpage universitaire.

Ces caractéristiques sont d'autant plus surprenantes que le paysage de la recherche est à l'inverse, c'est-à-dire plutôt concentrée sur quelques pôles. La dualité entre organismes de recherche et universités nous pose un certain nombre de problèmes.

Troisième point fort du diagnostic : des conditions de vie et de travail pour les étudiants et personnels encore très insatisfaisantes comparées à celles d'autres pays développés.

Nous avons cherché à nous fixer un grand objectif à long terme. Dans un contexte de compétition européenne et internationale, il nous était apparu essentiel de maintenir une attractivité des universités et d'accroître la compétitivité de la recherche.

A une échelle territoriale plus restreinte, un objectif, découlant de la loi d'aménagement du territoire, de pouvoir offrir un enseignement supérieur adapté aux besoins des territoires, au changement structurel de la démographie étudiante, au renouvellement des corps enseignants et au changement de contexte que l'on connaît avec l'arrivée des nouvelles technologies et l'apparition de nouveaux publics.

Sur les orientations proposées pour l'enseignement supérieur, je citerai les principales têtes de chapitre :

- tendre vers une organisation plus cohérente de l'enseignement supérieur en incluant la recherche universitaire. Dans cet effort de rationalisation, on essaie de raccrocher le plus possible la recherche universitaire. Cela a plusieurs implications : la limitation des nouveaux sites d'enseignement supérieur, une organisation en réseau, et une caractérisation des centres universitaires selon une typologie pour une meilleure clarification entre niveaux. Dans la manière de tendre vers cette structuration territoriale, il y aurait beaucoup à dire ; j'y reviendrai par ailleurs.

- mieux coordonner et mieux répartir la recherche publique et favoriser la synergie entre établissements d'enseignement supérieur et organismes de recherche.

- faire participer l'enseignement supérieur et la recherche au développement économique, améliorer les conditions de vie et de travail des étudiants.

Ces quelques orientations exposées brièvement pour ne pas anticiper sur l'intervention de M. Jean-Richard Cytermann, nécessitent des modes d'action adaptées, essentiellement autour des notions de réseaux, de coopération, et de gestion prévisionnelle des effectifs.

Les réseaux ont déjà été évoqués par Emmanuel Kesler. La coopération et le rapprochement entre différents établissements d'enseignement supérieur d'un même site, ou entre universités, ou entre universités et grandes écoles, peuvent prendre plusieurs formes : des formules de mutualisation, de programme commun, par exemple. On a aussi examiné des formules d'université fédérale. Il y aurait beaucoup d'autres modes pour tendre vers ces objectifs de coopération.

Un autre mode d'action qui nous paraît important est l'élaboration d'une programmation pluriannuelle des recrutements des chercheurs et des enseignants-chercheurs.

Enfin, un point important touche l'application du schéma : développer des politiques contractuelles avec les établissements d'enseignement supérieur et de recherche. Cela nous paraît être l'un des instruments de prédilection pour la mise en _uvre de ces schémas qui permettra de traiter, au travers de la contractualisation, les thèmes majeurs que sont les recrutements, la structuration de l'offre de formations, la synergie entre universités et organismes ou la politique d'implantation territoriale.

M. Jean-Richard Cytermann : Tout d'abord, je dirai un mot du caractère particulier de ce schéma de services collectifs puisque son écriture a été le croisement ou la rencontre de la volonté ministérielle de M. Claude Allègre et du lancement du plan U3M quand ce schéma a été lancé et de son inscription dans une procédure interministérielle. Ces deux démarches avaient les mêmes objectifs, mais il fallait faire entrer une démarche ministérielle dans une démarche interministérielle. Cela a provoqué quelques tensions et difficultés qui ont eu pour conséquence que lors du changement de ministre, rien n'était pratiquement écrit sur ce schéma. Il était pensé, puisqu'un certain nombre d'orientations du plan 3M se retrouvent dans le schéma, mais il n'était pas écrit. Il a été écrit rapidement entre mai et fin juillet et sans la concertation nécessaire et approfondie.

L'autre caractéristique a consisté à chercher quels étaient les principes qui devaient fixer les implantations de l'enseignement supérieur et de la recherche, sans remettre en cause un certain nombre de cadres institutionnels : ni les caractéristiques de notre recherche, c'est-à-dire la dualité entre organisme de recherche généraliste et spécialisée et université, ni la dualité chercheur/enseignant-chercheur, ni dans le domaine de l'enseignement supérieur, les grandes caractéristiques de la loi de 1984 -on ne parle pas de la sélection- on ne réforme pas les précédentes orientations. C'est un champ institutionnel et législatif constant.

Troisième contexte : on est dans un domaine où l'on ne peut pas être complètement normatif, puisque l'autonomie des établissements d'enseignement supérieur et de recherche est telle que ce n'est pas au niveau d'un schéma que l'on peut leur fixer des normes de comportement, d'où le recours plus souvent à des instruments incitatifs ou contractuels qu'à des prescriptions normatives.

Par exemple, en matière d'emploi, on ne peut pas imposer à une université la création d'un emploi dans une discipline que l'université n'a pas demandée. Cela implique donc des modes de gestion particuliers. Le seul caractère vraiment prescriptif et normatif réside dans la loi sur la proportion de chercheurs et d'enseignants-chercheurs en Île-de-France, avec cette curiosité que cet objectif est déjà atteint au début du schéma. En effet, si l'on raisonne en personnes physiques, on est assez nettement en-dessous des 35 %, grâce ou à cause de la prépondérance des enseignants-chercheurs qui ne sont qu'à 27 % en Île-de-France, et qui forment la majorité de la recherche publique. Même si l'on raisonne en équivalent temps plein, on est quasiment aux 35 %.

Le document est organisé en deux parties : une partie "objectifs nationaux", et une partie "déclinaison territoriale".

La partie "objectifs nationaux" comporte quatre points :

Tout d'abord un diagnostic, qui insiste sur l'extraordinaire maillage du territoire national. Il n'y a jamais eu de carte universitaire au sens de l'article 19 de la loi de 1984, mais une série de décisions ont constitué de fait une carte universitaire, avec à la fois un maillage très dense mais aussi parfois des décisions ni coordonnées ni ordonnées. Il met aussi en lumière une répartition plus concentrée en matière de recherche qu'en enseignement supérieur ; il évoque par ailleurs un état du patrimoine universitaire un peu délabré. A supposer que tous les mètres carrés et tous les étudiants soient fongibles, il y aurait un équilibre entre le besoin en mètres carrés et le nombre d'étudiants selon leur répartition disciplinaire. Cela coexiste avec des excédents ou des déficits importants dans certaines universités et certaines régions. Avec le cas de l'Île-de-France et de Paris centre qui a été l'oubliée des contrats de plan État-régions, l'insuffisance chronique en bibliothèques et un certain délabrement du patrimoine, tant des universités que des résidences universitaires, les ensembles des années 60 ayant plus ou moins bien tenu la route.

Deuxième point abordé dans cette première partie : les facteurs d'évolution du contexte actuel. M. Emmanuel Kesler a évoqué l'ouverture internationale. Je n'y reviendrai pas, tout en soulignant que ce schéma offre un changement.

Jusqu'à présent, toute la politique d'aménagement du territoire en matière d'enseignement supérieur et de recherche opposait l'Île-de-France et le reste du pays. En matière d'enseignement et de recherche, je crois que ce schéma introduit une rupture avec laquelle la DATAR a été d'accord. Le problème n'était pas uniquement Paris vis-à-vis de la province, mais de savoir si Paris et nos grands pôles de recherche étaient aussi attractifs que Munich, Barcelone, Oxford et autres ?

C'est un changement de perspectives provoqué par l'inquiétude chez un certain nombre de décideurs quant au vieillissement des chercheurs et des enseignants-chercheurs en Île-de-France et des conditions d'enseignement pas toujours satisfaisantes.

Autre facteur de contexte : l'évolution démographique. On est dans un schéma où logiquement, on est dans un période de stabilité démographique qui fait suite à l'accroissement fort des 10 dernières années, avec une inconnue : l'impact du développement et de la formation tout au long de la vie. Actuellement - et on peut le regretter - il y a peu d'études prospectives au sein du ministère ou ailleurs sur l'impact quantitatif et qualitatif de cette formation. On sait que cela aura des conséquences, mais à ce stade, on ne sait ni les mesurer ni les prévoir. C'est l'une des lacunes du schéma, comme l'est l'impact des nouvelles technologies. On sait que cela bouleverser les conditions d'enseignement et de recherche. Ce n'est pas le schéma directeur des nouvelles technologies qui dira autre chose. Or, on en est encore à un balbutiement des réflexions.

Autre changement démographique, plus fort et plus lourd de conséquences que la stabilisation de la démographie étudiante, c'est l'importance des départs à la retraite dans les dix prochaines années chez les chercheurs et enseignants-chercheurs. C'est une évolution qui constitue à la fois une chance et un risque : elle offre des possibilités de redéploiements disciplinaires et géographiques mais, dans le même temps, elle peut déstabiliser un certain nombre d'universités. Cela impose un exercice de programmation pluriannuelle que le ministère et l'ensemble de ses partenaires doivent réussir, ce qui n'est pas si simple.

A partir du diagnostic et des perspectives d'évolution, le schéma prévoit un certain nombre d'orientations.

Considérant que l'on a assez de sites d'enseignement supérieur, et qu'il ne serait pas raisonnable d'en créer de nouveaux, l'essentiel apparaît de rationaliser et d'ordonner ce qui existe. Il en découle une logique d'organisation en réseau au niveau régional et interrégional et une typologie des implantations, avec l'idée qu'au niveau d'une région, il doit y avoir l'ensemble de la palette des enseignements.

M. Emmanuel Kesler a évoqué une autre typologie, qui n'est pas une hiérarchie, organisée en trois catégories. Il y a les grands centres souvent pluri-universitaires correspondant aux pôles européens. Il y a des centres plus spécialisés au niveau du troisième cycle ou des formations professionnalisées, mais qui peuvent atteindre à l'excellence dans leurs domaines, et qui peuvent offrir des conditions pédagogiques aussi bonnes que les grands centres ; ces centres, dans une logique de réseau, peuvent être des têtes de réseau sur certains secteurs.

Puis, il y a des agglomérations moyennes dont la vocation est plutôt tournée vers les IUT, la formation professionnelle ou le transfert de technologies. Quand je parle de typologie et non de hiérarchie, il convient de noter que l'on n'a pas classé les sites universitaires dans telle ou telle des deux catégories ; l'histoire montre que l'on ne sait pas forcément comment les choses vont évoluer. Quand on considère les universités créées en 1970, deux d'entre elles ont émergé, Nantes et Nice. Nantes est devenue un pôle universitaire équivalent à celui de Rennes ; on en était très loin il y a 30 ans. Il n'est pas facile de prédire ce qui va marcher.

Il faut également retenir de la démarche et des politiques contractuelles avec les universités que les universités moyennes qui ont le mieux réussi sont celles qui ont su se créer une identité et une visibilité grâce à des formations professionnalisées, des troisième cycles etc. Voyez Brest et les sciences de la mer, Valenciennes ou Mulhouse : elles ont parfois mieux réussi que celles qui ont absolument voulu offrir des formations tous azimuts. Il faut tout dans chaque région, mais pas forcément tout dans chaque implantation universitaire de la région.

Je ne reviendrai pas sur la recherche, sur le nécessaire renforcement des liens, surtout entre les autres organismes que le CNRS et les universités et sur l'impact structurant des équipements, pas uniquement le très grand équipement : à la limite une grande animalerie, une maison des sciences de l'homme sont des équipements structurants pour les disciplines qui y ont recours.

Autre point sur lequel je voudrais insister au niveau des moyens d'action : l'organisation en réseaux, de recherche en réseaux technologiques ; réseaux que constitueront toutes les implantations d'une même région.

Sur la coopération et les relations entre établissements d'enseignement supérieur d'un même cycle, on n'a pas voulu faire d'approche très normative ou très autoritaire. On sait parfaitement que le découpage universitaire dans nos grands pôles est complètement absurde et que l'on est bien l'un des rares pays à avoir une Université I, II, III. Cela dit, ce n'est pas en décrétant qu'on va les regrouper que cela changera quelque chose.

On a plutôt l'idée d'avoir recours à une palette de solutions de coopération, ce pourrait être l'université fédérale ; des projets seront esquissés dans ce sens. Si trois universités d'une même agglomération ayant chacune leur faculté des sciences organisaient déjà des écoles doctorales et des commissions communes pour le recrutement -qui est l'acte majeur des 10 prochaines années- on aurait déjà fait un grand pas.

Idem pour les écoles d'ingénieurs. La France a un tissu d'écoles d'ingénieurs de petite taille, beaucoup plus petites que dans d'autres pays. On encourage des formes de regroupement comme les centres techniques universitaires qui peuvent être un rapprochement université-école, des fusions d'écoles. Il s'agit plutôt d'insister sur l'idée de regroupement et d'indiquer une palette de dispositifs.

Les instruments de coopération avec le monde économique ont été mis en place grâce à la loi sur l'innovation et la recherche, dont certains étaient des instruments non définis lorsque le plan U3M du schéma collectif a été lancé. M. Claude Allègre parlait de plates-formes technologiques ou de centres nationaux de la recherche technologique. Cela n'existait pas, le cahier des charges n'est pas très précis, mais le terrain et les initiatives de terrain les ont fait vivre. Et il y a déjà sur ces plates-formes technologiques un premier résultat qui n'est pas inintéressant.

Autre mode d'action qui, là encore, n'est pas encore assez normatif mais sur lequel on n'a pas forcément beaucoup d'incitations possibles : on souhaiterait qu'au cours de ce schéma, l'on renverse quelque peu la situation quelquefois aberrante dans l'affectation des étudiants. On sait que l'affectation à la sortie du baccalauréat entre section de technicien supérieur (STS), IUT et université n'est pas rationnelle. Par exemple, un étudiant de baccalauréat technologique en avance ou à l'heure va en STS alors que s'il est "en retard", il va à l'université. L'état législatif et la sociologie ne permettent pas de mécanisme de coercition. Il faut donc trouver des mécanismes persuasifs et de régulation.

Voilà pour la première partie, avec l'idée que le point de rencontre -compte tenu de l'autonomie des établissements- entre les projets d'établissements et les objectifs nationaux doit être le contrat, tant avec les services de recherche qu'avec les universités. Une rénovation de la politique contractuelle doit permettre que l'essentiel des contrats soit à la fois une cohérence de l'offre de formation et la définition d'une politique de recrutement. Ce sont sans doute les deux axes vitaux

La déclinaison territoriale est un découpage de présentation, inspiré de celui qui a été diffusé dans une publication de la DATAR, qui nous a paru correspondre à certaines relations universitaires sans pour autant préfigurer une quelconque harmonisation de gestion.

Sur ces déclinaisons régionales, on a eu du mal du fait que les contrats de plan étaient finalement mis en place avant les réflexions sur le schéma. La réflexion sur le terrain s'est donc plus intéressée aux objectifs concrets des contrats de plan qu'à ce qui allait se passer beaucoup plus tard. On a peut-être eu du mal à s'évader des 7 à 10 ans à venir, l'exception étant l'Île-de-France pour laquelle la réflexion a une portée de 15 ans.

Cette déclinaison territoriale est d'abord un descriptif sur l'organisation territoriale, la carte des formations et l'état de la recherche. Elle donne des recommandations qui n'ont pas un fort contenu normatif, mais qui ne sont parfois pas si anodines que cela. Par exemple, on dit que dans la région Lorraine, à vingt ans, Metz et Nancy doivent être pensées comme un seul ensemble universitaire.

Enfin, la rédaction du schéma collectif a été faite en association avec la DATAR qui a participé aux différentes réunions au cours desquelles l'on examinait pas à pas la rédaction du document.

M. le Président : Je trouve la rédaction de ce schéma très intéressante. Je commencerai par la provocation : vous nous dites qu'il faut peut-être rééquilibrer un peu plus l'Île-de-France sur certains équipements et le reste de la France. Je suis député normand, on attendait cet effort volontariste de rééquilibrage pour le dernier grand équipement qui a été décidé, le projet "Soleil", que nous souhaitions depuis la fermeture de la sidérurgie et que Matignon nous avait laissé espérer. Le poids de l'Île-de-France n'est-il pas un obstacle à un aménagement rationnel du territoire en matière de recherche ?

Deuxième question, également provocatrice : pensez-vous que des universités de taille moyenne, comme celle de Caen et de Rouen, sont amenées, non pas à coopérer comme elles le font aujourd'hui , mais à se fondre et à se spécialiser sur un certain nombre de filières ici et là ?

M. Pierre Cohen, rapporteur : Pour reprendre certaines de vos remarques, le domaine de l'enseignement supérieur et celui de la recherche sont très liés, d'autant que l'enseignement supérieur a comme mission de faire aussi bien de l'enseignement que de la recherche. Il y a donc combinaison entre les deux, sachant que dans la perspective de l'aménagement du territoire, les stratégies mises en _uvre ces dernières années ont été relativement différentes pour chacun des deux domaines. L'enseignement supérieur a joué un rôle de répartition sur le territoire même si l'un d'entre vous a noté que cela s'était fait sans grande cohérence ; ce furent parfois effectivement des décisions liées à l'influence de notables ou à un contexte local plutôt qu'une stratégie cohérente par rapport à un schéma d'enseignement supérieur concernant l'ensemble du territoire.

En revanche, pour la recherche, on peut considérer qu'il y a eu un rééquilibrage entre Paris et le reste du pays.

Il reste néanmoins une question importante : la recherche peut-elle aller très loin en termes de diffusion sur le territoire ? N'y a-t-il pas un paradoxe entre, d'une part, l'enjeu international qui va obliger à avoir des pôles d'excellence extrêmement forts, souvent symbolisés par de grandes agglomérations, et, d'autre part, ce qui est demandé par un certain nombre d'élus en faveur d'un enseignement supérieur comportant de la recherche jusque dans les petites villes moyennes d'autre part ?

A cet égard, la position de certains membres de l'enseignement supérieur selon lequel penser l'université sans pôle de recherche serait extrêmement difficile me paraît être en contradiction avec l'objectif de l'aménagement du territoire.

L'exemple de Midi-Pyrénées reflète la question des réseaux et des complémentarités : il y a le débat autour de la cinquième université, le résultat de trois implantations (Rodez, Albi, Castres et même Figeac) les débuts d'IUT et quelques filières. La cinquième université est notamment discutée entre les citoyens, représentés par les élus, et les universitaires : la conférence des présidents d'université s'est déclarée défavorable à ce projet. Il faudra bien trancher si l'on veut réellement réfléchir à vingt ans.

Le deuxième point qui me semble fondamental est l'évolution de l'emploi dans les 10 à 15 prochaines années. C'est un enjeu extraordinaire comportant des potentialités qui permettaient de rééquilibrer le territoire, l'ensemble des disciplines, voire les stratégies à travers la recherche dans les organismes. C'est-à-dire, en renforçant les universités ou les organismes, ou en renforçant certains secteurs à travers un organisme comme l'INRIA.

Le schéma de services collectifs souligne cet enjeu. Je crois aussi qu'il est grand temps de le voir concrétisé dans les faits, sur le terrain.

Je suis complètement d'accord avec la conclusion de votre rapport quant à la programmation annuelle des emplois scientifiques et sa déclinaison assez précise.

Un certain nombre d'orientation du schéma sont déjà bien amorcées, en particulier s'agissant du renforcement de la coopération entre la recherche et l'enseignement du supérieur, qui avait été largement prônée par le ministre Claude Allègre. Il est toutefois dommage de se retrouver aujourd'hui avec deux ministères, même si l'on sait que vous travaillez ensemble.

Autre élément qui me paraît extrêmement important : dans le précédent schéma qui faisait référence à la recherche apparaissait la notion de réseau et d'apport des nouvelles technologies.

Je pense que l'on peut imaginer une évolution de l'enseignement du supérieur avec les nouvelles technologies qui peuvent amener réellement une autre façon de voir. Des expériences sont menées à Dunkerque où de petites universités coopèrent sur les nouvelles technologies. A la vitesse où les choses avancent, nous pourrons avoir des résultats extrêmement importants et porteurs de transformations fortes dans la façon d'agir.

Ensuite, il y a un certain nombre de domaines, puisque la recherche et l'enseignement supérieur ont des missions d'enseignement, pour lesquels il me semble que le schéma ne comporte pas une véritable expression des besoins sur les prochaines années.

On part de la question de savoir à quoi servent les universités et la recherche mais il n'y a pas véritablement d'expression des besoins. On n'a pas de réponse à la question de savoir si les étudiants vont aller au gré de ce qui leur plaît, de ce qui les intéresse, ou au gré d'une hiérarchie établie par les résultats et par la notoriété.

On se retrouve ainsi avec un ensemble territorial et un schéma d'aménagement qui n'est pas lié à la demande locale, au contraire de ce qui s'était passé lors de l'installation d'un certain nombre d'IUT, de BTS et d'autres enseignements finalisés dans les villes. Cet aspect est donc sujet à débat.

Ensuite, parmi les missions, il y a le transfert de technologies. Je ne sais pas si le schéma de services collectifs le rend plus lisible. C'est quand même une sorte d'agrégat de missions extrêmement intéressant. Quand il y a proposition dans ce domaine, celle-ci répond à un besoin -ce n'est donc pas inutile- mais dans une forêt de dispositifs et de procédures relativement peu lisibles. Il y a des propositions pour qu'une ville s'engage à ce propos sur la base d'un secteur qui a vocation nationale, sur la base d'une image et d'une lisibilité, mais il est assez difficile de s'y retrouver. Et par rapport aux objectifs d'aménagement du territoire, les acteurs peuvent-ils y voir clair ?

Je ne reprendrai pas la question des grands équipements. Je pense qu'une question fondamentale avait été posée par M. Claude Allègre : peut-on faire encore une politique de recherche avec de grands équipements ? Ceci dit, quand l'équipement est nécessaire, la question de l'implantation se pose, encore que j'étais favorable à celle qui a été définie.

Par contre, si on ne parle pas des grands équipements dans le cadre du rapport que nous avions rédigé à la demande du Premier Ministre, M. Jean-Yves Le Déaut et moi, à propos de la politique de la recherche, nous avions relevé un certain nombre de déficits extrêmement graves, notamment pour les bibliothèques. Un rattrapage très important s'impose dans la mesure où, dans le domaine de la recherche, les conditions de travail des chercheurs en sciences humaines sont très en retard par rapport à d'autres secteurs relativement bien dotés.

Enfin, un amendement relatif à la culture scientifique et technique, adopté dans le cadre de la loi Voynet, ne se retrouve pas du tout dans le schéma de services collectifs.

Si la recherche, c'est le développement du savoir universel et sa transmission par l'intermédiaire de la formation, puis sa valorisation au plan économique, l'une des missions importantes est aussi de faire que chaque citoyen ait une connaissance de son environnement. Et là, je n'ai pas du tout vu de stratégie sur la culture scientifique et technique. Or, au vu de ce que l'on vit depuis deux ou trois ans -vache folle etc.- on voit bien que c'est un domaine qui nécessite une réflexion et une réponse en termes de service public sur l'ensemble du territoire.

M. Emmanuel Kesler : Sur la première question concernant le poids de l'Île-de-France et le poids du synchrotron, je ne rappellerai pas les éléments développés par le ministre à l'appui de son choix qui est aussi celui du Gouvernement ; j'évoquerai néanmoins le souci de maintenir le rôle de l'Île-de-France en matière de recherche, alors que plusieurs grands équipement avaient été transférés dans d'autres régions ou arrêtés, et celui, face à une attente forte des personnels, d'utiliser le potentiel existant sur place ; l'atout représenté par la rapidité d'installation a été un argument supplémentaire.

La meilleure répartition de la recherche ne concerne pas seulement quelques très grands équipements, les TGE des domaines océanographiques et spatiaux et les grands équipements d'analyse de la matière, dont l'un est situé à Caen en Basse-Normandie. Il faut essayer de dépasser cette notion de TGE, peut-être pas tout à fait obsolète, pour constater qu'aujourd'hui la recherche a besoin d'équipements structurants plus larges que la notion classique des TGE, comme l'a montré un récent rapport de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

On ne peut que vous rejoindre dans cette analyse, et le ministre souhaite le développement d'une meilleure répartition des équipements structurants. Ce n'est pas forcément le synchrotron de troisième génération, suivi de celui des générations suivantes. Mais je pense par exemple aux maisons des sciences de l'homme ou aux centres nationaux de recherche technologique (CNRT) dont un vient d'être installé en Basse-Normandie, aux génopôles, aux centres d'analyse et de traitement de l'information. En dehors de Paris, de grands centres de calcul existent.

La stratégie du ministère consiste plutôt, à partir du potentiel de recherche, à essayer de dynamiser ce potentiel en faisant venir de nouvelles équipes, en implantant des postes de chercheurs, en attribuant les crédits et les équipements là où il y a un véritable potentiel. Plutôt que d'implanter un synchrotron de manière arbitraire ou décalée par rapport au potentiel scientifique de la région, il convient de favoriser un renforcement par la dynamique interne de la région.

M. le Président : Il reste que l'outil de Saclay est un peu vieilli et qu'il existait d'autres équipes ailleurs.. ! On pourrait en discuter longuement et je ne veux pas prolonger ce débat qui est dépassé.

M. Emmanuel Kesler : En ce qui concerne la meilleure répartition du potentiel de recherche, M. Pierre Cohen se demandait jusqu'à quel niveau on pouvait aller et s'il n'y avait pas antinomie entre la nécessité de pôles d'excellence et un niveau très fin d'aménagement du territoire.

Si l'on estime que la recherche doit être implantée jusqu'au niveau très fin du territoire, c'est-à-dire jusqu'à l'antenne universitaire, il y a antinomie avec les conditions du développement de la recherche. En revanche, il n'y a pas antinomie entre une meilleure répartition du potentiel de recherche qui tire parti des possibilités locales et une stratégie de pôles d'excellences.

On peut fort bien avoir, plus qu'aujourd'hui, de vraies compétences en matière de recherche et de vrais pôles d'excellence dans les métropoles régionales. Il s'en est constitué à Lille, comme auparavant à Lyon, ou à Grenoble qui est un pôle reconnu aux niveaux européen et international.

En revanche, si l'on dit qu'en dehors de ces grands centres universitaires pluridisciplinaires, au niveau du bourg, du hameau pour caricaturer, il doit y avoir systématiquement un laboratoire, je vous rejoins pour dire qu'il y a contradiction.

M. le Président : Sauf pour le stockage des déchets nucléaires.

M. Jean-Richard Cytermann : Avec les nouvelles technologies, il est tout à fait possible de développer des activités de recherche au niveau des villes moyennes : le ministère a ainsi essayé de développer ces dernières années des équipes de recherche technologiques dans les IUT; une équipe de recherche ne doit pas nécessairement être localisée physiquement dans la métropole universitaire ; elle peut travailler avec un centre plus lointain.

On est en fait dans un rapport dialectique : l'enseignement supérieur est forcément moins concentré que la recherche. Les enseignants-chercheurs que l'on envoie dans certains centres ne peuvent pas être complètement coupés de la recherche, le risque serait de les "stériliser".

Il y a toute une gamme de solutions qui vont de l'équipe de recherche technologique plus orientée sur le transfert à la participation à un réseau avec d'autres acteurs. Et puis, les centres d'excellence ne sont pas forcément tous dans la catégorie des grands pôles universitaires. A la limite, il faut que chacune des universités existantes trouve quelques créneaux de recherche où elle peut atteindre un niveau d'excellence. Certains y réussissent, d'autres n'ont pas encore trouvé leur identité.

M. Emmanuel Kesler : S'agissant de l'emploi scientifique et de la gestion prévisionnelle, un certain nombre de créations de postes ont été faites en 2001. Elles ne s'inscrivent peut-être pas dans un plan pluriannuel, dans une loi de programmation, mais le nombre de postes nécessaires pour anticiper les départs à la retraite est prévu avec une stratégie de renforcement de certains pôles.

On en profite pour demander à nos organismes de recherche, au travers des contrats quadriennaux prévus par la loi du 12 juillet 1989 sur les innovations et la recherche, de prévoir des stratégies d'association un peu dynamiques. C'est le cas pour l'INRIA, ce sera le cas demain pour le contrat CNRS qui n'est pas encore terminé.

Le CNRS a une politique dynamique : il y a eu plus d'une centaines de nouvelles unités mixtes CNRS-universités en 2000 sur l'ensemble du territoire. Il y a eu aussi 35 unités INSERM-universités en 2000, qui ne concernent pas uniquement la région parisienne.

On constate bien, par l'attribution de moyens nouveaux en personnel et en crédits, accompagnée par une volonté de dialogue au travers de la démarche contractuelle, que l'on dote nos organismes des moyens de faire face à cette stratégie d'aménagement du territoire.

M. Jean-Richard Cytermann : A cet égard, les deux ministères travaillent ensemble sur la programmation des emplois scientifiques, qui à la fois vise les enseignants-chercheurs et les chercheurs, de même que les deux ministères travaillent ensemble sur les contrats avec les universités puisque toute la partie recherche universitaire est associée aux contrats avec les établissements d'enseignement supérieur.

Le transfert de technologies est signalé de manière très allusive page 37 du schéma avec une référence à l'éclatement des procédures : CRIT, CRT, plate-forme technologique etc. Il vient un jour où il faut faire le ménage ; il y a effectivement un manque de lisibilité sur le terrain.

Nous avons entre directions un séminaire la semaine prochaine à propos de ce qui est en train de s'élaborer à propos des plates-formes technologiques. Ce sera un moyen d'essayer d'éclaircir les choses.

Quant à la culture scientifique et technique, évoquée page 27 du schéma, elle manque cruellement. Faute de temps, on n'y a pas beaucoup travaillé. Même si nous sommes persuadés - les missions de travail en cours le préciseront peut-être- que le développement de la culture scientifique peut être l'un des moyens pour attirer les jeunes vers les études scientifiques ; même si l'on a connu un léger frémissement de tendance cette année, l'insuffisante attractivité de ces études nous préoccupe.

De manière générale, l'enseignement supérieur français arrive actuellement à satisfaire aux besoins de l'enseignement supérieur et de la recherche, ainsi qu'à ceux de la vie économique, s'agissant des disciplines scientifiques mais aussi économiques et de gestion ; mais les contrats de plan 2000- 2006 offrent une véritable rupture de tendance, par rapport à toutes les générations de contrats de plan précédents, en particulier en ce qui concerne les bibliothèques, et de manière générale pour les moyens mis à disposition des chercheurs en sciences de l'homme.

C'est la première fois que les régions s'intéressent aux sciences humaines et sociales, du moins à ce niveau. La notion de maison des sciences de l'homme, telle qu'elle a particulièrement réussi à Nantes, a été très prisée : dans une dizaine de contrats de plan, la constitution d'une maison des sciences de l'homme est une priorité affichée, alors que d'une manière générale, les collectivités locales se souciaient peu jusqu'à présent des sciences humaines et sociales, au moins dans les premières générations de contrats de plan.

En matière de bibliothèques universitaires, qui sont un outil de travail indispensable pour les étudiants et les chercheurs, 4 milliards de francs sont inscrits jusqu'an 2006, soit 300 000 mètres carrés de bibliothèques. C'est un effort significatif. On ne peut pas dire ce qui se passera après 2006, mais si l'on tient ce rythme, le retard français sera rattrapé.

Quant à l'expression et à la hiérarchie des besoins, c'est l'une des difficultés puisque, comme je l'ai dit tout à l'heure, il n'y a pas de mécanisme autoritaire ou très contraignant de l'affectation des étudiants. On sait qu'il y a un effet d'offre. Par exemple, on sait qu'une personne habitant dans une petite ville a beaucoup plus de chances, quelle que soit sa catégorie socio-professionnelle, d'aller en BTS ou en IUT que d'aller en classe préparatoire comme c'est le cas pour une personne qui habite dans une grande ville.

Il y a à la fois un travail de longue haleine pour attirer plus les étudiants vers les filières scientifiques et technologiques, mais cet effort doit commencer bien avant l'université. Et puis, il y a un travail de régulation et de persuasion des différents acteurs à propos des affectations, surtout au niveau du rectorat.

Il y a aussi l'idée d'une plus grande rationalité des implantations pour éviter d'avoir dans les mêmes lieux des STS et des IUT sur des spécialités très proches ; les diverses antennes universitaires doivent pouvoir offrir un choix à l'étudiant, qui ne soit pas captif d'une seule spécialité et qui n'arrive pas là uniquement parce que cette spécialité est offerte.

Sur les antennes universitaires, prudence : d'abord, parce qu'il est certain qu'il y en a dont la survie démographique n'est pas forcément évidente à terme lorsque l'on est à moins de 100 ou 200 étudiants.

Cela dit, des efforts ont été faits par les collectivités territoriales dont il faut tenir compte. Le rapport évoque donc la possibilité, plutôt qu'une antenne généraliste ou un DEUG de droit, d'avoir un département d'IUT, ou quelque chose qui soit plus voué aux technologies. Par exemple, à Cambrai a environ 50000 habitants avec son bassin, il y avait des DEUG très généralistes. Ils en ont fermé un ou deux, et vont ouvrir des départements d'IUT supplémentaires.

Sur les antennes, nous restons prudents parce que les quelques résultats que nous avons sur les facteurs de réussite des étudiants montrent qu'au moins, en premier cycle et pour diverses raisons, les résultats des antennes ne sont pas mauvais. En revanche, on ne sait pas encore ce qu'ils deviennent après, une fois qu'ils ont rejoint l'université. On a constaté en tout cas des effets positifs en premier cycle dans certains endroits.

En outre, il ne faut pas ignorer que, de manière générale, avoir un enseignement supérieur de proximité a beaucoup facilité la démocratisation. Par exemple, le Nord-Pas-de-Calais a pratiquement rattrapé son retard en matière d'accès à l'enseignement supérieur. S'il n'y avait pas eu Valenciennes et les divers centres qui ont mené aux deux universités nouvelles qui ont un très fort taux de boursiers, nous n'aurions sans doute pas connu ce développement et ce rattrapage de l'enseignement supérieur dans le Nord-Pas-de-Calais.

Mais on est peut-être parfois allé trop loin dans une carte de proximité. J'ai vu les critères de choix d'Université 2000 pour certaines implantations. Il y a eu des aspects de notabilité. En même temps je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de décisions aberrantes. D'autre part, le choix de faire des IUT en ville moyenne est un choix qui s'est révélé plutôt positif dans l'ensemble.

M. Emmanuel Kesler : Pour ajouter quelques mots sur la culture scientifique et technique, il est vrai qu'il y a un oubli collectif. Pour autant, il y a un effort sur les contrats de plan avec 15 millions de francs de mesures nouvelles en 2001. Au total, quand on voit sur l'ensemble de la durée du contrat de plan, cela représentera 90 millions de francs supplémentaires.

On peut juger cet effort comme étant insuffisant, mais il faut savoir que les contrats de plan, notamment sur les volets enseignement supérieur et recherche, ont tous plus ou moins un volet relativement important de culture scientifique et technique. Le contrat de plan Midi-Pyrénées en est un exemple.

Cela ne dispense pas le ministère, en complément de ces crédits nouveaux, d'avoir des actions de fond, à la fois sur la Cité des Sciences et de l'industrie pour en faire une tête de réseau des centres locaux ou pour d'autres actions d'accompagnement.

Enfin, sur la lisibilité du transfert de technologies, il est vrai que l'on a une accumulation progressive de dispositifs dont on voit, peu à peu, que la finalité change. On est parti de centres de prestations techniques à destination des PME avec des personnels autonomes, parfois assez peu adossés aux établissements d'enseignement supérieur et de recherche. Peu à peu, on essaie de mettre ces établissements, qui sont au contact de ces entreprises et de ces PME, en relation avec les universités, les organismes de recherche, ou même les établissements d'enseignement scolaire.

Par ailleurs, avec le label de CRT (centre de ressources technologiques) on voit la volonté de l'État d'assurer la lisibilité et l'efficacité du dispositif de transfert technologique.

Mme Ariane Azéma : Je voudrais ajouter que les deux ministères ont privilégié une approche territoriale claire dans la rédaction du schéma. La typologie plusieurs fois évoquée constitue un élément important de territorialisation des politiques publiques concernées aux yeux de la DATAR. La difficulté de ce schéma réside dans l'approche des dimensions prospectives qui restent, sur certains points, encore insuffisamment développées sur des sujets difficiles à appréhender.

Cela reste l'un des objets d'un schéma qui, néanmoins, a une approche territoriale qui rencontre largement en tout cas l'esprit et la lettre de la loi de la LOADT.

La DATAR aurait éventuellement des nuances à apporter aux propos tenus sur la question de l'Île-de-France, mais ce n'est pas le cadre du débat.

M. le Président - On peut gloser sur la place de l'Île-de-France dans le développement européen et sur la place des métropoles régionales par rapport à l'Île-de-France et aux métropoles européennes, mais ce n'est ni le moment ni le lieu. Il me reste à vous remercier de vos contributions très intéressantes.


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