ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 5

Mardi 13 novembre 2001

(16 heures 30)

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

SOMMAIRE

 

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Auditions sur le suivi de l'application des lois relatives à l'IVG et à la contraception :

- Mme Nathalie Bajos, chercheure à l'INSERM

- M. Bruno Carbonne, secrétaire général du Collège national des gynécologues-obstétriciens français (C.N.G.O.F.)

- M. Jean Parrot, président du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Nathalie Bajos, chercheure à l'INSERM.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Mme Nathalie Bajos, chercheure à l'INSERM, qui, lors du colloque tenu en mai 2000 sur "Contraception-IVG : mieux respecter les droits des femmes", nous avait informé des recherches alors conduites par l'INSERM sur la prévention et la sexualité chez les jeunes filles, confrontées à l'IVG, et les réactions de ces mineures par rapport au problème de l'autorisation parentale.

Pouvez-vous, à la lumière des dernières enquêtes de l'INSERM, menées conjointement avec le CNRS, nous exposer la situation actuelle des femmes face à l'IVG ?

La mise en _uvre de la contraception, à la suite des efforts d'information entrepris ces dernières années -campagne dans les médias, campagne auprès des jeunes dans les établissements scolaires- et de la diffusion de méthodes contraceptives de plus en plus performantes, a-t-elle atteint ses buts ? Qu'en est-il de l'accès concret des femmes à l'IVG, c'est-à-dire aux nouvelles méthodes, aux médecins et aux établissements ?

Quelle est l'incidence, à votre avis, de la nouvelle loi sur ces différents facteurs ?

Mme Nathalie Bajos : Effectivement, l'INSERM a lancé un grand programme de recherches de santé publique sur l'accès à la contraception et à l'avortement en France, dont j'assure la responsabilité avec de nombreux collègues. Nous nous sommes dotés de moyens scientifiques et financiers afin d'obtenir des données fiables sur les questions de l'accès à la contraception et à l'avortement du point de vue des femmes.

Je vous ai déjà présenté les recherches sur l'accès à la contraception et à l'avortement des mineures en France, recherches qui se poursuivent.

Très schématiquement, nous menons une grande enquête sur les pratiques contraceptives et le recours à l'IVG, qui s'étendra sur dix ans. Elle est réalisée auprès de 7 000 femmes, qui constituent un échantillon représentatif de la population française.

Une seconde enquête qualitative complète celle-ci et consiste en des entretiens avec des femmes ayant subi des échecs de contraception : quatre-vingt femmes reparties sur tout le territoire, confrontées à un échec de contraception, les deux tiers ayant subi une IVG, l'autre partie ayant décidé de poursuivre la grossesse.

Ces deux grandes sources de données aideront à établir des comparaisons entre la France et différents pays industrialisés.

Ces enquêtes ont trois objectifs principaux.

Le premier, c'est de déterminer pourquoi il y a tant d'échecs de contraception en France, pays, qui détient pourtant le record de la contraception médicalisée. Ce que l'on appelle le "paradoxe contraceptif français" n'est toujours pas résolu, mais nous disposons maintenant d'éléments permettant d'éclairer la question.

Le deuxième, c'est de combler l'absence de réflexions scientifiques et de données fiables sur les raisons pour lesquelles, en cas d'échec, la moitié des femmes ont recours à l'avortement. Sur le sujet, nous avons beaucoup de résultats disponibles.

Le troisième volet, - également très documenté, car nous avons poussé loin les analyses dans ce domaine -, c'est de mieux connaître l'accès à l'IVG : comment cela se passe-t-il pour les femmes en France qui souhaitent recourir à l'IVG ? Quels interlocuteurs contactent-elles ? Dans quel ordre ? Leur propose-t-on le choix de la méthode ? Quel est le vécu ? Autant de données qui font tomber nombre d'idées reçues dans ce domaine.

Je propose de centrer mon propos sur le "pourquoi", avec l'idée non pas de remettre en cause le droit de recours à l'IVG, mais d'éviter à nombre de femmes un événement, qui, sans être un drame, pour autant, n'est ni anodin, ni banal dans leur vie, pour des raisons psychologiques, mais aussi pour des raisons de santé.

Pour situer l'ampleur du problème, entre 200 000 et 220 000 IVG sont pratiquées par an, avec une recrudescence des IVG chez les plus jeunes, phénomène qui demande à être confirmé car, malheureusement, les dernières données disponibles datent de 1998.

Les campagnes contre le sida peuvent avoir relégué au second plan les enjeux liés à la contraception. Les jeunes qui ont débuté leur vie sexuelle à l'heure du sida ont été fortement mobilisées par les risques concernant le VIH, mais pas du tout par la contraception. Rien n'a été fait à l'exception de la campagne de janvier 2000.

Donc, 220 000 IVG et 760 000 naissances, dont 30 % proviennent de grossesses non prévues. Notre objectif est vraiment de nous centrer sur l'IVG. 3 % seulement des femmes déclarent ne pas avoir de contraception, alors qu'elles ne souhaitent pas être enceintes. Or, ces 3 % de femmes ne sont pas suffisants pour expliquer ces 220 000 IVG. Les autres femmes déclarent une utilisation régulière et efficace de contraception.

Que se passe-t-il ?

Selon des chiffres non encore validés scientifiquement, 20 % des femmes, dont la dernière grossesse s'est terminée par une IVG, prenaient la pilule. Ce ne sont donc pas des femmes "inconscientes", qui n'avaient pas de contraception. Les données montrent qu'au moment de l'IVG, 35 % des femmes n'avaient pas de contraception, mais que 20 % d'entre elles utilisaient la pilule et 8 % le stérilet. Cela souligne le problème d'adéquation des méthodes contraceptives aux conditions de vie sociales, affectives et sexuelles des femmes. C'est un facteur clé.

Pourquoi les femmes se trouvent-elles confrontées à un échec de contraception ?

Nous avons pu distinguer trois groupes de femmes confrontées à cet échec. En tant que chercheurs en santé publique, ce qui nous intéresse le plus, ce sont les échecs dont nous pensons que des mesures de santé publique pourraient les influencer.

Le premier de ces trois groupes est celui des femmes qui ont un rapport très favorable à la contraception.

Le deuxième groupe est celui des femmes dont la contraception est au service de l'ambivalence par rapport à la survenue d'une grossesse. Ce sont des couples incertains. La grossesse va forcer le couple à poser le problème.

Le troisième groupe de femmes soulève d'autres questions de santé publique : ce sont les femmes soumises à ce que j'appelle l'impossible démarche contraceptive. Cela m'amène à rappeler un point, peut-être évident, mais que l'on a tendance à oublier : pour les couples, inscrire dans une démarche contraceptive sa vie reproductive implique d'être doté socialement des capacités à maîtriser sa vie. Certaines femmes sont dans des situations tellement "galères" que, pour elles, la question de la contraception ne se pose même pas. D'autres enjeux apparaissent : survie sociale, survie au sein du couple, avoir de quoi nourrir ses enfants. Pour ces femmes, des mesures d'insertion sociale sont le préalable indispensable à l'idée même d'avoir une maîtrise de leur vie reproductive.

C'est le premier groupe de femmes qui nous intéresse, celles qui ne veulent pas être enceintes et qui le deviennent malgré une véritable démarche contraceptive.

Le premier type d'accident, c'est l'échec incontournable de la grossesse sous stérilet ou sous pilule, alors que la femme ne se souvient pas de l'avoir oublié. C'est le hiatus entre l'efficacité théorique d'une méthode et son efficacité pratique. Sur ce point, il n'y a rien à ajouter.

Le deuxième facteur clé de l'échec de contraception, c'est ce que j'appelle la méthode inadéquate. Un certain nombre de grossesses est dû au fait que la méthode contraceptive utilisée par la femme n'est pas en adéquation avec les caractéristiques de sa vie affective, sociale ou sexuelle.

Je citerai deux exemples qui illustrent mon propos : 20 % des dernières grossesses qui se sont terminées par une IVG concernaient des femmes dites "sous pilule". Cela ne signifie pas pour autant bien évidemment que le taux d'échec de la pilule en elle-même soit de 20 %. Mais tout simplement que ces femmes étaient sous pilule et qu'elles ont eu des problèmes.

Nous avons rencontré une femme de trente-sept ans, agent hospitalière, mère de trois enfants, ayant une relation avec un homme marié. Son gynécologue lui conseille la pilule. Cette femme a une relation stable, mais clandestine, répète à plusieurs reprises qu'elle aimerait que cette relation soit plus officielle. Elle est parfaitement au courant des méthodes de contraception ; il n'y a aucun problème d'information. Elle souligne cependant que, prendre la pilule tous les soirs, alors que l'on a personne dans son lit, est difficile et que l'on y pense rarement.

Les moyens de contraception sont en France attachés à certaines périodes de la vie : on débute avec le préservatif, on continue avec la pilule et on finit avec le stérilet. Pour cette femme, cette pilule signifie socialement une activité sexuelle régulière : elle l'oublie donc tout le temps.

Autre exemple. Une jeune femme, secrétaire, ayant deux enfants, dont un très jeune, prend une pilule particulière pour suites d'accouchement. Elle dit qu'elle a peut-être oublié de la prendre, qu'elle n'a pas fait attention. "Il est vrai", dit-elle, "que juste après avoir accouché, reprendre la pilule, alors qu'on ne l'a pas prise pendant toute la grossesse, n'a pas été facile : moi, je sais que c'est par habitude que je la prends." Cette femme, qui a un très jeune bébé qui pleure sans arrêt, qui gère tout dans son foyer - son partenaire ne fait pas grand chose - est décalée dans ses horaires et oublie sa pilule.

Ces deux exemples servent à illustrer ce que l'on entend par problèmes d'adéquation de la méthode utilisée : à côté des questions de méthodes, les conditions de vie matérielles ou affectives, comme dans le cas de la première, peuvent agir. La différence entre l'efficacité théorique d'une méthode et son efficacité pratique soulève un problème extrêmement important d'un point de vue de santé publique, celui de la formation des prescripteurs, qui, raisonnant souvent dans une logique d'efficacité médicale, se heurtent parfois à une logique sociale de prise en compte des conditions de vie et prescrivent des méthodes qui ne sont pas adaptées aux besoins de la femme. Ces phénomènes d'affrontement de logiques sont fréquents en santé publique.

Un autre facteur qui concerne surtout les jeunes, tient au fait que certaines jeunes femmes ont une sexualité qui n'est pas socialement acceptée. C'est le cas notamment des très jeunes femmes et de certaines femmes d'origine maghrébine, qui ont un déficit d'information et de reconnaissance sociale de leur sexualité.

Il est évident que les jeunes filles souffrent d'un véritable déficit d'information. Elles pensent, par exemple, n'être fertiles que le quatorzième jour du cycle et, au mieux, un jour avant et un jour après. Pour autant, ce déficit d'information n'est pas le seul en cause pour expliquer les difficultés d'accès à la contraception des jeunes filles et, d'une manière plus générale, des femmes dont la sexualité n'est pas reconnue dans le milieu où elles vivent.

L'histoire suivante, celle d'une jeune fille de dix-sept ans, l'illustre parfaitement. Cette jeune fille a une relation avec un partenaire, le premier, pour qui elle est également la première. Sa mère considère qu'elle est trop jeune et ne lui a jamais rien dit sur la contraception. Elle tient donc sa sexualité secrète vis-à-vis de ses parents. Comme ces jeunes ont été très sensibilisés par le sida, elle dit : "Mais on ne devait pas mettre de préservatif, puisque c'était mon premier partenaire et que j'étais sa première. On faisait attention le quatorzième jour". Elle se sentait d'autant plus protégée que ses deux meilleures copines faisaient la même chose. Le risque de sida écarté, elles relèguent au second plan le risque de grossesse non prévue.

Mais, l'obstacle familial qui apparaît dans cette enquête conforte nos résultats, à savoir que c'est la non-acceptation sociale de la sexualité qui conduit les femmes à se retrouver dans des situations de vulnérabilité, par déni du risque de grossesse.

Une jeune fille, Samia, musulmane non pratiquante, nous dit que la pilule perturbe le corps, qu'il faut un suivi et que cela suppose des rendez-vous chez un gynécologue et qu'il y a toujours le risque que la pilule soit découverte par les parents. Sa mère ne lui a jamais parlé de contraception, parce qu'elle considère que sa fille doit arriver vierge au mariage.

Ces attitudes constituent un véritable frein pour accéder à l'information et à la pratique de la contraception. La peur que cette sexualité soit révélée, par la contraception, au milieu familial, contribue à créer un sentiment d'infertilité sociale : "Je suis trop jeune, cela ne peut pas m'arriver".

Ces conclusions et les comparaisons internationales montrent que la France et la Suède sont largement moins concernées par rapport aux autres pays. L'un des facteurs de grossesse non prévue chez les mineures tient à ce déni du risque de grossesse. Aux Etats-Unis par exemple, où les grossesses adolescentes sont très fréquentes, les politiques préventives pour éviter les risques de sida et de la grossesse  vont dans le sens : "Attendez d'avoir quelques années de plus" et non dans celui d'une prévention. Il y a donc nécessité, non de fournir à ces jeunes une information sur les risques au-delà du quatorzième jour, mais de faire en sorte que l'accès à cette information leur paraisse légitime.

Autre point important : la contraception au c_ur des rapports homme-femme. En effet, la contraception, même si elle repose sur des méthodes féminines de contraception, n'est pas exclusivement une affaire de femmes. Nous constatons que le choix contraceptif est fortement influencé par le partenaire et se fait souvent au détriment du bien-être de la femme.

Une jeune étudiante, qui ne supportait pas la pilule en raison de ses effets secondaires, demande à son gynécologue d'en changer. Elle essaie trois marques de pilule différentes en quelques mois, sans résultat. Elle demande à son partenaire d'utiliser des préservatifs, parce qu'elle en a assez. Celui-ci lui répond que cela perturbe son plaisir sexuel. Au total, en un an, elle a donc essayé cinq marques de pilules. Sa gynécologue lui parlant de la nécessité d'une pause et son partenaire ne souhaitant pas utiliser le préservatif, elle a fini par accepter d'avoir un rapport sexuel sans protection.

Une autre jeune femme vient d'accoucher et son médecin lui conseille d'utiliser le préservatif. Mais, son mari ne le veut pas. Tout cela pour souligner qu'aussi bien les hommes que les femmes reconnaissent encore aujourd'hui une priorité au plaisir sexuel masculin.

Un dernier groupe d'échec de contraception touche les femmes autour de la quarantaine. La femme se sent beaucoup moins susceptible de risquer une grossesse et on constate un relâchement de l'attitude contraceptive, parfois en accord avec le gynécologue, dans cette période de pré-ménopause alors que, même dans cette période, une femme est susceptible de devenir enceinte.

Il n'existe pas de femmes à risque, mais bien des situations à risques dans la vie des femmes en trente-cinq ans de vie sexuelle reproductive, de dix-sept ans à quarante-cinq ans. Les failles dans cette trajectoire contraceptive sont assez probables.

Il y aura toujours des IVG. Mais certaines actions peuvent sans doute être entreprises pour réduire leur fréquence. L'élargissement de la palette contraceptive, notamment l'utilisation du préservatif féminin, le Fémidon, qui, dans certaines situations, est un moyen de lutter contre le sida et les grossesses non prévues, la prise en compte par les médecins des enjeux sociaux et démographiques dans les contenus de leur formation, le fait de favoriser l'accès à la contraception et de reconnaître la sexualité des jeunes, ne peuvent qu'être bénéfiques pour amener les femmes à affronter l'ensemble des risques du sida, des MST, des grossesses non prévues ou de l'IVG.

Mme Yvette Roudy : Comment se fait-il que les choses aient si peu changé depuis un trentaine d'années ? Je veux bien qu'il y ait un paradoxe contraceptif français et que l'on interroge les femmes sur ce point. Mais, pourquoi nous sommes-nous heurtées à tant de difficultés, quand nous avons voulu demander une campagne d'information sur la contraception ? Dans d'autres pays, il y en a régulièrement. Nous, il a fallu que nous sortions dans la rue, que nous fassions du militantisme, pour obtenir une simple campagne. Pour moi, tout le problème est là : il y a des freins que les femmes subissent, car elles sont dans un bain culturel.

Pourquoi, depuis le temps que nous savons que les contraceptifs existent, qu'il y a eu la bataille de la loi sur l'IVG et que l'on s'est aperçu que le taux d'IVG n'avait pas augmenté après son adoption, n'avons-nous pas encore intégré que les femmes n'emploient pas l'IVG comme moyen contraceptif ? Pourquoi les études médicales n'intègrent-elles pas les moyens de répondre aux femmes sur ces points ? Pourquoi la recherche, dominées par les laboratoires pharmaceutiques, est-elle orientée vers une contraception principalement féminine ?

Nous avancerions s'il y avait moins de blocages culturels en France, moins de résistances et de freins, si l'on était davantage guidé par un souci de la santé, de l'équilibre et du bien-être des êtres humains - c'est ce que l'on dit dans les textes européens. On n'a fait qu'une seule campagne sur la contraception, confidentielle ! Pourquoi de telles campagnes ne sont-elles pas banalisées ? Pourquoi les enseignants ne peuvent-ils répondre ?

C'est cela le paradoxe français.

Je lis actuellement un livre de Suzanne Képès, médecin qui a reçu beaucoup d'hommes et de femmes pour des problèmes de sexualité. C'est un sujet dont on ne parle pas en France, à la différence des pays anglo-saxons. Il y a chez nous des blocages culturels qui font que, depuis trente ans, nous n'avons pas encore intégré l'information sur la contraception. Nous devons le faire.

Pourquoi les garçons sont-ils toujours indifférents ou égoïstes ? Pourquoi assistons-nous, en ce moment, à une montée des violences sexuelles dans les écoles ? Nous sommes en train de vivre une période de régression. Pourquoi la sexualité n'est-elle pas expliquée aux jeunes ? On assiste toujours à la même brutalité, au même égoïsme.

Il faut obtenir qu'il puisse y avoir une information et que la recherche progresse. Pour ce qui me concerne, je pense que le paradoxe français, c'est surtout que l'on refuse d'avancer sur ces sujets. Il n'y a pas plus d'IVG qu'autrefois, sauf chez les très jeunes. Comme ce ne sont pas les mères, ni leurs enseignants qui peuvent leur expliquer, avec qui vont-elles en parler ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je suis d'accord avec ce qui vient d'être dit, notamment sur les blocages culturels qui sont les nôtres, mais pas sur l'efficacité des campagnes de contraception. Je suis la première à souhaiter l'organisation de campagnes, mais je ne suis pas sûre que les campagnes de communication ou d'information à la télévision soient les plus efficaces.

La semaine dernière, Mme Janine Mossuz-Lavau nous a exposé le remarquable travail de proximité qu'elle a réalisé auprès de groupes de femmes. Il s'agissait de femmes adultes qui, soit sortaient de prison ou de centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), soit étaient plongées dans de grandes difficultés sociales - donc, très éloignées de préoccupations contraceptives. Ces groupes de parole d'une quinzaine d'heures ont été conduits par le Planning dans différentes régions de France pendant deux ans, engageant une réflexion sur leur devenir, le rapport à la violence, à la contraception, au sida, etc...

Comment est proposée l'éducation à la sexualité en milieu scolaire dans des pays où le taux d'IVG est très bas, comme en Hollande ? Comment se fait le travail d'information : par campagnes de proximité ou généralistes ?

M. Pierre Aubry : Je partage totalement ce qui vient d'être dit. J'y mettrai un petit bémol cependant : pourquoi pensez-vous qu'il ne faille pas demander aux mères d'en parler ? Si l'on ne peut pas s'adresser à sa mère, à qui demander ? Si sa mère ne peut répondre, comment la jeune fille pourra-t-elle transmettre elle-même à ses enfant, à sa fille ? Il faut un lieu où elle puisse apprendre.

Mme Nathalie Bajos : J'avais coordonné la grande enquête sur la sexualité. Nous avions à cette occasion collecté quantité de données sur la question de savoir avec qui on parlait de sexualité et sur les problèmes liés à la vie affective.

Beaucoup de jeunes ne souhaitent pas parler de questions intimes avec leurs parents. Il faut donc créer des lieux où ces jeunes puissent recevoir une information, mais la démarche doit relever également de l'écoute. Les jeunes doivent pouvoir parler des rapports entre les filles et les garçons, du droit de dire non, etc... Des lieux d'écoute sont nécessaires pour répondre à la demande de certains jeunes. Il est vrai toutefois que d'autres en parlent avec leurs parents.

Ce n'est pas parce qu'il y a une stabilité du taux d'IVG que rien n'a changé. Les grossesses imprévues ont diminué de manière drastique en France avec l'arrivée des méthodes médicales, mais cette stabilité peut aussi cacher des phénomènes contraires.

Aujourd'hui, je crois qu'en cas d'échec de contraception, le recours à l'IVG n'est pas le même qu'il y a vingt ans. L'échec est d'autant moins supporté qu'une contraception efficace est disponible. Ce qui change, et qui apparaît dans nos dernières données, c'est une médicalisation de la contraception, aux effets extrêmement bénéfiques - vive la pilule ! -. Pour autant, l'existence de moyens médicaux de contraception ne doit pas s'accompagner d'une médicalisation à outrance de celle-ci...

Mme Yvette Roudy : La recherche va bientôt nous proposer des patchs.

Mme Nathalie Bajos : Ces patchs ne sont pas encore disponibles, mais vont bientôt l'être.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Mais les femmes ne le savent pas.

Mme Nathalie Bajos : Plusieurs nouveaux moyens féminins de contraception ont été mis en place récemment. En revanche, il y a absence totale de recherches sur la contraception masculine.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Une femme ne fera jamais confiance à un homme pour assurer sa protection.

Mme Nathalie Bajos : Peut-être, mais je vous parle des femmes que nous interrogeons lors de nos enquêtes. Un certain nombre de celles qui vivent dans des couples stables, expriment l'envie, quand elles sont en relation de confiance avec leurs partenaires, qu'il puisse y avoir des périodes d'alternance dans la contraception. Evidemment, ce n'est pas le cas des femmes qui ont des relations sexuelles irrégulières ou occasionnelles, parce qu'alors, les questions de confiance ne se posent pas dans les mêmes termes.

Faisant partie du comité de pilotage de la campagne sur la contraception, j'ai constaté les blocages dont vous parlez. Cependant, une écrasante majorité des femmes et des hommes a approuvé cette campagne, trouvé très positif, indépendamment du fait même de l'avoir vue, l'organisation d'une communication sur la contraception - ce n'est donc pas un blocage culturel de la part de la population -, et estimé que cette campagne avait une utilité sociale indéniable, puisque l'on n'avait pas parlé de contraception depuis des années et qu'un discours public sur la contraception était extrêmement important : pour autant, d'un point de vue de santé publique, les résultats de l'évaluation de cette campagne ont fait ressortir que le type de campagne proposé n'aura presque pas d'effet, voire aucun, sur la pratique contraceptive, sur les échecs de contraception et le recours à l'IVG, car cette communication ne peut jouer sur les obstacles relevés par le comité scientifique de suivi.

Nos résultats sont tout à fait cohérents : des travaux de proximité sont à mener, la formation des prescripteurs doit être mise en oeuvre. Mais il n'y a pas d'enseignants formés dans les facultés de médecine pour traiter d'une manière générale des questions de santé publique. Pour l'instant, l'enseignement de la santé publique en France se limite trop à l'épidémiologie.

M. Pierre Aubry : En tant que publicitaire en marketing, je peux vous dire que lancer une seule campagne, sans la renouveler régulièrement, ne sert pas à grand-chose. Une campagne qui n'est pas imaginée dans la continuité, avec des thèmes qui peuvent varier et s'adapter, je ne dis pas qu'elle ne sert strictement à rien, mais elle sera totalement oubliée : elle fera impression, on en parlera... et on l'oubliera !

Mme Nathalie Bajos : C'est la raison pour laquelle j'ai souligné l'utilité sociale de cette campagne qui était attendue par la population...

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La campagne suivante débutera en janvier 2002.

Mme Nathalie Bajos : Cela ne me paraît pas suffisant.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je regrette que nous n'ayons pas pu vous entendre sur les deux autres objectifs de l'étude. Quand terminerez-vous ce travail ?

Mme Nathalie Bajos : Nous en publierons prochainement la partie qualitative. La partie quantitative dont j'ai pu vous donner les premiers résultats est en cours d'analyse.

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a ensuite entendu M. Bruno Carbonne, secrétaire général du Collège national des gynécologues-obstétriciens français (C.N.G.O.F.)

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir M. Bruno Carbonne, gynécologue-obstétricien à l'hôpital Saint-Antoine et secrétaire général du Collège national des gynécologues-obstétriciens français.

L'an dernier, nous vous avions reçu à la veille de la première lecture du projet de loi relatif à l'IVG et à la contraception. Accompagnant les professeurs Alain Durocher et Michel Tournaire, vous aviez présenté à la Délégation aux droits des femmes les premières études de l'ANAES concernant la pratique de l'IVG au-delà de dix semaines de grossesse. Depuis, ont été publiées, en mars 2001, les recommandations de l'ANAES sur la prise en charge de l'IVG dans les nouveaux délais légaux et destinées à tous les professionnels de santé concernés.

Or, depuis la promulgation de la loi, le 4 juillet dernier, des difficultés se font jour, qui tiendraient notamment aux réticences de certains médecins gynécologues-obstétriciens et anesthésistes, aux capacités d'accueil insuffisantes liées à la surcharge des blocs opératoires dans de nombreux services et au manque de médecins suffisamment formés pour pratiquer des IVG tardives.

En tant que secrétaire général du C.N.G.O.F., quelle appréciation portez-vous sur la situation actuelle, tout d'abord dans votre service à l'hôpital Saint-Antoine, puis, dans la région Ile-de-France, où se manifeste un déséquilibre important entre le secteur public et le secteur privé, et enfin, sur l'ensemble du territoire ?

Dans votre pratique, êtes-vous confronté à de nombreux cas d'IVG tardives ? Comment sont-elles traitées ? En cas de dépassement des nouveaux délais, quelles solutions sont proposées ?

Quelle est l'incidence de la suppression de l'entretien obligatoire pour les femmes majeures ?

Quels sont les obstacles au développement de l'IVG ambulatoire ? L'ouverture de la pratique en médecine de ville, par un prochain décret, offrira-t-elle de nouvelles perspectives ?

D'autres questions surgiront certainement en cours de débat, portant notamment sur la revalorisation des frais de soins et d'hospitalisation afférents à l'IVG, sur l'inscription à envisager de l'acte dans la nomenclature de la sécurité sociale ainsi que sur le statut des services et des personnels affectés à l'IVG.

M. Bruno Carbonne : Je suis, effectivement, confronté à la pratique de l'interruption de grossesse et, notamment, à celle de l'IVG tardive et aux difficultés dont vous faisiez mention à l'instant. Il me semble utile de vous exposer les difficultés rencontrées et les différents obstacles à l'application de la loi.

Il convient tout d'abord de rappeler que cette loi est récente, puisqu'elle n'est parue que le 4 juillet dernier.

Le premier obstacle à son application me semble dû à un manque d'information des professionnels. Un premier facteur qui a freiné son application est que, durant l'été, les professionnels présents étant très occupés - vous connaissez les difficultés démographiques auxquelles nous sommes confrontés durant cette période - n'ont pas forcément été bien informés de l'adoption de cette loi. Beaucoup se sont également demandés si elle pouvait être appliquée directement et immédiatement, ou s'il fallait attendre des décrets d'application ou des recommandations particulières. Ils ne se sont pas précipités pour modifier leurs pratiques.

Un autre facteur qui a freiné son application est l'existence de méfiances vis-à-vis de cette loi, liées notamment à la question des mineures et aux éventuels problèmes médico-légaux. Ces réticences ne venaient pas seulement des gynécologues-obstétriciens, mais également des anesthésistes car, la loi n'imposant plus la nécessité de l'autorisation parentale pour l'IVG des mineures, la question se posait de savoir s'il en fallait une pour pratiquer l'opération. Ce fut un des débats que nous avons eus récemment.

Mais ce premier obstacle peut être, à mon avis, assez vite résolu.

Le deuxième obstacle tient au manque de formation des médecins à ce type de pratiques, dans la mesure où peu de services en ont l'expérience. Selon moi, les seuls à avoir une relative expérience en la matière, étaient essentiellement les services qui avaient l'expérience du diagnostic prénatal et pratiquaient déjà les interruptions tardives de grossesse pour motif médical. Or, techniquement, la réalisation d'une interruption tardive de grossesse est différente. Entre dix et onze semaines de grossesse, on peut dire qu'il n'y a aucune différence avec une interruption instrumentale classique. En revanche, au-delà, il est très fréquemment nécessaire de recourir à des instruments pour morceler le f_tus et il faut reconnaître que c'est un geste particulièrement désagréable et difficile à pratiquer, non seulement pour des raisons techniques, qui font que cette réalisation d'IVG tardive est réputée plus dangereuse - en tout cas, les chiffres montrent une augmentation discrète des risques de complications -, mais aussi parce que ce risque s'accroît probablement en des mains non entraînées,. Les médecins ont donc montré une certaine réticence, parce qu'ils n'étaient pas formés à cette technique.

Pour remédier à ces difficultés, le Collège des gynécologues-obstétriciens français a tenté de mettre en place des formations à cette interruption tardive de grossesse ; il ne s'agit pas encore d'une formation continue, mais lors des prochaines journées du Collège, sur les trois journées prévues, deux porteront sur des thèmes consacrés à l'IVG. Le mercredi 6 décembre sera notamment consacré aux techniques chirurgicales. A cette occasion, un gynécologue-obstétricien hollandais, qui a l'expérience de la pratique de l'interruption tardive de grossesse, nous présentera un film qu'il a réalisé sur la technique instrumentale de grossesse entre dix et douze semaines de grossesse. Il y aura également la présentation, par le professeur Michel Tournaire, des recommandations professionnelles de l'ANAES, qui ont été publiées et diffusées par les réseaux de l'ANAES, mais pas directement aux professionnels de gynécologie-obstétrique. Le troisième thème abordé durant ces journées des 6 et 7 décembre portera sur l'interruption de grossesse pour motif médical.

C'est un premier pas car, cet été, quand nous avons commencé à pratiquer des IVG tardives, nous avons été fréquemment interpellés par des collègues d'autres services et nous avons bien senti une réticence d'ordre technique. Les questions étaient : "Tu en fais, toi ? Comment est-ce que cela se passe ? Quelles techniques utilisez-vous à l'hôpital Saint-Antoine ? Vous n'avez pas eu de problèmes ?" Nous avons senti qu'ils redoutaient surtout de rencontrer des difficultés techniques ou des complications. Le deuxième obstacle est donc dû au manque de formation et aux réticences qu'il engendre.

Le troisième obstacle qui a pu restreindre l'ouverture à l'IVG, ce sont les raisons éthiques. Plus que les problèmes de diagnostic prénatal, de dépistage de malformations mineures ou de choix du sexe de l'enfant, le problème éthique qui s'est posé à certains médecins tient à la nécessité d'avoir à morceler ce f_tus. C'est une difficulté sur un plan technique, mais c'est surtout, je pense, extrêmement difficile à vivre pour de nombreux praticiens, car le geste s'en trouve modifié, peut-être pas tant dans son risque que dans la manière dont il est vécu par les médecins.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Certains entretiens que nous avions eus sur les techniques hollandaises faisaient ressortir que, jusqu'à douze semaines de grossesse, les médecins utilisaient la même technique. Certes, les recommandations de l'ANAES indiquaient qu'il fallait changer de technique et de pratique à ces termes de grossesse, mais les professionnels qui avaient vu pratiquer l'acte en Hollande confirmaient que les techniques ne changeaient pas.

M. Bruno Carbonne : Je pense pouvoir donner un avis légèrement différent, pour en avoir pratiqué moi-même et avoir vu pratiquer les techniques utilisées par les Hollandais. Ces derniers pratiquent l'interruption de grossesse jusqu'à vingt-quatre semaines et il est clair qu'à ces termes, on ne peut pas avoir recours à une simple aspiration.

En fait, entre dix et onze semaines de grossesse, l'IVG se fait presque toujours par une aspiration simple, exactement de la même manière qu'avant dix semaines. Mais il arrive très fréquemment - une fois sur deux - qu'entre onze et douze semaines, nous ayons recours au morcellement du f_tus. Même entre des mains relativement expérimentées, on ne peut pas le prévoir à l'avance et on ne peut affirmer avec certitude qu'il ne sera pas nécessaire d'y avoir recours.

Finalement, on arrive à la situation quelque peu étonnante de médecins qui n'ont pas d'opposition de principe à l'IVG et ne font pas état d'une clause de conscience pour réaliser une IVG, mais qui font état de celle-ci pour réaliser les IVG à ce terme particulier, parce qu'il peut s'avérer nécessaire d'avoir à morceler le f_tus.

J'ai personnellement pratiqué des IVG tardives en nombre important, particulièrement au cours des trois derniers mois. J'avais déjà l'habitude de les pratiquer pour motif médical. Dernièrement, un nouveau chef de clinique est arrivé, auquel j'ai enseigné la technique d'interruption sur une grossesse de douze semaines, pour laquelle il y a eu nécessité de morceler le f_tus. Ce chef de clinique, qui était habitué à pratiquer des aspirations tout à fait normales et qui en avait une grande pratique, était très ému au sortir de cette intervention. C'est un acte difficile à vivre et qui tend à restreindre - j'en suis convaincu - la motivation de certains médecins, qui réalisaient auparavant des IVG.

J'ajouterai une réflexion, ni d'ordre technique, ni d'ordre éthique. Dans leur grande majorité, les patientes qui viennent consulter pour une IVG ne font aucune différence entre une grossesse de huit, dix ou douze semaines. C'est une situation qu'elles vivent de la même façon. La décision est difficile, mais s'inscrit, pour elles, dans un continuum à huit, dix ou douze semaines. Pour certains médecins, y compris pour les anesthésistes confrontés à la réalisation technique de l'IVG en bloc opératoire, le fait d'avoir à assumer cette difficulté technique "douloureuse", au sens moral du terme, alors qu'ils ont l'impression que la patiente ne ressent pas ces difficultés - ce qui est tout à fait normal - est vécu comme une certaine injustice.

Ces éléments ne constituent pas des blocages définitifs, mais font partie des freins rencontrés quotidiennement. Je pense qu'en 1975, au début de la pratique de l'interruption de grossesse, les médecins ressentaient probablement le même dégoût pour les aspirations. Finalement, ce sont des gestes auxquels ils se sont habitués. La pratique rendra probablement les choses moins difficiles, mais il est clair qu'au début, c'est un obstacle ; en tout cas, quand on est proche des douze semaines de grossesse.

Enfin, il y a, à l'évidence, de la part de certains praticiens, des réticences qui ne sont, ni d'ordre éthique, ni d'ordre technique, mais de principe. Certains d'entre eux, s'étant clairement affichés comme étant opposés à l'allongement des délais, freinent pour mettre la loi en application.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Etes-vous plutôt optimiste pour l'avenir ?

M. Bruno Carbonne : Je suis plutôt optimiste, dans la mesure où je pense qu'il y avait au début un manque d'information et que j'ai pu constater depuis lors le souhait, généralement individuel, de médecins de s'informer.

Ce défaut d'information va pouvoir être assez rapidement comblé, d'une part, par la circulaire d'application qui est diffusée actuellement - assez lentement, je dois le dire, puisque je ne l'ai encore reçue, ni via le Collège, ni dans ma pratique personnelle - d'autre part, par des actions d'information, comme celle que nous sommes en train de mener, par exemple, avec le professeur Fabrice Pierre de Tours, qui a participé à la rédaction de la circulaire. De nombreuses questions de praticiens sur leurs difficultés nous sont parvenues et nous sommes en train de publier rapidement des réponses dans le Journal de gynécologie-obstétrique français. Nous mettons également en place des formations comme celles que nous réalisons au sein du Collège.

Ce manque d'information ou ces réticences techniques vont tomber progressivement et je crois pouvoir dire que la plupart des centres qui réalisent des IVG sont tout à fait ouverts et d'accord pour accueillir des professionnels qui souhaiteraient venir voir leur pratique.

Quant aux difficultés éthiques ou morales, au sens large du terme, que peut provoquer cet allongement, il me semble qu'à partir du moment où les praticiens auront acquis une certaine habitude technique, on passera sûrement au second degré. C'est au tout début de l'expérience que c'est délicat. De plus, cela ne représente pas la majorité des cas ; cela ne représente que quelques interruptions tardives de grossesse et une partie de celles situées entre onze et douze semaines de grossesse. Mais, je répète que l'on ne peut jamais affirmer qu'elles ne nécessiteront pas l'usage de cette nouvelle technique de morcellement du f_tus.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Quel est votre sentiment par rapport à la situation en Ile-de-France ?

M. Bruno Carbonne : Nous avons vécu cette transition de manière très douloureuse à l'hôpital Saint-Antoine, puisque nous avons décidé d'appliquer la loi dès le mois de juillet et que nous nous sommes heurtés non seulement, comme à l'accoutumée, à la réduction des effectifs pendant cette période, mais aussi au fait que, très clairement, cette année, il n'y a eu aucune concertation entre les professionnels ou les différents services pour assumer cette charge de travail supplémentaire.

De nombreuses demandes ont été présentées dans les hôpitaux de l'Assistance publique et quand on a su - le bouche-à-oreille fonctionne bien en pareil cas - que les hôpitaux Saint-Vincent-de-Paul et Saint-Antoine acceptaient de pratiquer des IVG tardives, de nombreux centres n'ont pas ressenti la nécessité de faire un effort et ont dirigé très systématiquement les cas qui leur arrivaient sur ces deux centres.

Bref, nous avons dû accepter très rapidement une patiente par jour, alors que les prévisions étaient d'une ou deux par semaine au maximum. Puis, nous sommes passés à deux patientes par jour et avons fini par être débordés au point, parfois paradoxal, d'être obligés de retarder des interruptions de grossesse, qui nous avaient été demandées dans des délais précoces, pour pouvoir faire passer des interruptions de grossesse tardives. Certains jours, nous avons eu jusqu'à trois interruptions tardives à pratiquer en urgence, urgence liée au fait que beaucoup de patientes avaient perdu du temps en raison des consultations qu'elles avaient faites dans d'autres centres, qui ne les avaient finalement pas acceptées, et qu'elles arrivaient chez nous à onze semaines et cinq jours. Nous étions donc contraints à programmer ces interventions en urgence, tout en nous demandant si nous avions raison de pratiquer des interruptions chez des patientes qui n'avaient découvert leur grossesse que très récemment, qui pouvaient se trouver dans une situation temporaire de difficultés, et dont nous ne pouvions affirmer qu'elles n'avaient pas pris cette décision hâtivement. Cette difficulté se posera toujours, car nous aurons toujours des patientes qui arriveront en dernière minute et l'allongement des délais conduira, fatalement, certaines patientes à se déterminer plus tardivement pour leur interruption de grossesse.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous le croyez ?

M. Bruno Carbonne : Nous l'avons constaté, mais ce n'est pas la majorité. Nous avons, je crois, rencontré tous les cas de figure, mais nous avons vu trop de patientes qui avaient consulté dans des délais raisonnables dans d'autres centres et se sont retrouvées finalement dirigées bien trop tard vers d'autres centres qui acceptaient de les prendre en charge. Nous devons vraiment travailler sur ce plan pour trouver de meilleures solutions.

Je pense que la situation progresse quand même, peu à peu, et que de plus en plus de centres acceptent de faire ces IVG. Mais, ceux-ci ne se manifestent pas trop, pour éviter les déconvenues que nous avons subies cet été. Ils ne tiennent pas à se retrouver submergés de demandes. Mais si chacun, à sa mesure, accepte les interruptions tardives, nous devrions réussir à répartir la demande.

Je crains que les prévisions, dont il me semble avoir déjà dit qu'elles seraient difficiles à vérifier, de quelque cinq mille IVG tardives par an puissent être dépassées. Mais ma vision peut être biaisée par l'afflux de demandes que nous avons pu connaître cet été à l'hôpital Saint-Antoine.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous parliez de la réaction des anesthésistes par rapport aux mineures. Qu'en est-il aujourd'hui à l'hôpital Saint-Antoine ?

M. Bruno Carbonne : La demande qu'ils exprimaient nous a été posée un certain nombre de fois. Finalement, la Société française d'anesthésie et réanimation, la SFAR, a été saisie de cette question et s'est prononcée sans ambiguïté pour dire qu'à partir du moment où la loi autorisait l'interruption volontaire de grossesse chez les mineures sans autorisation parentale, les gestes qui entouraient cette interruption de grossesse, que ce soit l'hospitalisation ou l'intervention elle-même, étaient également autorisés, de fait, par la nouvelle loi.

Cette prise de position de la SFAR a rassuré les anesthésistes qui, maintenant - en tout cas, pour ceux que je connais qui pratiquent des anesthésies pour l'IVG - n'ont plus de réticence.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Avez-vous aussi noté une incidence de la suppression du caractère obligatoire de l'entretien préalable ?

M. Bruno Carbonne : L'incidence s'en est surtout fait sentir dans les situations d'urgence entraînées par des IVG tardives. Plus que l'entretien, ce qui nous a semblé utile, c'est ce petit délai entre le moment où la patiente est vue en consultation et celui où l'acte est réalisé, un délai de quelques jours, quatre ou cinq, dû à de simples raisons de programmations, au cours duquel, qu'il y ait ou non-entretien auprès de services spécialisés, nous avons constaté un certain nombre de changements d'avis de patientes qui, finalement, ont préféré poursuivre leur grossesse.

Ce délai n'est pas toujours possible à tenir ou à offrir aux patientes, quand on se trouve dans des situations d'urgence de onze semaines et demi de grossesse, mais il est vrai que nous nous sommes parfois demandés si cette patiente aurait finalement maintenu sa décision, si elle n'avait pas été soumise à la pression de la date butoir. Mais cette question s'est posée de tout temps. Auparavant, quand la date butoir était de dix semaines, les patientes se trouvaient dans la même situation. Je ne pense pas que la situation soit fondamentalement modifiée de ce point de vue.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : L'alternative proposée, celle de l'IVG médicamenteuse, à condition que la femme sache qu'elle est enceinte suffisamment tôt, puisque les recommandations de l'ANAES préconisent son utilisation jusqu'à sept semaines de grossesse, peut-elle être une réponse, notamment face à certaines réticences des médecins ? Que pensez- vous de son développement en médecine de ville ?

M. Bruno Carbonne : Pour ce qui est de l'allongement du délai pour l'IVG médicamenteuse, à mon avis, les centres qui ont l'habitude de ces interventions sont assez à l'aise avec cette technique jusqu'à cinq semaines de grossesse et, finalement, le besoin d'allonger ce délai n'est pas manifeste.

En revanche, il me semble que l'on peut gagner en proposant de réaliser ces interruptions à domicile, ce qui a été envisagé dans les recommandations de l'ANAES. Ces recommandations sont publiées, mais l'information n'est pas très bien passée. Des centres s'interrogent notamment sur la question de la prise en charge, puisque, auparavant, il y avait une hospitalisation de quelques heures. Certains se sont demandés si le forfait qui était appliqué, comprenant une hospitalisation, le serait toujours quand la patiente serait à domicile.

Mme Elisabeth Aubény est en train de lancer une enquête sur trois centres, dont nous avons voulu faire partie. La publication de l'expérience de quelques centres devrait déjà apporter un élément rassurant aux professionnels qui hésitent à recourir à ce type de techniques. A l'hôpital Saint-Antoine, cette technique permettrait clairement d'augmenter nos capacités d'accueil, puisque, aujourd'hui, les lits d'hospitalisation consacrés à l'interruption de grossesse sont relativement limités. Pouvoir pratiquer ces IVG de manière ambulatoire nous offrirait probablement la possibilité de répondre à plus de demandes.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il existe donc deux possibilités : l'ambulatoire et la médecine de ville avec la création de réseaux. Dans le cadre de réseaux entre l'hôpital et des médecins, il y aurait ainsi possibilité de pouvoir sortir l'IVG de l'hôpital.

M. Bruno Carbonne : Dès lors que les centres ou les hôpitaux qui pratiquent l'IVG auront pris l'habitude de traiter les patientes sans hospitalisation, les relations médecine de ville-hôpital devraient être facilitées pour la prise en charge de l'IVG. Pour le moment, il est difficile de modifier les vieilles habitudes.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Quel est votre sentiment concernant l'absence de statuts des services et des personnels, même si des crédits votés dans les budgets 2000 et 2001 devraient permettre de transformer des postes de vacataires en postes hospitaliers ? Cela a-t-il été suivi d'effet ?

La valorisation de l'acte d'IVG ou le fait de ne plus accorder à cet acte un statut spécifique, mais de le traiter comme tout autre acte médical dans le budget de la sécurité sociale seraient-elles des propositions de nature à faire avancer la situation des médecins ou des personnels de santé ?

M. Bruno Carbonne : Vous n'ignorez pas que les vacations sont très mal payées et surtout qu'elles correspondent à des statuts extrêmement précaires, qui n'étaient acceptables que par les médecins ayant vécu l'époque militante de l'IVG. Or, je crois pouvoir dire que ce militantisme a beaucoup diminué, car les nouvelles générations de médecins, qui ont toujours connu l'IVG, n'ont pas connu les difficultés d'une société où elle était interdite. Il en résulte que les médecins ne se battent pas pour pratiquer des interruptions volontaires de grossesse, surtout dans le cadre de statuts de vacataire.

A l'hôpital, vacataire est synonyme d'insécurité d'emploi et, généralement, ce sont des médecins installés en ville qui détiennent ces postes de vacations hospitalières. Ces médecins, de plus en plus sollicités, ont davantage de travail. Il est donc de plus en plus difficile de trouver des professionnels qui acceptent de donner de leur temps pour un travail, ni particulièrement enrichissant, ni gratifiant et, de surcroît, mal payé.

Il me semble que la transformation de ces vacations en poste de praticien hospitalier, à temps partiel, par exemple, ne peut être qu'une bonne chose. J'y mettrai cependant un bémol : quand un chef de service propose un poste de praticien hospitalier, même à mi-temps à un médecin, il risque d'y avoir des réticences, si ce poste est exclusivement réservé à l'interruption de grossesse. Très concrètement, dans les services, ces postes ont permis de recruter des personnels qui ne consacrent qu'une partie de leur temps à l'IVG. En effet, dans la plupart des services, l'interruption de grossesse est répartie entre plusieurs médecins et il est assez rare, dans la pratique, que ces postes soit dévolus à un seul médecin, même s'il en est le titulaire officiellement.

En revanche, les services ayant bénéficié de postes de praticiens au titre de l'interruption volontaire de grossesse devraient se montrer particulièrement exemplaires en matière d'application de la loi. Je crois pouvoir affirmer que ce n'est pas toujours le cas, au moins en ce qui concerne la région parisienne. En l'état actuel, un chef de service, qui accepte la mission de service public, est censé organiser l'IVG selon les termes de la loi. Il me semble donc difficile de concevoir qu'un chef de service n'accepte pas que l'on pratique des IVG au-delà de dix semaines dans son établissement et son service. Des recommandations adressées aux chefs de service devraient faire sauter les blocages, qui sont toutefois extrêmement mineurs.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous est-il arrivé, personnellement, de pratiquer des IVG sur des mineures n'ayant pas recueilli le consentement parental ?

M. Bruno Carbonne : Oui.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Par qui sont-elles accompagnées ? Quel est le rôle de l'accompagnant ?

M. Bruno Carbonne : C'est assez variable. Il nous est assez difficile de savoir exactement quelle est la relation de la jeune femme avec le majeur accompagnant. Il faudrait leur demander leurs papiers pour s'assurer que l'accompagnant est majeur. C'est une de nos difficultés d'ordre pratique. Dans certains cas, il est vraisemblable que le majeur accompagnant n'est autre que le copain de la personne mineure. Jusqu'à présent, cette situation ne s'est pas souvent présentée. Nous avons toujours insisté pour avoir l'accord parental.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce sont le plus souvent des garçons qui accompagnent ?

M. Bruno Carbonne : Les deux cas se présentent. Parfois, c'est un garçon et nous avons la forte présomption qu'il s'agit de l'ami de la jeune femme. Parfois aussi, les personnes accompagnantes sont des parentes, une cousine ou une tante, probablement à l'écoute plus bienveillante que celle de parents directs. Mais la situation la plus délicate est sans doute celle de mineures de moins de quinze ans. Mais, nous n'avons pas été très souvent confrontés à ce type de situations.

Nous sommes en train de collecter des renseignements sur toutes les interruptions de grossesse, notamment tardives, pour répertorier les difficultés techniques que nous avons pu rencontrer, les incidents, voire les accidents, pour essayer de dresser un état des lieux précis, de chiffrer les situations nouvelles auxquelles nous avons été confrontés et la manière dont nous avons été amenés à y répondre.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Avez-vous vous-même des questions à nous poser ?

M. Bruno Carbonne : Par quels canaux, la circulaire d'application que vous venez de me remettre, est-elle diffusée ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Elle est envoyée aux agences régionales de l'hospitalisation, aux préfets de région, aux préfets de départements et, normalement, directement aux directeurs d'établissements de santé.

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a ensuite entendu M. Jean Parrot, président du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir M. Jean Parrot, président du conseil national de l'Ordre des pharmaciens, pour évoquer les problèmes d'application de la loi relative à l'IVG et à la contraception, promulguée le 4 juillet dernier, et de la loi relative à la contraception d'urgence.

Il nous a semblé indispensable de recueillir votre avis, car les pharmaciens, en officine, en laboratoires ou à l'hôpital, jouent un rôle clé, trop souvent méconnu, dans la diffusion de la contraception et l'accès à l'IVG, notamment à l'IVG médicamenteuse.

En ce qui concerne la contraception d'urgence, la vente libre du Norlevo en pharmacie, sans prescription médicale, constitue un progrès considérable. La France a été le premier pays à mettre ce produit sur le marché, sans prescription médicale. D'autres pays l'ont suivie depuis. De même, la possibilité d'administrer cette contraception en milieu scolaire aux mineures sans autorisation parentale, constitue une autre avancée de la loi sur la contraception d'urgence.

Peut-on dès à présent, par l'analyse des ventes en officine, évaluer l'usage qui en est fait par les femmes majeures, mais aussi par les mineures ?

Un décret devrait prochainement intervenir afin d'organiser la délivrance gratuite aux mineures en officine de cette contraception d'urgence. Quelles sont les difficultés rencontrées à ce sujet, notamment en matière de prise en charge ?

Les procédés contraceptifs se sont perfectionnés ces dernières années, depuis les pilules de troisième génération jusqu'aux implants sous-cutanés et aux préservatifs féminins. On nous annonce également la sortie d'un patch contraceptif. Le préservatif féminin, qui présente l'avantage de prévenir aussi contre le sida et les MST, n'est en vente que dans une cinquantaine de pharmacies en France. Pouvez-vous nous dire à quelles difficultés se heurte une plus large diffusion ?

S'agissant de l'IVG médicamenteuse, quel est l'avenir du RU 486 et de son utilisation en médecine de ville ? Un assouplissement de la réglementation et de la mise à disposition de ce médicament vous semble-t-il envisageable ?

En ce qui concerne le stérilet, un nouvel arrêté est paru fixant son prix de vente à 180 francs. Pensez-vous qu'il connaîtra-t-il les mêmes difficultés que celles du précédent arrêté qui avait fixé ce prix à 142 francs et n'a jamais pu être appliqué ?

M. Jean Parrot : Nous sommes heureux de pouvoir vous rendre compte de ce qui se passe sur le terrain, afin vous puissiez légiférer sur ces questions de société, qui nous intéressent grandement compte tenu de notre activité professionnelle.

S'agissant de la loi relative à l'IVG et à la contraception du 4 juillet 2001, les pharmaciens n'ont pas à intervenir directement, sauf pour conseiller ou orienter les personnes qui viendraient dans une pharmacie pour savoir comment faire en la matière. Généralement, le pharmacien oriente tout de suite vers un médecin ou, directement, pour ne pas perdre de temps, vers un gynécologue. Les problèmes qui peuvent se poser à nous en ce domaine concernent l'obtention de rendez-vous en urgence. Dans l'exercice de mon métier de pharmacien, j'ai dû deux ou trois fois batailler pour obtenir des rendez-vous en urgence pour des jeunes filles, pour lesquelles la décision d'IVG devait être prise dans les jours ou les semaines suivantes et non dans les trois ou six mois. Quand un spécialiste dit que son carnet de rendez-vous est plein et qu'il ne peut pas accorder de rendez-vous avant le mois de décembre, alors qu'on est début novembre, ce n'est pas admissible. Heureusement, dans la plupart des cas, entre pharmaciens et médecins, qu'ils soient généralistes ou spécialistes, nous arrivons à obtenir des rendez-vous en urgence, du jour au lendemain. Mais c'est parfois un véritable souci.

Je ne me permets pas de juger, même si j'ai des convictions personnelles, du côté positif ou négatif de l'allongement des délais de l'IVG : c'est un débat de société. Je pense que vis-à-vis de jeunes ou de moins jeunes, placées dans une situation de détresse, il est bien qu'une telle loi ait été adoptée, mais je me demande aussi, à titre personnel, s'il n'existe pas d'autres moyens d'éviter l'IVG, alors que tant de familles sont à la recherche d'un enfant. J'ai été amené à m'interroger personnellement à plusieurs reprises sur ce sujet, peut-être parce que j'ai eu un parcours assez atypique. J'ai fait mon internat à l'hôpital Lariboisière, où je suis resté plusieurs années et où j'ai noué des relations fortes avec mes collègues internes en médecine, qui travaillaient à la maternité.

Venons-en au deuxième point que vous avez soulevé : le Norlevo.

Il s'agit d'un produit très intéressant. Arrivé sur le marché, il a tout de suite trouvé sa place, en répondant à une attente des pharmaciens, qui, confrontés à des jeunes personnes en situations difficiles, devaient trouver une réponse avec les médicaments qu'ils avaient en stock : une pilule de première génération sous forme de prise de quatre pilules était dispensée en une seule fois. En général, les pharmaciens essayaient de la faire prescrire par un médecin pour qu'il y ait une prise en charge médicalisée par la suite.

La mise du Norlevo sur le marché et son accessibilité sans prescription, ont permis aux pharmaciens de jouer un rôle de conseil : orientant toujours la jeune femme vers un médecin, ils lui expliquent qu'il lui faut une prise en charge médicale, parce que la contraception d'urgence, réponse à une situation critique un jour donné, ne constitue pas une gestion de la contraception dans le temps.

Le Norlevo a donc bien trouvé sa place en pharmacie. A l'heure actuelle, sur neuf mois cumulés pour l'année 2001, les pharmaciens ont délivré plus de 600 000 boîtes, ce qui se compare aux 441 000 boîtes vendues en 2000, sur neuf mois cumulés. Cela montre à l'évidence que, d'une part, les pharmaciens jouent le jeu, remplissent bien leur mission et que, d'autre part, ce produit répond à une demande importante. Il est maintenant connu, il répond à une situation de risque ou à une inquiétude formulée un jour donné. En l'absence d'usage, dans 90 % des cas, l'inquiétude de la femme disparaîtrait avec la réapparition des règles quelques jours plus tard et le problème serait résolu sans médicament, mais au prix d'une certaine anxiété et d'une prise de risque. Le fait de pouvoir dispenser ce produit, dès l'instant où la personne pense avoir pris un risque, élimine celui-ci, mais appelle un comportement modifié de la part des jeunes, qui ne doivent pas systématiquement recourir à ce produit.

Je suis, à cet égard, un peu inquiet de la politique développée par le fabricant, qui voudrait que son produit soit remboursé. J'entends dire qu'il devrait être remboursable pour que les pharmaciens aient un prix maximum imposé. Je n'ai pas eu connaissance de dérives de prix, même si j'ai entendu dire que certains pharmaciens le vendaient 80 francs. Mais le fait de le rendre remboursable ne va-t-il pas conduire des jeunes à tenter de le faire inscrire sur une ordonnance et à risquer d'en faire un achat de prévention ?

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : Vous considérez que c'est un risque ?

M. Jean Parrot : Je considère que c'est un risque et j'estime que ne pas mettre en _uvre de politique de prévention par des outils normaux, mais prescrire ce produit "au cas où..." ne répondrait pas à une bonne politique de santé publique.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : Une enquête, dont nous parlait Mme Elisabeth Aubény, a été réalisée en Angleterre à partir de deux catégories de femmes, celles ayant le Norlevo à domicile, et celles qui devaient le réclamer en cas de besoin. Les résultats ont montré qu'il n'y avait pas de grande différence comportementale.

M. Jean Parrot : Je juge simplement en termes de santé publique. Je pense qu'il est dommage d'en venir à dispenser une charge hormonale importante, sans mettre en place une véritable politique de prévention à long terme.

Le Norlevo engendre une forte motivation pour l'obtenir dans un temps très réduit, parce qu'il se justifie en cas d'urgence, mais si, ensuite, on ne sécurise pas le comportement de la jeune fille ou de la femme, elle risque de revivre la même situation. Or, je dis à chaque femme qui vient m'en acheter qu'il faut parvenir à mettre en _uvre une vraie contraception.

Là où j'exerce, se trouve un lycée agricole avec un internat, pour garçons et filles. Dès l'instant que tout le monde a su que ce produit était arrivé en pharmacie, j'ai vu régulièrement venir des jeunes de l'internat. Ils savent maintenant que, premièrement, si le jeune homme vient seul, je ne délivre rien, car j'exige que ce soit la jeune fille qui vienne, accompagnée ou non, et que, deuxièmement, je l'envoie systématiquement ensuite chez le médecin. Maintenant, le pli est pris. Elles viennent régulièrement. Mais, parfois ce sont les mêmes qui reviennent ; alors j'essaie d'avoir un rôle éducatif à leur égard.

J'en arrive maintenant au point concernant la gratuité.

Un jour, j'ai reçu le coup de téléphone d'un sénateur, qui m'a dit : "Monsieur le président, on a décidé la gratuité du Norlevo en milieu scolaire. Mais, vous savez comme moi que les heures d'accès en milieu scolaire sont relativement brèves par rapport à la vie. Ne croyez-vous pas qu'il serait bien de décider aussi la gratuité dans les pharmacies ?" Je lui ai répondu que, personnellement, j'y serais favorable, que cela m'aiderait même beaucoup, parce que, dans notre exercice quotidien, nous recevons des mineures, parfois même de très jeunes mineures, ce qui nous pose problème.

Il m'a demandé comment résoudre la question du paiement : je lui ai répondu de ne pas s'inquiéter, que les pharmaciens avaient l'habitude de mener tellement d'opérations compliquées avec les caisses, que nous arriverions bien à trouver une formule pour le Norlevo.

Au cours des débats parlementaires, la ministre a estimé gênant d'étendre cette gratuité aux pharmaciens, parce qu'elle n'exerçait pas de contrôle sur ces derniers. Le sénateur avait alors répondu : "Mais, madame, en avez-vous davantage sur les infirmières ?" Donc, cette gratuité a été décidée par la loi. Le décret serait actuellement devant le Conseil d'Etat et j'espère qu'il paraîtra avant Noël.

Nous avons assorti le décret d'une convention entre la CNAM et le conseil national de l'Ordre des pharmaciens, par l'intermédiaire du comité d'éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française, le CESSPF, créé au sein de l'Ordre il y a maintenant plus de 40 ans. Cette convention prévoit l'élaboration par ce comité d'un livret grand public sur le Norlevo, la contraception, la mise en place de la contraception, la vie sexuelle de la femme, etc... Les pharmaciens doivent s'engager, en remettant gratuitement le Norlevo, à donner des explications et à remettre ce livret à la jeune fille. Cette convention a été soumise aux autorités de tutelle et n'a soulevé aucune objection. Nous allons donc nous y engager et recevoir des subsides pour le faire. Assortir la délivrance en pharmacie de la remise de ce document d'accompagnement devrait permettre d'obtenir une meilleure prise en charge de ces jeunes.

La distribution de la contraception d'urgence en milieu scolaire est complémentaire à l'action des pharmaciens et non une concurrence. Les infirmières scolaires ont distribué quelques milliers de boîtes. C'est à la fois très peu par rapport aux pharmaciens et beaucoup. C'est très peu en quantité, mais c'est beaucoup parce que 4 000 boîtes délivrées peuvent représenter 4 000 cas importants. Le travail des infirmières est donc complémentaire de celui des pharmaciens et s'inscrit dans un autre cadre, qui est aussi un cadre sanitaire. Nous ne nous y sommes jamais opposés et nous avons toujours soutenu qu'il fallait agir de concert. Dans le cadre de la convention, nous avons même prévu, si les infirmières s'approvisionnaient en pharmacie - ce qui risque fort d'être le cas, puisqu'elles n'ont pas d'autres sources d'approvisionnement - de leur remettre le livret, pour qu'elles puissent le transmettre, en même temps que le Norlevo, à la jeune personne intéressée.

Reste la question de savoir comment nous ferons la différence entre femmes majeures et mineures. Pour nous, ce sera déclaratif, c'est-à-dire que nous demanderons à la personne, qui se présentera devant nous, si elle est mineure ou majeure. Si elle répond qu'elle est mineure, il y aura gratuité. Sinon, elle paiera.. Nous jugeons que les personnes que nous aurons devant nous, dans la situation où elles sont, seront suffisamment honnêtes pour nous dire si elles doivent payer ou non. De toute façon, d'après notre expérience, il n'y aura pas plus du quart des jeunes femmes qui sera concerné par la gratuité. Nous avons déjà étudié avec la sécurité sociale ce que cela pourrait représenter en valeur. Nous l'avons estimé entre 5 et 7 millions de francs, pour un marché global aujourd'hui de 18 millions de francs.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : En ce qui concerne le contenu du livret, je voudrais attirer votre attention sur un point précis, car nous vérifions, auditions après auditions, qu'une des raisons de l'échec de la contraception est le manque de contraception adaptée. La pilule, par exemple, est prévue pour les jeunes femmes de moins de quarante ans, ayant des relations régulières, mais il y a des accidents, des oublis, liés parfois au mode de vie. On fait beaucoup reposer la contraception sur la pilule. Dans votre livret de présentation, je voudrais savoir si vous avez pensé à présenter une large palette des moyens de contraception.

M. Jean Parrot : Il y a une présentation assez large, mais également succincte, parce que nous renvoyons cette information au médecin. En revanche, nous insistons beaucoup sur l'hygiène et sur la connaissance que la femme doit avoir de son cycle. Nous nous sommes malheureusement aperçus que ce point n'est pas facilement abordé, ni connu des jeunes filles et qu'elles avaient besoin d'une connaissance technique donnée par une documentation succincte. Il fallait donc un petit fascicule, clair et compréhensible, qui renvoie surtout la jeune fille à une décision de consulter, de manière à être suivie dans sa vie de femme par un médecin.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : Je trouve que c'est une très bonne initiative. Mais il subsiste un mythe chez les jeunes filles, qui croient n'être vulnérables qu'au 14ème jour de leur cycle. Je n'ai pas relu depuis un certain temps les manuels de sciences de la classe de première, mais c'est une idée qui semble complètement ancrée dans la tête des jeunes filles. Elles ont des accidents de contraception, parce qu'elles croyaient qu'en dehors du 14ème jour, elles ne risquaient rien.

M. Jean Parrot : Il y aurait beaucoup à faire au niveau des manuels scolaires. Mais nous touchons là à un tout autre domaine, celui de l'enseignement des sciences de la vie. Il faudra bien, un jour, y introduire la santé en général, c'est à dire également les médicaments et les pathologies les plus graves. Ce sera plus important que de continuer à étudier la mouche drosophile et ses chromosomes ! Qui pèsera suffisamment fort pour que cette mutation s'opère ? Je ne le sais pas, mais cela me paraît capital. Ce n'est pas à soixante ans, quand nous commençons à développer des pathologies, que l'on éduque les gens. Il faut commencer dès l'école maternelle et l'école primaire.

Nous avons fait des expériences en ce sens, avec les moyens limités qui sont les nôtres. Nous avons conçu des valises pédagogiques d'usage scolaire, adaptées aux âges des enfants, pour leur présenter des points essentiels, tels que les posologies, et de façon très ludique pour les écoles maternelles ; il y avait la présentation d'une gélule, d'un comprimé, d'une cuillère à soupe, à dessert. On expliquait pourquoi un sirop est sucré. Les enseignants qui ont accepté de prendre ces valises et de jouer avec les enfants s'en sont très bien trouvés. Nous avons fait le même travail pour les écoles primaires et pour le secondaire. Les quelques professeurs de sciences de la vie qui ont joué le jeu et accepté ces valises ont été très contents de l'impact sur les jeunes. Mais il faudrait maintenant changer de niveau. Cela ne peut plus rester expérimental. A mon avis, le législateur pourrait tout à fait s'emparer de ce sujet dans le cadre d'une politique de prévention.

Vous m'avez ensuite posé de nombreuses questions sur les procédés contraceptifs et les pilules.

En ce qui concerne les pilules, j'ai essayé de mener une réflexion sur la consommation des pilules de première, deuxième et troisième génération, pour vous donner une photographie de la situation actuelle.

A l'heure actuelle, sont dispensés près de deux millions de pilules de première génération, près de 4 millions de deuxième génération et 10 millions de troisième génération, sachant que les pilules de troisième génération ne sont pas prises en charge, mais devraient bientôt l'être.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : Il y a débat sur ce point, surtout après les dernières analyses de l'ANAES.

M. Jean Parrot : Oui, je fais partie de la commission de la transparence, qui a travaillé sur ce sujet. De deux choses l'une : ou l'on considère comme une valeur ajoutée le fait que ces pilules soient micronisées, sous-dosées par rapport aux autres, avec une exposition hormonale plus faible pour un résultat identique, auquel cas, il y a une valorisation galénique et, si c'est le cas, il n'y a aucune raison que le laboratoire n'en soit pas récompensé ; ou A égale B égale C, et les pilules sont toutes payées le même prix. Les deux politiques sont possibles. Personnellement, je suis pharmacien. A ce titre, je respecte la galénique et l'investissement galénique qu'a pu faire un laboratoire. Je pense de plus qu'une exposition moins forte à des hormones est toujours préférable. Peut-être faut-il valoriser la pilule de troisième génération, pas forcément au prix où elle est sur le marché mais, en tout cas, il faut qu'elle soit valorisée.

En ce qui concerne les implants, je suis assez réservé parce que, pour le moment, dans les pays développés, nous n'avons pas une grande expérience de la mise en place d'implants. Cette technique me paraît devoir être plutôt réservée à des catégories de population qui n'ont pas la même maîtrise que celle que nous pouvons avoir dans nos sociétés.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : Dans notre population, je pense notamment aux personnes handicapées mentales.

M. Jean Parrot : Vous avez tout à fait raison, mais, pour le moment, ce n'est pas encore très avancé. En tout cas, je n'ai pas de statistiques sur les implants.

Nous avons essayé de mettre en place le préservatif féminin en pharmacie. Cela n'a pas été très bien accueilli. Il faut dire, tout d'abord, que le prix était dissuasif. Ensuite, son usage n'est pas vraiment pratique, il faut bien le reconnaître. Si vous entrez en discussion avec des jeunes femmes qui peuvent vous donner leur expérience du vécu de cette pratique, les quelques échos que vous en aurez ne sont pas du tout favorables à l'usage des préservatifs féminins.

Pour autant, il existe. Il est certainement bien conçu et répond très bien à ce pourquoi il est fait. Je pense que, dans certaines populations, il faut qu'il soit vulgarisé. Quand ce n'est pas le désir du conjoint de mettre un préservatif, il faut bien trouver une solution et que ce soit l'autre qui se protège.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : Qui protège les deux.

M. Jean Parrot : Le marché des préservatifs masculins est plutôt en baisse en officine. Mais cette baisse ne signifie pas forcément que le marché global soit en baisse, puisque, comme vous le savez, il n'existe pas de monopole sur ce marché. D'autres circuits que le réseau pharmaceutique - les associations, les grandes surfaces - permettent aussi d'en acquérir. Mais pour nous, globalement, de 2000 à 2001, nous sommes passés de 3,7 millions à 3,4. Sur un an, nous avons perdu près de 10 %.

Les préservatifs sont considérés comme des articles d'hygiène et non comme des médicaments. On peut se poser la question de la qualité de certains dispositifs, qui, normalement, doivent être soumis au marquage CE et correspondre à un cahier des charges précis. Dans les pharmacies, nous avons eu à nous mettre aux normes CE, il y a quelques années, ce qui a entraîné la disparition de tous les stocks que nous avions. Je ne sais pas comment cela se passe dans les autres circuits de distribution, car cela ne fait pas partie de notre champ d'activité.

Le patch est certainement un bon outil pour l'avenir. Il faudra simplement faire très attention à sa diffusion. En effet, la diffusion du produit ne se fait pas de la même façon, selon la qualité de réalisation du patch. Il faudra donc des cahiers des charges très stricts et une conformité absolue, sans cela la diffusion hormonale ne sera pas identique. Selon les procédés de diffusion, selon que ce sera des filets osmotiques, des gels ou simplement un plaquage genre gomme, la diffusion ne s'opérera pas de la même façon. Il faut faire des essais indépendants de chaque sorte de patch, mais encore faut-il qu'ils soient dosés, non pas en fonction de la quantité d'hormones contenue dans le patch, mais en fonction de celle diffusée par le patch. Les études d'évaluation seront donc très difficiles à réaliser. De plus, son utilisation nécessitera un véritable suivi hormonal des charges hormonales diffusées. Un élément supplémentaire est à prendre en compte : je ne suis pas sûr que la totalité des individus réagissent de la même façon. L'épaisseur de la peau des blonds n'est pas la même que celle des peaux mates et, pour les populations noires et asiatiques, c'est sans doute encore très différent. L'élaboration de ces patchs sera donc très délicate.

Ma réflexion sur ce sujet vient du fait que l'on utilise déjà le patch pour les traitements de la ménopause. Beaucoup de produits existent, soit mono-hormonaux, soit bi-hormonaux, chargés soit uniquement en progestérone, soit en progestérone plus _stradiol. Selon la composition du dispositif, les personnes réagissent plus ou moins aux patchs hormonaux qu'on leur prescrit. Il faudra donc, dans le cadre de la transposition du patch pour la contraception, que le sujet soit bien étudié.

En ce qui concerne l'IVG médicamenteuse, nous sommes prêts à jouer notre rôle. Pour l'instant, le RU est dispensé par les hôpitaux. Il faudra que les autorités réfléchissent à la question de son accès en ville.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : Dans le cadre de la nouvelle loi sur l'IVG, à partir du moment où sont mis en place des réseaux de soins et de santé entre médecins de ville et centre hospitalier, cela signifie qu'il faudra modifier le classement du RU.

M. Jean Parrot : Nous n'y sommes absolument pas opposés. Les pharmaciens sauront aussi bien gérer ce produit, qui ne présentera pas plus de risques que d'autres médicaments dispensés aujourd'hui par les pharmaciens, qui jouent très bien leur rôle. De toute façon, nous serons dans le cadre d'un vrai suivi médical, puisqu'il y aura eu prescription avant et qu'il y aura un suivi. Cela ne se fera pas sans équipe médicale.

En ce qui concerne le stérilet, il est vraiment regrettable qu'il n'y ait pas eu davantage de concertation préalable lorsqu'il a été décidé de le mettre d'autorité à 140 francs. Le prix alors demandé - 300 francs - a été jugé excessif. Or, à mon avis, le stérilet était la méthode contraceptive qui coûtait le moins cher, puisqu'il est mis en place pour deux ou trois ans.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : En moyenne, deux ans. Cela fait 150 francs par an.

M. Jean Parrot : Par ailleurs, les femmes qui l'utilisent ont un confort de vie et une liberté d'esprit qui, s'il est supporté, en fait un outil très intéressant, qui, de plus, permet de traiter des catégories de femmes parfois difficiles à éduquer. Dans mon quartier, beaucoup de femmes du Maghreb, par exemple, utilisent ce moyen qui leur permet d'avoir une contraception à l'insu de leur mari. Pour elles, c'était une bonne solution qu'elles arrivaient toujours à payer. On trouvait des solutions et, finalement, ce n'était pas cher par rapport à la durée d'utilisation.

Personne ne s'est plié à la décision nous imposant un prix de 140 francs. Pourquoi ?

Il faut savoir que le pharmacien achète, en général, cet article entre 180 francs et 220 francs, selon les laboratoires. Le prix d'achat par le pharmacien du Nova T, le plus vendu puisqu'il représente la moitié du marché, est de 220 francs. Après application du taux de TVA à 19 %, et non 5,5 % ou 2,1 % comme pour les médicaments, on obtient un prix de 270 francs. Il faut ensuite que le pharmacien prenne une marge. Qu'il prenne 15 ou 20 %, et nous sommes autour de 300 francs. Comment voulez-vous qu'il puisse le facturer 140 francs ?

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : L'objectif du ministère était de faire baisser le prix de vente par le laboratoire.

M. Jean Parrot : Il faut donc faire baisser le prix du fabricant. J'aurais apprécié que l'on démonte la filière et qu'on la remonte, comme on a pu le faire quand on a mis en place le Stéribox pour les toxicomanes. On a clairement dit que c'était un problème de santé publique : on a donc réduit la marge de tous les intervenants, mais on a aussi donné quelque chose à tous. Les pharmaciens ont accepté d'avoir 1,5 franc par boîte ; les grossistes d'avoir 40 centimes par boîte et les fabricants de le réaliser pour 5 francs. Quand on additionne le tout, on le vend à 7 francs et personne n'est lésé. Tout le monde l'est, en fait, puisque personne n'a de véritable marge, mais chacun a un pourcentage, ce qui fait qu'il n'y a pas de rejet.

Or, pour le stérilet, nous allons encore arriver à un blocage et je sais très bien que, comme c'est une vente anecdotique, certains confrères n'en vendront pas. Car il faut bien reconnaître que nous n'en délivrons pas beaucoup. Pour vous donner des chiffres, nous en délivrons actuellement 320 000 boîtes, contre 350 000 boîtes par an auparavant. Ramené à 23 000 officines, cela fait à peu près une boîte par mois par officine. Il existe de plus une douzaine de marques différentes. Certes, quatre font la quasi-totalité du marché, et les autres sont confidentielles. Donc, les pharmaciens les vendront sur commande, s'ils les vendent.

On a abouti à une impasse, parce que l'on n'a pas mis tous les acteurs autour d'une table. Or, nous avons l'habitude de le faire. Une étude comme celle sur le Stéribox a été initiée par l'Ordre. C'était l'époque où nous avions une ministre, Mme Michèle Barzach, médecin et gynécologue elle-même, qui s'était beaucoup investie pour que l'on passe à un autre système que celui de l'interdiction de vente des seringues en pharmacie.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : Elle a été très courageuse.

M. Jean Parrot : Oui, elle était très courageuse, mais elle nous avait fait exécuter un virage à 180°. Je puis vous dire qu'à l'époque, je l'avais fait avec bien des difficultés. Dans la profession, nous nous étions fait beaucoup critiquer. Nous avions reçu des volées de bois vert. Mais nous l'avions fait ! Et je crois que les pharmaciens, sur le principe du Stéribox et de la prise en charge du toxicomane, ont bien accepté de jouer le jeu et d'assumer un rôle social.

Pour en revenir au stérilet, il faut recommencer. Ce n'est pas comme cela qu'il faut faire.

Je peux vous adresser le contenu de notre livret sur le Norlevo dès que nous l'aurons validé.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : J'insiste vraiment sur le mythe du 14ème jour du cycle.

M. Jean Parrot : Je ne sais pas comment ce point a été traité. Nous pouvons peut-être encore agir sur le contenu du livret que nous avons rédigé, bien entendu, avec des gynécologues et des professionnels compétents en ce domaine.

Je voudrais aborder un point supplémentaire, celui de la nécessité d'avoir une meilleure lisibilité en termes de prévention.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : Je vous l'accorde. Il faudrait que nous ayons une politique de prévention qui puisse se décliner par sexe et par âge. Je connais moins les problèmes des hommes, mais je vois que, de la contraception à l'IVG en passant par la détection du cancer du sein, l'ostéoporose et la ménopause, une véritable politique de prévention reste à décliner.

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