ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 39

Mardi 19 juin 2001
(Séance de 18 heures)

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition des membres de l'association NEGAR, association de soutien aux femmes d'Afghanistan...............................................................................................

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu les membres de l'association NEGAR, association de soutien aux femmes d'Afghanistan.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir Mme Shoukria Haidar, enseignante en éducation physique, Mme Chantal Véron, enseignante en anglais, et Mme Constance Borde, professeur d'anglais à Sciences-Po, membres de l'association NEGAR, l'association de soutien aux femmes d'Afghanistan.

Votre association a été créée à l'initiative de femmes afghanes pour répondre à la détresse des femmes vivant en Afghanistan qui sont aujourd'hui privées de leurs droits les plus élémentaires.

Les conditions de vie des femmes afghanes n'ont pas toujours été telles.

Mme Shoukria Haidar : En effet !

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Au moins dans les grandes villes, avant l'arrivée des Talibans, elles pouvaient étudier et travailler. A partir de 1958, certaines d'entre elles ont même fait partie du Parlement et du Gouvernement.

Aujourd'hui, grâce notamment à l'action d'associations comme la vôtre, la situation des femmes afghanes sort de l'ombre où voudraient pourtant les enfermer les Talibans.

Trois femmes sorties clandestinement d'Afghanistan, à l'invitation du magazine Elle, se sont rendues en mai dernier au Parlement européen et à l'Assemblée nationale, où elles ont été reçues par le Président Raymond Forni. J'ai moi-même pu les rencontrer et échanger avec elles à cette occasion. Leur courage et leur résolution nous ont beaucoup impressionnés.

Comment pouvons-nous aider les femmes afghanes ? Les trois femmes afghanes que nous avons reçues demandaient l'aide politique du gouvernement français de manière à ce qu'il fasse pression sur le Pakistan et l'Arabie Saoudite afin que ces deux pays cessent d'aider les Talibans.

Nous souhaitons aujourd'hui vous assurer de notre solidarité. Quelles actions pourrions-nous entreprendre ensemble pour que les femmes afghanes ne retombent pas dans l'ombre ?

Mme Shoukria Haidar : L'association NEGAR a été fondée en 1996, en réponse aux messages de détresse lancés par des femmes afghanes, car les femmes ont été les premières victimes des Talibans , avec l'objectif d'informer et de sensibiliser partout où nous le pouvions. Lorsqu'ils ont pris le pouvoir, les milices talibans ont prétendu apporter la paix et la sécurité. Or, dès la chute de Kaboul, nous avons pu nous rendre compte de leurs intentions réelles. Nous savions que ces gens n'étaient pas des honnêtes gens et qu'ils ne constituaient pas une formation politique ou idéologique issue de la société afghane. Il était donc urgent d'informer l'opinion sur la vraie nature de cette milice.

Les années ont passé, et l'Afghanistan a énormément souffert. Depuis 1996, la situation s'est considérablement aggravée. Pour autant, la population fait face et se mobilise contre les milices talibans. Une résistance de l'intérieur s'organise de mieux en mieux, même si la population est chaque jour davantage éprouvée. La solidarité internationale et la lutte organisée par les associations de femmes afghanes à travers le monde se mettent en place.

Comment l'Assemblée nationale peut-elle nous aider ?

Nous avons besoin d'un appui politique, c'est évident et urgent, pour faire entendre la voix des femmes afghanes, du fait que leur position sociale et leur calvaire sont devenus un enjeu politique central.

Les hommes et les enfants souffrent également, mais les femmes sont soumises à trois degrés d'oppression, ce qui permet aux commanditaires des milices talibans de mettre sous leur contrôle la société afghane dans son ensemble.

D'abord, elles subissent la pression des milices talibans qui ont supprimé tous leurs droits et exercent à leur encontre une répression impitoyable.

Ensuite, elles subissent une pression morale, car elles sont forcées de réprimer tous leurs désirs de révolte, de peur de mettre en danger les hommes de leur famille qui subiraient à leur tour la répression, si elles se révoltaient.

Enfin, de peur d'être emprisonnés et battus, les hommes de leur famille exercent à leur tour une pression sur elles pour les empêcher de braver les interdits.

La parole des femmes afghanes était désormais absente dans la société afghane et sur la scène internationale.

C'est pour cette raison, qu'à l'initiative de NEGAR, nous avons organisé au Tadjikistan, en juin 2000, la Conférence de Douchanbé, qui comprenait deux actions conjointes :

D'une part, une action de solidarité intitulée "Femmes en marche pour l'Afghanistan" ; quarante-trois femmes et deux hommes, parmi lesquels des personnalités politiques et associatives et des journalistes des différents continents (Françaises, Espagnoles, Américaines, Algériennes, Tadjikes...) venaient témoigner de leur solidarité avec les femmes afghanes et soutenir leurs actions.

D'autre part, la Conférence des femmes afghanes de Douchanbé des 27 et 28 juin 2000, avec trois cents femmes afghanes représentantes de plusieurs associations de femmes afghanes d'Amérique, d'Europe, de l'intérieur de l'Afghanistan et des pays voisins de l'Afghanistan, de tous bords politiques, représentatives de toutes les communautés afghanes.

Au terme de cette conférence, les femmes afghanes ont élaboré et promulgué en dix articles la Déclaration des Droits Fondamentaux de la Femme Afghane.

Par cette Déclaration, les femmes afghanes expriment leur volonté de retrouver leur dignité et leurs droits : les droits les plus élémentaires et naturels, les droits reconnus par les Constitutions afghanes de 1964 et 1977, et les droits que leur donnent les Chartes internationales, tous ces droits qui sont malheureusement bafoués et supprimés par les décrets officiels des milices talibans.

Cette Déclaration des Droits Fondamentaux de la Femme Afghane, c'est un outil fabuleux :

1) Elle exprime au niveau international la voix des plus opprimés de l'Afghanistan : les femmes afghanes, autour desquelles nous pourrons mobiliser, à travers le Manifeste de Soutien, la solidarité internationale, choquée par le traitement que les Pakistanais, par l'intermédiaire de leurs milices talibans, font subir aux femmes, et à travers elles à la société.

2) Cette Déclaration, qui exprime les droits des femmes afghanes, est un élément clair pour mobiliser les politiques des différents pays pour qu'ils l'adoptent et que les Nations-Unies acceptent qu'elle fasse partie du processus de paix, de façon à ce qu'on arrive à la paix avec le droit des femmes, contre la paix du cimetière amenée par la tyrannie des milices talibans.

3) Face au désordre et à la dispersion politiques actuels de l'Afghanistan dans lesquels les hommes et les partis sont mal définis et mal connus les uns par rapport aux autres, cette Déclaration des Droits Fondamentaux qui touche directement la moitié de la population, et qui est une question cruciale pour l'avenir du pays, est un élément concret qui permet aux différentes tendances de se repositionner.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La Déclaration est donc également destinée à la résistance interne.

Mme Shoukria Haidar : Voilà ! Le droit des femmes doit être la condition du retour à une vie acceptable et à la démocratie. C'est dans ce sens que nous travaillons avec d'autres associations.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Plusieurs associations afghanes travaillent avec vous à Paris ?

Mme Shoukria Haidar : Oui, mais il s'agit d'associations humanitaires. En France, nous sommes la seule association qui milite pour les droits des femmes. Les associations qui ont les mêmes objectifs que nous travaillent à l'étranger.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il existe donc un réseau international.

Mme Shoukria Haidar : Oui, dans différents pays d'Europe, en Amérique, en Asie et à l'intérieur de l'Afghanistan, il existe des associations avec lesquelles nous travaillons. Par exemple nous travaillons avec d'autres associations à l'intérieur de l'Afghanistan par le biais des classes clandestines de Kaboul ou pour aider les zones non contrôlées par les Talibans.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous avez également lancé un manifeste de soutien. Êtes-vous en mesure de comptabiliser le nombre de personnes qui l'ont signé ?

Mme Shoukria Haidar : Je pense que nous avons dû recueillir entre 70 à 80 000 signatures pour la France.

Mme Chantal Véron : Pour le moment, nous avons comptabilisé 38 000 signatures, mais il nous reste à en compter encore beaucoup.

Mme Constance Borde : Notre manifeste de soutien a été publié par Elle et par le Nouvel Observateur, notamment. Et il nous reste beaucoup de pétitions à comptabiliser.

Mme Shoukria Haidar : Le problème, c'est que nous manquons de moyens, en personnel et en matériel. La logistique nous manque cruellement. Nous recevons beaucoup de signatures d'agriculteurs, d'ouvriers, de chômeurs, de médecins, de professeurs ou d'avocats. Le soutien est très large.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Un de nos collègues, Gérard Bapt, fait actuellement circuler une pétition à l'Assemblée nationale.

Mme Shoukria Haidar : Cette campagne de signatures ne se limite pas à la France.

Mme Constance Borde : La compagne de signature a aussi débuté aux Etats-Unis. Le travail commence à prendre forme.

Mme Shoukria Haidar : L'Espagne, l'Allemagne, et l'Italie se mobilisent. Nous cherchons également à tisser des liens avec les pays musulmans - l'Algérie, la Tunisie, le Maroc - de manière à ne pas donner le sentiment que ce sont les occidentaux qui nous imposent leur valeur. Nous venons également d'approcher le Tadjikistan et l'Ouzbékistan, car ces pays seront touchés tôt ou tard par la talibanisation. Ces pays sont d'ores et déjà inquiets de la montée en puissance des Talibans.

Nous essayons donc de recueillir un soutien assez large, d'approcher les politiques et les Nations-Unies pour accélérer le processus de paix. Le gouvernement qui succédera aux Talibans doit être "respirable". L'important aujourd'hui est de stopper la chute libre du droit des femmes.

Mme Constance Borde : Je fais signer beaucoup de Manifestes de Soutien, car ma sympathie va aux femmes afghanes. Ce sont les femmes afghanes elles-mêmes, je l'ai vu de mes propres yeux, qui ont rédigé la Déclaration. D'ailleurs, elle a d'abord été rédigée en persan avant d'être traduite. Sa rédaction n'a donc en rien été influencée par des femmes occidentales. Trois cents femmes afghanes étaient présentes à la conférence de Douchanbé : le moment était extraordinaire, et nous nous sommes engagés à apporter leur parole au monde extérieur. Une telle démarche, à mon avis, est politiquement beaucoup plus efficace qu'une pétition.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Elles veulent que la Déclaration fasse partie des discussions pour le processus de paix.

Mme Shoukria Haidar : Tout à fait.

Mme Constance Borde : La Déclaration met en avant dix droits ordinaires qui doivent être reconnus.

Mme Shoukria Haidar : Trois cents femmes afghanes étaient présentes, les 27 et 28 juin derniers, à la conférence de Douchanbé. Différents groupes politiques et mixtes étaient présents. La présence de la presse persanophone - afghane, tadjik, iranienne - et d'une journaliste française nous a permis de diffuser le message largement. Les hommes et les femmes qui assistaient à la conférence étaient très émus. Ils avaient le sentiment que, pour la première fois, ils étaient en train de décider quelque chose pour leur avenir.

Avec cette Déclaration, les hommes et les femmes afghanes ont placé leur espoir dans le retour à une paix juste où les femmes ne seront pas écartées.

Mme Chantal Véron : La conférence a eu un grand retentissement en Afghanistan, notamment dans les zones libres du nord où j'ai fait signer la Déclaration dans tous les lycées et écoles de filles où les Talibans ne sont encore pas présents. A Kaboul également, où je me suis rendue, les femmes avaient été informées de la conférence. Cela leur donne un espoir.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Comment peut-on aider concrètement ce mouvement vers la paix ? Nous posons et nous continuerons à poser des questions au ministre des affaires étrangères, mais cette démarche me paraît limitée.

Mme Chantal Véron : Nous souhaiterions que la France prenne des décisions politiques, qu'elle mette en cause le Pakistan et fasse pression sur lui, notamment en matière de relations commerciales.

Mme Constance Borde : Ce n'est plus un secret : tout est géopolitique. Les Afghanes et les Afghans sont coincés par le jeu politique. Nous, nous ne souhaitons pas trop nous immiscer dans les politiques extérieures, mais tout le monde aujourd'hui s'accorde sur l'origine du problème.

Mme Chantal Véron : Les gens se demandent pourquoi le Gouvernement ne fait rien alors qu'il s'est engagé dans la guerre en Irak et au Kosovo. La France est le pays des droits de l'homme. Il faut donc absolument agir pour un retour des droits en Afghanistan.

Mme Shoukria Haidar : Quelle forme d'action constructive mener pour que les hommes et les femmes afghanes retrouvent leur dignité ? L'Assemblée nationale ne pourrait-elle pas reconnaître la Déclaration comme élément intégrant du processus de paix et proposer aux Nations-Unies d'en faire autant ? Certes, certains Afghans collaborent avec les Talibans. Certains Afghans sont fermés et ne comprendront jamais la portée de la Déclaration, mais il s'agit d'une minorité, soit intéressée, soit ignorante. La grande majorité des Afghans sont d'accord pour reconnaître des droits élémentaires aux femmes.

Comment l'Assemblée nationale peut-elle agir pour que la charte soit acceptée comme une pièce intégrante au retour de la paix ? Voilà la question essentielle.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pour le moment, elle ne l'est pas ?

Mme Shoukria Haidar : Non.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Des négociations ont-elles été ouvertes ?

Mme Shoukria Haidar : Des négociations sont ouvertes un peu partout. Il existe différentes tentatives visant à des solutions de paix. Mais aucune ne prend en compte la question du droit des femmes.

Mme Chantal Véron : Beaucoup souhaitent un arrangement avec les Talibans qui, espère-t-on, feront des concessions. Pour nous, c'est inimaginable.

Mme Shoukria Haidar : Le seul à défendre le droit des femmes sur le terrain est le commandant Massoud qui a signé la Déclaration avec ses ministres et certains de ses diplomates. Mais son action est très limitée et sa marge d'action très étroite.

Amplifier le mouvement des droits des femmes permettra également de prendre le dessus sur ceux qui essaient de basculer dans un islamisme un peu fermé.

Mme Chantal Véron : On force toujours le commandant Massoud à s'asseoir à la table des négociations avec les Talibans. Cela signifie-t-il qu'il devrait abandonner le droit des femmes ? Comment penser qu'ils peuvent trouver un accord ? C'est impensable.

Il faut absolument garder comme principe le droit des femmes afghanes.

Mme Shoukria Haidar : Mettre en avant le droit des femmes devrait permettre de recomposer le paysage politique afghan et de distinguer entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre le droit des femmes.

Mme Odette Casanova : Il ne faut donc s'asseoir à la table des négociations que si les partenaires prennent en considération la Déclaration des droits fondamentaux des femmes.

Mme Shoukria Haidar : Voilà !

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il faut que la Déclaration soit reconnue par l'ONU.

Mme Odette Casanova : Que fait une association comme le Lobby européen des femmes ?

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