ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 18

Mardi 4 juillet 2000
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous accueillons aujourd'hui Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance, qui va, d'une part, présenter le bilan de la Conférence de la famille qui s'est tenue le 15 juin dernier et nous en décrire les principaux axes d'action, et, d'autre part, répondre à des questions d'actualité, relatives notamment à la contraception d'urgence, suite à l'arrêt du Conseil d'État concernant la délivrance du "Norlevo" par les infirmières scolaires.

Mme Ségolène Royal : Je dirai tout d'abord quelques mots sur le contenu de la Conférence, puis j'aborderai différents sujets d'actualité et d'autres dossiers, ouverts à la suite de cette Conférence.

La Conférence de la famille a essentiellement porté sur la question de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, avec le souci de donner une nouvelle impulsion aux modes d'accueil collectifs de la petite enfance. Cette initiative n'a pas été facile. J'ai constaté, d'une part, que les créations de places d'accueil pour la petite enfance avaient beaucoup diminué au cours de ces dernières années et, d'autre part, que le discours dominant dénonçait les modes d'accueil collectif de la petite enfance.

La Conférence de la famille a débloqué ce processus, et le décret sur l'assouplissement des modes d'accueil de la petite enfance, qui sera examiné par le Conseil d'État le 5 juillet prochain, mettra fin à un certain nombre de freins au développement de ces modes de garde. Par ailleurs, le Premier ministre a décidé de leur accorder des moyens financiers importants provenant des excédents de la branche famille de la sécurité sociale.

L'élément le plus novateur consiste en la mise en place d'un fonds spécial d'investissement de 1,5 milliard de francs. J'ai incité, cet après-midi, le conseil d'administration de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) à délibérer rapidement sur les clés du cofinancement, afin que les appels d'offre puissent être lancés dès la rentrée de septembre et que les collectivités locales connaissent rapidement les montants dont elles pourront disposer, pour lancer des actions sur tout le territoire.

Nous avons augmenté le Fonds d'action sociale de la CNAF de 1,7 milliard de francs, à la fois pour accompagner le coût de fonctionnement de ces structures nouvelles et pour mettre en place des actions qualitatives auprès des adolescentes : réseaux de parents, contrats de temps libre, contrats d'accompagnement scolaire.

Un nouveau chantier est ouvert sur le problème de la parité parentale, à savoir sur le juste équilibre des charges et des responsabilités éducatives entre le père et la mère. Un groupe de travail sera mis en place officiellement le 12 juillet. L'idée est d'identifier, dans toutes les dispositions législatives, fiscales, juridiques et administratives, ce qui fait obstacle à cet équilibre des charges et des responsabilités. Dans cet esprit, je souhaiterais que le congé pour enfant malade, qui va faire l'objet d'un débat parlementaire, puisse intégrer un congé pour le père et un congé pour la mère, afin que les pères ne puissent plus dire que cela ne les concerne pas, que les employeurs ne puissent plus leur faire de reproches, et que les femmes voient reconnaître le juste partage des tâches à l'égard des enfants.

Je ne m'attarderai pas sur la réforme des allocations logement, je vous parlerai plutôt des chantiers qui seront ouverts dans les mois qui viennent.

Tout d'abord, le chantier "jeune adulte". Nous n'avons pas reculé à 22 ans l'âge du versement des prestations -tant du complément familial que de l'allocation logement-, car nous pensons que le sujet "jeune adulte" est un sujet en soi, qu'il se télescope avec le statut social étudiant et avec la question du logement des jeunes, qu'il soulève le problème du choix entre une plus grande autonomie pour les jeunes ou des moyens financiers plus importants pour les familles avec lesquelles ces jeunes cohabitent. Il s'agit là d'un chantier très lourd et qui sera bien évidemment examiné par le Parlement.

Nous devons également nous intéresser aux violences. Un travail est engagé, en association avec Mme Nicole Péry, sur les violences conjugales, car nous oublions toujours que ce type de violence est également une violence faite aux enfants qui en sont les spectateurs. Nous préparons aussi une journée de l'enfance maltraitée - le 26 septembre - et une journée sur la convention internationale des droits de l'enfant - le 20 novembre - qui, je l'espère, aura cette année une dimension européenne.

Un autre chantier concerne l'articulation entre familles et pauvreté - les femmes seules étant particulièrement concernées et pénalisées. Nous avons ouvert un inventaire de ces problèmes, notamment ceux relatifs à la grande pauvreté et en particulier au placement des enfants. Je rendrai très prochainement public le rapport de l'IGAS sur la question de savoir si les enfants issus de familles pauvres sont plus fréquemment placés que les autres ; le critère de pauvreté est-il ou non un critère pris en considération par l'institution ? D'après les premières conclusions, il s'avère que le critère de pauvreté ne serait pas un critère discriminant. Néanmoins, nous constatons que les enfants placés sont en majorité des enfants de parents pauvres. Les familles aisées, lorsque les enfants ont besoin d'être éloignés, trouvent, elles, d'autres solutions.

Enfin, j'ai engagé une réflexion, en association avec Mme Elisabeth Guigou, sur la réforme du droit de la famille. Nous allons étudier les questions de la filiation, de l'autorité parentale conjointe, de la réforme du divorce et de la réversibilité du secret des origines. J'ai été mandatée pour continuer les consultations sur ce dernier sujet. Pour ma part, je pense qu'il convient de maintenir la possibilité pour les femmes d'accoucher sous X et de permettre une réversibilité du secret, pour les enfants qui le souhaitent, en accord avec la mère.

Je terminerai ce propos liminaire en évoquant l'annulation par le Conseil d'État de la circulaire autorisant la délivrance de la pilule du lendemain par les infirmières scolaires. Par rapport aux conclusions de la commissaire du gouvernement, l'arrêt du Conseil d'État fait preuve de sobriété, puisqu'il soulève simplement la question juridique de la mise en vente libre de la contraception d'urgence. Autrement dit, le Gouvernement est incité à légiférer sur cette question. Nous attendons sur ce sujet une initiative parlementaire.

Mme Hélène Mignon : En ce qui concerne le placement des enfants dont les parents sont en situation de grande pauvreté, je voudrais attirer votre attention sur le fait que de nombreuses femmes ont peur des institutions ; même lorsqu'elles ont besoin des services sociaux, elles n'y font pas appel, car elles ont peur qu'on leur retire leurs enfants ; elles préfèrent s'adresser à des associations caritatives. Il existe donc un décalage entre la réalité du problème et ce que nous en savons.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Je suis tout à fait d'accord avec l'analyse de Mme Hélène Mignon : les femmes en grande pauvreté ont une peur panique des institutions ; elles ont peur qu'on leur prenne leurs enfants. Alors que, dès qu'elles sont en confiance, elles sont tout à fait capables d'élever leurs enfants.

Mme Nicole Bricq : S'agissant de la Conférence de la famille et de ses conséquences, je suis très heureuse de constater que, pour la première fois, la diversité des familles a été reconnue, puisqu'on a parlé "des familles" et non pas de "la famille".

J'ai, par ailleurs, été très sensible aux mesures ayant pour but d'éviter que les femmes ne se retrouvent dans les trappes à pauvreté ; je pense, par exemple, à la possibilité pour une jeune femme, qui retrouve un emploi après un congé maternité, de continuer à toucher une allocation pendant un certain temps.

En ce qui concerne l'effort du Gouvernement, d'un montant de 1,5 milliard de francs, ma question est simple : comment va-t-on sensibiliser les collectivités locales devant cofinancer les actions ?

Enfin, je n'ai pas vu mentionner, dans la communication relative aux crèches, les crèches familiales ou cantonales. J'espère qu'il ne s'agit là que d'un oubli, car un certain nombre d'entre elles se trouvent dans des difficultés financières importantes.

M. Patrick Delnatte : S'agissant du délai de deux mois destiné à favoriser la reprise d'une activité professionnelle, la limite est fixée au trentième mois de l'enfant ; ne pourrait-on pas aller jusqu'au trente-quatrième mois -soit 3 ans-, comme pour le versement de l'allocation parentale d'éducation (APE) ?

Par ailleurs, je trouve ce délai de deux mois un peu court, notamment si la femme doit suivre des stages ou des formations avant de reprendre un emploi.

Mme Marie-Françoise Clergeau : La Conférence de la famille a pris, cette année, un tour nouveau en prenant en compte les familles dans leur diversité. Il est vrai que la notion de famille a beaucoup évolué ces dernières années, avec l'apparition, notamment, des familles monoparentales.

Je voudrais pour ma part intervenir sur l'allocation spécifique pour enfant malade, qui est une bonne mesure, car jusqu'à présent, lorsqu'un enfant était malade, les parents étaient obligés de se mettre en congé maladie. Malheureusement, je me demande s'ils ne vont pas continuer à agir ainsi, le montant de l'allocation n'étant pas équivalent aux indemnités journalières qu'ils toucheraient s'ils demandaient un congé maladie.

Mme Yvette Roudy : Les allocations que nous proposons sont destinées, en réalité, et nous le savons bien, aux femmes. Il convient donc d'être prudents et de veiller à ce que ces allocations n'incitent pas les femmes à rester chez elles et à faire l'économie des services sociaux, des garderies et des aides que l'on pourrait apporter aux femmes pour leur permettre d'avoir une activité professionnelle.

Je me méfie des allocations que l'on a appelé "parentales d'éducation", car elles permettent aux femmes de s'arrêter de travailler pendant trois ans. Or, nous savons très bien qu'après un arrêt aussi long, les femmes ont beaucoup de mal à retrouver du travail. Elles ne suivent pas de formation professionnelle pendant ces trois ans, ce qui élimine certaines d'entre elles du marché du travail.

Je me méfie donc de toutes ces allocations, y compris de l'allocation pour enfant malade, car, encore une fois, ce sont les femmes qui vont s'arrêter de travailler. Ne pourrait-on pas prévoir des aides, des soutiens, des créations d'emplois pour des personnes qui viendraient aider les familles, lorsque la nécessité de garder un enfant se présenterait ? Avec une telle allocation, nous allons créer un conflit entre l'égalité professionnelle et les droits des familles.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Le but, madame Roudy, est-il l'égalité professionnelle ? N'est-ce pas au contraire de laisser le maximum de choix aux femmes et aux mères de famille ? Je rencontre des femmes qui ne touchent plus l'allocation parentale d'éducation, car leur dernier enfant à 3 ans, et elles le regrettent ; elles auraient souhaité, même en faisant quelques sacrifices financiers, prolonger leur séjour à la maison pour s'occuper uniquement de leurs enfants.

Reprendre le travail bouleverse l'équilibre familial. Elles ont le droit de faire le choix de la famille et non pas celui de l'équilibre précaire entre vie professionnelle et vie familiale.

Mme Ségolène Royal : En ce qui concerne le fonds d'investissement, la CNAF va, en accord avec la direction de la Sécurité sociale, arrêter des clés de financement. Mon souhait est que l'on puisse rapidement lancer les appels d'offre. Il est vrai qu'il s'agit de cofinancements. Mais il s'agit tout de même d'un crédit supplémentaire de 1,5 milliard de francs, puisque les caisses d'allocations familiales avaient réduit les crédits d'investissement. J'espère que les échéances municipales vont inciter les élus à s'engager et que l'opinion va faire pression en ce sens.

S'agissant des deux mois d'APE, vous trouvez cette durée trop faible, mais c'est un début. Nous allons voir si elle est utilisée. En tout état de cause, elle permet aux femmes de reprendre leur activité professionnelle par anticipation. On les incite ainsi à ne pas attendre la fin de l'APE pour réagir.

Il est vrai que les congés parentaux pèsent toujours sur les femmes et qu'il s'agit d'une occasion pour les employeurs de justifier des salaires plus bas. C'est la raison pour laquelle, dans le congé pour enfant malade, nous devrons tenir bon - et je suis sûre que cela ne sera pas évident au moment du débat parlementaire - sur un droit propre du père : un mois et demi chacun, et si le père ne le prend pas, la femme ne pourra pas le prendre. Nous devons faire passer l'idée que ce ne sont pas les femmes qui doivent toujours s'occuper des enfants ; cela peut également être très positif pour les hommes : ils ont envie que l'on reconnaisse leur responsabilité éducative et qu'on s'abstienne de les regarder de travers parce qu'ils demandent des congés pour s'occuper de leurs enfants.

Je pense vraiment que prolonger le congé parental d'éducation, alors que dans notre pays tous les enfants sont scolarisés dès 3 ans, n'est pas raisonnable. Inciter les femmes à rester chez elles, alors que leurs enfants sont à l'école, n'est pas un service à leur rendre. Il faut au contraire rendre compatible la vie de famille avec la vie professionnelle ; les femmes doivent penser à l'avenir, c'est tellement vite élevé un enfant !

Mme Nicole Feidt : Vous avez parlé tout à l'heure de la CNAF, mais vous savez qu'en ce qui concerne la petite enfance, les conseils généraux ont engagé des actions. Il est vrai qu'il n'y a que très peu de conseillères générales, mais un certain nombre d'expériences ont cependant été réalisées. Nous avons, dans ma commune, une maison des associations où l'on reçoit régulièrement des femmes en difficulté, notamment des femmes en situation de grande pauvreté.

Toutes ces expériences pourraient être reproduites dans d'autres communes. Avec peu d'argent, l'on peut faire beaucoup de choses. Et les conseils généraux pourraient aussi mettre à disposition des assistantes sociales, par exemple, qui encadreraient des femmes en difficulté. Avez-vous eu des contacts avec des conseils généraux pour que soient éventuellement menées ce type d'actions ?

Mme Ségolène Royal : J'ai négocié avec l'Association des départements de France qui a donné son accord au décret sur l'assouplissement des modes de garde de la petite enfance. Les conseils généraux étant en première ligne en matière de cofinancements, il convient donc de mettre en place un groupe "petite enfance" au niveau de chaque département pour procéder aux évaluations des besoins.

Par ailleurs, il faut absolument diffuser les innovations : je crois que toutes les expériences de souplesse, de classes passerelles, de jardins d'enfants, de crèches parentales, de relais assistantes maternelles, méritent d'être généralisées et financées de façon prioritaire.

Les crèches familiales ne sont pas, bien entendu, exclues du dispositif. Elles sont mentionnées dans le projet de décret qui est actuellement en cours d'examen par le Conseil d'État.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je vous propose maintenant d'aborder la question du Norlevo, suite à l'arrêt du Conseil d'État.

Le Conseil d'État n'a pas totalement suivi le raisonnement de la commissaire du gouvernement, qui mettait notamment en cause la sexualité même des mineures et se référait à l'autorité parentale. L'arrêt du Conseil d'État remet cependant en cause, à la fois la circulaire que vous aviez prise en janvier 2000 et le principe même de la vente libre du Norlevo.

Après nous avoir commenté cet arrêt, pourrez-vous nous dire comment le dispositif a fonctionné pendant six mois - de janvier à juin - au sein des établissements scolaires. Quel a été le rôle des infirmières ?

Mme Ségolène Royal : J'avais pris cette initiative dans le cadre des actions menées, non seulement pour la santé scolaire, mais également pour l'éducation à la sexualité. Ce dispositif prenait place dans un protocole national de soins qui a mis plus d'un an à être rédigé. Je précise cette durée pour ceux qui ont prétendu que je n'avais pas organisé de consultations. Or, la principale fédération de parents d'élèves, la FCPE, y était favorable, et la PEEP, que j'ai longuement rencontrée, était réservée, mais non farouchement opposée -sur un tel sujet, la diversité des opinions n'étant nullement choquante. Les syndicats d'enseignants et les chefs d'établissements, qui sont les premiers concernés, ont totalement soutenu ce protocole de soins, y compris dans sa partie "soins d'urgence".

Lorsque j'ai pris mes fonctions à l'éducation nationale, j'ai pu constater la diversité du fonctionnement des pharmacies des établissements scolaires ; dans certaines académies, tous les médicaments étaient interdits -l'infirmière scolaire ne pouvant même pas donner un Doliprane- alors que, dans d'autres, il y avait une liste de médicaments non contrôlée.

Mon travail a donc consisté, avec le ministère de la santé, à dresser la liste des médicaments et des soins que l'infirmière scolaire peut apporter aux élèves et à établir les différents protocoles de soins d'urgences, en particulier pour les soins à apporter en liaison avec le Samu, avec les gestes qui sauvent, autorisés sous réserve de contact avec les médecins des urgences.

La seconde dynamique de mon action a été l'éducation à la sexualité. Je n'ai pas décidé du jour au lendemain d'autoriser la délivrance de la pilule d'urgence sans m'interroger parallèlement sur la responsabilité à la contraception. Le gouvernement avait lancé en même temps une campagne nationale d'éducation à la sexualité et à la contraception, avec la distribution de la carte Z dans les établissements scolaires. J'avais pour ma part mis au point une "mallette d'éducation à la sexualité" qui intégrait la lutte contre les violences à l'école, contre le sexisme, contre l'homophobie, et la lutte pour une sexualité responsable.

Dans ce contexte, compte tenu du lien de confiance qui s'était noué avec les infirmières scolaires, et prenant acte du fait que la contraception d'urgence était en vente libre, j'ai trouvé normal de la mettre à la disposition des infirmières scolaires, lorsqu'elle avaient affaire à des adolescentes en situation de détresse. Il ne faut tout de même pas oublier que 6 000 avortements sont pratiqués chaque année sur des mineures.

Il est vrai que nous avons été confrontés à de fortes réticences. Néanmoins, après un certain nombre d'explications, la prise en compte des contraintes pesant sur le fonctionnement des établissements scolaires et la présence des infirmières scolaires dans les internats, la décision d'autoriser les infirmières scolaires à délivrer le Norlevo a été prise.

Aujourd'hui, le fondement de la décision du Conseil d'État est assez clair. Il n'a pas repris les considérants de la commissaire du gouvernement qui contestait plusieurs autres éléments : tout d'abord, la question de l'autorité parentale, alors que l'on sait que les centres de planification ou d'éducation familiale ont le droit de délivrer une contraception aux mineures, ensuite, la mission des infirmières scolaires, puisqu'elle remettait en cause le fondement juridique de leur mission.

Le Conseil d'État a retenu le fait que je prenais acte, dans ma circulaire, de la mise en vente libre de la contraception d'urgence. D'autres recours ont cependant été déposés contre la vente libre du Norlevo et, curieusement, ils n'ont pas été joints à celui-ci, comme le fait d'habitude le Conseil d'État. Cela nous oblige à prendre en compte la globalité des questions de droit pour établir une nouvelle base juridique. Il conviendra donc de compléter la "loi Neuwirth", puisqu'en 1967 la contraception d'urgence n'existait pas, en précisant que la contraception d'urgence n'est pas soumise à une prescription médicale obligatoire et qu'elle peut être administrée, en cas d'urgence et de détresse, aux mineures désirant garder le secret, par les médecins et les infirmières scolaires. Ainsi, les médecins scolaires pourront se référer à une base juridique claire, qui reprendra le protocole de soins existant.

Je vous rappelle, par ailleurs, que cette délivrance n'a lieu que de façon exceptionnelle : uniquement dans le cas où l'infirmière scolaire n'est pas en mesure de faire prendre en charge le problème par les parents -première obligation-, par un centre de planning, un service d'urgence d'un hôpital ou un médecin. L'infirmière scolaire n'intervient que si toutes les autres voies normales de recours à la contraception d'urgence ont échoué.

Les premiers chiffres dont nous disposons sont significatifs : dans la région parisienne, sur 200 demandes, 16 contraceptions d'urgence ont été administrées par les infirmières scolaires. Cela montre bien que, dans la plupart des cas, l'infirmière sert de médiatrice entre l'enfant et la famille -ou le centre de planning. Mais, quand il n'y a aucune autre solution et que la jeune fille risque sa vie - ou désire tout simplement garder le secret sur son histoire, car il ne faut pas oublier les violences sexuelles qui sont mises à jour dans les dialogues avec les infirmières scolaires -, celles-ci peuvent intervenir.

Il y aura un problème tant que la loi ne sera pas définitivement votée - puisqu'il y a un vide juridique -, notamment en milieu rural, où l'on ne trouve ni centre de planning, ni pharmacie, ni centre hospitalier d'urgence.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La mission d'information à la sexualité et à la contraception fait-elle partie des missions du service de santé scolaire ? Est-ce acté dans le protocole de soins ? Nous avons découvert, grâce à la campagne sur la contraception et aux différentes auditions que nous avons pu avoir à cette occasion, le besoin qu'ont les jeunes d'être informés en matière de sexualité. De ce point de vue, le personnel infirmier des établissements scolaires est souvent un bon vecteur. Cette mission fait-elle partie de leurs compétences ?

Mme Ségolène Royal : Bien sûr, cela est inscrit dans les programmes officiels des classes de troisième et de quatrième, notamment dans les modules d'éducation à la santé. Par ailleurs, il n'est pas interdit de faire de l'éducation à la sexualité avant, dès l'école maternelle, avec l'apprentissage du corps, du respect du corps...

La campagne sur la contraception était destinée aux adolescents des classes de troisième, avec possibilité de commencer dès la classe de quatrième : obligation d'un panneau d'affichage, obligation du numéro de téléphone du centre de planning, incitation à faire venir des intervenants extérieurs...

Il faut du temps pour que ces actions montent en puissance ; par ailleurs, elles sont encore inégalement réparties sur le territoire. Nous devons donc donner une impulsion très forte pour qu'elles fassent partie des programmes de tous les collèges et lycées.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pendant les six mois où la délivrance du Norlevo a été autorisée, les infirmières scolaires ont travaillé avec différentes structures - centres de planification, hôpitaux - quand elles existaient. En revanche, en milieu rural, où il n'y a pas de centres de planification, elles ont dû intervenir davantage.

Aujourd'hui, le pharmacien n'a plus le droit de vendre la pilule d'urgence sans prescription médicale ; que pouvons-nous faire pour que, dans cette période de transition, les infirmières puissent poursuivre leur mission ? Existe-t-il des protocoles de partenariat qui pourraient permettre de prendre le relais jusqu'au vote de la loi ?

Mme Ségolène Royal : Les infirmières scolaires dirigent les adolescentes vers les centres de planning. Les PMI acceptent également de servir parfois de relais.

Mme Nicole Bricq : J'ai découvert qu'une étude statistique très poussée avait été effectuée par le ministère de l'éducation nationale, académie par académie -de janvier à mai , et qu'elle est en cours de dépouillement. Il serait très intéressant de connaître les résultats de cette étude, car ce que vous avez dit pour les départements ruraux, madame la présidente, est très juste. Le département de Seine-et-Marne, semi-rural et composé de grandes poches urbaines, compte un nombre de prescriptions équivalent à ceux de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, beaucoup plus peuplés et où les difficultés sociales sont plus importantes. Cette étude est intéressante, car elle met en exergue les disparités géographiques existant dans les départements ; elle doit donc nous être absolument communiquée. J'ai simplement eu connaissance des résultats de l'académie de Créteil, et j'en ai été très surprise. Cette étude montre par ailleurs le sens de la responsabilité des infirmières, qui n'ont pas du tout agi à la légère ; elle montre également que l'accueil, l'écoute et la délivrance en milieu scolaire sont des facteurs de réduction des inégalités géographiques.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous allons demander les résultats de cette étude au ministre de l'Education nationale.

Madame la ministre, la directive européenne de 1992 a-t-elle besoin d'être transposée ?

Mme Ségolène Royal : La directive a été considérée comme trop générale pour pouvoir être d'application directe en France. Il convient donc de la transposer, c'est-à-dire de la transformer en loi. La loi qui va permettre la mise sur le marché de la pilule du lendemain, sans prescription médicale, vaudra transcription de la directive européenne et complétera la "loi Neuwirth".

Mme Nicole Bricq : Quelle est la situation des autres pays européens ?

Mme Ségolène Royal : La France est le seul pays à avoir autorisé la vente libre de la pilule d'urgence. Cependant, compte tenu du précédent créé par la France, d'autres pays européens préparent actuellement une autorisation de mise sur le marché.

Mme Yvette Roudy : M. Lucien Neuwirth, que je vois régulièrement au Conseil de l'Europe, vous dira qu'un ajustement de la législation existante est tout à fait suffisant. Il est bien conscient que l'on ne peut pas laisser 10 000 jeunes filles en déshérence totale ; ce serait de la non-assistance à personne en danger.

M. Patrick Delnatte : Une infirmière est-elle à même de prendre en compte toutes les données médicales concernant le Norlevo qui figurent dans le protocole d'accord ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il n'y a aucune contre-indication médicale à la prise du Norlevo ; c'est d'ailleurs la raison pour laquelle cette pilule est en vente libre. Mais les infirmières ne se sont pas trompées : leur rôle a été éducatif. Elles sont tout à fait conscientes que la pilule d'urgence ne remplace pas une véritable contraception.

Mme Ségolène Royal : Les contre-indications ont été indiquées dans le protocole d'accord par précaution ; mais, vous savez, l'aspirine peut être plus dangereuse que la contraception d'urgence. Des recommandations existent pour tous les médicaments. Vous trouverez d'ailleurs dans ce protocole des cas beaucoup plus graves, lorsqu'il y a urgence. Je pense, par exemple, aux médicaments que les infirmières peuvent administrer pour sauver la vie d'un adolescent, dont les contre-indications sont beaucoup plus lourdes.

M. Patrick Delnatte : Je pense que le malaise ressenti dans l'opinion publique vient, non pas de la rapidité de la décision, puisque vous avez organisé un certain nombre de consultations, mais de sa brutalité. Lorsqu'on relit vos réponses aux questions écrites, publiées en février, il est clair que la délivrance de la pilule d'urgence par l'infirmière scolaire est la dernière chance pour l'adolescente, après l'échec d'autres mesures -mise en relation avec les parents, le planning familial, etc. Je suis néanmoins persuadé que l'opinion a perçu cette mesure comme simplificatrice, et que nous sommes entrés dans un débat qui ne correspondait pas à la réalité des choses ou, du moins, à ce que vous souhaitiez. Le bilan, 16 prescriptions par les infirmières scolaires sur 200 demandes, permet d'en juger.

Mme Ségolène Royal : Toutes les demandes ont été prises en compte : celles des infirmières, des parents, des centres de planning...

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Selon les zones géographiques - présence ou non de centre de planning, d'hôpitaux -, les infirmières ont délivré plus ou moins de Norlevo. Les disparités entre les départements sont importantes.

Mme Hélène Mignon : Quelquefois, la famille a pris la décision de poursuivre la grossesse.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : L'infirmière est tenue de faire un rapport auprès du principal - il existe un registre. Et les propos de l'adolescente doivent normalement rester confidentiels - même si l'on sait que certaines infirmières ont dû convaincre le principal de ne pas téléphoner à la famille.

Mme Ségolène Royal : Je voudrais revenir sur les propos de M. Patrick Delnatte, car l'opinion publique a parlé, à un moment donné, de "distribution", voire de distributeur automatique de pilule du lendemain dans les établissements scolaires ! Il n'en a, bien entendu, jamais été question ! Par ailleurs, j'insiste sur le fait que le protocole a été discuté pendant plus d'un an et que la direction générale de la santé en a pesé chaque mot. Mais, c'est au moment où la décision est prise que les gens prennent conscience de sa véritable portée.

M. Patrick Delnatte : Une dernière question : est-il envisagé de revoir la durée du congé maternité ?

Mme Segolene Royal : Non, le sujet en cours est celui du congé paternité !

M. Patrick Delnatte : Nous sommes dans une situation fausse : nous savons tous que le congé maternité est systématiquement prolongé pour des raisons dites pathologiques. Alors, autant l'allonger d'une ou deux semaines, si cela est véritablement nécessaire.

Mme Ségolène Royal : Personnellement, je préférerai un congé paternité - d'un mois par exemple - qui serait pris au moment où la femme reprend son activité professionnelle, et qui ne serait ouvert que si les femmes respectent le congé maternité légal.

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