ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N°7

mardi 13 novembre 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Philippe Duron, président

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de M. Michel AYRAL, Directeur du transport aérien à la Commission européenne, sur la création d'un nouvel aéroport à vocation internationale

2

   

La délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a entendu M. Michel AYRAL, Directeur du transport aérien à la Commission européenne, sur la création d'un nouvel aéroport à vocation internationale.

M. le Président. : Monsieur le Directeur, nous sommes très heureux de vous accueillir aujourd'hui devant notre délégation.

La délégation à l'aménagement du territoire est une institution jeune qui a pour objectif de travailler essentiellement sur l'approche territoriale d'un certain nombre de sujets.

Aujourd'hui, nous avons pensé qu'il était intéressant de préparer un avis sur le troisième aéroport, mais nous sommes un peu pris de vitesse par son "atterrissage" plus précoce que prévu.

M. Michel AYRAL : Je commencerai par une réflexion paradoxale : nous n'avons, au niveau européen, aucune compétence qui nous permettrait de dire ce qui est bien ou ce qui n'est pas bien en matière de localisation d'un aéroport. Par conséquent, si vous attendez de ma part une indication de préférence, vous risquez, Monsieur le Président, d'être déçu.

M. Charles de COURSON : Vous plaidez l'incompétence ?

M. Michel AYRAL :Oui, du moins en termes juridiques...

A l'initiative de M. Michel Barnier, de plus en plus de réflexions sont menées sur l'aménagement du territoire au niveau européen. Je dois dire que le lancement de ces réflexions a été très difficile parce que ce concept d'aménagement du territoire n'existe pas partout.

De ce fait, les réunions de ministres de l'équipement ou de l'aménagement du territoire, parfois de l'industrie, ou de responsables des questions régionales, ont plus pour objet de générer une cohérence que de prendre des décisions.

C'est la première réflexion que je souhaitais faire.

Ma deuxième réflexion générale concerne le problème des capacités aéroportuaires. Après le 11 septembre, il est plus difficile de parler des sous-capacités aéroportuaires. Néanmoins, si nous adoptons une vision optimiste des évolutions futures, nous pouvons attendre une reprise des activités de transport aérien selon les rythmes qui étaient précédemment constatés et qui conduisaient à un doublement du trafic tous les dix ans.

Sur cette base, tous les grands aéroports européens sont saturés. Ce problème a été identifié dans le Livre blanc de la Commission sur la politique des transports comme justifiant au niveau européen le développement d'une véritable politique aéroportuaire.

M. Charles de COURSON : Actuellement ?

M. Michel AYRAL : Avant le 11 septembre, tous les grands aéroports européens étaient saturés pour des raisons différentes. Les règles en matière de créneaux horaires sont un critère pour établir si un aéroport est saturé ou non. Tous les grands aéroports européens ont un système de coordination des créneaux, qui est l'indicateur de la saturation. Il existe peu de projets de développement aéroportuaire en Europe ; dans les toutes dernières années, il y a eu l'aéroport de Spata, en Grèce, l'aéroport de Malpensa à Milan, qui était en fait la rénovation d'un ancien aéroport et, parmi les grands projets, figurent un grand projet d'aéroport en Espagne, un grand projet d'aéroport à Lisbonne, un projet de nouvel aéroport à Berlin qui se heurte à beaucoup de difficultés (je doute qu'il voie le jour rapidement) et le projet du troisième aéroport parisien.

Cette saturation aéroportuaire a probablement trois origines, outre la croissance du transport aérien :

La première, c'est la saturation des pistes, tout simplement : les pistes ne peuvent pas accueillir plus d'avions qu'elles n'en ont la capacité.

La deuxième raison, c'est une inefficacité de gestion des aéroports. Il faut reconnaître que les grandes compagnies aériennes gardent leurs créneaux, même si elles ne les utilisent pas de la manière la plus efficace. Ces créneaux sous-utilisés conduisent à une sous-utilisation de la capacité aéroportuaire.

Le troisième facteur, de plus en plus lourd, est le facteur environnemental. Les contraintes environnementales pèsent sur tous les aéroports à des degrés divers. Nous avons de plus en plus de couvre-feux pour l'utilisation de nuit ainsi que des restrictions d'opérations.

L'exemple le plus récent de restrictions opérationnelles sur un aéroport est l'accord qui a été passé entre les Allemands et les Suisses pour l'utilisation de l'aéroport de Zurich, qui ferait passer l'aéroport de 150 000  à 100 000 mouvements par an. C'est la première fois qu'une restriction aéroportuaire est déterminée d'abord par les contraintes d'un pays voisin et, ensuite, par les contraintes du survol à une aussi longue distance de l'aéroport.

Je pense que cette expérience germano-suisse, que nous examinons de près, risque de faire tâche d'huile. J'entends en effet que, du côté français, on commence à s'inquiéter des nuisances existant à Bâle ainsi qu'à Genève. Comme les approches d'un aéroport proche d'une frontière touchent automatiquement le pays voisin, il ne faut pas négliger ce phénomène.

Après cette présentation générale, je vais essayer de vous dire par quel biais nous approchons les questions aéroportuaires.

Le premier biais, c'est la concurrence entre aéroports.

Les aéroports sont de plus en plus en concurrence les uns par rapport aux autres, d'abord parce que certains d'entre eux se concentrent dans des zones géographiques proches. Il est évident que Charles de Gaulle est en concurrence avec Zaventem et que Zaventem lui-même est dans une concurrence très forte par rapport à Francfort et par rapport à Schipol, aux Pays-Bas.

Ces problèmes de concurrence entre aéroports nous conduisent à définir un certain nombre de règles pour harmoniser les conditions de cette concurrence. Ces règles concernent d'abord l'environnement.

Nous avons eu une première réaction dans ce domaine, il y a deux ans, lorsque nous avons observé que des Etats étaient obligés d'introduire des restrictions opérationnelles parce qu'ils n'étaient pas en mesure de limiter l'accès des avions les plus bruyants à leurs aéroports pour éviter que ces avions n'aillent se poser sur un aéroport voisin.

Cela est valable particulièrement en matière de cargos dont l'activité est très mobile. Si un aéroport prend des mesures restrictives en matière de cargos, l'entreprise de cargos ira se localiser dans un aéroport voisin.

C'est le grand débat qui a eu lieu l'année dernière en Belgique lorsque, sous la pression des riverains, le gouvernement a voulu prendre des mesures très strictes. DHL, qui est établi en Belgique a alors fait part de sa volonté de s'établir dans un autre aéroport. L'aéroport de Vatry était d'ailleurs prêt à accueillir DHL à bras ouverts et le gouvernement belge a été obligé de réduire l'ambition de cette mesure.

Il y a deux ans, nous avons donc pris une mesure de gel des avions les plus bruyants, que l'on appelle les avions "hutchkités". Le "hutchkit" est un réducteur de bruit. Vous me direz qu'il est paradoxal de réduire les avions qui ont un réducteur de bruit, mais il faut savoir que ce sont des réducteurs de bruit qui sont utilisés pour faire passer les avions d'une catégorie à une autre, d'une catégorie qui sera interdite en avril 2002 à une catégorie qui sera autorisée.

Les compagnies américaines, pour des raisons propres aux Etats-Unis, ont pratiqué le "hutckitage" des avions et nos compagnies européennes ont acheté ces avions "hutckités". Alors qu'à l'échelon international des mesures étaient prises pour interdire ces avions les plus bruyants, ces compagnies aériennes, à travers le "hutckit", franchissaient juste la limite entre deux catégories pour continuer à opérer. C'est ainsi que l'interdiction des avions les plus bruyants au niveau international perdait son effet à cause de ce détour technique.

Nous avions interdit ces avions, ce qui nous a entraînés dans un conflit avec les Américains qui commence à toucher à sa fin mais qui a été assez pénible, et nous allons, dans les prochaines semaines, faire une proposition pour encadrer les restrictions opérationnelles dans les aéroports.

C'est ainsi qu'après avoir fait un certain nombre d'évaluations de l'impact acoustique de ces activités, un aéroport pourra interdire les avions qui sont dans une marge de 5 décibels par rapport à la limite des avions autorisés actuellement.

Cette proposition, qui est attendue par les Etats-membres et par le Parlement européen, devrait être adoptée avant le 1er avril 2002, qui est la date ultime d'autorisation des avions du chapitre 2.

M. Charles de COURSON : Ce sera une directive ?

M. Michel AYRAL : Oui. Les aéroports attendent également de nous des mesures d'harmonisation en matière d'évaluation du bruit. Certains aéroports, en France et en Suède, sont équipés pour évaluer le bruit. On en a beaucoup parlé en France à un certain moment, lorsque la décision de construire la nouvelle piste à Charles de Gaulle a été prise. Des capteurs ont été installés et ils répondent à un certain nombre de paramètres techniques. Cependant, cette méthode d'évaluation n'existe pas partout. Or ces méthodes conduisent également à la fixation d'un cadre juridique assez incertain. Les compagnies aériennes, mais surtout les aéroports, à cause des risques de distorsion de concurrence, nous demandent donc d'harmoniser les évaluations.

Le dernier point que j'indiquerai en matière de prévention des distorsions de concurrence concerne les aides publiques.

La Commission a toujours considéré que les aides aux infrastructures ne sont pas des aides au sens du Traité de Rome. C'est également la position que nous avons prise en relation avec les aides aux aéroports. C'est une position qui a été arrêtée en 1992, dans un encadrement des aides publiques qui a été défini au niveau européen.

A cause de la concurrence entre aéroports dont je parlais tout à l'heure, due à la proximité mais aussi au fonctionnement des hubs et à la façon dont opèrent les compagnies aériennes, nous allons être obligés de réviser notre position et, par conséquent, de considérer qu'une aide publique au fonctionnement d'un aéroport, et non pas à la construction, est une aide au sens du Traité.

L'exemple le plus récent que nous avons examiné était en relation avec le dossier Sabena en Belgique. La compagnie se plaignait des distorsions générées par l'aéroport de Charleroi. Nous n'avons pas pu agir à cause de la position qui a été prise en 1992, mais nous allons donc être obligés de réviser cette position, d'autant plus que la Cour de justice, pour des raisons de transparence et de protection des intérêts en cause, exige l'ouverture de la procédure de contrôle des aides, ce que nous venons de faire en ce qui concerne l'aéroport de Dublin pour constater in fine que les conditions de qualification d'une aide n'étaient pas réunies.

Voilà pour ce qui concerne les distorsions entre aéroports.

Le deuxième point que je voudrais évoquer est celui de l'utilisation des capacités aéroportuaires.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous considérons que les règles en matière de créneaux horaires rigidifient l'utilisation des capacités et nous voulons remettre en cause ces règles en matière de créneaux. Nous le faisons en deux étapes.

La première étape a consisté en une proposition que nous avons faite voici quelques mois afin de renforcer le respect des règles actuelles. Nous ne mettons pas en cause les grandfather rights (les "droits de grand-père") mais nous renforçons le contrôle de la non-utilisation des slots et donc le principe du "use it or loose it" ("utilisez-le ou abandonnez-le").

Nous renforçons également l'interdiction de ventes de slots en considérant que ces ventes ont pour effet de solidifier les "droits de grand-père", et la Commission a annoncé qu'à la fin de l'année prochaine, elle ferait une proposition pour introduire un marché de slots.

Nous considérons que c'est une méthode pour renforcer l'utilisation des capacités aéroportuaires, mais je dois dire immédiatement que toutes les compagnies aériennes se sont prononcées contre le marché des slots, si bien que nous aurons une rude partie à jouer.

Toujours dans le domaine de l'utilisation des capacités aéroportuaires, je voudrais faire une réflexion, qui n'est peut-être pas sans pertinence dans le débat qui a lieu en France sur le troisième aéroport, au sujet des relations internationales en matière de transport aérien.

Tous les pays ont organisé leur système de transport autour de un, deux ou parfois trois hubs. Leur justification et leur raison d'être est de servir les liaisons internationales.

Lufthansa opère à partir de Francfort, de Munich et de Dusseldorf pour servir des liaisons internationales. En France, la desserte de liaisons internationales est assurée principalement par la région parisienne. Il est très difficile, en France comme ailleurs, de faire sortir les compagnies nationales de leur hub pour pouvoir servir des liaisons internationales à partir d'un autre aéroport national, parce que ces compagnies considèrent qu'en termes d'efficacité commerciale, cela entraîne une perte.

Je ne citerai pas l'exemple de Lyon...

M. le Président : Nous avons auditionné M. Gérard Collomb il y a trois semaines ici et il a évoqué ce cas.

M. Michel AYRAL :Nous sommes en train de revoir le cadre des relations internationales dans le domaine aérien. Ce qui se passe actuellement dans le secteur aérien (faillite de Sabena, quasi-faillite d'Olympic Arways, difficultés de SAS et de KLM, et je ne parle pas de Swissair parce que la Suisse est en dehors de nos frontières) nous oblige - et quand je dis "nous", j'inclus tous les Etats européens - à revoir les règles de propriété des compagnies aériennes.

Il n'est plus possible que les compagnies aériennes ne puissent pas fusionner (ce que nous appelons pudiquement "consolider" au niveau européen), à cause des règles de propriété, ce qui a pour conséquence d'obliger ces compagnies à la faillite. Sabena aurait pu fusionner avec une autre compagnie européenne, mais en faisant cela, Sabena perdait tout trafic international à partir de Zaventem.

KLM et Alitalia ont voulu fusionner. D'un point de vue juridique, ce sont eux qui sont allés le plus loin dans la construction d'une entreprise commune. Cependant, ils ne sont pas allés assez loin pour consolider la structure et cela a donc échoué.

British Airways a essayé de fusionner avec KLM et cela s'est traduit également par un échec.

Les petites compagnies n'ont actuellement pas d'autre issue que soit devenir des petites compagnies régionales, auquel cas les liaisons internationales sont perdues à partir de l'aéroport national principal, soit faire faillite. Si un changement des règles intervenait, elles pourraient avoir la possibilité d'entrer dans des fusions.

Par exemple, une fusion entre Air France et Alitalia permettrait à Alitalia de desservir des liaisons vers l'Argentine à partir de Nice et Air France devrait pouvoir desservir des liaisons vers le Moyen-Orient à partir de Malpensa.

A nos yeux, cette réforme du cadre juridique de la propriété devrait conduire à une meilleure exploitation des capacités aéroportuaires. Lufthansa, par exemple, se mettra en concurrence avec Air France pour desservir des liaisons transatlantiques à partir d'un aéroport français et cet aéroport ne pourra être ni Charles de Gaulle, ni Orly. Il faudra que ce soit un autre aéroport.

Cela dit, la remise en cause de ces règles de propriété est une rude affaire et elle sera discutée de nouveau au Conseil des ministres en décembre, mais nous pensons que le secteur aérien ne peut plus bénéficier d'un régime dérogatoire de droit commun, comme c'était le cas jusqu'à maintenant.

M. Président : Excusez-moi de vous interrompre. Sommes-nous dans des règles internationales ou pouvons-nous avoir des règles communautaires ?

M. Michel AYRAL : Ce sont des règles qui sont établies par les accords bilatéraux signés par les Etats-membres, ou plutôt par les Etats. C'est une caractéristique du transport aérien et cela vaut également pour les accords signés par les Japonais avec les Américains.

Les accords bilatéraux, pour garantir la réciprocité, réservent les liaisons bilatérales à des compagnies nationales. Nous proposons donc depuis longtemps que la Communauté négocie avec les Etats-Unis un accord bilatéral qui supprimerait la règle de propriété nationale pour la remplacer par une règle de propriété communautaire.

Nous avons, pour le marché intérieur aérien européen, une règle de propriété communautaire, c'est-à-dire que, lorsque British Airways a pris le contrôle d'AOM, celle-ci est devenue une société britannique mais n'a pas perdu pour autant son droit de voler sur le marché français ou sur le marché européen. Il n'y a plus de règle de propriété en Europe mais cela ne sert à rien puisque la nationalité des compagnies est déterminée par les accords bilatéraux.

Nous souhaitons donc étendre cette nationalité européenne aux accords bilatéraux en commençant par un accord avec les Etats-Unis. Cependant, à cause du problème de l'accès à l'aéroport d'Heathrow, les Britanniques ont une position négative à cet égard. Vont-ils changer de position du fait de la crise actuelle ? C'est possible.

Le dernier point que je voudrais mentionner concerne la question de l'interopérabilité.

Si nous avons une politique en matière d'infrastructures aéroportuaires, c'est pour promouvoir l'intermodalité, c'est-à-dire la possibilité, pour un passager, de passer sans difficulté du train à l'avion ou de l'avion au train, et, pour les marchandises, de passer du train à l'avion, de l'avion au train ou éventuellement au camion, sachant que nous ne favorisons pas le transport routier dans notre politique. Cela passe chez nous par une priorité reconnue dans le financement des réseaux transeuropéens à tout projet favorisant l'interopérabilité.

Nous ne finançons pas des aéroports. Nous finançons les chemins de fer et, éventuellement, les interconnexions routières, notamment les tunnels, mais nous ne finançons pas les aéroports parce que nous considérons qu'un aéroport peut être financé par des capitaux privés. Toutefois, nous financons l'intermodalité.

Par exemple, à Charles de Gaulle, la Communauté avait financé l'étude de faisabilité pour la construction de la gare sous cet aéroport.

Nous avons consacré, au cours du premier programme "Réseaux transeuropéens", c'est-à-dire au cours des cinq dernières années, environ 60 millions d'euros à des projets d'interopérabilité.

Les seuls financements d'aéroports que nous avons acceptés (je dois en effet nuancer ce que je viens de dire) ont concerné des aéroports dans les îles, au titre de la politique régionale, c'est-à-dire pour le désenclavement. Nous avons financé également l'aéroport de Spata, en Grèce, car cela faisait partie de la politique régionale.

Il existe donc quelques exceptions, mais le principe de base est la priorité à l'intermodalité.

Pour conclure, je dirai que l'intermodalité est un élément important, notamment en France, qui a la chance, par rapport à d'autres pays, d'avoir un réseau ferroviaire performant. Ce réseau ferroviaire doit permettre une utilisation pleine de capacité des aéroports régionaux qui sont sous-utilisés en France.

M. le Président : Merci, monsieur le Directeur. Ce que vous avez dit était fort intéressant. Avant de donner la parole à mon excellent collègue et voisin, financeur et constructeur de l'aéroport de Vatry, M. Charles de Courson, je voudrais vous poser une question sur un autre paramètre : celui de l'espace aérien.

Nous avons un espace aérien européen qui est morcelé et ce morcellement est probablement aussi source d'une certaine inefficacité, notamment source de retards importants qui font baisser les performances du transport aérien.

J'entendais l'autre jour sur une chaîne de radio française Mme Loyola de Palacio évoquer ce problème et dire que la Commission allait travailler sur des propositions destinées à améliorer l'utilisation de l'espace aérien européen dont elle précisait qu'il était trois fois moins performant ou trois fois moins bien géré que l'espace aérien américain.

Pouvez-vous nous dire dans quelle direction vous vous orienteriez pour mieux gérer cet espace ? C'est ma première question.

Ma deuxième question est liée à ce que vous avez dit concernant la gestion des aéroports. Vous nous avez rappelé que les articles du Traité concernant la concurrence permettaient l'aide à l'investissement mais pas les subventions d'équilibre et de fonctionnement.

Est-ce à dire que vous avez en perspective une autre philosophie quant à la gestion des aéroports ? On voit très bien qu'aujourd'hui, un certain nombre de plates-formes sont en voie de privatisation. Est-ce vers ce type de solution que vous souhaitez orienter les Etats ou est-ce que, ici, vous vous en tenez au principe de neutralité que la Commission défend sur les services d'intérêts généraux ?

Enfin, ma troisième question est liée aux plates-formes de province. Nous avons effectivement une sous-utilisation des infrastructures et également une difficulté de mieux mailler le territoire et de donner à un certain nombre de grandes villes et de grandes métropoles régionales un statut de villes européennes parce qu'elles n'ont pas des relations suffisamment riches et fréquentes avec les autres grandes métropoles européennes.

Pensez-vous ici qu'il existe une alternative à la création d'une grande plate-forme ou que nous puissions imaginer que, demain, l'organisation du transport aérien puisse non plus s'organiser autour de plates-formes nationales ou de hubs nationaux, mais que l'on puisse spécialiser le transport en fonction des dessertes intercontinentales, autour de quelques plates-formes régionales au plan européen ?

Pourrait-on imaginer, par exemple, que la plupart des compagnies européennes desservent l'Amérique latine à partir de Madrid, que le Moyen-Orient puisse être desservi à partir de la France ou de l'Italie et que la Grande-Bretagne, et peut-être la France, soient les têtes de pont vis-à-vis de l'Amérique du Nord ? Une autre forme d'organisation qui serait plus fondée sur la coopération entre les grands opérateurs pourrait-elle être imaginée ?

M. Michel AYRAL : Je commencerai par le premier point, c'est-à-dire la gestion du trafic aérien. Je n'en ai pas parlé parce qu'il n'était pas directement lié à la question aéroportuaire. Le 10 octobre, la Commission a fait des propositions qui tournent autour de trois éléments.

Premièrement, nous estimons que la prestation de service du trafic aérien doit être séparée du régulateur. Nous avons donc fait une proposition qui aurait pour effet, si elle est approuvée, de créer un régulateur au niveau européen, sachant qu'au niveau national, il n'y aurait que des prestataires de services.

Actuellement, même si c'est un peu surprenant - cela m'a en tout cas surpris quand j'ai découvert cela alors que je suis le secteur du transport aérien depuis trois ans -, le trafic aérien n'est pas réglementé. Il est constitué de contraintes opérationnelles qui sont fixées par le prestataire de services, bien sûr, en fonction de préoccupations de sécurité, mais aussi en fonction de ses propres intérêts, parce que le prestataire de services reçoit des redevances en fonction de l'utilisation de l'espace aérien.

De ce fait, la prestation de services est une activité économique. C'est une activité de service public, sans aucun doute, mais également une activité économique.

Nous proposons donc de bien distinguer régulateur et prestataire de services.

Pour éviter tout malentendu, parce que je dois le préciser à chaque fois que je parle, surtout en France, cela ne conduit pas à la privatisation, ni même à l'autonomie de gestion, à l'indépendance juridique, à ce qu'on appelle la "corporisation" en franglais. Cela veut dire que la direction de la navigation, dans la direction générale de l'aviation civile du ministère de l'équipement, du logement et du transport, doit être indépendante de la direction générale, qu'elle doit agir en fonction de ses intérêts propres et que la direction générale, elle, doit faire respecter les règles.

Le deuxième volet de cette proposition consiste à redessiner l'espace aérien.

Comme vous l'avez dit, monsieur le Président, l'espace aérien est morcelé. Les centres de contrôle sont répartis non pas en fonction du trafic mais en fonction de raisons historiques et le découpage de l'espace est lui-même établi en fonction de raisons historiques.

Nous estimons que les technologies et la situation géopolitique doivent permettre de remettre en cause les espaces réservés aux militaires et qu'il doit être possible d'organiser les exercices militaires et toute l'utilisation de l'espace aérien dont les militaires ont besoin d'une manière beaucoup plus flexible qu'actuellement.

Quelques Etats en Europe ont des espaces réservés : la Belgique, la France, l'Italie et l'Espagne ainsi que la Grèce.

Nous partons du point de vue qu'un vol entre Edimbourg et Nice doit être un vol en ligne droite et non pas un vol qui contourne les espaces militaires. Les militaires nous disent : "Nous sommes très souples. Quand nous n'utilisons pas l'espace, nous le rendons à l'utilisation civile", mais les compagnies aériennes, elles, doivent faire leur programmation de vol à l'avance avec des horaires de départ et d'arrivée et elles ne peuvent pas prendre le risque d'être détournées un jour avec pour conséquence de ne pas respecter les heures de départ ni les heures d'arrivée. Elles planifient donc leurs vols avec les contraintes maximum.

Cela entraîne des actions en matière de coopération militaire. Cela fait l'objet d'une proposition dont la mise en _uvre passera par l'organisation de coopérations militaires dans le cadre du deuxième pilier du Traité de Maastricht pour faciliter l'utilisation de l'espace aérien disponible dans les autres pays.

C'est un point important pour la France qui est un espace central en Europe. La France dit : "je veux bien libérer mon espace aérien militaire mais je veux savoir où mes militaires vont s'entraîner. S'ils doivent s'entraîner dans le nord du Canada, il faudra me le payer. Je ne le fais pas gratuitement". En Europe, certaines zones ne sont pas utilisées par les civils et peuvent être utilisées par les militaires, mais cela suppose une coopération en matière de défense.

Le troisième volet est celui de l'interopérabilité des équipements. Nous n'avons pas, dans le secteur de la gestion du trafic aérien, de véritable normalisation européenne. L'objet de cette proposition est donc d'introduire la normalisation. Nous avons des normes qui sont établies par Eurocontrol et qui sont déterminées par un projet industriel, si bien qu'évidemment, si ce projet est en concurrence avec un autre projet, la norme n'est pas respectée.

Le Parlement va commencer l'examen de ces propositions le mois prochain et le Conseil en janvier. Elles sont considérées comme prioritaires par la présidence espagnole et par la présidence danoise qui suit et nous espérons donc avoir des décisions à la fin de l'année prochaine.

Ce sera un processus difficile parce que beaucoup d'intérêts sont en jeu dans ce projet.

M. Charles de COURSON : A propos des aides, vous avez dit que, jusqu'à présent, l'Union européenne avait considéré que, tant en investissement qu'en fonctionnement, les aides aux plates-formes aéroportuaires, voire aux lignes, n'étaient pas considérées comme concernées par le Traité, et vous nous avez dit que cela allait probablement cesser du fait d'un projet de directive assez avancé.

Est-ce à dire que, par exemple, les lignes régionales, qui font l'objet, en France, d'un système de péréquation avec une taxe qui alimente un fonds de péréquation, ou des aides au démarrage de plates-formes aéroportuaires seraient concernées par cette réforme ? Seront-elles totalement interdites ou simplement encadrées ? C'est ma première question.

Ma deuxième question porte sur le droit de propriété des compagnies et des infrastructures. Vous nous avez dit quelques mots sur les compagnies, mais vous ne nous avez pas parlé du problème de la restructuration, c'est-à-dire de la privatisation, et de l'internationalisation des autorités aéroportuaires en Europe. Aujourd'hui, à ma connaissance, aucune autorité aéroportuaire internationale ne gère trois, quatre ou cinq aéroports en propriété ou en concession.

Je voudrais donc savoir quelle est la position de l'Union sur les plates-formes aéroportuaires et non pas simplement sur les compagnies.

M. Michel AYRAL : Le premier point, qui concerne les aides, me permettra de répondre en même temps à votre question, monsieur le Président, sur la politique que nous suivons.

Il existe les aides aux compagnies aériennes et les aides aux aéroports. Les aides aux compagnies aériennes sont en principe interdites. Nous avons dit aux autorités belges qu'elles ne pouvaient plus aider Sabena sauf obligation de service public. Cela me permet de répondre à votre question : beaucoup de lignes en France sont régies par ce que nous appelons des obligations de service public et bénéficient à ce titre d'un fonds de péréquation. Une procédure existe au niveau européen pour l'adjudication de ces lignes, mais tout cela n'est pas remis en cause.

Pour ce qui concerne les aéroports eux-mêmes, nous sommes en train d'établir un encadrement, c'est-à-dire un document de référence dans lequel la Commission va dire : "voilà ce que je considère comme une aide qui doit être notifiée et examinée au titre du Traité, et voilà ce qui, dans cette catégorie d'aide notifiée et examinée, sera considéré a priori comme bon ou a priori comme suspect".

C'est ce qui se passe avec les compagnies aériennes puisque nous avons un accompagnement des aides aux compagnies aériennes. Ce cadre sera utilisé comme référence par les autorités publiques lorsqu'elles accorderont des aides.

Notre premier objectif est d'appréhender les aides au fonctionnement des aéroports à cause des distorsions que cela peut créer entre les aéroports.

Pour ce qui concerne la privatisation, nous avons la même position en matière aéroportuaire que dans tous les autres domaines, c'est-à-dire que nous n'avons aucune autorité pour dire si la privatisation est meilleure que la propriété publique.

Le fait est que des mouvements de privatisation conduisent certains aéroports à prendre le contrôle d'autres aéroports. Par exemple, l'aéroport de Spata est partiellement contrôlé par l'aéroport de Francfort. De même, lorsque l'aéroport de Rome a été privatisé, la British Airport Autorities, qui contrôle les aéroports londoniens, avait présenté une offre pour la privatisation, ainsi que l'aéroport de Schipol.

M. Charles de COURSON : Il l'avait fait à Vatry aussi.

M. Michel AYRAL : Les autorités italiennes ont adopté une position que nous avons approuvée. Elles ont dit en effet qu'elles n'acceptaient pas de privatiser ou de vendre leurs aéroports à des compagnies publiques. Par conséquent, l'aéroport de Schipol, qui est encore un aéroport public, même s'il est en voie de privatisation, a été exclu à ce titre et la Commission a estimé qu'il était légitime qu'une infrastructure aussi vitale qu'un aéroport soit protégée de l'intervention publique d'un autre Etat-membre.

M. Charles de COURSON : Votre position est-elle la même à propos du problème des aiguilleurs du ciel, du fait que l'on demande à certaines autorités aéroportuaires de cofinancer les aiguilleurs du ciel, c'est-à-dire de rembourser à l'Etat une partie du coût ? Considérez-vous que c'est compatible avec l'état de vos réflexions ?

M. Michel AYRAL : Normalement, ce sont les compagnies aériennes qui financent les aiguilleurs du ciel.

M. Charles de COURSON : Il y a des redevances, mais la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), en France, demande à un certain nombre d'autorités aéroportuaires de cofinancer les aiguilleurs du ciel.

M. Michel AYRAL : J'en suis assez surpris. Il s'agit certainement de la perception de redevances d'approche qui normalement sont à la charge des compagnies.

Pour ce qui concerne l'autorité aéroportuaire européenne à laquelle vous faisiez référence, nous allons vers une réglementation des aéroports au niveau européen du point de vue de la sécurité et du point de vue de la sûreté. Les attentats aux Etats-Unis nous ont conduits à faire une proposition pour établir une règle commune en matière de contrôle de sûreté et cette proposition, à ma grande surprise d'ailleurs, après une longue expérience des mécanismes de décision communautaires, pourrait être approuvée au Conseil de décembre.

Nous aurons donc, au niveau européen, à travers la Commission européenne qui recevra une délégation de compétence du Conseil pour établir les règles spécifiques, un régulateur de la sûreté qui sera en même temps chargé de vérifier le respect des règles de sûreté.

En matière de sécurité, le Conseil s'est mis d'accord, au mois d'octobre, sur la création d'une Agence européenne de sécurité aérienne qui, pour l'instant, ne va s'intéresser qu'à la sécurité de l'avion et à sa certification, mais il est prévu dans le texte même de ce règlement que les missions de cette agence seront étendues à la sécurité aéroportuaire.

M. Charles de COURSON : Où en êtes-vous sur les aspects environnementaux des aéroports ? Lorsque nous avons discuté de la proposition de loi Cochet, qui visait à interdire toute circulation aérienne la nuit sur les grandes plates-formes françaises et qui est devenue un texte en première lecture qui limite simplement les nuisances aéroportuaires et qui ne les interdit pas la nuit, on nous a dit que vous étiez en train de concocter une directive sur ces questions. Pourriez-vous nous faire le point à ce sujet ?

M. Michel AYRAL : C'est le point que j'ai mentionné tout à l'heure, lorsque j'ai parlé du règlement de limitation des avions "hutchkités". C'est un domaine limité.

M. Charles de COURSON : Je vais préciser ma question car je l'ai mal formulée. Certains prétendent que si certaines législations nationales, notamment en Italie, interdisent, en principe les vols de nuit, y compris sur Milan et Rome, et si d'autres pays ont une liberté totale, nous aurons des distorsions de trafic. Pouvez-vous nous apporter des précisions à cet égard?

M. Michel AYRAL : Nous sommes en train de faire une proposition ; nous avons entendu l'assemblée de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) qui a eu lieu fin septembre - début octobre, parce qu'il faut la prendre en compte, pour finaliser cette proposition qui sera, je le pense, approuvée par la Commission dans deux semaines et transmise au Conseil et au Parlement, qui l'attend avec impatience. Cette proposition comporte deux volets, pour schématiser.

Le premier concerne la méthode d'évaluation du bruit autour d'un aéroport. On a fixé des paramètres techniques.

Sur la base de cette évaluation, l'autorité aéroportuaire ou l'autorité désignée par l'Etat-membre décide des mesures appropriées pour limiter la croissance du bruit et ces mesures peuvent aller jusqu'à l'interdiction des avions qui sont dans une marge de 5 décibels par rapport à la limite actuelle.

C'est une proposition un peu complexe parce qu'on a dû trouver un équilibre entre la nécessaire flexibilité (on ne peut pas fixer à Bruxelles les paramètres qui détermineront une mesure à Vatry et une mesure à Charles de Gaulle : les aéroports et leurs environnements ne sont pas semblables) et le fait que la décision finale soit cohérente d'un aéroport à l'autre. C'est pourquoi on dit que les restrictions opérationnelles ne peuvent et ne doivent porter que sur des avions dans une marge de 5 décibels.

M. Charles de COURSON : Vous ne vous attaquez pas au problème des vols de nuit et ce sera donc une directive très légère par rapport au droit de chacun des pays.

M. Michel AYRAL : Quand j'écoute les Américains, j'en conclus qu'elle n'est pas si légère que cela.

M. Charles de COURSON : Je parle des pays de l'Union.

M. Michel AYRAL : Il est vrai que plus les infrastructures aéroportuaires vont se développer, plus on sera confronté à des risques de détournement et de distorsion à cause des vols de nuit. C'est vrai particulièrement pour les vols cargos. Si vous introduisez des restrictions la nuit à Vatry, je ne sais pas ce qui va se passer.

M. le Président : Comme nous sommes dans une phase de limite d'utilisation des plates-formes et comme on ne peut pas envisager raisonnablement le déplafonnement du nombre de passagers, même s'il aurait fallu plutôt limiter le nombre de mouvements que le nombre de passagers, quand on évoque avec la Direction de l'aviation civile, Air France ou Aéroports de Paris la possibilité de faire monter en charge l'aéroport de Lyon-St-Exupéry et, demain, la plate-forme de Notre-Dame-des-Landes, on nous dit que ce n'est pas une réponse aux besoins du transport aérien, que ce sont des plates-formes trop éloignées de la porte d'entrée que constitue l'Ile-de-France et que nous aurons donc, quoi qu'il arrive, un départ d'une partie du trafic vers d'autres plates-formes, qu'il s'agisse de la Belgique, d'Heathrow ou de Francfort.

Ces objections sont-elles jacobines ou technocratiques ou vous semblent-elles en partie fondées ?

M. Michel AYRAL : Il y a une spécificité française, si on fait la comparaison avec d'autres pays. En Allemagne, en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni, il existe plusieurs plates-formes. Je peux comprendre ce raisonnement si on le rattache à l'organisation du territoire en France.

On ne peut pas obliger Air France à voler à partir de Notre-Dame-des-Landes si cela ne correspond à aucun besoin, mais je crois aussi que la France a un réseau ferroviaire suffisamment maillé pour pouvoir amener les passagers sur d'autres plates-formes. Il n'existe pas dans les autres pays un réseau ferroviaire comparable.

Par ailleurs, et je reviens sur la discussion que nous avons eue sur les règles de propriété, je suis convaincu que, si on permettait à une compagnie non française de développer des liaisons internationales à partir de la France, cette compagnie trouverait une plate-forme qui, comme je le disais tout à l'heure, ne pourrait pas être Charles de Gaulle parce qu'il n'y a pas suffisamment de possibilités et que la concurrence est trop directe.

M. le Président : A Lyon, deux compagnies américaines ont échoué.

M. Michel AYRAL : C'est parce qu'il faut une masse critique suffisante. Je pense que la concurrence pourrait amener cette masse critique. Si Lufthansa s'établissait à Lyon, elle amènerait des passagers à partir de ses liaisons en Italie ou ailleurs, elle organiserait ses vols à partir de Lyon et cela ferait décoller cette plate-forme, mais c'est une hypothèse d'école, bien sûr.

M. Charles de COURSON : Je voudrais vous poser une question juridique. M. Pierre Zémor, le président de la Démarche d'utilité concertée pour un site aéroportuaire international (DUCSAI), dans le rapport qu'il a fait au Premier ministre, a souligné une lacune dans le dispositif juridique français en disant qu'en termes de droit de l'urbanisme, il n'existe pas de droit de survol. Cela veut dire que, dans un plan d'urbanisme, on ne peut pas dire qu'il est interdit de survoler à moins de 2 000 mètres telle zone du territoire d'une commune ou d'un schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme (SDAU).

Aujourd'hui, il existe d'abord un droit des sols en France. Les autorités locales et l'Etat, pour l'Ile-de-France, à travers le SDAURIF, ont le droit de prévoir des zones dans l'organisation de l'espace en disant : "là, on prévoit des espaces verts, ici des zones industrielles, là des zones d'habitation et là on réserve une zone pour un aéroport, une autoroute, une voie ferrée ou un canal". En revanche, il n'existe pas de droit, en France, qui donne le pouvoir aux mêmes autorités de dire qu'il est interdit de survoler telle zone de logement, à la verticale, jusqu'à 1 500 mètres, ou qu'il est autorisé de la survoler dans la limite de 1 000 mètres, mais avec une fréquence qui ne dépasse pas cent mouvements par jour.

Aujourd'hui, les autorités locales peuvent choisir une zone dite de paix pour le logement mais elles n'ont pas le droit d'aller plus haut.

A votre connaissance, cette situation est-elle spécifique à la France et quelle est la position de la Commission ou, plutôt, du droit communautaire à l'égard de ce problème ? Envisagez-vous d'intervenir dans ce domaine ?

M. Michel AYRAL : La Direction nationale de la navigation peut fixer ces contraintes.

M. Charles de COURSON : Oui, mais elle réglemente cela en fonction des intérêts du transport aérien. Ce n'est pas la Direction nationale de la navigation (DNA) qui est responsable de la protection des citoyens mais les autorités locales ou nationales.

Par conséquent, à votre connaissance, cette situation juridique est-elle une spécificité française ou un état du droit dans les quinze pays de l'Union et, si tel est le cas, envisagez-vous quelque chose ?

M. Michel AYRAL : Nous n'envisageons rien à cet égard et, à mon avis, la situation est la même partout.

M. Charles de COURSON : Le droit du sous-sol est une spécificité française : il existe plusieurs interprétations du droit, avec ceux qui pensent que le propriétaire du dessus est le propriétaire du dessous alors que, pour nous, le dessous est propriété publique.

M. Michel AYRAL : Quand je vois comment les choses se passent autour des aéroports, je sais qu'elles ne se passent pas différemment de ce qui se passe en France. Il y a un conflit avec les riverains, les autorités locales et les directions de la navigation, et ce conflit aboutit à la fixation d'un certain nombre de contraintes pour le survol d'une zone particulière. Ces contraintes n'entraînent aucune conséquence en ce qui concerne l'urbanisme.

M. Charles de COURSON : C'est vrai, alors que les infrastructures terrestres, elles, en comportent. Vous pouvez dire que le long de telle autoroute, la zone est inconstructible sur cent mètres.

M. Michel AYRAL : Personne n'interdirait à une autorité locale (je pense que ce serait dans ce cas une autorité locale) ou à une autorité nationale, si c'est elle qui régit l'aéroport, de dire : "voici l'empreinte de bruit pour accéder à cet aéroport" et, à l'intérieur de ce périmètre de bruit, que les scientifiques peuvent maintenant parfaitement calculer en fonction de la capacité potentielle de l'aéroport, d'interdire l'habitat individuel.

M. Charles de COURSON : Cela existe sur le pourtour des aéroports, mais nous n'avons aucun élément sur les couloirs d'accès. Or le problème est encore plus important dans le couloir d'accès qu'à proximité des aéroports.

M. Michel AYRAL : On pourrait le faire. Qu'est-ce qui l'empêcherait ?

M. Charles de COURSON : Aujourd'hui, en droit français, un maire ou une structure intercommunale qui a la compétence de l'urbanisme ne peut pas interdire. C'est une compétence qui relève aujourd'hui de l'Etat via la DNA. Nous arrivons donc à des aberrations avec la non-détention par la même autorité politique du droit de l'urbanisme et du droit du survol.

M. le Président. - A ceci près que, dans un schéma directeur, on pourrait décider que, sous un couloir d'approche, l'urbanisation n'est pas autorisée.

M. Charles de COURSON : Dans ce sens, oui, mais pas dans le sens inverse. En région parisienne, il y a trois couloirs d'accès à Roissy et une enquête publique pour créer le quatrième couloir sud. Or les collectivités survolées (ce couloir risque en effet d'être décidé à la fin de l'année prochaine) ne peuvent pas dire : "non, on n'ouvrira pas ce quatrième accès parce que les plans d'urbanisme des communes concernées l'interdisent" ou bien "on le fait dans la limite de tant de vols ou de tant de mouvements et à telle altitude".

M. Michel AYRAL : Je suis d'accord. D'abord, je ne sais pas si on peut résoudre ce type de problème, mais on doit impérativement prévenir ce type de situation et on doit, à travers des plans d'urbanisme, dire que telle zone ne sera pas constructible parce que ce sera la zone d'accès à l'aéroport.

M. Charles de COURSON : Aujourd'hui, cela ne se passe pas ainsi puisqu'on crée un aérodrome sans poser la question des servitudes sur les couloirs d'accès. On ne parle que de la proximité, mais il y a tout le problème des couloirs d'accès.

M. Michel AYRAL : Vous avez la chance de participer actuellement à une décision sur la création d'un troisième aéroport parisien...

M. Charles de COURSON : Si peu...

M. Michel AYRAL : C'est donc l'occasion de ne pas répéter les erreurs du passé. Il faut que, dès le départ, en identifiant la zone de l'aéroport, on identifie en même temps les contraintes environnementales qui détermineront l'urbanisme autour de l'aéroport.

M. Charles de COURSON : Le problème, c'est que vous ne pouvez pas savoir, lorsque vous lancez un aérodrome, que, dans dix ans, il y aura besoin d'un deuxième et, dix ans plus art, d'un troisième couloir d'accès.

Vous ne pouvez le faire que dans un sens, en tirant les conséquences avant la création d'une plate-forme sur les servitudes au sol, car, une fois que vous avez les constructions, vous ne pouvez pas faire l'inverse, c'est-à-dire imposer des servitudes à la DNA. Le problème, c'est que l'Etat, via la DNA, a un pouvoir qui ne fait pas l'objet d'un contre-pouvoir au niveau local.

M. Michel AYRAL : C'est pourquoi nous disons que le régulateur ne peut pas être le prestataire de services.

M. Charles de COURSON : C'est pourquoi je vais vous pousser dans vos retranchements à travers cette idée de disjonction en disant qu'il faut une autorité de régulation et un gestionnaire.

L'autorité peut être une autorité indépendante ou l'Etat. Je vois mal des collectivités locales à qui on transmettrait ce pouvoir de régulation.

M. le Président : Vous disiez vous-même que c'était au niveau européen que vous l'envisagiez.

M. Charles de COURSON : Dans la région parisienne, le SDAURIF est une compétence de l'Etat alors que, partout ailleurs en France, c'est une compétence locale.

En ce qui concerne le SDAURIF, l'Etat français ne pourra plus imposer des servitudes dans des couloirs d'accès qui seraient fixés par l'autorité de régulation communautaire si on pousse les choses à l'extrême.

M. Michel AYRAL : Pour l'approche des aéroports, les choses se présenteront d'une manière différente : un cadre sera établi au niveau européen et les administrations devront agir à l'intérieur de ce cadre. On ne va pas réglementer l'accès à Nice à partir de Bruxelles.

Cela dit, vous avez raison. Quand ont construit un aéroport, on ne peut pas anticiper totalement le développement de cet aéroport dans les vingt, trente ou quarante ans qui suivent, mais on le construit sur la base d'une estimation de ses capacités et si on arrivait à établir les contraintes environnementales liées aux capacités potentielles de l'aéroport que l'on construit, ce serait déjà positif. En effet, beaucoup d'aéroports ne peuvent pas utiliser leurs capacités à cause des contraintes environnementales.

M. le Président : Monsieur le Directeur, il me reste à vous remercier pour cet échange qui a été très éclairant pour nous. Je ne sais pas dans quelle mesure il sera suffisamment mis en forme pour influer sur une décision dont on lit parfois qu'elle serait déjà prise, mais je suis convaincu que, pour les plates-formes suivantes, quand M. Charles de Courson sera ministre des transports, nous saurons lui rappeler cet entretien extrêmement fructueux...

M. Michel AYRAL : Merci, monsieur le Président.


© Assemblée nationale