ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 7

mardi 22 février 2000
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, Présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'État et de la décentralisation

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu M. Emile ZUCCARELLI, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'État et de la décentralisation.

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente : Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'État et de la décentralisation.

Monsieur le ministre, notre Délégation, qui a commencé ses travaux au mois de novembre dernier, a notamment pour mission d'examiner les projets et les propositions de loi concernant les droits des femmes lorsqu'elle est saisie de ces textes par le Bureau ou les commissions permanentes de l'Assemblée nationale. Nous avons déjà examiné, au cours de ces derniers mois, un certain nombre de projets ou propositions de loi -sur la parité homme/femme dans la vie politique, sur les volontariats civils, sur le sport et sur la prestation compensatoire-, et nous avons commencé, voilà une quinzaine de jours, l'examen de la proposition de loi présentée par Mme Catherine Génisson relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Ce texte comprend deux parties, la première traitant davantage du monde de l'entreprise et la seconde de la fonction publique d'État, territoriale et hospitalière.

Vous avez confié, il y a deux ans, une mission à Mme Anne-Marie Colmou, et nous retrouvons, dans cette proposition de loi, un certain nombre des propositions qu'elle a faites dans le rapport qu'elle vous a remis sur l'encadrement supérieur dans la fonction publique. Nous aimerions connaître vos observations sur cette proposition de loi.

M. Emile ZUCCARELLI : Madame la présidente, je voudrais tout d'abord vous remettre le septième rapport relatif aux mesures prises dans la fonction publique pour assurer l'application du principe d'égalité des sexes : ce rapport a été présenté au Conseil supérieur de la fonction publique d'État hier après-midi.

Le souci d'égalité des sexes dans la fonction publique ne date pas d'hier. Si les résultats sont, aujourd'hui, encore modestes, je vous demande de les relativiser car il faut en examiner l'évolution en tenant compte de l'immobilisme des gouvernements précédents.

En 1997, il était aisé de dresser un constat sévère en ce qui concerne l'égalité des femmes et des hommes dans la fonction publique. Cependant, cette inégalité ne se manifeste pas à tous les niveaux ; en effet, 57 % des agents de la fonction publique sont des femmes.

Si l'on affine les pourcentages, l'on s'aperçoit qu'ils sont très inégaux selon les ministères puisque nous trouvons 71 % de femmes au ministère des affaires sociales, 65 % au ministère de l'éducation nationale et 26 % au ministère de l'intérieur.

S'agissant des cadres A, 52 % sont des femmes ; hors éducation nationale, elles ne sont plus que 33 %, et moins de 20 % au ministère de l'équipement. Mais l'inégalité la plus flagrante se trouve au niveau de l'encadrement supérieur -les cadres A+- où si les femmes représentent aujourd'hui un tiers des élèves sortant de l'ENA, le pourcentage de femmes dans les emplois d'encadrement supérieur pourvus à partir de ce vivier est bien inférieur. En 1997, elles représentaient 18 % des chefs de service, directeurs-adjoints et sous-directeurs et 11 % des directeurs, et elles étaient 18 % dans les inspections générales, sauf à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) où elles étaient 30 %. Enfin, l'on trouve 14 % de femmes dans les grands corps de l'État.

Des progrès ont été accomplis depuis, même si, il est vrai, ils sont encore insuffisants : entre 1998 et 1999, le nombre de femmes directrices d'administration centrale est passé de 19 à 21 ; le nombre des postes diminuant de 150 à 140, la proportion de femmes directrices est donc passé de 11 % à 15 %.

En 1999, Mme Anne-Marie Colmou m'a remis un rapport tendant à remédier à ces inégalités, à ces déséquilibres, et l'essentiel de ses conclusions a été retenu.

S'agissant des concours de recrutement de cadres supérieurs, les analyses du rapport démontrent que les femmes sont moins souvent candidates que les hommes et plus sévèrement sélectionnées. En outre, elles y obtiennent des places de sortie moins bonnes que les hommes, alors qu'elles ont de meilleurs résultats dans les examens universitaires -en particulier dans les matières utiles aux concours de la fonction publique, c'est-à-dire en droit et en économie.

La sélection pour la haute fonction publique semble donc privilégier, parmi les meilleurs, un éventail de profils trop restreint qui pénalise les femmes. Il s'agit d'une question qui mériterait d'être approfondie.

Le Gouvernement met actuellement en place un comité de pilotage qui réunira des fonctionnaires, des enseignants et des chercheurs. Il sera chargé d'examiner, dans les programmes des concours et le déroulement de la scolarité dans les écoles de fonctionnaires, les éventuels obstacles à un recrutement plus large. Il proposera au Gouvernement des solutions.

Lorsqu'il m'a été demandé de réfléchir à la réforme de l'ENA, je me suis rendu compte qu'il convenait, en effet, de diversifier les profils d'accès, les parcours pouvant mener à l'ENA, et d'analyser les handicaps que les femmes peuvent rencontrer.

Les articles 17 à 19, 21 et 22 de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson proposent une mesure très concrète pour améliorer cette égalité des chances d'accès à l'ENA : changer la composition des jurys chargés de recruter les fonctionnaires, afin de donner aux femmes une plus grande place -vous verrez tout à l'heure que ce souci d'équilibre s'appliquera également aux commissions administratives paritaires (CAP) et aux comités techniques paritaires (CTP).

Le Conseil d'État ayant estimé, le 14 octobre dernier, que nous ne pouvions pas, par décret, modifier la réglementation en ce domaine, nous avons choisi d'insérer cette modification dans la proposition de Mme Catherine Génisson.

En ce qui concerne les commissions administratives paritaires, l'administration sera tenue de désigner davantage de femmes (article 15 de la proposition de loi). L'équilibrage de ces instances -jury, CAP- mettra en _uvre un premier bloc des mesures proposées par le "rapport Colmou". Cependant, il est évident que, sans un volontarisme ministériel marqué, nous n'arriverons pas à faire bouger les choses.

L'autorité de nomination désigne les cadres supérieurs en fonction des profils de postes et des compétences des candidats à l'intérieur de viviers dont la féminisation permettra de nommer davantage de femmes. Pour y parvenir, les ministres devront présenter des plans d'objectifs pluriannuels les engageant à rééquilibrer progressivement la composition sexuée de l'encadrement dans des proportions correspondant à celle des viviers utilisés. Une circulaire du Premier ministre est actuellement en cours de publication.

Un haut fonctionnaire, pour chaque ministère, sera chargé de tenir à jour une liste "sexuée" des agents susceptibles de pourvoir les postes d'encadrement ainsi que leur profil professionnel.

Une autre remarque du "rapport Colmou" touche à l'organisation du travail : les femmes se montrent quelquefois moins actives que les hommes dans leur souci d'améliorer leur parcours professionnel. Parmi plusieurs raisons, nous pouvons relever celle des horaires trop contraignants qui s'imposent aux cadres et les rebutent ; la pratique très française des horaires indéfiniment extensibles finit par pénaliser plus nettement les femmes que les hommes.

Une amélioration sera apportée par le rééquilibrage des CTP, des instances paritaires consultées en matière d'organisation du travail : il est prévu aux articles 16 à 20 de la proposition de loi.

En ce qui concerne le Conseil supérieur de la fonction publique de l'État, l'effort est déjà visible grâce à l'action de persuasion et de harcèlement qu'a menée la direction générale de l'administration et de la fonction publique. Ainsi, la délégation de l'administration à ce Conseil était tout à fait paritaire, lors d'une réunion qui s'est tenue hier, ce qui n'était pas le cas pour celle des organisations syndicales !

En 1996, les représentants de l'administration au Conseil supérieur de la fonction publique comptaient 53 hommes et 7 femmes, contre 37 hommes et 24 femmes en 1999. En revanche, en 1996, les organisations syndicales étaient représentées par 50 hommes et 10 femmes, contre 44 hommes et 16 femmes en 1999.

Le temps partiel, quant à lui, est un mode de travail choisi surtout par les femmes. En effet, sur environ 150 000 agents ayant choisi le temps partiel, 145 000 sont des femmes. Quatre-vingt mille femmes pour 4 700 hommes ont choisi de ne pas travailler un jour complet, notamment le mercredi. Les agents sont, dans ce cas, favorisés par un abattement de salaire inférieur au temps effectif, le temps partiel à 80 % étant payé à 90 %, ce qui profite d'abord aux femmes.

Mme Martine LIGNIERES-CASSOU, présidente : Monsieur le ministre, je vous remercie.

Ma première question concerne les statuts particuliers : ne convient-il pas de s'interroger également sur les statuts particuliers, tels ceux des militaires, des médecins hospitaliers, des magistrats et du personnel des assemblées parlementaires ?

Deuxièmement, nous notons tous les efforts réalisés à la fois par l'administration, les chefs d'entreprise et les partis politiques en ce qui concerne la parité. En revanche, nous ne percevons pas ces mêmes efforts chez les organisations syndicales. Il s'agit là, à mon avis, d'une des raisons pour lesquelles nous n'avons pas beaucoup avancé dans le secteur privé ces dernières années -et je pense à l'application de la "loi Roudy". En effet, les femmes étant peu présentes à la tête des organisations syndicales, la question de la parité est mal reprise dans les négociations. Avez-vous eu des discussions avec les organisations syndicales sur la manière de faire progresser plus rapidement l'idée de parité ?

Troisièmement, cette proposition de loi devrait permettre une représentation équilibrée dans deux types d'instance, les CAP et les CTP. L'article 12 de la loi du 11 janvier 1984 relative à la fonction publique de l'État mentionne cependant d'autres instances paritaires, telles que le Conseil supérieur de la fonction publique lui-même et le comité d'hygiène et de sécurité. Ne serait-il pas souhaitable d'élargir les mesures envisagées à ces autres instances paritaires ?

A propos de la fonction publique territoriale, le "rapport Colmou" insiste sur l'absence de statistiques la concernant. Par ailleurs, Mme Anne-Marie Colmou souligne que les statistiques présentées tous les deux ans dans un rapport donnent une photographie à un moment donné plus qu'une vision dynamique et prospective ; elle déplore donc l'absence d'outils d'analyse dans le cadre de la fonction publique territoriale. Votre réflexion a-t-elle évolué en ce domaine ; pouvez-vous aller un peu plus avant ?

Ne serait-il pas bon d'étendre également les dispositions envisagées à la fonction publique hospitalière, je pense notamment aux comités techniques d'établissement qui sont les CTP des centres hospitaliers ?

Monsieur le ministre, vous avez mis en place un comité de pilotage pour examiner les conditions de recrutement et de concours, ainsi que le profil demandé aux candidats pour ces concours. Ne vous paraît-il pas nécessaire -en regroupant les trois fonctions publiques- de créer un comité d'évaluation de la parité qui pourrait mesurer l'avancée des femmes dans les trois fonctions publiques, et notamment dans les postes d'encadrement supérieur ?

Ma dernière observation concerne les négociations dans leur ensemble. Un des axes forts de la proposition de loi est de dire que, dans le secteur privé, toutes les négociations partenariales doivent inclure la question de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Ne serait-il pas souhaitable de transposer cette disposition à la fonction publique ?

Mme Catherine GÉNISSON : Monsieur le ministre, afin de mettre en évidence la cohérence globale de cette proposition de loi, et en particulier la cohérence entre son titre I et son titre II, ne serait-il pas opportun, lorsque nous allons demander au monde de l'entreprise de mettre en place des indicateurs pertinents permettant d'apprécier de façon dynamique la façon dont est appliquée l'égalité professionnelle dans l'entreprise, d'avoir la même démarche au niveau des trois fonctions publiques ? Tout en considérant, bien entendu, qu'il puisse y avoir des indicateurs spécifiques à chaque fonction publique.

Dans le même souci de cohérence, ne pourrait-on pas imaginer, comme pour le secteur privé, un Conseil supérieur de l'égalité professionnelle dans la fonction publique qui, dans chaque ministère, serait chargé de surveiller la façon dont sont appliqués les plans d'objectif ?

En ce qui concerne l'article 13 de la proposition de loi qui regroupe un certain nombre d'articles qui étaient dispersés dans le statut de la fonction publique, la disposition selon laquelle "des recrutements distincts pour les femmes ou les hommes peuvent exceptionnellement être prévus lorsque l'appartenance à l'un ou l'autre sexe constitue une condition déterminante de l'exercice des fonctions", est-elle encore d'actualité ? Existe-t-il encore des métiers strictement féminins ou masculins ? Doit-on laisser figurer cette discrimination ?

Mme Nicole FEIDT : Monsieur le ministre, pouvez-vous nous révéler la teneur du décret qui précisera les conditions d'application de la loi ? Par exemple, quelle sera la proportion d'hommes et de femmes retenue pour assurer la mixité ? Cette proportion concernera-t-elle l'ensemble des représentants de l'administration, c'est-à-dire les titulaires et les suppléants -les femmes étant le plus souvent suppléantes ?

Par ailleurs, des mesures sont-elles prévues pour élargir le vivier des fonctionnaires susceptibles de représenter l'administration au sein des CAP ? En effet, nous connaissons des problèmes importants dans les collectivités territoriales en ce qui concerne la représentation des femmes ; ainsi, les CTP sont composés de très peu de femmes, notamment dans l'administration départementale.

Mme Muguette JACQUAINT : Monsieur le ministre, ma question concerne la représentation des femmes dans les organisations syndicales. On dit souvent que les femmes ne sont pas candidates, notamment aux postes de responsabilité de la fonction publique. Cette situation ne s'explique-t-elle pas par le fait qu'elles considèrent que cela constituerait pour elles un handicap supplémentaire ? Les organisations syndicales ont certainement leur part de responsabilité, mais les femmes ne craignent-elles pas, en faisant partie d'une organisation syndicale, d'être à nouveau pénalisées ?

M. Emile ZUCCARELLI : S'agissant des statuts particuliers, j'ai cru comprendre que le statut de la magistrature était particulièrement visé...

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente : Pas plus que celui des militaires ou du personnel de l'Assemblée !

M. Emile ZUCCARELLI : Nous sommes dans une situation assez classique dans la fonction publique, c'est qu'il y a beaucoup de femmes magistrats. Les textes de loi concernant le statut des magistrats qui sont en cours d'examen par le Parlement donneront l'occasion de se pencher sur ce problème et d'examiner ce qu'il peut y avoir de spécifique dans le statut des magistrats.

En ce qui concerne le statut spécial du personnel parlementaire, les assemblées elles-mêmes devraient prendre l'initiative de l'évolution des règles fixant ce statut ; en effet, elles pourraient s'émouvoir que cette initiative provienne de l'exécutif.

Vous avez parlé de la fonction publique territoriale. Si elle n'était pas concernée par ces dispositions, il aurait été inutile de préparer un texte législatif ; s'il s'agissait pour l'État de s'obliger lui-même, une circulaire aurait suffi ! Si nous passons par un texte de loi, c'est notamment pour créer les mêmes obligations dans la fonction publique territoriale. Il est vrai que celle-ci connaît des difficultés de rassemblement de l'information, compte tenu de sa dispersion : 50 000 employeurs ayant dans leur grande majorité des effectifs très réduits de fonctionnaires. Par ailleurs, des difficultés existent également pour la fixation des règles relatives aux CAP ou CTP.

Mme Nicole FEIDT : Il conviendrait tout de même de les inciter à en faire davantage !

M. Emile ZUCCARELLI : Tout à fait !

En ce qui concerne le décret d'application fixant la proportion des membres des jurys et des comités de sélection appartenant à chacun des sexes, il sera certainement précisé -la parité absolue, 50/50, n'étant pas possible- que les personnes d'un même sexe ne peuvent pas faire moins du tiers de la représentation. Il s'agit probablement d'une disposition minimaliste, mais c'est un minimum qui me paraît raisonnable et applicable, sachant que l'objectif, à terme, c'est l'équilibre.

Mme Nicole FEIDT : Vous craignez de ne pas disposer d'un vivier suffisant pour les cadres de catégorie A ?

M. Emile ZUCCARELLI : Il existe effectivement des problèmes de viviers pour constituer les CAP dans certaines catégories d'encadrement.

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente : Ne peut-on pas prévoir dans ce décret en Conseil d'État, outre ce plancher d'un tiers, un calendrier permettant d'atteindre progressivement la parité dans 5 ou 10 ans ? Une telle disposition est-elle envisageable ?

Mme Danièle BOUSQUET : Une telle disposition permettrait, en effet, de fixer des objectifs liés à la croissance des effectifs féminins dans les viviers et de mesurer l'efficacité des mesures prises.

M. Emile ZUCCARELLI : Notre intention est bien d'aller dans ce sens, en partant de normes raisonnables ; rien ne serait pire que d'avoir des textes inapplicables.

Mme Hélène MIGNON : Cela doit en effet être réalisé sous forme de perspectives, en faisant régulièrement le point sur l'évolution des effectifs. S'il n'y a pas d'évolution favorable au niveau des effectifs de chaque catégorie, comment pourrions-nous avoir des représentations mieux équilibrées ? Si les femmes ne sont que 30 % dans une instance, on ne peut exiger qu'elles soient 50 % dans les CTP !

Mme Catherine GÉNISSON : Il faut tout de même s'éloigner de la notion de représentation catégorielle ! Les femmes ne représentent pas les femmes et les hommes ne représentent pas les hommes ! On peut tout à fait imaginer qu'à partir du moment où il y a un certain pourcentage dans le vivier, il y ait la parité au niveau du CTP. Le pourcentage de femmes au sein des CTP peut évoluer plus rapidement que le pourcentage d'augmentation de femmes dans le vivier.

M. Emile ZUCCARELLI : Cela va de soi, mais dans certains cas le vivier n'est pas suffisant pour atteindre une certaine parité ; si j'ai quatre personnes à choisir dans un vivier où il n'y a qu'une femme, les femmes ne seront pas plus de 25 % !

Nous devons avancer en mettant en jeu plusieurs moyens à la fois : juridiques, réglementaires, mais également volontaires. Ces derniers, qui sont certainement les plus difficiles à mettre en _uvre, sont probablement les plus puissants.

S'agissant des CTP, les plans d'objectif par ministère leur seront obligatoirement présentés tous les ans ; ce qui est l'équivalent de l'obligation de négocier sur le thème de la parité dans les entreprises.

Mme Génisson, vous vous demandiez quel métier était strictement féminin ou masculin. A ma connaissance, il en existe encore un : il concerne le recrutement séparé du personnel des établissements pénitentiaires. Et le ministère de la Justice ne souhaite pas y renoncer avant une expertise beaucoup plus approfondie de la situation.

Mme Catherine GÉNISSON : Par ailleurs, les hommes n'ont pas le droit de travailler dans la Maison de la Légion d'Honneur qui élève des jeunes filles !

M. Emile ZUCCARELLI : Depuis Robert Badinter, il n'y a plus de bourreaux, ce qui nous enlève une épine du pied ! Je voudrais revenir sur le problème des instances paritaires dans la fonction publique hospitalière, pour préciser qu'elles sont composées également d'élus ; il en résulte une spécificité des comportements et des avancées moins importantes que dans la fonction publique de l'État.

Mme LIGNIÈRES-CASSOU, présidente : En ce qui concerne les organisations syndicales, les dispositions de la proposition de loi font porter l'effort de féminisation des jurys, des CAP et des CTP, non pas sur les organisations syndicales, mais sur l'administration. Avez-vous eu un débat avec les organisations syndicales à ce sujet ?

M. Emile ZUCCARELLI : Non, je ne peux pas dire que j'ai engagé des négociations avec les organisations syndicales sur le problème de la parité ; on en parle lors de nos rencontres, mais il me paraît délicat de leur donner des leçons à ce sujet avant de balayer devant ma porte !

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente : Il est en effet indispensable que l'administration fasse des efforts, mais il me semble que l'ensemble des partenaires doit aussi être amené à en faire !

Mme Muguette JACQUAINT : Essayons de comprendre pourquoi cela ne fonctionne pas. On peut dire qu'il y a certainement une part de responsabilité des organisations syndicales et un problème de vivier. Mais je le répète, faire partie de la haute fonction publique constitue un handicap supplémentaire pour les femmes.

M. Emile ZUCCARELLI : Si nous devions imposer une règle sur la composition par sexe des représentations syndicales, nous ne serions pas fondés à imposer des règles discriminatoires pour les syndicats de la fonction publique par rapport aux autres syndicats ; nous nous trouverions dans le cas d'une rupture d'égalité entre les associations.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Monsieur le ministre, aller vers une parité au niveau des jurys me paraît être un effort louable. Les plans d'objectif pluriannuels visant à rééquilibrer la proportion d'hommes et de femmes dans la plupart des postes de la fonction publique sont également une bonne chose. Cependant, vouloir à tout prix atteindre la parité absolue 50/50 me paraîtrait une erreur.

Je suis tout à fait favorable à la promotion des femmes, à tous les niveaux, mais il faut savoir raison garder car cela dépendra des fonctions, des années, etc. Ne faisons pas passer le paramètre sexe avant le paramètre valeur personnelle, autrement l'on aura un affaiblissement de la fonction publique.

Par ailleurs, certaines fonctions me paraissent terriblement féminines et d'autres particulièrement masculines. Je comprends la sagesse du ministère de la Justice qui demande à réfléchir avant de mettre des femmes gardiennes dans des prisons d'hommes. De même, dans la fonction publique hospitalière, je ne suis pas pressée de voir 50 % d'hommes aides-soignants.

Je souhaiterais donc que l'on n'agisse pas en aveugle, de manière mathématique, en se fixant un objectif de 50/50 ; la matière humaine est beaucoup plus complexe ! Lorsque vous dites, Monsieur le ministre, que le décret d'application de la loi fixera une proportion d'un tiers pour la représentation féminine, cela me paraît raisonnable ; et notamment pour la magistrature où les femmes représentent 75 % à 80 % des effectifs, ce qui est d'ailleurs regrettable.

Enfin, j'ajouterais que cet effort que nous réalisons ensemble est louable, mais quelque peu artificiel, tant que l'on n'aura pas résolu d'autres problèmes spécifiquement féminins, tels que ceux concernant les tâches ménagères et familiales. De nombreuses femmes, brillantes, refusent d'accéder à des postes de responsabilité pour s'occuper de leur famille.

M. Bernard ROMAN : Toute le monde évoque les contingences culturelles, mais c'est un cercle vicieux ; car c'est aussi en changeant le cadre que l'on fera évoluer les mentalités. Je constate d'ailleurs une évolution très nette des mentalités des jeunes générations pour la prise en charge d'un certain nombre de tâches qui étaient, il y a quelques années encore, jugées spécifiquement masculines ou féminines. Le rôle du législateur, comme pour la parité en politique, est d'essayer de faire bouger le cadre en constatant l'inégalité.

Monsieur le ministre, n'est-il pas envisageable, en constatant aujourd'hui, non pas l'inégalité de présence des femmes dans la fonction publique, mais l'inégalité des femmes dans les postes de responsabilité, d'avoir des attitudes volontaristes ?

Je prendrai deux exemples. Chaque année, il est procédé à des nominations d'administrateurs civils au tour extérieur ; il suffit de regarder les résultats de ces nominations pour constater qu'il n'y a aucune attitude volontariste dans la promotion des femmes. Que l'on ne me parle pas de vivier, car je crois qu'il y a plus de candidatures de femmes au poste d'administrateur civil au tour extérieur que de candidatures d'hommes. N'y a-t-il pas possibilité de provoquer des attitudes volontaristes à cet égard ?

Second exemple : dans la fonction publique territoriale, certaines règles jouent pour les promotions internes chaque fois qu'il est procédé à des recrutements externes. N'y a-t-il pas possibilité, là aussi, de jouer sur l'incitation, sinon l'obligation, à la nomination interne d'attachées qui permette de compenser cette inégalité ? Y compris en autorisant quatre nominations au lieu de trois, s'il y a deux hommes et deux femmes.

M. Emile ZUCCARELLI : Madame Boisseau, il y a peut-être trop de femmes magistrats, mais il n'y a qu'une femme procureur général ! Les femmes représentent 57 % de l'effectif total de la fonction publique, 52 % de l'effectif total des cadres A et un tiers des sortants de l'ENA, école qui donne accès aux fonctions d'encadrement supérieur. Cependant, elles ne sont plus que quelques pour-cent dans les fonctions de haute responsabilité : 6 préfètes en tout, 15 % de directrices d'administration.

Je suis attentif à la demande de Monsieur Roman concernant un rééquilibrage dans les nominations au tour extérieur, mais cette question est secondaire par rapport à celle concernant le choix pour la promotion aux responsabilités ; là, une discrimination s'impose : l'exemple de la magistrature est, à cet égard, particulièrement flagrant.

S'agissant de la fonction publique territoriale, je puis indiquer que, d'après le rapport Schwartz, paru il y a deux ans, la promotion de l'encadrement supérieur -la machine à fabriquer des administrateurs territoriaux- doit s'orienter de plus en plus vers une régulation nationale.

Madame Boisseau, vos remarques sortent un peu du cadre strict de la fonction publique : parité, égalité, etc. Il s'agit là d'un grand débat. Mais il est évident que lorsqu'une situation ne bouge pas, il convient de la faire évoluer avec, peut-être, des méthodes qui paraîtront inadaptées demain, mais qui, dans l'instant présent, sont justifiées et nécessaires.

Prenons l'exemple de la place des femmes dans cette assemblée ; il a bien fallu prendre des mesures pour ne pas rester la honte de l'Europe !

Toutes ces mesures doivent être appréciées dans le temps présent. Peut-être que demain nous devrons prendre d'autres mesures visant à assurer un minimum de représentation masculine ! Je ne suis pas sûr que dans un siècle, il sera encore nécessaire d'avoir une égalité stricte. Il s'agit d'une mesure nécessaire aujourd'hui pour faire sortir notre pays d'une situation moyenâgeuse.

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente : Monsieur le ministre, je vous remercie.


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