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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 2ème jour de séance, 2ème séance

1ère SÉANCE DU LUNDI 5 OCTOBRE 1998

PRÉSIDENCE DE M. Jean GLAVANY

vice-président

          SOMMAIRE :

FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR 1

SAISINE POUR AVIS D'UNE COMMISSION 1

LOI D'ORIENTATION AGRICOLE 1

    EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 16

La séance est ouverte à dix heures.


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FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le Président - L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au vendredi 23 octobre 1998 inclus a été fixé ce matin en Conférence des présidents.

Elle a également arrêté le calendrier de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 1999.

Le Gouvernement a en outre communiqué, en application de l'article 48 du Règlement, le programme de travail envisagé pour les six mois à venir.

Ces documents seront annexés à la suite du compte rendu de la présente séance.

Par ailleurs, la Conférence des présidents a décidé, en application de l'article 65-1 du Règlement, que le vote sur l'ensemble de la proposition sur le pacte civil de solidarité et le vote sur l'ensemble de la première partie du projet de loi de finances pour 1999, donneront lieu à des scrutins publics, respectivement le mardi 13 octobre et le mardi 20 octobre, après les questions au Gouvernement.

Enfin, la procédure d'examen simplifiée a été engagée pour la discussion du projet sur le protocole relatif au Conseil de l'Europe, du projet sur l'accord relatif à la Cour européenne des droits de l'homme, de la proposition de loi sur la création d'un office des produits de la mer.


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SAISINE POUR AVIS D'UNE COMMISSION

M. le Président - J'informe l'Assemblée que la commission des affaires étrangères a décidé de se saisir pour avis du projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 88-2 de la Constitution.


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LOI D'ORIENTATION AGRICOLE

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi d'orientation agricole.

M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche - La France est une grande nation agricole. Chacun de nos concitoyens sait que notre histoire, notre culture, notre avenir se sont dessinés et se dessineront encore avec les couleurs de nos paysages, la typicité de nos terroirs et les inimitables saveurs de nos produits.

Nos partenaires comme nos concurrents en Europe et dans le monde le savent aussi.

La France est la première puissance agricole de l'Union européenne et le second exportateur mondial de produits agricoles. Elle exploite 15 % de la surface agricole utile de l'Europe et se place en tête des quinze pays de l'Union pour la plupart des grandes productions agricoles.

Mais demain, aurons-nous encore des agriculteurs pour accomplir cette vocation ? Demain, que seront ces paysans, ces agriculteurs indépendants travaillant sur des exploitations à taille humaine et responsables de leur pratique ?

Une grande puissance agricole sans agriculteurs, tel est le paradoxe auquel nous risquons d'être confrontés si rien ne vient modifier le cours des choses.

Bien sûr, la France produira toujours des denrées agricoles et des produits agroalimentaires, mais dans quelles conditions ? Cette production sera-t-elle assurée par une poignée de grandes exploitations situées dans les zones les plus productives de notre territoire et intégrées aux industries en amont et en aval, ou serons-nous capables de préserver le modèle agricole européen ?

Ce qui est en jeu aujourd'hui, c'est tout simplement la pérennité d'un certain mode d'organisation sociale du monde agricole et des rapports entre le monde rural et l'ensemble de la société. Telle est la question essentielle à laquelle se doit de répondre, en 1998, une loi d'orientation agricole.

Le Premier ministre s'est engagé devant vous lors de son discours de politique générale de juin 1997 à présenter cette loi dont il a souligné l'importance. Le Président de la République l'avait également souhaité lors du cinquantième anniversaire de la FNSEA, il y a un peu plus de deux ans.

Mon prédécesseur, M. Vasseur, avait élaboré un projet que j'ai pris en considération, même si j'ai jugé nécessaire de reprendre la réflexion et la négociation avec l'ensemble des partenaires pour mettre au point le texte que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui.

Plusieurs lois agricoles ont jalonné l'histoire de la Vème République. Celles de 1960 et 1962 ont permis la restructuration foncière, la modernisation des exploitations et le développement spectaculaire de la production.

Celle de 1980 visait à assurer l'intégration des productions agricoles au secteur agroalimentaire et à améliorer la compétitivité du secteur exportateur.

Des lois d'adaptation et de modernisation l'ont prolongée.

Il nous revient aujourd'hui de dresser le bilan de ces lois et de voir dans quelle mesure de telles politiques doivent être poursuivies ou infléchies. Après avoir étudié avec vous ce bilan, je vous indiquerai pourquoi à mes yeux une nouvelle politique publique est nécessaire en faveur de l'agriculture.

C'est d'abord aux préoccupations des jeunes et des hommes qui vivent de ce métier qu'une loi d'orientation doit répondre. Comment permettre à l'agriculture de remplir d'une façon équilibrée son triple rôle économique, social et environnemental ? Il faut fixer les règles d'une répartition juste et équitable des soutiens publics entre les agriculteurs, condition indispensable au soutien d'une agriculture faite par des chefs d'exploitation nombreux, responsables et présents sur tout le territoire. Il faut aussi encourager l'agriculture à produire pour des marchés solvables, à créer des emplois, à participer à la préservation des ressources naturelles.

Il faut, enfin, donner, grâce aux contrats territoriaux d'exploitation, un contenu concret au nouveau contrat entre l'agriculture et la nation si largement souhaité.

Pourquoi le bilan nous incite-t-il à la réorientation ? La politique instaurée dans les années 1960 a permis une formidable croissance de la production en volume, une restructuration considérable de la propriété foncière et des exploitations agricoles, un bond en avant de la productivité.

Grâce à cette "révolution silencieuse", la productivité agricole a été multipliée par 7,5 en quatre décennies, soit bien plus que pendant les huit ou neuf millénaires séparant la naissance de l'agriculture de la Seconde Guerre mondiale.

Le volume des productions végétales a été multiplié presque par quatre entre 1960 et 1995, celui des productions animales par deux, et le volume des productions de l'élevage hors-sol a doublé depuis 1980. La production de céréales a été multipliée par cinq en 40 ans.

Ces efforts ont permis à la France et à l'Europe de parvenir à l'autosuffisance puis de devenir de grands exportateurs mondiaux. Mais le prix de ces bouleversements a été lourd et l'on peut se demander si l'agriculture a tiré les fruits de cette croissance.

En quarante ans, la France a perdu 4 millions d'actifs agricoles et l'Union européenne 20 millions.

Entre 1980 et 1989, 25 000 exploitations disparaissaient chaque année, et le rythme s'est encore accéléré, puisque depuis 1989 ce sont 40 000 exploitations qui disparaissent chaque année en France. Pour une exploitation créée, cinq disparaissent.

C'est dire l'importance de la restructuration qui a lieu.

Quant aux prix alimentaires à la consommation, exprimés en monnaie constante, ils sont restés stables de 1960 à aujourd'hui. Dans le même temps, les prix à la production des produits agricoles ont été divisés par deux. Cela signifie que la part du produit agricole dans le produit final est devenue de plus en plus secondaire.

Le prix du blé a été divisé par quatre en 40 ans, depuis 1980 il a diminué de 60 % : cela ne date pas de la réforme de la PAC, la tendance est constante depuis 1960.

Plus grave encore, en dépit de la formidable croissance de la production, la ferme France s'est appauvrie : le chiffre d'affaires de l'agriculture en francs constants a stagné de 1975 à 1983 et a régressé depuis ; la valeur ajoutée de l'agriculture a été divisée par deux.

Ces évolutions globales rencontrent des différences régionales marquées. La baisse de la valeur ajoutée est la plus forte pour les départements spécialisés dans des grandes productions, encadrées par la PAC. Ainsi le chiffre d'affaires agricole de l'Eure-et-Loir a baissé de 52 % en 15 ans, alors que celui de la Gironde augmentait de 62 %.

Dans le même temps, la place des produits agricoles dans les échanges mondiaux s'est réduite, tombant de 48 % en 1950 à 12 %. De plus, le commerce se concentre de plus en plus sur les produits transformés, alors que les échanges de céréales sont restés stables autour de 200 millions de tonnes de 1980 à aujourd'hui.

Si l'un des objectifs de la politique agricole, la parité des revenus entre les agriculteurs et les autres catégories, a pu être atteinte en moyenne, c'est grâce à l'abandon de leur profession par des millions d'agriculteurs. Les agriculteurs risquent de perdre bientôt toute capacité à peser sur la production et sur les rapports de force au sein de la filière agroalimentaire.

L'offre de matières premières à bas prix a favorisé la croissance des industries agroalimentaires. Mais en sera-t-il de même demain ? La capitalisation boursière moyenne de cette branche est restée stable, autour de 110 milliards de francs entre 1992 et 1996, alors que dans le même temps, la valeur des trois plus grandes chaînes de distribution triplait pour atteindre 150 milliards.

Après avoir évolué en défaveur des agriculteurs, la modernisation ne jouerait-elle pas contre les industries agroalimentaires ?

Il est temps de dire que l'avenir de notre agriculture, et surtout celui de nos agriculteurs, ne se trouve pas dans la course sans fin au prix de production le plus bas. Ni la France ni l'Europe ne sont des pays en voie de développement, condamnés à brader à bas prix des matières premières sur le marché mondial. ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste)

Les secteurs les plus dynamiques à l'exportation sont ceux qui fournissent des produits à forte valeur ajoutée et aux prix élevés.

La compétitivité d'une économie développée réside dans la qualité de ses infrastructures, dans la formation des hommes, dans sa capacité à proposer des produits spécifiques et aussi dans la qualité des relations entre les maillons d'une filière. C'est dans ce sens que nous devons travailler.

Et du point de vue de la société, quelle a été l'efficacité de la politique agricole passée ? Avec la concentration de la production dans certaines zones, il est devenu de plus en plus difficile de concilier cette production et la préservation des ressources naturelles. La pollution des eaux, la dégradation des sols, les nuisances de toutes sortes sont devenues préoccupantes pour l'ensemble de nos concitoyens.

Nous savons maintenant que l'eau est un bien rare que nous devons préserver, que les sols ne sont pas inépuisables, et que certaines pratiques agronomiques peuvent se révéler à terme très néfastes pour les agriculteurs eux-mêmes.

Les effets négatifs sur l'environnement d'un modèle poussé à l'extrême ne pourront être toujours supportés par l'ensemble de la société : le coût en reviendra à l'agriculture elle-même et portera atteinte à sa compétitivité.

La crise de la vache folle a déclenché une crise de confiance des consommateurs et une remise en question de méthodes d'élevage dont les conséquences à long terme ne paraissent pas totalement maîtrisées.

La récente épidémie de peste porcine en Europe a montré la fragilité d'un élevage exagérément concentré.

L'agriculture joue de plus en plus difficilement son rôle dans le maintien de l'équilibre territorial, qui n'est pas inscrit dans le libre jeu du marché. La surexploitation de certaines régions s'accompagne de l'abandon d'autres zones. Cet abandon n'est pas une fatalité.

M. Patrick Ollier - Tout à fait !

M. le Ministre - Il est aussi le résultat d'une politique. Il n'est pas de régions condamnées, mais il est des atouts non valorisés.

Enfin, la politique de soutien à l'agriculture apparaît souvent injuste car le niveau des aides varie de façon considérable selon les exploitations.

Votre commission a présenté des documents très éloquents à ce sujet. Le revenu moyen par exploitation en 1997 s'échelonne de 631 000 F en Gironde, à 574 000 F en Côte-d'Or, 400 000 F en Seine-et-Marne, 70 000 F dans le Lot et en Corrèze, et 60 000 F en Haute-Vienne.

Si on considère non plus les moyennes, mais les revenus de chaque exploitation, cet écart de 1 à 10 devient un écart de 1 à 100 !

Les aides publiques, bien souvent, renforcent les inégalités. Or l'intervention publique ne peut être justifiée que si elle vient conforter les plus faibles, compenser les inégalités liées aux conditions naturelles ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste), favoriser des modes de production respectueux de l'environnement, bref, conforter une agriculture équilibrée et riche de ses hommes autant que de ses productions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

Voilà pourquoi, sans même parler des projets de réforme de la PAC, ni des futures négociations multilatérales de l'OMC, la politique agricole, nationale et communautaire, est menacée. Elle ne sera viable que si nous pouvons lui donner une nouvelle légitimité, un nouveau sens.

Le contexte international ne fait que renforcer cette urgence.

J'ai souvent dit pourquoi je n'acceptais pas le projet de réforme de la PAC tel qu'il est actuellement conçu par la Commission de Bruxelles. En effet, au lieu de changer les règles du jeu pour inverser les tendances négatives, elle se contente de prolonger les orientations de 1992, en généralisant les baisses de prix garantis, compensées par des aides au revenu des agriculteurs.

La régulation des marchés agricoles ne peut pas se faire uniquement par les prix, sauf à accepter la disparition des exploitations, et l'appauvrissement de l'agriculture.

Cette politique dite "réaliste" est en fait à courte vue. On baisse aujourd'hui les prix garantis, demain on acceptera une nouvelle réduction de la protection du marché communautaire, et après-demain on réduira les aides directes aux agriculteurs. En effet, les contraintes budgétaires européennes et celles des négociations de l'OMC auront tôt fait de remettre ces aides en cause.

Notre devoir est d'anticiper en définissant une politique agricole qui permette à l'Europe d'être offensive, et non le dos au mur, dans les négociations multilatérales.

C'est dans cet esprit que le Gouvernement propose cette loi d'orientation, qui affirme la volonté politique de la France de préserver une agriculture puissante, grâce à une nouvelle politique (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR).

Quels en sont les grands axes ?

D'abord, la politique agricole ne sera efficace, légitime et durable que si elle place l'homme au coeur de ses préoccupations ("Certes" ! sur les bancs du groupe du RPR).

Cela signifie concrètement qu'il faut privilégier réellement l'installation des agriculteurs, en particulier des jeunes, sur l'agrandissement des exploitations ("Bravo !" sur les bancs du groupe socialiste). C'est pourquoi le projet comporte un important volet sur le contrôle des structures agricoles.

M. Christian Jacob - C'est du collectivisme ! Même Edith Cresson avait hésité à aller jusque-là !

M. le Ministre - Je note que ce collectivisme a été demandé par toutes les organisations agricoles représentatives ! Les avez-vous écoutées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR)

Mon projet donne aux commissions départementales d'orientation agricole les moyens de mettre fin à l'agrandissement sans fin de la taille des exploitations.

Il étend le régime d'autorisation préalable à toutes les mutations, et permet de contrôler l'agrandissement des exploitations sous forme sociétaire, ce qui n'était pas possible jusqu'alors.

Le développement du phénomène sociétaire en agriculture avait vidé de tout contenu pratique ce qui dans notre droit restait en matière de contrôle de l'agrandissement des exploitations. L'information sur les départs à venir et la publication d'un rapport annuel départemental sur l'installation complèteront les moyens de contrôle créés par la loi.

Enfin, le remplacement des sanctions pénales par des sanctions administratives, permettra de mieux faire respecter la loi.

Cette volonté de faire prévaloir l'installation sur l'agrandissement serait-elle passéiste ? Contrairement à une idée que les grandes exploitations ne sont pas nécessairement les plus compétitives et les économies d'échelle ne sont pas sans limites. Et surtout l'archaïsme est bien plutôt du côté de ceux qui prônent un libéralisme sans contraintes qui broie les femmes et les hommes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Une politique faite pour les hommes doit permettre d'améliorer la protection sociale des agriculteurs, des conjoints, des salariés et des retraités.

Afin de parachever la parité des actifs agricoles avec les autres catégories sociales, je vous propose un statut de conjoint collaborateur d'exploitation agricole, pour ceux qui ne sont ni associés ni coexploitants (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Ce statut permettra notamment d'améliorer substantiellement les droits à la retraite.

Par ailleurs, le Gouvernement s'est engagé dans un plan pluriannuel de revalorisation des retraites agricoles. Un effort sans précédent a été réalisé en 1998, il continuera en 1999 -un amendement de la commission l'amplifiait encore.

M. Christian Jacob - C'est beaucoup moins qu'en 1995-1997.

M. le Ministre - Il faut juger sur la durée d'une législature !

Pour encourager le recrutement de salariés agricoles, je propose de simplifier les formalités à l'embauche, sans porter atteinte aux garanties sociales des employés -tel est l'objet de la généralisation du "titre emploi simplifié".

Je vous propose également des dispositions permettant d'améliorer la représentation et la défense des intérêts des salariés, grâce à la création de commissions d'hygiène et de sécurité au niveau départemental, ainsi que de comités départementaux d'oeuvres sociales et culturelles.

La politique agricole ne sera légitime et pérenne que si elle permet le plein développement des trois fonctions de l'agriculture : production, emploi, entretien de l'espace agricole et forestier. Cela ne se réduit pas à une idée à la mode qui permettrait de donner un supplément d'âme à une politique agricole contestée ou une légère couche de vernis environnemental et social aux soutiens publics à l'agriculture.

Cela concerne la réalité même d'une activité agricole bien conduite, qui contribue en même temps à la production agricole, à la protection et au renouvellement des ressources naturelles, à l'équilibre du territoire et à l'emploi.

M. Patrick Ollier - La montagne est oubliée !

M. le Ministre - Dans cette perspective, l'environnement, le bien-être des animaux, la qualité et l'identification des produits ne sont plus des contraintes, mais des atouts permettant de valoriser la production agricole sur les marchés. Les consommateurs demanderont de plus en plus à savoir d'où viennent les produits et dans quelles conditions ils ont été élaborés. On voit déjà que, pour le bois, des conditions de production respectueuses de l'environnement influent sur les prix.

Les politiques publiques doivent reconnaître cette évolution en adaptant les règles de répartition des concours nationaux, et demain européens, à l'agriculture. Les soutiens aux agriculteurs ne devront plus être proportionnels à la production, mais inciter les agriculteurs à prendre en compte toutes les dimensions de leur métier.

Les contrats territoriaux d'exploitation seront les outils de cette nouvelle politique agricole : ils fixeront les engagements respectifs de l'Etat et de l'agriculteur. Ces engagements ne seront pas une longue suite de contraintes administratives, mais un ensemble d'actions couvrant tout le champ d'activités de l'exploitation. Certains craignent que l'on aboutisse ainsi à une "suradministration de l'agriculture".

Plusieurs députés RPR - Mais, c'est l'évidence !

M. le Ministre - Vous devez ignorer comment est gérée aujourd'hui la politique agricole. L'importance des aides publiques dans la formation du revenu des agriculteurs a conduit à un enchevêtrement de réglementations et de contrôles de plus en plus opaques. L'approche contractuelle sera plus moderne et plus transparente.

M. Christian Jacob - Et la compétitivité ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - Monsieur Jacob, gardez vos munitions pour la discussion générale... (Sourires)

M. le Ministre - Le CTE concernera d'abord la production. Je souhaite encourager une agriculture diversifiée, créatrice de richesses et de valeur ajoutée. Le revenu des agriculteurs ne doit pas dépendre de leur habileté à utiliser au mieux les règles de distribution des aides publiques. Il faut au contraire les inciter à produire de la richesse, à fournir des produits de qualité dont le prix soit le gage d'un revenu durable. Les contrats territoriaux d'exploitation doivent permettre d'encourager l'initiative et le goût d'entreprendre des agriculteurs, alors que la politique actuelle les conduit trop souvent à tout miser sur la spécialisation et l'agrandissement de leur exploitation.

Le projet fait une place importante à la politique de qualité et d'identification des produits agricoles. Il permettra de clarifier la gestion des signes d'identification des produits, en distinguant mieux les signes d'identification de la qualité -labels et certifications de conformité-, les signes d'identification de l'origine que sont les appellations d'origine contrôlées et indications géographiques protégées, et les signes d'identification d'un mode de production -agriculture biologique, agriculture de montagne.

La gestion des AOC et des IGP sera confiée à l'INAO, alors qu'elle est partagée aujourd'hui entre deux instances. Un comité sera créé au sein de l'INAO pour remplacer l'actuelle commission mixte ; il rassemblera bien sûr les compétences nécessaires.

Si la loi permet l'accession à l'IGP sans lien avec un label agricole, elle n'en fait pas une obligation, et ceux qui voudraient associer label et IGP le pourront. Mais il va de soi que, la loi ne disposant que pour l'avenir, les IGP et labels déjà reconnus ne seront pas remis en question.

En second lieu, le CTE concernera les actions positives conduites par les agriculteurs pour préserver les ressources naturelles et entretenir l'espace. L'agriculture dépend à terme de la richesse des milieux naturels dans lesquels elle s'inscrit. Il n'y a donc pas d'opposition entre le premier et le second chapitres du CTE, mais au contraire complémentarité.

J'entends certains demander comment sera financée la réorientation proposée. Eh bien, très simplement : en réorientant les dépenses publiques en faveur de l'agriculture afin de dépenser mieux.

M. Christian Jacob - Mais votre budget baisse de 6 % !

M. le Ministre - Pendant des années, vous avez voté des budgets qui baissaient. Cette année, il y a progression, cela devrait vous laisser sans voix. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Dès 1999, une partie des crédits de mon ministère sera redéployée sur le fonds de financement des CTE. Je me battrai pour que, dans la réforme de la PAC, une partie des crédits publics soit réorientée au profit de ces actions.

A terme, le CTE a vocation à regrouper l'essentiel des aides aux exploitations.

Je ne suis pas un adepte du libéralisme sauvage.

Plusieurs députés RPR, UDF et DL - Nous non plus !

M. le Ministre - C'est une confession tardive ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste)

Je n'ai jamais pensé que la libre confrontation de l'offre et de la demande suffirait à tout régler. Au contraire, les marchés agricoles ont tout particulièrement besoin d'une organisation et, parfois, de l'intervention publique. Dans cet effort d'organisation, les agriculteurs doivent prendre toute leur part.

C'est pourquoi je propose de créer des interprofessions. Elles participeront à l'identification des produits de façon à assurer une juste répartition de la valeur ajoutée entre les agriculteurs et les entreprises d'aval. Dans le même esprit, les partenaires des filières pourront prendre les mesures nécessaires pour réguler les marchés en cas de crise conjoncturelle.

Nous voulons aussi mobiliser l'enseignement et la recherche agricoles dans le cadre de ces orientations. Elles doivent être capables de prendre en compte les grandes questions de notre époque : celle du clonage et des organismes génétiquement modifiés, celles de la sécurité sanitaire et de l'environnement, celles du plein emploi et de la cohésion sociale.

Ce sont des enjeux scientifiques et techniques, économiques et éthiques. Notre recherche doit conserver son niveau d'excellence pour permettre au plus grand nombre de maîtriser les savoirs nouveaux et d'évaluer les conséquences des découvertes scientifiques.

Pour permettre une meilleure mobilisation, je propose que la recherche et l'enseignement supérieur constituent des pôles régionaux bien reliés aux universités et établissements de recherche. Je souhaite poursuivre la modernisation de notre enseignement technique, et parvenir à unifier les statuts des établissements. Je souhaite, enfin, que le pluralisme qui s'est instauré dans les conseils des offices s'applique de même dans l'appareil de développement.

Ainsi, nos appareils de formation et de recherche seront des outils encore plus efficaces de citoyenneté.

C'est en affirmant haut et fort cette nouvelle orientation que nous serons capables de faire entendre notre voix à Bruxelles et d'infléchir le cours des négociations actuelles autour du "paquet Santer".

Cette loi d'orientation française est-elle compatible avec ce qui se prépare à Bruxelles ?

Je n'entends pas faire de ce texte la loi d'application, par anticipation, de la réforme de la PAC proposée par la Commission ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste). Cette réforme ne me convient pas, je l'ai dit et répété à Bruxelles et à Paris.

M. Yves Fromion - Vous vous en défendez trop !

M. le Ministre - C'est précisément parce que je refuse ces perspectives que je vous propose des orientations qui me semblent porteuses d'avenir pour notre agriculture, et pour l'agriculture européenne.

Il revient à la France de s'opposer aux menaces de renationalisation de la politique agricole commune qui se font jour. Elle ne peut le faire qu'en proposant pour les prochaines décennies un modèle européen d'agriculture crédible et enthousiasmant, qui concentrera la négociation sur les objectifs et sur le projet, et non plus seulement sur le budget et le taux de retour.

M. Christian Jacob - Mais quelles sont les propositions précises du gouvernement français ?

M. le Ministre - En rassemblant les énergies des élus, des professionnels agricoles, de l'ensemble des agriculteurs et de la nation, nous pourrons peser dans les débats communautaires dans le sens que nous souhaitons. Cette loi doit être l'occasion de ce rassemblement.

M. Christian Jacob - Si c'est ça le modèle européen...

M. le Ministre - La loi d'orientation agricole a été voulue par tous. Elle ne parle pas de tout. Elle ne parle pas de ce que le Gouvernement a déjà réalisé.

Il a négocié un plan pluriannuel de modification de la "régionalisation des aides" aux grandes cultures, dans le sens d'une plus grande équité entre régions.

Il a créé une agence de sécurité sanitaire des aliments.

Il s'est appliqué à faire respecter au mieux le pluralisme syndical qui doit être encore mieux garanti par notre droit.

Il a engagé avec vous un travail législatif qui aboutira prochainement concernant les relations entre l'homme et les animaux de compagnie.

Ce projet ne traite pas de la forêt. Les partenaires ne sont pas les mêmes, l'Union européenne n'a pas de politique forestière, et il nous faut mettre à jour une grande partie du code forestier. Mais Jean-Louis Bianco, que le Premier ministre avait chargé d'éclairer nos choix, a remis un rapport très riche. Le Gouvernement s'en inspirera pour vous proposer un projet de loi forestière en 1999.

La loi d'orientation ne traite pas non plus de fiscalité... Mais le sujet n'est pas délaissé ("Ah !" sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). J'ai engagé une concertation approfondie avec les organisations professionnelles pour parvenir à un projet respectant la parité entre les secteurs économiques. Les propositions actuelles ne me permettent pas de considérer que je suis en présence d'un tel projet.

Je ne saurais passer sous silence la grande question de la malnutrition, et les criantes inégalités dans l'accès à l'alimentation sur notre planète. J'ai la conviction qu'il n'y aura de développement et de paix que si toutes les nations assurent, au moins en partie, leur couverture alimentaire. A mes yeux, il ne revient pas à quelques puissances d'assurer l'alimentation de l'ensemble de l'humanité. Pas plus que nous n'acceptons que les Etats-Unis imposent au monde leur modèle alimentaire, nous n'acceptons que la politique européenne ait pour fin de faire de l'alimentation une arme. Ce n'est pas ma conception de la dignité des agriculteurs ni de la construction européenne (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Cette loi d'orientation a été voulue par tous. J'ai conduit une large concertation, et c'est dans le même esprit de dialogue que je m'adresse à vous. Le rapporteur et la commission ont enrichi ce texte, après des séances de concertation avec les professionnels.

M. Germain Gengenwin - Et grâce à l'opposition !

M. le Ministre - Ce travail parlementaire augure bien du débat à venir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Le Conseil économique et social a fourni une solide contribution que Mme Lambert a présentée avec force.

Les agriculteurs sont impatients de voir cette loi mise en oeuvre. Je vous invite à répondre à cette attente, qui est partagée par tous nos concitoyens et par nos partenaires européens (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. François Patriat, rapporteur de la commission de la production - Permettez-moi, d'abord, de faire trois citations et de vérifier leur cohérence avec les objectifs définis par le ministre.

En mai dernier, le dirigeant d'une grande organisation syndicale déclarait : "Affirmer l'agriculture comme pilier du développement rural et comme socle de l'aménagement du territoire, voilà notre proposition première". La multifonctionnalité inscrite dans ce texte n'apporte-t-elle pas la réponse ?

En mars, l'ancienne présidente du CNJA disait pour sa part qu'un désert bien cultivé qui perd son âme, c'est un véritable échec social. Contrôler les structures, mener une politique d'installation, faire que l'agriculteur ait demain des voisins plutôt que des hectares, n'est-ce pas la ligne suivie ?

Un autre syndicat agricole a lancé comme mot d'ordre : produire, employer, préserver. N'est-ce pas là le fondement de ce projet ? ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste)

Redonner un sens à l'agriculture en tempérant le productivisme, créer un secteur économique riche en hommes, produire des biens de qualité, protéger et valoriser notre espace : voilà le défi qu'il nous faut relever. L'agriculture française a une identité propre ; l'enjeu est la pérennisation de tous les bassins de production, dans un contexte de mondialisation des échanges et d'expansion des marchés. Les agriculteurs doutent de leur avenir, mais celui-ci ne saurait se décider dans un colloque singulier avec le Gouvernement car il concerne la nation toute entière.

Depuis, les années soixante jusqu'en 1982, le revenu agricole était basé sur le produit. En maintenant artificiellement des prix élevés, les responsables ont cherché à le défendre tout en assurant l'autosuffisance alimentaire. Mais une maîtrise de la production est apparue nécessaire, et ceux qui la contestaient à l'époque en reparlent aujourd'hui ; de 1982 à 1992, donc, le revenu a été basé sur les hectares et les droits à produire, ce qui est une façon aveugle de maintenir le produit. Aujourd'hui, vous proposez une politique ciblée, fondée sur l'aide aux agriculteurs.

Tous les Etats soutiennent leur agriculture. Ce soutien public est légitime, mais il ne saurait être aveugle et injuste. Ce projet équilibré ouvre des perspectives nouvelles en reconnaissant le rôle social des agriculteurs -qui mérite rémunération- dans le développement rural et la protection de l'environnement, sans pour autant tirer un trait sur leur activité de producteurs.

Notre vision ne doit pas être celle d'une agriculture duale : il nous faut pour demain une seule et même agriculture, riche en emplois et respectueuse des ressources naturelles.

M. Christian Jacob - Avec 20 000 F par an, on va créer des emplois...

M. le Rapporteur - Monsieur Jacob, nous avons travaillé en commission dans un climat constructif ; un tiers des amendements émanent de l'opposition. Essayons de poursuivre notre débat paisiblement...

Ce projet est cohérent. On nous dit qu'il ne l'est pas avec le paquet Santer ; mais nous sommes d'accord pour considérer que celui-ci n'est pas acceptable en l'état ! La France doit affirmer haut et fort quelle agriculture elle veut pour demain.

M. Christian Jacob - Concrètement, qu'y a-t-il dans ce texte ?

M. le Rapporteur - J'y viens, et nous avons huit jours pour en discuter !

Ce projet est cohérent avec notre logique d'installation des hommes, d'occupation du territoire, de maintien du revenu (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Les trois critères qui doivent nous guider sont l'efficacité, la légitimité et l'équité.

Efficacité : bien sûr, les agriculteurs doivent produire, l'agriculture doit créer des emplois, les produits doivent être de qualité. Ce texte parle aussi des oubliés de l'agriculture, en amont et en aval.

Légitimité : "Il faudra bien qu'un jour les financements publics agricoles reposent sur des bases légitimes que la société acceptera", avait déclaré il y a trois ans à Dijon un grand leader syndical. Cette légitimité passe par la reconnaissance des multiples fonctions de l'agriculture.

Equité : il s'agit d'abord, sachant la faible part que perçoit l'agriculteur dans le prix du produit fixé, de déplacer un peu le curseur vers l'amont ; et il s'agit aussi d'équité territoriale : on sait que la France est coupée en trois, que 80 % des aides vont à 20 % des agriculteurs ("Oui !" sur les bancs du groupe socialiste) et que ceux qui créent des emplois ne bénéficient pas des financements européens (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR). Il faut que le financement public soit mieux réparti.

Le CTE est-il un outil efficace ? Après avoir visité plus de vingt départements, je puis témoigner qu'il existe une réelle demande de contractualisation. Il ne s'agit pas de bureaucratisation ou, comme je l'ai entendu, de "soviétisation". Mais quoi de plus juste et de plus efficace qu'un contrat entre le financeur public et l'agriculteur, définissant un certain nombre d'objectifs adaptés ?

Le contrôle des structures doit mettre fin au délit d'initiés. Une réelle transparence doit permettre de pérenniser les unités viables. La compétitivité, ce n'est pas la croissance sans frein des exploitations et une modernisation poussée au point d'avoir demain 200 000 agriculteurs en France (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Christian Jacob - Comme disait Talleyrand, tout ce qui est excessif est insignifiant... (Rires)

M. le Rapporteur - La compétitivité que nous défendons suppose le maintien d'actifs dans les zones difficiles, alors que la logique néo-libérale fait disparaître les hommes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Le volet le plus important du texte est peut-être celui qui concerne la qualité.

C'est de la qualité que les agriculteurs tireront demain leurs revenus. Le député de Côte-d'Or que je suis sait ce que qualité veut dire. Si la production agricole la plus connue de mon département reste le vin, son produit agroalimentaire transformé le plus célèbre, dans les pays anglo-saxons notamment, est la "moutarde de Dijon". Or, sur les plateaux calcaires du Dijonnais où mon père et moi-même en cultivions, il n'y a plus aujourd'hui un seul hectare de moutarde. Un CTE collectif intelligent permettrait demain d'en replanter cinq à quinze mille hectares et de fabriquer une moutarde AOC. Ce serait de la plus-value pour les producteurs, de nouvelles installations... (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

M. Yves Fromion - Nous sommes d'accord sur le fond, mais sans le CTE.

M. le Rapporteur - Sans le CTE ! Vous demanderiez donc aux agriculteurs de produire moins et mieux, sans ressources supplémentaires. Curieuse idée de la défense du revenu agricole !

M. Jean Auclair - Le financement du CTE ne sera qu'une peau de chagrin !

M. le Rapporteur - Ce que j'ai dit pour notre moutarde vaudrait, mutatis mutandis, pour le plateau de Millevaches, l'Aveyron et diverses zones de montagne. Cela étant, pour être viables, les CTE devront nécessairement s'inscrire dans une démarche collective ("C'est l'agriculture administrée !" sur les bancs du groupe du RPR).

La commission a pris en compte, au travers des amendements qu'elle a acceptés, la demande de réévaluation des retraites. Elle a redéfini les règles de représentativité des organisations agricoles dans le sens de la justice. Elle a ajouté un objectif d'emploi aux CTE. Elle a levé une ambiguïté qui avait suscité l'inquiétude des artisans et des commerçants du monde rural. Ne confondons pas en effet multifonctionnalité et pluriactivité. Il ne s'agit pas de transformer les agriculteurs en maçons ou en jardiniers, mais de reconnaître leur fonction sur le territoire. Le ministre, après une large concertation, a pu apaiser les craintes.

Le projet de loi aurait été plus complet accompagné d'un volet fiscal. Il faudra redéfinir le revenu réel d'exploitation, distinguer plus clairement entre revenu disponible et revenu comptable, entre revenus du capital et du travail. Ces mesures fiscales, qui donneraient aussi une base claire au calcul des cotisations sociales, prolongeront ce texte, je l'espère, dans l'année qui vient.

Avant de conclure, je tiens à remercier les membres et les collaborateurs de la commission qui ont travaillé tout l'été pour parvenir à ce texte équilibré. L'agriculture n'est pas un enjeu de pouvoir politique, c'est un enjeu de société ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Cessons donc de nous envoyer des anathèmes. Ce texte reconnaît au monde agricole sa place dans la société, et aux agriculteurs le droit à un revenu décent, à l'égalité sociale et territoriale. Il se donne les moyens de ces objectifs. Il constitue une véritable loi d'orientation. C'est pourquoi je vous demande, au nom de la commission, de l'approuver (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. le Président - Conformément à l'article 69 de la Constitution, le Conseil économique et social a désigné Mme Christiane Lambert, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation, pour exposer devant l'Assemblée l'avis du Conseil sur ce projet de loi d'orientation.

Mme Christiane Lambert, rapporteur du Conseil économique et social - Le Conseil économique et social a analysé ce texte de manière approfondie et l'a adopté à une très large majorité. Les agriculteurs présents au Conseil l'ont approuvé à l'unanimité.

C'est avec une certaine émotion que je présente ici cet avis, qui constitue le message qu'un corps socioprofessionnel adresse par ma voix au législateur. En effet, avant d'être une militante syndicale qui a longtemps porté l'étendard des jeunes agriculteurs, je suis une agricultrice passionnée par son métier.

De tous temps, l'intervention de l'Etat en liaison avec la profession a visé à adapter ce secteur aux mutations de l'économie, d'une part, de la société, d'autre part. Il s'est agi d'abord de nourrir les hommes tout en structurant le développement des exploitations et des filières grâce à la formation, la vulgarisation, l'organisation économique, la protection et l'exportation. Puis les objectifs ont évolué avec la prise en compte de la diversité des territoires, l'attente de productions plus qualitatives, la préoccupation environnementale et les évolutions démographiques.

Pour le Conseil économique et social, une loi d'orientation agricole doit permettre aujourd'hui l'ouverture de l'agriculture sur la société, comme l'ont fait en leur temps les lois de 1960 et 1962. L'intérêt croissant porté à l'alimentation, aux conditions de production, à la santé, à l'emploi, à la vitalité des zones rurales, à la préservation des ressources naturelles, révèlent l'attachement culturel de nos concitoyens à un modèle de développement efficace et équilibré. Autant de défis nouveaux pour l'agriculture, dont la performance doit désormais être à la fois économique, territoriale, sociale et environnementale.

Nous nous sommes attachés, dans cet avis, à dresser un constat et à définir les tendances lourdes du contexte dans lequel évoluera demain l'agriculture. Nous ne pouvons en effet ignorer des enjeux plus larges ou plus lointains.

Je veux parler de l'économie mondiale de plus en plus ouverte, de la forte expansion de la demande alimentaire mondiale, de la libéralisation des échanges depuis les accords de Marrakech. Des distorsions subsistent au niveau social et environnemental, faussent la loyauté des échanges, sans parler du dumping pratiqué par certains pays en totale contradiction avec les exigences libérales qu'ils imposent aux autres Etats. Il s'agit également de la réforme des politiques européennes agricole, rurale et sociostructurelle dans le cadre de l'Agenda 2000.

Les premières propositions de la Commission montrent que les solutions proposées ne sont pas à la hauteur des problèmes qui ont pourtant été lucidement analysés.

La volonté d'alignement sur des prix mondiaux très théoriques et le renforcement du soutien aux facteurs de production conduisent à une concentration des structures et à une standardisation des productions. L'agriculture se trouve fragilisée et appauvrie, l'installation de nouveaux exploitants devient encore plus difficile. Voilà la logique néfaste enclenchée depuis 1992.

Le récent retournement des marchés confirme pourtant que les risques de crise demeurent et rendent nécessaire le maintien de mécanismes de régulation au sein d'organisations communes de marché renforcées et modernisées.

Si notre agriculture est confortée par les succès économiques de nos exportations et de nos industries agroalimentaires, elle souffre d'une hémorragie de ses actifs et, partant, de la dévitalisation de zones rurales entières. Le nombre des départs à la retraite, désormais faible, ne permet plus de compter sur les restructurations pour améliorer le revenu individuel des agriculteurs. Il faut donc trouver de nouvelles voies de création de richesses.

Face à la standardisation prônée par certains pays, l'agriculture française se doit de conserver ses valeurs.

Dans la perspective des prochaines échéances européennes et internationales, il faut affirmer que l'agriculture crée des richesses pour les marchés nationaux, européens et mondiaux, mais fournit aussi des emplois et des biens immatériels au bénéfice de la société. Et elle joue, de façon indissociable, un rôle dans l'occupation et l'aménagement du territoire, l'emploi et l'animation du milieu rural, la préservation des ressources naturelles et des paysages.

Selon l'adage : "vouloir c'est commencer", le Conseil économique et social a affiché d'emblée une vision volontariste. Ne laissons pas à d'autres pays ou d'autres instances la responsabilité de la décision. Analysons les défis pour les relever et non pour nous en protéger.

Ce projet de loi arrive à un moment stratégique du calendrier national, européen et mondial. Notre société a à choisir entre des lendemains ouverts et un destin résigné !

Une loi d'orientation doit aujourd'hui proposer un cadre fiable et souple pour garantir une régulation des marchés s'appuyant sur la discipline des professionnels, et afin de conquérir des marchés plus segmentés. Elle doit contenir des mesures novatrices favorisant l'initiative économique des agriculteurs, en complémentarité avec les autres acteurs économiques. Elle doit enfin proposer un cadre afin de moderniser l'intervention publique en évitant les excès du libéralisme comme les freins du dirigisme.

Le Président de la République a souhaité en mars 1996 un texte donnant à l'agriculture française une réelle compétitivité sur les marchés intérieur et extérieurs et assurant le renouvellement des générations afin qu'elle puisse continuer à créer des richesses et des emplois, à valoriser des territoires et à contribuer au rayonnement de notre pays.

Le précédent gouvernement a réalisé un travail important et certains éléments de son projet ont été repris par le texte actuel. Celui-ci consacre le bien-fondé des objectifs fixés par le Président de la République à travers quatre orientations principales que le Conseil économique et social approuve.

Le projet de loi cherche à pérenniser l'activité agricole en favorisant l'emploi salarié et l'installation des jeunes agriculteurs conformément aux principes de la charte nationale de l'installation signée en 1995.

Il souhaite également renforcer la présence de l'agriculture sur les marchés intérieur et extérieurs en confortant la qualité de la production.

Il entend également valoriser la richesse que constitue la diversité des potentiels territoriaux pour augmenter la valeur ajoutée globale du secteur.

Il tente, enfin, de répondre aux attentes qualitatives de la société afin de garantir un développement durable de l'agriculture et une meilleure compréhension de l'intervention publique en sa faveur.

Pour le CES, ces axes, qui visent plus largement à ancrer l'économie agricole dans la réalité territoriale, permettront d'accompagner l'agriculture de façon plus efficace, plus transparente et plus lisible.

Les pouvoirs publics conservent néanmoins leur devoir d'organisation et de régulation en amont de l'activité, car il est toujours plus efficace de réguler les marchés que de gérer les crises a posteriori. Le projet de loi souffre de lacunes dans ce domaine.

Inscrire la territorialité comme orientation majeure de l'agriculture contribue à reconnaître sa multifonctionnalité, son rôle de gestion dynamique de l'espace et des ressources naturelles et sa contribution à la création d'emplois. Promouvoir un développement ancré dans les atouts territoriaux permettra aussi de préserver la diversité des régions pour mieux valoriser leurs productions et augmenter ainsi la valeur ajoutée globale de l'agriculture.

Nous sortirons ainsi de la spirale actuelle de concentration et d'uniformisation de l'agriculture qui fait obstacle au maintien d'exploitations à taille humaine et à l'installation de jeunes agriculteurs.

Le CES pense que cette orientation favorisera la recherche des créneaux porteurs en liaison avec les partenaires régionaux. La qualité des productions est en effet de plus en plus présentes dans les stratégies des entreprises agroalimentaires qui valorisent le savoir-faire de nos régions sur les marchés mondiaux.

C'est en effet en différenciant ses produits en mettant en avant la diversité de ses territoires que la France pourra riposter à la logique de la mondialisation et maintenir l'emploi.

Telles sont les bases d'un contrat durable entre l'agriculture et la nation qui clarifie les rôles respectifs et fonde la nouvelle légitimité de l'intervention publique.

La loi initie en effet avec la proposition du CTE un soutien tenant compte de l'ensemble des fonctions, économique, sociale, territoriale et environnementale, de l'agriculture.

Le CES salue cette nouvelle approche de l'intervention publique qui devra toutefois impérativement rester complémentaire d'une véritable politique de régulation des marchés.

Le Conseil souhaite que cette proposition favorise véritablement une nouvelle stratégie de développement des exploitations soutenant les projets d'entreprise individuels et collectifs mettant en valeur les atouts territoriaux et environnementaux. Il s'agit en fait de passer d'une logique de guichets à une logique de projets.

Toutefois, pour enraciner efficacement, l'orientation donnée par la loi devra s'appliquer progressivement et si l'inflexion doit être réelle, les objectifs doivent rester accessibles au plus grand nombre d'agriculteurs.

Il ne faut pas tomber dans la logique du "tout territoire", car l'agriculture ne pourra durablement valoriser l'espace rural que si elle est d'abord présente sur les marchés.

Les souhaits du CES semblent d'ailleurs avoir été entendus par votre commission de la production qui a adopté plusieurs amendements qui tendent à faire prévaloir dans le CTE un projet économique global intégrant les différentes fonctions de l'exploitation.

L'intervention des différents échelons, national, régional, départemental et local, devra se faire de façon coordonnée.

Cet effort commun doit concerner aussi les contributions au financement des contrats. Les contributions nationales devront être plus ambitieuses que de simples redéploiements. Par la suite, elles pourront s'articuler avec les différents fonds européens.

Pour le Conseil économique et social, cette nouvelle approche pourrait permettre de trouver une cohérence au niveau européen, et en particulier d'harmoniser les pratiques des Etats et d'envisager une modulation dynamique des soutiens compatible avec les contraintes du commerce mondial.

Si l'ancrage territorial est positif, il ne doit pas estomper la nécessité d'une régulation efficace de l'économie agricole permettant de gagner en compétitivité, d'encourager les investissements et de développer les relations au sein des filières.

Sur ces différents points, le Conseil économique et social ne peut que déplorer les lacunes du projet de loi. Cependant votre commission a repris un certain nombre d'amendements dans lesquels le Conseil économique et social retrouve ses propositions et qui peuvent améliorer substantiellement le texte.

Concernant le statut des entreprises et des personnes, ce dernier modifie la définition de l'activité agricole, mais la rédaction marque un recul par rapport aux textes en vigueur. Elle ne clarifie pas l'état actuel du droit et risque par là-même de compliquer les relations entre les différents acteurs du milieu rural.

Si elle propose la mise en place effective du registre de l'agriculture, elle ne précise pas la définition de l'exploitant agricole, ce qui risque de nuire à son efficacité. Les amendements proposés sur ce point devraient y remédier.

Le statut de conjoint collaborateur représente, en revanche, une adaptation positive qui doit être impérativement complétée par une amélioration des retraites agricoles pour lesquelles le projet de budget pour 1999 n'apporte qu'un progrès insuffisant.

Répondant à une véritable attente des agriculteurs sur le terrain, la loi propose de rendre plus efficace la politique des structures pour faciliter l'installation de nombreux jeunes et mieux maîtriser le foncier. Le Conseil juge cette orientation positive, mais pense qu'il serait également souhaitable d'accompagner cette politique par des incitations propres à faciliter la transmission des exploitations agricoles, de définir un statut des droits à produire, d'adapter le statut du fermage, notamment pour les successions non familiales.

Il est regrettable que le projet de loi élude le problème de la rénovation de la fiscalité agricole. La mise en place d'une assurance récolte, qui existe déjà dans d'autres pays, doit être accélérée.

Le projet traite insuffisamment de l'organisation économique des producteurs. Une adaptation des règles de concurrence doit compléter les possibilités de réaction des interprofessions ou des filières, notamment en cas de crise.

La législation de l'intégration devrait être revue et complétée pour faire face à un phénomène qui s'étend dangereusement.

Les producteurs doivent pouvoir pérenniser leurs outils coopératifs par une défiscalisation de leurs investissements à l'aval. Ils doivent également avoir les moyens de communiquer efficacement ; aussi le Conseil économique et social souhaite-t-il la création d'un fonds de communication.

La politique de qualité des produits doit être clairement distinguée des politiques de marques qui répondent à des préoccupations de marketing commercial. Les objectifs doivent être de territorialiser la production, d'augmenter sa valeur ajoutée au profit des producteurs et de favoriser l'information et la satisfaction des consommateurs. Les outils proposés par la loi ne sont pas en adéquation avec ces objectifs.

Concernant l'espace rural et l'environnement, l'adaptation des méthodes de production à la protection de l'environnement et à la gestion durable de l'espace agricole peut être prise en compte de façon incitative dans le cadre des contrats territoriaux d'exploitation.

Mais il convient aussi de maintenir des outils efficaces pour que la gestion de l'espace rural soit assurée en complémentarité par les agriculteurs et les autres acteurs du milieu rural. A ce titre, il est urgent que le fonds de gestion de l'espace rural soit doté d'une ressource propre et pérenne.

Des aménagements intéressants sont apportés par le projet à l'exercice de l'emploi salarié. L'abaissement des charges des employeurs est un facteur de maintien et de création d'emplois durables ; il conviendrait de le favoriser.

Enfin, l'enseignement, la formation, la recherche et le développement devront accompagner les évolutions de l'agriculture.

En conclusion, la loi d'orientation agricole représente un choix décisif pour notre pays, attendu avec espoir par les agriculteurs pour renforcer leurs liens avec l'ensemble de nos concitoyens.

Le Conseil économique et social souhaite apporter par sa contribution des éléments constructifs propres à conforter le dynamisme des projets des agriculteurs, partenaires des autres acteurs des filières et du milieu rural. La rénovation des politiques publiques tend à favoriser leur place au sein de la société pour qu'ils soient, plus qu'hier, économiquement efficaces, socialement utiles et politiquement compris.

Ce modèle doit être source de modernité et de sécurité, d'équilibre et d'efficacité, créateur d'emplois, afin de sceller durablement un nouveau contrat avec l'ensemble de la société.

Mais il ne faudrait pas que le modèle que nous dessinons pour notre pays soit contredit par les réformes de la politique agricole commune. C'est pourquoi il est indispensable que vous légifériez maintenant sur ce texte : il constituera un signal fort adressé à nos partenaires européens et leur montrera que l'on peut mettre en place en Europe une agriculture qui, tout en conservant une place éminente sur les marchés mondiaux, contribue aux causes d'intérêt général que sont l'emploi, l'occupation de l'espace et la protection de l'environnement.

Plusieurs députés socialistes - Très bien !

Mme le Rapporteur du Conseil économique et social - Ce message arrive à un moment crucial où, malgré la création de l'euro et la volonté affichée de poursuivre l'intégration européenne, certains membres de l'Union s'interrogent sur les capacités d'une Europe en panne d'idées à orienter durablement nos économies vers la prospérité et remettent en cause le principe de solidarité.

Il faudra que cette volonté soit portée par les pouvoirs publics et leurs administrations ainsi que par l'ensemble des organisations professionnelles agricoles pour préserver une cohérence entre la politique nationale et la politique européenne.

La France a l'occasion de prouver que l'agriculture, qui a été le moteur de la construction européenne, peut et doit le demeurer, parce qu'elle est, sur notre continent, dynamique, créatrice de richesses et d'emplois, ancrée dans notre histoire et notre culture commune et par là même facteur d'identité et de cohésion de l'Europe. Ce n'est pas seulement du blé qui lève de la terre qu'on laboure, c'est une civilisation tout entière.

Si les lois de 1960 et 1962 ont constitué la base du succès pour le développement de notre agriculture, c'est surtout parce qu'au-delà des doutes du quotidien, l'ensemble des responsables politiques et des grands dirigeants agricoles se les sont appropriées et se sont engagés sans réserve à les mettre en oeuvre.

Près de 40 ans plus tard, l'histoire se renouvelle. Cette loi d'orientation connaîtra le même destin si, par vos amendements et votre engagement, vous montrez votre volonté à consolider notre agriculture, à confirmer la construction européenne, à renforcer le rayonnement de la France dans le monde et par là même, à faire entrer de plain-pied les agriculteurs français dans le troisième millénaire (Applaudissements sur tous les bancs).

M. André Lajoinie, président de la commission de la production - Ce projet a fait l'objet d'un examen approfondi et détaillé de notre commission. Dans l'esprit de concertation qui a présidé à l'élaboration du texte, elle a tenu à auditionner tous les acteurs du secteur : toutes les organisations syndicales d'exploitants et de salariés, les chambres d'agriculture, le mouvement coopératif et mutualiste, des associations de consommateurs. Ces consultations ont montré que le texte répond à une forte demande de clarification des objectifs de la politique agricole.

Cette attente est légitime. L'agriculture est aujourd'hui à la croisée des chemins. La société s'interroge sur le type de développement agricole et rural souhaitable pour les années à venir. Dans ces conditions, il est de la responsabilité des pouvoirs publics de proposer une orientation qui dessine un choix de société. Ce projet, que notre commission a approuvé, après l'avoir amendé, souhaite rompre avec les politiques précédentes.

Le monde rural a, en effet, besoin d'une loi volontariste pour modifier les tendances actuelles. Ce qui est aujourd'hui à craindre, ce n'est pas un excès d'interventionnisme mais, au contraire, un manque de volonté politique laissant libre jeu aux forces aveugles du marché.

Les mutations qu'a connues l'agriculture ont entraîné une augmentation sans précédent de la production, mais aussi des effets pervers : concentration accélérée des exploitations agricoles avec désertification rurale d'un côté et intensification excessive, génératrice de pollutions inacceptables, de l'autre.

M. Kofi Yamgnane - Tout à fait !

M. le Président de la commission - Les besoins alimentaires du pays pourraient être aussi mieux couverts dans leur diversité et leur qualité.

Nos exportations portent trop sur des productions de base et pas assez sur des produits transformés.

La question de la finalité de l'activité agricole moderne se pose avec de plus en plus d'acuité. Sans renoncer à ses capacités productives et exportatrices, l'agriculture doit être envisagée aussi au regard de critères comme l'aménagement du territoire, l'emploi, le respect de l'environnement et l'amélioration de la qualité des produits. Ce sont là des exigences de plus en plus fortes de la population. Peut-on accepter qu'une activité visant à valoriser la nature aboutisse à détériorer la qualité de l'eau, des sols, des produits et à une sous-occupation de l'espace ?

Nous ne pouvons nous résigner à une intensification de la production nuisible à l'environnement et à l'emploi, au dépeuplement des campagnes, aux inégalités excessives de revenus entre agriculteurs, à l'uniformisation des produits.

Cette perspective n'est pas fatale. Mais permettre le développement d'une production agricole ancrée dans les territoires, soucieuse de la qualité du produit, respectueuse de l'environnement, maintenant l'emploi et un réseau dense d'exploitations à taille humaine, nécessite de fonder un nouveau type d'efficacité économique, sociale et environnementale. Les dispositions visant à mieux garantir l'origine et la qualité des produits vont dans ce sens.

Sur un plan plus général, cette réorientation doit vivifier la vie rurale. Il faut donner une loi ambitieuse pour s'opposer aux forces économiques et financières à l'oeuvre dans ce secteur.

En effet, l'agriculture européenne s'est inscrite dans une course à la baisse des prix à la production, destructrice des espaces et des emplois. La fuite en avant vers toujours plus de compétitivité se fait au détriment des fonctions sociales et environnementales de l'agriculture. Elle pousse à l'élimination des petites et moyennes exploitations, à la dévitalisation des zones rurales et à une production de type industriel.

Une intervention publique forte est nécessaire pour combattre les effets dévastateurs du libéralisme. Donner à la politique agricole une nouvelle légitimité impose de corriger les tendances actuelles pour mieux répondre aux besoins de la société qu'il s'agisse de l'emploi, de l'environnement, de la qualité alimentaire ou du développement équilibré du territoire.

A nouveaux objectifs, nouveaux outils. Jusqu'à maintenant, les aides publiques se concentraient sur les exploitations les plus productivistes. La reconnaissance des différents rôles de l'agriculteur appelle une rénovation de ces dispositifs. C'est l'objet principal des contrats territoriaux d'exploitation, qui cherchent à faire converger projet individuel et objectifs collectifs en rétribuant les fonctions du métier d'agriculteur que le marché ignore.

La mise en place des CTE, à titre expérimental, dans une majorité de départements, est une initiative positive. Elle permet de tester les diverses solutions possibles. Sans pouvoir encore porter une appréciation définitive, elle démontre l'importance qu'il y aura à bien respecter l'esprit de la loi, sans laisser les groupes de pression imposer une orientation trop élitiste.

Cet élément central est complété par un renforcement des dispositifs de contrôle des structures pour éviter les concentrations et favoriser l'installation des jeunes. S'opposant à la philosophie du texte du précédent gouvernement, ce contrôle devra être beaucoup plus rigoureux car les pesanteurs économiques continuent à pousser à la concentration et à défavoriser les exploitations familiales : nous assistons à un regain de tension sur le marché foncier avec des accaparements de terre scandaleux qui ne peuvent que rendre plus difficile l'installation des jeunes.

Une autre disposition de la loi vise à juste titre à une meilleure répartition de la valeur ajoutée produite par les agriculteurs, en renforçant le rôle des organismes professionnels.

C'est dans ce cadre renouvelé que l'installation des jeunes agriculteurs pourra assurer la relève des anciens. Toutes les observations montrent que si le revenu espéré est décent, les vocations agricoles ne manquent pas. Dans le même esprit, la garantie d'une retraite digne doit être apportée par la collectivité. C'est pourquoi notre commission a adopté un amendement tendant à la revalorisation des retraites agricoles. Le rattrapage avec les autres catégories devrait être programmé dans les prochaines lois de finances.

Votre volonté, Monsieur le ministre, d'inciter à un développement durable de l'agriculture, doit préluder à une réorientation majeure de la PAC. Il est positif que la France opte pour une nouvelle orientation agricole avant les futures réformes européennes et les nouvelles négociations de l'OMC. Le "paquet Santer" soulève une forte opposition dans les campagnes françaises, mais aussi dans nombre de pays européens, une réunion des présidents des commissions parlementaires chargées des questions agricoles me l'a encore récemment confirmé. La France n'est pas isolée dans sa volonté de ne pas céder aux pressions du libéralisme. Le commissaire Fischler a justifié le projet de baisse des prix agricoles de 15 à 30 %, partiellement compensée par une augmentation des primes, par la libéralisation croissante des échanges et la nécessité de réduire la production communautaire. Si une telle perspective se confirmait, le texte que nous discutons perdrait beaucoup de son efficacité.

Selon une étude de l'INRA, le "paquet Santer" réduirait d'au moins 13 % le revenu agricole français moyen, accélérerait la concentration des exploitations, renforcerait l'injustice dans la répartition des aides et le vieillissement de la population agricole. Ainsi la réforme de la PAC risque de renforcer des tendances que le projet de loi d'orientation veut corriger.

L'activité agricole n'est pas une activité comme les autres ("C'est vrai !" sur les bancs du groupe UDF et sur les bancs du groupe DL). Aucun pays ne peut accepter la disparition d'une agriculture répondant aux besoins multiples que je viens de rappeler. Pourtant certains objectifs de la réforme de la PAC, s'inscrivant dans le cadre d'un libéralisme mondial, pourraient y conduire.

Si la rémunération de l'activité productive agricole n'est pas suffisante, la politique de contractualisation perdra de son efficacité. En effet, la production est l'acte fondateur des autres fonctions de l'agriculture, que nous souhaitons valoriser. Le découplage des aides risque de soutenir des activités marginales sans modifier les comportements productivistes et de renforcer la dualité de l'agriculture française plutôt que de la corriger.

Pour que cette loi d'orientation soit pleinement efficace, il est indispensable qu'existent au niveau européen des outils efficaces de régulation du marché. Si, comme le demande M. Fischler, l'ouverture de nos frontières est réalisée avant même les négociations de l'OMC, il sera difficile d'obtenir des prix rémunérateurs pour nos productions.

La grande majorité des pays européens n'a aujourd'hui aucun intérêt à anticiper les négociations internationales, notamment celles de l'OMC où une énorme pression américaine s'exerce déjà.

Il faut au contraire agir pour une préférence communautaire rénovée et de nouveaux moyens d'intervention, afin d'assurer des prix à la production rémunérateurs pour des exploitations à taille humaine et un rééquilibrage des aides. Une réorientation de la politique agricole européenne est aussi nécessaire en ce qui concerne la lutte contre la famine et la malnutrition : il faut veiller à associer les dons alimentaires à un soutien au développement agricole et rural du tiers monde, de telle sorte que ces aides ne perturbent pas son agriculture. L'exportation agricole ne doit pas devenir une arme alimentaire, comme le prétendait un ancien ministre américain.

Monsieur le ministre, notre commission approuve votre projet de loi et a formulé de nombreux amendements visant à l'améliorer de manière constructive. Je souhaite que le Gouvernement les prenne en compte au cours de cette première lecture.

Ces nouvelles dispositions législatives et la volonté du Gouvernement d'infléchir dans le même sens la politique agricole européenne devraient assurer un développement de l'agriculture répondant aux besoins multiples de la société et rendant l'espoir aux hommes et aux femmes engagés dans ce beau métier (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - M. Douste-Blazy et le groupe UDF ont déposé une exception d'irrecevabilité en application de l'article 91-4 du Règlement.

M. François Sauvadet - Cette loi est assurément l'occasion d'un des plus grands rendez-vous parlementaires de la fin du siècle, auquel nous voulons donner un caractère sérieux, voire solennel. Cette loi a été voulue, je le rappelle, au plus haut niveau de l'Etat -le Président de la République l'avait annoncée lors du 50ème anniversaire de la FNSEA- et Philippe Vasseur y avait beaucoup travaillé. Elle est attendue par les agriculteurs qui s'interrogent à bon droit sur les enjeux de l'avenir.

Les lois d'orientation de 1960 et 1962, dont vous avez rappelé la portée, avaient posé les bases de la PAC et fait de la France et de l'Europe une des premières puissances agricoles et agroalimentaires du monde, au point de faire jeu égal avec les Etats-Unis. Vous avez à juste titre parlé de "révolution verte", Monsieur le ministre : la production a été multipliée par sept en quarante ans, et l'objectif de l'autosuffisance a été largement dépassé. Cela s'est payé, il est vrai, par des pressions sur les prix et la réduction du nombre des exploitations -donc de la présence des hommes et des femmes en zone rurale.

Les défis auxquels nous sommes aujourd'hui confrontés, c'est d'abord de rester présents sur le marché mondial (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR). Mais c'est aussi de prendre en considération la sécurité et la qualité alimentaires, la valorisation des productions, la recherche de nouvelles pratiques culturales, le respect des ressources naturelles. Il faut aussi mieux répondre à l'attente des consommateurs qui veulent des produits sains et authentiques.

Cette loi d'orientation est d'autant plus importante qu'elle arrive en une période de profonde mutation et à la veille de négociations importantes, tant à l'échelle mondiale dans le cadre de l'OMC qu'au niveau européen avec le "paquet Santer". Nous devons faire entendre notre voix lors de ces négociations. Or c'est là qu'existe une grande différence entre vous et nous : nous pensons qu'il faut aborder ces rendez-vous de manière volontariste et offensive -ainsi que le Président de la République l'a dit vendredi à Aurillac. Avec nos partenaires européens, mais sans oublier que la France est un géant agricole : à elle seule, elle produit plus de 20 % de l'ensemble européen, un tiers des grandes cultures arables, un tiers des fruits et légumes. Elle est le second producteur de lait, le premier producteur d'oléagineux, de boeuf, de céréales. Elle exporte plus du tiers des céréales, plus de 20 % du boeuf et du lait exportés par l'Union. Son industrie alimentaire occupe 10 % du marché mondial, et elle est le premier exportateur mondial de produits transformés.

Nous aurons bientôt à discuter avec le monde entier, mais d'abord avec nos partenaires européens -en se plaçant dans la perspective de l'élargissement aux PECO et de la réforme de la PAC et des fonds structurels. Le rendez-vous ne doit pas être manqué : l'Allemagne vient de se doter d'une nouvelle équipe, les chefs d'Etat examineront à la mi-novembre "l'Agenda 2000", c'est l'occasion d'envoyer un message clair avant que s'achève la négociation sur la PAC et que s'ouvre à la mi-1999 la négociation de l'OMC.

Comment allez-vous aborder ces rendez-vous, qui s'inscriront sur le fond d'une compétition internationale très forte ? D'ici 30 ou 40 ans, il y aura 9 milliards d'hommes : nos agriculteurs doivent savoir s'ils feront partie de ceux qui répondront à cette demande d'alimentation. Si nous voulons être dans cette course, il ne faut pas oublier, à côté de la préoccupation de l'environnement, l'exigence de la production.

C'est en fonction de ce souci que l'UDF a déposé une exception d'irrecevabilité. Je la défendrai sans esprit polémique, afin que le Gouvernement précise clairement ses intentions.

Cette loi correspond-elle à ce qu'on doit attendre d'une loi d'orientation ? Fonde-t-elle un nouveau pacte entre la société française et son agriculture ? Dit-elle bien ce que nous voulons comme modèle face aux exigences de la concurrence internationale et aux impératifs territoriaux et écologiques ? Au bout de quelques mois de travail avec vous, Monsieur le ministre, nous avons le sentiment que le texte ne répond pas à toutes les ambitions que vous affichez.

M. Patrick Ollier - C'est vrai !

M. François Sauvadet - Vous l'avez construit non sur une ambition, mais sur une conception que nous ne partageons pas, du moins en ce qui concerne la place de l'agriculture française dans le monde. Vous placez d'emblée notre agriculture dans une position de repli par rapport aux Etats-Unis et vous risquez de l'engager ainsi dans une impasse. Notre agriculture ne sera présente sur le territoire que si elle est présente sur les marchés : il n'y a pas lieu d'opposer les différentes vocations de notre agriculture, ni les producteurs ou les territoires entre eux. On gagne avec une agriculture performante, diversifiée, exportatrice, respectueuse de l'environnement et soucieuse de répondre à l'attente des consommateurs. On gagne en donnant à toutes les exploitations une chance d'être présentes dans les filières. Nous devons permettre à tous d'atteindre une nouvelle forme de compétitivité fondée sur la "multifonctionnalité", avec les microfilières, l'action sur l'environnement, l'agrotourisme, les services de proximité. Cela s'appelle une logique de projet.

Avec cette loi, avons-nous saisi une occasion unique de prendre en compte ces enjeux ? Vous vous êtes opposés, tout à l'heure, aux adeptes d'un libéralisme à tout crin. Nous ne sommes pas de ceux qui veulent conquérir les marchés internationaux à n'importe quel prix. Pour nous, il s'agit d'une démarche de qualité, de sécurité alimentaire, de respect du territoire.

Alors, entendez-vous faire de la France et de l'Europe des acteurs essentiels sur les marchés internationaux ? Sinon, que deviendront les deux ou trois millions d'hectares de céréales consacrés à ces marchés ? Rappelons que l'industrie agroalimentaire, c'est 400 000 emplois, plus de 66 milliards d'excédents commerciaux en 1997. Le solde des produits transformés est de 57 milliards.

Une telle loi a pour objet de rappeler les ambitions qu'on assigne à l'agriculture. Nous affichons clairement la nôtre : renforcer sa place dans le monde.

Votre loi pêche, à nos yeux, par ses orientations mêmes, par ce qu'elle contient et aussi parce qu'elle ne contient pas. Elle divise, elle oppose les vocations, sans garantir les moyens.

Le CTE est son principal outil. J'en ai parlé à Christiane Lambert, et d'autres responsables, et comme vous, nous sommes allés sur le terrain. L'idée de contrat, je l'ai dit à François Patriat, est séduisante. Elle a bien fonctionné dans le cas de l'Etat et des régions. Mais il faut la clarifier, notamment en ce qui concerne les moyens. Soucieuse de décentralisation, d'expérimentation, l'UDF y est attentive. Mais faute d'en préciser la portée et les moyens, ce sera une coquille vide. 85 départements ont commencé à l'expérimenter, dont certains ne l'avaient pas demandé.

M. Patrick Ollier - C'est vrai !

M. François Sauvadet - Sur 800 000 exploitations françaises, la moitié sont, au sens de l'Union européenne, des entités commerciales. Les 400 000 autres doivent pouvoir faire face. Or vous prévoyez pour l'an prochain 12 000 CTE avec un budget de 300 millions.

Chacun appréciera, d'autant que ce budget provient de redéploiements du fonds de gestion des espaces ruraux, pour 100 millions des crédits d'orientation des offices, et aussi du fonds d'installation agricole. Ce fonds, vous l'annonciez comme un projet ambitieux, avant même que la charte d'installation signée par Philippe Vasseur ne commence à produire ses effets. Et voilà qu'il est amputé d'une partie de son financement.

Alors quelle sera votre politique d'installation, quelle politique de gestion moderne des droits allez-vous mener ? Il faut nous dire où en est votre réflexion sur le fonds agricole. Peut-on fonder l'avenir de l'agriculture sur 12 000 CTE -soit 25 000 à 30 000 F par exploitation ? Et les centaines de milliers de prétendants qui resteront sur la touche ?

Vous souhaitez, dites-vous, utiliser le fonds européen, pour lesquels la discussion n'est d'ailleurs pas achevée. Sur 175 milliards de subvention, l'agriculture productive reçoit 75 milliards dont 64 sur le budget européen et 11 milliards sur le budget français. Le reste va au développement rural. Si le CTE doit être financé par une modulation des aides européennes, il faudra nous dire à quel niveau cela se situera. Le Président de la République l'a rappelé à Aurillac, la renationalisation de la PAC ne pourra se faire qu'au détriment des agriculteurs. L'UDF souhaite donc que vous précisiez clairement à quel niveau vous placerez vos exigences dans les négociations européennes. Personnellement je suis convaincu que la PAC doit être maintenue dans ses principes, notamment les organisations de marché. Les remettre en cause, serait introduire des inégalités plus graves qu'aujourd'hui. Toutes les exploitations seraient concernées. Or la France bénéficie du quart des dépenses du FEOGA. 50 % vont aux cultures arables et aux zones intermédiaires, 20 % au secteur bovin, 10 % au lait. En voulant mettre fin à une compensation trop élevée pour les exploitations les plus productives, il ne faut pas fragiliser l'ensemble.

L'Union européenne envisage de ne classer dans l'objectif 5b que 9 % et non plus 18 % du territoire. Dans les zones intermédiaires notamment, le réveil risque d'être brutal. L'élargissement de l'Union et le rendez-vous de l'OMC ne doivent pas servir de prétexte pour affaiblir la PAC.

Le CTE cependant pourra être utile. A condition qu'il réponde à une logique du territoire et de l'environnement, à une logique économique qui tienne compte des marchés et des filières, et qu'il s'inscrive dans une démarche collective et non seulement individuelle. A condition aussi qu'il soit financé, et il ne l'est pas.

Il ne doit pas être l'occasion de procéder à une distribution, mais d'accompagner un projet. A votre logique du guichet, c'est cette logique du projet que nous préférons (Rires sur les bancs du groupe socialiste).

Plutôt qu'un contrat entre l'Etat et un agriculteur, n'aurait-il pas mieux valu introduire une dimension territoriale, alors que Mme Voynet, dans son projet de loi d'aménagement du territoire, parle de pays ?

D'ailleurs, sur les 400 000 prétendants potentiels, comment allez-vous sélectionner les 12 000 gagnants du CTE ? Que proposerez-vous aux autres ? Si le CTE se résumait -comme je le crains- à un instrument étatique de répartition des aides, si à travers la renationalisation de la PAC l'Etat cherchait à se défausser de certaines responsabilités, cela irait à l'encontre de l'intérêt de tous les agriculteurs. On ne gagnera pas à opposer les agriculteurs entre eux. Tous ont leur rôle à jouer. Il faut écouter aussi ces autres acteurs du territoire que sont les artisans.

Nous craignons aussi un retour de la centralisation, dans ce domaine comme dans d'autres. Ainsi, c'est sur des amendements de l'opposition que vous avez finalement associé le CDOA à l'élaboration des contrats-types qui, sinon, était confiée au préfet.

Je crains aussi que vous n'engagiez les agriculteurs dans un piège en les renvoyant à eux-mêmes faute de moyens, comme l'a fait Mme Voynet en affirmant la responsabilité de l'agriculture dans la loi sur la maîtrise des pollutions agricoles sans mettre un franc de plus au budget, pour un programme qui ne mettait même pas l'accent sur les régions sensibles. Sur ce point, Monsieur le ministre, je sais que nos positions ne sont pas si éloignées.

L'intention non suivie d'effets est source de désillusion. Alors oui au contrat, mais pas tel que vous le proposez.

Un mot aussi de l'installation, qui conditionne l'avenir. Il faut, dans la réflexion à ce sujet, associer un projet, des acteurs, un territoire. D'autre part, comment dans cette réflexion sur l'avenir, ne pas associer les propriétaires ? Rien de solide ne sortira d'une opposition manichéenne entre les acteurs du monde rural.

Vous n'avez jamais employé le terme d'entreprise agricole, ni parlé des charges. Mais les agriculteurs sont des producteurs, c'est leur vocation première, même s'ils jouent d'autres rôles.

Dans cette vision sectorielle, vous avez écarté toute perspective de grande réforme fiscale. Certes, pas plus que M. Patriat, je ne crois au grand soir fiscal. Mais comment parler d'orientation agricole sans évoquer l'instrument que constitue la fiscalité ? Vous n'examinez la question de l'installation et de la transmission qu'en termes de politique des structures renforcée, alors qu'il faudrait traiter aussi de la gestion des droits de produire et du fonds d'exploitation. Je souhaite, Monsieur le minsitre, que vous soyez attentif aux propositions que nous ferons, en particulier au sujet des GAEC familiaux -pour lesquels toute modification dans le nombre d'associés est apparenté à un agrandissement.

Certaines dispositions vont cependant dans le bon sens, en particulier l'obligation faite aux exploitants qui vont partir en retraite de faire connaître leurs intentions 18 mois auparavant. Mais gardez-vous de la tentation de la suradministration, et méfiez-vous de l'instabilité dans laquelle vous allez placer les exploitants en portant à deux ans les autorisations préalables à titre provisoire. Vous avez manqué d'audace : il aurait fallu concevoir l'installation et la gestion des droits de manière plus moderne, plus incitative. Nous déplorons aussi l'absence d'incitations fiscales pour l'investissement et l'organisation des producteurs car les agriculteurs doivent pouvoir réagir à la concentration de la distribution et des industries.

L'enseignement agricole doit rester tout entier rattaché au ministère de l'agriculture. Il a fait la preuve de son efficacité, par la pratique de l'alternance avant l'heure ; mais il faut poser le problème de son financement et de sa vocation. Vendredi dernier, près de Toulouse, des manifestants réclamaient une révision à la hausse du projet de budget et un plan pluriannuel de rattrapage. Je souhaite, Monsieur le ministre, que vous nous apportiez des précisions sur les moyens que vous entendez consacrer à la formation.

Il en va de même pour la recherche. En ce domaine, la question des OGM se pose avec acuité et la France doit, comme avec la loi sur la bioéthique, prendre l'initiative. La confiance des consommateurs suppose une réflexion tant scientifique qu'éthique ; et il ne faut pas banaliser les signes de qualité.

M. Patrick Ollier - Très bien !

M. François Sauvadet - S'agissant des microfilières, j'aimerais savoir quels outils vous entendez utiliser pour aider les PME à exporter. L'an dernier, les crédits de la SOPEXA ont été réduits de 20 %...

Enfin, nous regrettons que la forêt soit exclue de ce débat, car elle a partie liée avec l'agriculture.

Comme l'a lui-même indiqué le président de notre commission, l'agriculture n'est pas une activité comme les autres. Elle est pour beaucoup de nos provinces un rempart et une formidable chance économique. Mais les moyens font défaut ; ce texte n'apporte pas le souffle que nous aurions souhaité. Voté à Paris, il se cherchera un prolongement à Bruxelles. Il aurait fallu imaginer des mécanismes nouveaux -assurance récolte, assurance revenu- organiser une plus grande solidarité. A cet égard, je veux saluer l'effort engagé par le précédent gouvernement en direction des retraités (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). Les agriculteurs savent bien ce qu'ils doivent à Philippe Vasseur.

Il aurait fallu, aussi, se donner les moyens d'intervenir plus efficacement aux côtés des agriculteurs pour protéger notre environnement. Tous ces grands chantiers restent ouverts. Nous aspirons à une vraie dynamique rurale et agricole, fondée sur des projets ; or nous craignons que ce texte ne conduise, sous couvert de lutte contre les inégalités, à un repli. C'est pourquoi je vous demande de bien vouloir voter l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Jean Gaubert - Singulière argumentation que celle de M. Sauvadet : il nous a expliqué ses doutes quant aux objectifs et aux moyens de ce projet ; mais je n'ai pas entendu en quoi celui-ci contreviendrait à des dispositions constitutionnelles...

MM. Germain Gengenwin et François Sauvadet - Vous n'avez pas bien écouté.

M. Jean Gaubert - Je me placerai donc au même niveau que lui. Il nous explique tout l'intérêt que la France doit porter à son agriculture ; le problème est, avant d'aller négocier, de savoir ce que nous voulons qu'elle devienne. Nous avons une agriculture forte, trop éclatée, apportant aux exploitants des revenus trop inégaux, avec une contribution de l'Etat variable selon les régions. On nous dit que nous voulons fonctionnariser l'agriculteur ; mais alors, certains céréaliers ne sont-ils pas des hauts fonctionnaires ? Nous voulons avoir une agriculture productive, et non productiviste, riche en hommes, qui tienne sa place au niveau international : produire propre, assurer le dialogue avec les consommateurs, mieux contrôler l'évolution des structures, aménager le territoire, exporter des produits élaborés qui créent l'emploi.

Nous voulons ce débat parce que le monde a changé et que les paysans sont dans l'attente. C'est pourquoi nous repousserons cette exception d'irrecevabilité qui s'apparente à un détournement de procédure (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Germain Gengenwin - François Sauvadet a montré la véritable dimension de ce débat, en posant les bonnes questions, auxquelles ce projet ne répond pas. Quelle orientation voulons-nous donner à notre agriculture ? Quelle gestion de l'espace rural envisageons-nous ? Ce texte manque d'audace et d'ambition, et c'est pourquoi cette exception d'irrecevabilité est particulièrement justifi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Patrick Ollier - Dans l'intervention de M. Sauvadet, nous avons en effet entendu toutes les raisons pour lesquelles ce texte ne correspond pas à la lettre de la Constitution, ou en tout cas à son esprit.

Monsieur le ministre, si vos intentions étaient bonnes, le texte auquel vous êtes parvenu est malheureusement inadapté. Le Président de la République vous avait pourtant donné une occasion unique d'adapter l'agriculture française aux évolutions futures. Or, tant sur le plan des capacités de production que de la présence sur les marchés et des financements, votre texte va se heurter dès les mois qui viennent à l'évolution de la politique agricole commune et à la mondialisation des échanges.

Ce projet de loi, qui ne répond pas aux aspirations des agriculteurs français, est également contraire, selon nous, aux dispositions de l'article 38 de la Constitution et surtout de son article 88. Pour toutes ces raisons, le groupe du RPR votera l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Félix Leyzour - Pour le groupe communiste, ce texte est tout à fait recevable sur le plan constitutionnel et son contenu est également acceptable. En réalité, la droite souhaite que les tendances lourdes à l'oeuvre dans l'agriculture continuent de jouer demain. Or une large majorité pense aujourd'hui qu'il convient de refonder le pacte entre la société et les agriculteurs sur de nouveaux objectifs. Les lois d'orientation agricole des années 60, qui incitaient à produire davantage et à agrandir les exploitations, ont provoqué des départs si massifs qu'en 1997, notre pays ne comptait plus que 680 000 exploitations. Cette évolution s'est accompagnée d'une augmentation de la production et de la productivité agricoles mais aussi, on ne peut l'ignorer, d'une aggravation des inégalités, d'atteintes à l'environnement et d'interrogations sur la qualité sanitaire des produits. Notre agriculture a besoin d'un nouveau cap. C'est ce que propose cette loi d'orientation avec l'objectif d'une agriculture durable. Cette loi servira aussi demain, contrairement à ce que vous avez affirmé, Monsieur Sauvadet, de point d'appui à la France pour défendre une réorientation de la PAC. C'est pourquoi le groupe communiste rejettera l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Philippe Vasseur - Pour toutes les raisons excellemment exposées par M. Sauvadet, qui m'ont convaincu, je voterai, avec le groupe DL, l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. le Ministre - Les ministres se suivent et peuvent n'être pas convaincus par les mêmes arguments... Je reviendrai au cours du débat sur les questions de fond évoquées par les rapporteurs et par M. Sauvadet. Mais j'apporte d'emblée une précision sur le dispositif des CTE. Nous pensions au départ l'expérimenter dans une dizaine de départements seulement. Or nous avons reçu 55 demandes spontanées.

Plusieurs députés RPR - De qui ?

M. le Ministre - Les organisations professionnelles, que j'ai consultées, ont dans leur ensemble exprimé le souhait que l'on prenne en compte toutes les demandes, signe d'ailleurs que les intéressés se sont d'ores et déjà appropriés le dispositif.

Monsieur Sauvadet, le nombre de fois où vous vous êtes référé à mes propositions ou à mes propos montre bien qu'il ne vous était pas facile d'argumenter votre exception d'irrecevabilité ! Dans les prétendues divergences de fond que vous avez cru relever entre nous, je n'ai bien souvent vu que de fausses divergences.

Vous avez notamment prétendu que j'opposais terroirs et exportations. Or, bien au contraire, je l'ai dit, il n'existe pas de territoires condamnés mais seulement des territoires mal valorisés. Vous souhaitez fonder l'avenir agricole de la France sur les marchés mondiaux, la qualité des produits, leur état sanitaire et leur image de marque. C'est précisément ce que je défends depuis de longs mois !

Mais il ne faut pas, pour conquérir des parts de marché hors d'Europe, mettre à bas la PAC qui garantit des prix communautaires plus élevés que les prix mondiaux. Faudrait-il, au nom de la compétitivité, abaisser le prix de la viande bovine garantis par l'Union au niveau des prix américains, inférieurs de 40 % ou des prix argentins, inférieurs de moitié ? Faudrait-il agir de même sur le prix garanti du beurre ou de la poudre de lait ? Si tel est votre projet, il existe déjà : c'est le projet Santer ! (Protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF) Est-ce ce que vous proposez à nos paysans ? Pour ma part, je refuse cette perspective. Il faut au contraire maintenir un niveau de prix assez rémunérateur sur le marché européen qui absorbe la plus grande partie de nos productions. C'est grâce à des produits de haute valeur ajoutée que nous gagnerons des marchés dans les pays tiers et la bataille ici ne se résume pas à proposer les prix les plus bas. Nous y reviendrons.

A l'inverse de M. Vasseur, je n'ai pas été convaincu par les arguments de M. Sauvadet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 55.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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