ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 13

mardi 2 mai 2000
(Séance de 18 heures)

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Marylise LEBRANCHU, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Madame la Ministre, nous souhaiterions vous entendre sur le problème du statut des conjoints d'artisans et de commerçants. Nous aimerions en particulier savoir si le projet de loi de modernisation sociale comportera des dispositions d'amélioration sur ce point ou si cette question est renvoyée à un ordre du jour ultérieur.

Nous voudrions également connaître l'état de vos réflexions sur ce sujet.

Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation : Depuis deux ans, il nous est demandé de donner aux professions libérales le même statut que celui des artisans et des commerçants. Jusqu'à présent, les professions libérales ne semblaient pas tellement concernées par le problème des conjoints. Mais, depuis peu, elles ont estimé qu'il fallait s'occuper des quinze mille conjoints -essentiellement des conjointes- se trouvant dans la même situation que ceux des entreprises artisanales et commerciales. En effet, la conjointe assure souvent la gestion du cabinet, accueille la clientèle, répond au téléphone, et exerce en pratique une véritable activité professionnelle.

Mme Marie Jacq, elle-même ancienne conjointe d'artisan, s'était rendu compte, à la suite du décès de son mari, de l'inexistence des droits de la conjointe. Avec de nombreuses associations, elle avait soutenu un projet de loi créant un statut pour les conjoints d'artisans et de commerçants. Les femmes d'agriculteurs avaient par la suite formulé la même demande d'un statut. Les professions libérales ne l'ont pas fait à l'époque.

Aujourd'hui, il serait utile de doter les conjointes de professions libérales d'un tel statut.

Concernant le statut des conjoints d'artisans et de commerçants, il faut cependant souligner que le pas franchi en 1982, certes déterminant, reste parfois de l'ordre du symbole. En effet, même si les femmes font la démarche qui leur permet de devenir des conjointes reconnues par le droit en s'inscrivant en tant que collaborateur au Registre du commerce ou au Répertoire des métiers, elles n'exercent pas toujours les droits qui leur sont reconnus par la loi.

A l'heure actuelle, seulement 25.000 conjoints de travailleurs indépendants, soit moins de 10 % de la population concernée, ont un statut. Sur ces 25.000 personnes, seules 15.000 bénéficient de tous leurs droits. Plusieurs centaines de milliers de personnes travaillent donc sans avoir aucun droit à l'assurance maternité, et surtout à la retraite.

Même si on assiste aujourd'hui à une certaine remise en cause de la pension de réversion, l'amélioration des lois sur le divorce protège un peu celles qui ont travaillé au côté de leur conjoint pendant très longtemps. C'est néanmoins très nettement insuffisant.

A l'inverse, on peut noter qu'il y a un progrès en matière de statut social des conjoints puisqu'un plus grand nombre de conjointes sont aujourd'hui salariées de l'entreprise de leur époux.

La question posée par le choix du statut est difficile et je l'ai rappelé, le 8 mars dernier, lors d'un comité interministériel. Doit-on considérer que la loi est suffisante mais qu'il y a simplement une carence d'information, ou bien doit-on faire évoluer le droit ?

Même si le droit doit évoluer, il appartient aux Chambres consulaires de faire un premier pas dans le domaine de l'information : on pourrait, par exemple, les obliger à informer toute personne qui va s'inscrire au Répertoire des métiers ou au Registre du commerce. On pourrait aussi obliger les Chambres consulaires à fournir des informations de ce type, tous les deux ou trois ans, par exemple. S'agissant de l'information, tout est à faire et, surtout, à bien faire.

J'ai rencontré beaucoup de femmes qui, si elles optent pour un statut, ont l'impression d'enlever quelque chose à leur conjoint, et surtout, sont persuadées que cela va faire "flamber " les cotisations payées. Or ce n'est pas le cas, puisqu'en fait, il y a une possibilité d'opter pour une répartition entre les époux, en particulier en ce qui concerne les droits à une pension de vieillesse.

Il est donc important de rendre obligatoire une information : par exemple, en remettant une brochure à l'entrepreneur lorsqu'il s'inscrit au Répertoire des métiers, ou qu'il change de société.

En revanche, je ne suis pas convaincue qu'il faille réécrire l'ensemble de la loi. Il convient d'abord d'appliquer ce qui existe.

Cependant, il y a aujourd'hui une difficulté qui tient au fait que beaucoup de conjointes sont tentées, pour se constituer des droits sociaux, d'opter pour le statut de salarié de l'entreprise. Cela remet en question l'existence même des entreprises unipersonnelles. Or, est-il bon de remettre en question le statut de l'entreprise unipersonnelle à travers un problème qui se pose aux conjointes ?

L'entreprise indépendante est enracinée dans notre culture, même si l'on a été tenté de faire évoluer son statut. Il conviendrait donc de travailler davantage sur le statut de l'EURL, en essayant de régler le problème des conjoints.

Le problème est double. C'est à la fois un problème de statut, et un problème de caution solidaire.

Je rencontre, la semaine prochaine, l'ensemble de l'Association française des banques (AFB) et des représentants des banques dites "mutualistes" et je leur poserai à nouveau le problème de la caution solidaire. En effet, lorsque nous avons mis en place la garantie SOFARIS, nous avons exigé que les banques qui recourent à cette garantie, limitent l'engagement financier qu'elles exigent des emprunteurs. Je considère qu'il y a lieu d'aller plus loin et par exemple d'interdire la saisie de la résidence principale des cautions.

Je pense d'ailleurs qu'il faut élargir le débat puisque tous les prêts ne sont pas garantis par la SOFARIS.

La caution solidaire est ainsi demandée de façon quasi systématique, même lorsqu'elle n'est pas nécessaire. Les banques justifient cette pratique par leur volonté d'ouvrir le crédit aux petites entreprises en dépit d'un coût de gestion fort lourd pour des projets très modestes. L'argument selon lequel une banque prendrait un risque majeur mérite d'être discuté.

Si la négociation ne réussit pas, je suis convaincue - et le ministre des finances l'est également -, qu'il faudra avoir recours soit au règlement, soit à la loi. Mais ce serait un constat d'échec. En effet, une telle difficulté opposant deux types d'entreprises privées, les banques d'une part, et les petites entreprises, d'autre part, devrait pouvoir être réglé par la médiation.

Je ne crois pas qu'il faille répondre au problème de la caution solidaire, par le développement de la forme sociétale de l'entreprise exclusivement. En effet, des milliers d'artisans, de commerçants, de petits entrepreneurs, ne transformeront pas leur entreprise en société, même si c'est plus simple aujourd'hui qu'hier. Les inciter à créer des sociétés ayant comme gérants des salariés autonomes ou des couples salariés, n'est donc pas la réponse exclusive.

Cette problématique rejoint celle du statut du conjoint, puisque l'on voit que ce dernier peut être reconnu quand il s'agit d'apporter sa garantie, mais pas lorsqu'il s'agit de ses droits.

Les conjoints collaborateurs ont de nombreuses autres revendications ; il est, par exemple, anormal que l'octroi de l'allocation parentale d'éducation nécessite la radiation des registres consulaires. Une autre de leurs revendications concerne le versement de l'allocation à mi-taux, assortie de la reprise à temps partiel de l'activité, la dernière année.

Alors que des conjointes ont fait reconnaître leur statut, beaucoup d'autres disent merci au chef d'entreprise qui leur permet d'avoir une activité. C'est dommage pour une société qui se veut moderne, et qui, au demeurant, l'est pour beaucoup d'autres sujets.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous sommes souvent interpellés sur le problème de la caution solidaire, mais également sur la remise en cause du statut lui-même, en raison de son inadaptation, ou du coût excessif du statut de conjoint associé.

Avez-vous procédé à des évaluations, pour chaque forme de statut, du coût que cela représente pour une petite entreprise ?

Mme Danièle Bousquet : Vos propos confirment ce que disent les femmes d'artisans que nous rencontrons.

En dépit de textes novateurs, il semble que les statuts qui protègent les femmes d'artisans soient très peu utilisés, sans doute pour des raisons de coût, mais également par manque d'information.

Quels sont les moyens à notre disposition pour obliger les Chambres consulaires à remplir effectivement cette mission d'information lors des quelques jours de formation qu'elles mettent en place au moment de l'installation de nouveaux artisans ?

Puisque la loi existe depuis près de vingt ans, et qu'elle n'est pratiquement pas appliquée, peut-on concevoir d'être un peu plus contraignants à l'égard des Chambres consulaires afin d'être certains que l'information soit faite ?

M. Patrick Herr : Vous parliez, Madame la Ministre, d'information vis-à-vis des artisans et des commerçants. Elle peut être faite, bien entendu, par les Chambres consulaires ainsi que par d'autres organismes comme les Chambres des métiers. Mais, ne pourriez-vous pas demander aux Caisses d'assurance maladie et d'assurance vieillesse, de faire également un travail d'information ?

Professionnellement, je suis confronté à ce problème des conjoints d'artisans et de commerçants  qui ne connaissent pas toujours très bien leurs droits ou leurs possibilités. Je pense que ce serait aux Caisses de faire une telle information.

Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation : Je reste convaincue que l'information doit passer par les Chambres des métiers, pour les artisans, et par les Chambres de commerce et d'industrie, pour les commerçants.

L'information obligatoire au moment de l'inscription me paraît être une bonne solution. Il me semble possible de le négocier avec l'Assemblée permanente des chambres de métiers (APCM). Je n'ai certes pas les moyens d'imposer une telle mesure ; cependant, on pourrait réserver une part des crédits d'animation économique et l'affecter à l'information sur les différents statuts.

On parle beaucoup de l'accompagnement du créateur d'entreprise. Souvent accompagné pour trouver le fonds de commerce ou pour réaliser l'étude de marché adéquats, celui-ci devrait être également accompagné pour tout ce qui concerne ses droits. Il faudrait demander aux centres de gestion agréés de faire une information plus incitative qu'elle ne l'est. Certes, je comprends que lorsque l'on s'installe, il faille penser à beaucoup de choses et que le problème des assurances n'est véritablement perçu qu'au moment où est adressé le premier appel de cotisations.

Il existe donc un vrai problème de l'accompagnement du créateur d'entreprise. Je regrette d'ailleurs de ne pas avoir inséré, dans la mallette qui est remise au créateur d'entreprise, un document sur le conjoint. Ce problème est moins d'actualité aujourd'hui, parce que beaucoup moins de femmes ou d'hommes dépendent aujourd'hui de l'entreprise. En effet, on devient généralement créateur d'entreprise, alors que le conjoint a déjà un travail. Les problèmes rencontrés par les conjoints sont surtout le fait des femmes âgées de 50 ans ou plus.

Prenons le cas le plus représentatif des situations rencontrées : celui d'un divorce suivi d'une faillite. Le conjoint qui n'était pas divorcé au moment de la signature d'un cautionnement solidaire reste solidaire de son conjoint. Une fois divorcé, alors qu'il n'a droit qu'à une partie de la pension de réversion, il est solidaire de la totalité des dettes engagées avant son divorce.

Quant à l'information, je ne pense pas que ce soit vraiment le rôle des Caisses de sécurité sociale. Mais, il est vrai qu'elles pourraient joindre un papillon, lors du premier appel de cotisations, rappelant qu'il faut se préoccuper du statut du conjoint.

En ce qui concerne les moyens modernes d'information, un projet de cotisations sociales en ligne (le "portail unique") vient d'être créé par des femmes de la Fédération française du bâtiment. Nous allons donc créer un "portail unique" d'informations sur Internet. Ce sont très souvent les femmes qui gèrent l'ensemble de l'entreprise, qui s'occupent de chercher les informations, y compris celles concernant les cotisations des salariés, même si elles ne sont ni associées, ni collaboratrices.

Nous ne connaissons pas le coût induit par cette évolution et il nous faudrait plus d'expertises.

L'obligation d'information au moment de l'inscription au Répertoire des métiers me semble une bonne solution : elle nécessite seulement un décret. Imposer cette obligation aux Chambres consulaires, par le vote d'une disposition législative, aurait un caractère plus solennel.

Nous avions pensé qu'une telle disposition pourrait être introduite dans les prochaines lois de financement de la Sécurité Sociale. Et, à mon sens, si cela se fait par amendement parlementaire, cela aura plus d'impact.

En ce qui concerne les Caisses et les régimes complémentaires, il y a un travail important à faire. En effet, les femmes qui ont acquis des droits sociaux n'ont généralement pas de régime complémentaire. C'est à nous de voir, avec l'ensemble des régimes complémentaires, comment prendre en compte le conjoint.

Chaque fois que l'on ouvre un droit, il faut en effet regarder ceux qui n'y ont pas accès, et se demander jusqu'à quel coût la cotisation est acceptable.

Il y a cependant un vrai problème pour les sociétés unipersonnelles et les EURL car les cotisations ne sont pas assises sur les revenus, mais sur les bénéfices industriels et commerciaux (BIC) ou sur les bénéfices non commerciaux (BNC). Il s'ensuit que pour beaucoup la solution consiste à constituer des sociétés. Est-ce pourtant bien la solution aujourd'hui ?

Pour revenir au problème de la caution solidaire, si, après un dépôt de bilan, il y a une déclaration de faillite dans une société, il y aura quand même solidarité du mari et de la femme qui ont signé ensemble un emprunt. Par conséquent, le fait qu'il y ait une société ne protège toujours pas plus les époux que dans le cas d'une entreprise unipersonnelle. C'est la raison pour laquelle la solution consistant à créer des sociétés n'est pas la bonne réponse.

La solution que je souhaite promouvoir est : la protection, dans le cadre du patrimoine familial, de la résidence principale. Je ne suis pas favorable au fait de protéger l'ensemble du patrimoine familial car il peut y avoir des personnes très fortunées qui gèrent mal une entreprise familiale.

En revanche, en dehors des cas de fraude, je souhaite que soit trouvé un consensus qui permette de protéger la résidence principale.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cela permettrait de résoudre une partie des problèmes de la caution solidaire.

Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation : En effet. Toutefois, si l'on s'engage sur des emprunts très importants et que l'on possède beaucoup de biens, on peut aussi répondre de sa gestion sur ses biens.

En plus des commerçants et des artisans, sont également concernées les petites sociétés unipersonnelles qui se créent, y compris dans le secteur des produits de haute technologie. Le risque y est admis, puisque l'on construit des pépinières d'entreprises, des sociétés de gestion d'accompagnement, pour passer de 80 à 50 % le taux de survie. Nous savons bien que la création d'entreprise est une activité risquée par nature. Cependant, l'ensemble de la société ne gère ni le risque ni la couverture du créateur - je l'ai dit aux États-généraux de la création d'entreprises - et j'espère que l'UNEDIC va proposer une solution pour permettre aux salariés démissionnaires créateurs d'entreprise de retrouver des droits à l'indemnisation au chômage en cas d'échec. Elle ne gère pas non plus la protection de son patrimoine.

Un salarié licencié a au moins la chance, bien que sa situation soit difficile, de garder sa résidence. Quelqu'un qui échoue dans le commerce, l'artisanat ou la petite entreprise, perd non seulement sa source de revenus, mais il peut également perdre sa résidence principale. Une protection minimale doit être possible à trouver, sauf en cas de fraude et de mauvaise gestion, de fait ou de droit.

Mme Danielle Bousquet : Il peut s'avérer qu'un conjoint sans statut, c'est-à-dire sans aucune protection, soit considéré comme associé de fait dans la gestion de l'entreprise, même quand il n'a pas signé de caution solidaire, et qu'il soit assujetti à devoir partager les dettes. Quels moyens peut-on envisager pour protéger cette personne, qui non seulement a travaillé gratuitement, sans aucun droit, mais qui de plus se trouve en situation de devoir partager les dettes ?

Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation : Quand on épouse quelqu'un qui assume un risque, quel qu'il soit, il faut commencer par faire une séparation de biens. Mais même dans ce cas, si la conjointe a été vue dans l'entreprise régulièrement, et qu'elle a signé des commandes, elle se trouve gérante de fait.

Il faut donc donner une information complète sur le statut, car certains, dès lors qu'ils ont fait une séparation de biens, se croient totalement protégés.

Mme Danielle Bousquet : Le régime matrimonial ne suffit pas à protéger le conjoint et l'information est donc nécessaire. Les femmes découvrent brutalement, alors qu'elles ont procédé à une séparation de biens, qu'elles peuvent se retrouver dans une situation affreuse et inattendue.

Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation : Cette situation peut atteindre également certaines femmes salariées, qui continuent à donner un coup de main. Ainsi, une institutrice qui, tous les mercredis après-midi, passait dans l'entreprise de son conjoint pour classer, gérer et renvoyer les bons, a été déclarée associée.

Il faut donc protéger le patrimoine familial en limitant cette protection à la résidence principale. Si cela est réalisé, les situations seront moins graves.

En ce qui concerne les femmes, c'est souvent après un divorce que la situation est la plus scandaleuse. Alors qu'elles ont refait leur vie, qu'elles travaillent à nouveau, elles risquent de se retrouver subitement solidaires d'une faillite de leur ancien conjoint.

Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, va proposer de modifier le régime juridique du divorce. Peut-être faudrait-il intégrer, dans le texte en préparation, l'idée qu'à partir du moment où le divorce est prononcé, il n'est possible de faire appel à la responsabilité de la conjointe que si celle-ci a réellement commis une faute dans le passé. Le divorce ne peut en effet pas absoudre de tout, notamment d'une erreur importante. Mais il serait possible de progresser en ce sens.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pensez-vous que la réponse au problème posé par la caution solidaire, qui est l'interrogation la plus pressante de la part des organisations professionnelles, passe en partie par le fait d'exclure la résidence principale ?

Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation : La réponse passe d'abord par l'utilisation du fonds de garantie géré par la BDPME/SOFARIS : soit des cofinancements, faits avec l'aide de ces instruments, soit la garantie SOFARIS pour les très petites entreprises. Il faut que le recours à ce fonds de garantie limite le recours à la caution solidaire. Le banquier doit choisir entre la garantie SOFARIS, le cofinancement BDPME du projet avec de l'argent public, et la caution solidaire.

Une autre réponse doit être trouvée dans l'évolution du régime matrimonial afin de mieux protéger la conjointe.

Il faut ensuite s'engager dans la voie de la protection du patrimoine familial, limité à la protection de la résidence principale.

Enfin, il faut que la femme qui n'est pas présente dans l'entreprise et qui n'est pas associée, fasse attention à ce qu'elle signe. Si l'on excluait la résidence principale (dans la limite d'un plafond) il faudrait, au-delà de cette valeur, que la femme ne soit solidaire, en cas de divorce ou de décès, que des dettes qui lui incombent.

Voici un cas parfois plaidé : l'épouse a vu les choses se dégrader, et, en toute connaissance de cause, elle a laissé aller l'entreprise jusqu'à la faillite frauduleuse. Elle peut alors être tenue pour responsable.

En définitive, on parle assez peu de la notion de responsabilité. Peut-être faudrait-il proposer aux assemblées consulaires d'intégrer, dans les modules de formation, une information sur la responsabilité des conjoints.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans quel texte -projet de loi de modernisation sociale ou deuxième lecture du projet de loi sur les nouvelles régulations économiques- inséreriez-vous de nouvelles dispositions ?

Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation : Nous n'étions pas prêts pour la première lecture du projet de loi sur les nouvelles régulations économiques. Il faut proposer un texte simple et lisible pour les conjointes, et très clair vis-à-vis des banques.

Nous avons un autre sujet de réflexion en cours, celui de la protection des consommateurs vis-à-vis des banques. J'en ai parlé mercredi dernier lors d'une question orale. Selon moi, le service bancaire de base, le droit des consommateurs, et la caution solidaire, font partie de notre négociation avec les banques. Le Gouvernement pourrait présenter un amendement au Sénat, que vous pourriez examiner en deuxième lecture à l'Assemblée nationale.

Mme Danielle Bousquet : Je souhaite revenir aux textes existants qui sont bons et contiennent de réelles avancées. Compte tenu de l'évolution de la société, est-il envisageable d'étendre le statut de conjoint associé ou salarié au conjoint vivant en PACS ou en concubinage ?

Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation : En ce qui concerne le statut de conjoint collaborateur, il est réservé aux personnes mariées avec le chef d'entreprise.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le conjoint collaborateur ne peut pas être élu aux élections prud'homales ...

Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation : Non, et pas seulement aux élections prud'homales, mais également aux Chambres de commerce et aux Chambres des métiers.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il me semble qu'il peut y être électeur et éligible.

Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation : A la Chambre des métiers du Finistère, une femme collaboratrice, qui devait être sur la liste, en a été écartée par le service juridique ; elle avait le droit de vote, mais n'a pas pu figurer sur la liste car une entreprise n'a qu'une voix.

Les conjoints n'apparaissent plus dans les listes des collèges parce que certains secteurs réussissaient, par ce biais, à être majoritaires.

Mme Raymonde Le Texier: Je voudrais revenir sur le problème de l'information. Au regard des situations dramatiques que j'ai eu à connaître dans mes fonctions d'élues, suite à des faillites, je conseille de plus en plus souvent aux jeunes qui montent leur entreprise de ne pas se marier.

Lorsque je vois des spots télévisés ou que je lis des informations du genre : "Soyez actifs, créez votre avenir, créez votre entreprise", rien ne m'agace plus que de constater que l'on ne parle jamais des risques encourus.

En cas de faillite, la situation est effectivement dramatique ; l'idée de préserver la résidence principale est donc intéressante. Mais il faudrait aller au-delà, et modifier les règles applicables aux saisies de rémunérations. Il y a des gens qui travaillent et qui se retrouvent avec 2 800 francs par mois, parce qu'ils sont saisis pendant des années. Ce sont des situations tragiques qui se terminent parfois par un suicide.

Je suis très intéressée par tout ce que vous venez de dire, et par ce que vous avez l'intention d'améliorer au niveau législatif ou réglementaire, mais il faut vraiment insister sur l'information.

Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation : L'aspect le plus délicat du dossier ne concerne pas les banques. Dans ce cas, nous mettons suffisamment de systèmes de garanties en place, pour qu'au moins, à l'avenir, nous ne retrouvions pas les situations que nous venons de décrire.

Prenons le cas d'une entreprise de bâtiment qui dépose son bilan. Il est possible de négocier sur certaines créances (Urssaf, Organic, etc.), mais il reste de nombreux autres créanciers. N'étant pas prioritaires, et ayant eux-mêmes subi une forte perte pouvant parfois entraîner leur propre dépôt de bilan, ils ont du mal à admettre de ne pas recouvrer leurs créances. Ils vont jusqu'au tribunal pour essayer de récupérer en partie leur dû. Souvent, ils ne l'obtiennent pas, mais c'est un peu à cause d'eux que les autres sont poursuivis.

Autre sujet important à aborder. Les Caisses de sécurité sociale se sentent un peu fautives si certaines personnes ne sont pas poursuivies car cela faisait parfois quatre ou cinq ans qu'elles ne payaient pas. Elles pensent qu'elles auraient dû tout de suite tirer la sonnette d'alarme et faire déposer le bilan.

J'ai vu des gens venir me dire qu'ils avaient fait faillite et qu'ils se retrouvaient avec 100 000 F de dettes vis-à-vis des organismes sociaux. Entre le dépôt de bilan et la clôture de la faillite, ce n'est pas possible. Cela prouve effectivement que les choses doivent se préparer par palier.

Plutôt que de demander aux Caisses de renoncer à la dette et de la faire porter par l'ensemble des cotisants, il conviendrait qu'elles avertissent de cette situation, dès le deuxième incident de paiement. Mais avertir qui ? La CNIL nous empêche d'avoir un correspondant. Il faudrait donc voir avec la CNIL quelle pourrait être la personne que la Caisse serait obligée de prévenir.

Lorsqu'une Caisse constate deux absences de paiement chez quelqu'un qui avait l'habitude de payer, il faudrait instituer une sorte de droit d'alerte. Dans les entreprises plus importantes, il existe plusieurs droits d'alerte. Il n'y en a pas chez les petits commerçants et les artisans.

Mme Raymonde Le Texier : Il y a le problème des pénalités qui s'ajoutent à la dette initiale.

Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation : Le surendettement, tel qu'il est prévu par la loi contre les exclusions, ne concerne pas les dettes professionnelles. Mais après une faillite ou un dépôt de bilan, la personne peut dans certains cas être éligible à la commission de surendettement ; or, très souvent elle ne le sait pas. On ne l'en informe pas. Il faudrait donc mieux déterminer les pouvoirs des commissions de surendettement face à une dette qui devient personnelle.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cela ne règle pas la question du destinataire du droit d'alerte.

Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation : Le droit d'alerte se fait aujourd'hui de façon amiable. Des élus des caisses s'en chargent, mais ils ne peuvent pas voir tout le monde. Cela se fait très bien dans les petits bassins d'emplois.

Mme Danielle Bousquet : Sans compter, effectivement, que ce droit d'alerte peut se faire en direction du chef d'entreprise, et pas forcément en direction du conjoint. Le même problème se repose.

Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation : C'est ce que nous disent les banques. La banque constate un premier découvert, un second, puis un découvert plus important. Ensuite, elle demande des agios et elle prévient enfin le conjoint. Mais elle ne le prévient que s'il y a cautionnement solidaire. En droit, s'il n'y a ni caution solidaire ni communauté de biens, les banques n'ont pas à prévenir qui que ce soit. C'est le secret bancaire.

Il faudrait travailler cette question sur le droit d'alerte des banques. Je ne suis d'ailleurs pas certaine qu'elles alertent le conjoint solidaire.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Elles ont l'obligation de prévenir le conjoint solidaire par lettre recommandée, à partir de la troisième échéance impayée. Si elles ne le font pas, la caution solidaire tombe d'elle-même.

Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation : S'il n'y a pas de caution solidaire, mais une garantie SOFARIS, et qu'il y a quand même une communauté de biens, la banque est-elle obligée de prévenir ?

Mme Chantal Robin-Rodrigo  : Non. Elle n'est obligée d'informer que lorsqu'il y a une caution solidaire. Si elle n'envoie pas la lettre recommandée à partir du troisième impayé, elle perd sa caution solidaire.

Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation : Cela concerne les prêts. Et en ce qui concerne les découverts ?

Mme Chantal Robin-Rodrigo  : C'est la même chose. La banque perd ses droits à la caution solidaire.

Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation : Quand on en arrive malheureusement à la faillite, la banque saisit la résidence principale qui est un bien commun.

Mme Chantal Robin-Rodrigo  : Oui. Mais en cas de chômage, c'est la même chose. Il faudra donc régulariser les choses, mais pas simplement pour les commerçants et les artisans. Lorsque le salarié se retrouve au chômage et que sa maison n'est pas payée, il y a une saisie immobilière. Il se retrouve à la rue de la même façon.

Je sais très bien que les organismes bancaires proposent de plus en plus des assurances-chômage conjointes et couplées avec les prêts immobiliers, mais ce n'est pas une obligation. Ce serait particulièrement injuste de conserver la résidence principale pour les artisans, les commerçants et les professions libérales, si l'on ne le faisait pas pour les salariés.

Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation  : Si, après un dépôt de bilan, la personne ne paye pas les prêts souscrits pour acquérir un bien, elle est à égalité de droits avec les salariés. Le problème concerne non pas le paiement du bien lui-même, mais le bien acquis qui sert à combler les dettes de l'entreprise.

Un autre cas plus difficile est celui du bien familial de la conjointe, qui peut être saisi, alors même que la communauté de biens est réduite aux acquêts, dès lors que la conjointe a signé des documents. La protection accordée aux biens propres disparaît donc. Je suis d'accord avec ce que disait Mme Chantal Robin-Rodrigo à propos des salariés.

Mme Chantal Robin-Rodrigo  : La saisie immobilière est particulièrement injuste quand il s'agit de licenciements économiques.

Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation : Il est vrai que c'est injuste. Mais il n'est pas possible de rendre obligatoire l'assurance chômage, car, en droit de la consommation, cela deviendrait une vente liée. En France, il y a le droit bancaire, d'une part, et le droit de la consommation, d'autre part. Si l'on veut mêler les deux, les problèmes surgissent.

M. Patrick Herr : Le salarié peut aller devant la commission de surendettement.

Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation : Le professionnel aussi, une fois sa faillite prononcée, si son surendettement ne résulte pas seulement de ses dettes professionnelles. Mais on considère que le salarié n'est pas responsable, tandis que le professionnel l'est.

Il faut bien distinguer la faillite due, par exemple, à la perte d'un client, ou à un produit dépassé par un produit étranger importé à bas prix, et la faillite due à une mauvaise gestion ou la faillite frauduleuse. Ce qui est en jeu, c'est la notion de responsabilité a posteriori sur un bien qui ne faisait pas partie du patrimoine professionnel.

Tout le monde admet que l'on puisse perdre son fonds de commerce. Que l'on perde sa résidence secondaire, à la limite, est également acceptable, puisqu'elle a été acquise grâce à l'entreprise. Mais cela est très délicat : pourquoi serait-ce acceptable pour un professionnel et pas pour un salarié ? Il faudrait un filet de protection minimum, qui puisse être dénoncé devant les tribunaux, soit par la banque, soit par n'importe quel créancier estimant qu'il y a eu une faute.

Mme Chantal Robin-Rodrigo  : Il faut également faire attention aux droits des petits créanciers.

Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation : Aujourd'hui, lorsqu'il y a des saisies, ceux qui obtiennent facilement gain de cause sont les créanciers prioritaires et les banques. Mais les petits créanciers, eux, n'obtiennent rien. Ainsi, les professionnels, par exemple, les sous-traitants en cascade - qui représentent un problème que nous voulons régler depuis longtemps - n'obtiennent généralement pas satisfaction. Ce n'est pas le cas des banques, des Caisses de sécurité sociale et de l'État. C'est la raison pour laquelle il y a un profond sentiment d'injustice.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je suis contente de savoir que la question de la caution solidaire fait partie des problèmes que vous avez en chantier.

En revanche, l'extension des statuts aux professions libérales, ou la refonte du régime matrimonial, sont des problèmes beaucoup plus lourds qui demanderont plus de temps et de travail.

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