ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 12

Mardi 29 janvier 2002
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Philippe Duron, président

SOMMAIRE

 

page

- Audition de M. David Grant Lawrence, directeur de l'environnement à la Commission européenne

2

   

La délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a entendu M. David Grant Lawrence, directeur de l'environnement à la Commission européenne

M. le Président : Monsieur Lawrence, nous vous recevons au sein de cette jeune délégation à l'aménagement du territoire qui fut créée en 1999 dans le cadre de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire du 25 juin 1999. Elle a pour mission de donner des avis et de faire des propositions, soit lorsqu'elle est sollicitée par le Gouvernement - c'était le cas pour les schémas de services collectifs -, soit lorsqu'elle se saisit d'un sujet.

C'est ce que nous faisons sur un certain nombre de dossiers dont, actuellement, celui de l'évaluation qui nous a semblé être un enjeu des années à venir, puisque la Commission souhaite que les États évaluent mieux les politiques structurelles et aussi parce que le Gouvernement, par sa circulaire du 25 août 2000 relative à l'évaluation des contrats de plan État-région, a engagé de nouvelles procédures.

Cette évaluation s'opère à plusieurs niveaux dans notre pays, mais nous sentons bien qu'elle est encore embryonnaire. Au niveau national, on commence à se forger une doctrine et à se doter d'outils dans les différents ministères. Au niveau local, la situation est encore nébuleuse et il nous semble nécessaire de la clarifier, de voir où il est possible d'améliorer le dispositif et les méthodes et de former les experts capables de dresser une évaluation de qualité.

La Communauté était, à cet égard, très en avance. La politique régionale de l'Union européenne mise en œuvre au moyen des fonds structurels a fait "décoller" l'évaluation en Europe et, dans un contexte de dépenses publiques de plus en plus lourdes, l'Acte unique européen, adopté au début de 1986, a introduit une première référence à l'amélioration de l'efficacité des dépenses publiques. La réglementation de 1988 a ensuite créé une obligation d'évaluation systématique.

Notre Délégation souhaiterait avoir des éclairages à ce sujet, connaître les difficultés rencontrées, notamment méthodologiques, les résultats obtenus et les pistes à suivre.

Sans doute pourriez-vous nous indiquer brièvement si, au sein de l'Union européenne, certains pays vous semblent avoir avancé plus vite que d'autres sur ce chemin et réalisé des expériences intéressantes qui mériteraient d'être transposées.

M. David Grant Lawrence : J'interviendrai principalement sur le développement durable et son évaluation.

Au sein de l'Union européenne, on parle de plus en plus en employant des noms de villes : ainsi, l'on parle du processus de Nice, de Cardiff, de Lisbonne. La stratégie de développement durable a été décidée l'année dernière à Göteborg, sous présidence suédoise. Elle a engagé l'Union à tenir compte dans toutes ses décisions des trois piliers du développement durable  : pilier économique, pilier social et pilier environnemental.

L'élément important qui a été ajouté à Göteborg a été la dimension environnementale. Nous avions eu jusqu'à présent, à œuvrer pour la mise en place du pilier économique - très tôt - puis, du pilier social maintenant. C'est le tour de l'environnemental.

La stratégie adoptée s'est concentrée sur quatre domaines prioritaires : le changement climatique ; les transports, pour essayer de dissocier la croissance et l'exploitation des ressources dans ce domaine ; la santé publique et l'utilisation des ressources naturelles.

Le Conseil européen a demandé à la Commission d'évaluer la mise en œuvre de la stratégie de développement durable sur la base d'indicateurs qui ont été décidés ultérieurement, sous présidence belge, à Laeken, banlieue de Bruxelles. La Commission a présenté à Laeken une liste d'une trentaine d'indicateurs au Conseil européen, et les chefs d'État et de gouvernement ont choisi quarante-deux indicateurs structurels pour toute la gamme du développement durable. Sept indicateurs concernent le pilier environnemental du développement durable. Ce sont : les émissions de gaz à effet de serre ; l'intensité énergétique de l'économie ; la part d'énergie renouvelable dans la consommation totale d'électricité ; le volume des transports par rapport au produit intérieur brut ; la division modale des transports - chemin de fer, avion, etc. - ; la qualité de l'air dans les agglomérations et les déchets municipaux.

Sur la base de ces quarante-deux indicateurs, la Commission européenne a adopté la semaine dernière un rapport de synthèse qui sera envoyé au Conseil européen de Barcelone. Ce sera le premier rapport de synthèse sur les trois piliers du développement durable.

Il faut bien reconnaître que, pour l'instant, la partie environnementale de ce rapport est assez peu développée. Nos collègues du pilier social et du pilier économique ont une certaine expérience parce qu'ils participent à l'élaboration de ce rapport de synthèse depuis quelques années déjà. Nous, nous sommes en train d'apprendre et vous noterez, année après année, une amélioration.

En plus de cette décision sur la stratégie de développement durable, les chefs d'État et de gouvernement ont imposé à la Commission européenne l'obligation de soumettre toute proposition "majeure" à une étude d'impact -"majeure" était le mot employé, mais c'est un mot qui en lui-même n'était pas défini. Il nous faudra donc décider de ce qui est majeur ou pas, et toutes nos propositions ne seront donc pas soumises à cette étude d'impact sur le développement durable.

La Commission européenne s'est engagée avant la fin de cette année, de préférence vers le mois de juillet, à présenter une méthodologie relative à l'examen des effets sur le développement durable. Ma réponse à l'une de vos questions est donc que, pour le moment, nous n'avons pas l'outil pour juger de l'impact sur le développement durable. Mais cela viendra, nous l'espérons, avant la fin de l'année.

En tout état de cause, il me semble que cet outil doit avant tout être utile, parce qu'il ne s'agit pas d'ajouter à la bureaucratie. Il faut que cette évaluation démontre les raisons pour lesquelles la Commission européenne fait une proposition, qu'elle fasse remonter les données de base dont elle a tenu compte et les décisions qui l'ont conduite à adopter cette solution et qu'elle fasse également remonter les raisons de son choix, parce qu'entre les trois piliers, des choix doivent être opérés.

Par exemple, certaines décisions environnementales posent des problèmes sociaux. La Commission européenne doit donc justifier de suivre tel chemin plutôt que tel autre.

Dans cette évaluation d'impact du développement durable, la Commission doit démontrer au public, comme aux États membres qui doivent adopter les décisions au Parlement européen et au Conseil, les raisons qui la motivent.

Nous attendons, pour la mi-2002, la façon dont nous pourrons faire l'étude sur l'impact du développement durable.

Mais, comme vous le savez, il existe deux autres sortes d'évaluation au sein de l'Union européenne. La première est réalisée depuis longtemps maintenant, c'est l'étude d'impact environnemental dont la réglementation a été adoptée dans les années 1980. Cela crée énormément de problèmes dans tous les États membres parce que tous les grands projets sont couverts : troisième aéroport, autoroutes, liaison ferroviaire rapide entre Paris et Marseille, etc.

La directive essaie de ne pas imposer de choix à l'État membre. La décision finale appartient à l'État membre, mais ce dernier doit avoir suivi une certaine procédure commune à tous au sein de l'Union européenne, avant de prendre la décision. L'État membre est donc obligé, en vertu de cette directive, de faire une étude d'impact pour certains projets.

Pour les uns, l'étude est obligatoire, pour les autres, le choix reste à la discrétion de l'État membre, mais celui-ci doit le justifier. Il doit dire, par exemple, s'il choisit au cas par cas ou sur la base de seuils.

L'étude d'impact doit alors être entreprise conformément à la directive, avec une consultation obligatoire du public mais aussi d'une autorité de compétence environnementale installée dans l'État membre.

Si je prends l'exemple de la situation britannique, lorsqu'un ministère des travaux publics souhaite construire une autoroute, il doit, pour commencer, soumettre le projet à une étude d'impact environnemental. Puis, il doit publier cette étude pour le grand public afin que celui-ci puisse émettre des observations sur le projet. Parallèlement, le ministère des transports doit consulter le ministère de l'environnement. Tous les résultats sont ensuite livrés au public et il appartient aux élus de décider s'ils veulent l'autoroute ou pas. Même si cela doit éliminer des habitats importants, par exemple, ils ont le droit de prendre la décision qu'ils souhaitent dès lors que la procédure a été suivie.

Cette directive est entrée en vigueur dans les années 1980. Une nouvelle directive devrait prendre effet au cours des deux prochaines années, certainement à la fin de l'année prochaine. Elle sera la transposition au niveau des plans et des programmes de la directive relative à l'étude d'impact des projets.

Je dois souligner que si un projet est décidé par une loi, donc, par un Parlement national, il n'est pas soumis à l'étude d'impact environnemental parce que le Parlement qui a adopté la loi est censé avoir tenu compte des questions environnementales. C'est la raison pour laquelle la ligne de chemin de fer TGV Lyon-Marseille n'a pas été soumise à l'étude d'impact obligatoire.

M. le Président : Cela a été, également, le cas de l'autoroute Bordeaux-Toulouse.

M. David Grant Lawrence : Cela a été aussi le cas pour le tunnel sous la Manche.

La nouvelle directive qui entrera en vigueur l'année prochaine sur l'évaluation d'impact stratégique jouera le même rôle pour les plans et les programmes. Les gouvernements seront obligés d'examiner l'impact environnemental des plans et des programmes qu'ils proposent.

M. le Président : Pourriez-vous illustrer cette notion de plans et de programmes ?

M. David Grant Lawrence : Une politique des transports, c'est un programme. Un plan d'aménagement du territoire est un plan, en ce sens que l'on n'est pas encore descendu au niveau du projet.

Vous faites par exemple une étude d'impact pour un projet d'autoroute : l'autoroute passe-t-elle par ici ou par là ? Mais avant, on s'est posé la question de savoir s'il faut une autoroute ou une ligne de chemin de fer. C'est à ce niveau-là qu'intervient l'étude environnementale.

M. le Président : Sur les choix d'opportunité ?

M. David Grant Lawrence : C'est cela. Pour cette étude aussi, une procédure doit être suivie pour s'assurer que le public est concerné. La Commission européenne n'est pas directement responsable des projets, mais elle a décidé de s'appliquer l'étude d'impact sur les plans et les programmes.

En conséquence, la prochaine tranche de plans régionaux fera l'objet d'une étude d'impact stratégique, qui sera faite par la Commission européenne elle-même. La réforme de la politique agricole commune sera aussi soumise à une étude d'impact, ainsi que la réforme de la politique commune de la pêche.

En principe, la directive adoptée par le Conseil et le Parlement européens s'applique aux États membres et, juridiquement, ne s'applique pas à la Commission européenne mais, pour obtenir l'accord du Parlement européen, la Commission a accepté d'être liée par cette directive.

Il existe différentes sortes d'évaluations au niveau de l'Union européenne. Certaines sont connues et existent de longue date, d'autres sont nouvelles et nous tâtons encore le terrain.

M. le Président : Il était très important que nous comprenions bien la manière dont vous engagez la réflexion sur les indicateurs de développement durable. Il s'agit là d'un domaine totalement nouveau, tant pour ce qui concerne l'environnement que pour ce qui concerne l'évaluation en matière d'environnement. La méthode que vous avez choisie semble tout à fait rationnelle et raisonnable, dans la mesure où vous limitez ces évaluations à un certain nombre de critères. J'aurais deux questions à vous poser à cet égard.

La première porte sur la comparabilité des indicateurs. Ne pensez-vous pas qu'il est souhaitable qu'une concertation ou une incitation amène les États ou les régions à mettre en place, pour leurs propres évaluations, des indicateurs qui puissent être comparés à ceux du reste de l'Union ?

La seconde concerne la mise en opposition ou en corrélation d'indicateurs différents. J'ai été intéressé par la démarche entreprise par l'OCDE en la matière : elle estime qu'un indicateur en lui-même n'a pas forcément beaucoup de sens. Le développement durable appelle, bien évidemment, à opérer des choix et c'est sans doute par la confrontation d'un certain nombre d'indicateurs économiques et sociaux, économiques et environnementaux, de santé et d'environnement, que nous pourrons avancer vers des choix d'équilibre. Est-ce une démarche qu'à l'avenir, vous avez l'intention de promouvoir ?

M. David Grant Lawrence : Tout d'abord, sur la question de la comparabilité des indicateurs, j'ai indiqué qu'il existe quarante-deux indicateurs pour le développement durable, dont sept pour la partie environnement. Tous ces indicateurs sont soumis au même contrôle de qualité. Au départ, ne figurent sur cette liste d'indicateurs que ceux qui sont comparables d'un État membre à l'autre. Cela ne signifie pas que nous disposerons toujours de chiffres et de données pour tous les États membres. Pour certains d'entre eux, comme la Grèce ou le Portugal, par exemple, des données manqueront.

Ensuite, il faut que les chiffres portent au moins sur cinq années afin de disposer de statistiques permettant de tirer des conclusions.

La réponse à votre première question est donc positive et pour ce faire, nous essayons de trouver des indicateurs qui répondent à ces critères.

Nous acceptons le fait qu'il nous faudra continuer à améliorer nos indicateurs. Nous avons essayé, par exemple, de trouver le moyen d'exprimer les problèmes de pollution par produit chimique - pollution de l'eau, de l'air, du corps humain - et à ce jour, nous n'avons pas encore trouvé d'indicateur convenable. Vous pouvez toujours parler du tonnage, de la quantité du produit chimique utilisé, mais cela ne signifie rien. Nous procédons donc à des contrôles de qualité avant que les indicateurs puissent entrer dans notre "paquet" de quarante-deux indicateurs.

Tout l'exercice consiste à confronter les indicateurs parce qu'en fait, c'est en examinant les résultats qu'ils nous donnent que s'opèrent les choix. Un indicateur vous montre que votre politique diminue la pollution, mais un autre indique qu'en même temps, le chômage croît. Vous voyez qu'il y a une contradiction entre les deux. Vous devez faire le choix entre accroissement du chômage ou augmentation de la pollution. Le choix se présente parfois ainsi, mais il est certain que nous préférerions trouver une politique qui permette à la fois la diminution de la pollution et celle du chômage. Ce n'est, malheureusement, pas toujours le cas.

Je suis donc tout à fait d'accord avec l'OCDE. C'est exactement de cette façon que doivent être utilisés les indicateurs et les données qu'ils fournissent.

M. le Président : Dans mon préambule, j'évoquais les acquis de certains États. L'Europe du Nord, notamment, est probablement plus en avance en matière d'évaluation et de développement durable que nos pays ou ceux de l'Europe du Sud. Que peut-on apprendre de l'expérience de ces États membres ? Une partie de leur expérience est-elle transposable à nos pays ? Vous-même avez-vous utilisé ces acquis ?

M. David Grant Lawrence : Ce n'est pas par hasard que cette stratégie de développement durable a été adoptée en Suède et Danemark, parce qu'évidemment, les pays nordiques ont déjà une certaine expérience en matière de développement durable. Ils ont déjà travaillé sur cette idée, qui est sans doute moins avancée ailleurs. Je précise cependant que cela ne correspond pas nécessairement à une division Nord-Sud. Il existe aussi au Portugal, par exemple, de bons exemples de développement durable ; en effet, si vous vous intéressez à un problème comme celui de l'eau, entre l'Espagne et le Portugal, vous êtes face à une question de développement durable, puisque tous les fleuves portugais prennent leur source en Espagne : comment utiliser l'eau de façon durable pour permettre à ces deux pays d'avoir de l'eau ? Ils ont travaillé ensemble sur le sujet.

Nous nous sommes efforcés, dans toutes nos directives d'évaluation ainsi que dans les propositions que nous ferons concernant le développement durable, d'utiliser les expériences intéressantes de tous les États membres.

Mais il existe aussi beaucoup de facteurs d'entraves à une transposition pure et simple de l'expérience suédoise à la France, par exemple. La vie politique française est bien plus proche de la vie politique britannique que de la vie politique néerlandaise ou suédoise. Très souvent, les Pays-Bas ou la Suède ont choisi des solutions dans le cadre et le contexte de leurs sociétés politiques, qui ne sont donc pas transposables telles quelles à la France ou au Royaume-Uni, dont les systèmes politiques dont différents.

Mais il est certain que nous nous efforçons de recenser les bonnes pratiques qui existent dans les États membres et, dans la mesure du possible, de les utiliser au niveau de l'Union européenne.

M. le Président : En matière d'environnement, se pose le problème de l'acceptabilité des normes que l'on impose aux usagers. Cette acceptabilité diffère, on le voit, d'un pays à l'autre. Dans des pays où existe une acculturation à l'environnement, les solutions sont appropriées, les citoyens ont un patrimoine à protéger, si bien que travailler dans le sens du développement durable est vraisemblablement plus facile.

Dans un pays comme le nôtre, où le monde rural a toujours considéré qu'il était en phase avec la nature même si, parfois, il peut commettre quelques erreurs, c'est plus difficile. On le voit très bien avec le contentieux sur la chasse.

Quelles sont les recommandations de la Commission pour tenter de faire progresser dans les États membres la culture environnementale et cette culture de la nécessaire évaluation, d'une évaluation objective ?

M. David Grant Lawrence : La dernière fois que je suis venu devant une commission de l'Assemblée nationale, c'était pour discuter de la difficile question de la chasse.

Pour un citoyen britannique, c'est une problématique assez difficile à comprendre parce que, chez nous, comme vous le savez sans doute, la chasse est réservée à une élite, dont je ne fais pas partie. Il est donc difficile de comprendre.

La directive sur les habitats a été adoptée, comme toute directive à l'époque, dans le cadre restreint d'un Conseil de ministres ad hoc. Mais les ministres de l'environnement n'en ont pas discuté avec les autres ministres qui pouvaient être concernés. Vous vous retrouvez, donc, dans une situation que l'on connaît pour d'autres directives, comme celle sur les nitrates où les ministres de l'environnement décident d'un texte qu'ils communiquent ensuite aux ministres, de l'agriculture ou autres, qui sont impliqués dans la mise en œuvre sur le terrain. Et c'est alors que les difficultés apparaissent.

A mon sens, la solution se trouve dans la transparence de nos procédures. Nous devons, au niveau de l'Union européenne, d'abord consulter tous les intéressés. Si l'on prend l'exemple de la chasse, on aurait dû consulter les chasseurs, les groupes verts, les organisations non gouvernementales environnementales.

De même, quand on se trouve devant un problème concernant un produit industriel, il faut parler aux fabricants. Même si ce produit est horriblement dangereux et un grand polluant cancérigène, il faut en parler à celui qui le fabrique, parce que ce dernier sait beaucoup sur son produit. Il a de nombreuses données et, généralement, beaucoup d'idées.

Il faut donc travailler dans une transparence complète, en parlant à tous ceux qui ont un intérêt dans la législation que vous allez proposer.

Puis, vous devez, sur la base d'une étude d'impact environnemental mais aussi d'une étude coût-bénéfice, proposer une solution équilibrée au ministre, en essayant d'expliquer les raisons pour lesquelles cette voie paraît la meilleure et les avantages qu'elle présente. Si le citoyen ne comprend pas, ne voit pas son avantage dans une législation environnementale, on se heurte à une opposition qui ne permet pas d'avancer. C'est ce que l'on découvre aujourd'hui en ce qui concerne la chasse en France.

La directive sur les nitrates pose des problèmes presque partout dans l'Union européenne. C'est aussi le cas d'autres législations, pour lesquelles on n'a pas suffisamment consulté.

Donc, dans le cadre du VIème programme d'actions pour l'environnement qui se discute actuellement au Parlement européen et au Conseil des ministres, nous nous sommes engagés dans une nouvelle approche : discuter de façon ouverte et totalement transparente des propositions avant de nous lancer dans un exercice de réglementation.

M. le Président : En 2003, nous allons faire un bilan d'étape des fonds structurels. Quelles évaluations ont-elles été engagées à cet égard ? Selon quelles modalités et avec quels résultats ?

M. David Grant Lawrence : Je ne suis pas un spécialiste des fonds structurels. En fait, les fonds structurels remplissent certains objectifs qui sont ancrés dans le Traité. Pour une région d'objectif 1, il faut remplir certains objectifs et, pour une région d'objectif 2, les objectifs sont différents.

Donc, en premier examen, nous étudierons si ces objectifs ont été atteints et, en seconde analyse, il s'agira de voir si ces objectifs qui ont été atteints l'ont été dans le respect d'autres objectifs entrant dans le Traité de l'Union, notamment le respect de l'environnement.

Je sais que la Commissaire européenne chargée de l'environnement compte inclure l'examen de l'effet des fonds structurels sur l'environnement.

Dans le choix et le développement de projets sur les fonds structurels, les deux directions générales de la Commission, celle des fonds structurels pour l'agriculture et celle chargée de l'environnement, travaillent ensemble. Nous rencontrons parfois des difficultés.

Dans mon propre pays, en Écosse, on voulait faire un développement en montagne. C'était un habitat hautement protégé. Après de grandes discussions, une solution a fini par être trouvée. On a pu avoir le développement tout en protégeant l'environnement. Un énorme travail a été accompli au cours des dernières années.

M. le Président : C'est en l'an 2000, je crois, lorsque nous avions des difficultés avec Natura 2000, qu'une nouvelle culture a semblé émerger au sein de la Commission européenne. Les deux commissaires, MM. Fischler et Barnier, avaient adressé une lettre, qui avait été ressentie comme peu plaisante, aux autorités françaises pour leur dire que les documents de programmation ne seraient examinés que lorsqu'ils auraient rempli leurs engagements, leurs obligations, en matière de transmission des sites à protéger.

Effectivement, le développement durable doit nous conduire à une nouvelle approche mais sommes-nous mûrs aujourd'hui pour nous engager dans cette voie - par exemple, lors de la réforme de la PAC qui, bien évidemment, est mise en cause, notamment pour ce qui est de la protection de l'eau, du problème émergent des organismes génétiquement modifiés, etc. ? Aura-t-on le souci, dans la réflexion préalable, de mieux concilier les objectifs d'intérêt économique de l'agriculture, d'intérêt social aussi, puisqu'il y a également le souci d'équilibre des exploitations et l'équilibre de l'environnement ?

Nous avons essayé, dans un travail que nous avons réalisé lors de l'évaluation des schémas de services collectifs, de regarder ce problème pour ce qui concerne le schéma des services collectifs naturels et ruraux. J'ai pu constater, dans la discussion avec mes collègues, que cela provoquait débat. Certains députés ruraux avaient des craintes d'une remise en cause de l'autonomie des campagnes et surtout de leur avenir.

M. David Grant Lawrence : Nous avons passé de nombreuses années à essayer de convaincre nos collègues, qu'ils s'occupent d'agriculture, de transport, d'énergie ou d'industrie, de prendre en compte l'environnement. Mais nous avons eu une toute petite tendance à ne pas tenir compte des problèmes des autres. Aujourd'hui, avec le développement durable, il nous faut tenir compte, nous aussi, de l'économique et du social.

Ce sont les trois piliers. Il faut les considérer ensemble.

J'ai été frappé à la Gare du Nord, en arrivant aujourd'hui, par un stand qui vantait la viande de haute qualité, parce que je viens d'Écosse, donc, d'un pays qui a été affecté par la fièvre aphteuse ; en fait, l'Écosse n'a rien eu sauf dans les régions limitrophes de l'Angleterre. Ce stand vantait les marques de qualité de la viande, trois françaises et trois de l'Union européenne.

Cela montre qu'en tout état de cause, la politique agricole commune est déjà en train de changer, de changer dans un sens voulu par le consommateur parce que ce dernier, après les diverses crises - crises successives de la viande bovine en Angleterre, crise de la viande porcine aux Pays-Bas, crise du poulet en Belgique, dont une pas plus tard qu'hier -, se pose davantage de questions et, pour les agriculteurs, la vie devient, je l'admets, horriblement difficile.

D'autres problèmes se posent à nous également. Je pense notamment à l'élargissement de l'Union européenne à des pays aussi divers que la Pologne ou Malte. L'agriculture sur l'île de Malte, qui sera dans la première vague de nouveaux membres, est quasiment préhistorique : de très petits champs, travaillés par la famille à temps partiel...

M. le Président : Néanmoins, le paysage maltais fait partie de la richesse...

M. David Grant Lawrence : Tout à fait.

Je suis convaincu que pour tenir compte de cela, pour tenir compte des contraintes budgétaires, la politique agricole commune va devoir évoluer beaucoup plus vers la qualité et, si nos partenaires de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) l'acceptent, vers un système qui nous permette de soutenir l'agriculteur pour des tâches autres que la production de denrées alimentaires, parce qu'en Europe, contrairement aux États-Unis, nous avons des milliers d'années d'agriculture derrière nous. L'agriculture a commencé en Syrie il y a 10 000 ans, me semble-t-il. Aux États-Unis, elle a démarré en 1776. Ils ont donc pu diviser le pays en quartiers, un pour la viande bovine, un autre pour les agrumes, et un autre encore pour le blé, ce que nous ne pouvons pas faire.

La multi-fonctionnalité, la tâche de l'agriculteur de protéger les espèces et le terrain est un élément que l'on devra faire reconnaître, tout en laissant les grands agriculteurs de l'est de l'Angleterre ou de l'Ile-de-France vendre leur blé sur le marché mondial au prix du marché mondial.

M. le Président : Vous avez évoqué les transports. L'Union européenne et ses États ont adopté le protocole de Kyoto. Nous avons, dans ce cadre, pris des engagements importants et difficiles. Nous mesurons aussi que, dans un pays comme le nôtre, ce sont les transports qui devront susciter le plus gros effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Cette question des transports est délicate dans la mesure où le transport routier a, au long des trente dernières années, gagné des parts importantes de marché au détriment du transport ferroviaire. Nous voyons bien que la reconquête d'une multi-modalité sera longue et coûteuse, notamment là où les territoires sont les plus congestionnés : grandes périphéries urbaines, sillons de fret de transport les plus fréquentés ou franchissement de massifs. J'étais la semaine dernière à Bayonne où je présidais un colloque sur le franchissement des Pyrénées et j'ai pu mesurer la difficulté qu'il y avait à trouver des solutions. Depuis plus de 140 ans, on cherche, on oppose des solutions, sans jamais en trouver.

Votre direction et celle des transports voient-elles des moyens de renforcer, d'améliorer cet effort, qui est aujourd'hui admis, de transformation des modes de transport ? Une question m'intrigue beaucoup : comment fera-t-on pour obtenir ce qui est demandé dans le Livre blanc sur les transports, c'est-à-dire un "découplage" entre la croissance et la croissance du trafic ?

M. David Grant Lawrence : Vous ne me posez que des questions faciles !

Pour atteindre nos objectifs de Kyoto, nous devons effectivement travailler sur les transports parce que le taux de croissance des émissions provient essentiellement de ce secteur. D'autres secteurs y contribuent également, mais c'est surtout celui-ci et celui de l'énergie.

L'Union européenne doit essayer de trouver une façon d'encourager le transfert par rail. Un accord est intervenu ces derniers jours entre la France et l'Allemagne, me semble-t-il, pour accroître le trafic ferroviaire. Vous voyez déjà se dessiner un développement des voyages en chemin de fer à un niveau bilatéral que nous encourageons.

Il en va de même du tunnel sous la Manche et de la liaison Londres-Paris. Les vols Londres-Paris ont diminué de 50 % parce qu'en tant que consommateurs, nous préférons voyager en train. Nous prenons donc l'Eurostar de Waterloo à la Gare du Nord. Mais pourquoi a-t-on réussi ? Il faut se poser la question.

Il faut voir que vous partez du centre de la ville de Londres et arrivez au centre de Paris. Vous évitez l'enfer des liaisons centre ville-aéroport. C'est plus facile.

Mais l'aspect le plus important, c'est de parvenir à ce que le coût de chaque moyen de transport reflète la réalité environnementale. Pour le moment, ce n'est pas le cas.

Par exemple, mon voyage de Bruxelles a duré une heure et demie et m'est revenu moins cher que de venir seul en voiture. Mais si j'avais été avec ma femme et mes enfants, il aurait été plus long mais moins cher de prendre la voiture parce que, malheureusement, les prix de l'essence ne reflètent pas la réalité environnementale. C'est donc en internalisant les coûts externes que l'on encouragera une évolution vers le chemin de fer.

M. le Président : Le précédent Livre blanc sur les transports le disait déjà. Mais il est difficile de le faire admettre dans les législations. C'est très complexe et cela demandera encore beaucoup de travail.

Nous allons vers l'élargissement et dans certains pays d'Europe centrale et orientale, les problèmes de pollution et le respect de l'environnement ont longtemps été délaissés, pour ne pas dire ignorés. Depuis l'ouverture de ces pays, un certain nombre de catastrophes écologiques ont encore eu lieu. Je pense notamment à ce qui s'est passé dans le Danube. Avez-vous commencé à évaluer et à réfléchir sur les moyens à mettre en _uvre pour parvenir à une cohésion environnementale entre les vieux pays de l'Union et les nouveaux arrivants ?

M. David Grant Lawrence : Les négociations avec les pays candidats sont très intéressantes. L'un des chapitres parmi les plus difficiles à négocier a été le chapitre environnemental, le plus difficile étant celui de l'agriculture, dont nous ne commencerons à débattre que la semaine prochaine. Pour plusieurs pays, le travail sur l'environnement est déjà conclu. Cela signifie que nous avons discuté de l'acquis communautaire avec les candidats et sommes arrivés à un accord.

Vous soulignez qu'ils ont d'énormes problèmes environnementaux. C'est vrai. Mais, d'un autre côté, ils sont aussi certains avantages que nous n'avons plus. Par exemple, vous trouverez, en Pologne ou en Hongrie, une nature totalement vierge, non touchée par l'homme, ce qui n'existe pas dans nos pays. L'objectif est alors d'empêcher surtout la politique agricole commune d'empiéter sur ces terres et de les conserver vierges.

En fait, nous avons plusieurs catégories de candidats. Il y a celle des pays avec lesquels nous sommes déjà très avancés dans les négociations, qui comprend la Hongrie, la République tchèque, la Pologne et la Slovénie. Puis il y a la seconde, qui comprend la Bulgarie, la Roumanie et les deux îles de la Méditerranée, Chypre et Malte, qui ont chacune des problèmes difficiles à résoudre. Elles sont toutes deux des anciennes colonies britanniques, je ne sais pas si cela est un problème, mais cela présente en tout cas l'avantage de ne pas introduire de nouvelles langues au sein de l'Union.

Pour les pays appartenant à la première vague, pour lesquels nous envisageons une adhésion en 2004-2005, certaines directives ont créé d'énormes problèmes. Il s'agit de la directive sur le traitement des eaux urbaines résiduaires, de toute la réglementation relative aux déchets et à la pollution de l'air.

Tous ces pays ont demandé des périodes de transition. Dans la plupart des cas, nous sommes arrivés à des périodes de transition plus longues que celles que l'Union aurait souhaitées, mais plus courtes que ce que les États candidats demandaient.

Il faut aussi souligner que les États membres eux-mêmes ont eu un certain temps pour mettre en _uvre la législation. La directive sur le traitement des eaux urbaines résiduaires fut adoptée en 1991. Or la ville de Bruxelles n'est toujours pas en conformité, pas plus que de grandes villes françaises comme Lyon, Bordeaux ou Lille.

Donc, les États membres demandent aux pays candidats d'être en conformité dès leur adhésion et ceux-ci répliquent que nous-mêmes ne le sommes parfois pas.

Nous avons donc essayé de trouver avec eux une solution raisonnable qui ne mène pas à terme trop lointain. La Pologne, par exemple, demandait jusqu'en 2018 pour mettre en _uvre la réglementation sur les eaux urbaines résiduaires. Il est clair qu'ils disposeront d'une période de transition, qui leur donne, c'est vrai, un certain avantage concurrentiel.

Nous devons voir si la libre circulation s'applique aussi dans les autres domaines, car nous avons également d'autres demandes pour ces pays. Mais je m'attends à travailler tous les jours dans les cinq prochaines années avec des Polonais, des Hongrois et des Slovènes.

M. le Président : Ma dernière question portera sur les agendas 21.

A Rio, a été adopté le concept d'agenda 21 et l'Union européenne a, notamment, en matière d'agenda 21 urbain, lancé il y a quelques années des appels à candidature. Quelle est votre appréciation sur la réussite de ces agendas 21 ? Il me semble que leur qualité est très variable d'un pays à l'autre. Ils sont encore très méconnus dans de nombreux pays. Après Johannesburg, est-ce une politique que nous nous continuerons à encourager ? Ne va-t-on pas tenter d'améliorer ce dispositif ?

M. David Grant Lawrence : Effectivement, la qualité des agendas 21 a été assez variable. Je pense cependant que l'exercice a été très important car, s'il est très bien de prendre les décisions à Rio ou à Johannesburg, en fait, la réalité environnementale est dans la commune ou la région. Il faut donc toujours essayer d'associer ces gens à ce que nous voulons faire en faveur de l'environnement. A mon avis, cela a été le grand avantage de l'agenda 21 ; cela donnait l'idée aux régions ou aux communes de faire partie de la solution, de travailler ensemble.

Je ne sais pas ce que sera le résultat de Johannesburg. Nous sommes seulement maintenant en train de penser plus clairement à ce qui va se passer à Johannesburg. C'est un peu tard, mais je pense qu'il vaut mieux tard que jamais. Au niveau de la Commission européenne, nous ferons un petit pas en avant avec les contrats tripartites. Nous sommes en train d'en discuter avec les États membres et nous voudrions voir si nous ne pourrions pas, en regroupant Union européenne, États membres et région, voire ville ou commune, arriver à une meilleure mise en _uvre de la législation environnementale et trouver des solutions plus efficaces à nos problèmes d'environnement.

Nous sommes au début de cet exercice et nous nous heurtons, bien sûr, à des problèmes d'ordre constitutionnel parce qu'en réalité, en droit, l'Union européenne connaît la France, mais pas la Bretagne ou la Provence. C'est déjà plus facile en Belgique ou en Allemagne, qui sont des pays fédéraux. Presque toujours, la compétence environnementale se trouve au niveau inférieur, dans le sens où, quand une législation communautaire environnementale doit être mise en œuvre, elle doit l'être par la région, le land ou parfois la commune - la politique des eaux urbaines résiduaires est, par définition, du niveau de la commune.

Nous essayons donc de construire une nouvelle expérience dans ce domaine, en nous appuyant sur cette association de communes et de régions qui étaient présentes dans l'agenda 21, avec les contrats tripartites.

M. le Président : Je tiens à vous remercier pour la grande qualité de votre témoignage, la précision de vos réponses. Nous avons, en effet, beaucoup à faire avec la Commission, en l'écoutant et en échangeant nos impressions ou nos observations pour faire avancer l'environnement et le développement durable dans nos pays, nos régions et nos communes.


© Assemblée nationale