ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 16

Mardi 13 juin 2000
(Séance de 18 heures)

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

SOMMAIRE

 

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- Compte rendu de la session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations-Unies ("Pékin + 5") présenté par Mme Martine Lignières-Cassou, présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, et membre associée à la délégation gouvernementale conduite par Mme Nicole Péry, Secrétaire d'État aux droits des femmes et à la formation professionnelle

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Martine Lignières-Cassou, présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, et membre associée à la délégation gouvernementale conduite par Mme Nicole Péry, Secrétaire d'État aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je vais vous présenter un compte rendu de la session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations Unies qui s'est tenue à New York du 5 au 9 juin.

Ayant quitté New York avec Mme Dinah Dericke, présidente de la Délégation aux droits des femmes du Sénat, vendredi dans la soirée, alors que les négociations n'étaient pas achevées - elles se sont terminées le samedi matin - je ne dispose aujourd'hui que des dépêches AFP sur la déclaration finale de la conférence. Nous joindrons au compte rendu de la réunion le texte de cette déclaration, si nous l'obtenons en temps utile.

Cette session extraordinaire de l'O.N.U. était conçue, non pas comme une nouvelle conférence, mais comme une évaluation des acquis, 5 ans après, de la conférence de Pékin.

La première conférence qui ait traité des femmes s'est tenue à Mexico en 1975. Ensuite, il y a eu les conférences de Copenhague, en 1980, de Nairobi, en 1985, et de Pékin, en 1995.

A Pékin, deux textes avaient été adoptés : une déclaration politique, d'une part, et un programme d'actions d'autre part, couvrant 12 domaines prioritaires, que je vous rappelle brièvement : la pauvreté, l'éducation, la santé, les violences, les conflits armés, l'économie, le pouvoir, les mécanismes institutionnels, les droits fondamentaux, les médias, l'environnement et les petites filles.

A New-York, il ne s'agissait pas de renégocier la plate-forme d'actions de Pékin. Deux textes ont été présentés : une déclaration politique, déjà adoptée avant le début de la conférence, et un document d'évaluation des acquis de Pékin, qui a été au centre des débats. Il comprenait 4 chapitres : une introduction, une partie sur les obstacles et réalisations, une partie sur les nouvelles tendances et une dernière partie sur les initiatives complémentaires.

La discussion politique - centrée autour de ce document d'évaluation - réunissait 189 États dont la répartition des forces, suivant mon appréciation personnelle, était la suivante :

- en pointe, l'Union Européenne - à mon sens, la présidence portugaise a été remarquablement exercée - ; certains pays dits du Juscanz tels que les États-Unis, le Japon, le Canada et un certain nombre d'autres pays industrialisés se sont d'ailleurs bien souvent ralliés à la position de l'Union Européenne. Donc, une très grande cohérence et une très grande affirmation de l'Union Européenne.

- deuxième groupe, celui des 77, qui rassemble les pays en voie de développement. La présidence en était assurée par le Nigeria. Ces pays, pour certains peu favorables aux femmes, rencontrent des problèmes de cohérence interne assez forts.

Ainsi, selon les sujets, le groupe des 77 se partageait en un ou plusieurs blocs. Sur le sujet des droits propres, et notamment des droits sexuels, se retrouvaient le Saint-Siège, la Pologne, le Nicaragua, le Soudan, l'Irak, l'Iran - bien que le discours de celui-ci, à la tribune officielle, ait été extrêmement modéré -, le Pakistan, la Libye, l'Algérie et, sur certains points, l'Égypte.

Sur d'autres sujets, comme par exemple les problèmes de souveraineté des États, de reconnaissance des ONG, d'embargo, d'autres pays faisaient bloc, comme Cuba ou la Chine. Nous examinions, en effet, à la fois les droits propres des femmes, mais aussi un contexte qui pouvait les dépasser largement.

La délégation gouvernementale française menée par Mme Nicole Péry, Secrétaire d'État aux droits des femmes et à la formation professionnelle, comprenait trois parlementaires : Mme Dinah Dericke, présidente de la Délégation aux droits des femmes du Sénat, Mme Catherine Génisson, rapporteuse de l'Observatoire de la parité, et moi-même. Mme Marie-Claude Veyssade, ancienne députée européenne, siégeait dans la délégation, au titre des ONG. Mme Yvette Roudy était également présente en sa qualité de représentante du Conseil de l'Europe.

Les négociations ont été conduites par Mme Françoise Gaspard, qui avait été reçue par la Délégation en mars dernier, et par un certain nombre de fonctionnaires du ministère des Affaires Etrangères et du service des droits des femmes que, pour ma part, j'ai trouvé remarquables. Nous les avions trouvées très motivées quand nous les avions reçues précédemment et, sur le terrain, elles ont participé à des nuits de discussions et de négociation.

L'intervention de Mme Nicole Péry devant l'Assemblée générale des Nations-Unies, le lundi 5 juin, a porté sur les quatre thèmes suivants :

- l'éducation ;

- la lutte contre les violences, dont la prostitution ; Mme Nicole Péry a réaffirmé la position abolitionniste française ;

- la santé : contraception, avortement, sida ;

- et les droits politiques.

Son intervention a été très appréciée et a même été applaudie en cours de discours, ce qui, semble-t-il, est assez rare.

Je n'ai pas participé à la Conférence de Pékin et je ne peux donc pas établir de comparaison, mais j'ai relevé quelques points forts de cette session extraordinaire.

Le premier concerne la présence des ONG, présence mieux assurée, physiquement, qu'elle ne l'était à Pékin, puisque le siège des ONG était le Church Center, en face du bâtiment des Nations Unies. Elles étaient nombreuses et leur participation a pesé dans la discussion. Il faut noter que la place des ONG pour faire avancer la cause des femmes, tant sur le plan national qu'international, a été réaffirmée dans le texte.

Le deuxième point fort concerne la place de la francophonie. Les pays francophones s'étaient réunis au mois de février à Luxembourg et avaient élaboré une déclaration finale, dont certains points ont été repris dans les négociations, notamment celui concernant le micro-crédit et le développement.

Les francophones, notamment en Afrique noire, souffrent beaucoup de l'hégémonie de la langue anglaise. Or, elles ont réussi à affirmer la place du français à travers deux outils : le premier, par l'intermédiaire d'Internet et du site de l'association française «Les Pénélopes», membre du réseau Human Action, qui donnait, chaque jour, des informations et produisait des émissions en français, et l'autre, au stand de la francophonie, par l'impression quotidienne d'un « Bulletin des négociations de la Terre », édité en français et en anglais, qui faisait le point des négociations.

La francophonie a donc essayé de structurer le débat, fortement soutenue par une demande émanant, notamment, des pays d'Afrique noire.

Nous avons également appuyé le débat par la tenue de réunions régulières ouvertes à la fois aux représentantes des Parlements nationaux et aux parlementaires européennes. Une conférence réunissant parlementaires nationaux et européens doit d'ailleurs se tenir à la mi-novembre, à Berlin, sur le thème de l'insertion professionnelle des filles.

Pour quelqu'un comme moi, qui n'avait jamais participé à d'autres réunions internationales, les débats ont été extrêmement difficiles à suivre, en raison du caractère très formel des négociations. Mais, en discutant, notamment avec les ONG françaises, - nous avons organisé une soirée de travail avec elles - je me suis rendu compte qu'il y avait deux niveaux distincts :

- le débat onusien qui, bon an mal an, avance, et traduit des rapports de force internes à chaque pays ou des positions politiques ;

- une dynamique interne : quand on met en perspective l'évolution, on s'aperçoit que, depuis 25 ans, depuis la Conférence de Mexico, il y a eu des avancées.

Les ONG citaient en exemple le problème de l'excision. A Nairobi, ce sujet était quasiment un tabou, alors qu'aujourd'hui, on évoque, dans une brochure éditée par le ministère des Affaires étrangères, en français et en anglais, parmi un certain nombre d'actions de coopération et de développement, la reconversion des femmes qui pratiquaient l'excision.

Les choses avancent donc sur le terrain, même si elles ont du mal à se traduire dans les textes et si les débats restent difficiles.

D'après les dépêches AFP, le texte du document final contient des avancées dans les domaines suivants :

- une protection accrue contre les violences, y compris les violences familiales ;

- un meilleur accès aux soins et aux services de santé ; il y a eu tout un débat sémantique entre services de soins et de santé, le terme "services" englobant à la fois l'information sur la contraception et l'avortement, alors que le terme "soins" a une signification beaucoup plus réduite ; il y a un engagement à ce que les soins de base soient assurés de façon universelle d'ici 2020 ;

- une plus grande éducation pour tous, garçons ou filles, assurée de façon universelle d'ici 2015 ;

- l'implication des hommes dans leur comportement sexuel et leur rôle de père ; c'est peut-être la première fois que la place de l'homme apparaissait à ce niveau ;

- la recommandation faite aux États de signer la convention CEDAW sur l'élimination des formes de discrimination dont les femmes sont victimes.

En revanche, sur les droits sexuels -contraception, avortement, homosexualité- il n'y a eu ni avancée, ni recul : on s'en est tenu aux termes de la déclaration de Pékin.

Mme Nicole Péry ayant souhaité rencontrer des représentantes de pays ayant une position clé sur des sujets délicats, nous avons rencontré des responsables de l'Iran, du Maroc, du Gabon, ainsi que Mme Moubarak pour l'Egypte.

Mme Moubarak a abordé l'entretien de cette manière : «Mais pourquoi réouvrir Pékin ?» Dans son esprit, il n'était pas question de recul par rapport à Pékin, ni forcément d'avancée, mais en tout cas pas de recul.

Au cours de ces discussions bilatérales, nous avons parfois eu l'impression d'être sur deux planètes différentes, parce que nos interlocutrices nous disaient, Mme Moubarak en particulier, ou la ministre marocaine, que «le développement suppose des moyens financiers et techniques que nous n'avons pas». Cette affirmation peut être un prétexte pour certains pays, elle peut aussi être une réalité dans d'autres.

En conclusion, je partage l'opinion des ONG françaises selon laquelle, sur les 25 dernières années, on peut dire qu'il y a une avancée de la place des femmes dans le monde. Ce rendez-vous quinquennal des femmes est donc indispensable, car il permet de faire le point et d'exercer une pression sur les gouvernements. La session extraordinaire de New York a été précédée par des négociations au cours des deux dernières années. Elle permet une mobilisation qui me paraît indispensable.

Mme Yvette Roudy : Vous avez parfaitement rendu compte d'une réunion qui n'était pourtant pas facile à suivre, car il fallait se renseigner en permanence pour savoir où trouver l'information.

Je donnerai une impression peut-être plus personnelle de cette session à laquelle j'ai assisté en tant que parlementaire membre du Conseil de l'Europe.

J'ai pris la parole au cours d'une réunion de l'Union inter-parlementaire, organe qui réunit des parlementaires du monde entier.

L'intérêt de ces conférences est que nous pouvons y tisser des liens entre toutes les structures qui intéressent les femmes et que l'on retrouve aux Nations-Unies. Notre Délégation est devenue un élément d'un dispositif mondial, qui participe de l'effort global visant à faire émerger les femmes, à leur donner une réalité, puisque, avant qu'il n'y ait ces grandes conférences, les femmes étaient quasiment invisibles.

Je prendrai un seul exemple de cette invisibilité. Lors de la conférence de Nairobi en 1985, on a pu faire émerger la réalité de l'apport économique des femmes, notamment dans les pays africains ; on s'est rendu compte qu'existait un travail invisible des femmes lorsqu'elles cultivent un petit morceau de jardin, qu'elles assurent la corvée de bois, la corvée d'eau, qu'elles arrivent à nourrir les familles et à créer un peu de commerce. Tout cela existait, mais n'était pas reconnu dans le P.I.B. On a donc fait émerger une certaine réalité économique.

J'ai relu attentivement le discours de Mme Clinton, qui est remarquable d'intelligence politique. Elle n'oublie rien, elle parle, fort bien, du soutien qu'il faut apporter à cette création économique des femmes, à ce petit artisanat, surtout dans les pays sous-développés. La reconnaissance de ce qui existe déjà est un progrès.

Je regrette, pour ma part, que les représentants des gouvernements des pays sous-développés aient tous tenu le même discours consistant à dire : commencez par annuler la dette et, ensuite, on discutera de la question des femmes.

Je considère que nous pouvons parler de l'annulation de la dette, mais il ne faut pas que cela soit un préalable à la question du sort des femmes sans cela les femmes sont utilisées comme moyen de pression et de négociation dans les discussions générales.

Mais, en même temps, je n'hésite pas à dire que cette question d'annulation de la dette ne doit pas servir de prétexte à ne rien faire pour les femmes. On peut toujours trouver des financements quand on a un bon projet.

Il faut donc que nous puissions donner à ces pays une réponse qui ne soit ni trop naïve, ni cynique. Là-dessus, il y a une réflexion à mener.

Il existe un bloc complètement hostile aux femmes. J'ai relevé le nom de pays qui sont systématiquement contre : il y a naturellement l'Afghanistan, le Pakistan, le Vatican -très actif bien qu'étant seulement observateur-, le Soudan, la Libye, la Chine, l'Iran, la Pologne, Cuba. C'est un bloc uni. Ils sont systématiquement contre les droits des femmes.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pas forcément sur les mêmes sujets.

Mme Yvette Roudy : Non, mais ils se retrouvent souvent, notamment sur l'I.V.G. et la contraception.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pas Cuba et la Chine qui se retrouvent sur d'autres thèmes, notamment sur la présence des ONG. Ces pays ne veulent pas d'un droit de regard de ces organisations.

Mme Yvette Roudy : La présence des ONG est utile : notamment celles qui soutiennent la francophonie.

Ainsi, à Nairobi, j'avais établi des liens très étroits entre le forum des organisations non gouvernementales et la conférence des États elle-même, parce que la tendance traditionnelle des États est de séparer ces deux manifestations. Les pays hostiles aux organisations non gouvernementales préfèrent travailler sans être gênés par la voix des ONG qui expriment l'opinion de la société civile.

Je conclurai par un regret : on n'a pas parlé suffisamment de la situation des femmes en Afghanistan et au Pakistan. En revanche, il y a eu des discussions très animées sur le thème de l'orientation sexuelle qui est un sujet intéressant et important. Mais, on n'a pas assez parlé du problème afghan, et du fait que les Talibans ont déclaré la guerre aux femmes : elles ne peuvent plus travailler, elles n'ont plus aucun droit, elles peuvent se faire lapider dans la rue, ce qui entraîne des cas de folie et de suicides.

Si cette situation était celle des noirs en Afrique du Sud, les organisations des droits de l'homme organiseraient de nombreuses manifestations. Mais, alors qu'on est en train de massacrer les femmes afghanes, qu'on les met au ban de la société d'une manière scandaleuse, j'ai eu le sentiment que les organisations non gouvernementales en parlaient peu. J'explique ce silence par le fait que les femmes venant dans ces grandes manifestations sont, pour beaucoup d'entre elles, sous influence des États.

Les discours gouvernementaux de la plupart des pays du tiers-monde étaient des discours convenus, écrits de façon à ne pas trop déranger. Les discours les plus dérangeants étaient ceux des représentantes de l'Europe du Nord.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je voudrais compléter les propos de Mme Yvette Roudy. Lors des discussions, ce que l'on appelle des "panels", a été présenté un rapport de la Banque Mondiale sur la pauvreté montrant l'interaction des termes d'égalité, de développement et de démocratie. Les pays où les droits des femmes sont les plus avancés sont ceux qui sont les plus développés et les plus démocratiques.

Mme Mary Robinson, qui siège à la Banque Mondiale au titre des droits de l'homme, est intervenue pour dire -cela a fait débat au sein des ONG- qu'il y a une évolution de la politique de la Banque Mondiale qui, ces 20 dernières années, a peut-être montré ses limites. Elle est en train de s'infléchir pour prendre en compte le micro-développement, le micro-crédit, cet aspect de l'économie qui est beaucoup porté par les femmes.

Selon les ONG françaises, le débat Nord-Sud concerne surtout le problème de l'effacement de la dette porté par les États du groupe des 77. En revanche, les ONG d'Afrique ou d'autres continents abordent ce débat en termes de mondialisation, allant plus loin que les seuls rapports Nord-Sud.

Je voudrais revenir sur la place grandissante des ONG.

Dans certains pays, notamment dans les pays arabes, certaines ONG sont étatiques. En revanche, là où existe le triptyque ONG/Parlement/Gouvernement, je trouve que la synergie est extrêmement intéressante et féconde.

Nous avons eu avec les ONG françaises un débat portant sur l'après New-York. L'Union européenne ayant été pilote au cours des débats de cette session des Nations-Unies, on s'est demandé : que peut faire aujourd'hui l'Union européenne pour diffuser ces acquis ?

L'Europe a une certaine responsabilité, notamment par rapport aux pays du pourtour méditerranéen, et d'Afrique noire. On sent qu'il y a un besoin à la fois de structurer les contacts parlementaires au niveau européen et, en même temps, de nouer des relations beaucoup plus fortes avec les pays du pourtour de la Méditerranée et de l'ensemble de l'Afrique.

Enfin, je vous rejoins parfaitement, Madame Yvette Roudy, quand vous dites : "la place de l'Afghanistan ou du Pakistan n'a pas été clairement dénoncée". Cependant, bien que je ne connaisse pas la teneur du discours prononcé par le représentant afghan, je pense que c'était la première fois qu'il était présent à une telle manifestation, et je considère que c'est déjà un point positif.

Lors des rencontres bilatérales de Mme Nicole Péry avec des représentants d'Iran, du Maroc, du Gabon et d'Égypte, la ministre a chaque fois interrogé ses interlocuteurs sur la place des filles dans l'enseignement supérieur et dans les universités. En Iran, au Maroc et en Égypte, les filles représentent plus de la moitié des étudiants, alors que l'éducation et la scolarité de base ne leur sont pas assurées. Il y a donc une poussée très forte des filles dans l'enseignement supérieur. Cependant, une personne qui travaille à l'U.N.E.S.C.O. nous a précisé que le terme d'éducation n'a pas le même sens pour nous que pour eux. Dans certains pays, l'éducation est conçue comme étant strictement technologique, tandis que l'accès à la philosophie, ou à la réflexion d'une façon générale, a été supprimée ou existe très faiblement.

Il est cependant intéressant de noter que dans un certain nombre de pays -pays charnières dans ce débat- l'Egypte, le Maroc ou l'Iran, les filles sont à l'université en nombre aussi important que les garçons.

Mme Yvette Roudy : Mais pas pour les mêmes études.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Si, même en Iran, on forme des femmes ingénieurs.

Mme Danielle Bousquet : Compte tenu du fait que, dans les pays que vous citez, l'enseignement supérieur est effectivement l'apanage de classes sociales très favorisées, on imagine bien que certaines familles de la grande bourgeoisie souhaitent que leurs filles aient les mêmes parcours que les garçons. Cela me semble tout à fait cohérent avec le fait que l'enseignement supérieur n'est pas démocratisé.

Mme Yvette Roudy : Il y a une chose que j'aimerais suggérer. C'était la deuxième fois que je voyais fonctionner l'ONU. Il faut perfectionner cette organisation, l'aider à mieux fonctionner, la rendre beaucoup plus opérationnelle parce qu'elle représente quand même une grande idée, peut-être les prémices d'un gouvernement mondial.

C'est un lieu où les gens se rencontrent, où ils peuvent régler des problèmes, où ils peuvent dépasser certains clivages.

Je pense, à ce propos, qu'il serait utile d'auditionner Bernice Dubois, une personne très active, connaissant très bien les ONG.

M. Michel Herbillon : J'ai entendu avec grand intérêt votre compte rendu, Madame la présidente, et les informations que nous a fournies notre collègue Yvette Roudy. Ceci m'amène à la réflexion et peut-être à la suggestion suivante, sur laquelle je souhaiterais connaître votre point de vue. Nous en avions déjà parlé au moment de la création de la Délégation aux droits des femmes. Ne pensez-vous pas qu'il serait souhaitable que la Délégation s'ouvre, à la fois sur le plan européen et international ? Les modalités seraient, évidemment, à définir plus précisément.

Je prends quelques exemples :

- d'abord, profiter du fait qu'il y a une présidence française de l'Union Européenne pendant les six mois à venir pour rencontrer nos homologues des Parlements de l'Union Européenne. Ainsi, je trouve qu'il serait utile que nous puissions rencontrer d'abord les pays qui nous sont proches, puis les autres pays faisant partie de l'Union Européenne .

- nous pourrions aussi prendre des initiatives -j'ai été très sensible à vos propos sur la francophonie- et voir, par exemple, dans quelle mesure nous pourrions être utiles à des pays qui nous sont proches sur le plan historique et qui sont en train d'évoluer sur la question des droits des femmes.

Ainsi, il y a des changements importants au Maroc, pays avec lequel nous avons des liens très anciens de culture, de langue, etc. Le nouveau souverain se trouve confronté au défi de l'éducation et du rôle des femmes dans son pays. Je pense que nous pourrions utilement avoir des contacts avec ce pays et réfléchir à la façon dont notre Délégation pourrait intervenir.

De même, nous avons des liens anciens avec la Jordanie, pays dans lequel un nouveau souverain est confronté au même problème.

Je rejoins là votre propos sur la place de la femme et sur la francophonie.

- enfin, en tant que citoyen et en tant qu'être humain, tout simplement, je suis choqué, ému par la situation des femmes, notamment en Afghanistan, au Liban et au Pakistan. On ne peut pas rester insensible en tant que parlementaire français, membre de cette Délégation, vis-à-vis de cette situation.

C'est notre devoir, notre rôle, en tant que parlementaire de cette Délégation d'un pays aussi important que la France, de ne pas laisser ces crimes, parce qu'il faut appeler les choses par leur nom, impunis et se développer, prospérer jour après jour et sous nos yeux.

J'ai vu récemment un reportage à la télévision sur le Pakistan qui m'a soulevé le c_ur. Je voudrais donc qu'ensemble nous puissions réfléchir, peut-être au sein du Bureau de la Délégation, aux initiatives que nous pourrions prendre en tant que Délégation aux droits des femmes.

Voilà les réflexions que je souhaitais présenter. Il est peut-être temps, pour notre Délégation, tout en continuant à suivre nos problèmes franco-français, de s'ouvrir sur le plan européen et international et voir dans quelles mesures nous pourrions avoir une contribution féconde et utile sur ces questions.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : En premier lieu, il existe 9 délégations ou commissions ou organes similaires au nôtre dans les différents parlements nationaux de l'Union européenne. Nous nous sommes retrouvés à New York, ensemble, avec les parlementaires européens. Nous nous sommes promis d'ouvrir ces instances également aux parlementaires membres du Conseil de l'Europe.

Il existe une réunion annuelle de ces organes des Parlements nationaux et du Parlement européen. La prochaine se tiendra à Berlin à la mi-novembre sur le thème de l'insertion professionnelle des filles.

La question est de savoir quelle fonction se donne cette structure : est-ce d'essayer de faire avancer la législation de chaque pays membre de l'Union Européenne, est-ce essayer de faire avancer notre réflexion globale ?

En tous cas, l'Allemagne nous accueille au mois de novembre. J'aimerais que nous puissions préparer cette rencontre, y aller avec un certain nombre de parlementaires qui ont commencé à travailler sur l'insertion professionnelle des jeunes filles, et que nous établissions des objectifs et un calendrier de travail.

En second lieu, on peut s'interroger sur le rôle de l'Union européenne par rapport aux pays méditerranéens et à ceux d'Afrique noire.

Je pense que le thème de notre prochain colloque pourrait porter sur l'Europe du Nord et l'Europe du Sud. Il ne s'agit pas d'être donneur de leçon ; il nous faut partager des expériences et rechercher ce que certains pays peuvent nous apporter, notamment en termes de reconnaissance de la micro-économie. Les femmes de l'Europe du Nord ont certainement des choses à dire sur la parité en politique.

Mme Yvette Roudy : Au Conseil de l'Europe, la commission que je préside a décidé de faire de la Méditerranée le thème de son prochain colloque. Je vous tiendrais au courant.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Lorsque nous avons rencontré la ministre marocaine, je lui ai demandé si, compte tenu du contexte politique du Maroc, une rencontre avec des parlementaires marocaines pouvait faire avancer les choses. Elle a répondu positivement.

Il existe un groupe d'amitié France-Maroc dont Madame Trupin est membre. Il faudrait organiser quelque chose avec ce groupe d'amitié.

M. Michel Herbillon : Ce serait une bonne idée. On pourrait avoir là des échanges fructueux.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente :  Le groupe d'amitié s'est rendu récemment au Maroc et a envisagé des contacts, avec moi-même en tant que présidente de la Délégation et avec des femmes marocaines.

On peut également prévoir une rencontre à Paris avec des femmes marocaines, parlementaires ou représentantes d'associations.

L'accord de coopération entre le Maroc et l'État français porte sur la formation des différents acteurs intervenant dans le domaine des violences envers les femmes. Pouvons-nous faire davantage, avons-nous une spécificité en tant que parlementaires, ou est-ce un travail à mener en commun avec les ONG ?

D'une façon générale, nous avons constaté une forte demande d'informations des gouvernements et des ONG. Parmi les ONG françaises, était présent le C.N.I.D.F. (Centre national d'information des Droits des femmes). Des actions pourraient être menées en commun par le ministère des Affaires Etrangères et le service des Droits des femmes.

En revanche, nous n'avons pas évoqué le cas de la Jordanie, ni celui de l'Afghanistan.

Mme Hélène Mignon : En tant que vice-présidente du groupe France-Algérie, j'ai demandé à rencontrer des femmes algériennes. Il n'est pas impossible qu'un voyage soit organisé au mois de juillet.

En tant que présidente du groupe France-Danemark, je dois rencontrer à nouveau l'ambassadeur le 30 juin prochain. Lors d'une première rencontre, je lui avais fait part de notre volonté de nous rendre au Danemark et j'ai proposé que cette rencontre ait lieu au mois de septembre.

M. Michel Herbillon : Ce déplacement aura-t-il lieu en votre qualité de membre de la Délégation aux droits des femmes ou de vice-présidente du groupe d'amitié ?

Mme Hélène Mignon : J'ai fait cette demande au nom du groupe d'amitié, mais j'ai précisé que je serai accompagnée par des collègues de la Délégation aux Droits des Femmes.

J'ajoute que j'ai rencontré il y a un mois environ la ministre de la Famille du Cambodge et qu'elle est très désireuse de nous rencontrer.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : En ce qui concerne l'Algérie, je précise que la ministre n'a pas pu avoir à New York de rencontre avec les représentants de ce pays, mais le ministère des Affaires Etrangères a travaillé, pendant cette session de l'O.N.U., à un accord de coopération entre la France et l'Algérie sur les femmes, qui devrait être à l'ordre du jour de la visite de M. Bouteflika demain à Paris. Il y a donc des avancées.

Mme Yvette Roudy : Pour comprendre ce qui se passe dans des pays comme le Maroc ou l'Algérie, il faut être conscient que les islamistes exercent des pressions très fortes et que les gouvernements sont obligés de négocier avec eux.

Pour les islamistes algériens, trois points ne sont cependant pas négociables : l'arabisation, la question d'Israël et le code de la famille.

Les chefs d'État du Maroc et de l'Algérie n'ont donc pas les coudées franches. Néanmoins, comme les élites de ces pays viennent tous faire des études en France, que les ONG y sont très actives, il n'est pas impossible que les islamistes acceptent de ne pas exercer de veto si l'on choisit comme thème commun de travail avec ces deux pays le thème des femmes. Si on leur parle de parité, il est évident qu'ils bloqueront les discussions. Si on leur parle d'I.V.G. ou de contraception, ils vont peut-être les bloquer. Mais si l'on parle de violence à l'encontre des femmes, c'est peut-être une bonne façon d'amorcer des relations. Ceci étant, les relations une fois amorcées, que pouvons-nous leur proposer ?

Mme Hélène Mignon : Le terme de violence pour les islamistes est porteur.

Mme Yvette Roudy : Oui, il s'agit de la violence à l'encontre des femmes, des femmes battues. J'ai l'impression que les islamistes du Maroc et d'Algérie n'aiment pas cette violence. Je ne parle pas de l'Afghanistan ni du Pakistan, où on atteint le sommet de l'horreur.

Il faut trouver des contacts. Du côté de l'Algérie, naturellement, il y a Khalida Messaoudi, parlementaire et présidente de son groupe politique au Parlement, lequel participe au gouvernement ; elle-même aurait pu y entrer. Elle est dans une situation de compromis, mais sur le plan des droits des femmes, elle a une position tout à fait claire. Nous pourrions la recevoir à la Délégation.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Au Maroc, il y a deux femmes parlementaires qui ne sont pas des islamistes.

M. Michel Herbillon : Nous devrions rencontrer le groupe d'amitié Maroc-France du Parlement marocain. En effet, la question du statut de la femme se pose au Maroc, notamment en matière de formation et d'éducation des jeunes filles. C'est un vrai défi auxquel est confronté le nouveau souverain et, au-delà de ces deux parlementaires femmes, l'ensemble du Parlement marocain.

Les membres de la Délégation aux droits des femmes pourraient se joindre au groupe d'amitié sur cette question.

Sur le thème des violences, je pense qu'il y aura une réaction négative des pays du Maghreb. Il faudrait plutôt parler d'éducation et de formation, et, à l'occasion des échanges sur ces thèmes, poser aussi la question des violences.

On peut aujourd'hui au Maroc parler de beaucoup plus de questions et dans un esprit beaucoup plus ouvert.

Il serait intéressant également de rencontrer certaines élites marocaines, généralement formées en France, tout à fait remarquables, et qui ont une conception de la société de leur pays très différentes de celle d'aujourd'hui.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : En ce qui concerne l'éducation, thème que nous avons traité à New York au cours d'entretiens bilatéraux avec la ministre marocaine, il faut noter qu'à l'université, la moitié des étudiants sont des filles.

La ministre du Maroc a également précisé que la scolarité sera obligatoire, à partir de la rentrée prochaine, pour tous, garçons et filles, au niveau du primaire, mais qu'elle ne disposait pas des moyens suffisants pour imposer cette obligation de scolarité.

Mme Yvette Roudy : J'ai demandé à la ministre si le roi et la s_ur du roi la soutenait. La réponse a été positive. Je pense donc qu'il devrait être possible de monter un programme et de demander l'aide de la s_ur du roi pour trouver des subventions.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je constate donc que vous donnez une grande importance à cet axe de travail et qu'il faudrait établir des contacts aussi bien avec les pays de l'Union européenne qu'avec ceux de la Méditerranée.

Mme Marie-Françoise Clergeau : Tous les domaines sont intéressants. Mais, il faut sérier les domaines que nous souhaitons approfondir, sinon nous risquons de ne pas avoir les moyens de nos ambitions.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il serait également intéressant de demander au ministère des Affaires Etrangères et au service du droit des femmes quels sont les résultats de New York et quelles sont les demandes émanant d'un certain nombre de pays.

Mme Yvette Roudy : Il faudrait organiser une réunion avec tous ces fonctionnaires - une bonne quinzaine en tout, si ce n'est plus - qui décident de la position de la France. Nous avons eu de bonnes relations avec elles. Il n'y a pas eu de hiérarchie. Je pense donc qu'il serait intéressant de les rencontrer pour faire le bilan de la conférence de New York.

M. Michel Herbillon : Je suis sensible à ce que dit ma collègue, Mme Marie-Françoise Clergeau. Il ne faut pas aller dans toutes les directions. En revanche, il serait fort utile et appréciable que notre Délégation, indépendamment de son travail législatif, contribue à faire avancer la condition des femmes dans tel ou tel domaine, dans tel ou tel pays.

C'est pour cette raison que j'ai évoqué des pays qui nous sont proches, comme ceux du Maghreb. Il ne s'agit cependant pas d'organiser simplement des colloques.

Pour vous donner un exemple, je fais partie du groupe d'amitié France-Philippines, qui s'est rendu récemment aux Philippines. Nous avons exigé, malgré le souhait tout à fait contraire de l'ambassadeur et du gouvernement philippin, d'aller voir les enfants de la rue. Nous les avons vus et, au retour, nous avons envoyé, chacun le prenant sur sa réserve parlementaire, des crédits à une ONG que nous avions rencontrée sur place. Avec la somme que nous avons envoyée, nous avons permis à cette ONG d'ouvrir une mission supplémentaire et de la faire fonctionner pendant un an pour ces enfants de la rue.

A partir de cet exemple, pour ma part, je souhaiterais que notre Délégation apporte une contribution concrète sur un sujet précis, indépendamment du travail de réflexion conduit par ailleurs. Je suggérerais donc que nous choisissions un sujet concret.

Sur le Maroc, je rejoins ce que disait ma collègue Yvette Roudy. Quand il y a la volonté, on finit par y arriver. Quel est le problème du Maroc sur le plan de l'éducation des jeunes filles et des jeunes garçons ? C'est de créer des écoles dans les villages éloignés. En résumé, le problème est le suivant : comme il n'y a pas assez d'écoles, les gamins de la campagne devraient faire des centaines de kilomètres pour aller à l'école ; alors ils n'y vont pas, ni les garçons, ni les filles.

De la même façon, on ne peut pas continuer à laisser impunis les crimes contre les femmes en Afghanistan. Nous n'avons certes pas beaucoup de pouvoir, mais nous pouvons y réfléchir.

Mme Yvette Roudy : On peut rappeler que les Nations Unies sont intervenues au Kosovo pour arrêter des massacres. C'est exceptionnel et nouveau comme démarche. Il s'agissait d'une pacification dans le bon sens du terme, c'est-à-dire que les militaires sont intervenus pour empêcher les populations de se massacrer.

Ne pourrait-on pas, avec l'aide du Parlement Européen et de sa commission des droits des femmes, intervenir auprès des Nations Unies pour faire arrêter le massacre de ces femmes ?

Elles n'ont même pas le droit de travailler, elles se suicident, elles sont massacrées, elles sont lapidées dans la rue sans que personne ne bouge. Et la même situation se développe au Pakistan.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je vous ferai parvenir plusieurs documents dont j'ai eu connaissance à New York :

- un document du gouvernement français qui fait le bilan de ce qui s'est passé en France depuis la conférence de Pékin,

- la déclaration finale de la conférence des femmes qui s'est tenue à Luxembourg,

- la brochure du ministère des Affaires étrangères "Promouvoir l'égalité homme/femme », qui recense un grand nombre d'expériences intéressantes.

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