ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 24

Mardi 24 octobre 2000
(Séance de 18 heures)

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

SOMMAIRE

 

page

- Audition de Mme Marie-Cécile Moreau, juriste, sur l'autorité parentale

2

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Cécile Moreau, juriste, sur l'autorité parentale.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir de recevoir Mme Marie-Cécile Moreau, juriste dans un office ministériel d'avoués à la Cour d'Appel de Paris, avec laquelle nous avions déjà travaillé quand nous examinions le projet de loi sur l'égalité en matière politique.

Aujourd'hui, notre Délégation s'intéresse aux problèmes d'IVG et de contraception. Elle déposera, dans quelques jours, un rapport assorti de recommandations sur le projet de loi de Mme Martine Aubry. Aussi avons-nous souhaité vous rencontrer à nouveau pour approfondir les questions juridiques posées par un aspect particulier de ce projet, celui de l'aménagement de l'autorité parentale.

Mme Marie-Cécile Moreau : Vous m'invitez aujourd'hui à parler de l'aménagement de l'autorité parentale dans un domaine particulièrement difficile, qui atteint notre sensibilité. Je tiens à souligner cela, parce que la sécheresse de la règle de droit pourrait le faire oublier, alors que c'est précisément en raison de l'aspect très émotionnel de ces questions que, nous, les femmes, en rejetons parfois l'aspect juridique.

J'expliquerai d'abord les raisons pour lesquelles le refus ou l'impossibilité d'obtenir le consentement parental est insurmontable. Je dirai ensuite combien cette situation est anachronique. Enfin, de ce que j'aurai dit, nous pourrons induire des suggestions en vue d'améliorer les dispositions juridiques.

Pourquoi le refus ou l'impossibilité de ce consentement se présentent-ils d'une manière aussi insurmontable ? Je ne pense pas que ce soit lié à la rigueur de l'autorité parentale, ni à son exercice. Je pense plutôt que la rigidité tient à la législation ; tout d'abord, à la loi de 1975, qui n'a pas prévu le moyen juridique soit de passer outre à ce refus, soit d'inventer des substituts, ou des suppléances à ce refus ou à cette impossibilité ; et à la loi de 1979, qui a encore aggravé la situation, en ajoutant à l'article de la loi de 1975 relatif à l'autorité parentale, les mots suivants : "Ce consentement devra être accompagné de celui de la mineure célibataire enceinte, ce dernier étant donné en dehors de la présence des parents ou du représentant légal".

La totalité de l'article concernant l'autorité parentale n'a donc pas été dès 1975 rédigé dans sa forme actuelle. La modification opérée par la loi de 1979 a aggravé la situation, dans la mesure où le consentement parental reste requis, comme dans la loi de 1975, mais que se trouvent placées sur le même plan l'autonomie de la mineure enceinte et l'autorité parentale, sans que soit prévue la moindre mesure de suppléance permettant de passer outre à un refus parental.

La loi sur l'hospitalisation des mineures pose également problème, dans la mesure où aucune juridiction, n'a reçu de la loi une compétence lui permettant de statuer en matière d'IVG, dans le cas où le consentement parental serait refusé ou inexistant. Lorsque les juges ont été saisis, ils n'ont pu que se déclarer incompétents. En effet, lorsque le juge qui devrait statuer quand le consentement parental n'est pas donné, est saisi - il s'agit le plus souvent du juge des enfants - il ne peut pas statuer, car il n'a jamais reçu le droit de statuer en matière d'IVG ; lorsqu'il statue en tant que juge de l'assistance éducative, il ne peut en effet statuer que lorsque l'enfant ou la santé de celui-ci est en danger. Or le fait d'être enceinte n'a jamais été tenu comme étant un danger, du moins dans le cas d'une IVG pour motif personnel.

Nous sommes donc en face d'une rigidité de deux consentements opposés, celui des parents et celui de la mineure, sans que l'appareil juridique, que ce soit la loi ou le juge, ne puisse trancher le conflit. Or la rigidité n'est jamais acceptable pour le droit. Le droit a toujours créé des soupapes de sécurité, ne serait ce que celle de l'abus de droit. Cependant, dans le cas précis, comme aucun juge n'est compétent, aucun juge ne peut statuer non plus au titre de l'abus de droit.

Selon moi, cette rigidité, qui existait déjà en 1975, a été encore renforcée en 1979, lorsque la loi a complété le texte dans le sens que je viens d'indiquer. Elle était alors difficile à accepter d'un point de vue juridique, mais elle s'expliquait sans doute par le compromis nécessaire à l'adoption de la loi de 1975. Vingt-cinq ans après, cette rigidité me paraît condamnable.

La situation a changé. Je laisserai aux sociologues généralistes et aux sociologues du droit le soin d'expliquer comment l'autorité parentale a évolué en vingt-cinq ans. Pour le juriste, cette évolution a mis l'accent sur les droits des parents en matière d'autorité parentale, alors que celle-ci se définit comme étant un ensemble de droits, mais aussi de devoirs. Chacune d'entre nous peut mesurer les nouveaux développements qui se sont produits depuis vingt-cinq ans en ce domaine. Chacune peut aussi constater, en s'interrogeant elle-même, en interrogeant sa propre famille ou celle de ses proches, les développements qui, en regard, ont fait évoluer la minorité.

La loi de 1979 a introduit dans la loi sur l'IVG la nécessité du consentement de la mineure enceinte, qui n'y figurait pas en 1975. Même si l'appareil juridique nécessaire n'est pas créé pour trancher les conflits éventuels, apparaît l'idée que la mineure a aussi un droit. Cela ne devait sans doute pas être évident en 1975, même s'il faut préciser qu'avant la loi de 1975, la mineure avait déjà la possibilité de recourir à la contraception.

En 1979, la mineure obtient donc, sur cette IVG, des droits correspondant à ceux des titulaires de l'autorité parentale. En 1990, la Convention sur les droits de l'enfant est ratifiée. Cette dernière confirme l'autorité parentale - c'est même un des droits de l'enfant que d'avoir au-dessus de lui quelqu'un qui détienne l'autorité parentale - mais elle commence aussi à structurer ce que nous appelons les droits de l'enfant. La loi de 1993, qui a partiellement transposé cette Convention dans notre droit, crée un double mouvement : d'une part, elle va abaisser de quinze à treize ans, dans notre code civil, tous les âges auxquels l'enfant était appelé à donner son consentement personnel. Par exemple, s'il est amené à changer de nom parce que ses parents ont engagé une procédure de changement de patronyme, il doit donner son consentement à cette modification à partir de treize ans. D'autre part, des dispositions légales permettent au mineur d'être entendu devant les tribunaux, s'il est capable de discernement.

On voit ainsi se constituer en face de la structure ancienne, mais vivante qu'est l'autorité parentale, confirmée par la Convention sur les droits de l'enfant, une personnalité nouvelle : celle du mineur, du "grand mineur" disons-nous dans notre jargon. C'est ainsi que, peu à peu, l'âge de dix-huit ans commence à recevoir de plus en plus d'exceptions ; exceptions qui sont la manifestation du consentement personnel donné par le grand mineur.

Ce qui précède explique que la rigueur du texte de 1975, complété en 1979, soit anachronique, d'autant qu'avec la pilule depuis 1967, s'est établie une séparation entre vie sexuelle et procréation.

Il faut sortir de cette rigidité, dont on voit qu'elle cache des situations qui ne sont pas toujours à l'honneur de l'autorité parentale. Examinons les décisions de jurisprudence répertoriées. Voyez la situation de la mineure traitée par le tribunal d'Evry, dont la mère, membre d'une association contre la loi de 1975, refusait son consentement pour ce motif. Prenez également le cas de la mineure de Bordeaux, à qui la mère refusait l'autorisation parce que cette mineure avait déposé une plainte au pénal pour pratiques incestueuses contre le père ; le marché était entre les mains de la mineure : autorisation donnée contre retrait de la plainte. Nous sommes bien là dans le cadre de ce que j'appelais tout à l'heure un abus de droit. Je considère donc que l'autorité parentale ne peut pas couvrir toutes les situations discrétionnairement voulues par les titulaires de l'autorité parentale, parce que le premier devoir de ces derniers reste de décider en fonction de l'intérêt du mineur. Peut-être que l'intérêt de la mineure commandait qu'elle ne subisse pas alors d'IVG, mais ce n'est sûrement pas sur une motivation de cette espèce que l'on pouvait fonder le refus.

Il faut changer la loi. C'est une nécessité juridique. Reste à trouver l'exacte modalité de ces transformations. A cet égard, il m'apparaît que la solution la plus adéquate serait sans doute de créer une nouvelle majorité, pour l'IVG.

L'instauration d'une majorité, "médicale" pour certains, "sanitaire" pour d'autres, correspondrait le mieux à ce qu'a été le mouvement de notre droit, dans le balancement entre autorité parentale et minorité depuis 1975. Nous parlons aujourd'hui de "grand mineur" et de "jeune majeur". En matière de contraception et d'IVG, je pense que c'est le grand mineur qui doit avoir une pleine disposition de sa vie sexuelle.

Le problème est moins d'instaurer une majorité nouvelle, que de savoir à quel âge fixer cette majorité. Pour justifier ce changement légal, il ne faut pas la fixer trop près de l'âge de dix-huit ans. Sinon, ce serait pratiquement inutile. A mon sens, il faut la situer à quinze ou seize ans.

En faveur de la fixation d'une majorité à quinze ans, on peut invoquer le fait que le code civil permet à la femme de se marier à cet âge. Cela n'a pas grand chose à voir avec la vie sexuelle, puisque celle-ci peut s'exprimer aussi hors mariage. En revanche, les statistiques me feraient pencher plutôt pour retenir l'âge de seize ans.

Cependant, une autre question se profile immédiatement car, si nous fixons une majorité pour l'IVG (que ce soit à quinze ou seize ans), nous ne couvrons pas la totalité des cas - et notamment les grossesses très précoces - certaines étant répertoriées dès douze ans. Il y a donc deux problèmes posés : quel âge fixer et que faire pour les grossesses qui se développent chez des petites mineures ?

Pour ces derniers cas, il serait nécessaire que la loi puisse désigner un juge qui recevrait cette compétence, parmi d'autres compétences, car nous ne trouverons pas de juges qui ne statuent que sur ces cas, de la même façon que nous ne trouvons pas de gynécologues qui ne veuillent faire que des IVG. En optant pour la création d'une majorité sanitaire, nous ferions progresser le droit à l'IVG ainsi que le droit des mineures, parce que cette nouvelle majorité pourrait être utilisée dans d'autres domaines, comme, par exemple, l'exercice de la religion.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Vous disiez avoir une préférence pour fixer la majorité à seize ans. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous optez pour cet âge plutôt que pour celui de quinze ? Que ce soit quinze ou seize ans, vous l'avez dit, cela ne règle pas le problème des jeunes mineures. Or, ce sont souvent les cas les plus graves, si l'on en croit les nombreux témoignages que nous avons entendus, puisque c'est dans cette tranche d'âge que se rencontrent le plus les problèmes de viols et d'incestes. Comment protéger ces jeunes mineures et comment les sortir de ces situations dramatiques ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : A propos de cette distinction entre quinze et seize ans, vous avez cité le fait pour une jeune fille de pouvoir se marier dès l'âge de quinze ans. J'aurais aimé que vous reveniez également sur d'autres dérogations possibles, qui sont aussi significatives, en matière de sexualité.

Mme Marie-Cécile Moreau : Je souhaiterais d'abord savoir si Mme Marie-Thérèse Boisseau est favorable à une majorité sanitaire ?

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Très honnêtement, aujourd'hui, je pèse encore le pour et le contre. Je comprends la notion de majorité sanitaire en matière d'IVG, mais que faut-il en penser dans le cas d'une jeune fille confrontée à un énorme problème de santé - qui souffre d'une tumeur au cerveau, pour prendre un exemple précis et récent ? Peut-on la laisser seule devant son problème, assumer et prendre seule les décisions en cette matière ?

Mme Marie-Cécile Moreau : Je me suis sûrement mal exprimée. J'ai parlé du consentement. Cela ne veut pas dire - et loin de moi cette pensée - que, si le consentement n'est pas donné ou s'il est impossible, la jeune mineure entre douze et dix huit ans, reste seule. Je pense qu'il serait utile que la loi ou un décret d'application prévoie qu'elle soit accompagnée. A mon avis, ce serait à un juge de donner l'autorisation nécessaire, après que deux ou trois médecins se soient prononcés.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Je réfléchis à votre hypothèse de majorité sanitaire. Si elle est valable pour l'IVG, elle serait aussi valable pour d'autres actes médicaux. Je cite donc cet exemple très précis d'une jeune fille de seize ans qui a une tumeur au cervelet et qui est parfaitement consciente. Au regard de la loi, elle serait donc adulte, si on introduit cette notion de majorité sanitaire. Si elle ne veut pas suivre de traitement, qui prendra la décision aux yeux de la loi ?

Mme Marie-Cécile Moreau : En ce qui concerne l'IVG, qui est le problème qui m'est posé aujourd'hui, mais aussi en ce qui concerne cet autre problème que vous évoquez, rien n'empêcherait que cette majorité sanitaire laisse subsister le consentement des parents. L'intérêt de cette notion serait de ne pas bloquer la situation au cas où l'un des parents refuse son consentement pour une IVG.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce n'est pas pour autant que la mineure serait seule. Etre responsable ne signifie pas pour autant être isolée.

Mme Marie-Cécile Moreau : Le problème actuel, c'est que sans consentement - le consentement sous forme d'accord écrit, d'un papier - l'IVG n'est pas possible.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Permettez-moi de vous soumettre une hypothèse de travail. Si la majorité sanitaire est fixée à seize ans, cela signifiera que l'on n'aura plus besoin d'une autorisation écrite des parents sur le plan scolaire. Si un enfant souffre d'une appendicite aiguë, qui se déclare en classe, par exemple, pourra-t-on l'opérer sans avoir eu le consentement des parents ?

Mme Marie-Cécile Moreau : Je ne le crois pas du tout. Les autres textes ne vont pas se trouver ipso facto modifiés. Même si la loi est modifiée pour l'IVG, je ne vois pas au nom de quoi l'autorisation parentale ne serait pas requise pour toute autre forme d'intervention chirurgicale, d'autant plus que le consentement, qui doit être donné par celui qui exerce l'autorité parentale à l'hôpital, doit être formulé par écrit. C'est précisément ce qui pose problème dans le cadre des IVG.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Il y aurait donc une majorité sanitaire strictement réservée à l'IVG ?

Mme Marie-Cécile Moreau : Oui, si le législateur en décide ainsi. Le fait de modifier la loi de 1975 ne va pas modifier les autres lois.

Mme Catherine Génisson : Je voulais préciser que la majorité sanitaire s'appliquerait uniquement à l'interruption volontaire de grossesse. Cela dit, je ne pense pas que le terme soit adapté, dans la mesure où il me semble que, quand on parle de majorité sanitaire, on considère que cette majorité concerne l'ensemble des problèmes de santé.

Mme Marie-Cécile Moreau : Vous avez pu constater d'ailleurs que les termes ne sont pas encore fixés. Certains parlent de majorité médicale, d'autres de majorité sanitaire. Il conviendrait d'indiquer que, en matière d'IVG, pour les mineures de plus de quinze ou seize ans, le consentement de la jeune fille suffit. Dans la mesure où nous créons une césure entre zéro et dix-huit ans, nous l'appelons "une majorité", mais il est certain que cela ne modifie pas les dispositions du code civil selon lesquelles "la majorité est fixée à dix-huit ans". Il ne s'agit pas du tout d'une modification de cette disposition, mais simplement d'une modification à la loi de 1975.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente :  Le Conseil national du sida s'est penché sur le problème des jeunes mineurs qui ne souhaitent pas que leurs parents soient au courant de leur maladie ou des soins qu'ils reçoivent pour des maladies sexuellement transmissibles. Cette question se pose, en fait, de façon assez aiguë pour tout ce qui a trait à l'intime.

Mme Marie-Cécile Moreau : C'est tout à fait justifié. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'âge de dix-huit ans paraît un âge trop élevé.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pour ceux qui verraient la césure plutôt vers quinze ans, vous vous êtes appuyée sur l'argument selon lequel une jeune fille peut se marier à quinze ans. Il existe aussi d'autres arguments qui vont dans le sens de cette césure à quinze ans, voire même à treize ans.

Mme Marie-Cécile Moreau : La loi de 1993 a rabaissé à treize ans l'âge du consentement.

Mme Danielle Bousquet : Pour qu'une mineure puisse se marier à quinze ans, le consentement des parents est-il requis ?

Mme Marie-Cécile Moreau : Oui. Selon le code civil, elle a le droit de se marier à quinze ans et l'autorisation parentale doit être donnée par les deux parents. Il est cependant précisé que si les deux parents ne sont pas d'accord, cela vaut consentement.

Lorsque le code civil a été conçu, on a ainsi prévu les cas de conflit entre les parents. Rien de tel dans la loi de 1975. C'est pour cela que nous en arrivons à cette situation. Que fait-on dans le cas où le consentement parental n'est pas donné, alors que la mineure souhaite une IVG ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je reviens à ma question concernant l'âge, parce qu'il me semblait, notamment dans le domaine de la vie sexuelle, que, par exemple, les poursuites pour abus sur mineures n'étaient plus exercées dès lors qu'elles atteignaient l'âge de quinze ans ?

Mme Marie-Cécile Moreau : Les pénalités varient en effet selon l'âge. Plus ils sont jeunes, plus il est grave d'abuser ou d'attenter aux m_urs sur des mineurs. La minorité est une circonstance aggravante, de même que le fait que l'attentat ou les violences soient opérées par une personne qui a autorité sur le mineur. Tout cela relève du code pénal. En matière d'IVG, nous sommes dans un cadre civil, même si existent aussi des contraintes pénales.

Mme Raymonde Le Texier : Je trouve l'idée de majorité sanitaire tout à fait intéressante. J'en ai discuté avec des médecins généralistes, qui y seraient plutôt favorables, naturellement pour les IVG mais aussi pour le sida et les MST, ne serait ce que parce qu'il leur est parfois très compliqué de soigner la mineure qui ne désire pas que ses parents soient informés.

Si l'on veut que cette majorité sanitaire ne s'applique qu'à l'IVG, il convient de ne modifier que la loi de 1975 complétée par la loi de 1979.

Si l'on souhaitait aller plus loin et étendre la majorité sanitaire, non seulement à l'IVG, mais à tout ce qui touche à l'intimité, faudrait-il procéder de la même manière ?

Il faut trouver une solution, en matière d'IVG, pour les situations dans lesquelles il est impossible d'obtenir l'autorisation parentale, mais cela ne veut pas dire pour autant qu'une jeune fille de dix-sept et demi ou dix-huit ans moins deux mois ne pourra pas se faire accompagner par ses parents si elle le souhaite et si elle entretient de bonnes relations avec eux. La loi qui permettra aux jeunes filles de pouvoir procéder à une IVG sans l'autorisation des parents, s'il leur est impossible de l'obtenir, ne signifiera pas pour autant que celles qui voudraient être accompagnées de leurs parents ne puissent le faire.

De même, si nous élargissions complètement la majorité sanitaire et qu'elle couvre tout le champ de la santé, cela n'exclurait pas que l'adolescente, atteinte d'une grave maladie, dont parlait Mme Marie-Thérèse Boisseau, puisse être accompagnée de ses parents.

Mme Marie-Cécile Moreau : Le problème ne se pose pas si la mineure et les parents sont d'accord pour l'IVG. Il ne se pose que si la mineure ne peut pas obtenir le consentement parental. C'est pour ces cas difficiles, souvent douloureux que nous envisageons de mettre en _uvre une modification légale. Il y a environ 10.000 mineures qui ont une grossesse non désirée. C'est pour elles qu'il nous faut trouver une solution. Cela n'aura pas d'effet pour les cas dans lesquels, fort heureusement, il n'y pas de difficultés.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : En fait, seulement 10 % de ces 10 000 mineures ont des difficultés à recueillir le consentement parental.

Mme Marie-Cécile Moreau : En voyant les adolescentes confrontées à ces difficultés, nous voulons éviter qu'elles aient recours à des méthodes telles que des voyages à l'étranger ou des avortements clandestins. Nous devons toujours nous souvenir que nous sommes face à des situations très difficiles, auxquelles la loi en vigueur ne répond plus.

Souvenons-nous que la loi de 1975 a été rendue nécessaire par le fait que la loi de 1920 n'était plus applicable, et n'était plus appliquée - le Parquet avait, à l'époque, donné des instructions pour qu'elle ne le soit plus - car en raison de l'état des m_urs, elle était devenue totalement anachronique. Nous sommes dans une situation identique aujourd'hui. C'est assez normal, cela tient au type de problèmes que nous sommes en train de vouloir résoudre.

Mme Raymonde Le Texier : Nous parlons des 10 % de situations pour lesquelles il faut trouver des solutions, mais au-delà de ces 10 %, pour revenir sur l'idée de majorité sanitaire, je nous trouve assez timorées chaque fois que ces questions sont abordées. Il me plairait d'avancer un peu plus : pourquoi une jeune femme de dix-sept ans ou dix-sept ans et demi, même si elle a de bonnes relations avec ses parents, serait-elle obligée d'aller raconter sa vie intime pour avoir l'autorisation de faire une IVG ? Dans un sens, c'est son problème et, quand on entend certains parents, il peut être intéressant que cela reste son problème. Je souhaiterais que l'on dépasse ces 10 % de situations dramatiques.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Vous parlez d'une majorité sanitaire à quinze ou seize ans pour l'IVG qui pourrait être étendue aux problèmes de santé liés à la sexualité : MST, sida, entre autres. La loi est aujourd'hui rigide, elle n'est plus adaptée à la réalité du moment et il faut la faire évoluer. J'en conviens tout à fait.

Mais cette majorité sanitaire à seize ans ne résout pas le problème des douze-seize ans qui, pour moi, sont les plus difficiles, puisque c'est dans cette tranche d'âge que nous trouvons les sordides problèmes intra-familiaux, qui sont beaucoup plus fréquents qu'on ne le pense.

L'article 6 du projet de loi qui nous est proposé me semble relativement souple. Il prévoit que l'on "essaie" de recueillir l'autorisation parentale ou celle du représentant légal, que le médecin doit "s'efforcer" de consulter ces personnes et qu'in fine, si l'on ne peut pas obtenir ce consentement, le médecin peut pratiquer l'IVG.

Pour ma part, j'ai toujours peur de l'effet de seuil négatif, qui pourrait se produire, si nous en fixions un à seize ans ou quinze ans. Dans la rédaction actuelle de l'article 6 du projet de loi, on ne parle pas d'âge, on ne crée pas de tranches au sein des mineurs, on se situe simplement en dessous de dix-huit ans. Tous les cas de figures sont intégrés dans cette formulation, qui me paraît assez satisfaisante car elle permet, dans certains cas, de forcer -  le terme est malheureux - la main des mineures qui ne veulent pas parler à leurs parents, et dont on s'aperçoit a posteriori que cela a été très bénéfique. Cela n'enlève pas la possibilité d'informer les parents. Que pensez-vous de cet article 6 ?

Mme Marie-Cécile Moreau : Je trouve cet article un peu compliqué car, justement, si nous devons aller vers une modification de la loi de 1975, c'est en raison de l'évolution des vingt-cinq dernières années, qui a marqué - je le disais précédemment - à la fois l'autorité parentale et la minorité.

Cela étant, il faut sans doute trancher de manière plus catégorique et j'irais volontiers dans le sens indiqué par Mme Raymonde Le Texier, car la rédaction actuelle de cet article contraint la mineure de dix-huit ans moins quinze jours, à aller chercher l'autorisation de ses parents.

Il ne s'agit pas d'une une relation entre la mineure et ses parents, mais d'une relation entre la mineure, ses parents et le médecin gynécologue. Le plus souvent les difficultés naissent du fait que l'intervention n'est pas pratiquée par le gynécologue tant qu'il n'a pas l'autorisation parentale.

A mon avis, la difficulté pourrait venir plus des médecins que de l'autorité parentale, qui serait plus un prétexte qu'une opposition. C'est la responsabilité des médecins qui est en cause. Tous ceux que j'ai interrogés m'ont dit que se posaient des problèmes importants de responsabilité. Ils ne voient absolument pas la question sous l'angle sous lequel nous la discutons aujourd'hui. Ils la voient sous l'angle de la responsabilité. Si la loi ne dit pas clairement que le consentement parental n'est plus requis "à partir de seize ans", je doute que, dans leur majorité, les médecins, qui pourraient être requis pour ces interventions, soient d'accord.

Mme Catherine Génisson : Nous avons toutes la volonté de dissocier le problème de l'autorisation parentale et de la minorité, de celui de l'accompagnement nécessaire, tout en ayant en arrière-pensée la volonté de considérer que l'accompagnement parental est tout de même le meilleur accompagnement pour les mineures. C'est tout le débat que vous avez développé sur la relation entre autorité parentale et minorité.

Je suis intéressée par votre proposition concernant une majorité sanitaire, mais dès lors que l'on parle de majorité sanitaire, je ne vois pas comment on pourrait la limiter à la seule interruption volontaire de grossesse, ni même à celle de l'intime. Parler d'une majorité sanitaire, c'est ouvrir un espoir, un champ qui mériterait un vaste débat, sur lequel je ne suis pas certaine que nous ayons suffisamment réfléchi. Pourquoi seuls les problèmes de l'intime et ceux qui touchent strictement à la vie sexuelle seraient-ils concernés par la majorité sanitaire ?

Mme Marie-Cécile Moreau : Je partage assez votre avis. Cette majorité sanitaire pourrait être le modèle de la création d'une majorité plus précoce, qui pourrait aussi concerner, par exemple, l'exercice d'une religion.

Sans changer l'article 388 du code civil, selon lequel le jeune est majeur à dix-huit ans, ce qui, je le répète, n'est pas mon propos, peut-être serait-il possible de préciser un âge charnière dans l'article 6 du projet de loi que vous me soumettez.

Il faudrait rédiger cet article de la façon suivante : "Si la femme est mineure, non émancipée de seize ans...". Cela signifierait qu'au-dessous de cet âge, on suit la procédure indiquée par l'article L-2212.7 du code de la santé publique, dans sa rédaction prévue par le projet.

C'est l'embryon d'une autre majorité pour les questions qui touchent à l'intime.

Mme Danielle Bousquet : La définition de l'intime est vaste.

Mme Marie-Cécile Moreau : C'est vrai. C'est pour cela que nous ne pouvons pas légiférer autrement que pour l'IVG. Ce que nous devons résoudre aujourd'hui, c'est le conflit de deux consentements inverses, en matière d'IVG.

Mme Danielle Bousquet : Nous parlons de l'IVG et de la question de la redéfinition de la majorité dans ce domaine. Le législateur pourra ensuite, éventuellement, se saisir de l'avancée réalisée pour élargir cette notion et créer une majorité sanitaire.

Dans le cas où une jeune mineure pourrait avoir un accident grave ou décéder lors d'une IVG, la question de la responsabilité du médecin se poserait-elle, dans la rédaction actuelle ?

Mme Marie-Cécile Moreau : A mon sens, ce n'est pas dans le cadre de sa responsabilité en tant que médecin habilité à pratiquer une IVG, mais dans le cadre de sa responsabilité médicale, qu'une telle responsabilité pourrait être recherchée.

Mme Nicole Bricq : L'alternative me semble simple. Il y a, d'un côté, la fixation d'un nouveau seuil, à quinze ou seize ans dont on ne pourra pas dire que l'application est limitée à la seule IVG. Il y a, de l'autre côté, la solution qui consiste à dire, qu'en cas d'absence de consentement des parents, la mineure, quel que soit son âge, peut demander l'interruption volontaire de grossesse.

C'est ce problème-là qui est posé. Si nous introduisons un seuil, ne doutons pas qu'il modifiera la loi, et pas seulement celle sur l'IVG, car cela revient à introduire un nouveau concept de droit.

Ayant fait partie de la commission d'enquête sur les prisons, j'ai pu observer que, quel que soit l'âge de la majorité pénale qu'on choisisse, on réintroduit de facto de nouvelles notions. On parle, par exemple, de "jeunes majeurs", désignant une catégorie qui n'existe pas de jure, mais qui existe bien de facto, parce que nous savons très bien qu'elle est traitée particulièrement. Il n'y a donc pas de bon seuil de jure.

Mais, dans le cas qui nous occupe, c'est simple : soit nous mettons un seuil, qu'il soit à quinze ou seize ans, et la jurisprudence l'étendra à d'autres notions ; soit nous décidons - c'est la position que défendait Mme Raymonde Le Texier - que la mineure, quel que soit son âge, si elle n'a pas le consentement de ses parents et si elle est confrontée à une situation de détresse, est libre d'agir par elle-même face au médecin.

Vous êtes en train de discuter de l'introduction d'une majorité sanitaire qui se limiterait au problème de l'IVG. Mais cela créera une nouvelle catégorie. Quant à l'intime, je ne saurais le définir juridiquement.

Je prends un exemple : certains, comme vous le savez, ne veulent pas de transfusion pour leurs enfants. Si nous introduisons une notion de majorité sanitaire, la jeune fille ou le jeune garçon dont les parents ne veulent pas d'une transfusion, pourra dire qu'il en veut une. Il en aura le droit.

Mme Marie-Cécile Moreau : Votre position consiste à dire c'est tout ou rien, car si vous ne voulez pas d'un palier, nous arrivons au tout ou rien.

Le texte actuellement en vigueur ne me paraît plus adapté. De cette inadaptation, je ne peux passer, comme vous l'envisagez, à une situation où le consentement des parents serait purement et simplement supprimé. Nous ne pouvons pas accepter que, dès l'âge de douze ans, les enfants bénéficient, en matière d'IVG, d'une totale liberté. C'est de cela qu'il s'agit : de l'autonomie libre de la jeune mineure. Je n'y crois pas.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il me semble, comme le disait très justement Mme Marie-Thérèse Boisseau, que les grossesses des mineures très jeunes sont souvent issues de rapports forcés ou incestueux. Dans ces conditions, on ne peut pas demander le consentement des parents.

Mme Marie-Cécile Moreau : Pour ces cas, il faut habiliter un juge à trancher la question, ce qui demande d'ailleurs à être précisé. Va-t-il lui être demandé de dire : "J'ordonne l'IVG", ou de dire : "Je dispense cette mineure de justifier d'un consentement écrit du parent" ? Ce n'est pas la même situation.

Mme Marie-Cécile Moreau : Si nous décidons une césure à seize ans, il faudra trouver quelle réponse apporter aux mineures encore plus jeunes, celles dont parlait Mme Marie-Thérèse Boisseau. Nous avons un pivot solide, qui est le juge, à condition de l'habiliter, non seulement en désignant précisément tel ou tel juge, mais également en déterminant jusqu'où il pourra aller - autorisation d'une IVG ou dispense de l'autorisation - ce qu'aucun juge actuellement n'a le droit de faire.

Mme Odette Casanova : Je voudrais faire une remarque à propos du terme de majorité sanitaire. Ne pourrait-on rédiger l'article du projet de loi sans parler expressément de majorité sanitaire, mais en disant simplement qu'entre dix-huit et seize ans, si l'autorisation parentale n'est pas donnée, la mineure pourra passer outre, ce qui éviterait d'employer ce qualificatif de majorité sanitaire, qui semble gênant.

Mme Marie-Cécile Moreau : Il n'y a pas de choix : ou l'on s'en tient aux lois de 1975 et 1979, ou l'on crée un âge à partir duquel la grande mineure n'a pas besoin d'apporter le consentement par écrit du titulaire de l'autorité parentale ou de celui qui l'exerce.

A mon avis, il est indispensable, alors, de prévoir qu'un juge, qui reste à désigner, ait une compétence en cas de conflit de consentements, parce que le conflit naturel entre deux conceptions est, en droit français, tranché par le juge si la loi, par avance, n'a pas prévu que dans tel ou tel cas, cela se résoudra de telle ou telle manière.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Vous proposez donc qu'à partir de seize ans soit mis fin à l'autorité parentale et qu'en dessous de cet âge soit introduite une disposition permettant l'intervention d'un juge qui puisse faire en sorte de suspendre l'obligation de présenter l'autorisation parentale.

Mme Marie-Cécile Moreau : C'est bien ce que j'ai voulu dire ; c'est une manière de faire correspondre notre droit à l'évolution actuelle qui fait que les mineurs sont majeurs avant dix-huit ans pour certaines questions.


© Assemblée nationale