ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 32

Mardi 24 avril 2001


(Séance de 17 heures 15)

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Fanny Hamouche, membre de l'Association des Mères de l'Ombre (AMO)

- Audition de Mme Danielle Housset, présidente de l'association "Enfance et Familles d'adoption" (EFA)

- Audition de Mmes Maya Surduts, secrétaire générale, Nora Tenenbaum, Danièle Abramovici et Valérie Haudiquet, membres de la Coordination des Associations pour le Droit à l'Avortement et à la Contraception (CADAC)

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Fanny Hamouche, membre de l'Association des Mères de l'Ombre (AMO).

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Fanny Hamouche, responsable de l'antenne parisienne de l'Association des Mères de l'Ombre (AMO), dont la présidente est Mme Laëtitia Buron. Elle est accompagnée d'Anne Halversen, enfant née sous X, membre de la CADCO. Créée un juin 1998, l'AMO accueille et aide les mères de naissance, ayant accouché sous X, qui désirent lever le secret sur leur identité et établir des contacts avec leur enfant et sa famille adoptive.

Vous avez donc à la fois une mission d'information juridique, de soutien psychologique et un rôle de médiation, en cas de retrouvailles. Nous souhaitons vous entendre afin de mieux comprendre la démarche et la souffrance des mères qui accouchent sous X, connaître les contraintes qui les ont poussées à accoucher sous X et les difficultés auxquelles elles se heurtent pour lever le secret de leur identité.

Nous aimerions rechercher ensemble les améliorations à apporter à ce texte. Mme Ségolène Royal, lors de son audition par notre Délégation, le 23 janvier dernier, a semblé ouverte à l'idée de permettre à la mère de naissance, d'adresser une demande au Conseil national pour l'accès aux origines personnelles, afin d'obtenir des informations sur son enfant, ce que le projet de loi ne prévoit pas actuellement.

Mme Fanny Hamouche : L'Association des Mères de l'Ombre (AMO) s'occupe des mères qui ont accouché sous X et revendique l'abolition de l'accouchement sous X. Cela entraîne une telle souffrance pour les mères et les enfants !

Après l'accouchement, la détresse qui s'ensuit et la remise de l'enfant à l'adoption, la mère vit dans une telle souffrance et une telle culpabilité qu'elle recherche tôt ou tard son enfant. Elle veut savoir ce qu'il est devenu, avoir de ses nouvelles et, généralement, les enfants aussi. L'AMO travaille notamment en collaboration avec les associations des enfants de la CADCO. Les mères cherchent autant que les enfants. La souffrance touche les deux parties.

En tant que mères, lorsque nous accouchons sous X, nous sommes déconsidérées, agressées verbalement ; ce qui ajoute à la culpabilité que nous éprouvons déjà. Certaines mères se sont présentées à la DDASS ou à l'aide sociale à l'enfance (ASE), pour demander la levée du secret, elles ont été rejetées de façon abominable. Les plus courageuses font la démarche et sont reçues ainsi. Après cela, nous les récupérons dans un état désastreux, complètement démolies.

Au niveau de l'administration, nous rencontrons des difficultés pour lever le secret. Certes, toutes les DDASS ne fonctionnent pas à l'identique. Pour ma part, je n'ai pas eu trop de problèmes à la DDASS de Marseille, mais certaines d'entre elles refusent d'effectuer la levée du secret. Une adhérente de l'association, qui a accouché dans le département des Hauts de Seine, a dû écrire à MM. Mattéi, Verdier et Pasqua pour obtenir l'autorisation de lever le secret ; mais on ne lui a pas accordé le droit de laisser la lettre de levée de secret. Grâce aux médias et à la télévision (l'émission "52 à la une"), elle a retrouvé sa fille, il y a trois semaines.

Employer ce genre de procédé demande du courage, il faut oser se montrer et surmonter la peur d'être jugée. On se sent très mal ! Toutes les mères ne sont pas en mesure de témoigner à la télévision. Elle a eu de la chance de retrouver sa fille ainsi. Combien de milliers de femmes dans ce cas ne sont pas entendues !

L'idéal serait l'abolition de l'accouchement sous X, afin que la mère puisse laisser quelque chose à son enfant : ses coordonnées, une lettre, des photos, son histoire. Les dossiers sont bien souvent si vides.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce que vous décrivez n'est pas exactement la suppression de l'accouchement sous X mais plutôt, ce que prévoit le projet de loi, la possibilité pour la mère d'accoucher et de laisser, si elle le souhaite, des éléments qui permettent à l'enfant de la retrouver.

Mme Anne Halversen : Soit une femme accouche anonymement sans laisser aucune trace ; dans ce cas, il est impossible à l'enfant de la retrouver. Soit elle accouche de façon secrète ou confidentielle ; son nom est alors relevé, de même que l'identité du père, si elle est connue. Dans les pays scandinaves, l'identité de la mère et du père est systématiquement relevée.

Tout est affaire de choix : on choisit de garder l'enfant, de ne pas prendre de moyens de contraception, de ne pas avorter, de le mettre au monde, de l'abandonner ou de le donner en adoption. Si toutes ces étapes sont choisies par la mère, voire par le père, il nous paraît logique que la mère et le père laissent leurs noms.

Nous souhaitons la confidentialité, ce qui abolirait l'accouchement sous X, c'est à dire l'anonymat. Ainsi, à partir de dix-huit ans, l'enfant pourrait avoir accès, de façon systématique, aux noms du père et de la mère, s'il le désire.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Sans même la volonté de la mère ?

Mme Anne Halversen : Elle a quand même choisi de le mettre au monde, choisi de ne pas avorter ...

Mme Marie-Françoise Clergeau : Elle n'a peut-être pas choisi de ne pas avorter !

Mme Anne Halversen : Je suis née sous X et je ne peux répondre à cela. Une énorme pression pèse en tout cas sur les mères depuis toujours pour abandonner leur enfant. Cela ne se fait pas dans certains milieux d'avoir un enfant lorsque l'on n'est pas mariée ; parfois ces femmes n'ont pas les moyens économiques, etc...

Mmes Muguette Jacquaint et Odette Casanova : Donc, elles ne choisissent pas !

Mme Anne Halversen : Elles ont choisi d'accoucher plutôt que d'avorter.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pas forcément ! La loi concernant l'IVG s'inscrit dans une liberté très encadrée. De plus, il est fait référence ici à des situations datant de soixante à soixante-dix ans, à un moment où l'accès même à l'IVG n'était pas du tout possible.

Mme Anne Halversen : C'était tout à fait différent. De même, après la loi de 1941 et jusqu'aux lois sur la contraception de 1967 et sur l'IVG de 1975, il était rare que les femmes abandonnent leur enfant pour des raisons économiques. Dans 95 % des cas, la pression familiale contraignait des mères très jeunes.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le service des droits des femmes a fait une étude extrêmement intéressante sur ces cinq dernières années faisant apparaître qu'il n'y a pas un type unique de femmes accouchant sous X.

Mme Anne Halversen : Nous considérons qu'à partir du moment où elles ont accouché, elles sont mères de naissance. Certes, la place reste vacante pour des parents adoptifs. La personne née sous X a des parents de naissance et des parents adoptifs, et non pas uniquement des parents adoptifs. Baser toute une relation adoptive sur cela est relativement pervers. Tôt ou tard, la relation est abîmée et l'on recherche. Libre à ceux qui ne veulent pas rechercher de ne pas le faire : mère ou enfant.

Mme Fanny Hamouche : Certaines mères ne cherchent pas parce qu'elles ont tourné une page.

Mme Anne Halversen : C'est exact. Mais, au sein de la CADCO, même des mères qui ne cherchent pas peuvent être retrouvées, parce que nous faisons des enquêtes policières tellement pointues que nous finissons souvent par les retrouver. Certaines sont âgées de 50, 60 ou 70 ans.

Près de six mois de médiation sont nécessaires, soit avec l'enfant, soit avec un médiateur, afin que la mère accepte de reconnaître sa maternité. Au début, elle nie en disant qu'elle n'est pas la coupable, ce qui signifie qu'elle est bien la mère. Ensuite, nous lui téléphonons chaque mois, nous lui écrivons une lettre. Un déclic se produit. Elle finit par dire, non pas qu'elle est la mère mais qu'elle ne peut rien dire sur le père. On en déduit que c'est bien elle la mère. On envoie alors des photos, et quand elle voit des photos, elle accepte de rencontrer l'enfant.

Chaque médiation est différente, certaines ne sont possibles que par l'intermédiaire de l'enfant. L'esprit du projet implique l'introduction d'un médiateur, alors qu'il conviendrait de laisser le choix à la mère et à l'enfant.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Mes collègues et moi-même avons envie de réagir très fortement.

Mme Muguette Jacquaint : Vous dites qu'il appartient soit à l'enfant soit à la mère d'exprimer ce désir de connaître l'identité. A la demande de qui fait-on une recherche ?

Mme Anne Halversen : Mère ou enfant, selon les associations. A la CADCO, les médiations se font à la demande des enfants.

Mme Fanny Hamouche : A l'AMO, cela se fait à la demande de la mère. Parfois, la mère a seulement besoin d'avoir des nouvelles. J'ai eu la chance que mon fils me recherche et souhaite me rencontrer. Au début, je voulais des nouvelles, parce que je ne savais rien du tout, je ne savais pas comment il allait, s'il était heureux, etc... Si les enfants veulent connaître leur mère et tisser des liens, tant mieux, mais obtenir des nouvelles demeure élémentaire.

Mme Odette Casanova : Vous avez parlé de femmes qui deviennent mères, qui le restent et qui veulent chercher leur enfant à un moment donné.

Nous pensons que cela dépend des cas. Je vais être très brutale : une femme violée lors d'une guerre, a-t-elle envie de rechercher son enfant ? De même, lorsqu'il s'agit d'un inceste, a-t-elle envie de retrouver cet enfant ? Nous devons nous poser cette question.

Vous avez aussi parlé d'une médiation qui me semble être menée de façon quelque peu agressive.

On dit que les femmes sont responsables, qu'elles ont choisi malgré elle. Alors, ce n'est pas véritablement un choix ! L'accouchement sous X n'est pas toujours lié aux pressions familiales, mais aux conditions économiques, au viol ou à l'inceste. Certaines femmes ont agi ainsi parce qu'elles ne connaissaient pas l'IVG, la contraception ou n'avaient pas les moyens d'y accéder du fait de leur culture ou d'interdits familiaux. Dès lors, il convient de se montrer non pas agressif, mais diplomate.

Vous avez dit aussi que la proposition devrait intégrer l'identité de la mère et du père. Mais, nous ne connaissons pas toujours l'identité du père s'il s'agit d'un viol, s'il est parti, etc... alors que nous avons celle de la mère. Obliger à laisser l'identité reviendrait à faire porter à la femme toute la responsabilité de ce qui s'est passé. Or, la femme doit conserver un pouvoir de décision total, surtout si elle est seule et ne peut donner le nom du père.

L'idéal serait de savoir les noms du père et de la mère dans tous les cas, mais le père est bien souvent absent.

Mme Danielle Bousquet : Je vous ai entendu parler d'enquêtes policières et de femmes coupables. Je voudrais que vous nous expliquiez ces termes qui ne me semblent pas acceptables.

M. Patrick Delnatte : La double volonté mère-enfant est-elle réellement indispensable ou une seule suffit-elle ? Nous devons avoir une position précise à ce propos. Par ailleurs, quelles sont les limites de la notion de "nouvelles" ? Est-ce avoir un bilan de la situation de l'enfant ? Cela supposerait que l'organisme ait les moyens de suivre l'enfant jusqu'à un certain âge. Ou bien, la prise de nouvelles a-t-elle pour but d'établir une relation sur le principe de la double volonté ?

Mme Anne Halversen : En tant que membre de la CADCO, je représente les enfants nés sous X. Les mères n'ont pas toujours envie, trente ou quarante ans après, que l'on s'immisce dans leurs vies. Avant de débuter une médiation, l'on s'assure que c'est la bonne personne, après avoir fait une "enquête policière", c'est-à-dire que nous procédons à des investigations considérables. Par exemple, sur un dossier de la DDASS masqué, peu d'indications apparaissent ; on peut lire : "Deux SS, 1932" (SS pour Deux Sèvres), date de naissance de la mère, tout le reste est masqué. Ces investigations durent parfois de nombreuses années.

M. Patrick Delnatte : La méthode est donc une enquête administrative et non pas « policière ».

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous sommes sur un sujet passionnel. Nous avons eu, lors de la dernière audition, le même débat sur le positionnement des enfants par rapport aux mères et nous étions en désaccord sur ce qui nous était exprimé, car cela nous semblait un jugement porté sur la mère.

Mme Anne Halversen :  Je n'ai porté aucun jugement. Dans les six derniers mois, j'ai effectué une médiation. Lors de la première conversation téléphonique, la mère de naissance elle-même m'a dit : "Je ne suis pas cette personne, je ne suis pas la coupable !" Là, j'ai compris que, pour qu'elle se sente coupable à ce point, elle était forcément la mère de naissance de la personne.

Aujourd'hui, la médiation est terminée, elles vont se rencontrer et la mère m'a remerciée de l'avoir contactée régulièrement, sans la brusquer, en gardant la confidentialité. Elle craignait que l'on informe sa famille, ce que nous n'avons pas fait. Nous avons envoyé des photos et à partir du moment où elle a senti qu'elle ne serait pas agressée, elle a accepté de voir sa fille.

Mme Fanny Hamouche : Il est primordial de ne pas laisser le dossier vide, même en cas de viol ou d'inceste. Des années après, certaines femmes ne veulent plus en entendre parler, mais d'autres ont envie de savoir. Malgré tout, c'est leur enfant ! Elles l'ont porté, mis au monde ! Elles se demandent si leur enfant sait qu'elle existe, s'il pense à elle et toutes les questions qui en découlent.

Pour répondre à M. Patrick Delnatte, si la mère ou l'enfant ne désire pas savoir, il suffit qu'il ou elle ne consulte pas son dossier et il ou elle ne saura rien.

M. Patrick Delnatte : Dans l'état actuel du projet, si l'un des deux le souhaite et l'autre non, l'enfant ne saura rien.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La réflexion de M. Patrick Delnatte vous paraît-elle correspondre à un aspect critiquable du projet de loi ? Pensez-vous comme Mme Anne Halversen que, quel que soit le désir de la mère, l'enfant a le droit de connaître ses origines à sa majorité ? Ou bien votre association pense-t-elle qu'il est préférable de ne pas lever le secret sans l'accord de la mère ?

Mme Fanny Hamouche : Notre association voudrait que l'enfant connaisse systématiquement l'identité de la mère.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Quel que soit le désir de la mère ?

Mme Fanny Hamouche : Oui, à sa majorité, et avec l'accord des parents adoptifs tant qu'il est mineur.

Mme Véronique Nieiertz : Vous êtes pour la suppression de l'accouchement sous X ?

Mme Fanny Hamouche : Oui.

Mme Véronique Neiertz : Ainsi, c'est clair ! Vous voulez une confidentialité et supprimer l'anonymat. Vous avez introduit cette nuance. Cette confidentialité permettrait de recueillir tous les éléments identifiants, même si la mère n'est pas d'accord, et de les communiquer à la majorité de l'enfant, s'il le désire. C'est cela que vous souhaitez ! Ce qui équivaut, selon nous, à la suppression de l'accouchement sous X. Selon vous également ?

Mme Fanny Hamouche : Oui.

M. Patrick Delnatte : Comment donner des nouvelles, sans établir une relation ? Est-ce une demande qui existe ou bien la demande de nouvelles induit-elle un objectif de rencontre ?

Mme Fanny Hamouche : J'ai abordé ce sujet en lien avec les difficultés actuelles d'accès aux informations. Tout est tellement bloqué ! On ne peut rien savoir concernant son enfant. A défaut d'obtenir davantage, certaines mères se contenteraient d'avoir des nouvelles.

Mme Muguette Jacquaint : "Se contenter d'avoir des nouvelles", où cela s'arrête-t-il ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Est-ce pouvoir établir des relations, organiser des retrouvailles entre la mère et l'enfant mineur dans sa famille adoptive, nouer des liens ? Est-ce cela ou simplement, savoir, par le biais du Conseil national d'accès aux origines, que l'enfant est dans tel type de famille, dans telle région de France, qu'il grandit bien, qu'il est normal, etc... ?

Mme Fanny Hamouche : En ce moment, on n'a rien ! Je parle en connaissance de cause. Quand vous faites la démarche de lever le secret, vous souhaitez savoir en premier lieu si l'enfant que vous avez donné en adoption est vivant, s'il va bien, s'il a été aimé et surtout, s'il a une famille ; tout ce que vous n'avez pas pu lui donner.

Avec cela, il y a un premier réconfort. Ensuite, les femmes qui adhèrent à l'AMO ont toutes le même souhait ; si l'enfant désire les voir, effectivement, elles sont d'accord.

Mme Véronique Neiertz : Si je vous ai bien comprise, l'enfant qui veut voir sa mère le peut, à partir de la majorité, même si la mère ne veut pas. Mais si l'enfant ne veut pas voir sa mère alors qu'elle le souhaite, la mère n'ira pas contre sa volonté. Alors, elle pourrait avoir des nouvelles du type de celles que vous avez citées, en s'adressant à une instance (assentiment de Mme Hamouche).

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous parlons bien de l'enfant ayant atteint sa majorité. Le fait que l'initiative de recherche d'informations émane de la mère n'est pas prévu dans le projet de loi.

Mme Danielle Bousquet : Des parents !

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Oui, mais souvent le père est absent. Certains le recherchent et cela m'amène à la question suivante : comment permet-on une recherche des origines en direction du père, sans lier cette connaissance à une filiation ? Ceci est valable également pour la mère.

Pour réitérer la question de Mme Véronique Neiertz : lorsque l'enfant est majeur, est-il envisageable que la mère puisse le rechercher si jusqu'alors lui n'a pas fait de démarche de recherche et que sa famille n'a pas souhaité qu'il le fasse ? Pensez-vous normal que la mère recherche cet enfant, ait des nouvelles ou une rencontre, sans l'accord de celui-ci ?

Mme Fanny Hamouche : Dès l'instant où il sera adopté, elle ne connaîtra pas sa nouvelle identité, sauf si on a bien voulu lui donner le nom des parents adoptifs.

Mme Véronique Neiertz : C'est un problème tellement lourd que le projet de loi, outre qu'il met fin aux atrocités que vous avez vécues, l'une comme l'autre, prévoit que la rencontre à partir de dix-huit ans ne se fera que si l'enfant, comme la mère sont d'accord. Ce qui n'empêche pas qu'il puisse y avoir réticence de l'un ou de l'autre et donner lieu à médiation.

Ce texte est fait pour dédramatiser. L'équilibre entre les deux volontés est à rechercher afin d'éviter un traumatisme terrible. Il fallait garantir cet équilibre entre l'accord de la mère et le désir de l'enfant.

Mme Fanny Hamouche : D'où l'utilité de la médiation.

Mme Véronique Neiertz : C'est peut-être à approfondir.

Mme Danielle Bousquet : La notion d'équilibre me paraît fondamentale.

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La Délégation a ensuite entendu Mme Danielle Housset, présidente de l'association "Enfance et Familles d'adoption" (EFA).

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Danielle Housset, présidente de l'association "Enfance et Familles d'Adoption" (EFA), accompagnée de Mme Marie-Hélène Theurkauff. L'association "Enfance et Familles d'Adoption" est reconnue d'utilité publique depuis 1984 et regroupe des associations départementales. Vous n'êtes pas directement une _uvre d'adoption, vous ne proposez pas d'enfant à adopter mais vous faites connaître et respecter les droits de l'enfant. Vous défendez les intérêts des adoptants et des adoptés. Vous aidez les familles adoptantes, notamment sur les plans psychologique et juridique.

Nous aimerions connaître votre avis sur le projet de loi de Mme Ségolène Royal, relatif à l'accès aux origines personnelles et les modifications que vous souhaiteriez y apporter. On dit souvent que les parents adoptants sont favorables au maintien de l'accouchement sous X pour ne pas voir diminuer le nombre d'enfants adoptables, ni perturber leur vie de famille. Ne confond-on pas trop souvent anonymat et secret et ne serait-il pas nécessaire de mieux informer les femmes sur les autres possibilités qui leur sont ouvertes ? Que pensez-vous des dispositions régissant l'adoption plénière et des modifications envisagées ?

Mme Danielle Housset :  Notre association se nomme "Enfance et Familles d'Adoption". "Enfance" signifie le droit à l'enfance pour tout enfant. "Familles", au pluriel, car toutes sortes de familles d'adoption existent parallèlement à l'adoption plénière.

Nous ne sommes absolument pas un organisme autorisé pour l'adoption. Nous n'intervenons pas dans l'apparentement entre les parents et les enfants, même si nous avons un service "enfants en recherche de famille" qui met en rapport des familles ayant un projet très large d'adoption avec des enfants dits "à particularités". Cela permet d'offrir une possibilité d'adoption à des enfants difficilement adoptables : malades, handicapés, grandes fratries, enfants trop âgés ou enfants restés très longtemps en famille d'accueil, à l'aide sociale à l'enfance avant d'être déclarés juridiquement adoptables. Ils ont une histoire un peu plus complexe que les autres, qui demande une attention particulière et un projet de famille en coïncidence. Nous répertorions et accompagnons toutes ces familles. L'aide pour l'adoption de ces enfants s'inscrit dans le projet de travail de la Ministre de l'enfance et de la famille.

Nous nous défendons entièrement d'être un syndicat de défense des postulants à l'adoption. Nous ne sommes pas faits pour revendiquer un droit à l'enfant. Nous essayons de faire comprendre, en accompagnant les postulants, que l'adoption est faite pour offrir une famille à un enfant qui n'en a pas et non pour satisfaire les parents qui recherchent un enfant.

Le choix entre l'adoption plénière et l'adoption simple dépend strictement du besoin d'un enfant. Certains ont des besoins particuliers. Ils ont des liens avec des familles d'origine, des liens basés sur la vie commune ou sur une histoire qu'ils ne veulent pas perdre. Ils doivent donc bénéficier d'une adoption simple, de la même façon que l'on peut bénéficier de l'adoption plénière dans d'autres situations. Certains enfants n'ont pas de parents pour des raisons multiples : soit parce que les parents ne pouvaient pas les accepter, soit parce que la société a jugé qu'ils ne devaient pas être parents de ces enfants.

Tous ces cas reflètent l'histoire de nos enfants. Pour eux, il est nécessaire de créer, non pas une filiation secondaire mais seconde, pleine et entière.

Les associations de famille adoptives n'ont jamais prôné l'accouchement sous X. Elles l'ont défendu très longtemps. Les mères qui accouchent sous X sont les mères de nos enfants, elles ne sont pas n'importe qui. Il y a forcément une profonde détresse du fait de devoir abandonner, de ne pas reconnaître un enfant, de le confier à la société. Nous pensions que l'accouchement sous X était l'un des moyens parmi d'autres de donner aux mères la possibilité d'accoucher décemment, d'être entourées pendant ce moment difficile, et de consentir (même si juridiquement elles n'en avaient pas le droit), à l'adoption de l'enfant mis au monde.

C'était aussi l'un des moyens pour que les enfants soient juridiquement adoptables très rapidement afin qu'ils ne soient pas tiraillés entre famille, familles d'accueil et aide sociale l'enfance.

Nous avons soutenu cette position très longtemps en précisant que ce n'était qu'une possibilité parmi toutes celles qui pouvaient être proposées aux mères et qui sont les suivantes :

1. Il y a l'accouchement sous X : entrée anonyme en maternité sans donner son nom à ce moment-là ni au moment où l'enfant naît, ne pas le reconnaître, et ne pas avoir la capacité juridique de consentir à l'adoption de cet enfant, mais simplement le remettre à la collectivité publique.

2. L'accouchement avec demande de secret d'identité : on entre à la maternité en donnant son nom, mais à l'accouchement, on demande que le nom ne soit pas divulgué et qu'il n'apparaisse pas dans le dossier de l'enfant. Une entrée à la maternité en donnant son nom, donnait une possibilité certaine, soit de reconnaissance ultérieure de l'enfant, soit de se faire reconnaître plus tard comme celle ayant mis au monde l'enfant.

3. Ensuite, il y a la possibilité d'entrer à la maternité, de donner son nom, mais de ne pas reconnaître l'enfant à l'état civil.

4. Enfin, le dernier cas, le plus utilisé : donner son nom, mettre au monde un enfant en lui donnant son nom et le reconnaître à l'état civil. Le reconnaître, mais aussi avoir la possibilité de le confier en vue d'adoption.

Il est fondamental que le projet de loi, et non pas les décrets d'application - que la mère soit invitée à donner son nom, que l'on maintienne l'accouchement sous X ou qu'on le supprime - précise qu'il faut remettre à toute femme qui accouche d'un enfant un document écrit lui présentant l'ensemble des possibilités et l'ensemble des aides matérielles ou psychologiques existantes et qu'elle dispose de deux mois de réflexion pour décider de reprendre l'enfant ou de le confier au service de l'aide sociale à l'enfance. Ces mères, ces pères sont forcément des êtres en détresse. Ils ont besoin de cet accompagnement, et nous devons leur faire connaître leurs droits.

En ce qui concerne le Conseil national d'accès aux origines, il faudra aussi leur laisser un écrit expliquant quelles sont leurs possibilités de se faire connaître, leur capacité à aller ou non vers l'enfant qu'elles ont mis au monde. Cela n'a pas été fait jusqu'à présent. Nous l'avions demandé lors de la loi de 1996. Or, rien n'a été fait en ce sens, ce qui est lamentable !

L'effort méthodologique consistant à formaliser un questionnement relatif à l'accompagnement des mères de ces enfants, n'a pas été fait non plus. Cela doit être fait quelle que soit la modification de la loi. Il faut prévoir des accompagnements très spécifiques.

Depuis cinq ans, nous ne prenons plus position par rapport au maintien ou à la suppression de l'accouchement sous X. En premier lieu parce que l'on nous a dit que cela ne nous regardait pas ! (personne ne parlait alors de l'accouchement sous X, de ces mères). Nous avons beaucoup travaillé avec l'association des pupilles de l'Etat qui nous disait la grande difficulté d'accès à leurs dossiers. Cela est sans rapport avec l'accouchement sous X, mais avec la pratique administrative qui se modifie quelque peu, depuis la loi sur l'accès aux documents administratifs.

Depuis quelques années, les adoptés ont une revendication qui, pour ceux qui font partie de cette association, correspond à une demande existentialiste. Ils sont les premiers acteurs de cette histoire. On voit également apparaître des associations de mères ayant accouché sous X. Les deux acteurs sont présents pour parler.

Mme Muguette Jacquaint : Il manque les pères !

Mme Danielle Housset : Et nous, parents adoptants. S'agissant du maintien ou de la suppression de l'accouchement sous X, nous ne prenons pas position. Néanmoins, nos demandes sur l'accès aux origines demeurent, en dépit de la modification de la loi.

S'agissant des pères, vous avez raison. D'ailleurs, je n'ai jamais dit "les mères" de nos enfants, sauf s'agissant de l'accouchement. Nos enfants nous posent des questions sur leurs parents de naissance. Ils le font au fil de leur vie. Ils les posent avec des mots différents et attendent des réponses différentes. Ils parlent de leurs pères comme de leurs mères de naissance.

Les quelques études faites sur l'accouchement sous X démontrent que beaucoup de mères ne veulent pas donner le nom du père. Allons-nous faire comme en Allemagne où l'on est obligé de donner le nom de la mère, de même que le nom du père ? Le but n'étant pas qu'il reconnaisse l'enfant, lui donne un nom ou une histoire, mais qu'il paye certaines choses. L'aspect obligation pécuniaire des parents de naissance prévaut. Nous sommes dans une philosophie totalement différente dans les pays latins.

Lorsque Mme Ségolène Royal a présenté son projet de Conseil national d'accès aux origines, cela a fait écho, pour nous, à quelque chose de très ancien. Nous avions écrit avec M. Pierre Verdier (qui était à la DDASS), l'association des pupilles, des psychologues et d'autres associations, un livre sur le droit à la connaissance des origines. Nous y évoquions la nécessité de créer un organe de médiation qui puisse favoriser la rencontre ou la connaissance entre les parents de naissance et leur enfant, adopté ou non.

Les annales des travaux des Nations Unies montrent que l'article 7 de la Convention internationale des droits de l'enfant n'a pas été entièrement conçu pour que les parents de naissance se fassent toujours connaître des enfants, mais aussi pour que certains enfants aient droit à un état civil. Il s'adresse à certaines minorités ou situations, comme les Tamouls au Sri Lanka ou les vols d'enfants en Argentine. D'autres raisons président à l'article, outre le simple fait de connaître le nom de ses géniteurs.

Suite à la convention internationale, les adhérents de EFA se sont demandés comment faire se rencontrer des gens qui ont la volonté de se rencontrer. Quel est le lien que l'on peut créer, quel est le lieu que l'on peut trouver ? Il nous a paru pertinent de concevoir un organe de médiation nationale connu de tous, que l'on puisse saisir, qui soit détenteur de l'éthique, de l'information et du transfert de l'information. Au nom de quoi, pourrait-on empêcher deux adultes de se rencontrer dès lors qu'ils ont la capacité à le faire !

Nous demandions seulement de protéger la fragilité des enfants. Nous continuons à le demander. Le Conseil national tel qu'il est proposé aujourd'hui nous semble être une bonne proposition. Cela nous paraît être une avancée, quelle que soit l'idée que l'on puisse avoir du maintien ou de la suppression de l'accouchement sous X.

Pour l'administration, une nouvelle culture est en train de se mettre en place, car c'est elle qui a cultivé le secret. Pour citer mon cas, on m'a remis mon fils aîné en me disant "on ne sait rien de lui". Quand il a voulu voir son dossier, il y avait une vie entière dans son dossier et on la lui avait enlevée pendant des années !

Les renseignements sont importants, mais il convient cependant de s'assurer de leur exactitude.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Et qu'ils ne portent pas de jugement sur la mère.

Mme Danielle Housset : La nouvelle culture ne doit pas être empreinte de secret et de culpabilisation. Toute personne qui s'adresse à l'aide sociale à l'enfance se sent coupable ; même les postulants à l'adoption ont l'impression d'avoir à faire leurs preuves. Avant même de postuler à l'adoption d'un enfant, il faut prouver que vous allez être les meilleurs parents de la terre. Qui peut prouver qu'il saura être parent avant d'avoir un enfant et, avant la fin de la vie de ces enfants, qu'il a été un bon parent ?

Les services de l'aide sociale à l'enfance peuvent accompagner les familles en difficulté, mais nous ne sommes pas encore dans des rapports permettant à un citoyen d'aller de façon naturelle vers l'ASE pour demander de l'aide. Les gens ont trop peur d'être jugés.

Les parents qui venaient abandonner leur enfant étaient culpabilisés. Il y a quarante ans, les mots employés n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui, mais il est vrai que les dossiers ne devaient être lus par personne. Des choses horribles ont été écrites dans les dossiers de nos enfants. Certaines choses sont inconcevables, on ne peut pas les faire lire à un enfant. Certes, certains enfants ont tellement fantasmé sur leur histoire, que quoiqu'ils découvrent, adultes, dans leur dossier, c'est souvent moins horrible que ce qu'ils avaient imaginé. Mais, il faut accompagner la lecture de ces mots et de ces jugements.

Le projet de loi de Mme Ségolène Royal sera encore meilleur si cet accompagnement est particulièrement soigné, tant dans les services de santé pour l'accueil des mères, que dans les services de l'aide sociale à l'enfance pour l'accompagnement des mères de naissance, des pères, des enfants et de leur famille adoptante, susceptibles de se présenter.

Il est inconcevable de s'en remettre à une seule personne par département. Il suffit qu'elle soit absente... Si deux personnes arrivent pour accoucher dans une maternité et que l'une se sauve, on aura tout raté. Cela s'est produit dans mon département, il y a quinze jours. Il est inadmissible d'en être encore là aujourd'hui.

Cet accompagnement doit donc être sincère, ne pas juger et offrir une continuité dans l'aide proposée, au fur et à mesure des événements de la vie.

En ce qui concerne les renseignements et les identités, le projet est-il fait pour les enfants ou pour les parents de naissance ? A notre sens, il est fait pour les enfants. Le projet sur l'accès aux origines personnelles s'adresse aux enfants qui veulent savoir d'où ils viennent et connaître leur histoire.

Lorsqu'il y a deux intérêts en présence, on est toujours obligé de sacrifier un intérêt pour que l'autre puisse avoir toute sa plénitude. Ces enfants ont souffert au départ de la rupture d'avec leurs parents de naissance qui ont fait un choix à un moment difficile pour eux. Le choix a été fait, l'enfant a été adopté, je le souhaite pour lui. Il a envie ou pas de revenir en arrière.

La volonté de l'enfant est primordiale. C'est donc à lui de demander à connaître ses parents de naissance.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous trouvez donc normal que dans le projet de loi, il n'y ait pas la possibilité pour la mère de rechercher l'enfant à partir de sa majorité ?

Mme Danielle Housset : La proposition qui avait été faite dans le rapport de la commission d'enquête présidée par M. Laurent Fabius énonçait que de façon systématique, à dix-huit ans, l'identité des parents de naissance soit mise au dossier de l'enfant. S'agissant de l'aspect systématique, la réponse des parents adoptants est "non". La demande de l'enfant existe, mais pas toujours uniformément ; elle n'existe pas pour tous les enfants, pas de la même façon et n'a pas le même objectif. Laissons aux enfants cette capacité de choisir le moment, le lieu et jusqu'où.

Il est primordial de ne pas introduire l'aspect systématique. Autant l'on peut faire énormément de bien aux enfants et à leurs parents de naissance avec ce projet de loi, autant on peut détruire des vies.

Certains enfants ne demandent rien, tandis que d'autres posent sans cesse des questions. La CADCO et les "X en colère" le confirment. Ils ont besoin de savoir à qui ils ressemblent. Les enfants accouchés sous X ne peuvent pas le savoir, mais la plupart des enfants adoptés le savent. En adoption internationale, beaucoup de familles ont des photos des parents de leurs enfants.

Il est grave de surgir dans la vie d'un enfant devenu adulte ou pire, d'un adolescent, en lui imposant un passé qu'il n'a pas envie de voir immédiatement. Nous savons combien les adolescences sont difficiles. A certains moments, on n'a pas envie de voir bouleverser sa vie et il y en a d'autres où l'on a envie de changer sa vie. Nous n'avons pas le droit de bouleverser la vie des enfants.

Le projet devra être très précis en ce qui concerne la recherche sur la mère. Particulièrement pour ces femmes qui ont reconstruit leur vie en cachant ce qu'elles ont vécu. Certains membres de la famille peuvent ignorer cet événement de leur passé. Il convient de se montrer très discret. De la même façon qu'elles ont été protégées au moment où elle ne pouvait pas garder leur enfant, il sera nécessaire de les protéger à nouveau lorsque leur enfant voudra les connaître.

Beaucoup de demandes n'ont pas l'objectif de rencontre, mais de connaissance de l'histoire. Les informations que l'on possède au moment de l'adoption doivent être impérativement transmises aux parents adoptants.

Selon une personne que vous avez auditionnée, les parents adoptants ne veulent pas connaître l'histoire de leur enfant. Ce ne sont pas des adoptants qui ont pu dire cela ! Si vous saviez combien les enfants demandent et combien il est important de répondre à leurs questions ! Il convient d'employer leurs mots, les mots de leur âge ; vous ne répondez pas la même chose à un petit garçon de quatre ans, une fille de quinze ans ou une future maman de vingt-cinq ans !

Nos enfants disent par exemple : "Peut être que ma mère avait les mêmes cheveux que toi !", ils disent cela et n'attendent rien d'autre. Parfois, cette phrase passe ou bien elle est dite dans un autre contexte, et alors vous sentez qu'il faut prendre le temps et dire des choses plus importantes.

Citons la question récurrente : "Est-ce que mes parents avaient d'autres enfants ?". Cela les intéresse beaucoup. Quand nous leur disons qu'il était un premier enfant, cela est satisfaisant jusqu'à un certain âge. Plus l'enfant grandit, moins cela suffit... Ensuite, il réalise qu'après un premier enfant, on peut en avoir d'autres. Un petit enfant dont la mère est célibataire et le père inconnu pense qu'il est possible de faire un enfant tout seul ! Plus âgé, il se pose la question de la réalité de l'homme dans l'acte de faire un enfant.

Mme Marie-Hélène Theurkauff : Vous avez demandé tout à l'heure si la mère pourrait savoir ou se trouve l'enfant ou obtenir de ses nouvelles.

Cela sous-entend que les parents adoptifs, seraient tenus d'effectuer un état du devenir de l'enfant, de rendre des comptes à l'administration et donc, ne pas être des parents comme les autres. La situation est ambiguë. Il serait préférable d'inciter les familles à mettre des éléments dans un dossier qui pourrait être consulté par la mère de naissance de l'enfant. Laisser trace du parcours de l'enfant afin que la mère ait des nouvelles à tout moment ne me paraît pas cohérent...Il nous est demandé d'être parents à part entière et nous voulons que nos enfants s'intègrent dans notre famille. Cet élément peut insécuriser les parents et les enfants dans leur statut.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La personne que l'on a auditionnée tout à l'heure disait que les mères aimeraient au minimum avoir des nouvelles.

Mme Danielle Housset : C'est vraiment quelque chose de très difficile.

L'adoption internationale nous montre l'exemple. Les enfants que l'on n'adoptait pas en France il y a vingt ans, sont adoptés aujourd'hui grâce à l'adoption internationale. Certains pays demandent un suivi. Quand le suivi est juridiquement organisé, cela est assez gênant, en raison de notre conception de la famille et du droit au respect de la vie privée. En revanche, dans les pays où l'on nous demande des nouvelles, cela s'effectue sur la base du volontariat. Si l'on est capable d'envoyer de manière régulière des nouvelles, des photos, une lettre, on peut choisir d'adopter dans un pays qui demande un tel engagement. Sinon on n'y adopte pas. Cela doit rester volontaire. Certaines familles sont tout à fait capables de faire cela.

De la même façon, des éléments de la vie de l'enfant peuvent être mis à la disposition de la mère par l'intermédiaire de l'enfant lui-même. Nous ne parlons pas constamment du passé avec nos enfants, mais cela revient périodiquement. Il est rare qu'une famille adoptive dise que l'enfant n'a jamais parlé de son passé. A cette occasion, face à un enfant qui demande comment était sa mère, nous pouvons insuffler, que peut-être elle aussi aimerait savoir comment il est ... S'il demande comment on peut faire pour qu'elle le sache, nous pouvons alors lui expliquer qu'il existe un dossier dans lequel il peut déposer une photo.

Il appartient aux parents d'ouvrir les portes qui conduisent vers le passé de nos enfants, de leur permettre cette liberté.

Dans mon cas précis, on nous a dit que le dossier était vide, ce qui était faux. Cette porte a été ouverte. Maintenant, notre enfant sait qu'il peut y retourner tout seul, ce que nous lui avons rappelé quand il a eu dix-sept ans. Sa réponse a été : "Vous viendrez quand même avec moi ?"

Nous n'avons pas de crainte à avoir mais des portes à ouvrir. Nous avons fait grandir nos enfants pour qu'ils deviennent des adultes et qu'ils aient cette liberté de faire ce qu'ils veulent de leur passé et de leur futur.

Dans le cas des enfants étrangers, nous devons également leur donner le droit et la liberté de se rendre ou pas dans leur pays. Cela leur appartient et ce serait dommage que leurs parents eux-mêmes les en empêchent.

Mme Marie-Hélène Theurkauff : L'une de nos demandes est que le Conseil national d'accès aux origines personnelles intègre aussi le volet adoption internationale, comme prévu dans les termes de la Convention de la Haye.

Les autorités centrales doivent conserver les éléments mis à leur disposition. Tous les pays n'entrent pas forcément dans le système conventionnel. Par contre, de nombreux pays se tourneront peut-être, à l'avenir, plus facilement vers des conventions bilatérales, comme la France l'a fait avec le Vietnam.

Il est important d'intégrer cette notion dans les conventions bilatérales signées par la France : que tout élément sur le passé de l'enfant qui pourrait être porté à la connaissance des autorités centrales concernées soit centralisé en un lieu précis. Ainsi, les parents pourraient, tout comme en France, se faire connaître des années après avoir remis leur enfant en adoption.

Que fait-on de cette demande des familles ? Où arrive-t-elle ? Il n'y a pas de structures qui centralisent les démarches individuelles. Certains organismes cessent leur activité, d'autres ont parfois travaillé avec un pays qui s'est fermé à l'adoption. Que deviennent leurs archives ? Dans l'actuel décret sur les OAA, les archives sont déposées auprès du conseil général du lieu de création de l'organisme agréé. Or, les familles ont pu déménager dans un autre département... Il nous semble plus judicieux que les archives de ces organismes soient conservées par le Conseil national d'accès aux origines afin de centraliser les informations dans un lieu repéré.

Mme Danielle Housset : Vous souhaitiez savoir si le texte ne s'opposait pas à l'idée que nous avons en France de l'adoption plénière. Tout d'abord, l'adoption plénière permet d'aller vers ses origines de la façon la plus simple. Elle installe de manière définitive un enfant dans sa famille. S'il claque la porte, il sait qu'il peut revenir, comme dans une famille de naissance. A partir du moment où il a ce sentiment d'appartenance, essentielle, il peut construire sans culpabilité un sentiment d'appartenance à une autre famille.

Dans un système unique d'adoption simple, l'enfant est encore lié à sa famille de naissance qui semble l'avoir renié, sans quoi il ne serait pas adopté... Il demeure une obligation d'ordre alimentaire. Néanmoins la place que la société lui a faite est dans cette deuxième famille. Comment revenir vers la première lorsque l'on n'est pas certain de pouvoir rester dans la seconde ! De plus, cette filiation peut être révoquée.

Le sentiment de l'appartenance, la stabilité, la certitude que vos parents sont vos parents permettent la confrontation au passé. J'en suis intimement persuadée. Le sentiment d'une double appartenance ne peut éclore qu'à partir du sentiment de l'appartenance réelle.

En second lieu, par rapport à la loi présente ou future, en quoi le fait de pouvoir revenir vers ses origines empêcherait-il qu'il y ait une filiation pleine et entière ?

En termes de filiation, juridiquement parlant, soit on postule que le fait de mettre un enfant au monde crée la filiation, et alors on ne peut rien faire ensuite, soit on établit que ce qui crée la filiation est la volonté d'être parents, une volonté dite, comme elle peut l'être par le biais de la reconnaissance. Cette volonté dite est celle de l'adoption. Dès lors, la filiation est un acte juridique qui n'a rien de commun avec le fait d'"être mis au monde par" ou d'"avoir été conçu par", s'agissant des pères.

Le fait de donner la possibilité aux enfants de rencontrer leurs parents de naissance - l'objectif est bien celui-ci - ne remet nullement en cause le fait que l'adoption plénière puisse subsister de manière pleine et entière en installant l'enfant dans sa famille adoptive de façon juridiquement stable et irrévocable.

Mme Marie-Hélène Theurkauff : On a malheureusement lu dans des jugements de familles candidates à l'adoption plénière que la famille demandait ce type d'adoption dans le but de gommer l'origine des enfants. Il y a une confusion entre le lien juridique et le lien affectif. Nous jugeons indispensable que le statut soit toujours le plus stable possible et offre suffisamment de sécurité.

La situation juridique de l'enfant venant de l'étranger rencontre la réalité affective de cet enfant qui a pu maintenir des liens avec les membres de sa famille d'origine. Il bénéficie d'une adoption plénière sans pour autant que le lien affectif établi auparavant soit rompu. L'un n'est pas en contradiction avec l'autre.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : L'adoption plénière aboutit souvent au gommage de l'identité originelle : le nom, le prénom ; éléments symboliques extrêmement forts aujourd'hui.

Mme Marie-Hélène Theurkauff : Il faudrait que vous disposiez d'éléments statistiques. De plus en plus, les familles maintiennent le prénom de l'enfant en première ou deuxième place. Les enfants font très vite leur choix. Il est aujourd'hui rarissime que les familles modifient complètement l'état civil de l'enfant. La connaissance des origines n'est en aucun cas gommée par l'adoption plénière. L'état civil de naissance apparaît dans le jugement. Quand la filiation est connue, elle apparaît dans les documents qui lui sont propres et que les familles gardent précieusement dans le dossier de l'enfant. L'adoption plénière n'empêche pas du tout cela.

Mme Véronique Neiertz : J'ai largement participé à la réforme de l'adoption, je suis heureuse de vous réentendre et de constater que le texte sur l'accouchement sous X n'a de sens - pour moi qui suis rapporteure pour la commission des lois - qu'en raison de l'existence de l'adoption plénière pour toutes les raisons que vous avez développées.

En temps opportun pour l'enfant, il convient de faire coïncider la volonté de l'enfant (avec le consentement des parents adoptifs) avec le désir de la mère biologique. Les renseignements identitaires étant conservés par une instance nationale, cela me paraît inévitablement lié, sur les plans juridique, psychologique, voire existentiel, à la forme plénière d'adoption telle qu'elle est pratiquée en France.

Nous sommes d'accord sur le fait que ce texte ne le remet pas en cause. Il intègre les aspects positifs de l'adoption plénière tant pour l'enfant que pour ses parents adoptifs.

S'agissant de l'adoption internationale, je suis obligée d'aller au-delà. Nous avons déjà débattu de cela. Il y a des pays ou l'adoption n'est pas reconnue. En France, on ne peut pas ignorer le problème de l'adoption d'enfants maghrébins d'origine musulmane. Dans ce cas, l'accès aux origines est synonyme de condamnation à mort pour la famille. Dans un premier temps, nous serons contraints de légiférer hors conventions bilatérales avec les pays maghrébins et de continuer tant bien que mal, selon les méthodes que vous connaissez.

Mme Marie-Hélène Theurkauff : La loi actuelle de ces pays ne permet plus aux enfants maghrébins de venir sur le sol français pour adoption. Le problème est donc pratiquement résolu !

Mme Véronique Neiertz : Je m'étais arrêtée à la possibilité de le faire, mais par des voies détournées et inavouables.

Nous avons réglé la situation avec le Vietnam. Les pays tels que la Chine ne voulaient pas accepter l'adoption plénière. Certains pays veulent garder un lien avec la famille d'origine. Comme vous le disiez très bien, si les parents adoptants ne peuvent supporter ce type de situation, il est préférable qu'ils n'adoptent pas dans ces pays.

Mme Marie-Hélène Theurkauff : Une réunion avec tous les pays signataires de la Convention de La Haye a eu lieu ; dix-sept pays d'origine des enfants étaient représentés. Tous ont réclamé pour leurs enfants adoptés en France un statut d'adoption plénière.

Mme Véronique Neiertz : C'est très réconfortant !

Mme Marie-Hélène Theurkauff : Le Sri Lanka, la Colombie, mais aussi le Costa Rica, le Mexique, le Burkina Faso, etc... Ce qui n'empêchait pas certains de demander un suivi pour avoir des nouvelles. Ils voulaient être certains que leurs enfants bénéficieraient du statut le plus favorable, comme les petits Français. En même temps, ce sont encore leurs enfants. Ils ont distingué ces deux plans.

Mme Véronique Neiertz : Les organismes de médiation pourraient prendre cela en charge.

Mme Marie-Hélène Theurkauff : Comme l'autorité centrale.

Mme Véronique Neiertz : Ce sont les associations qui recueillent les éléments identitaires contenus dans les dossiers des associations disparues pour de multiples raisons. Serait-il envisageable d'intégrer à la loi une disposition prévoyant que, dans ce cas, l'association aurait la possibilité de remettre les dossiers qu'elle détient, et qu'elle ne peut garder, à l'instance nationale de conservation des dossiers ? Il convient de le prévoir. Nous n'avions pas pensé à ces cas précis, mais cela me paraît être une disposition nécessaire à l'application future de la loi, de même que pendant la période de transition.

Mme Danielle Housset : Nous vous soumettons l'idée selon laquelle, les informations contenues dans les archives des organismes habilités pour l'adoption en cessation d'activité doivent être impérativement transmises au Conseil national d'accès aux origines.

Mme Véronique Neiertz : Les associations ne verraient-elles pas cela d'un mauvais _il ?

Mme Danielle Housset : Les associations de familles adoptives, non ! Un organisme agréé est chargé aujourd'hui d'une mission de service public d'adoption. Il est soumis, à minima, aux même règles que le service public.

Mme Véronique Neiertz : Si l'on parle d'organisme agréé, la chose est résolue.

Mme Danielle Housset : Nous ne demandons pas qu'ils transmettent toute information en leur possession lorsqu'ils sont en fonction, mais seulement en cas de cessation.

Mme Véronique Neiertz : Peut-on l'inscrire dans la loi afin de garantir le droit des enfants, comme de la mère biologique, de se retrouver et d'éviter que ces précieux dossiers ne disparaissent dans la nature ou dans le grenier d'un héritier ?

Mme Danielle Housset : Tout un cheminement de pensée s'est produit dans la société française. Nous ne sommes plus du tout dans l'état d'esprit des années 80 quand les parents de naissance étaient encore montrés du doigt. Cette évolution est acquise. La question ne se pose plus de savoir si l'on a raison de le faire ; nous devons le faire !

La conférence de La Haye rassemble quasiment tous les pays d'origine et d'accueil des enfants et nous sommes dans un mouvement irréversible. D'autres évolutions apparaîtront peut-être dans vingt ou trente ans.

Nous élaborons cette loi aujourd'hui et nous devons envisager les demandes potentielles des autres pays en matière de transmission des informations à destination des parents et des enfants. Il faut annoncer dès à présent l'existence du Conseil national d'accès aux origines personnelles afin d'ouvrir la voie à l'adoption internationale. Ce volet est à inclure même si peu de pays aujourd'hui fournissent de vrais renseignements sur les enfants, bloquent les recherches effectuées sur place et nous demandent néanmoins des nouvelles.

Dans les dossiers de nos enfants, il y a parfois un élément bloquant qui stoppe les recherches dans certains pays d'origine. Une idéologie différente en matière de circulation des enfants ou de droit des adultes et de certaines minorités est souvent à l'origine de ce phénomène.

Nous sommes dans un système différent pour les enfants des pays de droit musulman. Aujourd'hui encore, beaucoup de jeunes femmes musulmanes accouchent sous X, parfois même accompagnées par leur ami, musulman également. Ils ne peuvent pas dire à la communauté qu'ils sont musulmans et qu'ils ont un enfant parce qu'ils ne sont pas mariés. Ils risquent trop à le faire et l'enfant risque encore plus qu'eux ! Des évolutions se produiront...

Prenons donc toutes les précautions afin que, lorsque cela arrivera, on n'ait pas à changer à nouveau la loi ! Une loi doit être stable, marquer le droit, et les droits. Si elle est modifiée tous les trois à cinq ans, elle perd sa signification.

Mme Marie-Hélène Theurkauff : En ce qui concerne la demande de renseignements en France, il me semble important qu'elle se fasse de façon concomitante. Imaginons un jeune de dix-sept, dix-huit ans, qui consulte son dossier. Il n'y a pas l'identité de sa mère dans le dossier. Quatre ans plus tard, la mère de naissance lève le secret. Que fait-on ? Prévient-on le jeune dont la demande n'est peut-être plus d'actualité ?

La consultation du dossier nécessite une explication et un accompagnement afin de bien expliquer au jeune adulte ou à l'adolescent que d'autres informations peuvent surgir et qu'il devra réitérer sa demande pour les obtenir.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Concrètement, comment fait-on ?

Mme Marie-Hélène Theurkauff : S'il sait que d'autres informations peuvent apparaître plus tard, il peut renouveler sa demande tous les ans ou tous les deux ans, mais encore faut-il le lui avoir expliqué !

Mme Danielle Housset : Le cas cité est déjà prévu dans la loi de 1996. L'essentiel est que lorsque l'enfant vient la première fois, il soit informé de toutes les éventualités. S'il ne revient pas, cela veut dire qu'il a fait le deuil, que sa vie peut se dérouler pendant un certain temps sans qu'il ait besoin de cette rencontre. Ce besoin de savoir qu'il avait et n'a plus peut resurgir plus tard.

Cette loi doit être conçue pour les enfants. Il ne s'agit pas de sacrifier quelqu'un. Au départ, lorsque l'on permet aux parents de confier leur enfant sous le secret ou non, que la collectivité prend en charge cet enfant et le confie à d'autres parents pour créer une vraie famille pour cet enfant, on a aidé les parents de naissance qui ne pouvaient pas assumer cette naissance, on leur a donné cette chance. La chance est également donnée à l'enfant de faire sa vie et de devenir un adulte équilibré. Il est bien dans ses baskets ! Allons-nous les lui délacer à un moment où il n'en a pas envie ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Lorsque la mère lève le secret cinq ans après la première demande de l'enfant, le Conseil des origines pourrait-il informer l'enfant majeur que sa mère a levé le secret, simplement cette information ? Ensuite, celui-ci en ferait ce qu'il veut.

Mme Danielle Housset : Non, justement, on n'en fait pas ce que l'on veut. Récemment, dans un département, une mère à levé le secret de son identité. L'ASE a jugé bon de prévenir la famille adoptive. Un an auparavant, l'enfant était allé consulter son dossier. Cela ne signifie pas forcément avoir envie de connaître une identité ou rencontrer ses parents de naissance, mais avoir envie de connaître une histoire. Cette gradation entre connaître une histoire, une identité, rencontrer s'étend parfois sur toute une vie.

La famille s'est donc retrouvée avec ce problème qui lui a encombré l'esprit et a modifié son comportement à l'égard de l'enfant. Elle s'est demandé : "Dois-je le lui dire puisqu'il l'a demandé, il y a un an ou dois-je le taire parce qu'il ne le demande plus ?" Cette décision est très difficile à prendre. Voulez-vous faire reposer cette responsabilité sur les épaules des parents adoptants ?

Mais alors a-t-on le droit de faire reposer cette responsabilité sur les épaules de l'enfant ? Cet enfant qui ne demande plus rien ou encore rien, allez-vous lui donner la responsabilité de dire "non, je ne veux pas " ou l'obliger à dire, "oui, je le dois" ? N'allez-vous pas induire chez cet enfant une dette par rapport à sa famille de naissance ?

Mme Marie-Hélène Theurkauff : D'ailleurs, il ne serait possible de contacter les enfants que par l'intermédiaire des parents adoptants, car le Conseil national des origines n'aura pas les coordonnées des enfants devenus adultes, en l'absence de demande de sa part. C'est donc bien sur les parents adoptifs que reposera la responsabilité de dire s'il y a une nouvelle information dans le dossier des enfants.

M. Patrick Delnatte : Vous avez parlé d'éléments à donner aux parents adoptifs afin qu'ils puissent les remettre à l'enfant au fur et à mesure que celui-ci grandit. En cas d'adoption, seriez-vous favorable à ce que l'on remette aux parents adoptifs un dossier contenant des éléments non-identifiants (dossier médical, historique, etc...).

Vous dites que tout doit être fait sur la base de la volonté de l'enfant. Le texte parle de double volonté : volonté de la mère et de l'enfant. On a entendu la proposition selon laquelle, à partir de sa majorité, la volonté de l'enfant suffit pour connaître les origines. Un équilibre est à trouver dans tout cela. La double volonté semble incontournable.

Mme Danielle Housset : S'il n'y a pas de demande de secret, tous les éléments concernant les parents d'origine peuvent être obtenus. J'ai adopté en France et à l'étranger. A l'étranger, on a l'identité, la date, le lieu de naissance, etc... En France, on a beaucoup plus que ce que l'on croit : le jugement d'adoption fait référence au consentement et aux noms des parents quand il ne s'agit pas d'un accouchement sous X.

Quand notre fils aîné nous a été confié, une fratrie de trois enfants nous a été proposée. Nous avons refusé cette fratrie, nous ne nous en sommes pas sentis capables. Ces enfants avaient un nom, une histoire qui nous a été racontée en détail. Il fallait que nous le sachions pour prendre une décision. Il serait faux de croire que la mise en relation des parents adoptants avec l'histoire de leur enfant se passe dans le plus grand anonymat !

Tous les renseignements que l'on possède sur l'enfant et l'histoire des parents peuvent être identifiants. La loi de 1996 parlait de renseignements non-identifiants uniquement en référence à l'accouchement sous X. Toutes les informations connues des services doivent être portées à la connaissance des parents. C'est à nous qu'ils posent des questions !

M. Patrick Delnatte : Vous êtes cependant favorable au maintien de l'accouchement secret ?

Mme Danielle Housset : S'il y a une demande de secret d'identité, il faut la respecter. Cela peut se faire sans l'anonymat de l'accouchement sous X : il n'y a pas d'identité dans le dossier des enfants et dans l'histoire que l'on donne aux parents. Les cas autres que l'accouchement sous X sont beaucoup plus importants en nombre.

Mme Marie-Hélène Theurkauff : Si on peut ne pas avoir l'identité, dès lors que l'on a un certain nombre d'éléments qui nous permettent de répondre à nos enfants, c'est déjà bien. Il est dommage de les découvrir dans un dossier lorsque l'enfant atteint treize ou quatorze ans.

Mme Danielle Housset : A propos de la double volonté, il aurait été préférable que le projet parle de demandes concomitantes. Nous aurions pu prévoir par exemple une demande qui se situe dans un espace temps de six mois, un an ou une demande qui a été faite et renouvelée.

Le projet de Mme Ségolène Royal renforce le droit donné à l'enfant en envisageant la démarche de recherche à son initiative ; "à la demande de l'enfant". EFA ne s'était pas orienté dans cette direction, préférant deux demandes qui se rencontrent dans un laps de temps donné.

La difficulté réside dans la capacité de toucher uniquement la personne intéressée. Seuls le père et la mère sont éventuellement intéressés. Les maris de ces femmes sont-ils informés de son histoire ? Les enfants ? Moins souvent qu'on ne le croit ! Il faudra donc un tact que l'administration n'a pas toujours. Il faut empêcher toutes les officines qui pourraient se mettre sur les rangs pour faire de la recherche de parents d'origine au bénéfice des personnes demandeuses ou non.

Nous aurions donc préféré la demande concomitante.

Mme Véronique Neiertz : Vous voulez dire sur une durée délimitée dans le temps ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Et que l'on pourrait renouveler ?

Mme Danielle Housset : Lorsqu'un enfant dit qu'il veut rencontrer sa mère, on l'informerait que si dans deux ans par exemple, il ne la renouvelle pas, la demande est annulée. Du côté des parents, les choses sont différentes, on a une demande de secret puis une levée de secret. Une fois que le secret est levé, c'est irréversible ! L'identité se trouve dans le dossier de façon définitive.

Dans le projet, un point m'inquiète beaucoup, car je crains que l'on aille trop loin. Il est dit qu'à partir du moment où l'enfant fait connaître au Conseil national d'accès aux origines sa demande à connaître ses origines, les demandes qui émanent de sa famille d'origine lui sont adressées. Quelle est la demande de l'enfant ? Est-ce une demande d'identité, de rencontre ou d'histoire ? Dès lors que l'enfant adresse une demande au Conseil national des origines, si une demande de rencontre émane de la famille de naissance, l'enfant sera recherché. A une demande d'identité, on répondra par une offre de rencontre. Il faut faire attention à tout ce qui est en nuance dans ce projet.

M. Patrick Delnatte : Comment pourrions-nous parvenir à légiférer sur toutes ces nuances ? Il faut trouver une formule de médiation qui soit capable de faire l'analyse et la synthèse de ces nuances.

*

* *

La Délégation a enfin entendu Mmes Maya Surduts, secrétaire générale, Nora Tenenbaum, Danièle Abramovici et Valérie Haudiquet, membres de la Coordination des Associations pour le Droit à l'Avortement et à la Contraception (CADAC).

Mme Maya Surduts : Nous souhaitons comprendre pourquoi il est devenu si important de connaître ses origines et pourquoi l'accent est mis sur l'accouchement sous X, alors qu'existent également l'abandon, la procréation médicalement assistée et l'adoption plénière. Nous pensons que cela s'inscrit dans une volonté d'accorder le primat au biologique par rapport à l'affectif et au social.

Nous considérons que les vrais parents sont ceux qui élèvent l'enfant. C'est très important. Il y a une véritable remise en question d'un débat qui semblait dépassé : la distinction entre procréation et filiation. Cette différence d'importance est liée à l'évolution des techniques de contraception et à l'IVG.

Pourquoi parle-t-on autant des enfants ? Les femmes sont ignorées. On ne sait rien des mères. Lorsque l'on connaît tous les problèmes qui touchent la jeunesse et l'incertitude de l'avenir, on se demande pourquoi ces enfants auraient pour seul souci de connaître leurs origines. Cela nous choque !

Les pères sont absents, le silence est fait sur les mères. Il ne s'agit pas de violence à chaque fois, mais il peut y avoir des traumatismes. Sur le terrain de l'IVG, nous avons toujours revendiqué de ne pas questionner les femmes. C'est leur choix !

Nous sommes face à une situation extrême. A ce propos, je vous recommande le livre de Catherine Bonnet qui a fait une étude sur l'accouchement sous X. Le déni de grossesse est hallucinant ! Il est épouvantable de s'apercevoir par exemple qu'une femme a accouché debout dans la rue, sans douleur, sans savoir qu'elle accouchait ! Il y a des cas extrêmes, hallucinants, le déni est tel ! On ne peut pas le comparer à l'IVG. Quand la femme atteint six ou sept mois de grossesse, elle n'est plus en état de choisir.

Si une femme est dans l'incapacité de reconnaître son état de grossesse, comment pourrait-elle, non seulement élever l'enfant, mais aussi plus tard envisager de dévoiler son identité ? Ce peut être un traumatisme terrifiant pour elle et pour l'enfant.

La « loi Mattéi » de 1996 crée des conditions pour laisser des renseignements. S'il est possible de les compléter plus tard, tant mieux. Mais, cela pose d'autres problèmes ; cela signifie que, pendant ces années-là, on ne peut pas faire le deuil.

On en fait un problème de société de premier plan. Cela fait deux ans qu'il y a des émissions dans lesquelles l'on entend uniquement ceux qui ont souffert. Il faudrait avoir des études plus précises pour savoir qui en a souffert. Ce sont des cas isolés. Plus on en parlera et plus on dramatisera, plus cela deviendra le problème de ces personnes.

Nous considérons que les seuls parents sont ceux qui ont élevé l'enfant.

Ensuite, il y a un problème lié à la majorité. Supposons que le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles contacte la mère. Comment va-t-elle être contactée ? Par lettre simple, mais n'importe qui peut l'ouvrir, par lettre recommandée, souvent accompagnée d'une lettre simple, par acte d'huissier, par la police ou par la gendarmerie ? Dans tous les cas, cela représente une intrusion dans la vie privée de la femme. On va violer délibérément le droit au respect de sa vie privée.

Citons Mme Françoise Héritier qui considère que l'important, ce n'est pas l'identité mais l'histoire. Il est important de savoir d'où l'on vient, d'en avoir une idée même approximative. L'identité est-elle vraiment indispensable ? Cela peut être un choc pour tout le monde. En premier lieu pour la mère qui ne veut pas être mère. A-t-on le droit de ne pas être mère ou d'être une mauvaise mère  ?

Il y a eu une histoire hallucinante : une femme avait été violée par son oncle ; suite à cela, il y avait eu des viols successifs sur ses enfants. Elle a été condamnée à une peine terrible et lui n'a rien eu, alors qu'il était à l'origine de l'histoire.

A-t-on le droit de ne pas assumer d'être mère ? Se retrouver en situation de procréation ne signifie pas que l'on va devenir mère ! Peut-être vaut-il mieux aussi pour l'enfant qu'il en soit ainsi.

Mme Véronique Neiertz : Vous avez parlé de la « loi Mattéi ». J'ai participé au débat sur l'accouchement sous X, j'ai vu les partisans de l'accouchement sous X, je suis heureuse d'entendre que le compromis auquel nous étions parvenus vous convient. Ce compromis était un peu une hypocrisie. On avait dit que l'on ne toucherait pas à l'accouchement sous X, mais qu'on pourrait demander à la femme qui accouche sous X un certain nombre d'éléments non-identifiants.

Le texte précise : "La liste des éléments non-identifiants, sera précisée par décret". Aucune des personnes que nous avons auditionnées n'a pu nous aider à préciser ces éléments. Nous avons renvoyé cela au décret qui n'a jamais pu sortir.

En fait, la loi Mattéi réformait l'adoption et apportait des précisions utiles. Le problème de l'accouchement sous X, abordé en fin de discussion, n'était pas l'objet du débat, ni même le but premier de la réforme.

Depuis 1996, de nombreux travaux de réflexion ont été menés sur les conséquences psychologiques qui pèsent sur les enfants qui ne connaissent pas leur histoire.

Plusieurs collègues revendiquaient le droit de l'enfant à connaître ses origines qui est inscrit dans la convention de La Haye que la France a ratifiée. Personne n'a contesté cela.

Puis, nous avons abordé le droit des femmes que vous venez d'exposer. Le droit élémentaire de ces femmes qui accouchent dans le secret pour toutes sortes de raisons, parfois traumatisantes, cruelles ou douloureuses et de toutes façons qui laissera des traces dans leur vie, est de pouvoir garder le secret. Dans le texte qui est proposé, elles gardent le secret et l'anonymat.

J'ai reçu à mon nom, en tant que rapporteure de la commission des lois, 6650 cartes postales de l'association « Droit de naître ». Vous connaissez leur argument: "En votant le texte, vous encouragez les femmes à avorter !". Or, dans mon département nous savons fort bien que le déni de grossesse ou la peur d'avouer sa grossesse conduit, soit à l'accouchement sous X dans le meilleur des cas, soit à l'infanticide ou encore au suicide. Et, l'on retrouve le bébé dans un sac plastique dans les poubelles. Dans le journal "le Parisien" de la Seine-Saint-Denis, tous les mois des nouvelles de ce genre sont relatées.

Pour nous, l'accouchement sous X est in-tou-cha-ble ! Il faut partir de ce postulat afin de bien se comprendre.

Ensuite, la mère peut changer d'esprit parce que cela devient moins douloureux, que son histoire évolue. Il peut y avoir ou pas demande de l'enfant. Le texte introduit la possibilité d'une demande de l'enfant de connaître son histoire ou des éléments de son identité, selon ce que la mère aura choisi de laisser et de communiquer.

Selon quelles modalités ? Nous devons en discuter afin de préserver les droits de la mère à garder l'anonymat mais aussi pour permettre une rencontre souhaitée qui peut mettre fin à certaines souffrances ; il est permis de l'envisager aussi. Le texte est fait pour ces cas précis.

Selon quelles modalités ? Ce point est le plus délicat à préciser.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Même si les décrets ne sont pas intervenus, la « loi Mattéi » permet d'effectuer de nombreuses démarches de recherche des origines en direction de certains organismes. Un Conseil national d'accès aux origines personnelles qui centraliserait les informations n'avait cependant pas été envisagé. Aujourd'hui, les parents ou les enfants trouvent n'importe quoi dans les dossiers de la DASS. Ce texte propose de recueillir des informations impartiales, neutres et non culpabilisantes au sujet des parents de naissance.

L'accouchement sous X permet une protection pour la mère, mais celle-ci y consent par non-choix. Un excellent rapport du service des droits des femmes montre les différentes typologies de femmes, abandonnées par les hommes, contraintes dans la majeure partie des cas d'accoucher sous X, pour des raisons économiques ou culturelles, s'agissant de femmes venant du Maghreb notamment. L'accouchement sous X est une mesure de protection pour la mère et l'enfant.

L'une de mes préoccupations par rapport à ce texte est celle de parvenir à un certain équilibre au niveau de la recherche des origines, de l'histoire ou des nouvelles.

Nous sommes amenés à légiférer à nouveau, cinq ans après la « loi Mattéi », parce que nous n'avons pas été au bout de la démarche, notamment en ce qui concerne le recueil des informations.

Mme Véronique Neiertz : Oui, mais cela était volontaire.

Mme Nora Tenenbaum : Au nom de quoi remettre en question l'accouchement sous X ? Sauf à s'appuyer sur le seul droit de l'enfant à connaître ses origines... Cela néglige le droit de la femme à vivre son histoire. Cela remet en question l'égalité de traitement homme-femme, comme par exemple dans le cas de l'anonymat des dons d'ovocytes et de spermatozoïdes. Privilégier l'accès aux données biologiques, au nom du droit de l'enfant à connaître ses origines, remettrait aussi en question l'anonymat des dons de gamètes.

Nous proposons de conserver l'accouchement sous X en laissant à la femme la possibilité de donner des éléments non identifiants ou son identité, au moment de son choix. A partir de là, on pourrait imaginer la mise en place d'une commission de "sages" ayant le recueil de ces renseignements susceptibles de permettre à la mère d'exprimer son identité, à l'enfant d'accéder aux informations, et de favoriser une rencontre si tel est leur souhait.

Actuellement, le biologique prévaut sur l'histoire et le vécu des personnes. La famille biologique devient presque plus importante que la famille adoptante. Sur cette évolution, nous restons très critiques.

Mme Véronique Neiertz : Les familles adoptantes n'ont pas cette inquiétude. Il est assez rassurant de constater qu'elles prennent ce texte avec beaucoup de philosophie. Les balises posées dans le texte, visant à donner le droit de rechercher une information sur son histoire ou ses origines, rendent les familles extrêmement confiantes en cas d'adoption plénière. Ce texte conforte l'adoption plénière.

A dix-huit ans, l'enfant est confronté à un choix. La famille adoptive doit-elle être seule face à la demande de cet enfant qui veut connaître son histoire ? Beaucoup aimeraient être aidés.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Les démarches peuvent être faites avant dix-huit ans. Mais à partir de dix-huit ans, l'enfant devenu adulte n'a plus besoin de l'accompagnement des parents.

Mme Véronique Neiertz :  Enfant, il peut faire les démarches avec ses parents adoptifs, mais le dossier peut être vide.

Mme Maya Surduts :  Aujourd'hui, les parents adoptifs ne prétendent pas que les enfants sont de leur chair, ils disent la vérité assez tôt à l'enfant. Dans la mesure où l'attitude des parents adoptants évolue, le problème ne se pose plus dans les mêmes termes.

Mme Danielle Bousquet : C'est justement parce que les parents adoptants ont une parole vraie en direction des jeunes que le problème est posé. Je n'ai pas envie que seuls les droits de l'enfant prévalent. La femme qui ne veut pas être mère l'a été parfois par accident de son histoire. Elle a le droit de refuser cette histoire. Nous devons veiller au respect de la vie privée de la femme dans la manière dont on s'adresse à elle pour lui demander si elle souhaite dévoiler quelque chose.

Je suis très inquiète de cette disposition. On ne peut pas décider de troubler la vie d'une femme en lui présentant un enfant qu'elle a essayé de gommer de sa vie ! C'est son droit le plus strict, autorisé par la loi sur l'accouchement sous X. Il faut absolument veiller à respecter la femme autant que l'on souhaite respecter l'enfant. Ce n'est pas antinomique. Or, le texte semble les opposer en valorisant le droit de l'enfant.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Tous ceux qui se sont exprimés à présent sont assez d'accord et pensent que c'est un texte d'équilibre.

Mme Véronique Neiertz : L'accouchement sous X continue d'être la seule solution pour un très grand nombre de très jeunes femmes.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le rapport du service des droits des femmes indique qu'il y avait environ 10 000 femmes accouchées sous X par an en 1950, et qu'elles ne sont plus que 700 aujourd'hui : on se situe donc plutôt dans la symbolique.

Mme Danièle Abramovici : L'enfant a droit à un accouchement décent plutôt que dans la rue ou dans de mauvaises conditions.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Tout à fait, mais il y a possibilité de recourir à d'autres modes d'accouchement qui préservent la confidentialité.

Longtemps, l'accouchement sous X a été proposé aux femmes afin d'obtenir une adoption plénière plus facile. Un certain nombre d'associations le confirment. Les autres formes d'accouchement n'étaient pas valorisées au moment de l'accouchement.

Mme Danielle Bousquet : Différents moyens permettent de respecter l'anonymat de la femme, mais l'intérêt de l'enfant est aussi à considérer.

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