ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 9

mercredi 16 janvier 2002
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Philippe Duron, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Robert Savy, Président de la région Limousin, Président de la Commission permanente du Conseil national d'aménagement et de développement du territoire

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La délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a entendu M. Robert Savy, Président de la région Limousin, Président de la commission permanente du Conseil national d'aménagement et du développement du territoire.

M. le Président : Nous recevons aujourd'hui M. Robert Savy, président de la commission permanente du conseil national d'aménagement et de développement du territoire (CNADT) et président d'une région centrale en France, le Limousin.

Au terme de cette législature, la Délégation à l'aménagement du territoire de l'Assemblée a programmé une série d'auditions sur l'évaluation des politiques publiques et les indicateurs du développement durable, un sujet à la fois fondamental, qui a été longuement évoqué dans une série de discussions, notamment lors des débats sur la loi d'orientation du 25 juin 1999, et à propos duquel beaucoup reste à faire.

Monsieur le Président, nous sommes heureux de vous recevoir, d'autant plus que vous avez cette double compétence.

La Commission permanente du CNADT travaille, comme notre Délégation, sur ce sujet, et nous ne pouvons que trouver du profit, les uns et les autres, à échanger nos réflexions et nos interrogations au fur et à mesure que nous avançons sur ce thème.

Par ailleurs, la région Limousin a déjà beaucoup progressé dans ce domaine. Elle a fait à cet égard partie des régions les plus dynamiques avec un vrai savoir-faire et une vraie expérience.

La Délégation souhaiterait faire le point sur vos travaux, sur les difficultés rencontrées, notamment méthodologiques, et sur les résultats obtenus, peut-être d'ailleurs plus dans la région Limousin qu'au niveau national, puisque - je le sais - le CNADT lance seulement son travail.

Elle s'intéresse aussi, compte tenu de ces constatations, aux pistes qui pourraient être suivies dans l'avenir afin d'améliorer les dispositifs existants.

M. Robert Savy : Je ne prétends pas passer pour un expert en cette matière. Il se trouve simplement que j'ai rencontré l'évaluation en deux occasions : d'une part, en tant que président de la commission permanente du CNADT (mais je n'ai aucun mérite, puisque c'est la loi qui prévoit que la commission permanente doit faire de l'évaluation ; cela ne relève d'aucune initiative particulière) ; d'autre part, en tant que président de région, en Limousin, où la situation était un peu différente puisque nous n'étions pas tenus de le faire ; si nous sommes venus progressivement à cette démarche, c'est parce qu'il nous semblait qu'elle était utile.

On pourrait considérer que les politiques publiques conduites par les autorités élues sont évaluées de manière globale, périodiquement, par le suffrage universel. C'est une évaluation qui a son efficacité, mais qui, pour démocratique qu'elle soit, est quand même rudimentaire. En tout cas, elle porte un jugement global qui n'a peut-être pas toute la finesse que l'on attend d'une opération d'évaluation. Il me semble que cela ne nous met pas en règle avec la nécessité de rendre compte des politiques que nous conduisons.

En fait, nous nous sommes mis à l'évaluation - bien que nous la sentions délicate - parce que nous la jugions nécessaire.

Au fond, cette idée nous est venue parce que nous avions commencé à faire de la prospective territoriale. La démarche d'évaluation, chez nous, est fille de notre démarche de prospective territoriale. Nous sommes un peu les premiers en matière de prospective mais nous ne le sommes sûrement pas en évaluation : beaucoup en font.

La prospective permet de dégager des tendances lourdes, d'apprécier des marges de man_uvre et, de ce fait, d'essayer d'élaborer des stratégies pour utiliser ces marges de man_uvre. L'évaluation apparaît comme l'étape suivante pour savoir si on a su utiliser ces marges de man_uvre et si on a su atteindre les objectifs qu'on s'était fixés. L'évaluation, dans notre pratique, est un peu un outil d'aide à la décision.

Cependant, nous nous sommes aperçus très vite que le fait d'essayer de s'évaluer était un exercice délicat, voire périlleux, parce que personne ne sait bien le faire. Il faut en effet conduire une réflexion préalable sur les instruments de l'évaluation et sur les étapes de la démarche évaluative, ce qui suppose que l'on ait su définir le champ de l'évaluation, et, dans ce champ, les objectifs que l'on s'était donnés et, enfin, que l'on soit en mesure d'apprécier les résultats que l'on a atteints.

Il ne faut pas se tromper sur la démarche que l'on entreprend car on aboutit à un jugement d'expert alors que l'on est soumis à une appréciation politique globale. Il ne faudrait donc pas que, par des glissements successifs, on passe de la démarche politique à une démarche d'experts.

Abandonnant ces considérations théoriques, que fait-on des résultats de l'évaluation lorsqu'on s'aperçoit, par exemple, que l'on s'est complètement trompé sur les objectifs ou sur la manière de les atteindre ? Il existe toujours le risque que des adversaires malveillants se servent de ce travail pour le débat politique. C'est légitime, d'une certaine manière, parce que c'est bien là-dessus que doit porter le débat, mais, en même temps, on a toujours une hésitation à fournir soi-même les verges qui permettront de se faire battre.

C'est une question que nous nous sommes posée. Nous avons décidé voici quelques mois seulement de rendre publics les résultats des évaluations que nous menions. C'est ainsi que, tous les ans, seront communiqués au conseil régional siégeant en séance plénière, les résultats des évaluations effectuées et les travaux que nous proposons d'engager.

Voilà les questions que nous nous sommes posées avant d'entreprendre l'évaluation de certaines politiques que nous avons souvent réalisée spontanément. Cela dit, des procédures comme celles des programmes européens ou celles des contrats de plan Etat-région prévoyaient une évaluation, encore que, pour ces derniers, l'Etat, comme je l'ai vu dans ma région, ait fait le service minimum à cet égard. Il a voulu se mettre en règle avec ses obligations officielles, mais je n'ai pas senti une passion pour la méthode et la démarche elle-même.

A partir de là, je peux vous dire sommairement comment nous nous y sommes pris en Limousin et les dispositions que nous avons arrêtées, beaucoup plus récemment - vous l'avez dit - au CNADT.

En Limousin, nous avons commencé à évaluer en 1994, et il est vrai que les contrats de plan et les programmes communautaires ont joué un rôle dans ce domaine. Ce sont eux qui nous ont montré qu'il existait une voie que nous pouvions utiliser ; il est vrai toutefois que ces exigences étaient les mêmes pour toutes les régions, et que certaines s'en sont tenues au minimum réglementaire, alors que d'autres sont allées plus loin.

Nous avons essayé, nous, d'aller un peu plus loin et, depuis 1994, nous avons conduit, seuls ou avec l'Etat, seize évaluations. C'est à la suite de cette expérience que nous nous sommes demandés quelle publicité leur donner, si ce que nous avions fait était techniquement solide ou si, au contraire, cela n'avait pas d'intérêt. C'est ainsi que nous avons demandé à un évaluateur d'évaluer nos évaluations.

Ce travail a été conduit dans le courant de l'année dernière par un organisme qui a été choisi après appel d'offres et mise en concurrence et qui s'appelle le Centre européen d'expertise en évaluation (CEEE).

Il a fait des remarques utiles, notamment qu'il fallait être attentif à la qualité de la commande et donc bien définir ce que nous voulions chercher, veiller ensuite à la conduite des évaluations, apprécier la qualité des rapports - c'est là que cela devient encore plus délicat - se demander ce que nous avions fait des résultats des évaluations, si nous avions tenu compte des propositions. C'est là que l'ambiguïté politique apparaît.

Les propositions d'un évaluateur sont une information intéressante, mais ce n'est pas un programme politique. C'est un élément dont nous avons à tenir compte tout en conservant notre liberté de décision. Qui a autorité pour dire ce qu'est une bonne commande, un bon pilotage ou une bonne exploitation des résultats ? On mesure là toutes les difficultés que l'on rencontre en cours de route.

Pour notre part, notre évaluateur d'évaluation a tiré les conclusions suivantes.

Tout d'abord, il a estimé qu'il fallait continuer parce que la démarche d'évaluation est la seule qui permette d'essayer de mesurer les effets d'une politique et qu'elle permet d'impliquer tous les partenaires de la politique. Lorsque nous avons des difficultés ou que nous avons échoué, cela peut être imputé à plusieurs responsables, et il est donc bon que tous ces partenaires soient autour de la même table.

Nous l'avons mesuré, pour notre part, dans l'évaluation d'une politique d'installation d'agriculteurs. Les mesures que nous avions prises n'étaient-elles pas bonnes ou les opérateurs avaient-ils mal joué le jeu ou n'avaient-ils pas compris nos objectifs ? L'évaluation est un moyen de se demander si nous avons bien tous travaillé dans le même sens ou si, dans le partenariat, des étapes ont manqué.

Par ailleurs, l'évaluateur nous a dit qu'il fallait continuer parce que cela n'était pas très coûteux. La quinzaine d'évaluations conduites dans le Limousin représentent 1,7 % du budget des politiques évaluées. Pour des politiques très ambitieuses, le pourcentage est différent, mais l'ordre de grandeur reste toutefois le même. Il a donc jugé dit qu'il ne fallait pas considérer cela comme du gaspillage parce que ce que cela nous apprenait valait probablement le prix que nous y mettions.

Il nous a dit aussi que nous avions des progrès à faire et qu'il fallait mobiliser davantage les services de la région et nos partenaires. Les services de la région et leurs responsables ont envie de faire "tourner" leurs services et d'exécuter leurs politiques, et ils ne sont pas spontanément amenés à examiner ce qui a été fait. Très souvent, les politiques que nous avons étudiées n'étaient pas nécessairement celles pour lesquelles c'était le plus urgent mais celles pour lesquelles un responsable était prêt à se lancer dans cette démarche.

On ne peut pas dire que nous avons institutionnalisé l'évaluation. Elle dépend encore très largement des initiatives des uns et des autres.

On nous a dit aussi qu'il fallait davantage impliquer les élus. Nos évaluateurs disent prudemment qu'à l'exception du président, la nécessité ou l'intérêt de cette démarche est encore largement ignoré par les élus et qu'il faut donc avancer dans cette voie.

M. le Président. - Je partage ce point de vue.

M. Robert Savy : On nous a aussi fait remarquer que nous n'étions pas assez attentifs aux suites données à l'évaluation. On regarde avec intérêt, on dit : "ceci est juste", on classe le rapport d'évaluation et on ne lui donne pas toujours les suites qu'il mériterait.

J'ai un peu envie de me défendre contre ce grief en disant que la proposition est utile mais que l'autorité politique reste la maîtresse de la suite à donner, d'une part, et du moment où il y aura une suite, d'autre part.

Enfin, il est plus facile de décrire ce qu'il serait idéal de faire dans un rapport d'évaluation que de le faire ensuite, parce qu'il y a la réalité des choses et les positions des partenaires et que tout ne va pas de soi.

Voilà donc l'état des lieux de l'évaluation en Limousin. Nous avons présenté ce rapport sur les évaluations à une séance plénière qui s'est tenue en octobre dernier, et je dois dire que, jusqu'à ce jour, le débat politique entre élus ne s'est pas nourri des griefs que cette évaluation pouvait susciter sur certains points.

M. le Président : Les élus ont-ils perçu cette évaluation comme quelque chose de nouveau et d'un peu extérieur à leur réflexion ou ont-ils été concernés et profondément intéressés par cette nouvelle démarche, avec le souci de mieux s'y intégrer ?

M. Robert Savy : Je ne peux pas répondre à cela. Il me semble en tout cas que personne n'a été choqué que nous disions : "voilà ce que nous avons voulu faire, voilà la manière dont nous nous y sommes pris et voilà ce que cela a donné". Il me semble donc que c'est plutôt encourageant pour continuer. Je pense qu'il ne faut pas que l'on s'exagère le risque politique de la démarche.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont : Avez-vous rencontré des freins administratifs, le personnel territorial a-t-il ressenti à un certain moment le fait d'être évalué comme une agression ou, en tout cas, comme une éventuelle remise en cause de son travail ? C'est ma première question.

Deuxièmement, quand l'organisme préconise d'impliquer plus les élus, cela veut-il dire qu'ils doivent être impliqués davantage dans le processus d'évaluation ou dans le fonctionnement de l'institution ?

Troisièmement, je voudrais savoir en quoi, à ce stade, avec le recul, ces évaluations ont permis d'infléchir ou de ne pas infléchir certaines politiques régionales.

M. Robert Savy : Nous n'avons pas constaté de frein des services parce que nous avons choisi de faire de l'évaluation dans les services où nous pensions qu'il n'y en aurait pas. Je n'ai donc pas de réponse à cette question.

Quant aux élus, l'organisme préconise de les impliquer plus dans le processus d'évaluation. L'implication des élus dans la conduite des politiques n'était pas le sujet. Les évaluateurs soulignent simplement que nos évaluations ne produiront les effets positifs que nous en attendons que si elles ne finissent pas dans un tiroir et si, par voie de conséquence, les élus s'y intéressent. Or, pour cela, il faut qu'ils les aient suivies. C'est la condition nécessaire pour qu'ils les prennent au sérieux.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont : Avec le recul que vous avez, puisque la région Limousin est sans doute celle qui a le plus la pratique de ces évaluations, pensez-vous qu'elles vous permettent d'infléchir parfois les choses ? Avez-vous fait le choix de modifier certaines politiques à la faveur de ces évaluations, sans remettre en cause, bien sûr, la légitimité politique de l'institution ?

M. Robert Savy : Nous avons réalisé des évaluations sur, par exemple, l'insertion des jeunes, et le rôle des missions locales, des PAIO et autres. A ce titre, l'évaluation a relevé une coopération probablement insuffisante ou maladroite entre les services de l'Etat et ceux de la région, et il me semble qu'à la suite de l'évaluation, tous ont compris qu'il fallait travailler de manière plus proche.

Autre exemple : à la suite d'une évaluation - je pense que c'est la meilleure de celles que nous avons faites - sur l'installation des jeunes agriculteurs, l'évaluateur nous a fait remarquer : "on peut considérer que votre politique n'a pas été inutile une fois sur trois". Faut-il s'en réjouir ou s'en lamenter ? Je me dis que cela aurait pu être pire, d'autant plus que nous savions bien que ce n'était pas notre politique qui déclenchait tous les comportements économiques dans un secteur, et qu'agir une fois sur trois n'est probablement pas négligeable du tout.

On nous a indiqué aussi qu'il existait une procédure qui rencontrait plus de succès que l'installation : la mutation d'exploitation, qui a lieu lorsqu'un agriculteur quitte une exploitation qui n'est pas compétitive du fait de sa dimension et s'installe sur une autre.

Cela nous a amenés à réfléchir avec nos partenaires des organisations agricoles pour savoir si nous devions garder notre dispositif ou l'infléchir pour en tenir compte. Voilà un exemple concret de l'incidence possible.

Je m'apprêtais ensuite à dire un mot du CNADT, mais cela ira beaucoup plus vite, car il ne fait que commencer à réfléchir à ce sujet.

La loi du 25 juin 1999 donne compétence au CNADT et à sa commission permanente pour évaluer les politiques publiques et précise que le CNADT fixe les orientations et la commission permanente conduit les évaluations.

Nous n'avons pas tellement tardé à appliquer la loi, parce que le CNADT, en décembre dernier, a arrêté les orientations de sa politique d'évaluation, au nombre de trois.

Il estime, premièrement, que l'on doit rechercher la complémentarité avec les autres acteurs de l'évaluation. Nous ne sommes pas les seuls à y réfléchir et il ne faut pas que tous les organismes s'attellent aux mêmes travaux ; il faut donc entrer en contact avec le commissariat général du Plan, le conseil national de l'évaluation, la délégation parlementaire et la DATAR pour savoir ce qui est fait et pour connaître les domaines dans lesquels une initiative peut être utile.

Deuxièmement, il demande une ligne directrice. Que doit chercher le CNADT lorsqu'il fait de l'évaluation ? On ne va pas se mêler de tous les aspects des politiques publiques. Il faut se concentrer sur certains aspects. La délibération du CNADT indique donc que la ligne directrice est la mesure de l'incidence des politiques publiques sur la cohésion territoriale. C'est le fil directeur de nos interventions.

Cela veut dire que, sur le champ de l'évaluation, nous n'avons pas estimé que certaines matières relevaient de l'aménagement du territoire et que nous allions les évaluer. Nous avons dit plutôt que, toutes les fois qu'une politique a des incidences fortes sur la cohésion territoriale, on peut considérer qu'il nous revient de l'évaluer dans cette perspective.

Troisièmement, le CNADT souligne que lorsqu'on aura évalué, il faudra une publicité des résultats de nos évaluations qui seront intégrées dans le rapport annuel que le CNADT doit remettre au Parlement.

Voilà l'esprit général de notre travail. En même temps, nous avons mis en place un certain dispositif. C'est la commission permanente qui est chargée par la loi et le décret de la conduite de l'évaluation, mais nous avons mis en place un groupe de travail "évaluation" qui se réunit la semaine prochaine pour la première fois et qui comprend des membres du CNADT, d'une part, et des experts, d'autre part, parce que nous considérons que nous ne pouvons pas piloter une démarche d'évaluation sans le recours à une expertise que nous ne détenons pas.

Ce groupe de travail doit donc, pour le compte de la commission permanente, proposer des thèmes d'évaluation, essayer d'en vérifier la faisabilité et assurer leur pilotage. Nous en sommes au début d'un processus, mais nous ne sommes pas les seuls, semble-t-il, dans ce domaine.

M. le Président : Merci, monsieur le Président. Vous avez évoqué les choses de façon très concrète avec l'exemple du Limousin. C'est un excellent exemple qui nous montre à la fois le caractère novateur de l'expérience, le caractère embryonnaire de l'évaluation en France, les difficultés de l'exercice et la façon de s'en saisir.

La circulaire du premier ministre du 25 août 2000 a précisé que la programmation des évaluations par les régions devrait être glissante et porter sur plusieurs années. En Limousin, vous avez jusqu'à présent fait des évaluations thématiques. Avez-vous l'intention de faire en sorte que cette programmation puisse devenir, sur les mêmes thèmes, pluriannuelle, et comment pensez-vous que l'évaluation puisse servir, dans votre région, à l'appréciation en 2003 des contrat de plan Etat-région ?

M. Robert Savy : Si, sur le plan national, nous avons mis en place des dispositifs d'évaluation, sur le plan régional, les situations sont probablement assez contrastées. En Limousin, la conférence régionale d'aménagement et de développement du territoire (CRADT) n'a pas constitué de groupe chargé de l'évaluation.

Par ailleurs, l'évaluation du contrat de plan et des programmes communautaires ne peut se faire qu'en relation avec l'Etat et je sens l'Etat moins mobilisé sur l'utilité d'une évaluation que ne l'ont été, dans certains domaines, les services de la région.

Il n'existe pas, en Limousin, de dispositif d'évaluation en continu du contrat de plan qui puisse être utilisable pour la révision de 2003.

Cela dit, la révision de 2003 ne m'inquiète pas trop, du moins de ce point de vue, parce que les objectifs des programmes communautaires et des contrats de plan avaient été assez clairement définis, que nous ne sommes pas loin de 2003 maintenant et que je n'aperçois pas de mutation considérable dans le contexte de cette politique publique. Nous aurons, par exemple, à nous demander quelles conséquences nous tirons du fait qu'un chantier routier autour de Brive a pris deux ans de retard et ce que l'on fait des crédits. Il se pose des questions de ce type, mais je ne pense pas qu'elles débouchent sur une remise en question forte.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont : Les politiques publiques, à l'heure actuelle, relèvent pour la plupart d'interventions croisées. On en arrive donc, après vous avoir écouté, monsieur le Président, à l'idée que, pour que ces évaluations soient efficaces et pertinentes, il conviendrait que tous les partenaires concernés procèdent de la même façon. Peut-on dire que l'on devrait imaginer à terme une systématisation des évaluations des politiques publiques, dans la mesure où celle-ci peut aller dans le sens de la transparence souhaitée par nos concitoyens ?

M. Robert Savy : Oui. Je pense que le processus qui nous conduit à faire des évaluations est à son commencement, que les états d'esprit ne sont pas prêts et que la culture de l'évaluation est encore à ses tout débuts. Certains services de l'Etat ont été intéressés intellectuellement par cette démarche et ils s'y sont mis, mais l'administration de l'Etat en elle-même n'y est pas du tout prête. C'est pourquoi nous avons été conduits souvent à évaluer des politiques qui étaient les nôtres et seulement les nôtres.

En revanche, je constate que, finalement, l'évaluation n'inquiète ou ne laisse indifférents que ceux qui n'en ont pas fait, parce que le fait de s'y trouver engagé en montre assez facilement l'intérêt.

L'une des difficultés de l'Etat, d'ailleurs, c'est que, bien souvent, certains de ses services seraient prêts à s'engager dans des évaluations mais que la représentation de l'Etat à son niveau de synthèse supérieur ne le fait pas.

M. le Président : Un préfet attend les conclusions avant de construire le discours.

M. Robert Savy : Tout à fait. En revanche, un directeur régional de l'agriculture et de la forêt se passionnera sur ce que nous avons fait sur les jeunes agriculteurs. Il faut donc donner du temps au temps.

M. le Président : J'ai une autre question. Comme on le voit bien dans ce que vous venez de nous dire, chacun semble convaincu aujourd'hui du caractère inéluctable de l'évaluation. Le discours politique ou administratif commence à se nourrir de l'évaluation et on parle beaucoup d'évaluation ex ante et de tableaux de bord pour suivre les politiques publiques. La réalité est toute différente.

Pensez-vous que ces moyens doivent être mis en place, qu'ils peuvent l'être dans un délai relativement raisonnable et aussi qu'il faut que les évaluations soient comparables d'une région à une autre et, peut-être même, "euro-comparables", pour faire en sorte que nous ayons à la fois une véritable vision des politiques publiques et des différences régionales qui peuvent apparaître et que nous ayons aussi, peut-être, des arguments pour mieux défendre nos régions et nos politiques publiques vis-à-vis de Bruxelles ?

M. Robert Savy : Je ne le sais pas. Je pense simplement qu'il existe plusieurs niveaux d'évaluation. Le niveau auquel je me suis situé jusqu'à maintenant concernait ce qui s'était passé dans le cadre de la région. Or j'ai peur de la construction d'indicateurs homogènes à l'échelle nationale ou européenne, parce que le fait qu'une politique aboutisse ou n'aboutisse pas aux résultats qu'on lui a assignés dépend à la fois de facteurs locaux, de facteurs nationaux et de facteurs européens.

Si on est capable de construire des indicateurs qui renvoient à chaque niveau d'intervention sa propre responsabilité, c'est possible, mais la diversité des territoires et des problèmes à résoudre fait que je ne crois pas que l'on puisse construire des indicateurs valables dans des situations très différentes.

Dans certaines régions françaises, l'installation d'agriculteurs n'est pas un problème, alors que dans d'autres c'en est un. Il existe sans doute aussi des régions dans lesquelles la difficulté d'installation tient à un déficit démographique dans la génération concernée alors que, dans d'autres, la difficulté tient au prix de la terre ou à d'autres raisons.

Je ne vois pas bien comment on peut bâtir un système d'évaluation trop global, mais je n'ai pas encore suffisamment réfléchi à ces questions pour que mes remarques soient autre chose qu'une impression ou qu'une réaction à votre question.

M. le Président : Finalement, vous partagez assez le sentiment du conseil national d'évaluation sur ce point, qui estime que chaque évaluation doit porter en elle-même ses indicateurs et ses objectifs.

M. Robert Savy : Je le crois assez, en effet.

M. le Président : Vous avez évoqué la diffusion de l'évaluation au sein de votre conseil régional. Comment peut-on mieux faire connaître les évaluations et diffuser les pratiques de l'évaluation à l'échelon infra-régional ? Pensez-vous notamment que les régions puissent avoir un rôle pédagogique pour que les pays, les agglomérations et les collectivités infra-régionales, à leur tour, commencent à s'évaluer et à mieux mesurer l'efficacité des politiques qu'elles mettent en _uvre ?

Je dis cela parce que selon la loi d'orientation et de développement du territoire, la région est l'échelon pertinent en matière d'aménagement du territoire.

M. Robert Savy : La construction institutionnelle française est riche et complexe et le principe de la libre administration des collectivités territoriales fait que chaque autorité non seulement est libre mais doit se sentir libre de faire ou de ne pas faire. Je pense donc qu'il existe une infinité de situations différentes suivant les cas.

Dans la région qui est la mienne aujourd'hui, je n'ai pas du tout envie de faire du prosélytisme de l'évaluation. Je me dis simplement que si on la fait bien et si on le fait savoir, cela donnera envie à d'autres de le faire, mais qu'il serait probablement contre-productif de faire du prosélytisme.

Cela dit, j'ai l'impression que la fonction d'évaluation des conférences régionales d'aménagement du territoire (CRADT) n'est pas au premier rang des préoccupations des préfets dans les régions et les départements. Si l'Etat considère que c'est important, il a tous les moyens de leur dire de s'y intéresser. Or, pour le moment (je ne sais pas si vous avez des informations d'autres régions, mais, en Limousin, la cellule d'évaluation n'est pas constituée), je ne sens pas une pression très forte pour que l'on aille très vite.

M. le Président : En Basse-Normandie non plus. On se réunit rarement.

M. Robert Savy : En fait, il est bien possible que des politiques municipales précises soient plus faciles à évaluer, du point de vue de la méthodologie, que des interventions économiques un peu diffuses à l'échelle régionale.

M. le Président : J'ai posé la question parce que, dans le cadre des contrats entre l'Etat, les pays et les agglomérations, les régions peuvent contribuer à nourrir ces contrats. Par le biais de la contractualisation, on peut donc aussi être amené à avoir des desiderata en matière de mesure de l'impact des politiques publiques et des fonds publics qui y sont injectés.

M. Robert Savy : Les contrats de plan prévoient ce dispositif d'évaluation. La région est en train de se demander si, dans les contrats de pays qui seront à conclure demain, il ne faut pas prévoir un dispositif d'évaluation. D'ailleurs, la convention d'application des contrats de plan que nous sommes en train de signer en Limousin l'a prévu. Je pense que c'est ainsi qu'il faut que nous commencions à apprivoiser la démarche.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont : Si la politique d'évaluation des politiques publiques est aussi balbutiante, c'est pour des raisons diverses et, sans doute, parce que les élus - et j'en suis - ont peut-être parfois un peu peur d'y voir une perte en ligne de leur autonomie politique, de voir un plus grand pouvoir donné aux technocrates.

Comment arriver à prouver et à convaincre que l'évaluation est un outil pour la prise de décision des politiques, voire pour l'évolution des décisions prises, mais qu'en aucun cas, les propositions ne peuvent se retourner contre ceux qui les ont demandées ? Autrement dit, comment déminer cette crainte que peuvent avoir certains élus à propos des politiques d'évaluation ?

M. Robert Savy : Cette crainte est réelle, et je l'ai mesurée, mais je me suis dit en fin de compte qu'il valait mieux que je me fasse évaluer par des évaluateurs que par mes adversaires politiques et que cela présentait sans doute moins de risques.

Il est vrai aussi que, plus l'unité sur laquelle on travaille est restreinte, plus l'impact de l'évaluation risque d'être fort. Il est peut-être plus dangereux d'évaluer une politique communale dans une commune moyenne que d'évaluer une politique sectorielle dans une région.

Cela dit, il faut que les élus prennent le risque de l'évaluation, mais il existe probablement des cas où ce n'est pas possible. La sensibilité de certaines politiques peut faire d'ailleurs que l'évaluation n'est pas raisonnable.

M. le Président : On le voit avec les programmes de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA) et ce que souligne le rapport de la Cour des comptes sur la faible efficience des politiques de protection des bassins.

M. Robert Savy : Certes, mais en l'occurrence, il faut que l'évaluation soit faite à un niveau suffisamment dégagé du terrain, parce que l'on en a aussi besoin.

M. le Président : Je tiens, Monsieur le Président, à vous remercier de cette présentation tout à fait intéressante de votre expérience limousine. Nous suivrons avec beaucoup d'intérêt les travaux du CNADT en matière d'évaluation - j'y participerai moi-même, je l'espère -, et nous essaierons de tirer le plus grand profit de ce que vous nous avez dit cet après-midi.


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