ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 1

Mardi 2 octobre 2001

(Séance de 18 heures)

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

SOMMAIRE

 

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- Examen du rapport de Mme Marie-Françoise Clergeau sur la proposition de loi de M. François Colcombet relative à la réforme du divorce (n° 3189)

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La Délégation aux droits des femmes a examiné le rapport de Mme Marie-Françoise Clergeau sur la proposition de loi de M. François Colcombet relative à la réforme du divorce (n° 3189)

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, s'est félicitée du travail constructif mené par la Délégation avec M. François Colcombet, auteur de la proposition de loi. Les auditions de juristes, de professionnels du droit, de sociologues, d'associations, qui ont eu lieu en commun, ont permis d'approfondir la réflexion et de prendre en compte un certain nombre d'observations. La présidente a souligné à cet égard l'intérêt des nouvelles propositions formulées.

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure, après avoir rappelé les principes de la loi sur le divorce de 1975, instituant, à côté d'un divorce pour faute, le divorce par consentement mutuel, a souligné l'importance de la population concernée par ce phénomène de société : près de 120 000 couples divorcent chaque année, soit 240 000 hommes et femmes. Elle a estimé que les effets particulièrement néfastes du divorce pour faute, auquel les époux ont encore recours dans plus de 40 % des cas, dénoncés depuis longtemps, appelaient une réforme, dans un sens de simplification, d'humanisation et de pacification des procédures.

Elle a ensuite exposé les grandes lignes de la réforme proposée, qui institue un divorce moderne et responsable.

Dans le souci de respecter au mieux l'accord des époux, la procédure de divorce par consentement mutuel sera simplifiée, par la suppression du délai de réflexion de trois mois et la suppression de la deuxième audience. Le juge pourra donc prononcer immédiatement le divorce, s'il a acquis la conviction que la volonté de chacun des époux est réelle et que chacun d'eux a donné librement son accord. Si le juge constate que la convention présentée par les époux préserve insuffisamment les intérêts des enfants ou des époux, il peut en refuser l'homologation, imposer un délai de réflexion avant présentation d'une nouvelle convention et proposer un recours à la médiation.

L'introduction de la médiation dans la procédure de divorce est une avancée importante vers une humanisation de celui-ci. Elle a pour but de favoriser un dialogue entre les époux et de les aider à trouver ensemble une solution à leurs conflits, un accord sur les conséquences du divorce, traitant à la fois des problèmes de garde des enfants et des conséquences financières du divorce (prestations, pensions, liquidation du régime matrimonial).

La rapporteure a souligné que cette démarche devait être volontaire, proposée, mais non imposée. Toutefois, si l'un des époux conteste le caractère irrémédiable de la rupture du lien conjugal, le juge peut, d'office ou à la demande des époux ou de l'un d'eux, proposer une mesure de médiation, ou enjoindre aux époux de rencontrer un médiateur aux fins d'information. L'époux demandeur ne pourra alors poursuivre la procédure que s'il justifie de s'être présenté à cet entretien.

La rapporteure a cependant fait observer que la médiation n'était pas appropriée dans les situations de violence.

La grande innovation du texte proposé réside dans la suppression du divorce pour faute, dans la perspective d'un divorce pacifié permettant de mieux préparer l'avenir. Le divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal remplace les trois cas de divorce précédents : le divorce sur demande acceptée, peu utilisé, le divorce pour rupture de la vie commune ou séparation de fait et le divorce pour faute. Il organise une nouvelle procédure, à partir du constat du caractère irrémédiable de la rupture du lien conjugal, contesté par l'époux défendeur. En ce cas, un délai de réflexion compris entre quatre et huit mois est accordé par le juge, avant une nouvelle audience. Le délai peut être renouvelé pour une durée de quatre mois. A ce stade, intervient la médiation proposée par le juge.

La rapporteure a rappelé que les époux ne sont pas à égalité devant le divorce, les femmes étant plus particulièrement victimes du phénomène de la violence conjugale, dont les enquêtes récentes ont révélé l'ampleur. Elle a donc estimé qu'il convenait de prendre en compte les faits d'une particulière gravité portant atteinte aux droits fondamentaux de la personne, de manière à ce que la suppression du divorce pour faute ne crée en aucune façon une impunité pour l'époux qui aurait eu un comportement fautif à l'égard de son conjoint.

Aussi, des solutions sont-elles proposées pour que, parallèlement aux procédures qui peuvent être engagées au pénal ou au titre de la responsabilité civile de l'article 1382 du code civil, des faits d'une particulière gravité, commis à l'encontre d'un conjoint, puissent être pris en compte au moment du divorce :

- constat par le juge dans le prononcé du divorce, des faits d'une particulière gravité, procédant notamment de violences physiques ou morales, imputées à un époux à l'encontre de son conjoint, à la demande du conjoint victime,

- demande de dommages-intérêts formée par le conjoint qui n'a pas pris l'initiative du divorce, à l'occasion de l'action en divorce, lorsque la dissolution du mariage a pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité.

La rapporteure a ensuite présenté douze propositions de recommandations :

- La première recommandation, qui concerne la procédure par consentement mutuel, insiste sur la nécessité pour le juge d'examiner attentivement l'expression d'un consentement libre et éclairé de la part des époux, afin d'éviter des divorces hâtifs ou contraints.

- La deuxième recommandation vise à une reconnaissance et à une réparation symbolique du préjudice subi par l'un des conjoints, victime de faits d'une particulière gravité, notamment de violences physiques ou morales. Dans ce cas, le juge à la demande du conjoint victime, constate ces faits dans le prononcé du divorce.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a regretté que le débat sur la réforme du divorce n'ait pas été accompagné d'une réflexion plus approfondie sur le contenu et les obligations du mariage, définies par l'article 212 du code civil. Elle a estimé que, si les violences conjugales peuvent être clairement identifiées, il est difficile de dresser une liste exhaustive de fautes d'une particulière gravité. Il appartient à la jurisprudence de définir ce type de fait.

Mme Odette Casanova a observé que les fautes graves ne sont pas seulement liées à la violence, mais qu'il peut s'agir, par exemple, d'un refus de participation aux charges du ménage, ou de pressions d'ordre moral.

- La troisième recommandation précise que, lors de l'action en divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal, le conjoint qui s'estime victime de faits d'une particulière gravité doit être informé des procédures à engager au pénal ou au titre de la responsabilité civile.

En effet, la procédure au pénal ou au civil n'est pas d'un accès facile pour les victimes de violence. Il conviendra de les informer au mieux pour engager les procédures et ne pas céder aux pressions, lors de l'action en divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal.

- La quatrième recommandation vise à établir une meilleure articulation entre procédure pénale et procédure de divorce, afin que le juge aux affaires familiales soit informé par le parquet des procédures préalables pour violences familiales concernant l'un des conjoints.

Un débat s'est engagé sur la notion de devoir de secours et d'assistance de l'article 212 du code civil, Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, estimant que l'interprétation de cet article a beaucoup évolué et que seule l'obligation de secours reste clairement définie, en tant que contribution aux charges du mariage.

Mme Danielle Bousquet a considéré que les obligations du mariage devraient être mieux définies, au besoin en modifiant l'article 212 du code civil.

- Selon la cinquième recommandation, en cas de violences physiques au sein de la famille, le juge doit pouvoir décider en urgence d'une résidence séparée des conjoints. A l'initiative de Mme Danielle Bousquet, la Délégation a précisé que le juge devait veiller, dans la mesure du possible, à ce que le conjoint, victime de violences, demeure avec ses enfants au domicile familial.

Mme Odette Casanova a fait observer que ce sont majoritairement les femmes qui demandent le divorce. N'acceptant plus une situation devenue intolérable, ce sont souvent elles qui quittent le domicile. En cas de violences, le conjoint doit être protégé : le juge devra intervenir pour décider en urgence de l'organisation d'une résidence séparée des conjoints et faire en sorte que celui qui est victime de violences puisse demeurer avec les enfants au domicile familial, afin d'éviter le déracinement de la famille. Le risque de harcèlement du conjoint cependant demeure.

- Les recommandations sept à onze concernent l'information sur la médiation, le recours à la médiation familiale et au conseil conjugal en amont de la procédure de divorce, le développement de la médiation par une formation sanctionnée par un diplôme reconnu par l'Etat.

Mme Danielle Bousquet, a estimé que la médiation devait demeurer volontaire et a souhaité qu'elle soit ouverte non seulement aux associations, mais aussi à des initiatives individuelles et professionnelles d'origines diverses.

Une formation à la médiation, complémentaire à l'exercice d'une autre activité, apparaît nécessaire, afin d'éviter que la médiation ne s'enferme dans un métier et afin de créer des passerelles avec d'autres professions (avocats, travailleurs sociaux ...).

- La douzième recommandation aborde le problème des régimes matrimoniaux. A l'initiative de Mme Martine Lignières-Cassou et de Mme Danielle Bousquet, la Délégation a souhaité qu'une réflexion s'engage sur le régime actuel de la communauté légale des époux, ainsi que sur les possibilités de changement de régime matrimonial dans le cours de la vie du couple, qui devraient être simplifiées et moins coûteuses.

La Délégation, tenant compte des observations faites et des modifications proposées, a adopté ensuite l'ensemble des recommandations.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

PAR LA DÉLÉGATION

Favoriser l'expression d'un consentement libre et éclairé des conjoints lors du divorce par consentement mutuel

1. En cas de divorce par consentement mutuel, l'expression de la volonté réelle de chacun des époux ainsi que d'un accord librement consenti et éclairé devra faire l'objet par le juge d'un examen attentif en vue de s'assurer de l'absence de pressions ou de fraudes.

Reconnaître la famille comme un lieu de droit

2. Aux fins de reconnaissance et de réparation symbolique du préjudice consécutif à des faits d'une particulière gravité imputés à l'un des conjoints, notamment des violences physiques ou morales, le juge, à la demande de l'époux victime, constate ces faits dans le prononcé du divorce.

3. Lors de l'action en divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal, le conjoint qui s'estime victime de faits d'une particulière gravité doit être informé des procédures à engager au pénal ou au titre de la responsabilité civile.

4. Le juge aux affaires familiales devra systématiquement être informé par le parquet des procédures pénales préalables concernant l'un des conjoints, afin d'établir une meilleure articulation entre une procédure pénale pour violences familiales et la procédure de divorce.

5. En cas de violences physiques au sein de la famille, le juge doit pouvoir décider en urgence d'une résidence séparée des conjoints. Il doit veiller, dans la mesure du possible, à ce que le conjoint, victime de violences, demeure avec ses enfants au domicile familial.

Mieux prendre en compte l'intérêt du conjoint qui n'a pas pris l'initiative du divorce

6. Lorsque l'époux, qui n'a pas pris l'initiative du divorce, en subit des conséquences d'une grande dureté, du point de vue psychique ou moral, une demande en réparation doit pouvoir être formée, aux fins de reconnaissance du préjudice subi.

Développer la médiation

7. L'information sur la médiation qui peut être proposée par le juge, en cas de refus d'homologation de la convention présentée par l'époux, ou dans le cas de rupture irrémédiable du lien conjugal, devra être largement diffusée et accessible au sein des juridictions et relayée par les différentes structures de médiation familiale.

Il serait souhaitable qu'un premier entretien d'information sur la médiation soit proposé - mais non imposé - dès la demande de divorce. Le premier entretien de médiation devrait être gratuit.

8. Dans un souci de prévention, en amont de la procédure de divorce, le recours à la médiation familiale devrait être systématiquement conseillé par les professionnels du droit, mais aussi par les acteurs sociaux (associations, caisses d'allocations familiales, assistantes sociales) aux couples qui envisagent une séparation, afin de faciliter la recherche d'accords prenant en compte notamment l'intérêt des enfants.

9. Parallèlement à la médiation familiale, dont le but est de préparer l'avenir, devra être fortement conseillé le recours au conseil conjugal pour aider les couples en conflit à exprimer leurs difficultés, qu'ils envisagent ou non la séparation. Dans le cours de la procédure, le juge pourra également proposer aux conjoints de recourir à un conseil conjugal, dans un souci de pacification du conflit.

10. Il est urgent de définir le contenu d'une formation obligatoire des médiateurs, qui devra prendre la forme d'une formation continue, répartie entre théorie et pratique et débouchant sur un diplôme reconnu par l'Etat.

11. Une initiation à la médiation et une sensibilisation aux problèmes de violence devraient être incluses dans la formation initiale des professionnels du droit.

12. Une réflexion doit s'engager sur le régime actuel de la communauté légale des époux, ainsi que sur les possibilités de changement de régime matrimonial dans le cours de la vie du couple, qui devraient être simplifiées et moins coûteuses.

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