ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 3

mercredi 17 octobre 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Jean-Michel MARCHAND, vice-président.

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Marc LAMIDEY, directeur du marketing et du développement d'Air France, accompagné de M. Yorik PELHÂTE, chargé des relations avec le Parlement et les institutions, sur la création d'un nouvel aéroport à vocation internationale

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La délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a entendu M. Marc LAMIDEY, directeur du marketing et du développement d'Air France, accompagné de M. Yorik PELHÂTE, chargé des relations avec le Parlement et les institutions, sur la création d'un nouvel aéroport à vocation internationale.

M. le Président : Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Marc Lamidey, directeur du marketing et du développement d'Air France, que nous auditionnons sur la création d'un nouvel aéroport à vocation internationale.

La délégation a commencé des auditions sur ce sujet au mois d'octobre seulement afin de ne pas interférer avec la démarche d'utilité concertée pour un site aéroportuaire international (DUCSAI) conduite par M. Pierre Zémor. La délégation souhaite surtout réfléchir à l'implantation d'un nouvel aéroport sous l'angle de l'aménagement du territoire et en déterminer les conséquences sur la population et le développement régional. L'avis de la compagnie Air France, dont le hub est actuellement à Roissy, est évidemment important dans ce débat, c'est la raison pour laquelle nous avons souhaité vous entendre.

M. Marc LAMIDEY : Monsieur le président, messieurs les députés, je vous remercie de me recevoir, je pourrai ainsi apporter à La délégation tous les éléments d'information qu'elle souhaite connaître sur la vision d'Air France en ce qui concerne la nécessité d'un troisième aéroport à vocation internationale. Pour ce faire, je vais vous exposer la synthèse des positions prises par Air France lors du débat public.

La compagnie Air France a souhaité intervenir dans ce débat public à trois titres. Tout d'abord, en tant qu'expert de transport aérien. Ensuite, en tant que principal opérateur des aéroports parisiens : le développement d'Air France est lié à celui de ces infrastructures, même si elles ne sont pas entièrement dévolues à l'exploitation d'Air France ; de nombreux autres opérateurs utilisent les différentes plates-formes parisiennes. Enfin, la compagnie Air France souhaite intervenir en tant qu'entreprise citoyenne. Elle est en effet soucieuse de s'inscrire dans une démarche de développement durable, en bon voisinage avec les communautés concernées.

Air France s'est clairement prononcée en faveur de la construction d'un aéroport ou de la mise en place de capacités supplémentaires dans le bassin parisien, à l'horizon 2015 - c'est le temps nécessaire pour construire un aéroport. Nous sommes persuadés - comme l'ensemble de la communauté internationale des transporteurs aériens - que la demande de transport aérien, à long terme, va évoluer ; l'ensemble des experts mondiaux prévoit une croissance de 4 à 5 % par an, soit un chiffre supérieur aux hypothèses prises en compte par la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) dans sa contribution au débat.

Au-delà des modèles économiques, nous avons observé dans le passé que le transport aérien évoluait à un pourcentage double de celui de la croissance mondiale ; si nous tablons sur une croissance mondiale de 2,5 %, il est naturel de considérer que le transport aérien évoluera à un rythme de 5 %. Cela étant dit, il nous est impossible d'effectuer des prévisions à 2015, à 5 millions de passagers près, pour la demande en transport aérien autour de Paris.

Nous craignons que la prise en compte systématique d'hypothèses trop peu volontaristes en matière de transport aérien soit génératrice de pénuries récurrentes d'infrastructures aéroportuaires. Au regard du budget de la navigation aérienne et de l'évolution des crédits alloués aux infrastructures aéronautiques, si la demande est supérieure à la capacité de traitement des infrastructures, nous allons aboutir à une congestion qui engendre des inconvénients majeurs, notamment pour les riverains, des avions qui tournent un certain temps avant de pouvoir atterrir. Il est donc important de ne pas sous-dimensionner les infrastructures.

Pour faire face à cette croissance soutenue, il est bien entendu indispensable d'utiliser au mieux les infrastructures existantes à Orly et à Roissy. Air France a pour objectif de continuer son développement à Roissy dans le cadre des limites techniques des capacités physiques de l'aéroport, en tenant compte de l'engagement pris de ne pas dépasser le niveau d'énergie sonore atteint en 1997. Des investissements sont en effet prévus, notamment en termes d'aérogares, pour utiliser au mieux les capacités existantes jusqu'en 2015, mais à cette date les aéroports de Roissy et d'Orly risquent d'être saturés.

Des solutions alternatives à un troisième aéroport à vocation international ont été évoquées à plusieurs reprises dans le cadre du débat public.

Premièrement, privilégier les aéroports de province. Deuxièmement, mieux utiliser les possibilités liées à l'intermodalité - utilisation harmonieuse des modes de transport aérien et ferroviaires.

S'agissant de ces deux solutions - même s'il n'est pas vraiment possible de réaliser des prévisions à 15 ans -, lorsque nous parlons de 4 ou 5 % de croissance, nous prenons déjà en compte une stratégie volontariste de l'utilisation des aéroports de province et de l'intermodalité.

En ce qui concerne l'intermodalité, Air France a une grande expérience de la cohabitation à la fois concurrentielle et complémentaire avec le transport ferroviaire, et notamment le TGV. Le premier TGV a été mis en service en 1981 entre Paris et Lyon, huit ans plus tard, c'était au tour du TGV Atlantique, puis du TGV Nord, etc. La plus grande partie des transferts modaux de l'avion sur le train est déjà effectuée : les investissements ferroviaires ont d'abord porté sur les plus gros trafics et sur les lignes sur lesquelles le TGV a apporté le gain de temps et l'efficacité maximum.

Je vous livre quelques chiffres : on compte 2,5 à 3 millions de passagers pour Marseille contre 500 000 pour Lyon. Or avant la mise en service du TGV, ces deux lignes avaient un niveau de trafic équivalent. Nous n'aurons plus jamais de tels effets.

La direction des transports terrestres du ministère des transports a publié, dans le cadre de la démarche d'utilité concertée, un article intéressant indiquant que l'intermodalité concernait une dizaine de millions de passagers : environ 7 millions pour le point à point et 3 millions de passagers en correspondance grâce à l'intermodalité en collaboration avec la SNCF.

En ce qui concerne le développement des aéroports de province, je vous rappellerai brièvement la stratégie d'Air France ; mes propos doivent être tempérés par les récents événements. Le transport aérien subit de plein fouet la crise géopolitique et militaire liée aux attaques terroristes qui, selon nous, durera au moins un an et demi. Mais il s'agit pour nous d'une crise conjoncturelle qui n'entame pas les capacités de développement et les besoins de transport aérien à long terme.

Nous avons analysé les conséquences - moins importantes - de la guerre du Golfe sur le transport aérien : la tendance de la croissance a été cassée au moment de la guerre du Golfe, puis le trafic a stagné, et, enfin, elle a repris à un taux de croissance double. Au bout de cinq ou six ans, le creux était totalement effacé. Nous pensons que la crise actuelle a un profil de même nature.

S'agissant des aéroports de province, la stratégie de développement du groupe Air France est fondée sur le développement coordonné des trois plus grosses plates-formes françaises - Roissy, Orly et Lyon. Nous avons, bien entendu, d'autres stratégies de développement de trafics transversaux concernant des aéroports plus petits.

A Roissy, nous exploitons l'ensemble du trafic international - court, moyen et long courrier - et nous avons organisé un système de correspondances, le hub. Ce système est optimisé en faveur des correspondances entre longs et moyens courriers.

M. Serge POIGNANT : Monsieur Lamidey, nous avons reçu le maire de Lyon qui nous a présenté son projet d'aéroport. Pensez-vous que Lyon puisse être une alternative au troisième aéroport ?

M. le Président : Nous avons des exemples d'autres pays, tels que le Royaume-Uni ou les Etats-Unis, qui ne se sont pas focalisés sur une seule région. Comment pouvons-nous envisager qu'il y ait, en France, différents pôles identiques pour répondre à la croissance que vous nous avez décrite ?

M. Marc LAMIDEY : S'agissant de la question lyonnaise, M. Gérard Collomb le sait, Air France a des plans ambitieux de développement pour Lyon ; nous travaillons activement, avec la chambre de commerce, pour développer la plate-forme. Notre stratégie consiste - et nous considérons qu'il s'agit d'un marché important - à développer à Lyon des correspondances entre le court et le moyen courrier.

Le système d'exploitation de Lyon, qui s'appelait "le rendez-vous lyonnais d'Air Inter", a été complété, lors de la fusion entre Air-France et Air Inter, par des dessertes européennes. Ce système fonctionne bien et nous avons développé, avec nos partenaires régionaux, notamment Britair, une activité importante à Lyon ; et lorsqu'on crée un hub, on favorise l'afflux de trafics.

Pour autant, nous ne considérons pas que Lyon soit une alternative à la construction d'un troisième aéroport. Il manque notamment une composante importante : une ligne long courrier. Il y a plus de dix ans, American Airlines avait ouvert une ligne Lyon-New York, qu'elle a dû fermer deux ans plus tard. L'expérience a été tentée à nouveau par Delta Airlines en collaboration avec Air France, mais, de la même façon, elle a dû fermer la ligne car elle était déficitaire.

Air France n'est pas un "ayatollah" du hub ! Cependant le hub est le moyen de desservir convenablement des dessertes qui ne pourraient pas survivre en direct. Mais le jour où un trafic est suffisamment porteur pour pouvoir supporter une ligne directe, il n'y a plus de raison pour le faire passer par le hub. Si Lyon devient le troisième aéroport à vocation internationale, cela voudra dire que les personnes qui passent d'habitude par Paris, passent désormais par Lyon ; et pour ce faire, il faudra des vols longs courriers. Et pour que ces personnes, viennent à Lyon, il faut s'appuyer sur un marché lyonnais important ; or actuellement, ce marché est fragile, nous n'arrivons pas à le faire décoller pour stabiliser l'exploitation.

M. Jacky JAULNEAU : Je suis député d'Eure-et-Loir, je suis donc particulièrement intéressé par la question du troisième aéroport, et favorable au site de Beauvilliers, contrairement aux dirigeants d'Air France qui ne le sont pas.

Parmi les critères de sélection du site, nous devons tenir compte de l'aménagement du territoire : la proposition de Beauvilliers me paraît réaliste. Par rapport à votre stratégie, en quoi ce choix ne vous convient-il pas ? Nous savons que la position d'Air France est importante dans le choix du site.

M. Marc LAMIDEY : La question se pose pour la plate-forme de Beauvilliers comme pour l'ensemble des sites retenus par le Gouvernement. Notre premier argument est que la troisième plate-forme doit s'appuyer sur une zone de chalandise importante ; elle doit donc se trouver dans la région parisienne.

Un aéroport peut être construit, mais il n'aura de succès que si des opérateurs l'exploitent et Air France n'est pas la seule compagnie concernée. Et je ne peux pas vous affirmer, aujourd'hui, que, quel que soit le site retenu, Air France ira exploiter la troisième plate-forme ; ce serait prendre un engagement, pour nos successeurs, démesuré par rapport à notre horizon.

Deuxièmement, pour que cet aéroport soit exploitable, il faut des liaisons routières et ferrées directes et rapides ; plus l'aéroport sera loin, plus les utilisateurs viendront en voiture.

Troisièmement, cette troisième plate-forme ne doit pas créer de perturbations sur le trafic aérien ; les passagers doivent pouvoir y arriver et les avions atterrir et décoller sans limiter le trafic des autres aéroports sinon on n'augmentera pas la capacité globale du système.

Quatrièmement, cet aéroport devra former - si l'on veut attirer des correspondances - un bipôle avec Roissy. L'idée est d'avoir deux aéroports assez proches, reliés par une voie ferrée rapide, stérile, sécurisée, réservée aux passagers passant d'un aéroport à l'autre, sans double enregistrement, sans vérifications multiples. Ce serait une desserte cadencée, rapide, toutes les cinq minutes. Enfin, il conviendra d'établir des règles draconiennes en ce qui concerne l'urbanisme afin d'éviter l'installation de riverains qui seront, ensuite, gênés par le bruit.

Comme vous pouvez le constater, monsieur le député, Beauvilliers ne correspond pas à l'ensemble des critères que nous estimons indispensables pour que cette plate-forme soit un succès. Mais cela vaut pour tous les sites retenus par le Gouvernement. Il n'y a pas un site pour lequel les dirigeants d'Air France puissent dire : "nous serons contents de l'exploiter".

Derrière les questions du bipôle et de desserte d'aéroport se cachent un sujet qui est non pas uniquement un sujet de qualité de services, mais également un sujet financier très lourd : plus l'aéroport sera loin, plus le coût des liaisons, qui devront être rapides, sera élevé. Or personne n'a jamais posé la question de savoir qui paie ! Pour tous les sites retenus, à des degrés divers, le coût de construction des infrastructures de dessertes sera largement supérieur au coût de construction de l'aéroport lui-même. Si ces coûts sont absorbés par la collectivité, on est ramené à un cas de figure comme le coût des infrastructures ferroviaires qui ne se retrouve pas totalement dans le prix du billet de train -, mais s'ils sont imputés au passager aérien ou à l'opérateur exploitant la nouvelle plate-forme, on n'attirera pas grand-monde pour des raisons économiques et financières ou commerciales.

Pour toutes ces raisons, Air France s'est abstenue de prendre une position très tranchée en faveur d'un site.

M. Yorik PELHÂTE : Il convient de ne pas oublier les caractéristiques fondamentales du transport aérien : l'opérateur y a un rôle relatif. S'agissant d'un système global, mondial, l'opérateur se doit de répondre aux attentes du marché. Le système de prescription et d'engagement de la demande se fait par des systèmes globaux de réservation ; et c'est parce que le système de dessertes d'une compagnie est bien placé sur ce marché international que les passagers choisissent de passer, par exemple, par Paris, en appui de la demande d'un marché intérieur fort.

Le marché naturel français est très important mais peut être insuffisant pour justifier une desserte comme Lyon New-York, on l'a vu.

Par ailleurs, on notera que le Canada a construit l'aéroport international de Mirabel, à plus de 60 kilomètres de Montréal : c'est devenu un "non aéroport" parce que plus aucune compagnie régulière ne l'utilise !

M. Marc LAMIDEY : En retenant des sites aussi éloignés de Paris, le Gouvernement innove totalement par rapport aux autres pays. Seuls deux aéroports à vocation internationale au monde sont situés à plus de 50 kilomètres du centre-ville - Oslo et Tokyo. Certes, Oslo n'est pas une mégapole, et son système ferroviaire est capable de drainer le trafic, tout le monde venant du même endroit.

En ce qui concerne l'utilisation des aéroports de province, nous avons des exemples de développement mais qui restent modestes, à l'échelle du marché ; on ne peut inventer des marchés. S'il n'y a pas assez de Marseillais pour remplir un vol vers New York, le marché n'existe pas. Cependant, nous avons un "rendez-vous méditerranéen" qui permet de connecter le Maghreb avec les grandes villes de France et d'Europe, à Marseille. La"porte ibérique", à Bordeaux, permet une connexion sur l'Espagne. Air France a donc la volonté de développer, chaque fois que cela est possible, des aéroports régionaux. Sur les quatre dernières années, la croissance des aéroports de province a été supérieure à celle des aéroports parisiens, malgré le dynamisme du hub.

Je prendrai, comme exemple étranger, le cas de la Grande-Bretagne, que l'on cite, à la fois pour le développement de ses aéroports de province, et pour la prolifération des aéroports dans l'agglomération centrale (quatre à Londres).

Lorsque la compagnie British Airways s'est retrouvée en difficulté financière, l'année dernière, elle a mis en place un plan drastique de réorientation. La première mesure prise par le nouveau président a été de stopper les opérations de hub à Gatwick, trouvant regrettable que deux aéroports se fassent concurrence ; British Airways a donc rapatrié le maximum de ses opérations à Heathrow.

Les deux autres aéroports sont situés à Stansted et à Luton. S'ils sont plus éloignés des zones actives de Londres, ils ne sont pas aussi loin de la capitale que les sites choisis par le Gouvernement pour le troisième aéroport français à vocation internationale. Stansted est exploité par des compagnies locales, alors que Luton - qui est encore plus loin - est spécialisé sur d'autres trafics, ceux des charters. Il s'agit de deux aéroports "bon marché", des aéroports "de niche", qui correspondent à un trafic à faible pouvoir d'achat ; les compagnies qui les exploitent sont ravies de payer des redevances peu élevées.

Reste l'aéroport de Manchester, qui est souvent cité en exemple par nos amis lyonnais ou la DATAR. Cependant, le marché français est très différent du marché anglais qui est très orienté vers l'Amérique du Nord pour des raisons culturelles ; pour les compagnies américaines, il y a d'une part l'Europe, d'autre part, la Grande-Bretagne qui réalise le tiers du marché européen vers les Etats-Unis. Par ailleurs, Manchester étant située plus à l'ouest que Londres, il apparaît tout à fait normal, aux passagers de partir de l'aéroport de Manchester ; son trafic est par conséquent très mono-directionnel. Il ne faut pas oublier non plus que cette ville possède un potentiel considérable.

M. le Président : Vous comprenez bien quelles peuvent être nos préoccupations en ce qui concerne l'aménagement du territoire. La vraie question est la suivante : existe-t-il en France une région, autre que la région parisienne - et vous nous avez répondu en ce qui concerne Lyon -, où l'on pourrait construire de toutes pièces une entité économique qui permettrait de créer cet outil dont nous avons besoin et qui pourrait être autonome de la région parisienne ?

Par ailleurs, les aéroports parisiens possèdent-ils encore des marges de man_uvre suffisantes sous réserve de lever les restrictions qui vous sont aujourd'hui imposées ?

M. Marc LAMIDEY : Peut-on construire un troisième aéroport à vocation internationale ailleurs qu'à Paris ? Ma réponse est claire, c'est non. Les dirigeants d'Air France se sont exprimés en faveur de la création de capacités supplémentaires à Paris. Mais cela ne veut pas dire pour autant que l'on abandonne le développement des régions, bien au contraire.

Il existe en France deux compagnies qui sont, dans leur spécialité, des groupes industriels mondiaux, et dont les sièges sont à Clermont-Ferrand et Limoges. Quel service les opérateurs aériens peuvent-ils rendre à l'aménagement du territoire ? Faire accéder les villes de province aux réseaux mondiaux et non pas forcément développer des dessertes aériennes dans toute la France vers l'étranger, c'est aider l'économie des régions à fonctionner : et cette aide passe peut-être par la création d'une liaison à un point focal, un hub situé à Paris.

Une association écologiste avait présenté une idée - au cours du débat public - selon laquelle il convenait d'interdire les vols de moins de X kilomètres, afin d'obliger les voyageurs concernés à se déplacer en train. Mon sentiment est que si certains voyageurs prennent l'avion, c'est parce qu'ils trouvent ce moyen de transport plus pratique, plus rapide que le train ; et cela est vrai en particulier pour les voyageurs d'affaires. Or je crains que les entreprises, dont les salariés ne pourront plus prendre l'avion, rapatrient leur exploitation en région parisienne ; et là, nous aurons tout perdu.

C'est la raison pour laquelle je pense, au contraire, que la création d'une liaison vers un point focal et qui relierait les régions aux grands réseaux mondiaux leur permettrait de se développer. Bien entendu, ce n'est peut-être pas l'activité de transport aérien qui va croître dans ces régions, mais je suis persuadé que cette solution est efficace pour l'économie régionale. Un grand nombre de passagers, d'hommes d'affaires souhaitent passer par Paris ou par Lyon lors de leur voyage vers l'Europe. Je ne pense vraiment pas que le fait de posséder un transport bien organisé à Paris aura pour conséquence de vider les régions. Au contraire.

M. Yorik PELHÂTE : Quand le TGV Paris-Lyon a été lancé, d'aucuns prétendaient que cela allait à l'encontre du développement du territoire au motif que Lyon allait devenir la banlieue de Paris. Or Lyon fonctionne formidablement bien et a su développer à l'est de la ville - à notre bénéfice également d'ailleurs -, l'aéroport de Saint-Exupéry. Lyon se développe donc par elle-même et pour elle-même, avec cet outil brillant qu'est le TGV.

M. le Président : J'entends bien, mais ce que je comprends aussi, c'est qu'aucune région en France ne pourra avoir la dimension suffisante pour devenir un pôle pouvant décongestionner la région parisienne.

M. Marc LAMIDEY : Le passage par un point focal est une règle du transport aérien.

Aux Etats-Unis, il est coutume de dire que les hubs sont le fruit de la déréglementation. Les lignes aériennes intérieures sont un peu comme des lignes d'autocars. Et lorsqu'on a dérégulé, les gens ont finalement trouvé assez vite le moyen optimal de travailler. Mais pour les Américains, les hubs sont un élément de l'aménagement du territoire. Ils sont répartis de façon très étalée et chaque opérateur prend soin de ne pas développer ou acheter une compagnie qui a installé un hub près de lui. Par exemple, American Airlines, qui est à Dallas, n'a pas racheté Continental qui est à Houston, car ce sont des systèmes d'exploitation totalement concurrents. La coordination de tous ces systèmes permet un véritable aménagement du territoire, une structuration par pôle, ce qui ne veut pas dire que les villes qui sont desservies ne sont pas dynamiques. Certaines sont même bien plus dynamiques que les hubs eux-mêmes. Le hub, au point de vue économique, n'est pas forcément le gagnant.

Sur le plan du transport, il en est, bien entendu, le point focal. Lorsque l'on fait converger plusieurs flux de passagers vers une même desserte, la taille de l'avion grossit. De ce point de vue les systèmes de correspondance (les hubs et leurs vols d'apport), sont beaucoup plus efficaces en terme d'environnement, même s'ils concentrent les nuisances en un point donné, qu'un système où l'on tenterait de tout multiplier depuis plusieurs hubs secondaires. En effet, de cette façon on fait moins de vols en remplissant des avions de plus grosse capacité.

Vous nous avez demandé, monsieur le président, si les aéroports parisiens possédaient encore des marges de man_uvre, notamment si les restrictions imposées étaient levées. Pour nous, d'ici à 2015, nous aurons levé les restrictions. Air France s'était engagée à développer Roissy en ne perturbant pas davantage les riverains ; les nuisances sont d'ailleurs moins importantes aujourd'hui qu'en 1997, malgré l'accroissement du trafic : l'énergie sonore a diminué de 15 %. Cependant les riverains ne s'en rendent pas forcément compte, car nous avons été remplacés et des activités de nuit se sont développées.

Les problèmes du troisième aéroport et celui des restrictions sont des problèmes, techniquement, totalement indépendants. Si l'on veut que Paris garde son rôle et qu'un opérateur national garde un rôle éminent dans le transport aérien, un certain nombre de restrictions doivent effectivement disparaître, qu'elles soient officieuses ou officielles. Actuellement, à Roissy, la seule restriction réellement applicable est la limitation du bruit.

Nous connaissions, avant le 11 septembre, des tendances de croissance tels que la question des restrictions se posait de façon urgente. Aujourd'hui, il est vrai que ces tendances sont, à court terme, beaucoup plus faibles. Mais pour 2015, le problème est le même.

M. Jacky JAULNEAU : Je voudrais revenir sur le problème de l'aménagement du territoire et sur celui de la décongestion de la région parisienne. Il me semble que l'implantation d'un aéroport à l'ouest de Paris serait une bonne solution pour éviter une focalisation des moyens de transport terrestres sur Paris, car il concernerait une zone de chalandise importante, celle du grand ouest et du grand sud-ouest, ainsi qu'une partie de la région parisienne.

Par ailleurs, pour une grande partie des voyageurs, l'accès à Roissy n'est pas simple. Il n'existe qu'une alternative : ou l'on s'éloigne du bassin parisien, ou l'on y reste, mais dans ce cas, ayons une ouverture vers une zone de chalandise importante, sans passer par la région parisienne.

M. Marc LAMIDEY : La clé de ce problème est entre les mains de clients dont certains sont encore aujourd'hui à l'école, les voyageurs de 2015, des voyageurs qui habiteront les régions proches et les étrangers qui viendront en France - destination touristique la plus importante du monde.

S'il y a suffisamment de clients tentés pour aller nourrir, par exemple, des opérations à Beauvilliers, alors cela décongestionnera en effet la région parisienne. Mais si les clients ne sont pas tentés par ce site, les opérateurs continueront à concentrer leurs activités à Roissy et à Orly, voire en Europe. Et cela limitera les possibilités d'accès à Paris. On peut alors imaginer que les industries provinciales, devant la difficulté de se rendre à Paris - encombrement, prix de transport - rapatrieront leurs activités vers la région parisienne.

Mon propos est un peu caricatural, mais un site aéroportuaire ne peut pas être évalué de la manière suivante : ce sera un site de telle capacité, il y aura donc tant de clients. Construire un aéroport éloigné de Paris - s'il n'y a pas d'opérateurs - c'est prendre un risque. Par ailleurs, les riverains, les élus, les associations ont été consultés au sujet du choix du site, alors qu'il n'y a pas eu de consultation officielle des opérateurs et des entreprises qui sont nos gros clients.

M. Yorik PELHÂTE : La question est celle de l'origine des flux de transport : le transport aérien étant fondamentalement un transport global, il est un des services les plus liés à la réalité de la mondialisation. De la même façon, on notera qu'avant le 11 septembre, le taux de croissance du transport aérien intracommunautaire était supérieur de deux à trois points à celui du trafic mondial ; c'est bien la réussite de la construction européenne qui est à l'origine de cette très forte demande de transport, notamment aérienne.

Après le 11 septembre, le transport aérien est le mode de transport qui a subi le plus spectaculairement la chute de la demande.

Depuis cette date, nous ne pouvons plus dire quel moyen de communication sera utilisé pour concrétiser des marchés, organiser les réunions d'affaires. Les hommes d'affaires se déplaceront-ils toujours autant ? Je me pose réellement la question.

M. Marc Lamidey avait écrit un article, après la guerre du Golfe, dans lequel il expliquait qu'il s'était opéré un transfert vers la téléconférence. Certes, il s'agissait d'un outil complexe, coûteux, mais cette industrie de la communication alternative, sans déplacement physique, a bénéficié d'un effet de cliquet. A la sortie de la crise, en 1994, elle s'est stabilisée et a même progressé régulièrement. Dans le même temps, les technologies de télécommunication globales ont évolué ; aujourd'hui, cette industrie de la télécommunication va encore profiter de cette nouvelle crise. Nous ne pouvons donc pas ne pas intégrer cet élément dans nos projections.

M. le Président : Voilà un élément intéressant. M. Marc Lamidey, avons-nous besoin d'un troisième aéroport ?

M. Marc LAMIDEY : Ma réponse est oui.

S'agissant des nouvelles technologies, je suis beaucoup plus confiant que M. Yorik PELHÂTE : les fax sont apparus lors du deuxième choc pétrolier ; ce nouveau moyen de communication a engendré une accélération des affaires qui a généré un besoin de communication physique. Il en est allé de même avec la visioconférence. Je suis donc persuadé qu'il y aura toujours un besoin de transport important.

M. le Président : Messieurs, je vous remercie.


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