ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 9

18 décembre 2001

(17 heures)

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

SOMMAIRE

 

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Auditions sur le thème "femmes et bioéthique" :

- Mme Brigitte-Fanny Cohen, journaliste à France 2

- Mme Françoise Héritier, professeur honoraire au Collège de France

- Mmes Madeleine Dayan-Lintzer, gynécologue, et Sylvie Epelboin, gynécologue-obstétricien à l'hôpital Saint-Vincent de Paul

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Brigitte-Fanny Cohen, journaliste à France 2.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Brigitte-Fanny Cohen, journaliste et spécialiste des questions médicales sur France 2, où elle présente la chronique santé de "Télématin" et collabore au magazine "Envoyé spécial".

Nous avons souhaité vous entendre dans la perspective de l'examen, en janvier prochain, du projet de loi relatif à la bioéthique, car vous venez de publier un ouvrage intitulé "Un bébé, mais pas à tout prix - Les dessous de la médecine de la reproduction" dans lequel, à partir de votre longue expérience de l'assistance médicale à la procréation, vous mettez en garde les femmes souffrant d'infertilité contre une médicalisation à outrance de cette démarche.

Vous dénoncez un certain nombre de pratiques abusives, notamment en ce qui concerne les stimulations ovariennes, le manque de transparence quant à l'information dispensée aux couples, et notamment aux femmes, et, au-delà des progrès, voire des prouesses scientifiques des techniques d'AMP, la toute-puissance de ce que vous dénommez - et vous n'êtes pas la seule à le faire - "le pouvoir médical".

Nous souhaiterions donc vous interroger concrètement sur l'AMP, telle que vous l'avez vécue, aussi bien sur les immenses espoirs soulevés que sur les dysfonctionnements que vous avez pu déceler.

Nous aimerions en savoir plus, notamment sur les conditions d'accueil de la femme, du couple, à l'hôpital, dont vous dites qu'elles ne sont pas bien assurées. Vous soulignez l'insuffisance de l'information médicale sur les procédés et les examens imposés, particulièrement pénalisants pour le corps des femmes et perturbants pour l'organisation de leur vie quotidienne, entre l'hôpital et le travail.

Vous dénoncez également l'insuffisance de la prise en charge psychologique - encore qu'à mon avis l'adjectif soit très restrictif - de la femme et du couple qui, dans leur désir d'enfant à tout prix, sont confrontés au problème de l'infertilité, ensuite aux épreuves et aux échecs de l'AMP, avant un hypothétique succès.

Les protocoles passés entre patients et médecins imposent souvent des traitements très lourds qui ne semblent pas toujours justifiés s'agissant, par exemple, de la stimulation ovarienne. Sont-ils souscrits en toute connaissance de cause ? Dans quelle mesure les risques d'accidents, d'effets secondaires et de complications, auxquels vous faites allusion dans votre ouvrage, sont-ils portés, selon vous, à la connaissance des patients ? Quelle appréciation portez-vous sur le coût de l'AMP, sachant qu'elle est prise en charge par la sécurité sociale sans aucun plafond, ce qui suscite "l'envie" de nos voisins britanniques, mais entraîne, du fait d'une offre médicale peut-être excessive, une lourde charge pour la collectivité.

Au terme de votre livre, vous critiquez très sévèrement les informations statistiques concernant les résultats de l'AMP, qui ne tiennent compte des différences, ni entre les centres, ni entre les catégories de patientes et évaluent les taux de réussite, en fonction, non pas du nombre de naissances de bébés normaux et vivants, mais en fonction du nombre de grossesses engagées.

Dans la technicité exacerbée de ces pratiques, ne voyez-vous pas un risque de "marchandisation" et d'exploitation du corps des femmes, avec les mères porteuses, le danger d'un trafic d'ovocytes et les recherches sur l'embryon ?

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Votre invitation constitue pour moi une occasion vraiment unique de livrer mon témoignage, différent de celui des médecins que vous avez pu rencontrer et qui ne portent pas le même regard que moi sur l'AMP.

En ce qui concerne l'accueil des couples, je dirai qu'il s'agit d'un aspect qui, pourtant important, reste quelque peu annexe à mes yeux. A l'occasion d'une enquête assez longue sur le don d'ovocytes, que j'ai réalisée pour le magazine "Envoyé spécial", j'ai pu rencontrer de nombreuses femmes en échec de FIV, ayant subi des années de traitement. Certaines se plaignaient des conditions d'accueil et en déploraient les lacunes, y compris dans certains centres pourtant réputés. Les femmes se sentent, selon leur propre expression, un peu traitées comme "du bétail". Personnellement, j'ai eu la chance d'être suivie dans un centre de taille plutôt modeste, à la périphérie de Paris, où il y avait donc moins de patientes, moins d'attente et où la prise en charge incombait aux infirmières, plutôt gentilles et sympathiques.

Tel n'est pas le cas partout et les conditions d'accueil varient selon les centres : quand une vingtaine de femmes attendent pour une prise de sang, le stress, l'attente ne sont pas les mêmes que lorsqu'elles sont plus du triple, dès le matin. Il est indéniable que pour les femmes qui ont à souffrir, en plus de tout le reste, d'un accueil ne répondant pas à leur attente, d'un manque de compréhension, qui lisent dans le regard du personnel soignant une forme de dévalorisation ou qui se sentent traitées comme du bétail, la démarche est encore plus difficile. Pour autant, j'ai été plus choquée encore par le manque d'information des couples et c'est pourquoi j'ai mis l'accent sur ce point dans mon livre.

La loi du 29 juillet 1994 impose d'informer les couples de la pénibilité des traitements. Le 12 janvier 1999, un arrêté publié au Journal Officiel demande aux équipes médicales de prévenir les couples des risques potentiels des traitements, ce qui montre qu'une évolution s'est produite dans l'intervalle.

Pour ma part, j'ai été traitée entre 1997 et 1998, et j'ai commencé à suivre les traitements sans en avoir une vision exacte et complète, notamment en ce qui concerne la stimulation ovarienne. J'ai donc subi, des effets secondaires et des complications, dont l'éventualité aurait du m'être exposée dès le départ.

Ces effets secondaires, décrits dans de nombreuses études scientifiques, sont de plusieurs ordres : comme tout médicament, les hormones utilisées peuvent, avoir des effets secondaires indésirables, mais elles peuvent aussi entraîner des complications, répertoriées dans certaines revues. Mais ces complications ne font pas toujours l'objet de publications - toutes les équipes ne font pas état des problèmes qu'elles peuvent rencontrer dans la littérature médicale - si bien que l'on ne connaît qu'une partie de l'ampleur des complications consécutives aux FIV. Ces hormones peuvent également engendrer des risques potentiels encore mal évalués, dans la mesure où des zones d'ombre subsistent, notamment en ce qui concerne un risque infectieux lié à la fabrication des hormones et un risque de cancer du sein ou des ovaires consécutif à de nombreuses stimulations : des études ont soulevé ce dernier problème, mais rien n'est vraiment démontré.

Certaines hormones pourraient en effet contenir un agent infectieux, un prion : en théorie la chose est possible même si, en pratique, aucun cas, fort heureusement, n'a été répertorié. La question est également posée de savoir si les nouvelles hormones dites "recombinantes" ne peuvent pas, elles aussi, être contaminées : elles sont fabriquées à partir de cellules d'ovaires de hamsters chinois, lesquelles sont mis en culture dans de l'albumine bovine - en principe issue de troupeaux de pays épargnés par la maladie de la vache folle - , mais rien n'est exclu.

Dans ces conditions, je souhaiterais que la nouvelle loi relative à la bioéthique comporte une véritable exigence par rapport à l'information des couples et que les équipes médicales, comme le demande d'ailleurs l'arrêté du 12 janvier 1999, informent réellement les couples sur les effets secondaires, qui sont quasiment systématiques - même si heureusement les femmes ne les subissent pas tous - , les complications et les risques potentiels. Même si ces derniers ne sont que théoriques, j'estime que les couples doivent en être tenus informés avant de s'embarquer dans cette aventure que représente l'AMP.

En effet, ces couples doivent, à mon sens, être plus informés encore que tous les autres patients, dans la mesure où ils ne sont précisément pas malades, mais en bonne santé, et où l'infertilité n'est pas définie comme une maladie.

Dans tout traitement, on étudie le rapport bénéfices/risques. Dans ces cas, où l'on a affaire à des personnes bien portantes, il conviendrait donc plus que jamais d'obtenir un véritable consentement éclairé. Dans le domaine de l'AMP, il me semble que l'expression "consentement éclairé" doit prendre toute sa valeur, compte tenu du fait que les intéressés ne souffrent pas d'une maladie mettant leurs jours en péril.

L'idéal serait que l'information soit donnée par le médecin qui prescrit le traitement de FIV. Si je parle d'idéal, c'est parce que je suis consciente que ces médecins n'ont pas toujours le temps, ni l'envie de le faire. Certains délèguent cette tâche, des équipes organisent des réunions, auxquelles les couples sont tenus d'assister avant de commencer le traitement, alors que d'autres les laissent facultatives ou que d'autres encore ne prévoient absolument rien - notamment dans le secteur privé - laissant l'information se faire au coup par coup, au gré des questions que posent les patientes.

Pourtant, pour communiquer cette information, il m'a fallu écrire un livre, ce qui prouve combien elle est dense et demande à être diffusée avec tact. Il ne s'agit en aucun cas de paniquer les couples ou de les décourager, mais plutôt de leur permettre d'entreprendre "le parcours du combattant" en toute connaissance de cause et d'être en mesure d'affronter les effets indésirables des médicaments ou d'éventuelles complications, comme l'apparition de kystes ovariens nécessitant une opération, ce qui m'était arrivé.

Certaines équipes informent les patientes avec éthique et loyauté, mais elles ne le font pas toutes et je pense que l'éthique médicale devrait conduire toutes les équipes de FIV à améliorer la qualité de l'information. En conséquence, je souhaiterais que la nouvelle loi puisse préciser les modalités d'un consentement éclairé dans le cadre de l'AMP.

En ce qui concerne les stérilités non expliquées, je souhaiterais qu'au moment de la révision de la loi, qui va conduire à s'interroger sur des questions très complexes, comme le statut de l'embryon par exemple, les députés se posent une question fondamentale : à qui doit-on réserver les FIV, quelles sont les vraies indications des FIV ?

La réponse à cette question devrait, selon moi, être inscrite dans la loi. Pourquoi ? Parce que si cette technique a été créée au départ pour des femmes dont les trompes étaient bouchées ou absentes, les indications se sont progressivement élargies : j'en suis une preuve vivante, et je ne suis pas la seule. On inclut dans des protocoles de FIV des femmes dont l'infertilité est tout à fait mineure ou inexpliquée. Il convient donc de savoir si elles ont besoin de recourir à une FIV. C'est une question qui me semble d'autant plus légitime que tous ces traitements hormonaux ayant pour objectif de stimuler l'ovulation ne sont pas dénués de risques, d'apparition d'effets secondaires, de complications ou d'autres dangers, sans parler des risques de grossesses multiples, des recours aux réductions embryonnaires, des dégâts psychiques pour des couples très souvent malmenés par ces traitements...

En outre, de très nombreuses femmes en échec de FIV, mais aussi d'autres tout aussi nombreuses ayant eu un bébé éprouvette, ont par la suite des bébés de façon tout à fait naturelle, sans aide médicale. Nous en connaissons tous et je voudrais vous raconter cette histoire : à partir du moment où j'ai rencontré une association spécialisée dans l'adoption qui m'a vraiment promis que mon dossier serait traité rapidement et que j'allais pouvoir adopter un bébé venant de Russie, je me suis trouvée beaucoup plus sereine, j'arrivais au terme de mon combat et une grossesse a pu survenir tout à fait naturellement. J'ai ainsi pu expliquer à la présidente de cette association "De Pauline à Anaelle" qu'à mon avis, après avoir reçu l'assurance que j'allais être maman, j'avais retrouvé ma sérénité, que tout s'était remis en place dans ma tête et que c'est ce qui avait probablement rendu une grossesse possible.

Quelques mois plus tard, nous nous sommes revues. Elle m'a confié alors qu'elle faisait très attention à ce que je lui avais dit ; désormais, quand elle traitait un dossier d'adoption, elle rassurait les intéressés et, de la sorte, six grossesses avaient pu se déclarer depuis le début de l'année. Je lui ai répondu que, compte tenu du caractère très restreint du nombre d'adoptions auquel elle procédait, elle obtenait des résultats statistiquement meilleurs que certains centres de fécondation in vitro français.

A propos des stérilités inexpliquées, j'ajouterai seulement deux chiffres : en 1989, les stérilités inexpliquées étaient à l'origine de 10 % des FIV ; en 1999, elles sont à l'origine de 19 % des FIV. Cela représente un bond sans précédent, alors même qu'une partie des gynécologues se pose la question de savoir s'il est vraiment légitime de mettre ces femmes à la stérilité inexpliquée en protocole de FIV. C'est notamment le cas de très nombreux gynécologues de ville qui, publiquement, médiatiquement, ne prennent pas beaucoup la parole, mais qui ne sont pas toujours en accord avec le monde des "fivistes".

Pourquoi ces stérilités dites "inexpliquées" ne sont-elles pas, d'abord, prises en charge par un psychologue ? Beaucoup de centres disposent d'un psychologue attitré ; alors, comment se fait-il que tous les couples ne les rencontrent pas ?

J'en ai parlé avec de nombreux médecins "fivistes" qui ont argué que s'ils proposaient d'emblée aux couples de rencontrer un psychologue, ceux-ci protesteraient qu'ils ne sont pas fous, ce à quoi je réponds qu'il faut toujours essayer.

Ne conviendrait-il pas, par ailleurs, en cas de stérilité inexpliquée ou de stérilité mineure, d'envisager un délai d'attente, à calculer éventuellement en fonction de l'âge du couple et d'autres impératifs médicaux avant d'envisager une FIV ?

Si, dans certains centres, les listes d'attente sont longues et si les couples mettent longtemps, avant de se voir prescrire une FIV, ce n'est pas une généralité : la légende veut qu'il faille attendre des mois et des mois avant d'avoir accès à cette possibilité, alors que si l'on frappe à la porte de centres privés ou de cabinets de médecins privés travaillant dans des cliniques, les délais d'attente sont peu importants, notamment en région parisienne.

Dès 1994, le Comité consultatif national d'éthique mettait en garde contre une telle précipitation dans ces termes : "L'AMP connaît une extension importante. De nouvelles techniques se développent et les indications s'élargissent dans un climat favorisant une certaine précipitation à traiter des infécondités dont la durée et le bilan préliminaire ne justifient pas toujours une intervention". Huit ans plus tard, cette mise en garde reste d'actualité.

Il est un autre point dont, d'une manière ou d'une autre, il devrait être tenu compte dans la révision de cette loi : les véritables chances de succès des fécondations in vitro.

Les statistiques de réussites sont parfois présentées avec une certaine malhonnêteté. Quand, par exemple, un médecin déclare à un couple qu'il obtient 33 % de réussites, cela ne signifie pas qu'à chaque tentative de FIV, le couple aura 33 % de chances de repartir avec un enfant ; il n'en aura peut-être que 17 % ou 18 % en fait. Je m'explique longuement dans mon livre sur la manipulation de ces chiffres, mais, pour résumer mon argumentaire, je dirai que certaines équipes parlent de taux de réussite en fonction du nombre de naissances d'enfants - c'est ce qui paraît le plus normal et ce que demandait le Comité national d'éthique en 1994 - alors que d'autres parlent de réussites de FIV en fonction de la positivité du test de grossesse ; or, il faut savoir que ce test intervient douze jours après la réimplantation des embryons et qu'il arrive qu'il soit positif, mais que, quinze jours plus tard, un deuxième test de confirmation se révèle négatif, le premier ne correspondant qu'à l'amorce d'un début de grossesse qui s'est transformée en fausse-couche spontanée. De nombreuses grossesses naturelles évoluent de la même façon, mais les femmes ne sont pas soumises à des tests de grossesse précoces et le plus souvent elles ne s'en aperçoivent même pas.

Parler de la réussite des fécondations in vitro sur la base de tels tests de grossesse ultra-précoces ne me semble donc pas très honnête et c'est pourquoi il faudrait prévoir une certaine harmonisation des taux de réussite, quitte peut-être à parler, comme le font les Américains, du take home baby pour ne prendre en compte que les chances de rentrer chez soi avec un bébé ; en effet, les couples ne viennent pas faire des FIV pour obtenir un nombre important d'ovocytes ou d'embryons, mais pour avoir un bébé.

Chaque équipe médicale est tenue d'envoyer ses résultats au ministère de la santé. Or, le ministère de la santé ne les communique pas au public. Pourtant, certaines équipes sont plus performantes que d'autres. Comment peut-on continuer à laisser les couples s'orienter à l'aveuglette vers telle ou telle équipe médicale ou laisser les gynécologues de ville ignorer - je le sais par expérience - quelle équipe, proche du domicile du couple, est la plus performante. Souvent c'est la réputation qui prime, alors qu'elle n'est pas toujours le reflet de la réalité. Certains centres ne font pas parler d'eux dans les média et obtiennent de bons résultats.

En conséquence, la nouvelle loi pourrait exiger plus de transparence.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : L'une des tâches de l'Agence de la procréation pourrait être d'harmoniser les résultats des statistiques de réussite - en tenant, bien entendu, compte de l'âge des intéressées, puisque l'on peut obtenir de meilleurs résultats en éliminant les patientes de plus de trente-sept ans - et de communiquer les statistiques. De la sorte, son regard ne porterait pas uniquement sur la recherche, mais également sur l'accréditation des équipes d'AMP.

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Effectivement, puisque le ministère de la santé ne l'a pas fait jusqu'à présent, cette nouvelle Agence de la procréation pourrait travailler un peu comme le Center of diseases control (CDC) dont le site internet délivre toutes les informations. Les résultats de chaque centre y sont affichés clairement en fonction, d'abord du nombre de naissances d'enfants nés vivants et en bonne santé, ensuite de l'âge de la femme, du type de stérilité, étant entendu que l'on ne traite pas aussi facilement une patiente jeune à l'ovulation parfaite, dont les trompes sont simplement bouchées, et un femme de quarante-et-un ans souffrant d'un problème inexpliqué.

Il est très important d'obtenir une réelle transparence, comme c'est le cas aux Etats-Unis.

Mme Yvette Roudy : Pour ma part, je suis très étonnée de la composition de l'Agence de la procréation. Y siégeront des personnalités désignées, en raison de leur autorité et de leur compétence, par le président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat - c'est ce qui se fait toujours classiquement : il en va de même pour la composition du Conseil constitutionnel - ; des personnalités compétentes dans les domaines des sciences de la vie, nommées par le ministre chargé de la santé et par le ministre chargé de la recherche ; des membres du Parlement - on en ignore le nombre, peut-être un ou deux - ; un membre ou un ancien membre du Conseil d'Etat ; un conseiller ou un conseiller honoraire de la Cour de cassation ; un membre du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé ; des représentants d'associations de malades et d'usagers du système de santé. Alors même qu'il ne s'agit pas de malades, une telle composition est très choquante. Il faut que cette commission intègre des représentants de la société civile.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il faut obtenir la parité entre les hommes et les femmes d'une part, entre les scientifiques et la société civile d'autre part.

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Il me semble aussi nécessaire que les représentants de cette Agence de la procréation soient des personnalités réellement indépendantes.

Je ne vous apprendrai rien en vous disant que de nombreux acteurs de l'AMP sont liés aux laboratoires pharmaceutiques qui fabriquent les hormones. Il s'agit là d'un marché colossal et il faut savoir que ces laboratoires financent des congrès auxquels participent de très nombreux fivistes ; en d'autres termes ils financent leur formation continue. Comme dans tous les autres domaines de la médecine, les laboratoires financent également des études, des projets de recherche et des associations de patients.

Cela me conduit à poser la question de l'indépendance des personnes qui vont siéger dans cette Agence. Il est particulièrement important qu'elles soient indépendantes, sachant que certaines voix, actuellement minoritaires, s'élèvent contre les stimulations hormonales systématiques et envisagent de pratiquer des FIV sans avoir recours à de telles substances, notamment des FIV sur cycles spontanés, pour les femmes qui ne présenteraient pas de problèmes d'ovulation.

L'un des objectifs de cette Agence de la procréation étant de rendre des avis sur des demandes d'autorisation de protocoles de recherche, il ne faudrait pas que de tels protocoles se trouvent refusés, au motif que l'Agence se montrerait trop complaisante à l'égard de l'industrie pharmaceutique.

Il n'en reste pas moins que j'estime que cette Agence pourrait effectivement accomplir un travail formidable en matière de transparence au niveau des centres et de leurs résultats.

Mme Yvette Roudy : Vous parlez de "dictature médicale" : c'est ce qui justifie que vous mettiez l'accent sur l'information ?

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Oui, je considère que se voir prescrire des traitements qui ne sont pas anodins, qui ne sont pas dénués de risques de complications, sans disposer d'une véritable information et a fortiori sans souffrir d'une véritable stérilité, mais d'une infertilité mineure, est une forme de dictature médicale. C'est pourquoi j'aimerais que l'on protège les femmes, qui vont être soumises à ces traitements dans leur chair, par une meilleure information.

Je ne veux pas dire qu'elles doivent refuser ces traitements, mais qu'elles doivent être mieux informées.

A cet égard, j'aimerais que soient particulièrement protégées les donneuses d'ovocytes. En effet, comme je vous l'ai dit antérieurement j'ai réalisé pour le magazine "Envoyé spécial" un reportage de 52 minutes, diffusé en avril 1999 et tourné au cours de l'année précédente. A cette occasion, j'ai enquêté sur le don d'ovocytes, non seulement en France, mais également à l'étranger. Pour la partie française de l'enquête, j'ai suivi une femme et sa donneuse, et j'ai compris que cette dernière n'était absolument pas informée de la possibilité de complications du traitement hormonal. Elle n'avait jamais entendu parler des cancers hormono-dépendants, elle ignorait totalement que le traitement pouvait donner lieu à des complications et elle ne l'avait accepté que guidée par sa seule générosité et afin d'aider son amie, qui avait besoin d'un don anonyme. Cette déficience d'information de la donneuse me paraît totalement anormale, d'autant, encore une fois, qu'il s'agit de personnes en bonne santé et déjà mères d'au moins un enfant ; elles ne subissent pas ces traitements pour elles, mais pour que d'autres puissent avoir un bébé.

Un des biologistes que j'avais interviewé m'avait d'ailleurs confié hors caméra que sa grande hantise était qu'une donneuse fasse un syndrome d'hyperstimulation.

Une femme m'avait raconté que, ménopausée précocement, elle avait demandé à l'une de ses amies de lui donner des ovocytes, toujours en vue de bénéficier d'un don anonyme dans un hôpital français. En voyant son amie souffrir d'une complication ayant nécessité l'ablation de kystes ovariens, elle avait nourri à son égard un tel sentiment de culpabilité, alors même qu'aucune des deux femmes n'avait été informée de ce risque, qu'elle avait demandé à ce que soit détruit son dernier embryon congelé et avait jugé préférable de se tourner vers l'adoption pour ne plus entendre parler de FIV.

Je souhaite donc ardemment que la nouvelle loi définisse les modalités de l'information des donneuses, dont je pense qu'elles doivent être, en quelque sorte, "surprotégées", c'est à dire très informées. Il faut souligner que le don d'ovocytes est complexe. Je suis sortie de cette enquête, qui a duré presque deux ans, avec beaucoup plus d'interrogations que de réponses.

Certaines femmes, par exemple, se présentent comme des donneuses potentielles avec leur amie stérile en vue d'un don anonyme en France - dans la pratique, chaque femme doit apporter sa donneuse, dans la mesure où, à la différence du don de sperme, il n'y a pas de don d'ovocytes spontané - après avoir subi une pression psychologique. Il est en effet très dur, quand vous êtes sollicitée pour un don par votre s_ur ou votre amie stérile, d'avoir le courage de refuser.

Heureusement, il existe tout un processus qui permet d'éliminer les donneuses qui, au fond d'elles-mêmes, n'en ont pas tellement envie, mais qui finissent par accepter sous la pression de la famille ou des amies. Il n'en reste pas moins que mon expérience de journaliste m'a montré que certaines donneuses, pas totalement convaincues, finissent par passer à travers les mailles du filet de la consultation avec le ou la psychologue du service. Il est notamment assez fréquent, aux dires mêmes des médecins, que certaines femmes ayant donné leur accord pour offrir des ovocytes, soit n'ont plus de règles, soit se retrouvent enceintes avant que ne débute le traitement de stimulation, de telle sorte que le projet tombe à l'eau.

Cela illustre le fait qu'elles ont été acceptées comme donneuses, mais que le psychologue n'a pas eu le temps de décoder tous les non-dits, tous les tiraillements suscités par le don d'ovocytes. Il conviendrait donc que toutes ces femmes qui se présentent comme donneuses pour aider une amie ou une s_ur puissent bénéficier d'un soutien un peu plus dense que ce n'est actuellement le cas. Le don est en effet une démarche infiniment complexe et il faut pouvoir protéger les femmes victimes de pressions morales, mais qui, au fond d'elles-mêmes, n'ont pas envie de s'embarquer dans cette histoire.

Compte tenu du cadre très strict qui le régit et du nombre très restreint de donneuses, les résultats en France sont très médiocres. Selon les chiffres du Groupement d'études sur le don d'ovocytes (GEDO), en 1999, sur cent femmes ayant eu une implantation d'embryons, et ayant donc reçu des ovocytes fécondés avec le sperme de leur conjoint, seules sept femmes ont pu avoir un enfant. Ces statistiques me conduisent à poser la question suivante : doit-on encore, pour des chances de succès aussi infimes, laisser des couples et des donneuses s'embarquer dans une aventure aussi complexe, médicalement et psychologiquement parlant ?

Mme Yvette Roudy : Et coûteuse de surcroît.

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Quel autre remède pourrait s'imposer aujourd'hui en France et obtenir une autorisation de mise sur le marché avec 90 % d'échecs et de multiples effets secondaires, voire des complications ?

Mme Yvette Roudy : Le don d'ovocytes étant chez nous assimilé au don d'organes , il est très encadré, mais comme à l'étranger, il n'y a pas de réglementation, il y a un marché.

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Oui, je l'ai d'ailleurs montré dans mon reportage. Certains couples partent aux Etats-Unis acheter leurs ovocytes. Un médecin canadien vient une ou deux fois par an à Paris, descend dans un hôtel proche de l'Opéra, reçoit les couples envoyés par l'association "Pauline et Adrien" et leur fait choisir des donneuses sur catalogue en fonction du physique qu'ils souhaitent pour leur enfant.

Chaque rendez-vous dure en moyenne trois quarts d'heure ou une heure. Les couples qui veulent un don d'ovocytes et qui, soit n'ont pas de donneuse, soit ont dépassé l'âge limite, puisque, au-delà de trente-neuf ou quarante ans, on n'accepte pas les femmes en don d'ovocytes dans les services français, peuvent le rencontrer, lui parler de leurs problèmes d'infertilité, des modalités et du prix du traitement dans sa clinique de Toronto.

Les donneuses sont des femmes américaines, parce qu'il est interdit de faire de la publicité au Canada pour le don d'ovocytes et qu'il est donc plus facile de les recruter dans les journaux américains. Pendant qu'elles subissent un traitement de stimulation, le couple reste en France et quelques jours avant de recueillir les ovocytes, on lui fixe rendez-vous au Canada, où le monsieur donne son sperme et où l'on pratique la FIV avant d'implanter l'ovocyte fécondé dans l'utérus de la dame.

Les chances de succès sont beaucoup plus élevées qu'en France, d'abord parce que l'on n'a pas recours à la congélation, ce qui permet d'implanter un plus grand nombre d'embryons, ensuite parce que les donneuses sont généralement des femmes jeunes, fertiles et généralement déjà mères d'un ou deux enfants.

Mme Yvette Roudy : Combien revient, pour le couple, le traitement de stimulation de la donneuse, ses frais de déplacement, qu'elle doit probablement percevoir sous la forme d'une indemnité globale ?

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Avec les frais de clinique, les honoraires du médecin, les annonces de recrutement, le prix oscillait entre 100 000 F et 150 000 F. Ce tarif n'incluait ni les frais de voyage, ni les frais d'hôtel.

Mme Yvette Roudy : Ce n'est pas si cher si l'on veut bien considérer l'importance de l'équipement médical nécessaire.

Mme Brigitte-Fanny Cohen : C'est un tarif qui me paraît excessif, surtout quand on sait qu'en Belgique, la même opération, si l'on vient avec une donneuse, coûte environ 30 000 F. Mais, dans ce cas, la donneuse réside en France et subit un traitement de stimulation qui, bien qu'il soit interdit dans le cadre du don d'ovocytes direct, est remboursé par la sécurité sociale. Ce n'est qu'une fois prête pour le déclenchement de l'ovulation qu'elle part avec le couple concerné en Belgique pour le reste du processus.

Mme Yvette Roudy : De toute façon, en France, le don d'ovocyte doit être gratuit et anonyme.

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Oui, puisqu'en France on vient avec sa donneuse.

Mme Yvette Roudy : Qu'en est-il alors de l'anonymat ?

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Il est totalement préservé, car si je veux un ovocyte, j'amène une donneuse avec moi, étant entendu qu'elle ne donne pas pour moi, mais pour une femme anonyme traitée dans le même service. Il est ainsi procédé à une sorte de redistribution des ovocytes.

Avant de terminer, je voudrais vous dire très rapidement quelques mots sur l'adoption.

La loi de 1994 est très claire sur ce point et indique que les membres de l'équipe médicale doivent envisager cette possibilité avec les couples lors d'entretiens préliminaires, avant même de commencer les traitements, ce qui peut même paraître excessif compte tenu du fait que le couple entreprend à ce moment-là une démarche médicale avec un projet d'enfant biologique et qu'il peut ne pas être encore apte à envisager l'adoption.

La loi stipule en outre qu'on informe les couples sur les dispositions législatives relatives à l'adoption. Par expérience, je peux vous dire que la loi n'est absolument pas appliquée sur ce point, ce qui contribue sans doute à l'inflation des procréations assistées et au recours abusif aux dons d'ovocytes, qui, je le répète, sont des procédures compliquées et souvent vouées à l'échec.

En France, l'adoption souffre d'une image négative, en raison de la soi-disant longueur et complexité des démarches préalables, et l'AMP bénéficie d'une image positive, auréolée de réussite. La réalité est pourtant toute autre, puisque les chances de succès sont pratiquement de cent pour cent pour l'adoption et qu'elles sont beaucoup plus réduites pour l'AMP ; en effet, une femme de moins de trente-cinq n'a, au bout de six FIV, qui représentent au moins deux années de traitement, qu'une chance sur deux de repartir avec un enfant.

Mme Yvette Roudy : Ces chiffres très intéressants sont-ils vérifiés ?

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Oui, ils sont publiés par la FIVNAT.

Mme Yvette Roudy : Je pensais que seulement quatre FIV étaient remboursées par la sécurité sociale ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il n'y a plus de restriction aujourd'hui.

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Effectivement, parce qu'un couple ayant porté plainte a obtenu gain de cause, ce qui a fait jurisprudence.

Pour terminer avec ces chiffres, j'ajouterai que pour les femmes de plus de quarante ans, on n'enregistre au bout de six FIV que 5 ou 6 % de naissances.

En conséquence, il me semble que la nouvelle loi devrait mettre l'accent sur le devoir d'information concernant l'adoption et revaloriser l'image de celle-ci.

Le fait de mettre en garde les femmes et de les informer ne signifie pas qu'on leur interdit d'avoir un enfant. Ce sont deux choses totalement différentes et je crois qu'à un moment donné il faut leur donner, dans un parcours de FIV, la possibilité de réfléchir à leur désir d'enfant. Elles doivent réaliser si elles ont un désir d'enfant biologique ou un désir d'enfant tout court : je pense que, pour certains couples, les choses sont claires et qu'ils ont le courage de dire qu'ils veulent un enfant biologique ou rien, alors que pour beaucoup d'autres, leur vrai désir répond au besoin d'aimer un enfant, pas forcément un enfant issu de leurs gènes. Il ne faut donc pas brandir le drapeau de l'adoption en mettant en avant les difficultés et les complexités qu'elle peut comporter. Le chemin de l'adoption n'est pas toujours si ardu.

Moi qui ai entrepris les deux démarches, je peux vous dire qu'il m'a été beaucoup plus facile d'adopter un enfant que de suivre tout le parcours médical.

Mme Hélène Mignon : Face à l'adoption, l'homme et la femme sont égaux et se trouvent dans la même configuration par rapport à l'enfant, alors qu'il y a un déséquilibre dans la FIV.

Mme Brigitte-Fanny Cohen : On assiste effectivement à une sorte de gommage du rôle du père dans la médecine assistée, dans la mesure où c'est la femme qui subit les traitements et où l'homme n'est pas suffisamment incité à venir aux consultations. Cela étant, la situation est complexe car, dans la pratique, compte tenu du nombre de rendez-vous à l'hôpital, la femme peut mettre son emploi en péril. L'homme préserve le sien en ne l'accompagnant pas systématiquement.

Mme Hélène Mignon : En outre, dans le don d'ovocytes, le père peut dire un beau jour que, lui, est le vrai père, ce qui peut causer un décalage, même si je n'ai jamais vu le cas se produire. Cela peut créer une ambiguïté, selon l'évolution du couple.

Mme Yvette Roudy : C'est également vrai pour le don de sperme.

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Je partage votre point de vue et je n'aurais jamais accepté un don d'ovocytes. Autant pour des femmes soumises au drame de la ménopause précoce, à dix-huit ou vingt-cinq ans, le don d'ovocytes est un espoir, autant il est encore une épreuve difficile pour des femmes en échec de FIV, après trois ou quatre années de traitement. A un moment, il faut dire : "Stop" ! Je revendique, moi aussi, le droit à l'enfant, mais pas à tout prix.

Ma chance, c'est d'avoir, étant journaliste médicale et ayant fait une complication dès la première FIV, pu prendre du recul et enquêter sur les médicaments et les techniques. J'ai compris très vite qu'une stérilité inexpliquée ne trouvait pas forcément sa solution dans l'AMP. Cela a permis à notre couple de réfléchir à son désir d'enfant et d'être séduit par l'adoption. Avoir le projet d'adopter m'a certainement donné la force d'arrêter le parcours médical, mais tous les couples n'ont pas cette force, car ils n'ont pas d'autres projets. Cela donne lieu à quelques cas d'acharnement procréatif : des couples qui font dix ou douze tentatives de FIV.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : D'autant plus qu'on leur dit que les deux démarches sont incompatibles et que la DASS ne leur confiera jamais un enfant si elle apprend que le couple suit un traitement en vue d'une FIV.

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Il est cependant un peu choquant d'entendre certaines histoires : quand une de mes amies est allée voir au Cambodge un petit garçon qu'elle a adopté, elle a rencontré un couple, qui entreprenait la même démarche, mais qui n'est finalement pas venu chercher son enfant, parce qu'entre-temps la femme, qui poursuivait son traitement de FIV, est tombée enceinte de jumeaux. Elle a ainsi abandonné cet enfant cambodgien qu'elle avait déjà rencontré.

Autant je trouve logique d'entamer des démarches administratives en terminant un ou deux traitements de FIV décidés à l'avance, autant je trouve hallucinant de continuer à subir des FIV en sachant qu'un enfant vous attend à l'étranger.

Moi, je suis tombée naturellement enceinte au moment d'adopter. Nous avons eu deux bébés en cinq mois. La question ne s'est jamais posée à nous de poursuivre ou non les démarches d'adoption, mais les autres nous l'ont posée. Pour nous, il était tout à fait naturel de poursuivre notre démarche d'adoption : nous avons attendu avec impatience et amour cet enfant né en Russie, comme nous avons attendu l'enfant que je portais.

Mme Yvette Roudy : S'agissant de l'implantation de l'embryon post mortem, vous connaissez l'histoire de ce couple, à Toulouse, dont la femme n'a pu récupérer les embryons, après le décès du mari. Notre texte prévoit la même interdiction qu'en 1994, au motif qu'on ne peut pas faire d'enfants orphelins. Quelle est votre opinion sur ce point ?

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Je vais vous répondre très franchement. J'ai travaillé dans l'émission Savoir plus santé, dont une journaliste de l'équipe avait interviewé la femme en question. Or, à chaque fois que j'ai entendu cette interview, j'ai eu la chair de poule et les larmes aux yeux. Je trouvais terrible qu'on lui interdise de reprendre ses embryons et de pratiquer cette réimplantation, qui n'était d'ailleurs pas vouée totalement au succès, compte tenu des statistiques.

Mme Yvette Roudy : Nous allons tenter de supprimer cette interdiction qui reste inscrite dans le projet de loi. J'ai trouvé un argument : je trouve que cette décision va à l'encontre d'un principe inscrit dans la loi Veil qui dit qu'en dernier ressort c'est la femme qui décide. En la circonstance, je ne vois pas au nom de quoi on refuserait de lui restituer cette partie d'elle-même. La proposition que j'avais faite initialement était de lui demander de réfléchir et de ne pas prendre sa décision sous le coup de la douleur du deuil. Mais, nous allons avoir du mal à l'intégrer dans le texte du projet de loi.

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a ensuite entendu Mme Françoise Héritier, professeur honoraire au Collège de France.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Françoise Héritier, professeur honoraire au Collège de France, directrice d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales et directrice du laboratoire d'anthropologie sociale, où elle a pris la succession de Claude Lévi-Strauss.

Parmi vos nombreuses activités, nous notons que vous êtes membre du Comité d'éthique pour les sciences du CNRS, membre du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et ancienne présidente du Conseil national du sida.

Parmi vos publications, nous retiendrons les plus récentes : "Les deux s_urs et leur mère : anthropologie de l'inceste" en 1994, "Masculin/féminin : la pensée de la différence" en 1996, et votre participation à des ouvrages collectifs, notamment "Contraception, contrainte, liberté" en 1999 et "Maternité : affaire privée, affaire publique" en 2001.

A partir du rôle différent des sexes dans la reproduction, d'ordre biologique, vous montrez comment les sociétés ont élaboré une construction sociale complexe qui commande, dans l'inégalité, le rôle et la place des hommes et des femmes et la hiérarchisation entre supérieur et inférieur. Or, la diffusion des nouvelles méthodes de régulation des naissances remet radicalement en cause le contrôle exercé par les hommes sur le pouvoir des femmes de transmettre la vie. La contraception a constitué un tournant historique en donnant aux femmes la maîtrise de leur fécondité et en leur permettant de sortir de la domination du masculin.

Cependant, aujourd'hui, nous avons l'impression que cette révolution contraceptive piétine. Peu de progrès sont enregistrés dans l'accès aux nouvelles méthodes, l'usage de la pilule suscite des réticences, les jeunes filles, souvent mal informées, restent à l'écart de la démarche contraceptive. Parallèlement, nous voyons se développer, depuis une vingtaine d'années, la phobie de la stérilité et la montée très forte du désir d'enfant, encouragé par des techniques d'assistance médicale à la procréation que l'on croit de plus en plus performantes. Sur ce dernier phénomène de société, nous serions très heureuses de recueillir vos réflexions, la Délégation - qui avait organisé, l'année dernière un colloque sur : "Femmes et bioéthique - L'AMP en question" - étant saisie pour avis du projet de loi relatif à la bioéthique.

Mme Françoise Héritier : De façon significative, le rapport spécifique établi entre "femmes et bioéthique" renvoie quasi exclusivement au domaine de la procréation. La bioéthique serait donc une affaire d'humains, en général, à l'exception apparente du domaine de la procréation, qui serait spécifique du domaine féminin. En entrant dans le jeu de ce rapport particulier des femmes avec la bioéthique, nous sacrifions ainsi, sans le vouloir consciemment, à une vision archaïque - au sens où elle apparaît dès les origines, avec l'humanité consciente et pensante - qui fait peser sur les femmes seulement le poids et la responsabilité de la procréation, et donc aussi le poids et la responsabilité de la stérilité. Tout ce qui touche à la procréation, à l'enfantement - et tout ce qui en découle -, est considéré comme étant du ressort des femmes. A contrario, tout ce qui est de l'ordre de l'extérieur - la cité, le politique, le discours, le conflit, etc... - est du ressort des hommes. Lorsqu'on parle des femmes et de la bioéthique, on entérine donc d'emblée ce type de répartition ; nous sommes dans la vision traditionnelle du rapport du masculin et du féminin.

Vous avez cité mon ouvrage "Masculin/féminin : la pensée de la différence" ; je m'apprête à faire paraître une suite, au mois de mars 2002, intitulée, "Masculin, féminin : dissoudre la hiérarchie", dans laquelle je vais reprendre un certain nombre de problèmes, dont celui de la contraception.

En tant qu'anthropologue, j'observe que la différence des sexes est au départ, une observation neutre, qui n'est pas en elle-même porteuse de hiérarchie. Or, partout, dans toutes les sociétés humaines sans exception, il y a une valorisation du masculin en général qui s'accompagne, symétriquement, d'une dévalorisation, voire d'un dénigrement ostentatoire du féminin, qu'il s'agisse des comportements, des aptitudes, des qualités intrinsèques, des pensées et des activités de tout ordre. Cette dévalorisation va de pair avec le confinement de la femme dans le domestique - et l'interdiction d'en sortir, pour une grande part de l'humanité, encore de nos jours. Elle s'accompagne fort bien de la valorisation de la mère, à l'exclusion de toute autre image féminine, c'est à dire de la quintessence du type de femme requis : dévouée, aimante et domestique, qui s'y maintient, s'y complait et même le revendique.

A quoi tient cette hiérarchie ? Il m'est apparu qu'elle tient à la combinaison de deux facteurs apparus dès l'origine de la pensée humaine consciente et exprimée, c'est-à-dire dès que l'homme est sorti de l'animalité. L'homme des origines réfléchit sur ce qu'il voit, avec les moyens dont il dispose, à savoir ses cinq sens. L'une des premières opérations mentales, observable d'ailleurs dans le développement de l'enfant, est le classement des choses par affinité. Or, une constante parcourt tout le monde animal visible, dont l'humain fait partie, celle de la différence sexuée. Celle-ci n'est pas maniable, transformable ; on n'a pas de prise sur elle, on est soit l'un, soit l'autre. Butoir de la pensée, elle est, de ce fait, à l'origine de l'opposition que l'on trouve dans toutes les sociétés entre ce qui est identique et ce qui est différent. L'opposition du jour et de la nuit fait partie de ces choses fondamentales pour la classification entre identique et différent, choses non maniables par la technique humaine. Cette opposition identique/différent, qui se greffe sur l'opposition masculin/féminin, est à la base de toutes les oppositions dualistes qui nous servent à penser, qu'elles soient abstraites ou concrètes. Aucune société ne fonctionne sans oppositions binaires - le clair et l'obscur, le chaud et le froid, le sec et l'humide, le haut et le bas, etc... -, elles-mêmes classées en masculin et féminin.

Nous ne penserions pas de la même manière si nous n'étions pas sexués, si l'évolution n'avait pas vu apparaître, il y a des millions d'années, la sexuation. Le passage par les opérations binaires provient de l'observation de la différence sexuée et de l'alternance des jours et des nuits, qui sont parmi les rares données sur lesquelles il n'y a aucune prise. C'est là-dessus que se fondent l'identique et le différent, le masculin et le féminin et toutes les catégories mentales sous forme binaire. Si nous n'étions pas sexués, nous aurions un système de pensée qui intégrerait sans doute des notions de même nature, mais pas rangées dans des catégories binaires, dualistes et hiérarchisées.

Normalement, au sein de ces oppositions binaires, dualistes, il ne devrait pas y avoir de hiérarchie - ou elle pourrait varier. Or, dans toutes les sociétés, le pôle valorisé est le pôle masculin. Ce qui est intéressant, c'est que cela n'a rien à avoir avec le contenu des catégories. Prenons l'exemple de l'actif et du passif : chez nous les hommes sont actifs - valorisation - et les femmes sont passives - dévalorisation. En Inde, ce sont les hommes qui sont passifs - notamment sexuellement - et les femmes actives ; or c'est la passivité qui est alors valorisée. Chez nous, le soleil est masculin, la lune féminine - et nous avons une certaine valorisation du soleil - alors que chez les Esquimaux, c'est la lune qui est masculine et qui est l'élément important. Le contenu peut donc varier, mais ce qui importe, c'est la catégorisation par le masculin et le féminin qui met toujours l'accentuation positive sur le masculin.

Pourquoi ? En raison d'un second élément de réflexion qui est interconnecté à celui-là. Cette réflexion humaine, qui envisage l'existence des deux sexes et qui en tire des conclusions sur le plan de la pensée, porte aussi sur des évidences élémentaires : le fait qu'il y ait deux sexes, bien entendu, mais aussi qu'il faut qu'ils se rencontrent physiquement pour faire des enfants (contrairement à une croyance répandue, les primitifs savaient déjà que les rapports sexuels étaient nécessaires pour faire des enfants), que seules les femmes mettent les enfants au monde, l'observation de la vie et de la mort, que la vie est connectée au sang et à la chaleur... Toute une série d'observations triviales qui font partie des évidences élémentaires.

La plus grande interrogation, telle qu'en témoignent les mythes et les récits, porte sur un fait si fondamental et si inexplicable qu'il n'est jamais mis au premier plan : pourquoi les femmes ont-elles le privilège exorbitant, non seulement de se reproduire à l'identique, mais également de produire des corps différents des leurs - des garçons - ? En l'absence de connaissances sur le phénomène de la fécondation, sur l'existence des gamètes (les ovules et les spermatozoïdes ne seront connus qu'à la fin du XVIIIème siècle), des gènes, (découverts seulement au XXème siècle), il y a nécessairement une autre réponse simple : les femmes ne peuvent pas, seules, faire des êtres différents ; si elles font des fils, c'est parce que les enfants sont mis dans le corps des femmes par les hommes. Et c'est le "mauvais vouloir" du féminin (comme disent certaines populations) qui fait que naissent aussi des filles, mais il en faut bien, puisqu'il faut des filles pour faire des garçons. Les hommes sont donc à l'origine de la procréation.

De l'incapacité des hommes à se reproduire à l'identique, et aussi du fait que la gestation, la naissance, l'allaitement jusqu'au sevrage sont des phénomènes de longue durée, il s'ensuit un certain nombre de conséquences, qui sont les mêmes universellement. Tout d'abord, il est fondamental pour les hommes de se procurer la femme ou les femmes dont ils ont besoin pour se reproduire. Ensuite, ils doivent s'assurer de les garder auprès d'eux, une fois qu'elles sont enceintes, éventuellement par la contrainte physique, mais surtout par la contrainte sociale. Enfin, dans toutes les sociétés humaines, il y a eu l'invention de la prohibition de l'inceste, qui oblige les hommes à l'échange matrimonial, en leur interdisant l'accès sexuel à leur mère, leur fille et leur s_ur. La prohibition de l'inceste n'est jamais présentée, dans aucune société, comme une interdiction faite à des humains de coucher avec leurs consanguins, mais comme une interdiction faite aux hommes de coucher avec leur mère, leur fille et leur s_ur, de façon à pouvoir les échanger contre les mères, filles et s_urs des hommes d'autres groupes consanguins, et donc d'établir des rapports d'alliance. Cela présuppose déjà, dans l'esprit des hommes qui se livrent à cet échange, l'existence de ce que j'appelle "la valence différentielle des sexes", puisque ce sont les hommes qui ont le droit et le pouvoir d'échanger leurs filles et leurs s_urs et pas l'inverse, ni la possibilité de réciprocité.

Avec la prohibition de l'inceste, vont apparaître toute une série de phénomènes : l'exogamie, le mariage, c'est-à-dire la forme institutionnelle, stable, d'unions entre des individus, mais surtout entre des groupes, des familles, et la répartition sexuelle des tâches. Cette dernière obéit, non pas à la prise en considération d'aptitudes physiques particulières, mais à la contrainte. La contrainte est liée, aux origines et pendant des millénaires, aux contraintes biologiques que sont la grossesse, l'accouchement, les soins aux enfants, mais pas seulement à celles-ci. En effet, les femmes peuvent très bien chasser, comme les hommes peuvent très bien cueillir ; dans de nombreuses sociétés, lorsqu'il n'y a rien à chasser, les hommes cueillent. Mais il convient de savoir que dans les sociétés de chasseurs collecteurs, c'est la chasse qui est valorisée, alors qu'à 80 % la nourriture quotidienne provient de la cueillette des femmes.

Cette répartition sexuelle des tâches obéit aussi à un ordre de valorisation qui tient au fait que le corps féminin, approprié, détenu par les hommes, échangé par eux, devient un bien nécessaire ; la femme n'est plus une personne libre d'elle-même, de son corps et de ses actes, comme le sont souverainement tous les hommes adultes dans toutes les sociétés. Les hommes sont des personnes à part entière libres de leurs actes, de leur corps et de leurs pensées, ce qui n'est pas le cas pour les femmes qui sont un bien échangé.

Le destin féminin a donc été lié, dès l'origine, au privilège qu'elles ont, pour leur malheur, d'enfanter des mâles - et pas seulement des femelles -, ou, si l'on préfère, par l'incapacité physiologique des mâles à se reproduire à l'identique.

Il s'ensuit plusieurs choses. Tout d'abord, ces idées sont extrêmement prégnantes et ont la vie dure, même si elles ne sont jamais clairement exprimées. Il ne faut cependant pas nier leur importance, car nous les avons en tête et il faut faire un gros effort de vigilance pour les dominer. Ensuite, elles sont liées à la transmission d'un patrimoine de références très archaïques, conçu en fonction des connaissances rationnelles acquises avec les moyens d'observation rustiques que sont les cinq sens.

L'apparition (d'abord avec les lentilles, au XVIème siècle, puis avec d'autres techniques plus raffinées) de moyens d'observation permettant d'aller dans l'intime des corps et des phénomènes tels la fécondation, doit avoir, plus ou moins rapidement, des effets sur nos systèmes de représentation. Cela va prendre du temps, mais cette mutation, qui a commencé avec l'apparition de la lentille et de tous les procédés d'observation qui nous ont permis d'entrer dans un monde de rationalité différent, aura nécessairement des conséquences sur nos représentations. Nous vivons actuellement cette mutation dans le monde occidental.

Enfin, jusqu'à nos jours, seules les femmes ont été accusées d'être responsables de la stérilité, car le sperme était toujours considéré comme fécond. Ce fameux "mauvais vouloir" des femmes faisait parfois que l'utérus le refusait. La stérilité masculine n'est pas reconnue encore dans bien des sociétés traditionnelles, car elle est toujours assimilée à l'idée d'impuissance, et donc stigmatisante.

Comment sortir d'une structure aussi solidement charpentée que celle des représentations globales, d'autant que les catégories binaires fondées sur la différence sexuée sont toujours celles qui nous servent à penser ? Et donc comment dissoudre la hiérarchie, qui semble y être intimement associée ? La réponse se trouve dans l'octroi du droit à la contraception aux femmes du monde occidental, pour commencer. Si la mise en tutelle a pour cause la nécessité pour les hommes d'user au mieux de la fécondité féminine en refusant aux femmes la capacité de décision, c'est en rendant aux femmes le droit de disposer d'elles-mêmes fondamentalement, qu'on leur reconnaît le statut de personne juridique pleine et entière. Car le droit à la contraception implique notamment toute une série d'autres droits, acquis pour l'essentiel en Occident, mais qui ne le sont pas dans bien d'autres parties du monde : ne pas être mariée avant la puberté, consentir au mariage, choisir son conjoint, avoir le droit de divorcer en étant protégée par la loi et non pas subir simplement la répudiation, etc...

Pour moi, le droit à la contraception est le levier essentiel, qui permet de sortir du rapport de domination latent ou manifeste du masculin sur le féminin.

Il est donc important de veiller à ce que nul retour en arrière ne l'atteigne. Il préconditionne tous les autres acquis : parité politique, égalité d'accès à l'enseignement, aux soins, aux activités professionnelles, égalité de salaire, égalité dans les promotions aux postes supérieurs, partage des tâches, etc... ; rien de tout cela ne peut être acquis durablement ou même mis en place, si n'est déjà gravie cette première marche qui fait des femmes des individus à part entière, autonomes, responsables d'elles-mêmes en étant maîtresses de leur corps.

La contraception accordée aux femmes est due, d'une certaine manière, à une erreur d'interprétation. Il n'est pas sûr que le législateur ait eu clairement conscience de tout ce que ce droit supposait, à savoir la démolition de l'ensemble des représentations qui régissent les rapports du masculin et du féminin. C'était une manière de laisser encore à la charge des femmes tout ce qui relève de la fécondité et tout ce qui touche aux enfants, comme le veut l'usage. D'autant que la recherche sur la contraception masculine est très peu poussée, parce que l'ingestion de ce type de pilule touche profondément aux représentations identitaires de la virilité. Le résultat est à la fois une absence de recherche sur la contraception masculine, à cause des réticences des intéressés, et le piétinement actuel des travaux de recherche sur la contraception féminine - qu'il faudrait relancer. La recherche a été ralentie, car on a pris conscience de ce que cela voulait dire pour l'émancipation sociale des femmes et non pas seulement pour la régulation des naissances dans le cadre familial.

Ce sont ces éléments qu'il faut avoir présent à l'esprit lors de la révision des lois bioéthiques. Il convient absolument de ne jamais reculer sur les points essentiels que sont la contraception, la contraception d'urgence et l'IVG, et de faire appliquer la loi qui allonge le délai d'aménorrhée de douze à quatorze semaines.

En ce qui concerne l'assistance médicale à la procréation (AMP), je ne suis pas de celles qui pensent qu'il y a un droit à l'enfant et que la société doit satisfaire cette revendication coûte que coûte.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ne pensez-vous pas plutôt que l'on est revenu à un devoir d'enfant ? Après la période des Trente Glorieuses - 1960 à 1990 -, où l'on a pu contester l'obligation de la maternité, avec Simone de Beauvoir, la contraception, l'IVG, il me semble que l'AMP nous fait faire marche arrière et revenir à un devoir d'enfant.

Mme Françoise Héritier : Non, je ne le pense pas, notamment en raison de ce que j'entends lors des réunions du Comité consultatif national d'éthique. Les couples revendiquent le droit à la satisfaction d'avoir un enfant. Ils ont attendu, pour différentes raisons, et ils décident un jour que le moment est venu. Si l'enfant ne vient pas, le droit à l'enfant les conduit à se porter vers les méthodes de procréation assistée, qui ne sont d'ailleurs pratiquement plus des inséminations artificielles avec donneur, ce qui correspond bien à l'idée que la stérilité masculine est mal assumée, ou tout au moins le don de gamètes mâles. Le désir d'enfant est devenu un droit à l'enfant ; le devoir d'enfant, comme il l'a été sous le maréchal Pétain, non, je ne pense pas.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je pensais plutôt à une pression sociale extrêmement forte - entourage, famille, amis.

Mme Françoise Héritier : En effet, cette pression existe, mais elle est contrebalancée par une autre pression : la revendication de la vie libre et du libre choix. Mais, lorsqu'ils choisissent d'avoir un enfant, les couples revendiquent alors le droit à l'enfant ; or je ne pense pas que ce désir doive être satisfait coûte que coûte.

De même, je ne pense pas que l'affiliation biologique doive l'emporter sur l'affiliation affective et sociale. La paternité et la maternité n'ont pas nécessairement à être biologiquement reconnues. Je regrette, par exemple, les changements du code civil, dans les années soixante-dix, qui, s'ils ont fait de la vérité biologique un mode de reconnaissance de la filiation - ce qui semble normal - l'ont rendu opposable aux trois autres, la filiation légitime, la volonté et la possession d'état. Désormais, on peut contester la filiation légitime en utilisant le critère de la vérité biologique. Ce qui veut dire que l'on détruit ce qui fait véritablement le social, à savoir la reconnaissance du lien, qui n'est pas nécessairement le lien biologique.

L'assistance médicale à la procréation existe ; faut-il l'encadrer davantage afin d'éviter que des femmes soient amenées à faire une vingtaine de tentatives sans succès ? Il me semble que ce serait une bonne chose.

S'agissant de l'anonymat du donneur...

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : ...qui est confirmée dans les lois bioéthiques.

Mme Françoise Héritier : Il s'agit d'une bonne jurisprudence qui permet d'éviter les conflits.

Il est également utile d'avoir confirmé l'impossibilité de choisir le donneur parmi les membres de la famille, malgré toutes les revendications qui sont faites. Et ce pour une raison fondamentale : il s'agit d'un inceste du deuxième type. Fertiliser l'ovule de sa belle-soeur, par exemple, c'est, pour un homme, coucher avec les deux s_urs, par médecin interposé. Il convient de ne pas oublier que si l'on autorise ce genre de chose, on est en contradiction avec la loi : or, comment autoriser médicalement ce que la loi interdit ? Car le code civil interdit le mariage, en ligne directe, entre un homme et la fille de son épouse, et entre une femme et le fils de son époux, même après dissolution de l'union, et elle l'interdit en collatéralité, entre beaux-frères et belles s_urs, sauf après dissolution de l'union. Donc, quand un homme demande à son frère d'être le donneur, il s'agit d'un inceste du deuxième type interdit par le code civil.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cette question ne sera pas abordée dans les lois bioéthiques.

Mme Yvette Roudy : En revanche, nous parlerons des dons d'organes - dont ceux de gamètes - qui sont anonymes.

Mme Françoise Héritier : J'en arrive maintenant à l'accouchement sous X qui protégeait essentiellement les familles bourgeoises ; aujourd'hui, il protège surtout les jeunes filles maghrébines contre les violences paternelles ou fraternelles. Cependant, il doit être possible d'assurer la confidentialité de l'accouchement sans pour autant passer par l'accouchement sous X. Cela nous permettrait de résoudre un problème d'égalité : en effet, il n'y a pas de raison que l'on puisse rechercher son père biologique et pas sa mère. En outre, l'intérêt de l'enfant est toujours le grand oublié. Et j'ajouterai l'intérêt des mères, car de nombreuses jeunes femmes, contraintes d'abandonner leur enfant, le regrettent des années plus tard lorsqu'elles ont acquis une stabilité. Il serait donc souhaitable que soit avancée l'idée que tous les pays d'Europe ont levé l'anonymat, et que la loi de 1996, qui permet d'avoir accès à des données non identifiantes, est tout à fait insuffisante. Même si le lobby pour l'adoption pousse au maintien de l'accouchement sous X, je ne pense pas qu'il doive être maintenu en l'état, au nom de l'égalité et de l'intérêt de l'enfant.

J'en viens maintenant au diagnostic prénatal (DPN) et au diagnostic préimplantatoire (DPI). Sauf évidence médicale de transmission sexuée d'une pathologie grave, il convient de veiller à ce que le DPN et le DPI ne servent pas au choix du sexe. D'aucuns souhaitent que l'on fasse une exception pour les couples qui ont eu, par exemple quatre garçons et qui souhaitent une fille, ce qui me paraît dangereux - bien que je n'aie pas une opinion encore très tranchée à ce sujet. Dans l'absolu, la tentation est toujours grande de faire des fils, et nous ne savons pas, si l'on ouvre cette porte, ce que l'avenir nous réserve. Actuellement, la Chine et l'Inde procèdent à des avortements sélectifs de filles, en utilisant l'échographie. Cela est devenu tellement grave en Inde, que l'on vient d'interdire aux échographes de rechercher le sexe de l'enfant ; mais on en est maintenant arrivé à faire des DPN ou des DPI pour choisir le sexe de l'enfant.

En ce qui concerne le clonage, c'est surtout le clonage reproductif qui est en cause. Cependant, dans le clonage thérapeutique, il y a tout de même la production nécessaire d'ovules ; donc l'idée du risque d'instrumentalisation du corps des femmes pour obtenir, de façon marchande, les ovules nécessaires. Or la loi précise bien que le corps humain n'est pas une marchandise. Il convient donc d'être vigilant et de le prévoir dans la loi.

Quant au clonage reproductif, il est interdit par tous les gouvernements des grands Etats du monde, et à juste titre. Mais pour une raison qui ne me semble pas être la bonne ; il est dit que le clonage reproductif serait une atteinte à la dignité humaine. Or la dignité humaine est rarement définie. Pour être honnête, un enfant qui naîtrait de cette façon serait un enfant comme un autre. Ce qui est en cause, c'est non pas la dignité, mais l'atteinte au lien social. Or le lien social est fondé sur l'altérité.

Dès les origines de l'humanité, il y a deux plaisirs d'être entre soi. D'abord, être avec ses consanguins sur un même territoire ; ce plaisir a été barré sur le plan de la procréation par la prohibition de l'inceste. Ensuite, le second plaisir est d'être entre des personnes de même sexe. Cela se voit moins de nos jours dans nos sociétés, mais dans de nombreuses sociétés, les sexes sont séparés : les hommes ne rentrent chez eux que pour manger, copuler et dormir ; le reste du temps, ils sont entre eux dans les "maisons des hommes".

Ce plaisir n'est pas gênant tant qu'il n'est pas reproductif. Mais à partir du moment où il y a possibilité qu'il le devienne, par le clonage, il est interdit, en utilisant un mauvais argument, car il est attentatoire, non pas à la dignité humaine, mais au lien social. Car il privilégie la reproduction du même par le même. Alors que le social n'existe que dans la mesure où l'autre, le différent, est introduit dans la relation.

Il y a peu de chances pour que le clonage existe jamais, et ce pour deux raisons. Tout d'abord, dans l'hypothèse d'un clonage exclusivement masculin, il faudrait des utérus et des ovules en quantité, ce qui supposerait une instrumentalisation des femmes, même si l'on pensait remplacer l'utérus féminin par des utérus de brebis, de truies ou de vaches, mais nous n'en sommes pas encore là. Nous revenons toujours à cette incapacité de l'homme à se reproduire par lui-même.

Le grand danger pour la société, n'est pas le clonage masculin et l'instrumentalisation du corps des femmes, mais le clonage féminin - qui pourrait fonctionner immédiatement et sans problème. Dans ce cas, l'homme n'est pas nécessaire, ce qui entraînerait à terme la disparition du genre masculin. Rien que pour cette raison, il y a de fortes chances qu'il n'existe jamais, comme mode normal et légal de reproduction.

Je voudrais dire également un mot sur l'omission des problèmes féminins. Il serait bon, en effet, de ne pas omettre la recherche médicale sur l'ostéoporose (et son remboursement par la sécurité sociale), la contraception, le cancer du sein, les grossesses, les suites des accouchements, les politiques de santé au féminin, qui ne sont pas à l'ordre du jour. C'est là l'envers du fait que bioéthique au féminin s'entend comme le rapport exclusif des femmes avec la procréation.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Tout à fait ; il convient de ne pas oublier toute une politique de santé au féminin.

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La Délégation aux droits femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a ensuite entendu Mmes Madeleine Dayan-Lintzer, gynécologue, et Sylvie Epelboin, gynécologue-obstétricien à l'hôpital Saint-Vincent de Paul.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir maintenant Mmes Madeleine Dayan-Lintzer, médecin gynécologue, spécialiste des problèmes de l'infertilité, qui s'intéresse à l'accompagnement des couples ayant recours à l'AMP, et Sylvie Epelboin, gynécologue obstétricienne, responsable d'AMP à l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul.

Nous avons souhaité vous entendre dans la perspective de l'examen à l'Assemblée nationale du projet de loi relatif à la bioéthique, les 15, 16 et 17 janvier prochains. La Délégation souhaite participer au débat concernant l'AMP, et a été saisie pour avis par la commission spéciale chargée d'étudier ce texte.

Si l'infertilité est un problème de couple et si la stérilité masculine est tout aussi importante que la stérilité féminine, les femmes sont au c_ur du dispositif de l'AMP, puisqu'elles subissent les traitements et les interventions les plus lourdes. Nous souhaiterions donc recueillir de votre part des informations concrètes sur la pratique de l'AMP, l'accueil réservé aux femmes, lors de leur démarche, l'accompagnement de la femme et du couple - notamment psychologique - , l'information donnée par les médecins sur les techniques, les examens, les conséquences, les effets secondaires, le contenu des protocoles passés entre le médecin et la patiente ainsi que les taux de réussite.

Les conditions sociales d'accès à l'AMP répondent, aujourd'hui, à des conditions strictes, que le projet de loi ne prévoit pas de modifier. Quelle est votre opinion s'agissant du transfert des embryons post-mortem ? Conviendrait-il de revoir la règle de l'anonymat pour le don des gamètes ? La congélation systématique des embryons, notamment après dons d'ovocytes, pour des raisons de sécurité sanitaire, ne devrait-elle pas être revue ? Aujourd'hui, certains traitements de stimulation ovarienne sont extrêmement lourds et comportent des risques. D'autres modes de prélèvement sont-ils envisagés ?

Mme Madeleine Dayan-Lintzer : En tant que médecin gynécologue, je suis amenée à accueillir, à l'hôpital, comme en consultation privée, des couples qui se plaignent d'infertilité. La première question qui se pose à moi est la suivante : s'agit-il simplement d'une impatience à concevoir ou d'une véritable infertilité ? Quelle que soit la définition de l'infertilité, ces couples sont cependant dans un état de souffrance et de questionnement sur leur incapacité à procréer.

Je pense pouvoir vous apporter mon expérience sur la réflexion, en amont, de la décision de recourir à la procréation assistée. Lorsque le médecin est confronté à cette situation de souffrance - ne pas pouvoir faire un enfant au moment où l'on a choisi d'en avoir un -, il est pris, lors de la première consultation, entre deux injonctions : d'une part, déclencher une batterie d'examens ; ce choix a pour effet secondaire, outre l'encombrement dans leur vie personnelle et le coût que cela représente, d'authentifier leur infertilité. D'autre part, renvoyer le couple à leur normalité supposée - cela ne fait que deux ou trois mois qu'ils essaient de faire un enfant - et lui demander de revenir dans quelques mois. Cette seconde attitude nierait l'inquiétude du couple, sa mobilisation, le trouble que cet échec induit, et les abandonnerait à leur sort, ce qui n'est pas une option séduisante pour un médecin. Bien entendu, lorsque la première consultation a lieu au bout de deux ans de tentatives et que le couple a une quarantaine d'années, la question ne se pose pas de la même manière.

Quelle que soit la richesse et l'étendue de nos connaissances sur la biologie de la reproduction et sur les interventions médicales possibles d'assistance à la reproduction, le corps du vivant, masculin et féminin, n'est pas réductible au corps biologique ; l'humain et la transmission de la vie nous échappent. Nous n'avons pas une maîtrise toute puissante sur la conception, mais il n'est pas toujours simple de faire adhérer à cette idée les couples qui viennent nous consulter. Il est certainement plus facile, pour eux, de penser que le médecin est là pour "réparer" ce qui ne fonctionne pas, plutôt que de se dire qu'il convient de laisser du temps au temps et que la conception est un événement aléatoire.

Notre travail est d'accueillir et d'accompagner ces couples sur cette souffrance qu'ils traversent, à savoir ne pas avoir d'enfant au moment où ils ont choisi d'en avoir un. Le médecin va donc accompagner les patients dans leurs questionnements, adapter ses choix selon leur âge, les rassurer. Il va respecter à la fois le temps de l'aléatoire de la fertilité - chaque cycle amène des chances supplémentaires de concevoir -, l'injonction du temps de la fertilité féminine et de l'échéance de la qualité des ovules. Il va ensuite proposer des examens, un diagnostic le plus clair possible, puis l'accès à l'AMP. Avec toute une série de réflexions sur les infertilités énigmatiques pour lesquelles, après un certain temps - et après que l'on se soit assuré que les personnes ont bien des relations sexuelles - nous allons proposer une AMP.

L'aide médicale à la procréation est, bien entendu, une aide inestimable, mais elle nous fait également entrer dans une espèce d'activisme qui fait oublier que c'est d'un enfant qu'il s'agit, et non pas seulement de museler un symptôme de stérilité tellement douloureux. Par ailleurs, de nombreuses questions se posent : s'agit-il d'une grossesse souhaitée pour se "normaliser", y a-t-il une volonté de faire plusieurs enfants ? J'ai le sentiment qu'à partir du moment où les patients entrent dans le processus d'AMP, il n'est pas possible de leur demander d'avoir du recul. Il nous appartient donc d'accompagner les couples et de relancer, notamment entre les cycles, la réflexion autour du projet d'enfant. L'infertilité est aussi, dans certains cas, le reflet d'une souffrance antérieure enfouie.

Mme Sylvie Epelboin : Je voudrais prolonger les propos de ma collègue, qui ne pourront peut-être pas être traduits par des articles, au moment de la révision de la loi sur la bioéthique, mais qui peuvent refléter une ambiance ; le débat pourrait alors prendre en compte la souffrance et la problématique des couples qui nous consultent.

Faisant partie du Groupement d'études sur le don d'ovocytes (GEDO), je pourrai vous apporter des éléments précis sur le don d'ovocytes et l'accueil des embryons. Mais je voudrais tout d'abord revenir sur l'accueil et l'information des patients.

La loi de 1994 a eu de nombreux effets bénéfiques, notamment cette obligation, pour toutes les institutions, de donner aux patientes et aux couples une information claire. Désormais, dans tous les centres d'aide médicale à la procréation, vous pouvez trouver des brochures d'information.

Nous sommes l'une des rares spécialités à avoir une obligation, non seulement de moyen, ce qui est légitime, mais également de résultat.

Les résultats sont rendus de deux façons : d'une part, fiche par fiche, par tentatives et par grossesses dans un bilan final, parrainé par l'INSERM et par l'industrie pharmaceutique - ce qui est dérangeant -, et, d'autre part, dans un bilan ministériel, qui est une auto-évaluation ou chacun est censé déclarer le nombre de ses tentatives, ses succès, etc.... Il n'y a pas de transparence dans les résultats et la Direction générale de la santé ne dispose pas des moyens nécessaires pour les exploiter et les rendre compréhensibles aux personnes concernées.

Des enquêtes ont été menées par les médias, notamment par "Que Choisir" ; nous en sommes très gênés, car le classement des centres est fait en fonction du nombre de grossesses obtenues. Or, si un couple veut multiplier ses chances de réussite, il doit savoir aussi quelles sont les pathologies traitées plus particulièrement par les centres, quelle est la population chez qui les succès sont les plus grands. Il convient donc d'évaluer, non seulement la compétences des médecins, mais également l'effort de certaines équipes, notamment hospitalières, qui s'occupent de pathologies moins gratifiantes. Il faut savoir ce que l'on veut : obtenir des résultats à tout prix ou donner leur chance à certaines femmes qui vont être réfusées dans certains centres.

Il convient aussi de savoir combien d'embryons seront en moyenne, transférés et connaître le taux de grossesses multiples. En effet, le nombre de grossesses obtenues augmentant parallèlement au nombre de grossesses multiples, il faut accepter une diminution des succès, si l'on veut éviter les grossesses de triplés.

C'est la raison pour laquelle il faut souhaiter que le ministère publie les résultats ; ainsi, nous connaîtrons le nombre moyen d'embryons transférés, le nombre de grossesses multiples et le nombre d'enfants vivants en bonne santé. Voilà un point qui pourrait être davantage précisé dans la loi, afin d'éviter la publication de chiffres non significatifs.

S'agissant toujours de l'information, je voudrais souligner un point : alors que le slogan, il y a quelques années, était "un enfant, si je veux, quand je veux", il faut savoir que nous ne sommes pas capables de maîtriser la fertilité. Bien entendu, nous avons des pistes et des techniques extraordinaires, mais elles ont des limites, notamment l'âge des femmes et le manque d'informations. La baisse de la fertilité féminine, liée à l'âge des femmes, est une limite importante, que les couples ne connaissent pas et qui nous amène à refuser la prise en charge d'un grand nombre de femmes.

Je voudrais également préciser que le champ de compétence de l'AMP est très particulier, puisqu'il fait partie de la gynécologie-obstétrique, mais que les biologistes ont pris un pouvoir de plus en plus grand dans ce domaine, ce qui est d'ailleurs souhaitable, puisqu'ils sont également responsables au regard de la loi. Mais cette obligation de double responsabilité, de double consultation, est un alourdissement considérable pour les couples.

Nous sommes donc dans un domaine particulier, qui n'est pas encore suffisamment défini. Le cycle des femmes, par exemple, ne souffre pas d'une interruption de week-end pour les traitements ; depuis vingt ans que ces techniques existent, les professionnels de l'aide médicale à la procréation sont totalement bénévoles pour leurs astreintes et gardes de week-end. Il s'agit vraiment d'une discipline à part - les médecins qui pratiquent les IVG ont également ce sentiment - ; nous passons après l'obstétrique et la néonatologie.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : J'ai eu en effet connaissance de la mise en place, dans différents services d'obstétrique, d'une partie IVG et AMP, afin de permettre aux équipes de ne pas pratiquer uniquement des IVG, mais de pouvoir également pratiquer de l'AMP.

Mme Madeleine Dayan-Lintzer : Vous posez la question de la vocation des équipes : pourquoi avons-nous choisi la gynécologie et de quelle manière sommes-nous gratifiés ? Nous ne sommes pas reconnus, mais ce métier nous passionne. C'est le plaisir des équipes et notre propre course à l'enfant - ou l'absence d'enfant quand il s'agit d'IVG. Cela montre à quel point il est difficile d'être objectif.

Mme Sylvie Epelboin : Cela prend beaucoup moins de temps et c'est plus facile de dire oui à une démarche d'AMP que de passer une heure en consultation à expliquer pourquoi la médecine n'est pas compétente dans ce domaine. Tout le temps d'accompagnement est de l'ordre du non-dit ; ce travail n'est pas répertorié dans les bilans ministériels.

Mme Madeleine Dayan-Lintzer : Nous pouvons tout de même essayer de faire passer l'idée qu'il faut un accompagnement, une écoute, un accueil qui dépasse la seule prise en charge technique, dont ont besoin le monde médical et les hommes et les femmes confrontés à cette difficulté. Cela nous donnerait, en outre, la possibilité d'être plus efficaces, que ce soit dans la non prise en charge ou dans la prise en charge ; nous ne pouvons pas faire l'impasse sur la dimension d'écoute et d'accompagnement, alors que l'on sait très bien qu'elle est indispensable pour dresser le diagnostic et pour que l'échec, ou la réussite, soit bien vécu.

On peut s'interroger aussi sur le fait de compter les succès en termes d'enfant. Cet enfant peut être vécu autrement que comme le produit bien fini d'une technique rodée ; il est le fruit de la transmission de la vie, que nous sommes loin de maîtriser complètement.

Mme Sylvie Epelboin : Je voudrais pour ma part insister sur certains articles, notamment l'article L. 2141-10 du code de la santé publique qui prévoit la vérification obligatoire de la motivation de l'homme et de la femme et leur information sur les possibilités d'adoption. Cette vérification obligatoire de la motivation du couple est, bien entendu, réalisée dans une pratique correcte, mais c'est en fait très compliqué, car nous ne souhaitons pas faire une intrusion excessive dans la vie des couples.

La responsabilité à l'égard d'un enfant à naître, crée des exigences envers l'aide médicale à la procréation, qui sont absentes des procréations naturelles.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est le même problème pour l'adoption.

Mme Madeleine Dayan-Lintzer : Une des caractéristiques du désir d'enfant, c'est l'ambivalence. Je ne sais donc pas comment le législateur peut prendre en compte l'ambivalence lorsqu'il parle des motivations.

Mme Yvette Roudy : Qu'entendez-vous par ambivalence ?

Mme Madeleine Dayan-Lintzer : "Je veux et je ne veux pas, je veux et j'ai peur, je veux et je ne dois pas, je veux et je ne peux pas..." Toutes ces ambivalences, qui induisent des infertilités, dont la thérapeutique seraient peut-être allégées si l'on prenait la peine d'écouter les couples dans le paradoxe de leur désir d'enfant.

Mme Yvette Roudy : Cela ne peut-il pas être écrit dans l'entretien obligatoire ?

Mme Sylvie Epelboin : Il faudrait une petite modification sémantique. Ce qui me gêne, c'est la vérification obligatoire de la motivation de l'homme et de la femme.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Faut-il proposer systématiquement un entretien en amont ?

Mme Sylvie Epelboin : Avec un psychologue ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons tendance à réduire les questions de désir d'enfant à des questions psychologiques et nous avons une faible capacité à renvoyer les personnes intéressées à des questionnements d'ordre philosophique ou religieux, ce que je trouve réducteur.

Mme Yvette Roudy : Nous devons insister sur le fait que l'entretien obligatoire prévu par la loi de 1994 permettra aux couples de prendre conscience du parcours qu'ils vont entreprendre : les échecs possibles, les stimulations ovariennes, les bouleversements que l'AMP va engendrer. Cet entretien va leur permettre de réfléchir et de discuter entre eux. En revanche, il ne me paraît pas nécessaire d'aller au-delà.

Mme Sylvie Epelboin : Cet entretien obligatoire existe déjà. Non seulement les personnes intéressées viennent s'informer, mais le médecin établi un bilan, propose un diagnostic et revoit ces personnes. Lors des visites ultérieures, il y a un échange obligatoire et important. Les couples qui ont reçu cette information vont poser des questions. Par ailleurs, le médecin, qui aura prescrit des examens complémentaires aura, lui aussi, de plus amples informations. Il existe donc déjà tout un cheminement et il est évident que l'aide médicale à la procréation ne s'effectue jamais immédiatement.

La loi de 1994 nous oblige à signer un certificat au moins un mois après la première consultation pour "prouver" que les personnes entrant dans une démarche d'AMP ont reçu le dossier guide et confirment leur souhait.

Le débat doit porter sur la question de savoir où commence l'aide médicale à la procréation. Moi qui reçoit les couples à un moment déjà avancé du processus, je constate qu'ils arrivent usés par des années de traitements inefficaces et mal adaptés.

Le parcours en lui-même - la stimulation hormonale, le prélèvement ovacytaire - c'est un encadrement difficile, mais ce n'est pas là que commence la difficulté. Tout le débat est là : où commence l'encadrement, la formation, la prescription des traitements ?

Puisque vous avez évoqué l'adoption, je voudrais y revenir pour dire qu'il s'agit d'une autre difficulté. La loi nous demande de faire une information sur l'adoption. A l'heure actuelle, les institutions qui s'occupent d'adoption exigent des couples d'avoir fait le deuil d'un enfant biologique. J'estime que lorsque je leur explique que l'on n'y arrivera pas, il serait temps de démarrer un dossier d'adoption et cela ne nuirait pas à la démarche d'aide médicale à la procréation. Tant que les institutions en charge d'adoption obligeront les couples à mentir sur leur parcours d'aide médicale à la procréation, nous ne pourrons pas leur donner cette information essentielle.

Mme Yvette Roudy : Avons-nous des statistiques ? Savez-vous combien de couples, ayant subi des échecs d'AMP, se tournent vers l'adoption ?

Mme Sylvie Epelboin : Non, mais il y en a un certain nombre. Les couples se posent la question de l'adoption, lorsque plusieurs tentatives ont échoué.

Mme Yvette Roudy : Vous limiteriez les tentatives ?

Mme Sylvie Epelboin : Elles se limitent d'elles mêmes. Certains couples vont tout de même d'un centre à l'autre et ne le disent pas.

Mme Yvette Roudy : D'après votre expérience et dans l'intérêt des couples quel est le nombre de tentatives raisonnable ?

Mme Sylvie Epelboin : Je parlerai, non pas en termes de tentatives, mais de nombre d'embryons ; nous souhaitons en effet transférer, au cours d'une tentative, un certain nombre d'embryons - deux, et exceptionnellement trois -.

Mme Yvette Roudy : Les embryons congelés permettent d'éviter un trop grand nombre de stimulations ovariennes.

Mme Sylvie Epelboin : Si au bout de sept transferts de deux embryons, il n'y a aucun succès, c'est qu'il existe un tout autre problème. Mais je ne pense pas qu'il faille limiter le nombre de tentatives.

En revanche, il existe un problème très important : l'interdiction de détruire les embryons. La loi est d'un flou extraordinaire. Les embryons sont gardés pendant cinq ans. Certains couples, ayant eu deux ou trois enfants depuis 1994, demandent aujourd'hui la destruction de leurs embryons. Ils ne se comportent plus comme des couples stériles ayant un devoir envers la société.

Par ailleurs, quotidiennement, des embryons sont détruits. Au deuxième jour, les embryons sont cotés en fonction de leur qualité évolutive, en fonction du nombre de fragments cellulaires existant à côté des cellules qui se divisent ; il y a les embryons de type A - pas de fragments-, B - moins de 20 % de fragments -, C - 50 % - et D. Les embryons A et B sont transférables immédiatement ou congelables avec des chances de succès à la décongélation. Les embryons C peuvent donner des enfants, mais ne sont pas congelés, car ils risquent de ne pas être de bonne qualité à la décongélation. Enfin, les embryons D sont en général dégénératifs. Dans tous les laboratoires de FIV en France, les embryons de types C et D sont jetés quotidiennement.

Mme Yvette Roudy : Ils pourraient servir à la recherche.

Mme Sylvie Epelboin : Peut-être, mais il ne s'agit pas d'embryons évolutifs.

En revanche, aucun biologiste n'a le droit de décongeler les embryons de type A et B ; comme si le fait de les avoir congelés leur conférait une parcelle d'humanité supplémentaire. C'est extraordinaire symboliquement.

Mme Yvette Roudy : Le projet de loi indique que les embryons qui ne font pas l'objet d'un projet parental devront être détruits au bout de cinq ans. Par ailleurs, il est autorisé de s'en servir pour la recherche.

Mme Madeleine Dayan-Lintzer : C'est une bonne chose, car actuellement des couples séparés demandent la destruction de leurs embryons, ce que leur refusent les médecins.

Mme Yvette Roudy : La question essentielle est la suivante : à qui appartient l'embryon ? Ce qui nous amène au problème de l'implantation post-mortem. Personnellement, je pense qu'il serait intéressant de laisser la décision d'autoriser ou non cette implantation à l'Agence de la procréation et qu'il ne fallait pas légiférer.

Mme Sylvie Epelboin : Je suis d'accord avec vous. Il ne fallait pas légiférer sur ce point. Si l'on crée cette haute autorité, il conviendrait d'inscrire dans la loi que chaque cas doit être discuté, afin que la femme puisse venir présenter sa problématique. Ensuite, un collège - non impliqué affectivement - prendrait la décision. En France, il n'existe que très peu de dérives.

Mme Yvette Roudy : Que pensez-vous de l'idée d'une Agence ?

Mme Sylvie Epelboin : Elle fonctionne très bien en Angleterre.

Mme Yvette Roudy : Oui, mais on ne nous propose pas la même !

Mme Sylvie Epelboin : La commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal, dans laquelle nous avions fondé un immense espoir, ne dispose pas des moyens de jouer son rôle. Nous n'avons pas de référence, donc tout autre modèle est bon à prendre.

Mme Yvette Roudy : L'article 8 du projet de loi concerne les dons de gamètes. Compte tenu de la fréquence des familles monoparentales et de la pénurie de gamètes, les dispositions législatives actuelles, qui exigent que le donneur fasse partie d'un couple et qu'il ait au moins un enfant à l'intérieur de ce couple, apparaissent très restrictives. Aussi, cet article 8 maintient-il la référence à la seule notion de parentalité, afin de permettre aux personnes veuves, divorcées ou célibataires, ayant déjà eu un enfant, d'être donneurs.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pouvons-nous maintenant aborder le contenu des protocoles entre le médecin et la patiente. Ont-ils un sens ? Par exemple, est-il indiqué que l'on s'engage pour quatre FIV ?

Mme Sylvie Epelboin : Non, cela n'est écrit nulle part. Les couples et les médecins s'engagent sur une seule tentative de fécondation in vitro.

Mme Madeleine Dayan-Lintzer : Il est difficile, à la fois de proposer une technique et d'expliquer qu'il existe des risques d'échec. La dérive des protocoles et des contrats existe quand ils ne sont pas expliqués.

Mme Sylvie Epelboin : L'entretien préliminaire n'est pas plus à mettre dans un texte que l'entretien après un échec pour trouver les causes de l'échec et établir un nouveau projet.

Il ne me semble pas que les équipes actuelles, en France, proposent un contrat pour X tentatives. En revanche, lors des consultations préliminaires à la mise en route d'un protocole d'AMP, il est légitime de fixer des échéances. Et après chaque échec, le projet est redéfini, les solutions sont rediscutées. Aucun projet définitif n'est satisfaisant.

Mme Madeleine Dayan-Lintzer : Nous tenons aux consultations intercalaires et préliminaires. Si elles ne peuvent pas être codifiées, peut-être pourrions-nous les envisager dans le code de bonne conduite. Par ailleurs, nous pourrions considérer, dans les protocoles de FIV, que ces consultations demandent du temps.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Devez-vous remplir ce type de mission d'accompagnement et d'explication ?

Mme Madeleine Dayan-Lintzer : Absolument ! Une telle prise en charge élargirait le champ des professionnels de l'écoute et de l'accompagnement ; l'ensemble des remises en question préliminaires et intercalaires pourraient ainsi être prosaïques, multicolores.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avions envisagé, dans un premier temps, mais nous ne l'avons pas inscrit dans le projet de loi, d'autoriser le recours au clonage thérapeutique. Pensez-vous qu'il serait possible d'ouvrir un marché entre les pays du Nord et ceux du Sud pour les ovocytes ? Par ailleurs, en ce qui concerne les FIV, les hyper-stimulations ovariennes sont mises en cause ; existe-t-il d'autres modes de prélèvement ?

Mme Sylvie Epelboin : Prélever les ovules uniquement lors des cycles spontanés est très difficile. Nous sommes donc obligés de pratiquer une hyper-stimulation ovarienne. Au début du cycle, il y a plusieurs follicules, puis, sous l'effet de l'hormone de croissance folliculaire, au cinquième jour, un follicule va devenir dominant.

Pour les stimulations mono-folliculaires, lorsqu'il y a eu un problème d'ovulation ou pour insémination, on va commencer les stimulations après le cinquième jour pour accompagner la croissance de ce follicule, qui va devenir un follicule ovulatoire.

En fécondation in vitro, nous allons supprimer ce phénomène de dominance, ou du moins nous allons essayer de faire pousser tous ces petits follicules qui, habituellement, disparaissent, de façon à avoir un recueil d'ovules et une mise en fécondation de tous ces ovules. Par rapport à la lourdeur du suivi, on obtient ainsi un nombre satisfaisant d'embryons.

Nous n'avons pas d'autres moyens, à l'heure actuelle, que de stimuler par l'hormone de croissance folliculaire. Nous ne disposons pas de critères absolus d'hyper-stimulation pathologique : chez certaines femmes, les ovaires se remettent à travailler de façon excessive, avec des risques. Les recherches se portent sur la stimulation in vitro de fragments d'ovaires. Cette pratique, où l'on extérioriserait totalement les ovaires, poserait d'autres problèmes sur la dissociation sexuelle. Mais nous n'aurons pas de résultat avant une dizaine d'années. Pour l'instant nous ne disposons pas d'autres moyens qu'une gestion raisonnable des stimulations. Par rapport à la Belgique et aux Etats-Unis, nous obtenons un nombre d'ovules beaucoup plus raisonnable.

Mme Madeleine Dayan-Lintzer : Je voudrais évoquer le double sens de l'hyper-stimulation : nous venons de parler de l'hyper-stimulation thérapeutique, mais il convient également de prendre en compte le syndrome pathologique.

Mme Sylvie Epelboin : En conclusion, je souhaiterais parler des dons d'ovocytes et de la congélation. Il s'agit d'une politique sécuritaire qui n'a pas lieu d'être. De nombreuses études démontrent que la congélation n'est pas nécessaire.

En outre, en ce qui concerne le don d'ovules, le parcours est long et difficile ; je suis agréée pour le don d'ovules, et je suis toujours aussi mal à l'aise d'avoir à stimuler des donneuses, alors que la loi précise que l'aide médicale à la procréation s'adresse à des personnes stériles. Ces femmes ne sont pas stériles, elles agissent par générosité.

Actuellement, nous contournons complètement la loi, qui nous interdit de subordonner le don au fait qu'un couple de receveurs se présente avec une donneuse ; en fait, nous sommes amenés, par pénurie, à refuser les femmes qui n'ont pas de donneuses. Et tant que l'on restera dans l'anonymat et la gratuité - ce dont, par ailleurs, je me félicite - ce problème ne sera pas résolu. Il sera seulement un peu amélioré si l'on supprime la congélation.

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