ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 22

Mardi 5 juin 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Philippe Duron, président

SOMMAIRE

 

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Examen de l'avis sur le projet de décret mettant en œuvre les schémas de services collectifs
M. Yves Coussain, rapporteur
Projet de schéma de services collectifs multimodal de transport de voyageurs
M. Jean Espilondo, rapporteur
Projet de schéma de services collectifs multimodal de transport de marchandises

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La délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a examiné les avis de MM. Yves Coussain et Jean Espilondo sur le projet de schémas de services collectifs multimodaux de transport de voyageurs et de transport de marchandises.

M. Yves Coussain, rapporteur, a indiqué que le schéma se caractérisait par deux objectifs, premièrement la priorité donnée aux modes de transport alternatifs à la route, en privilégiant une approche multimodale et deuxièmement, la volonté de raisonner en termes de demande et non plus d'offre, afin de répondre aux besoins.

Il a estimé que ce projet de schéma présentait des problèmes de méthode et de fond. En ce qui concerne les premiers, il apparaît comme un catalogue, dont on distingue mal les priorités ; cela est d'autant plus regrettable que, comme le précise le document, les projets majeurs non inscrits dans les schémas seront considérés comme incompatibles, ce qui pose la question de la valeur juridique de ces schémas. Il est en outre très malaisé de se repérer parmi les scenarii présentés. Le rapporteur a ensuite souligné que les besoins de financement relatifs aux transports étaient considérables et que le schéma était flou sur le volume prévisible des dépenses et sur leurs clés de répartition. L'affirmation selon laquelle le rythme des réalisations dépendra des financements locaux risque de creuser les écarts entre les régions qui pourront financer les investissements et les autres. Elle est donc contraire à la philosophie de l'aménagement du territoire qui est de permettre aux territoires les plus pauvres d'accéder aux différents transports. En outre, le projet de schéma ne mentionne pas l'importance de la dette actuelle du secteur, ce qui pose le problème des moyens que le rail pourra mobiliser pour répondre aux objectifs. Le rapporteur a, en outre, regretté qu'il manque au schéma une approche politique fixant les responsabilités des différents niveaux de décision.

S'agissant des problèmes de fond, il a déploré que l'équité territoriale ne soit pas une préoccupation majeure du projet de schéma dont l'objectif est de répondre à la demande ; cette nouvelle démarche a un effet pervers, car elle risque de renforcer la desserte des territoires où la demande est la plus forte - les plus peuplés- et de négliger les autres et donc, d'augmenter les inégalités. Il a jugé le schéma ambigu, dans la mesure où il ne précise pas quel sera la véritable place de la route et des autres modes, le scénario multimodal volontariste lui-même prévoyant une diminution de la part du transport ferroviaire. Le transport aérien est à la fois considéré comme un mode alternatif à la route mais facteur de nuisances ; les hypothèses de croissance le concernant sont inférieures à celles des organisations internationales ou de la profession. Il est regrettable que le projet de schéma ne prévoie aucune mesure en faveur des lignes aériennes déficitaires qui contribuent à l'aménagement du territoire des lignes enclavées, qu'il n'évoque que brièvement la question du troisième aéroport de la région parisienne et les dispositions à prendre prochainement pour faire face à la croissance du trafic des aéroports parisiens.

Le rapporteur a également déploré que le projet de schéma ne comporte pas de développement pour préciser comment la tarification devrait être adaptée pour modifier les comportements des usagers des transports, que la sécurité ne fasse que l'objet de bonnes et sages recommandations, et que les plans de développement urbains soient trop peu évoqués. Il a enfin souhaité que le schéma précise comment encourager la croissance des transports collectifs urbains.

M. Jean Espilondo, rapporteur, a estimé que le projet de schéma était novateur, car il avait la volonté de mener une politique des transports en nette rupture par rapport aux dispositions antérieures, pour répondre à deux préoccupations, la sauvegarde de l'environnement et l'amélioration de la sécurité. Il a adopté une démarche axée sur les besoins et une approche multimodale.

Il en résulte le choix de renforcer les modes de transport autres que la route, et, principalement le transport ferroviaire, avec un doublement du trafic de fret à l'horizon 2010, soit 100 milliards de tonnes-kilomètres. Dans cette optique, le projet de schéma souligne la nécessité de participer à la constitution progressive d'un réseau transeuropéen de fret ferroviaire performant et interopérable, de mettre en place des procédures d'allocation des priorités entre les différentes circulations ferroviaires et de mettre l'accent sur l'amélioration de la qualité des transports ferroviaires. Le projet de schéma souligne également l'importance du transport maritime, de la modernisation et de l'extension des ports, ainsi que du cabotage. La réhabilitation de la voie d'eau constitue en outre un des leviers de la politique intermodale des transports. Le projet de schéma, dans une partie commune aux voyageurs et aux marchandises, souhaite en outre favoriser l'émergence d'une desserte du territoire s'appuyant sur de grands ensembles régionaux, conformément à la notion de "polycentrisme maillé" prônée par la DATAR.

Le rapporteur a ensuite estimé que des aspects du projet de schéma restaient à préciser. Le rééquilibrage entre la route et la voie ferrée ne paraît pas assuré : le doublement du trafic ferroviaire de fret qui est prôné ne permet pas de rupture et de renversement de tendance. Plusieurs régions ont émis des doutes sur l'efficacité réelle des mesures proposées. La question se pose de façon d'autant plus aiguë que la France ne paraît pas actuellement en mesure de respecter les engagements du protocole de Kyoto (aucun autre pays ne paraissant pouvoir le faire). L'assainissement du transport routier doit être poursuivi, mais la France ne pourra pas mener seule à bien ce chantier, sans l'Union européenne. Le problème des conflits d'usage doit être résolu pour que le fret ferroviaire devienne une priorité ; mais d'autres solutions doivent être étudiées : la mise en place d'un réseau nouveau, le développement de liaisons actuellement sous-utilisées.

La France étant un pays de transit, la concentration des déplacements sur certaines zones ou dans certains couloirs va rapidement rendre la situation insupportable si rien n'est entrepris pour traiter cette question. L'Union européenne doit prendre conscience que les pays centraux ont, de ce fait, d'importants problèmes, inconnus des zones périphériques. On doit se poser désormais la question de l'aide à ces pays qui subissent des coûts très élevés en raison de leur situation géographique. Le rapporteur s'est associé à M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis des crédits de l'équipement et des transports terrestres, pour suggérer le lancement par la Banque européenne d'investissement (BEI) d'un emprunt européen.

Abordant le problème du financement, le rapporteur a souligné que les besoins étaient considérables et qu'une estimation des coûts et des financements correspondants auraient permis d'afficher plus clairement des priorités, même si le schéma n'a pas vocation à être un exercice de programmation. La question du financement du rééquilibrage entre la route et le rail mérite d'être posée clairement : le projet de schéma indique, sans précision, que le futur bénéfice d'exploitation des sociétés concessionnaires d'autoroutes permettra de poursuivre l'effort engagé de rééquilibrage entre les différents modes.

Le rapporteur a rappelé que la mission d'évaluation et de contrôle de la commission des finances avait déjà insisté sur la nécessité d'élaborer un schéma national des infrastructures avec des priorités et un projet de loi de programmation indiquant le coût des différentes liaisons et d'informer le Parlement sur la situation financière des sociétés d'autoroute.

En ce qui concerne les échanges transpyrénéens, le rapporteur a déploré les lacunes du projet de schéma, soulignant la faiblesse du transport ferroviaire alors que le trafic augmente et que la fluidité n'est pas assurée, l'environnement mis à mal et la sécurité menacée. Il a affirmé qu'il fallait valoriser la façade atlantique, terminer la route des estuaires de Calais à Bayonne, développer le fret ferroviaire sur la façade atlantique, réaliser un tunnel sur le modèle Lyon-Turin, et prévoir une nouvelle traversée routière des Pyrénées. Il s'est félicité que la réouverture de la ligne Pau-Canfran soit prévue par le schéma.

En conclusion, le rapporteur a salué le travail réalisé pour ce schéma, mais a indiqué que le transport routier constituerait de croître et qu'il convenait d'en contrôler la croissance et de limiter les nuisances en résultant, faisant remarquer qu'il n'était pas possible de se contenter d'une mise en œuvre a minima du schéma. Il a souligné l'urgence d'un plan européen de transport.

M. Philippe Duron, président, a constaté que, malgré l'effort considérable réalisé par la France depuis un demi-siècle en matière d'infrastructures, les attentes restaient importantes. Il a estimé que le schéma était un exercice prospectif à vingt ans, mais qu'il devait être revu régulièrement. Il a demandé si les schémas contenaient des encouragements à la recherche-développement portant sur les nouveaux modes de transport, et des précisions sur les transports rapides sur l'Atlantique (les "fast ships").

En ce qui concerne le problème du transit, il a estimé que plusieurs solutions pouvaient être proposées, la mise en place de sillons dédiés, la réalisation de nouveaux moyens de franchissement des Pyrénées et le développement du cabotage au niveau européen, grâce à des navires de grande taille.

M. René Mangin a rappelé que nous nous trouvions dans une stratégie de marché qui impose aux entreprises de disposer de transports précis, de point à point, ce que le cabotage ne peut pas assurer dans tous les cas.

M. Philippe Duron, président, a rappelé que l'Europe s'était engagée à respecter le protocole de Kyoto et qu'il fallait par conséquent concilier efficacité économique et protection de l'environnement.

M. Félix Leyzour, rappelant que les schémas devaient être des cadres dans lesquels s'inscrivaient les contrats de plan État-région, s'est interrogé sur le degré de réalisation des contrats actuels.

M. Philippe Duron, président, a estimé que les programmes autoroutiers étaient plus avancés que les réalisations ferroviaires pour lesquelles les projets avaient été moins mûris. Il a par ailleurs souligné qu'il était essentiel que les schémas prévoient le rééquilibrage des moyens de transport entre l'ouest et l'est de la France, afin d'éviter que l'ouest ne soit tenu à l'écart.

M. Félix Leyzour s'est demandé si de nouvelles lignes ferroviaires étaient nécessaires.

M. René Mangin a indiqué que parfois l'espace disponible ne permettait pas de nouvelles constructions.

M. Philippe Duron, président, a indiqué que pour le TGV-Méditerranée, la SNCF avait envisagé, à l'origine, de conserver le tracé existant, puis avait dû ensuite faire un choix différent, et que, de façon générale, de nouveaux sillons n'étaient pas à exclure. Le débat sur les voies dédiées est un vrai débat.

M. Yves Coussain, rapporteur, a ensuite présenté à la Délégation des recommandations relatives au projet de schéma de transport de voyageurs et M. Jean Espilondo, rapporteur, des recommandations relatives au projet de schéma de transport de marchandises.

Après un débat auquel ont pris part MM. Philippe Duron, Félix Leyzour et René Mangin et les rapporteurs afin d'y apporter des corrections rédactionnelles, la délégation a adopté ces recommandations.

La délégation a ensuite adopté des recommandations communes aux deux projets de schémas.

La délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a autorisé à l'unanimité, en application de l'article 7 de son règlement intérieur, la publication des avis sur les projets de schémas de services collectifs multimodaux de transport de voyageurs et de transport de marchandises.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES PAR LA DÉLÉGATION SUR LE PROJET DE SCHÉMA MULTIMODAL DE SERVICES COLLECTIFS DE TRANSPORT DE VOYAGEURS

1. La délégation demande que le schéma consacre un développement détaillé et volontariste aux différents moyens de désenclaver les territoires isolés.

2. La régionalisation des transports ferroviaires de voyageurs, qui est globalement un succès, ne permet pas d'assurer de façon satisfaisante la coordination entre deux régions : la délégation rappelle que l'État doit jouer le rôle de garant de la cohérence des services de voyageurs, comme le prévoit la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains.

3. La délégation demande que le fonds d'intervention pour les aéroports et le transport aérien (FIATA) remplisse à nouveau la mission qui lui avait été dévolue par la loi de finances pour 1995 et la loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire et subventionne par conséquent les lignes aériennes déficitaires qui contribuent à l'aménagement du territoire des régions enclavées.

4. La délégation demande que des éclairages soient apportés rapidement sur la manière de répondre à l'augmentation du trafic dans l'attente d'un troisième aéroport international en région parisienne.

5. La délégation souhaite que le schéma contienne des propositions tendant à favoriser une internalisation des coûts des transports afin de les faire payer à leur prix réel.

6. La délégation souhaite recevoir le bilan des mesures prises depuis 2000 afin d'améliorer la sécurité routière.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES PAR LA DÉLÉGATION SUR LE PROJET DE SCHÉMA MULTIMODAL DE SERVICES COLLECTIFS DE TRANSPORT DE MARCHANDISES

1. La délégation rappelle que le rééquilibrage des différents modes de transport impose la poursuite de l'assainissement du transport routier au sein de l'Union européenne afin que les prix soient établis en fonction des coûts réels.

2. Afin de développer le fret ferroviaire conformément aux objectifs du schéma, la délégation souligne que des sillons doivent être prioritairement ou totalement dédiés au fret.

3. Du fait de sa situation géographique, la France est un pays de transit qui sera confronté au cours des années à venir à la saturation de ses voies de communication : la délégation souhaite qu'une réflexion soit rapidement menée dans le cadre européen et que des mesures soient arrêtées avec ses partenaires pour réduire les nuisances en résultant.

4. La montée en puissance du trafic de transit par l'isthme français pose la question du franchissement inter-massifs. La liaison Lyon-Turin qui est maintenant décidée par les autorités françaises et italiennes ouvre des perspectives d'amélioration pour le sud-est de la France. Il n'en est pas de même pour les Pyrénées. Aujourd'hui les infrastructures de transport y sont particulièrement faibles en comparaison notamment avec les Alpes, alors que le trafic y est plus important et qu'il progresse de manière exponentielle. Les points de passage existants aux deux extrémités du massif et plus particulièrement dans sa partie occidentale sont saturés et menacés d'asphyxie. Nos voisins ibériques, l'Espagne et le Portugal sont directement dépendants pour leurs échanges de notre pays et des autres pays européens et sont légitimement inquiets pour l'avenir. Compte tenu de ces enjeux, la délégation souligne la lacune du schéma concernant ce franchissement. En conséquence, elle estime indispensable d'y inscrire le principe d'une nouvelle traversée ferroviaire et d'une nouvelle traversée routière des Pyrénées.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES PAR LA DÉLÉGATION COMMUNES AUX DEUX SCHÉMAS

1. Eu égard aux coûts considérables des infrastructures de transport, la délégation souhaite que les schémas comportent un calendrier des priorités pour les vingt ans à venir, contenant des indications sur leur financement et leur répartition.

2. La délégation souhaite que les schémas veillent à réintégrer l'ouest français dans les grands réseaux européens de transport.

3. La délégation souhaite que les schémas accordent une place plus grande à la recherche-développement en matière de transport afin de mieux prendre en compte les technologies de l'avenir.


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