ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 10

mardi 24 janvier 2002
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Philippe Duron, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Yves COCHET, Ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement

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La délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a entendu M. Yves COCHET, Ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

M. le Président : Mes chers collègues, la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire est heureuse de recevoir pour la première fois M. Yves Cochet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Au terme de cette législature, notre Délégation a programmé une série d'auditions sur l'évaluation des politiques publiques et des indicateurs du développement durable, sujet qui nous a paru fondamental, novateur mais encore embryonnaire et fort complexe.

La Délégation souhaite évoquer avec vous les travaux effectués dans les différentes instances à ce sujet, et pouvoir échanger sur les difficultés rencontrées, notamment méthodologiques, les résultats obtenus et les suites à apporter aux études qui ont déjà été engagées. Elle s'intéresse aussi, compte tenu de ces constatations, aux pistes qui pourraient être suivies pour l'avenir, afin d'améliorer les dispositifs existants.

Je vous poserai, en préalable, différentes questions : comment l'État participe-t-il à l'évaluation des contrats de plan État-région ? Existe-t-il une évaluation qui permettra d'alimenter la révision en 2003 ? Où en est l'évaluation glissante préconisée par la circulaire du 20 août 2000 ? Quelles sont les procédures mises en œuvre pour évaluer les différents schémas de services collectifs qui nous ont occupés pendant de nombreux mois au sein de cette Délégation ? Faut-il envisager des indicateurs homogènes sur l'ensemble du territoire national, ou, au contraire, tenir compte des disparités régionales ou locales ? Peut-on envisager une articulation entre les indicateurs régionaux et nationaux ?

M. Yves Cochet : Monsieur le Président, messieurs les députés, en effet, l'évaluation est une nouveauté en France, mais elle est indispensable. Il s'agit d'un exercice de rationalisation qui répond à un triple enjeu : la rigueur, la transparence et l'efficience des politiques publiques.

Tout d'abord, la rigueur. Si nous mettons en _uvre des politiques publiques et que nous ne savons pas exactement ce qu'elles adviennent, nos concitoyens nous le reprocheront.

Ensuite, la transparence, qui est un phénomène incontournable dans notre société, les débats sur les grands sujets étant de plus en plus réclamés par nos concitoyens, nous l'avons vu en matière d'aménagement du territoire l'année dernière, sur la problématique aéroportuaire. Aujourd'hui encore, nous avons décidé, M. Jean Glavany et moi, d'organiser un débat sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) en plein champ.

Enfin, l'efficience des politiques. Toutes les politiques sont tournées vers un objectif qui s'appuie sur les valeurs de la majorité qui les porte. Il convient donc de savoir si ces objectifs sont atteints par rapport aux dispositions que nous mettons en _uvre.

L'Union européenne joue un rôle déterminant dans la mesure où elle nous propose que cette évaluation soit partie intégrante des politiques communautaires. Des règles ont, par exemple, été adoptées pour la programmation 2000/2006 des fonds structurels. Il s'agit de règles très contraignantes, car en 2003 sera dressé le bilan d'étape. La poursuite de cette programmation sera conditionnée par notre capacité nationale à produire ces évaluations intermédiaires, sans lesquelles la Commission européenne ne pourrait valider la poursuite de certaines mesures ou de certains programmes.

L'évaluation des politiques publiques est un objectif à la fois politique et méthodologique du Gouvernement. Nous envisageons donc trois échelons de renforcement.

Tout d'abord, à l'échelon national. Le cadre législatif et réglementaire a été profondément renouvelé en 1999 et en 2000, avec cinq nouvelles lois votées : la loi d'orientation d'aménagement et de développement durable du territoire (LOADDT), la loi relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), la loi d'orientation agricole et la loi d'orientation forestière. Ces lois ont des implications territoriales importantes et font référence au principe de développement durable qu'il convient donc d'évaluer.

Nous devons rendre cohérente, en pratique, la mise en œuvre de ces différentes lois, rechercher la simplification lorsque cela est possible - nous savons que ces lois ont été particulièrement ciselées du point de vue juridique et politique -, améliorer l'efficacité des procédures, observer les résultats. A la fin 2003, nous procéderons à la révision des contrats de plan et des documents uniques de programmation (DOCUP) à l'échelon européen, et, en 2005, à celle des schémas de services collectifs, avant une nouvelle génération de contrats de plan à partir de 2007, afin que tout cela soit cohérent. Cette adaptation ne peut avoir lieu que si nous avons une évaluation de notre travail.

Ensuite, à l'échelon européen. La politique régionale, après 2006, sera profondément modifiée dans une Europe élargie. En 2003, nous aurons des discussions très concrètes avec la Commission européenne et les États membres, nous aurons donc besoin des résultats d'analyses précises concernant l'impact des politiques européennes actuelles sur la cohésion des territoires français, la compétitivité, la politique régionale proprement dite, les politiques sectorielles - transports, recherche, agriculture. Nous pourrons, par exemple, poser la question suivante : existe-t-il une valeur ajoutée des politiques européennes au développement territorial de notre pays ?

Enfin, à l'échelon culturel. Tout cela doit devenir, pour nous, décideurs, élus, une habitude. L'implication des acteurs locaux et régionaux du développement ne peut se faire que par le développement d'une culture de l'évaluation ; les élus doivent accepter que ce qu'ils mettent en œuvre soit analysé par des tiers, et de recevoir des propositions d'adaptation.

Comment procéder à une bonne évaluation ? Observer, tout d'abord, anticiper les évolutions et identifier les enjeux de ce qui se passe actuellement dans la mise en œuvre, par exemple, des cinq lois que j'évoquais. Il convient ensuite de faire de la prospective, de déterminer les tendances de la mise en œuvre de ces lois. Enfin, l'évaluation elle-même doit occuper une place croissante par la concertation et la prise de décision aux différents niveaux.

Quel est le mode opératoire de l'évaluation ? Je prendrai pour cela les deux domaines de mon ministère : l'aménagement du territoire et l'environnement.

Premièrement, l'aménagement du territoire. Plusieurs instances ont des missions d'évaluation des politiques territoriales : votre Délégation et celle du Sénat, le Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire (CNADT), l'instance nationale d'évaluation, les conférences régionales de l'aménagement et du développement du territoire (CRADT), le Conseil national d'évaluation et le Commissariat général du plan. On y ajoutera toutes les instances qui sont multiples au niveau national et la Commission européenne qui a recueilli l'expérience de nombreux États membres pour savoir évaluer sa propre politique de fonds structurels. Il existe donc déjà des instances qui s'occupent de l'évaluation de l'aménagement du territoire.

Le CNADT, lors de sa dernière réunion du 27 novembre 2001, a mandaté sa commission permanente pour travailler "en complémentarité avec les autres acteurs de l'évaluation avec, pour ligne directrice, la mesure de la cohésion territoriale".

J'évoquerai maintenant quelques actions nouvelles engagées par mon ministère pour contribuer à cet effort d'évaluation.

Premièrement, s'agissant de l'aménagement du territoire, le renforcement des dispositifs eux-mêmes d'observation et de suivi (que veut-on mesurer et avec quels outils ?). Le système d'information, dont la refonte a été engagée en 2001 - et qui se poursuivra jusqu'en 2003 - porte sur l'amélioration du suivi financier et de l'aide à l'évaluation des actions dans le cadre des programmes. Pour le programme de la prime d'aménagement du territoire (PAT), par exemple, les critères d'attribution ne sont plus tout à fait les mêmes. Je citerai également le fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT), le suivi des comités interministériels pour l'aménagement et le développement durable du territoire (CIADT), les contrats de plan et les DOCUP. Voilà cinq programmes qu'il convient d'évaluer, avec des tableaux de bord qui seront facilités par une meilleure lisibilité des agrégats budgétaires dans le cadre de la réforme de l'ordonnance organique de 1959 que vous commencez à mettre en oeuvre.

S'agissant des contrats de plan et des fonds structurels, la DATAR en assure le suivi et l'évaluation, à l'aide du système d'information PRESAGE. Les effets de ce financement, dans le cadre des DOCUP, sont rapportés aux priorités nationales et communautaires en matière d'emploi, de développement durable et d'égalité des chances hommes-femmes.

Dès cette année, une étude a été lancée. Elle permettra, à la fin du premier semestre, de comparer les objectifs inscrits dans chaque région au titre de ces programmes - contrats de plan et fonds structurels - et elle apportera une contribution opportune à l'instance que met en place le conseil d'évaluation sur ces sujets.

Le système informatique de suivi physique par objectif sera amélioré afin de déceler les écarts dans la mise en œuvre de ces programmes selon les domaines ; nous devons tout faire pour éviter les retards dans leur exécution, comme ceux qui ont été accumulés dans certains secteurs au cours de la génération précédente de contrats de plan. Nous suivrons avec une attention particulière le fret ferroviaire, qui, pour des raisons de développement durable, est une priorité du Gouvernement. Lorsque M. Jean-Claude Gayssot affirme vouloir doubler le fret ferroviaire à horizon de dix ans, c'est bien, mais selon les statistiques, il s'agit simplement du maintien de la proportion du fret ferroviaire par rapport à l'ensemble du fret.

Autre exemple : les infrastructures de communication dans les territoires peu denses - l'accès au haut débit, à la téléphonie mobile. Une ingénierie du développement territorial dans les pays et les agglomérations est nécessaire pour que ces projets soient de qualité sur l'ensemble du territoire. Nous avons bon espoir, car il existe une réelle volonté de mettre en place les agglomérations et les pays.

Cette année, la DATAR et le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement proposeront un observatoire des territoires qui tentera de rassembler des indicateurs disponibles en France et en Europe pour faire le point sur les effets recherchés par nos politiques, dans les territoires, c'est-à-dire un développement équilibré ou une cohésion territoriale. Nous sommes en train d'élaborer une maquette avec les principaux organismes producteurs de données qui sera diffusée prochainement et qui sera étudiée en vue de la production d'une version complète en fin d'année ; un site Internet permettra, en temps réel, de nourrir cet observatoire des territoires. Cette opération sera montée en liaison avec le projet européen ORATE de mise en réseau des chercheurs de l'Union européenne.

Second axe de travail permettant de bien évaluer les politiques du territoire : les thèmes prioritaires. L'objectif est de s'interroger sur l'impact réel de nos politiques par rapport à ce que nous souhaitons. Concernant tout d'abord le volet territorial des contrats de plan et des DOCUP, il convient de déterminer les périmètres pertinents par rapport à ceux qui sont définis par les autres lois - à savoir les pays et les agglomérations. Les contenus des chartes, des contrats, la composition et le fonctionnement des conseils de développement, contribuent-ils aux objectifs de développement durable, à la démocratie participative et à la cohésion économique et sociale ? Plus généralement, la territorialisation des politiques publiques devra être abordée sur la base des expériences acquises.

Autre point : l'accessibilité et la qualité des services publics. Je fais référence aux nouvelles technologies, à l'Internet à haut débit, à la téléphonie mobile, mais tout cela doit se développer dans un contexte européen. La communication de la Commission européenne au Conseil en octobre dernier préconise la mise en place d'une évaluation comparative de la qualité et des coûts des services d'intérêt général ; il s'agit là d'un point très important, d'une partie du modèle européen.

Autre question qui me préoccupe : nos instruments de discrimination politique, à savoir les zonages. Bien entendu, nous prendrons en compte, monsieur le Président, le rapport que vous avez remis l'année dernière au Premier ministre à ce sujet.

Concernant les dispositifs de planification et de programmation dans ces nouveaux cadres législatifs, en particulier les schémas de services collectifs qui sont des schémas à vingt ans, il s'agit de prospective, mais il convient de mettre en place leur suivi et de déterminer leur fonction .

Seconde partie : l'environnement.

De nombreux travaux internationaux, européens et français sur les indicateurs, se sont développés depuis le sommet de la Terre à Rio, en juin 1992 ; ils tournent tous autour du schéma d'analyse suivant : les États, les problèmes et les réponses apportées par les États eux-mêmes. Ces informations sont souvent synthétiques, significatives, mais leur interprétation est parfois difficile. Il existe une stratégie nationale du développement durable dans le cadre de la préparation de Johannesburg (2-11 septembre 2002) qui sera coordonnée par M. Michel Mousel, l'ancien président de la mission interministérielle de l'effet de serre (MIES).

L'Agence européenne de l'environnement fournit un certain nombre d'indicateurs environnementaux : la qualité de l'air en milieu urbain, l'éco-efficacité des ménages, des transports, de l'agriculture et de l'énergie, l'efficacité énergétique, les prélèvements d'eau, les dépenses et consommations des ménages, le prix réel des carburants, le prix réel du transport passager, etc. Tous ces indicateurs quantitatifs sont donc recueillis par l'Agence européenne de l'environnement ; nous en avons discuté longuement au conseil de l'environnement du 29 octobre dernier, et la présidence espagnole en proposera quelques autres lors du conseil de Barcelone.

Ces indicateurs sont articulés avec les objectifs européens de la stratégie de développement durable élaborée lors du sommet de Göteborg. Les États membres étaient chargés d'établir eux-mêmes une stratégie nationale, à laquelle nous participons, mais c'est M. Michel Mousel qui coordonnera tout cela.

Nous trouvons, dans les contrats de plan État-région et les DOCUP, des indicateurs d'évaluation environnementale qui seront utilisés en 2003, concernant par exemple les moyens financiers immobilisés et les impacts environnementaux des mesures considérées. Pour cela, nous avons conçu un outil de suivi, OSEE ; Mme Dominique Voynet avait déjà créé la direction des études économiques et de l'évaluation environnementale ("D4E"), qui repose sur la collecte, par les directions régionales de l'environnement (DIREN) d'une quarantaine d'indicateurs spécifiques qui concernent l'approche et les impacts environnementaux dans les contrats de plan État-région et les DOCUP.

En ce qui concerne l'aspect environnemental, nous allons suivre le schéma de services collectifs des espaces naturels et ruraux, pour lequel des indicateurs de développement durable doivent être mis en place, notamment pour mesurer l'impact des différentes activités sur l'état de conservation et l'efficacité des mesures de protection et de gestion du patrimoine naturel. Nous avons dix enjeux stratégiques, dont la mise en place a déjà commencé ; il existe un comité de suivi du schéma au sein duquel sont présents tous les services :les  DIREN, les directions régionales de l'agriculture et de la forêt (DRAF), le Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts (CEMAGREF), l'Institut national de la recherche agronomique (INRA). Une de ses premières tâches est de valider le choix de la quarantaine d'indicateurs que nous proposons.

Une autre évaluation environnementale est réalisée avec la Fédération des parcs naturels régionaux (PNR). Depuis deux ans, nous organisons avec elle des rencontres interrégionales afin de mettre en place les systèmes d'évaluation de la politique des PNR. Elle nous fournit des éléments indispensables de suivi et d'évaluation.

Par ailleurs, la commission "environnement-littoral" a été mise en place en 2001 à la demande de mon ministère. Elle s'est intéressée, par exemple, à la situation de la rade de Brest, du Golfe du Morbihan, du Perthuis charentais et d'autres sites, ainsi que de la gestion intégrée des zones côtières. Le rapport de cette commission doit être remis d'ici quelques mois. Par ailleurs, nous allons créer un observatoire du littoral en liaison avec l'Institut français de l'environnement (IFEN), notre bras statistique.

Enfin, il y a Natura 2000, qui s'occupe à la fois d'environnement et d'aménagement du territoire. Pour cela, l'Atelier technique des espaces naturels, sur lequel le ministère exerce sa tutelle, est chargé d'accompagner une action qui doit aboutir à la production d'outils permettant aux gestionnaires de Natura 2000 d'évaluer sa mise en _uvre.

Tout cela est un début de promotion de la culture de l'évaluation. Il ne s'agit pas d'apporter une connotation négative à propos des porteurs de projets, nous ne les notons pas ; cela doit devenir une culture normale, ce sont des outils indispensables pour savoir si l'on va dans la bonne direction, dans la rigueur et la transparence.

M. le Président : Monsieur le ministre, merci, nous avons pu apprécier l'effort réalisé par votre ministère pour mettre en place des outils d'évaluation, pour faire en sorte que ces politiques voulues à la fois par l'Europe et le Gouvernement français deviennent réalité.

Vous nous avez dit que le développement de la culture de l'évaluation était également un objectif culturel. Nous avons vu quels étaient les outils méthodologiques ; votre ministère envisage-t-il de fournir un effort de formation à l'adresse des fonctionnaires afin que cette préoccupation nouvelle soit prise en compte de façon plus transversale et à tous les échelons de l'appareil d'État ?

M. Yves Cochet : Un nouvel institut relatif au développement durable propose depuis deux ans aux préfets, aux fonctionnaires et à d'autres de leur fournir son aide : il s'agit de l'Institut des hautes études d'aménagement du territoire. Par ailleurs, j'ai demandé à la DATAR de réfléchir à la "contamination positive", à la propagation des bonnes pratiques pour la phase d'évaluation des contrats de plan et des DOCUP. Les collectivités locales, les associations, les entreprises, qui sont à la recherche de méthodologie pour évaluer les projets, pourront ainsi être aidées par cette réflexion de la DATAR. L'idée est de travailler avec toutes les têtes de réseaux qui sont capables de faire de la pédagogie dans ce domaine ; je citerai l'association française des conseils de communes et des régions d'Europe. Toutes ces personnes ont déjà réfléchi à cette pédagogie, à cette formation à l'évaluation. Il est vrai qu'en France, nous sommes en retard par rapport à d'autres pays de l'Union européenne.

M. Léonce Deprez : Monsieur le ministre, cette Délégation a un intérêt dans la mesure où l'on arrive à faire le lien entre la démocratie et la technocratie. Nous sommes un certain nombre à vivre tout cela à la fois sur le terrain et ici. Hier, par exemple, j'essayais d'expliquer à quatre maires et une dizaine d'adjoints au maire ce que vous venez de nous dire dans un langage beaucoup plus expert. J'ai ainsi pu mesurer à quel point il était difficile d'expliquer ce problème aux élus qui, eux, gèrent le territoire. Avez-vous compris la nécessité qu'il y a à ne pas trop technocratiser ces sujets ? Ce que vous venez de nous expliquer ne me rassure qu'à moitié ! Pouvez-vous imaginer cette simplicité de l'action à partir du territoire ?

Nous vivons dans la pratique ce que vous concevez. Nous expliquons aux élus locaux que le pays et l'agglomération sont l'avenir ; nous allons donc faire une charte de pays, puis un contrat de pays et un schéma de cohérence territoriale (SCOT). Ces pays seront constitués à partir de communautés de communes qui se fédèrent pour représenter un espace géographique plus large à partir duquel nous allons concevoir la charte de pays, le contrat de pays, de façon à ce que, logiquement, les SCOT "collent à la peau" des pays et des agglomérations. La charte de pays, le contrat de pays et le SCOT, voilà trois rendez-vous qu'il ne faut pas manquer, notamment pour 2003.

Pour passer du stade de concept au stade de l'action et de l'efficacité que vous pourrez évaluer, un cheminement est nécessaire. Il conviendrait de simplifier les directives adressées aux préfets, afin qu'ils assurent plus facilement les moyens d'ingénierie auprès des élus qui ont réalisé l'effort de se constituer en communauté de communes, en pays ou en agglomération.

Certains élus, qui possèdent encore le "bon sens paysan", se demandent comment ils vont faire pour réaliser une charte et un contrat de pays ; certains élus peuvent se démarquer et le faire eux-mêmes, mais bien souvent ils préfèrent nommer un agent de développement, spécialiser un collaborateur grâce aux crédits que vous avez accordés à la région.

D'autres font appel à un bureau d'études, autre technocratie privée ! Comment échapper au risque d'une technocratie publique, qui transpire à travers votre exposé, mais qui doit se concrétiser au niveau du territoire ? Comment faire en sorte que l'on n'aboutisse pas à ce que ce soient les bureaux d'études privés qui dialoguent avec les experts publics, les élus n'ayant plus la maîtrise de leur territoire, de leurs projets ?

M. Yves Cochet : Nous avons fait imprimer à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires des petits livrets expliquant la mise en place des pays et des agglomérations, la nécessité d'une charte, d'un contrat, que je vous ferai parvenir.

En ce qui concerne l'évaluation et la mise en place de toutes ces lois, nous essayons de faire en sorte qu'il y ait une cohérence entre les périmètres des pays et les SCOT ; nous avons d'ailleurs donné des instructions aux préfets. L'ingénierie territoriale sera financée au titre du volet territorial des contrats de plan État-région.

Quant à votre idée de nommer des agents de développement dédiés aux pays, je la trouve excellente ; ils sont sous le contrôle politique des élus locaux, et bénéficient en général du soutien des collectivités. Nous sommes tout à fait disposés à mettre à disposition des outils à la fois intellectuels et financiers. Si des bureaux d'études privés interviennent - il y a un marché de l'aménagement du territoire comme il y a un marché de l'eau -, très bien, je ne suis pas contre. Il faudra simplement qu'ils puissent aider réellement les élus locaux. Je suis tout à fait conscient que l'enchaînement de toutes ces lois effraie les élus qui se demandent, non pas où va-t-on, mais comment (y va-t-on).

M. Jean-Michel Marchand : Monsieur le ministre, la rapidité de la mise en œuvre de ces différentes structures préoccupe les élus - communautés de communes, communautés d'agglomérations, pays, SCOT, plans locaux urbanisme (PLU), etc. - ainsi que la pertinence et la cohérence des territoires. Nous savons tous comment chacun se comporte : il y a toujours une volonté de "redécouper" son territoire ; or je ne crois pas que ce soit l'esprit de la loi.

Deuxième point, le pays est un territoire de projets et non pas une nouvelle structure ; nous devrons, sur ce point, être particulièrement vigilants. Je ne mettrai pas un centime dans un pays qui deviendrait une supra structure et qui abandonnerait tout projet pour devenir simplement un tiroir-caisse - encaisser d'un côté et redistribuer de l'autre. Il convient donc de faire preuve de beaucoup de pédagogie.

En effet, un certain nombre de ces directives ne correspondent pas exactement aux politiques menées sur les territoires. Je pense en particulier à des politiques départementales ou régionales. Je comprends bien l'intérêt de ces évaluations, mais il serait nécessaire de diffuser les documents existants, afin que les élus locaux relisent les textes (ils le feront de façon différente que les technocrates) que nous avons produits.

M. Yves Cochet : Monsieur le député, puisque vous faites à la fois les questions et les réponses, je ne puis qu'approuver votre détermination, votre volonté politique et vos propos !

M. le Président : Monsieur le ministre, je vous poserai deux questions relatives à l'évaluation.

La première concerne l'implication des régions et de l'État en matière d'évaluation des contrats de plan État-région. Vous avez fait allusion aux sections spécialisées des CRADT, or j'en vois assez peu se mettre en place. Par ailleurs, M. Robert Savy disait la semaine dernière qu'il trouvait l'État, et notamment les préfets, peu empressé en matière d'évaluation. Lorsqu'il travaillait sur le sujet, il a pu s'apercevoir que les préfets avaient des approches assez administratives : évaluation de la mise en place des fonds, respect des calendriers, mais peu d'évaluations qualitatives. Comment inciter les préfets à le faire ? A qui confier ce travail en région : le préfet, le secrétariat général pour les affaires générales (SGAR), faut-il une coopération entre le préfet de région et le président de région ? Comment pouvons-nous accélérer ce processus afin d'être fins prêts en 2003 ?

Ma seconde question concerne la comparabilité des évaluations. Lors de l'audition de M. Yves Cousquer, Mme Véronique Hespel nous disait que le Conseil national d'évaluation et le Commissariat au plan considéraient qu'il n'était pas utile d'avoir trop de critères d'évaluation standardisés et que chaque grande enquête d'évaluation devait secréter elle-même ses propres indicateurs et critères. Je m'interroge donc à ce sujet. En effet, nous devons mesurer la compétitivité de chacun de nos territoires, repérer ceux qui se laissent distancer, mais nous avons également à défendre nos territoires dans le cadre européen.

Nous menons actuellement un débat important sur le produit intérieur brut (PIB). Nous voyons bien qu'au travers de cet indicateur, qui n'est certainement pas suffisant pour mesurer le développement des territoires, certains territoires, qui bénéficient de politiques structurelles bien dotées, telles que l'objectif 1, se sont très rapidement développés au cours de ces vingt dernières années - je pense au Portugal, à l'Espagne, à l'Irlande. Il serait demain dangereux que les aides européennes soient mal proportionnées aux besoins ; nous aurions alors un effet déstabilisateur qui pourrait pénaliser des territoires particulièrement fragiles dans un pays aussi vaste que le nôtre et dont les densités sont moins importantes.

M. Yves Cochet : Monsieur le président, l'implication de l'État a été définie par une circulaire du Premier ministre du 25 août 2000 ; elle charge le Commissariat général du plan d'assurer la coordination de l'évaluation. La circulaire transfère les financements que l'État déconcentre - 6/10 000 de la part de financement total de la part de l'État - en fonction de la programmation des évaluations qui est établie dans chaque région. Ce même Commissariat du plan apporte son soutien méthodologique sur les thèmes transversaux et c'est lui qui organise la mutualisation et les échanges d'expériences entre régions.

Du point de vue temporel, nous allons, en 2002, essayer de disposer d'un système simple et efficace de suivi financier par objectif. En s'appuyant, par exemple, sur l'annexe 4, qui est commune à tous les contrats de plan État-région et qui n'existait pas dans la génération précédente, une étude a été lancée par la DATAR sur la définition d'une grille d'objectifs harmonisée entre les contrats de plan État-région et les DOCUP, qui permettra de mettre en place les indicateurs sur une quinzaine d'objectifs nationaux et européens. Nous aurons le résultat de cette proposition de grille dans environ six mois.

Seconde question : doit-il y avoir uniquement des indicateurs régionaux, mais dans ce cas nous perdrons la comparabilité, ou bien uniquement des indicateurs nationaux, voire européens, et à ce moment-là nous perdrons la spécificité ? Je plaide pour des indicateurs homogènes sur l'ensemble du territoire, indispensables pour les comparaisons entre régions, non seulement françaises, mais également européennes ; s'agissant des grands objectifs, nous devons pouvoir comparer les résultats en tenant compte des standards européens - j'évoquais dans mon propos initial le programme ORATE.

Bien entendu, des études régionales et locales sont nécessaires, et peuvent prendre en compte les spécificités. Mais cela doit venir du jeu des acteurs locaux eux-mêmes ; nous n'allons pas inventer pour chaque conférence régionale des indicateurs qui ne sont pas les mêmes en région de montagne et en région littorale.

Il existe une volonté européenne à laquelle participe la DATAR, nous la proposons aux régions, puis nous essayons, par itérations successives, de parvenir à une méthodologie à peu près homogène.

M. le Président : Monsieur le Ministre, je vous remercie.


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