ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 35

Mardi 22 mai 2001

(Séance de 14 heures)

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

SOMMAIRE

 

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- Examen du rapport de Mme Danielle Bousquet sur le projet de loi relatif à l'accès aux origines personnelles (n° 2870)

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La Délégation aux droits des femmes a examiné le rapport de Mme Danielle Bousquet sur le projet de loi relatif à l'accès aux origines personnelles (n° 2870).

Mme Danielle Bousquet, rapporteure a indiqué que, dans le prolongement des lois du 8 janvier 1993 modifiant le code civil et celle du 5 juillet 1996 sur l'adoption, ce texte visait essentiellement à créer un Conseil national pour l'accès aux origines personnelles, dont il organisait le fonctionnement et précisait les missions.

Un certain nombre de rapports élaborés dans les dix dernières années ont tous insisté sur l'importance de propositions équilibrées permettant de répondre à la fois à la demande des enfants d'entamer un processus de recherche de leurs origines et au droit des femmes à préserver la confidentialité de leur accouchement et leur anonymat.

A l'heure actuelle, en raison de la place essentielle qui est donnée à l'enfant dans notre société, il y a une écoute favorable de la demande des enfants vers un accès à leurs origines. La rapporteure a estimé que le projet de loi faisait essentiellement droit à cette demande-là. Sans aller aussi loin que les propositions du rapport Bret-Fabius du 12 mai 1998 qui préconisait la levée du secret de l'identité de la mère de plein droit à la majorité de l'enfant, le texte prévoit que la mère sera « invitée » à laisser trace de son identité et que, dans le cas où son enfant la recherchera, le Conseil national sollicitera son accord pour lever le secret.

Les nombreuses auditions que la Délégation a menées sur le sujet ont conduit la rapporteure à souhaiter que, dans la situation douloureuse dans laquelle se trouvent la femme au moment de l'accouchement et ultérieurement mais aussi l'enfant, le rapprochement ne soit entrepris que si les deux parties le souhaitent. Elle a considéré que ce rapprochement ne peut se faire dans l'harmonie que s'il y a une volonté exprimée de la part des deux parties de façon concomitante. Il faut laisser à l'une et à l'autre partie la possibilité d'évoluer de manière différente.

La rapporteure a souhaité un texte équilibré qui prenne véritablement en compte la volonté de l'un et de l'autre et qui ne permette pas que la violence que la femme a connu au moment de son accouchement sous X soit exercée à nouveau à son encontre à un autre moment de sa vie.

La rapporteure a donné ensuite lecture de ses treize propositions de recommandations.

Les trois premières recommandations rappellent l'exigence absolue du maintien de l'accouchement sous X, la nécessité d'informer la femme de l'existence d'autres modes juridiques d'accouchement et des conséquences de chacun d'entre eux pour le présent et le futur. La décision de la femme doit être une décision éclairée : il faut en particulier qu'elle sache qu'elle pourra, au moment où elle le souhaite, lever ultérieurement le secret de son identité et donc que son premier choix de ne pas laisser son identité n'a rien de définitif.

La quatrième recommandation insiste sur l'importance de l'accompagnement psychologique et social. Il doit être assuré par au moins deux professionnels des services de l'aide sociale à l'enfance qui proposeront à la femme de laisser des éléments de son histoire et des éléments non identifiants.

La cinquième recommandation propose, comme le prévoit le projet de loi, la suppression de la faculté offerte aux parents de moins d'un an de "gommer" l'identité de leur enfant en le remettant à l'adoption en demandant le secret.

Les recommandations suivantes portent sur le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles. La sixième recommandation propose d'ajouter à la liste des personnes qui le composent des représentants d'associations des personnes directement concernées
- enfants, femmes, parents adoptifs - de manière à lui permettre une approche plus humaine des problèmes.

Les deux recommandations suivantes lui confient la mission d'harmoniser les pratiques des différents acteurs locaux, notamment par l'organisation de formations, et d'élaborer des documents à l'intention des femmes ainsi que des enfants.

La neuvième recommandation retire au Conseil national sa faculté de solliciter la mère de naissance après une demande de l'enfant. Estimant que cette démarche constituerait une nouvelle violence à l'égard de la femme, la rapporteure a considéré que c'est à la femme qu'il appartient de faire la démarche de lever expressément le secret.

Le rapprochement de la mère et de l'enfant devant être le rapprochement de deux volontés et de deux démarches concomitantes, la dixième recommandation prévoit que le Conseil pourra en outre être saisi d'une demande de la mère s'enquérant d'une démarche éventuelle de l'enfant ; cette information sur la demande de l'enfant peut aider la mère à prendre la décision de levée du secret ; il en sera laissé trace dans le dossier de l'enfant.

Les deux recommandations suivantes donnent au Conseil la mission de recenser les organismes autorisés et habilités pour l'adoption et d'assurer le suivi et l'évaluation régulière du dispositif.

Enfin, la dernière recommandation affirme que cet accès à la connaissance des origines ne crée pas de droits en matière de filiation.

Un débat s'est ensuite engagé entre les membres de la Délégation.

M. Patrick Delnatte a relevé que le texte des recommandations lui semblait bien traduire les débats qui avaient eu lieu au sein de la Délégation et qu'il lui paraissait équilibré. Il s'est demandé s'il fallait prendre en compte le souhait exprimé devant la Délégation par certaines mères de naissance de pouvoir avoir simplement des nouvelles de leur enfant, sans chercher à le connaître.

La rapporteure lui a fait observer que cela lui paraissait impossible dans le cas d'enfants adoptés de façon plénière, car les DDASS n'ont plus de dossier sur l'enfant ni de relation avec la famille adoptive.

A Mme Marie-Jo Zimmermann qui s'interrogeait sur la démarche inverse, à savoir celle d'un enfant souhaitant avoir des nouvelles de sa mère, si celle-ci ne le souhaite pas, la rapporteure a répondu qu'il s'agissait de la démarche proposée par le projet de loi, mais qu'elle s'inquiétait des modalités de cette recherche de la mère de naissance.

Mme Marie-Jo Zimmermann s'est alors rangé à l'avis selon lequel si l'enfant souhaite rencontrer sa mère, il lui faudrait obtenir l'aval de celle-ci.

La rapporteure a cité les propos du philosophe François Dagognet mettant en garde sur les dérives du naturalisme : "Il faut plutôt aider l'enfant à regarder l'avenir et non à fouiller le passé qu'il n'a pas à juger, à condamner ou même à effacer. Sortons de cette impasse qui ajoute un malheur à la tragédie ancienne".

M. Patrick Delnatte s'est interrogé sur les différentes autres possibilités juridiques que l'accouchement sous X, offertes à la femme.

La rapporteure a évoqué la possibilité pour la femme d'accoucher sous son nom, de ne pas reconnaître l'enfant et de le remettre pour adoption. Elle a indiqué que l'on ignorait si le choix de l'accouchement sous X était un choix véritable ou s'il ne s'expliquait pas plutôt par un manque d'information de la femme. C'est pourquoi, il faut à la fois le maintenir absolument et informer des autres possibilités.

Mme Marie-Thérèse Boisseau a estimé impératif de laisser à la femme le choix de l'accouchement sous X. Elle a considéré qu'il était nécessaire de l'informer, de l'accompagner et de la mettre devant ses responsabilités tout en l'invitant fortement à laisser le maximum de renseignements sur l'enfant. Elle a exprimé sa conviction qu'une femme bien accueillie, bien informée et entourée recourrait peu à l'accouchement anonyme.

La rapporteure a déclaré partager ce point de vue qui justifie sa recommandation de remise à la femme d'un document écrit qu'elle puisse conserver. Les DASS et les ASE affirment que rares sont les femmes qui accouchent sous X sans être connues de leurs services. Elles ont généralement été "repérées" et prises en charge avant. Elles nécessitent cependant également un accompagnement postérieur, puisqu'elles ont un délai de rétractation de deux mois.

La rapporteure a estimé qu'il ne convenait pas d'insister auprès de la femme pour qu'elle donne des renseignements. Considérant qu'il ne faut pas ajouter une pression morale à la souffrance extrême qu'elle ressent déjà à accoucher sous X, il lui a semblé que laisser son histoire ou des renseignements non identifiants devrait être une démarche volontaire de la femme, après avoir été bien informée.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a relevé que les pratiques étaient très disparates d'un département à l'autre ou d'un établissement de santé à l'autre, mais qu'il y avait aujourd'hui des personnels formés pour accueillir les mères accouchant dans la confidentialité, pour recueillir certaines informations sur la mère et pour parler à l'enfant. Elle a estimé qu'une des missions essentielles du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles devrait être d'assurer une uniformisation des pratiques des services de l'aide sociale à l'enfance et des personnels de santé qui accueillent ces femmes.

A M. Patrick Delnatte qui évoquait le problème des renseignements médicaux à laisser par la femme, la rapporteure a indiqué que le carnet de santé de l'enfant figurait dans le dossier de l'enfant.

Mme Hélène Mignon a évoqué le cas de très jeunes femmes qui viennent accoucher sous X accompagnées de leurs mères qui les obligent à l'abandon et qui laisseront vraisemblablement une fausse identité.

La rapporteure a rappelé que, selon l'enquête du service des droits des femmes menée en 1999, il n'y avait pas de profil type de la femme qui accouche sous X ; que celle-ci est plutôt plus jeune que la moyenne mais qu'elle est surtout dans une situation de grande précarité matérielle et affective.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a observé que la femme qui accouche sous X avait souvent été abandonnée par son compagnon.

Sur la neuvième recommandation, Mme Marie-Thérèse Boisseau s'est demandé s'il ne convenait pas, comme le prévoit le projet de loi, lorsque l'enfant est en recherche, de laisser au Conseil national la possibilité d'interroger la mère pour savoir si elle veut lever le secret, dans la mesure où sa situation a pu évoluer.

Mme Chantal Lacuey a alors rappelé que l'on se heurtait à un énorme problème, celui des modalités de recherche de la mère, si celle-ci a changé d'adresse.

La rapporteure a insisté sur l'importance de l'information donnée à la femme au moment de l'accouchement sur la possibilité de lever à tout moment le secret et sur la nécessité de respecter la femme et l'enfant en recherchant le rapprochement de leurs volontés. Elle s'est inquiété d'une recherche de la femme par l'intermédiaire de la procédure de recherche dans l'intérêt des familles qui fait appel à la police.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, après avoir indiqué que même si d'autres modalités de recherche, par l'intermédiaire d'un travailleur social notamment, sont peut être envisageables, s'est interrogée sur les conséquences pour l'enfant d'une réponse négative de la mère.

Mme Chantal Lacuey a souligné que ce serait là un deuxième rejet de l'enfant par la mère.

Mme Marie-Thérèse Boisseau a relevé l'importance de l'information au moment de l'accouchement et considéré que l'accouchement sous X devait être un recours en cas de situation extrême.

Elle a proposé une modification de la quatrième recommandation de manière à prévoir l'intervention de plusieurs professionnels des services départementaux de l'aide sociale à l'enfance, au lieu de deux comme initialement proposé.

La rapporteure a approuvé une telle modification qui vise à renforcer davantage le dispositif de l'accompagnement psychologique et social des femmes.

La Délégation a ensuite adopté à l'unanimité les recommandations suivantes :

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES
PAR LA DÉLÉGATION

1. L'accouchement sous le secret de l'admission et de l'identité - couramment appelé accouchement anonyme ou sous X - doit être maintenu ; il demeure le seul recours pour les femmes en très grande détresse qui ne peuvent assumer leur maternité  ;

2. Toutes les autres solutions possibles doivent être proposées aux femmes dont l'objectif premier n'est pas le secret vis-à-vis de l'enfant, mais qui souhaitent une confidentialité vis-à-vis de l'entourage, ou simplement une remise de l'enfant dans de bonnes conditions en vue d'une adoption ;

3. Lors de son accompagnement psychologique et social ou lors de son admission à la maternité, la femme recevra un document écrit l'informant de toutes les possibilités qui s'offrent à elle au moment de l'accouchement, de toutes leurs conséquences pour l'enfant et pour elle-même ainsi que de sa faculté, ultérieurement et à n'importe quel moment, de lever le secret de son identité ;

4. L'accompagnement psychologique et social, institué par la loi du 5 juillet 1996 au bénéfice des femmes demandant à accoucher sous le secret, devra être mis en place de manière impérative dans tous les départements ; des professionnels des services départementaux de l'aide sociale à l'enfance devront être chargés de cette mission d'accompagnement ; lorsque la femme ne souhaite pas laisser son identité, le temps de cet accompagnement est propice à une sensibilisation de la femme à l'importance pour l'enfant de connaître son histoire ; il sera donc proposé à la femme de laisser des éléments de son histoire et des renseignements non identifiants ;

5. La faculté offerte aux parents d'enfants de moins d'un an, qui ont une filiation connue et établie, de les remettre à l'adoption en demandant le secret de leur identité doit être supprimée, comme le prévoit le projet de loi ;

6. Le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles devra être composé également de représentants d'associations de personnes confiées à l'adoption, de femmes et de familles adoptives ;

7. Il devra assurer une harmonisation des pratiques des services départementaux de l'aide sociale à l'enfance, des établissements de santé et des organismes autorisés pour l'adoption ; à cet effet, il pourra organiser des formations à l'intention des différents acteurs locaux ;

8. Il devra élaborer le document d'information qui sera remis aux femmes qui souhaitent accoucher dans la confidentialité ainsi qu'un document à l'intention des enfants qui entreprennent une démarche de recherche de leurs parents de naissance, pour les informer de la portée de celle-ci ;

9. Le rapprochement de la mère et de l'enfant étant un rapprochement de deux volontés, la déclaration expresse de levée du secret par le père ou la mère de naissance ne pourra pas être sollicitée par le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles ;

10. Le Conseil national aura pour mission, en association avec ses correspondants désignés par le président du conseil général, d'organiser le rapprochement des consentements entre la mère et l'enfant ; comme il est important que ceux-ci puissent se faire de façon concomitante, toutes les demandes de recherche adressées au Conseil devront être renouvelées ; le Conseil devra pouvoir en outre être saisi de la demande de la mère ou du père de naissance s'enquérant d'une démarche éventuelle de l'enfant ; il informera automatiquement l'enfant de tout élément nouveau concernant son père ou sa mère de naissance, dès lors que la demande de recherche de l'enfant aura été formulée ou renouvelée dans l'année ;

11. Le Conseil sera chargé de recenser l'ensemble des organismes autorisés et habilités pour l'adoption et de recueillir, pour ceux qui ont cessé leur activité, l'ensemble des dossiers en leur possession ;

12. Il assurera le suivi et l'évaluation régulière du dispositif ;

13. L'accès à la connaissance des origines personnelles ne pourra donner lieu à aucune action relative à la filiation, ni à fins de subsides, ni à indemnisation, sur quelque fondement que ce soit, au profit de qui que ce soit.

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