ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N°26

Mardi 9 mai 2001
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Philippe Duron, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de MM. Jean-Pierre Raffarin, Alain Le Vern, Robert Savy et Adrien Zeller représentant l'Association des Régions de France, sur les schémas de services collectifs.

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La délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a entendu M. Jean-Pierre Raffarin, Président du Conseil régional de Poitou-Charentes, Président de l'Association des Régions de France, M. Alain Le Vern, Président du Conseil régional de Haute-Normandie, M. Robert Savy, Président du Conseil régional du Limousin et M. Adrien Zeller, Président du Conseil général d'Alsace, représentant l'Association des régions de France.

M. le Président : Nous sommes heureux d'accueillir l'Association des Régions de France, MM. Jean-Pierre Raffarin, Alain Le Vern, Robert Savy, et Adrien Zeller.

L'examen des projets de schémas de services par notre Délégation est maintenant très avancé. Nous avons achevé la plupart des auditions. Il nous semblait indispensable que vous puissiez être aussi entendus, les régions jouant un rôle essentiel en matière d'aménagement du territoire, comme l'a bien rappelé la loi d'orientation du 25 juin 1999.

Les régions vont faire connaître leur avis dans les jours prochains sur les schémas de services collectifs. J'imagine que vous avez synthétisé l'essentiel des critiques et propositions que les exécutifs régionaux ou les assemblées régionales sont en mesure d'apporter à cet exercice un peu nouveau, voire novateur, que sont les schémas de services collectifs.

Il est donc essentiel que notre Délégation, comme celle du Sénat, présidée par le président de l'ARF, puisse bénéficier de ce travail en régions, mais aussi au sein de votre association.

M. Jean-Pierre Raffarin : Monsieur le président, nous sommes très heureux de pouvoir nous exprimer devant votre délégation comme nous le faisons à l'ARF de manière pluraliste.

D'une manière générale, les régions ont de la sympathie pour l'idée même de schéma de services. Elles ont pris l'habitude d'avancer dans leurs projets avec des logiques contractuelles. Le contrat est devenu un outil majeur de l'aménagement du territoire.

Qu'il soit supra-régional avec l'État, ou avec les fonds européens, ou qu'il soit infra-régional avec les pays ou agglomérations, le contrat place la région dans une forte logique contractuelle. Pour être cohérents, les contrats doivent trouver à l'intérieur des schémas des espaces d'information et de stratégie fertiles pour donner toute lisibilité à ce trinôme de la loi que vous avez rapportée ici à l'Assemblée (projet, contrat, schéma) qui est le nouveau triangle de l'aménagement du territoire.

Il va de soi que les régions voient ces schémas plus comme des préalables aux prochains contrats plutôt que des suites ou des "queues" de programme aux anciens contrats.

La logique et la cohérence voudraient que le schéma précède les contrats. Avec la loi telle qu'elle a été votée, nous comprenons bien que le calendrier nous ait obligés à signer des contrats pour la période 2000-2006 qui précèdent les schémas.

Une révision des contrats étant prévue en 2003, la manière positive est de voir ces schémas comme le préalable à la révision de 2003. C'est dans cette perspective que je me placerai en n'insistant pas trop sur l'ordre des facteurs.

En revanche, nous pouvons regretter que les délais de consultation au niveau régional, du fait des élections municipales et cantonales n'aient pas été propices à un travail et une concertation approfondis, notamment avec les autorités infra-régionales. Ce point très important amoindrit la lisibilité de notre action territoriale.

Aujourd'hui, cette logique schéma - contrat - projet est complexe. Elle me paraît intéressante, mais elle est tellement compliquée qu'elle apparaît loin du citoyen. Le débat sur les schémas est sans doute l'occasion d'avoir une clarification sur les grandes options des territoires, d'associer les citoyens, les collectivités territoriales, la société civile à une grande réflexion stratégique.

Il est dangereux de mobiliser l'ensemble des moyens nécessaires à la contractualisation en limitant tous ces débats à des débats d'experts sans que les citoyens y soient associés.

Si nous regardons les investissements, souvent publics, réalisés dans nos territoires, le contrat est souvent l'outil majeur de ces investissements. Combien de Français savent ce qu'est un contrat de plan ? Les contrats avec l'Europe et avec les collectivités territoriales pour 2002 - 2006 s'élèvent à 400 milliards de francs : combien de Français sont-ils au courant de cette démarche ? C'est problématique pour nous qui sommes attachés à la lisibilité de nos actions.

Pour l'avenir, il faut faire en sorte que la concertation sur les schémas de services soit un temps fort dans notre vie nationale et locale de démocratie et d'information sur les grands sujets et les projets des territoires et qu'elle montre la cohérence entre initiatives régionales et nationales.

Parmi nos regrets, figure l'insuffisante articulation - sujet connu - avec les démarches partenariales de l'Union européenne. C'est un point très important quand nous mesurons que la nouvelle politique régionale européenne va se faire dans le contexte d'une Europe élargie et qu'il y aura une distribution nouvelle des principes de la politique régionale européenne.

Il va de soi que ces sujets devraient apparaître plus clairement dans la stratégie nationale de la France de 2020. Cela ne paraît pas être le cas aujourd'hui. Il semble dangereux d'aller à la discussion européenne sans avoir une stratégie nationale de la place et de l'espace national dans l'espace communautaire.

Certains sujets spécifiquement français ou en tout cas à dominante française peuvent trouver des alliés ; nous avons intérêt à y réfléchir. Peut-être les schémas de services seraient-ils de bonnes occasions de réflexion. Je pense au problème des zones de montagne, des zones littorales, à la ruralité, aux petites villes, aux villes moyennes.

Les spécificités de l'espace français, sa situation périphérique, ses façades maritimes doivent être mis en avant dans l'Union européenne. Ce serait l'occasion de l'intéresser à des originalités françaises, mais aussi de trouver des alliances avec d'autres partenaires de l'Union. Cela me paraît très important pour avoir une vision de l'aménagement du territoire national à l'intérieur de l'espace communautaire. Cette articulation semble nécessaire.

Concernant les différents schémas de services, chaque région naturellement voit son propre intérêt. Certains avis sont très spécifiques. C'est l'intérêt de la démarche. Je ne ferai pas une synthèse qui pourrait enfermer trop le débat.

L'intérêt est que chaque région puisse donner sa vision et que le niveau national ne soit pas seul privilégié. Par définition, nous souhaitons qu'avec ces schémas de services, ce soient les territoires qui puissent affirmer leurs spécificités.

Globalement, l'ensemble du dispositif nous satisfait. Les régions ont pu voir dans cette mécanique l'occasion de définir leurs priorités. Cela dit, elles sont inquiètes à propos des lieux d'arbitrage de ces priorités. Quand on considère le schéma des transports, que l'on voit l'ensemble des projets de TGV, on constate que certaines priorités sont dégagées pour chacune des régions. Mais quand on analyse les finances publiques de ce pays et la capacité technique à engager ces différents projets, on voit que tout n'est pas possible.

Où et comment s'arbitrent les différents types de projets aujourd'hui présentés ? Comment s'arbitrent entre les diverses infrastructures les grandes priorités ? On constate des inquiétudes assez fortes, d'autant plus que sur certains sujets, on a l'impression qu'il existe des reculs entre les schémas de services et les contrats de plan. Nous pourrons citer des exemples.

L'autre schéma qui nous pose problème est celui de l'énergie. Toutes les régions qui ont des centrales nucléaires sur leur territoire estiment qu'il est difficile de parler de l'énergie aujourd'hui en excluant la perspective du nucléaire. Cette impasse nous place face à des difficultés importantes.

Concernant les espaces naturels et ruraux, il nous paraît manquer une vision de ruralité active, de ruralité renaissante qui fait que les territoires naturels et ruraux ne sont pas forcément que des territoires en difficulté. Notamment, il nous paraît nécessaire d'envisager un volet économique plus renforcé dans cette vision de la ruralité. C'est l'un des points importants que nous avions déjà eu l'occasion de débattre pour la LOADDT du 25 juin 1999.

Parler d'aménagement du territoire sans parler de développement économique territorial, de création d'entreprises, de développement d'entreprises, de pépinières, de stratégies de développement dans la ruralité peut laisser penser que la vision des schémas, en ce qui concerne les espaces naturels et ruraux ne donne pas une place à cette renaissance de la ruralité quand elle peut avoir lieu et se développer.

Dernier point, nous avons ressenti dans certaines régions, et de manière assez forte, des interrogations en matière culturelle. Nous sommes inquiets, pour de nombreuses régions, de voir les questions de patrimoine connaître une mésestime nationale, une sous-estimation nationale. Pour un grand nombre de territoires, le patrimoine est un élément majeur de l'identité territoriale. Cette prise en compte parait devoir être renforcée.

M. Alain Le Vern : Je voulais plutôt laisser le président de la commission permanente du CNADT s'exprimer, mais je veux bien faire deux ou trois observations en complément de ce qui vient être dit par le président Jean-Pierre Raffarin. Notamment, je ne redis pas l'aspect positif que constituent ce débat et cet exercice.

Puisqu'il s'agit d'une première, on doit se préoccuper d'un certain nombre de choses, notamment d'une ambiguïté sur la portée du document. Cette ambiguïté peut être d'abord juridique. Il est dit que "les projets majeurs non inscrits dans les schémas de services seront considérés comme incompatibles". Cela peut être considéré comme dramatique à l'horizon 2020 !

Partant de là, il existe une marge d'interprétation puisque les autres projets devront être compatibles s'ils respectent les orientations des schémas. Il y a donc là visiblement une ambiguïté qu'un tel document ne doit pas comporter.

On relève ensuite toute une série d'ambiguïtés ayant trait à la terminologie. On voit bien que l'on n'a pas su lever l'ambiguïté de la portée juridique. En termes de sémantique, le document comporte toute une marge d'incertitudes. Quelle est la nuance entre "permettre la réalisation de..", "préserver la réalisation ou la possibilité de réaliser", "réaliser à terme", "dégager des solutions", "ouvrir des perspectives" ?

Cela pose également la question des arbitrages : avant ou après 2020 ? En dehors de l'intérêt de ces documents, des ambiguïtés sur la terminologie et sur la portée juridique du document doivent être levées.

Ma deuxième observation concerne la compatibilité de ces documents avec des engagements plus larges envers l'Union européenne et dans le domaine de l'environnement, je rappelle à ce propos la récente déclaration des États-Unis, sur le protocole de Kyoto.

Ma troisième observation se rapporte à la cohérence des différents schémas entre eux. Notamment, pour n'en prendre que trois, la cohérence entre schémas de services sur le transport, l'énergie et les espaces naturels et ruraux. Il est nécessaire de faire un effort de mise en cohérence de ces trois documents et sans doute des autres.

Enfin, pour être plus particulièrement impliqué dans le schéma de transports au sein du CNADT, je m'interroge sur notre capacité à assurer les choix proclamés. Le choix des modes de transport dans les années qui viennent est capital. On voit bien que la tendance est de privilégier d'autres modes de transport que le transport routier, notamment pour le fret, que ce soit le ferroviaire, le fluvial ou d'autres.

En même temps, pour prendre l'exemple du ferroviaire, on ne voit pas comment l'objectif proclamé pourra être atteint si l'on ne se donne pas de nouvelles capacités à faire passer les trains et à disposer de sillons supplémentaires. On ne pourra pas augmenter à la fois le transport collectif des voyageurs et la capacité de transport de fret avec les infrastructures actuelles. Si on ne prend pas en compte cette dimension, l'échec est probable. Il ne faut pas qu'une volonté affichée puisse dès aujourd'hui être considérée comme étant un échec prévisible et prévu.

Encore une fois, mes observations sont plus une demande de meilleure lisibilité et d'éclaircissements. Il ne s'agit pas d'une analyse critique de l'ensemble de la démarche, que je salue au contraire. Nous avons eu des problèmes de temps. Venant après une phase de consultation très large, dans nos régions, de l'ensemble des acteurs de la vie politique, économique, sociale, culturelle, dans le cadre de la préparation des contrats de plan, on pouvait aussi considérer que l'on était en mesure de "rebondir" pour avoir une prévision et un regard à plus long terme. C'est un exercice nouveau et en ce sens, il a besoin d'ajustements, notamment de ceux que je viens de citer.

M. Robert Savy : Il faudra s'interroger sur la portée juridique de ce document. Le droit a tendance à devenir de plus en plus flexible. Ma crainte serait que ce document soit suffisamment "juridicisé" pour empêcher des avancées et insuffisamment "juridicisé" pour qu'elles se réalisent. On aurait perdu sur tous les tableaux.

Je ne crois pas que l'on puisse dans ce domaine des politiques publiques définir des politiques pour les vingt ans qui viennent. On peut probablement éclairer le paysage actuel, fixer des objectifs. On ne peut certainement pas aller plus loin. On n'empêchera aucun pouvoir politique régulièrement désigné dans quinze ans d'ici de faire la politique qu'il estimera bonne, quoi que l'on ait mis dans notre document aujourd'hui. Puisque l'on sait qu'il en sera ainsi, je préfèrerais que l'on annonce clairement que cela se rattache beaucoup plus à de la prospective qu'à la définition de politiques publiques. Dans le document de présentation, on nous dit que "l'on organise des politiques publiques pour vingt ans". Ce n'est pas vrai : on réfléchit au contexte dans lequel il y a des chances pour qu'elles se posent.

Si l'on regarde le fonds de l'exercice, je crois que l'on passe très vite sur cet aspect novateur pour insister sur ce qui ne convient pas. Il ne faut pas se méprendre : c'est une démarche très novatrice, de partir des attentes des citoyens, des besoins, de la demande de services, plutôt que de l'offre. C'est une quasi révolution dans l'approche. Que l'on n'y réussisse pas dès la première fois me paraît assez être dans l'ordre des choses. C'est la précaution que je prends avant de relever des éléments qui me paraissent des insuffisances ou des risques.

Il me semble que les schémas prennent acte d'un certain nombre d'évolutions en cours, mais se résignent à ces évolutions. On essaie de les organiser au mieux, mais en sous-estimant les conséquences qu'elles peuvent avoir au plan de la cohésion territoriale. Autrement dit, je trouve que cela manque de volontarisme. Quand on en manque dans ce qui est vague et lointain, cela ne prédispose à en avoir beaucoup dans l'action quotidienne. On pourrait être plus ambitieux sans frais parce que ce sont des perspectives et des objectifs.

Par ailleurs, on n'est pas allé assez loin dans la transversalité. On a commencé à progresser, on parle de transports et on ne parle plus de faire des routes et des canaux. On parle d'espaces ruraux et pas seulement d'agriculture d'un côté et d'environnement de l'autre. On juxtapose des schémas, mais il semble que l'on n'a pas fait le lien entre eux. Je me demande si ce sont des schémas nationaux ou des juxtapositions de schémas trans-régionaux. Je suis quelque peu effaré quand je lis dans l'introduction générale que "l'on voit apparaître de grands ensembles inter-régionaux qui sont déjà spécialisés dans leurs vocations". Il y a là le Grand Ouest et le Nord en matière de recherche, la diagonale centrale pour les services culturels. Ce sont des simplifications qui n'ont rien à voir avec la complexité des choses. La tonalité générale, ce sont des thèses bien connues sur la polarisation autour des grands fleuves, des grands estuaires, etc. Si c'est cela que l'on veut faire, que l'on ouvre le débat, mais qu'on ne le glisse pas implicitement. J'aimerais que l'on évite les ambiguïtés à ce sujet.

Je comprends que l'on ne se soit pas posé le problème de l'organisation des territoires. La décentralisation est un autre sujet que les schémas de services collectifs. En revanche, il ne faut pas dire que les collectivités locales seront de plus en plus associées à l'investissement dans les télécommunications. Ou bien on laisse de côté des aspects liés aux institutions et aux financements, et on n'en parle pas, ou bien on en parle, et de mauvais esprits pourraient penser que l'on commence à instiller des idées dont on va tirer des conséquences ensuite. Je me dis qu'il est temps encore d'éviter ces fausses interprétations. On doit pouvoir amender ce travail de sorte que ces risques apparaissent moindres.

Je confirme ce qui a été dit sur la dimension européenne. On ne peut parler de territoire national sans parler de ce qui structure l'espace européen. Il existe aussi une lacune forte : la compétitivité des territoires est largement commandée par l'existence de services publics ou marchands sur l'ensemble des territoires. Il faut se demander si ces perspectives permettront à tous les territoires d'être compétitifs dans vingt ans ou si la poursuite de certaines tendances comme l'ouverture des services publics à la concurrence n'est pas en train de condamner des pans entiers du territoire.

M. Adrien Zeller : Je suis complètement d'accord avec les propos que je viens d'entendre. Je voudrais insister sur trois aspects :

- le déficit de transversalité. Il a pour conséquence que l'on ne fait pas le lien entre les schémas de services et l'organisation urbaine. Nous savons bien que les services, pour l'essentiel, doivent se répartir selon un certain nombre de niveaux d'urbanisation (métropoles régionales, villes moyennes, bourg-centres) pour toucher le plus grand nombre de nos concitoyens qui sont aussi répartis dans le monde rural. Par conséquent, j'aurais souhaité que l'on désigne explicitement qui a vocation à accueillir quoi. Je pense aux villes moyennes, aux villes relais, aux bourgs centres, etc.. Si l'on veut une bonne répartition, une égalité d'accès, il faut dire quels types de lieux ont vocation à accueillir quoi. C'est très important et cela manque beaucoup. Si l'on veut imaginer un espace cohérent, il faut bien voir ce que l'on met, où on le met et il faut y réfléchir davantage.

- toute une série de fonctions ne sont pas citées. La carte judiciaire est régulièrement évoquée ; elle est essentielle dans le débat puisque les services collectifs doivent servir au fonctionnement de la société. Je pense aussi au secteur médico-social et pas seulement au sanitaire. Le médico-social est très important. Toute une série d'établissements, de fonctions, de missions de type médico-social sont au moins aussi importantes que le sport. Il y a là tout un volet de secteurs non couverts.

- l'importance du secteur des transports. On ne fera pas l'économie d'un pas supplémentaire pour essayer de sélectionner les priorités. J'entends les représentants du Nord-Pas-de-Calais ou ceux de Rhône-Alpes parler de leurs préoccupations, des risques de congestion d'une série d'infrastructures - il ne s'agit pas de risques potentiels, mais de la réalité actuelle - : il faut essayer d'aller plus loin. Je pronostique un collapsus majeur dans le domaine des transports dans les cinq à dix prochaines années. Il faut bien choisir les priorités, raisonner transports et pas seulement infrastructures, intermodalité. Encore faut-il franchir un pas de plus ! Il aurait été intéressant qu'un exercice du type schéma de services collectifs aille jusqu'à l'analyse de la compatibilité entre les moyens actuels - même s'ils viennent d'être augmentés au titre des contrats-cadre, le ferroviaire par exemple - et les besoins prévisibles à raison de dix ou vingt ans. Il faut identifier lucidement les risques dans ce domaine. Je suis de ceux qui pensent qu'en matière d'infrastructure, notre pays devrait doubler l'effort dans les vingt prochaines années. Sinon, il n'y arrivera pas, sinon il ne tirera pas partie de sa situation géographique et ne répondra pas aux attentes des riverains, des usagers, des villes qui veulent être contournées ou desservies. Dans ce domaine, nous allons vers un problème absolument majeur. Il est de notre devoir de le signaler. Si l'on fait le bilan de tout ce qui est attendu, et même en faisant un tri sévère, on se rend compte que l'on sera loin du compte

Ma dernière réflexion ne vous surprendra pas sachant que je viens d'une région frontalière. Il aurait mieux valu regarder de près les articulations entre les régions frontalières et les espaces européens voisins.

Enfin, je veux insister avec Robert Savy sur le déficit de volontarisme global. C'est un schéma d'accompagnement plus que d'affirmation claire d'un mode d'organisation d'avenir de l'espace et des fonctions collectives dont notre société et notre pays ont besoin.

M. le Président : Vos points de vue sont intéressants dans la mesure où ils sont convergents. Ils nous offrent à la fois une analyse assez large de ces schémas de services collectifs et un certain nombre de critiques, et de critiques positives puisqu'il s'agit ici d'enrichir ces schémas.

Sur deux points évoqués par le président Jean-Pierre Raffarin, je voudrais dire que les parlementaires sont un peu responsables de certaines insuffisances des schémas. Je pense notamment au nucléaire. Nous avons dans cette Assemblée une majorité de parlementaires qui accordent une grande importance à la politique de l'énergie et à ce que cette politique soit du ressort national. Quand nous avons travaillé sur la définition et le périmètre des schémas dans la discussion de la loi, nous avons peut-être réduit ce périmètre, parce nous avions le souci de ne pas nous engager dans la voie du démembrement de la politique nationale en matière énergétique. Les premières versions du projet de loi étaient plus ambitieuses que la loi définitive.

Ma deuxième remarque porte sur la consultation. Il est vrai que l'aménagement du territoire nécessite une appropriation des stratégies par ceux qui vivent sur le territoire, qu'il s'agisse des entreprises ou des citoyens. Ici, nous allons beaucoup plus loin que ce qui s'est fait dans le passé. Par la loi, nous avons essayé d'introduire un certain nombre de consultations plus larges, notamment en élargissant les commissions régionales d'aménagement et de développement du territoire (CRADT). Peut-être y a-t-il en matière de démocratie participative des choses à inventer sur lesquelles le législateur a manqué d'imagination ou peut-être de temps ?

Pour le reste, nous retrouvons certains points que nous avions aussi identifiés, par exemple, les problèmes d'intégration de notre planification territoriale dans l'espace européen. C'est probablement dû à un manque de temps pour rédiger les schémas, car le travail préalable du schéma de développement de l'espace communautaire fournissait un cadre de départ intéressant.

Nous retrouvons aussi l'exigence de transversalité qui est importante pour synthétiser.

Du point de vue critique, je rejoins Robert Savy sur la difficulté de faire de la planification à vingt ans sur un certain nombre de thèmes. Cela semble illusoire et nous sommes plus dans la prospective que dans la planification. On le voit sur certains schémas, qu'il s'agisse de l'information et de la communication, qu'il s'agisse du schéma sur la culture. Ce sont des matières infiniment plus complexes à imaginer et il est difficile de se projeter dans l'avenir.

C'est pourquoi les craintes sur le caractère plus ou moins prescriptif des schémas me semblent modérément fondées puisqu'ils devront être revus, comme l'avait précisé la ministre lors de la discussion législative.

Nous retrouvons un certain nombre de vos préoccupations, même si sur certains points, je ne serai pas aussi pessimiste que vous avez pu l'être ici ou là. Mais pour critiquer, il faut toujours forcer un peu le trait.

M. Jean-Pierre Raffarin : Ou le modérer.

M. le Président : Je propose de passer la parole à mes collègues qui sont les rapporteurs d'un certain nombre de schémas : M. Pierre Cohen suit le schéma de l'enseignement supérieur et de la recherche, M. Jean-Michel Marchand, le schéma de l'énergie et Marie-Françoise Pérol-Dumont celui de la culture.

M. Pierre Cohen : Si vous nous avez fait part de vos interrogations et de vos inquiétudes, vous avez tous commencé en disant que l'exercice était intéressant. Il est tellement novateur que même les acteurs principaux ont quelques difficultés à en voir les limites. On sent bien qu'un plan qui serait peu appliqué n'est plus à l'ordre du jour et qu'il faut donc absolument aller plus loin. La logique consiste à répondre à la demande et à faire que le plus possible d'acteurs s'approprient cette démarche.

Les régions sont des interlocuteurs privilégiés dans cette démarche ; il est évident qu'elles devront jouer un rôle important dans l'avenir pour voir comment les départements et les nouveaux territoires émergents peuvent se l'approprier et être acteurs des schémas de services collectifs.

Pour ma part, je soulignerai que tout ce qui est général dans les schémas est relativement intéressant et a été approuvé, même s'il existe des critiques et des propositions de modification ; en revanche, l'exercice de déclinaison au plan régional a été relativement critiqué.

Je crois qu'il existe une ambiguïté très forte entre, d'une part, le débat qui a lieu sur la loi et la volonté de réaliser l'exercice, et, d'autre part, (je le dirai sans trop la critiquer), le fait que la DATAR a défini un aménagement du territoire sans trop de débat, dans le cadre du document France 2020. Il y a une ambiguïté et les régions doivent tenir compte de cette dichotomie.

Les auteurs de ces schémas ne sont pas complètement en phase avec ce que voulait le Gouvernement et les législateurs. On perçoit des décalages ; c'est l'objet de tous les avis qui seront donnés que de les faire ressortir.

Pour l'enseignement supérieur et la recherche, les découpages de régions ne correspondent pas à ce que l'on connaît sur le terrain. On sent bien qu'a priori, cela a été plaqué. Le découpage nécessite un vrai débat. Des interrégions doivent-elles émerger ? Si c'est le cas, je ne suis pas sûr que ce soit pareil pour l'enseignement supérieur et pour les transports ou les espaces ruraux. C'est un point extrêmement important que soulevait Robert Savy.

D'autres besoins existent, comme les services judiciaires. Dans la politique de la ville, on perçoit des décalages quand on parle de proximité et d'adéquation entre justice et territoire. La pompe a été amorcée ; on arrivera à l'améliorer.

M. Jean-Michel Marchand : Vous avez remarqué que le schéma de services de l'énergie est un peu particulier, puisque chacun d'entre nous a bien remarqué que la part essentielle en avait été exclue. En ajoutant l'exclusion de la carte judiciaire, on aura donc exclu deux domaines sensibles sur notre territoire à un temps donné. L'évolution des esprits n'est pas encore suffisamment prise en compte par les politiques. Ils n'ont pas osé aller jusqu'au bout ; ils avaient plus avancé dans le projet initial.

Je voudrais faire une remarque préalable sur ce que j'ai entendu sur la planification à vingt ans. Je partage cet avis selon lequel planifier à vingt ans n'a pas grand sens. J'émets cependant une réserve. J'ai pris il y a quelques temps des cartes tracées par la DATAR il y a vingt ou trente ans, cartes qui prévoient l'aménagement du territoire. En les mettant en parallèle avec la réalité d'aujourd'hui, on s'aperçoit d'une corrélation très forte, en particulier pour les régions qui n'étaient pas dans les grands secteurs de développement. On sait ce qu'il en est pour certains d'entre nous. Soyons très prudents car ce qui sera préconisé aujourd'hui aura des incidences fortes sur l'avenir, même s'il a été prévu de revoir ces schémas de manière régulière et ponctuelle afin de pouvoir adapter les orientations prises en fonction des réalités.

De plus, je crois beaucoup en la force de proposition des collectivités territoriales, et parmi elles, des régions et des nouvelles structures territoriales, comme les communautés d'agglomérations et de communes, dès maintenant, et les pays, demain.

Pour en revenir à l'énergie, il est intéressant que ce schéma existe. Il aurait pu ne pas exister, l'État se réservant le droit de gérer ce secteur de façon très centralisée. L'énergie n'est plus considérée comme un moyen, mais comme un facteur de bien-être collectif et de développement local, de lutte contre le chômage.

Mais on sent bien que ce schéma hésite entre deux directions : économies d'énergie et énergies renouvelables. Il nous faudra savoir quels sont, suivant les régions et les lieux, les domaines à privilégier. Où pourra-t-on mettre en place des productions d'énergie renouvelable ? On sait aussi que l'on peut partout participer à une maîtrise de l'énergie par réduction des consommations et à une optimisation de l'énergie produite. Je ne reviens pas sur le nucléaire, mais la France étant dans la situation que l'on connaît, on ne pourra pas passer à côté de cette réflexion. En effet, vingt ans, c'est court et les décisions concernant le renouvellement du parc devront se prendre dans les toutes prochaines années, même si les centrales ont cette caractéristique de pouvoir vieillir de plus en plus (60 ans au Japon, 40 ans chez nous). Nous avons donc encore du temps, mais pour les toutes premières centrales construites, il faudra prendre des décisions.

Cependant, nous disposons de temps parce que les économies que nous sommes capables de faire peuvent nous permettre d'arrêter un ou deux sites sans préjudice énorme sur la nécessité d'avoir de l'énergie à notre disposition.

Je voudrais faire un point sur le transport, même si je n'en suis pas responsable, pour insister sur le fait qu'il n'y a effectivement pas de lien suffisant entre certains schémas, notamment celui du transport et celui de l'énergie. J'en suis très préoccupé. On sait très bien que nous serons en situation de blocage dans dix ans. Je suis très préoccupé de voir Réseau Ferré de France céder des portions de voies pour installer certaines activités touristiques, quand on sait la difficulté que l'on aura à recréer des couloirs et des emprises foncières pour faire passer les trains. Je pense qu'il serait judicieux de garder ce que l'on a pour le moment. Le fret peut circuler doucement. On peut donc utiliser des lignes moins directes, mais qui drainent le territoire. Quand on touche aux lignes secondaires, je pense que l'on prend des risques pour l'avenir.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont : Je rejoins le président Adrien Zeller sur le manque de volontarisme du schéma de transport. Je le rejoins également sur le fait qu'il faudrait bien doubler les efforts à vingt ans.

Mon sujet, le schéma de services culturels, n'est pas le plus polémique ni le plus problématique, mais c'est celui qui intéresse le plus les divers secteurs. Si un domaine échappe a priori à la planification, c'est bien le domaine culturel. A telle enseigne que pour certains, planifier peut paraître iconoclaste, voire agressif. C'est un milieu souvent très indépendant, très nucléarisé, pour lequel il est très difficile de réfléchir à long terme. Pour autant l'exercice est intéressant.

J'ai noté avec intérêt les propos du président Jean-Pierre Raffarin sur la prise en charge insuffisante du problème patrimonial. Nous avons soulevé ce point.

Le schéma de services culturels définit la région comme l'échelon essentiel d'aménagement culturel. Tout cela reste fort vague quand on sait que les régions consacrent 2 % de leur budget à la culture, que dans les autres collectivités territoriales comme les départements, cela varie de 1 à 12 et que la majeure partie des dépenses culturelles est assumée par les municipalités avant même l'État.

Etes-vous favorables, messieurs les présidents de région, à un accroissement - ou à une définition, car pour l'heure, il n'y a pas de compétence qui soit vraiment prescrite pour les régions - des transferts de compétences en matière culturelle ? Le processus de décentralisation culturelle initié en 1982-1983 s'était limité à quelques transferts de compétences aux conseils généraux en termes de bibliothèques et d'archives départementales. Souhaitez-vous que ce processus de décentralisation aille plus loin ? Y a-t-il des compétences, patrimoniales par exemple, que les régions revendiquent en particulier ? Quelle serait la collaboration avec les autres collectivités ?

Vous avez tous fait allusion à l'absence de transversalité. S'il y a un schéma pour lequel la transversalité est nécessaire, c'est bien le schéma de services culturels, notamment avec l'éducation, si l'on s'en tient aux déclarations récentes du ministre. Je souscris tout à fait à la nécessité d'intégrer davantage la culture et l'éducation. Or, il n'existe pas de schéma de l'éducation, mais seulement un schéma de l'enseignement supérieur. Cela pose donc problème.

Par ailleurs, j'ai auditionné les associations caritatives représentant les exclus de la culture, on a bien vu que ce schéma de services culturels devrait être relié à des schémas sociaux. Il y a des carences en termes de transversalité que vous avez soulignées et que l'on constate aussi au niveau du schéma de services culturels.

Afin de terminer sur une note positive, le schéma me semble très intéressant notamment pour la professionnalisation des acteurs culturels, milieu dont on sait la grande précarité. Ce schéma devrait permettre d'aller vers plus de précisions en ce domaine.

M. le Président : Ma première question, d'ordre technique, prolonge les propos de Mme Marie-Française Pérol-Dumont et de M. Jean-Michel Marchand sur les infrastructures. On voit bien que l'on est dans un système de contraintes. Nous avons des contraintes environnementales évoquées sous l'aspect du respect des engagements internationaux, la contrainte de Kyoto. Nous avons des contraintes économiques avec une montée en puissance de l'activité économique et donc, du trafic. Nous avons aussi des contraintes financières pour le financement des grandes infrastructures.

Quel est selon vous le choix stratégique le plus pertinent en matière d'infrastructures ? Le basculement du transport routier vers le transport ferroviaire est-il la panacée aux enjeux des vingt prochaines années ?

Comment peut-on financer cette modernisation et cette transformation des infrastructures ? Est-ce à moyens constants ou faut-il prévoir un effort financier supplémentaire ? Comment le mobiliser dans ce cas ?

Plus généralement, quelle est la place à venir de l'État en matière de stratégie d'aménagement du territoire, alors qu'il est de plus en plus concurrencé par une Europe qui voit son champ de compétences s'élargir et des régions qui ont aussi un niveau de compétences et des missions stratégiques plus importantes ? L'État est-il celui qui définit une stratégie nationale ? Est-il le garant de l'équité ? Comment voyez-vous son positionnement s'installer dans la perspective à vingt ans en matière d'aménagement du territoire ?

M. Jean-Pierre Raffarin : J'ai bien entendu vos messages sur le côté novateur. Je les partage, mais en partie seulement. Ce qui n'est pas novateur, de mon point de vue, c'est la composition de la commission régionale d'aménagement et de développement du territoire (CRADT). C'est un retour à la notabilisation. Quand vous souhaitez que les territoires émergents et que le niveau infrarégional puissent exister, sachez que les départements ne se sentent pas du tout consultés quand ils sont invités à la CRADT. Elle n'est pas l'espace dans lequel ils sont consultés. Ils le disent tous. Les villes également, les agglomérations ne se sentent pas écoutées et entendues quand elles sont mêlées ainsi à des structures très métissées, un public très diversifié.

M. le Président : Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont pourra vous confirmer que l'on a fait beaucoup d'efforts pour réintroduire les départements dans le mécanisme de consultation. Jusque là, c'était le "tout région", c'était la satisfaction donnée aux présidents de région.

M. Jean-Pierre Raffarin : Les régions sur ce sujet ont à présent une puissance naturelle et il sera difficile d'aller contre. Je pense vraiment que la CRADT comme espace de consultation est un espace intéressant, mais qu'aujourd'hui, on perçoit des risques importants de notabilisation de cette structure. Donc, cela ne répond pas forcément aux besoins de contact avec le citoyen. On peut aller plus loin dans la lisibilité et la consultation.

Je veux aussi appuyer ce que vous avez dit sur le découpage interrégional, sous-jacent dans ces schémas. La DATAR fait du suivisme mondialiste. Quand on demande à M. Jean-Louis Guigou pourquoi Poitou-Charentes doit être systématiquement avec les Pays de Loire et pas avec le Limousin ou l'Aquitaine, il nous sort les cartes des grandes entreprises, les cartes de France Télécom, les cartes des directions commerciales des multinationales. Il nous dit que ce sont les espaces économiques d'aujourd'hui. Il y a là un suivisme qui est préoccupant pour nous tous. Je rejoins donc l'appel au volontarisme qui a été exprimé tout à l'heure.

On ne peut pas non plus engager cette discussion sans en même temps associer la réflexion sur l'évaluation des contrats de plan. Les schémas de service souffrent dans leur crédibilité du retard que prennent les contrats de plan, notamment pour les infrastructures. Je réponds à votre question, monsieur le président, sur l'option "route ou ferroviaire". On a le sentiment qu'il y a un consensus pour favoriser le ferroviaire pour l'avenir. Mais en regardant l'exécution des contrats de plan, nous sommes très inquiets parce que nous ne voyons pas les conditions du transfert arriver aujourd'hui. Quand on voit tous les élus appeler à l'avenir du ferroutage et le retard pris par les infrastructures ferroviaires, nous avons cette perspective de blocage dont parlait le président Adrien Zeller tout à l'heure.

Il faut un vrai consensus pour faire un saut quantitatif et qualitatif en faveur du ferroviaire. Nos régions sont fragilisées par la progression du transport par camion avec les problèmes de sécurité, d'environnement et d'entretien des routes qu'il entraîne. Ma région est transpercée par le trafic ibérico-nord européen. Le transfert sur le ferroviaire est l'avenir, mais on n'a pas les moyens aujourd'hui d'envisager cet avenir avec optimisme.

Sur le financement des routes, je considère personnellement qu'il faut aller vers la délégations des maîtrises d'ouvrage aux régions. Elles demandent simplement à ne pas payer de TVA. La délégation pourrait être limitée à des axes définis par l'État dans les schémas afin qu'il puisse assurer son rôle de cohérence. Nous serions d'accord par exemple pour une initiative de mise à deux fois deux voies sur la RN 147 entre Poitiers et Limoges. Ce sont là des avancées possibles. Les conditions d'emprunt sont telles que les collectivités territoriales pourraient s'engager sur des projets de cette nature à condition qu'ils soient inscrits dans des schémas pour éviter les désordres et pour que cela se fasse de manière structurée.

Concernant la culture, je pense qu'il existe trois domaines dans lesquels les régions pourraient faire plus et avoir plus de responsabilités. En matière de patrimoine, on pourrait aller très loin dans le transfert des compétences. En matière de création, nous pourrions renforcer notre action. La lutte contre la fracture territoriale, notamment certains problèmes de diffusion, pourrait être traitée de manière infrarégionale. Le problème d'aménagement du territoire et de fracture se situe entre les régions, mais il est aussi à l'intérieur des régions. Cette mission régionale est à renforcer. La culture est un domaine dans lequel la dimension régionale est forte. L'État intervient au travers de la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC). Il faudrait éviter qu'il puisse s'implanter davantage dans des structures infrarégionales.

Je suis assez inquiet de la démultiplication des structures dans lesquelles l'État compte jouer un rôle pilote au niveau local. On remarque une forme d'étatisation de certaines commissions. Je pense aux structures créées partout sur des sujets très nombreux. Aujourd'hui, on crée des groupes de travail, des commissions. On met l'État au sein de ces commissions en position d'arbitre. Les régions n'ont pas les moyens d'être présentes dans toutes ces structures. La démultiplications des structures fait que tous nos élus devraient passer leur temps dans ces structures. La conséquence est que l'administration a souvent un poids considérable dans ces lieux de concertation. Mais au total en se dispersant, l'État s'essouffle..

M. le Président : L'administration en a-t-elle les moyens ? Ce n'est pas évident !

M. Jean-Pierre Raffarin : C'est vrai. Mais il y a là une difficulté importante pour les collectivités territoriales.

M. Adrien Zeller : On a parlé de force de proposition, de l'intérêt d'avancer des conceptions et des visions. A mon sens, il n'y en a pas assez et je ne critiquerai pas l'intérêt de l'exercice.

Quand j'étais au Gouvernement, je m'occupais des personnes âgées. J'ai traversé la France en disant qu'il fallait une maison de retraite dans chaque canton. C'est un message simpliste, mais il porte. Je dis à présent qu'il faut une structure performante d'emploi-formation dans chaque bassin d'emploi. C'est une conception simple et porteuse car cela structure la pensée, les projets et la manière d'approcher le sujet.

En matière culturelle, il faut une structure d'animation et de vie culturelle forte dans chacun des futurs pays.

Dire de telles choses est très important. Quand on parle de désenclavement, il faut donner un contenu un peu plus concret à ce que pourrait être le désenclavement en France.

M. Jean-François Poncet disait qu'il fallait que chacun ait une autoroute à moins de 50 kilomètres. Je ne dis pas que c'est une vérité établie, mais cela illustrait une volonté. La cohésion sociale du territoire est un des domaines où l'État et les collectivités régionales doivent avoir un rôle d'incitation, de guide et doivent être tout à fait dirigistes. Etre dirigiste, cela ne veut pas dire vouloir tout gérer, mais être garant que l'accès existe et peut-être sous-traiter la gestion de tel ou tel service.

A propos de la culture, il faut prévoir des transferts de compétences pour le patrimoine. Je sais bien qu'on va poser la question financière, mais nous réfléchissons en termes d'organisation prospective. L'organisation artistique peut très bien être décentralisée. Je ne dis pas que cela me ferait plaisir de devoir payer plus, mais ce serait logique.

On sous-estime le rôle de l'audiovisuel demain. Nous allons entrer dans l'ère de la télévision numérique. Nous avons le système audiovisuel public le plus hyper "concentralisé" du monde et d'Europe. Il est temps de diffuser les ressources, les matières grises et les emplois afférents. Quand on créera de nouvelles chaînes thématiques numériques, peut-être pourra-t-on imaginer qu'elles soient installées ailleurs qu'à Paris. Je viens d'inaugurer ARTE à Strasbourg. Tout le monde s'accorde à dire que ARTE, chaîne culturelle s'il en est, vit bien et prospère à Strasbourg et non à Paris. Miracle !

Peut-on concevoir que des intervenants culturels nationaux ou européens soient ailleurs qu'à Paris ? Laissons-nous bouleverser un peu et voyons l'espace organisé autrement. En effet, ce sont des emplois à la clef, c'est un autre mode de fonctionnement. Tout cela doit être redit à l'occasion de l'organisation du schéma culturel.

S'agissant du financement, compte tenu des responsabilités des régions en matière de transports, je verrais bien qu'elles reçoivent une part de TIPP.

A propos de l'énergie nucléaire, je souhaiterais que la réelle mutation de la politique de l'énergie vers plus d'énergie durable soit organisée régionalement. Les régions seraient motivées pour s'y engager. On éviterait la pluralité des acteurs, les dédoublements de services. Il s'agit de dire que l'on confie aux régions la mission d'animer la politique de développement énergétique durable.

M. Jean-Michel Marchand : Ce n'est pas exclu du schéma.

M. Adrien Zeller : Ce n'est pas exclu, mais ce n'est pas dit. Une partie importante des fonctions gagnerait à être décentralisées.

M. Nicolas Forissier : J'aimerais avoir la position de l'Association des régions de France sur l'installation des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Quel est votre avis sur ce schéma ? Considérez-vous que le schéma tel qu'il est instruit avec un horizon à dix ans est raisonnable ou pas ?

Trouvez-vous normal que ce soient les collectivités locales qui participent -comme c'est déjà le cas dans certains endroits- à la couverture des zones blanches restantes, notamment en téléphonie mobile ? Attendez-vous plus de l'État et notamment du schéma ? Attendez-vous qu'il donne des indications plus précises ?

Quelle est votre expertise des procédures d'investissement lancées pour l'Internet à haut débit ? Il y a là un rôle que les régions ont pris en main. Pouvez-vous préciser les raisons et les modes d'intervention retenus sur ce sujet ?

Si l'on raisonne aménagement du territoire au sein de cette délégation, le problème n°1 qui se pose, soit directement soit implicitement, est celui des infrastructures. Les nouvelles technologies de l'information et de la communication sont-elles un vecteur d'aménagement du territoire, d'équité du territoire ? A quel prix ? Considérez-vous que les régions en particulier, les collectivités locales et les collectivités territoriales en général doivent participer et à quel niveau ?

Est-ce du ressort de l'État ? La couverture des zones blanches du réseau téléphonique est-elle du ressort des collectivités locales et de l'État dans le cadre d'un partenariat ? Quelle doit être la clef retenue selon vous ?

M. Robert Savy : Je répondrai d'abord à la question sur la culture posée par Mme Marie-Françoise Pérol Dumont. Je souhaite que tous les niveaux de l'administration soient compétents en matière de culture. C'est une condition de la liberté de la création. Je ne voudrais pas que l'on attribue la culture à un niveau territorial quelconque. En revanche, pourraient relever davantage de la région la formation aux métiers de la culture et peut-être l'aménagement culturel du territoire régional. Il s'agit par exemple de veiller à ce que dans tel espace infrarégional, il y ait une salle équipée pour telle ou telle activité. Mais la création elle-même ne doit être attribuée à quiconque !

M. Philippe Duron nous a posé des questions sur le financement des infrastructures. Il faut se demander si l'on continue à financer les réponses à l'engorgement ou si l'on n'essaierait pas plutôt de financer un autre système de réseau qui ne se limite pas à renforcer une fois de plus les territoires engorgés. Je ne suis pas sûr que la capacité de la vallée du Rhône soit infinie. Peut-être faut-il se dire qu'on peut faire autrement ?

S'agissant du rôle de l'État, je crois que nous sommes dans une période un peu difficile où il se sent agressé par le haut avec l'Europe et par le bas avec la décentralisation. Je suis convaincu que la dimension nationale reste pour de longues années encore la dimension essentielle du point de vue de la cohésion d'un groupe humain. Cela veut dire sûrement que l'État doit s'interroger sur ce qu'il doit faire. Il pourrait se débarrasser sans inconvénient de nombreuses tâches de micro-gestion qui n'ont aucun caractère stratégique. Il y a là, place pour une vaste décentralisation. Par contre, il faudrait peut-être apprivoiser le principe de subsidiarité dans l'ordre national.

En revanche, seul l'État peut faire certaines actions, toutes les fois que la cohésion de l'espace national est en cause. Je comprends tout à fait qu'on lui ait réservé le nucléaire. Ce qui m'a inquiété dans ce que vous avez dit, c'est que l'on ne lui ait pas réservé l'enseignement supérieur ou la recherche. C'est pourtant aussi important du point de vue de la cohésion nationale que le nucléaire. Je ne pense pas que l'État puisse abandonner ses prérogatives dans ce domaine malgré les tentations.

En ce qui concerne la desserte à haut débit, il existe un risque de fracture nationale dans les prochaines années. Les causes en sont complètement politiques. A partir du moment où ce qui était du domaine des services publics est ouvert à la concurrence, cela veut dire que là où il n'y a pas de marché, il n'y a pas de service. Or, fondamentalement, le rôle de l'État est de garantir l'égalité. Je n'ai pas envie qu'il y ait du haut débit en Limousin parce qu'il est juste qu'il y en ait, mais parce que chaque territoire a une compétitivité à acquérir dans l'intérêt de la communauté nationale. C'est de la responsabilité de l'État de faire en sorte que l'ensemble de son territoire soit compétitif.

M. Jean-Pierre Raffarin : Pour la télévision numérique terrestre se posera la question de la nature de l'action publique. Nous aurons besoin, notamment dans la télévision interactive, de la définition du champ d'intervention de l'action publique. Je pense par exemple au champ éducatif.

M. Nicolas Forissier : On a le sentiment aujourd'hui que le schéma de services collectifs est très vague sur la dévolution des responsabilités. Elle ne répond pas aux souhaits que vous venez d'exprimer. On a le sentiment que devant ce flou ou cette manière subtile de se défausser de l'État en raison des enjeux financiers, certaines régions ou conseils généraux ne veulent pas perdre de temps et jettent toutes leurs forces pour équiper eux-mêmes leur territoire en haut débit, finançant cela éventuellement dans le cadre de contrats de plan État-région. C'est ce qui se passe dans ma région. Pensez-vous que l'on peut laisser le mouvement se faire tout seul, ce qui risque d'aboutir à des incohérences et de ne pas répondre à vos préoccupations, ou considérez-vous qu'il faut tirer la sonnette d'alarme ?

M. Robert Savy : J'aime encore mieux financer les réseaux à haut débit que les routes nationales. Sur le plan des principes, c'est la même problématique ; sur le plan des coûts, c'est plutôt moins cher ; sur le plan stratégique, c'est probablement plus important.

M. Adrien Zeller : Il faut donner le haut débit partout, notamment dans les bassins d'emploi secondaires, dans les vallées vosgiennes. Faute de voir poindre une action de l'État, les collectivités territoriales s'y mettent.

Mon collègue Robert Savy parlait de "réserver la recherche". L'État doit bien sûr intervenir sur la recherche, mais cela ne veut pas dire que les régions ne doivent pas intervenir. Certaines recherches sont d'intérêt régional. Il faut que l'État ait une stratégie, mais cela ne veut pas dire que les autres ne doivent pas en avoir.

M. le Président : Je vous remercie pour cette audition très riche par la variété des analyses, leur complémentarité sur les schémas de services collectifs et sur les propositions fondées sur l'expérience des régions et la vôtre. Je souhaite que les schémas de services collectifs soient encore améliorés pour faire en sorte qu'ils aient une vie au service à la fois des stratégies nationales et locales.


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