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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 2ème jour de séance, 4ème séance

3ème SÉANCE DU LUNDI 5 OCTOBRE 1998

PRÉSIDENCE DE M. Arthur PAECHT

vice-président

          SOMMAIRE :

LOI D'ORIENTATION AGRICOLE (suite) 1

    MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 14

    ARTICLE PREMIER 20

La séance est ouverte à vingt et une heures.


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LOI D'ORIENTATION AGRICOLE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi d'orientation agricole.

M. Patrick Ollier - Je centrerai mon intervention sur deux sujets qui m'intéressent particulièrement : la qualité, la montagne.

S'agissant de la qualité, la rédaction de l'article 39 m'inquiète, en particulier le fait que l'indication géographique protégée -IGP- soit intégrée dans un dispositif purement français, alors qu'en 1993, avec la loi du 22 décembre dont j'étais le rapporteur, nous avions au contraire cherché à harmoniser nos certifications avec les textes communautaires qui réservent un certain vocabulaire à des produits faisant l'objet d'un contrôle par tierce partie. Nous avions ainsi lié l'AOP à l'AOC, et l'IGP aux labels et certifications. Le dispositif était verrouillé et ne permettait ni détournement de procédure ni délocalisation. Je crains, Monsieur le ministre, qu'en mettant ce signe protecteur sur le même plan que les autres signes de qualité français, vous n'ouvriez au contraire la voie à des dérives regrettables, certains opérateurs s'abritant derrière une indication de provenance pour produire hors cahier des charges. Une mention géographique ne suffit pas à garantir la qualité d'un produit. Seul un label ou une certification offrent à cet égard toutes garanties. Il faut donc laisser l'IGP comme simple complément d'un signe de qualité. J'espère, Monsieur le ministre, que vous accepterez nos amendements en ce sens.

Autre sujet d'inquiétude : l'article 6 qui limite sensiblement le champ des activités considérées comme agricoles, du moins par rapport à la précédente loi qui disait : les activités prolongeant l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation agricole sont réputées agricoles. L'expression "caractère accessoire" nous inquiète particulièrement car cette rédaction risque de compromettre la pluriactivité si nécessaire aux zones sensibles. Dans un département comme les Hautes-Alpes, par exemple, il est important que les agriculteurs puissent avoir une activité touristique sans pour autant perdre leur statut d'exploitant agricole.

D'une manière générale, ce texte ne reconnaît pas assez la spécificité montagnarde. Dans une loi d'orientation, Monsieur le ministre, vous auriez pourtant pu reprendre certains des principes posés par la loi de 1985, alors votée à l'unanimité. J'espère donc que vous accepterez les amendements tendant à préserver le rôle spécifique de l'agriculture de montagne. Je souhaite en particulier que l'accès des exploitations agricoles de montagne aux CTE soit garanti, en évitant évidemment de mélanger ces derniers aux indemnités compensatrices de handicap. Je souhaite aussi une redéfinition du régime de qualité pour les produits "montagne".

Du point de vue géographique et climatique, la montagne n'est pas un territoire comme les autres et ne doit pas être traitée comme les autres. Cela doit être dit dans la loi et il faut ensuite prendre des mesures pour que les agriculteurs de montagne puissent continuer à produire. Car un village de montagne où il n'y a plus d'agriculteurs est un village mort, Monsieur le ministre. J'espère donc que vous me ferez les réponses souhaitées (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Jean-Claude Lemoine - Un projet de loi d'orientation agricole est un acte majeur permettant de définir un nouveau contrat entre les agriculteurs et la société, préparer l'entrée de l'agriculture dans le XXIème siècle et assurer la présence forte de nos produits agroalimentaires sur les marchés.

Une telle loi est extrêmement importante à la veille de la réforme de la politique agricole commune et du prochain cycle de négociations de l'Organisation mondiale du commerce ; elle est extrêmement importante si l'on veut que la France demeure le premier pays agricole et agroalimentaire de l'Union européenne. Malheureusement, je crains que la période retenue pour présenter un texte d'une telle importance soit mal choisie.

En effet, les négociations sur la nouvelle politique agricole commune vont débuter dans quelques semaines. Compte tenu de cette échéance, cette loi intervient ou trop tôt, ou trop tard. Le Gouvernement sera certainement obligé de soumettre dans quelques mois au Parlement un projet d'ajustement aux dispositions prises dans le cadre de la nouvelle PAC.

De plus, le présent projet ne s'inscrit pas dans une vision globale et dynamique de l'agriculture, car trop axé sur la notion de territoire et pas assez sur celle de production, au risque d'aboutir à la coexistence de deux agricultures : l'une qui produit et l'autre qui se limite à entretenir l'espace. Le CTE risque de contribuer à une telle dérive.

Par ailleurs, je regrette l'absence dans ce texte de mesures qui permettent à la France de conserver sa place prépondérante au sein de l'Union européenne. Il n'y a en effet rien sur l'organisation économique de la production et des filières. Je regrette aussi l'absence de mesures susceptibles de maintenir des agriculteurs en nombre suffisant et de leur garantir un niveau de vie décent. Rien sur la transmission des entreprises, pas de mesures fiscales incitatives, pas de définition de l'exploitant agricole, aucun échéancier relatif au rattrapage des autres régimes d'assurance vieillesse.

En revanche, certaines mesures constituent une avancée intéressante, par exemple le statut du "conjoint-collaborateur". Il aurait fallu faire preuve de davantage d'audace en s'orientant vers un statut de coexploitant doté d'un régime de calcul des points de retraite attractif pour les exploitants dont les revenus sont inférieurs au plafond de la Sécurité sociale.

Le CTE est un concept séduisant de prime abord. Il s'agit d'un contrat conclu entre l'Etat et un agriculteur autour d'un ensemble d'engagements. Ceux-ci peuvent porter sur les conditions de production et de gestion de l'exploitation comme sur la préservation des ressources naturelles et l'occupation de l'espace.

Une telle démarche peut constituer une réponse à une possible évolution de la PAC dans la perspective de l'élargissement à l'Est et comme un moyen d'anticiper les prochaines négociations dans le cadre de l'OMC. Mais il ne faut pas que les CTE soient utilisés pour justifier la politique des revenus préconisée par le paquet Santer.

Il est également essentiel, que la reconnaissance de la multifonctionnalité des entreprises agricoles s'inscrive dans le respect, pour l'ensemble des acteurs du monde rural, du principe "mêmes droits, mêmes devoirs". Les artisans et commerçants se sont émus du risque de dérive que contient le CTE. Il faut leur répondre clairement. Le RPR défendra plusieurs amendements en ce sens.

Il est surtout impératif que le CTE ne remette pas en cause l'activité de base que constitue pour tout agriculteur la production. Il doit être cohérent avec les orientations des projets agricoles départementaux -la commission de la production l'a reconnu. Il doit ensuite rester une démarche volontaire et non la condition d'accès aux aides publiques. Pourtant, le caractère volontaire du CTE pourra poser problème notamment pour ceux qui auraient pour objectif la préservation de la qualité de l'eau et qui devront être appliqués à l'ensemble des exploitations situées sur le même bassin versant.

Enfin, si le projet de loi ne prévoit aucune disposition concernant le financement du CTE, s'en tenir à un simple redéploiement de crédits apparaît bien réducteur par rapport à l'ambition affichée et poserait le problème de la pérennité des politiques déjà engagées.

M. le Président - Je vous demande de conclure.

M. Jean-Claude Lemoine - Il ne faut pas que coexistent deux agricultures dont l'une produirait et l'autre fournirait des services collectifs. Il convient de promouvoir une agriculture compétitive, donc performante aussi bien en ce qui concerne la qualité des produits que du point de vue de l'emploi, de la valorisation du territoire et du respect de l'environnement.

Votre projet est incomplet sur nombre de ces points. Nous essaierons de l'amender et nous espérons surtout obtenir de votre part, Monsieur le ministre, tous les éclaircissements nécessaires (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Alain Marleix - Le CTE est la pièce maîtresse de votre projet. C'est, selon votre formule, "l'outil de la nouvelle politique agricole". Nous en prenons acte.

Au moment où l'agriculture est confrontée aux défis de la PAC et de l'OMC, ce CTE inquiète beaucoup de professionnels même dans les zones comme la montagne où agriculture et environnement sont proches. Son contenu est flou, mais il semble promouvoir une "bureaucratisation" et une "fonctionnarisation" supplémentaire. Il inquiète aussi car son financement risque de se faire au détriment d'autres actions fondamentales et parce qu'il peut préluder à une renationalisation de la PAC.

Votre texte est-il une occasion manquée ? L'entreprise agricole reste régie par des textes très antérieurs aux grandes mutations des années 1980. Au lieu de considérer l'agriculture et l'agroalimentaire, avec une approche passéiste et purement environnementale, il faut les doter de moyens juridiques modernes, dans les systèmes de transmission, dans la fiscalité et les prélèvements sociaux.

A l'évidence, les adaptations attendues ne sont pas au rendez-vous. Vous souhaitez comme nous tous favoriser l'installation des jeunes. C'est là une ambition louable, mais les jeunes ne sont pas attirés par une profession où tout est administré, où le système bride tout esprit d'initiative et gèle les inégalités liées aux quotas.

Nous voulons une agriculture moins fonctionnarisée et au contraire audacieuse et exportatrice, jouant un rôle économique majeur sans excès de libéralisme et sans excès de dirigisme.

S'agissant de l'installation des jeunes, rien ou presque n'est fait pour freiner la course aux hectares qui alimente la spéculation dans les zones comme la montagne où la surface agricole utile est très faible.

L'agriculture de montagne -qui concerne 25 % du territoire national- est d'ailleurs la grande absente de votre projet. Elle est pourtant presque seule à assurer, par l'élevage extensif, la fonction "environnementale" que le CTE assigne désormais à tous les secteurs de l'agriculture. Le CTE risque donc de faire disparaître la spécificité de l'agriculture de montagne, initiée par le Président Pompidou (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). Il faudra que les difficultés inhérentes à la montagne demeurent prises en compte à travers les ICHN, revalorisées de façon substantielle et sans discrimination entre les producteurs de lait et les producteurs de viande (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

Une des logiques du projet est de concentrer les aides là où il y a le plus d'agriculteurs. Le danger est donc manifeste pour la montagne. La fusion du FGER, qui était réservé aux victimes d'un handicap naturel dans les CTE mis à la disposition de tous, l'illustre.

Elu d'un département de montagne au projet départemental ambitieux et qui se flatte d'avoir depuis plusieurs années un des meilleurs taux d'installation des jeunes de France, je suis, à l'image de beaucoup d'agriculteurs de la montagne, dubitatif et inquiet.

Il ne faut pas "désespérer la montagne". Vous avez dit tout récemment en Auvergne votre attachement à la montagne. Nous en avons pris acte. Nous espérons que vous accepterez, lors de la discussion des amendements essentiels et non coûteux que vous propose l'association nationale des élus de la montagne, toutes tendances confondues (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Michel Vergnier - L'élaboration d'une nouvelle loi d'orientation agricole est l'un des engagements de Lionel Jospin... C'est donc un acte essentiel de notre politique.

En effet, l'agriculture est une activité fondamentale. Elle doit suivre les évolutions de notre société et pour ce faire le présent projet, sans sacrifier les valeurs et les principes auxquels nous sommes attachés, lui donne de nouveaux objectifs.

Pour mettre ce texte au point, le Gouvernement a pris le temps de la réflexion et de la concertation. Depuis un an, il consulte les partenaires concernés. Je tiens à vous remercier, Monsieur le ministre, d'avoir aussi associé étroitement les parlementaires à l'élaboration du projet. Je vous remercie également d'être venu en mars dernier en Creuse, où l'agriculture occupe 23 % de la population active.

Les agriculteurs de ce département ne peuvent que bénéficier d'un projet qui concilie production, qualité, emploi, aménagement du territoire et environnement. Reconnaître la multifonctionnalité de l'agriculture et aider les agriculteurs à accomplir leurs trois fonctions économique, sociale et environnementale : voilà une vision particulièrement moderne et humaniste.

Il est indispensable de réduire les inégalités profondes qui règnent au sein du monde agricole, entre les territoires, entre les différents secteurs d'activités agricoles, ou les inégalités de revenu entre les agriculteurs. Ne lit-on pas dans l'exposé des motifs que "le revenu moyen annuel d'un agriculteur de la Creuse est près de vingt fois inférieur à celui d'un agriculteur de l'Aube" ?

La revalorisation des retraites agricoles était également indispensable.

De même, on ne peut que se réjouir d'un texte qui met la qualité de la production au nombre de ces objectifs. Les agriculteurs apprécieront que les aides publiques récompensent leurs efforts en ce domaine. La qualité est également une aspiration des consommateurs et un garant de l'ancrage de la production au territoire et de notre position à l'exportation. La dégradation de celle de certains produits, la diminution de la population agricole, la désertification, l'accroissement des déséquilibres régionaux sont autant d'évolutions dues à une agriculture trop intensive prônant la course à la concentration et à l'agrandissement des exploitations.

C'est pourquoi il est impératif de réguler la production agricole, afin qu'elle gagne en qualité et en "propreté". Le troisième objectif est de maintenir l'emploi dans les exploitations -et défendre l'activité agricole, c'est aussi défendre toutes les autres activités. Favoriser l'installation des jeunes agriculteurs et rendre toute leur place à l'initiative et au goût d'entreprendre sont indispensables à la défense de l'emploi.

Pour atteindre ces objectifs d'intérêt collectif, le texte préconise une démarche contractuelle, avec la création du contrat territorial d'exploitation, qui met en place un nouveau mode de soutien à l'agriculture, première étape vers le découplage entre les aides et la production.

Je me félicite particulièrement du volet formation professionnelle et enseignement, et des filières de la recherche et du développement, dont l'adaptation permettra de préparer l'avenir, en privilégiant la qualité.

Pour conclure, je voudrais souligner l'attente de la profession, en particulier chez les éleveurs allaitants. Cette loi d'orientation était nécessaire, car des négociations difficiles nous attendent. Je souhaite que, le plus longtemps possible, la France parle d'une seule voix, car l'avenir d'un grand nombre de départements est en jeu, et cela mérite mieux que des querelles d'opportunité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Serge Poignant - "Orienter, c'est prévoir, c'est anticiper afin de préparer notre pays à relever les défis qui s'annoncent pour les vingt prochaines années" avait écrit en 1996 le ministre de l'agriculture d'alors. La loi d'orientation reprend quelques mesures prévues par Philippe Vasseur et je m'en félicite. Mais on y a ajouté des éléments que je ne puis approuver, et oublié d'autres essentiels.

Cette loi aurait dû fixer les grands objectifs d'une agriculture ouverte sur l'Europe et le monde, tout en affirmant son identité. Mais vous dessinez un nouveau modèle agricole, basé sur les contrats territoriaux d'exploitation. Le Président de la République a déclaré vendredi "qu'il ne faut pas transformer les paysans en jardiniers de la nature, appointés par l'Etat, ou en cantonniers du XXIème siècle".

M. Kofi Yamgnane - M. Ollier la contredit.

M. Patrick Ollier - Mais non !

M. Serge Poignant - Si certains points de ces contrats peuvent être positifs, il ne faudrait pas faire des contrats "fourre-tout", au détriment d'autres professions, telles que les artisans et commerçants. Je soutiendrai des amendements visant à conserver un juste équilibre entre les partenaires économiques du monde rural.

L'économie agricole doit être pérennisée. Or sa pérennité et sa diversité ne seront garanties que par un renouvellement des générations. Or l'aide à l'installation des jeunes ne figure pas dans la loi, non plus que l'aide à l'investissement ou l'aide à l'organisation des producteurs.

Il serait fondamental d'engager rapidement une réforme de la fiscalité agricole : la loi aurait dû en fixer le cadre, en vue surtout de faciliter l'investissement et la transmission. Les amendements acceptés en commission sont une avancée, mais il faut aller plus loin et plus vite.

Par ailleurs, la France est l'une des toutes premières puissances agricoles et agroalimentaires. Notre pays a un potentiel énorme, qu'il faut maintenir. Il est également capable de prendre de nouveaux marchés à l'exportation, mais votre projet ne fait pas état de sa vocation exportatrice. Où est donc passé l'esprit de conquête ? Ce n'est pas en se repliant sur elle-même que l'agriculture française vivra. Un appui clair à l'exportation est indispensable. Le député, que je suis, d'une circonscription viticole qui n'a pas la chance de produire du Bourgogne, est bien placé pour le savoir. Il existe certes des conseils à l'exportation à tous les niveaux, mais la dispersion des moyens complique beaucoup les choses. Il faudrait clarifier cela pour faciliter l'accès de tous à de nouveaux marchés. J'espère que vous accepterez les amendements de notre groupe à ce sujet.

D'autre part, les organisations professionnelles redoutent que les efforts de qualité soient remis en cause par la reconnaissance de l'IGP comme signe de qualité. Ma circonscription est aussi maraîchère -qui ne connaît la mâche nantaise ? Or les maraîchers ont engagé des investissements et des procédures de certification pour faire reconnaître la qualité de leurs produits. Reconnaître l'IGP comme signe de qualité, c'est remettre en cause tous ces efforts. Je proposerai par amendement de supprimer l'IGP comme signe de qualité.

Enfin, il est vraiment nécessaire de revaloriser les retraites agricoles, les plus petites étant au-dessous des minima sociaux. La revalorisation annoncée pour 1999 est bien mince, et si l'amendement accepté en commission représente une avancée, il conviendrait d'annoncer un calendrier pour l'avenir.

Une loi d'orientation agricole devrait constituer un acte politique fort. Mais cette loi manque d'ambition. Les lois de 1960 et 1962 avaient su ouvrir des perspectives, tracer des lignes directrices, qui ont permis une formidable modernisation. Il manque à la loi que voici un élan comparable. Et comment peut-on dire que les CTE placeront la France en position de force dans les discussions européennes à venir ? Je crains plutôt le contraire (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Yvon Abiven - Notre agriculture est à un tournant, le modèle de développement des années soixante est épuisé. S'il a permis de formidables progrès de productivité, ses effets déstructurants sont aujourd'hui patents : surproduction, concentration des exploitations, dégradation de la qualité de l'eau ; ils imposent la recherche d'un nouveau modèle pour l'agriculture française.

Cela est d'autant plus indispensable que risque de se dessiner un divorce entre l'agriculture et la société, entre l'agriculteur et le consommateur, entre l'agriculteur et le contribuable. Les organisations agricoles en sont conscientes, et le projet de loi d'orientation répond à leur volonté de prévenir ce divorce, comme il répond aux attentes des consommateurs, aux interrogations de nos concitoyens sur l'environnement, aux inquiétudes des contribuables.

Dans le Finistère, où l'activité agricole utilise 63 % du territoire, une mutation incomparable s'est accomplie en une génération. Le nombre d'exploitations est tombé de trente-huit mille à moins de treize mille, et cela continue au rythme de 4 % par an. Dans le même temps, la production et les exportations agricoles ne cessent d'augmenter. Cette course à la concentration doit être encadrée, car ce sont aujourd'hui vingt mille actifs qu'emploie l'agriculture finistérienne, et 40 000 emplois qui dépendent de ce secteur. Nous devons préserver ce potentiel d'emploi et de richesses humaines : c'est ce que vous faites en renforçant le contrôle des structures et en plaçant la pérennité des exploitations et l'installation des jeunes au coeur de la loi d'orientation.

Sur le plan économique, le Finistère est aujourd'hui l'un des départements les plus performants, avec une production de 11,6 milliards de francs, sans compter 4 milliards de valeur ajoutée produits par l'activité agroalimentaire. C'est dire quels risques font courir à l'emploi les crises que nous venons de connaître pour les légumes et le porc. La diversification des productions déjà engagée permet de limiter les risques, mais il reste un effort à fournir pour la valorisation du produit et sa transformation. L'accent mis par le projet sur l'objectif de qualité va donc dans le bon sens. Par ailleurs, il faut redéfinir les règles du jeu entre l'agriculture, la transformation et la distribution, en vue d'un rééquilibrage au profit de l'agriculteur.

S'agissant de l'environnement et de la qualité de vie, les attentes de nos concitoyens doivent être prises en compte si l'on ne veut pas que notre société de plus en plus urbaine ne se désolidarise du monde rural. Des actions sont d'ores et déjà entamées, suite à la directive européenne et à votre circulaire ; le plan Bretagne eau pure traduit une démarche volontaire, et une évolution des pratiques est possible à condition d'y impliquer directement les acteurs. Ces premières expériences de contractualisation seront élargies dans le cadre du CTE.

Quelques mots encore de la crise légumière, qui illustre l'épuisement du modèle productiviste et la nécessité de nouvelles orientations -car six mois après le blocage du pont de Morlaix, la crise est toujours très vive.

On ne peut plus se contenter d'un rapport de forces pour l'obtention des aides : les règles de leur répartition doivent être désormais la transparence et l'équité. On ne peut plus indemniser uniformément en fonction de la production, à la tête de chou-fleur, et offrir ainsi une motivation à la surproduction.

Il est nécessaire de repenser un modèle agricole qui échappe à la tentation de la libéralisation. La loi d'orientation met en place les moyens d'y réussir. Elle sera la contribution majeure de notre pays à la redéfinition des politiques agricoles européenne et mondiale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. André Angot - Ce projet veut orienter l'agriculture vers l'aménagement de l'espace plutôt que vers la production alimentaire. C'est déplorable alors que les populations de nombreux pays vivent dans la pénurie. Mieux vaudrait des primes à l'exportation vers des pays que des primes pour diminuer la production.

M. Joseph Parrenin - Il n'a rien compris.

M. André Angot - Ce projet va augmenter l'emprise de l'administration sur l'activité agricole. On fera plus d'agriculture dans les préfectures que dans les campagnes ! ("Très bien !" sur les bancs du groupe du RPR)

Les candidats à l'installation risquent d'être obligés de passer plus de temps pour leurs démarches administratives que pour parfaire leur formation.

Je voudrais insister sur la situation des autres acteurs du monde rural. Dans notre mission très restrictive, il semblerait que l'agriculture vive en vase clos. Le monde rural ne se résume pas au monde agricole. Votre projet ignore superbement cette symbiose entre l'agriculture, le commerce, l'artisanat, les professions libérales et les services.

Plusieurs dispositions du projet encouragent la pluriactivité. C'est un complément nécessaire parfois. Elle a favorisé le développement touristique, tant mieux. Mais on peut s'inquiéter quand on voit l'encouragement que vous lui donnez dans le bâtiment, les travaux publics, les services, la transformation et la commercialisation des produits. Il y aura distorsion de concurrence au détriment d'autres professionnels, car les agriculteurs pluriactifs auront des charges et des contraintes bien moindres dans le cadre du CTE.

L'artisanat, dans les communes de moins de 5 000 habitants, rassemble plus de 300 000 entreprises employant plus de 500 000 salariés. On compte 70 000 conjoints, et au total les emplois approchent des 900 000. S'y ajoutent les centaines de milliers de commerçants et les PME. Toutes ces activités contribuent de manière essentielle à la cohésion économique et sociale du milieu rural. Elles participent au maintien de la population des communes rurales et sont un apport essentiel pour leurs recettes fiscales.

L'économie rurale suppose donc une vision globale. Votre projet risque de casser les efforts de redynamisation entrepris depuis quelques années.

Monsieur le ministre, dans le département dont vous êtes l'élu, la moitié des cantons ruraux bénéficient, pour le contrat de plan en cours, d'opérations programmées d'amélioration et de rénovation du commerce et de l'artisanat financées par des crédits de l'Europe, de l'Etat, de la région et du département. Votre projet risque d'être en incohérence totale avec ces actions.

Les agriculteurs ne pourront vivre dans un désert, dans des communes sans services. Votre projet risque d'y contribuer. Nous avons déposé des amendements pour l'améliorer. J'espère que vous reconnaîtrez leur pertinence (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. André Vauchez - Depuis des décennies, la vie de nos campagnes a été fondamentalement modifiée. Le nombre d'agriculteurs a décru, les paysages ont été transformés, voire dénaturés, la pollution due en partie à l'utilisation massive d'intrants...

M. Christian Jacob - Il y a une baisse de 30 % sur dix ans !

M. André Vauchez - ...devient inquiétante, les consommateurs doutent de la qualité des produits. La recherche de la productivité maximale et la distribution des aides communautaires en fonction du volume produit ont conduit à ces résultats. Mais nous sommes au bout du chemin, d'autant que les aides européennes semblent avoir atteint leurs limites.

Beaucoup de ruraux comme de citadins partagent ce sentiment. Prenons l'exemple du Jura. Au sud, les agriculteurs ont déserté la petite montagne. Dans certains villages, il n'en reste qu'un ou deux. Friches et broussailles enserrent les maisons. Au nord en plaine riche, la culture céréalière a été intensifiée. Les arbres et les haies n'ont pas résisté au remembrement, les nappes phréatiques sont polluées. Mais là aussi les agriculteurs sont moins nombreux, par concentration.

Le CTE, passé entre le paysan et le représentant de l'Etat dans le département, prend en compte l'économie -personne ne remet cet aspect en cause- mais aussi l'environnement, et nous oriente de nouveau vers une agriculture riche en hommes et présente sur tout le territoire, de la riche plaine aux zones de piémont et à la montagne.

J'évoquerai quelques points plus précis. Vous parlez de réconcilier l'agriculture et la société. Aussi sur le statut environnement ne faudrait-il pas prendre en compte les propositions des élus et des associations intéressées ?

Quant à la maîtrise de la politique des structures, bien conduite elle freinera la concentration et facilitera l'installation de jeunes.

Un aspect important est la définition de l'unité de référence. Si on tient compte de la dimension économique par actif de sorte que le complément d'aide soit plus important pour celui qui a moins et moins important pour celui qui a plus, la loi aura atteint son objectif. D'où l'intérêt du registre agricole qui permettra de connaître le nombre d'actifs par exploitation.

On ouvrira ainsi des perspectives pour une agriculture de l'an 2000 avec des paysans plus nombreux, des produits à valeur ajoutée élevée, y compris pour l'agriculture biologique, et dans un environnement géré de façon humaine sur tout le territoire. Votre projet, tourné vers cet avenir, est une vraie loi d'orientation (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Plusieurs députés RPR - Faut pas rêver !

M. Charles de Courson - Peut-il y avoir une loi d'orientation agricole sans un volet sur les charges fiscales et sociales ? Non, bien sûr. Sur ce plan, les exploitants agricoles souffrent de trois handicaps. D'abord, les exploitants individuels paient l'impôt sur le revenu et des cotisations sociales sur une assiette non représentative de revenus réellement disponibles. Ensuite, il n'existe pas d'incitation à investir dans les outils de transformation et de commercialisation de la production agricole. Enfin, les modalités de transmission découragent l'installation des jeunes, et même détruisent des entreprises. Beaucoup de ceux que la commission a auditionnés ont souligné cette insuffisance. le rapporteur l'a reconnue. Or ni dans le projet de budget pour 1999 ni dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, il n'y a de disposition pour résoudre ces problèmes. Vous n'avez rien obtenu. Certes vous pourrez dire que vos prédécesseurs ne faisaient pas mieux, que c'est la faute de Bercy. Mais vous respectez la solidarité gouvernementale. Alors, l'opposition s'étant mise d'accord (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste), je vais vous dire ce qu'il faudrait pour que votre loi soit bonne. Nous déposerons trois amendements sur ces points.

Sur le premier, il faut achever l'éclatement du revenu agricole en revenu de capital foncier, revenu du capital non foncier et revenu de travail de l'agriculteur.

M. Philippe Vasseur - Très bien !

M. Charles de Courson - La loi sur la modernisation agricole de 1989 a sorti le revenu foncier du revenu imposable. Mais cette phase ne s'achèvera qu'avec la réforme du foncier non bâti. On peut espérer que la révision des bases sera faite entre 2000 et 2004. C'est là le plus facile. Le plus important avait été, dans une seconde étape, de sortir de l'assiette imposable le revenu du capital non foncier. Sur ce point, l'UDF -et l'opposition- propose de recourir à la réserve spéciale d'autofinancement : chaque exploitant individuel pourrait déduire de son revenu une somme consacrée à l'investissement et qui viendrait conforter les capitaux propres de l'entreprise.

Cette somme serait taxée au taux des plus-values à long terme, soit 19,6 %. Les exploitants agricoles bénéficieraient ainsi du même régime que les PME qui ne sont imposées qu'à 19,6 % sur les 200 000 premiers francs de leurs bénéfices. En cas de retrait de ces sommes immobilisées en réserve, les exploitants supporteraient la taxation de droit commun. Ainsi serait rétablie la parité entre les entreprises agricoles sous forme de société et les entreprises individuelles. Pourquoi la majorité précédente n'a-t-elle pas pris ces mesures, m'objecterez-vous. Tout était prêt dans le texte qui a précédé le vôtre, Monsieur le ministre,...

M. Kofi Yamgnane - Mais que s'est-il passé qui a empêché de le mettre en oeuvre ?

M. Charles de Courson - Le ministre de l'agriculture précédent était un farouche partisan de ces mesures et nous étions convenus de nous battre pour les faire adopter.

La troisième réforme consiste à renforcer les investissements des agriculteurs vers l'aval de façon qu'ils exercent un contrôle sur la transformation et la commercialisation de leurs productions.

A défaut, la loi économétrique selon laquelle plus un produit est sophistiqué, plus la part de valeur revenant à l'exploitant agricole est faible se vérifiera et l'agro-industrie imposera des prix de plus en plus bas aux agriculteurs. Je prendrai deux exemples dans mon département. Si le tiers de la valeur de la bouteille de champagne va toujours aux producteurs de raisin, c'est qu'il existe une organisation interprofessionnelle et des outils permettant de peser sur la transformation du produit. Il en va de même pour la filière de la betterave. Le groupe de l'UDF et plus largement l'opposition proposent donc de rendre éligibles à la dotation pour investissements l'achat de parts sociales des coopératives agricoles comme d'actions de société assurant la transformation ou la commercialisation de matières premières agricoles.

La quatrième réforme fondamentale concerne la transmission des entreprises. Il est inacceptable qu'au moment de la transmission, l'exploitant supporte à la fois une taxation des plus-values de cession et des droits de succession. C'est pourquoi nous proposons d'exonérer 75 % des plus-values dans la limite de trois millions de francs si la cession s'effectue au profit d'un membre de la famille et à la condition que celui-ci ne cède pas l'exploitation avant dix ans, et de ne les taxer qu'à 50 % lorsque l'acquéreur est un jeune agriculteur.

L'opposition espère être entendue sur ces quatre points. Il y va de la crédibilité même de votre loi (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Marcel Rogemont - Y aura-t-il encore des agriculteurs demain ? Veut-on abandonner la production à des sociétés intégrées occupant seulement les zones les plus productives ou souhaite-t-on que les agriculteurs demeurent nombreux sur tout le territoire ? Tels sont bien les enjeux. L'accroissement considérable de la productivité agricole dans les quarante dernières années a donné aux agriculteurs des revenus décents mais a, dans le même temps, provoqué une hémorragie dans le monde rural. La perte de 40 000 exploitations par an est inéluctable si rien n'est fait. Pour que l'agriculture continue de fournir des emplois, il faut poursuivre et amplifier la politique d'installation des jeunes. Chacun en convient. Il faut aussi prendre en compte la situation de ces agriculteurs ni vieux, ni jeunes, ni riches, qui vivent difficilement sur leur exploitation. Le partage des quotas de production à leur profit, un supplément de terre, leur permettraient de vivre plus décemment.

Il n'est pas acceptable qu'ils continuent de vivre dans un quasi-dénuement quand d'autres touchent plusieurs millions de francs d'aides par an. Leur assurer un revenu décent permettrait aussi de maintenir des unités de production viables, donc transmissibles.

L'augmentation du nombre d'actifs agricoles doit-elle imposer un agrandissement des surfaces dans tous les cas ? Il existe d'autres façons de gérer les structures pour placer l'emploi au centre des préoccupations. Le contrôle des structures doit aussi permettre de contrôler et d'infléchir l'agrandissement des exploitations pour conserver le plus grand nombre possible d'actifs. Vous devrez être particulièrement attentif à ces deux parts, Monsieur le ministre.

J'en viens aux CTE. Leur intérêt est de donner corps à des mesures contractuelles qui, d'ores et déjà, se développent pour concilier activité agricole, habitat et environnement. Leurs financeurs vont se multiplier avec l'entrée notamment des collectivités locales qu'il conviendrait donc d'associer plus étroitement au fonctionnement des CDOA. Sur les 55 000 hectares de l'agglomération de Rennes, 33 000 sont occupés par des surfaces agricoles utiles. Cela suffit à donner la mesure de l'importance d'une agriculture périurbaine mais aussi du dialogue à instaurer, précisément au sein des CDOA, afin de concilier activité agricole et habitat.

Mon dernier point aura trait à la solidarité qui doit s'exercer envers les retraités agricoles dont les revenus sont aujourd'hui très faibles. Des mesures ont été prises dès cette année puisque 600 000 retraités verront leur retraite progresser de façon significative. D'autres vont l'être en 1999.

Plusieurs députés RPR - Progresser de combien ? De trois francs six sous ?

M. Marcel Rogemont - L'emploi, le contrat, la solidarité, qui sont au coeur de nos préoccupations, sont aussi au coeur de cette loi d'orientation agricole (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Bernard Schreiner - Plus de 80 départements mettent déjà en place une préfiguration des CTE. Nous voilà mis devant le fait accompli, au risque que nos analyses en soient faussées. En effet, le flou des directives transmises dans les départements dits candidats -bien souvent, les organisations professionnelles n'ont rien demandé- entraîne des schémas multiples et désordonnés. Mais notre pouvoir se limiterait-il à officialiser les initiatives expérimentales du Gouvernement ?

Les CTE doivent, dites-vous, être au coeur des négociations agricoles des futurs contrats de plan Etat-régions. Là encore, c'est anticiper les décisions parlementaires puisque les calendriers risquent d'être incompatibles.

Les domaines qui seront éligibles aux CTE sont très divers. Beaucoup relèvent d'ailleurs d'analyses du ministère de l'environnement plutôt que de celui de l'agriculture. Preuve, encore une fois, de la dérive environnementale de la politique agricole de l'actuel Gouvernement, qui risque malheureusement de servir les adversaires de l'actuelle PAC.

Il ne faudrait pas que cette loi d'orientation les encourage dans leur volonté d'affaiblir le rôle économique et commercial que la France peut logiquement revendiquer dans l'Europe verte de demain.

Il ne faudrait pas non plus que l'application de la loi, au travers des CTE, renforce le caractère administré de l'agriculture française, alors que les discours européens et internationaux préconisent une démarche libérale qui remet en cause les aides à nos productions agricoles.

Il ne faudrait pas, enfin, que les exigences environnementales ou sociales posées compromettent la compétitivité de nos produits, handicapés par les distorsions de concurrence vis-à-vis de certains pays du sud de l'Union européenne ou de pays tiers.

Les lois de décentralisation ont transféré aux collectivités territoriales des compétences importantes en matière d'aménagement du territoire, de formation et de politique économique. Si ces sujets sont soumis à contractualisation entre l'autorité administrative et l'agriculteur, ne remet-on pas en cause ce transfert ?

Les agriculteurs seront-ils les premiers à en faire les frais ? Quelles sont les véritables intentions du Gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Ernest Moutoussamy - L'agriculture guadeloupéenne, qui vous est familière, Monsieur le ministre, de par vos anciennes fonctions de ministre de l'outre-mer, ne connaît pas le succès de nos sportifs dans nos équipes nationales. Mise à mal par les aléas climatiques et les crispations sociales, victime d'une organisation insuffisamment rationnelle et de la concurrence internationale, pénalisée par l'étroitesse du marché la pénurie de foncier, l'érosion et l'épuisement des sols, l'agriculture guadeloupéenne est de plus en plus délaissée, car elle n'est pas assez rentable.

Si le jardin de la Guadeloupe se trouve dans les containers d'importation, c'est aussi à cause des charges sociales trop lourdes, d'un endettement excessif et de l'absence de stratégie globale. C'est pourquoi la loi d'orientation agricole est attendue. Certes, on ne relancera pas notre agriculture par des décrets. Inciter les professionnels à s'investir dans le travail du sol, cela passe toutefois par une politique adaptée à nos réalités.

Porteur de renouveau, ce projet doit privilégier la production. Dans son application aux DOM, évitons les erreurs commises dans le passé : les textes précédents ont eu pour effets des mutations certes nécessaires, mais qui, non maîtrisées, ont déstabilisé l'économie locale.

Notre insularité et les caractéristiques de notre agriculture appellent une approche spécifique, qu'il s'agisse de la sauvegarde du foncier agricole, des CTE, de la politique de la qualité ou du statut des exploitants. S'il ne faut pas cultiver le particularisme à l'excès, chacun a conscience qu'une intégration exagérément poussée serait mortelle.

L'organisation collective, qui a besoin d'être confortée, doit s'articuler de manière cohérente avec les CTE.

Etablissant la responsabilité civile individuelle vis-à-vis des politiques publiques, le CTE doit prendre en compte le travail de l'agriculteur dans toutes ses dimensions et, coûte que coûte, s'inscrire dans un projet de développement économique.

La logique de la réforme implique une mise en cohérence de toutes les aides, des programmes sectoriels et du prochain contrat de plan.

Ce débat me donne l'occasion de vous rappeler, Monsieur le ministre, que notre agriculture ne peut pas être compétitive si ses spécificités, qui résultent de ses handicaps, ne sont pas prises en considération.

Les prochaines échéances sont chargées de menaces, qu'il s'agisse des négociations de l'OMC ou de la réforme de la fiscalité du rhum. La course à la mondialisation préoccupe les agriculteurs.

Une baisse des aides à la production rendrait problématique le maintien de l'agriculture guadeloupéenne.

Enfin, Monsieur le ministre, compte tenu des dégâts causés par le cyclone Georges, je me permets d'insister pour que l'indemnisation soit effectuée par une procédure accélérée. Une attente trop longue serait mortelle (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Michel Bouvard - Les enjeux de ce texte ayant déjà été analysés, je m'en tiendrai à ses effets prévisibles sur l'agriculture de montagne, dont a aussi parlé mon collègue Ollier. Pour cette agriculture, votre projet constitue à la fois une crainte et un espoir.

Malgré ses insuffisances sur le statut des personnes ou l'organisation économique des producteurs, il représente un espoir car il défend pour modèle une agriculture de qualité, non intensive, respectueuse de l'environnement et assise sur des filières, ce qui est justement le cas dans les zones de montagne. En effet, la montagne est reconnue en tant que telle par la loi, ce qui a constitué un grand progrès par rapport à la position européenne. Votre texte tend à apporter une solution au lancinant problème de l'appellation "montagne", qui nous a valu un recours de la Commission.

Mais votre texte inspire aussi des craintes : pas plus que les autres, les paysans des zones de montagne n'entendent devenir des jardiniers de l'espace rural... Leur fonction première est de produire. A cet égard, votre texte reste trop flou sur le contenu du CTE, les moyens alloués et leur origine.

L'agriculture de montagne a fait avant d'autres le choix de la qualité, des volumes de production limités et des filières protégées, pour compenser, par la valeur ajoutée, la faiblesse des quantités produites. C'est en Savoie qu'ont été reconnues les premières AOC non viticoles et je rends hommage aux agriculteurs savoyards pour leurs efforts.

Mais leur niveau de vie, même s'il a progressé, n'incite pas les jeunes à s'installer. Ils savent que leur revenu se situera tout juste dans la moyenne nationale, pour des investissements et un travail plus important.

Cette agriculture reste fragile, parce que la politique des quotas et le poids des offices restent déterminants. En outre, les handicaps sont multiples. Le handicap de pente implique des besoins de mécanisation spécifiques, avec des engins fabriqués en série limitée et par là même coûteux, pour la collecte du fourrage par exemple, qui est exigée pour satisfaire aux normes AOC. Le handicap de l'altitude se fait sentir sur le coût des bâtiments d'élevage, dont la construction est de 30 % plus chère qu'en plaine. Le handicap de la dissémination des exploitations renchérit encore les produits, parce qu'elle rend plus difficile la collecte du lait et plus lourde la prise en charge des techniciens agricoles.

Reconnus, ces handicaps justifient l'indemnité spéciale montagne ou l'indemnité compensatrice de handicap naturel. Nous tenons à ce que ces aides spécifiques restent clairement identifiables. Je le dis clairement, puisque plusieurs réunions avec votre cabinet n'ont pas suffi à dissiper tous les doutes : il ne saurait être question d'accepter que ces indemnités se fondent dans un CTE englobant l'ensemble du territoire. J'ajoute que leur revalorisation est nécessaire et que rien ne justifie leur mise sous condition de ressources, si nous voulons éviter que des paysages se ferment, que des sites se dégradent, avec les risques d'avalanche que cela comporterait.

En outre, les crédits d'installation sont nécessaires pour la réalisation des bâtiments d'élevage et la mécanisation. La fusion des lignes -et j'ai regretté cette décision du précédent gouvernement- a causé des retards importants. Ne pouvant attendre, les jeunes se passent des aides de l'Etat ou se les voient refuser parce qu'ils ont dû engager les travaux avant l'hiver, alors que les subventions ne sont notifiées qu'aux premières neiges.

Le CTE peut être un succès, s'il confirme la fonction de production de l'agriculture de montagne. Oui, celle-ci assure aussi une fonction de gestion et d'entretien de l'espace rural, mais elle le fait de manière ancestrale. Nos agriculteurs n'ont pas attendu l'arrivée d'un ministre ou l'avènement des Verts en politique pour cela. Cette fonction est une résultante et ne peut devenir une dominante.

Les CTE ne doivent pas être réservés aux adhérents du réseau Natura 2000, comme on l'entend dire parfois. Ils peuvent constituer un succès s'ils ne remettent pas en cause la maîtrise par les agriculteurs de leurs filières de production et les préservent de la grande distribution. Qu'il s'agisse des AOC ou des IGP, autoriser la transformation hors des zones de production constituerait une remise en cause du principe de développement durable. Les agriculteurs passeraient sous la coupe des grands groupes, dont ils ne seraient plus que des sous-traitants.

Nos régions ont investi dans des marques collectives qui doivent subsister.

Enfin, la pluriactivité de l'agriculture de montagne, au sens du rapport rédigé par mon collègue Hervé Gaymard, nécessite que soient mises en oeuvre certaines dispositions, par la publication de décrets d'application en attente (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

La discussion générale est close.

M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche - De nombreuses questions m'ont été posées. Elles ne resteront pas sans écho, même si la diversité des thèmes abordés m'empêche de leur apporter à toutes, ce soir, une réponse intégrale.

Le projet ignore-t-il la fonction de production de notre agriculture ? Ceux qui m'ont écouté savent qu'il n'en est rien. Mais faut-il une loi, en 1998, pour dire aux agriculteurs qu'ils doivent produire ?

Nous sommes tous d'accord sur le fait que l'agriculture produit et produira. Arrêtons donc les faux débats ! Car nous savons tous combien la production agricole s'est accrue en 40 ans, mais dans le même temps 4 millions d'agriculteurs ont dû quitter le métier. Mon projet de loi s'intéresse donc d'abord aux producteurs. Je veux qu'ils puissent s'inscrire dans la durée et voir leur activité équitablement rétribuée. Je veux préserver l'existence d'une politique agricole publique : or si elle se contente d'encourager la croissance des volumes de production, elle sera un jour ou l'autre remise en cause.

Beaucoup d'orateurs ont insisté sur les relations entre agriculture et environnement. De fait, nous le savons bien, on ne peut pas développer la production sans préserver le sol, le sous-sol et les ressources naturelles. La "gestion en bon père de famille" s'applique aussi au domaine agricole. Il y va de l'harmonie de l'ensemble du territoire et de l'avenir de l'agriculture -car comment l'activité agricole pourrait-elle durer si elle gâchait son support naturel, la terre ? L'enjeu est aussi économique car la qualité des produits intègre celle des modes de production. Il faut donc considérer l'environnement comme une dimension de la compétitivité et non comme un obstacle. Faisons en sorte que les agriculteurs retrouvent leur qualité d'agronomes et d'éleveurs. Leur métier ne peut qu'en sortir grandi. Au reste, je considère comme égaux en dignité les jardiniers, les agriculteurs, les cantonniers, les fonctionnaires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Beaucoup d'intervenants se sont interrogés sur la cohérence de la PAC et de la présente loi d'orientation. Il y a dans mon esprit un lien étroit entre les deux et je pense qu'il serait absurde d'adopter une loi qui irait dans une direction complètement opposée à ce qui se dessine à Bruxelles. Rassurez-vous donc, je suis moi aussi préoccupé de cohérence et c'est bien parce que j'entends peser sur les débats à Bruxelles qu'il était nécessaire et urgent de présenter une loi d'orientation.

Certains m'ont interrogé sur Agenda 2000. J'en dirai donc quelques mots. La politique agricole nationale et commune vise plusieurs objectifs : préserver le revenu des agriculteurs, réguler les marchés, défendre le modèle agricole européen. On ne peut pas tous les atteindre au moyen d'un seul outil qui serait, par exemple, les aides directes au revenu. Sur ce point, j'ai une divergence fondamentale avec la Commission, dont le projet me paraît plus inspiré par le souci de s'ouvrir des marges de manoeuvre pour les prochaines négociations de l'OMC que d'instaurer un équilibre durable des marchés agricoles. En effet, si les prix garantis baissaient, la Commission pourrait ensuite plus facilement accepter une nouvelle réduction de la préférence communautaire et, par exemple, une baisse du budget accordé aux restitutions à l'exportation. Les épisodes récents de cet été -je pense en particulier à la négociation d'un accord de libre-échange avec le Mercosur- montrent qu'il n'est pas possible de donner un chèque en blanc à la Commission en ces domaines.

M. Christian Jacob - Pour l'affaire du Mercosur, heureusement que le Président de la République est intervenu.

M. le Ministre - Allons, Monsieur Jacob, vous devriez savoir que tout ce qui se dit au niveau communautaire au nom de la France est le fruit d'une rencontre entre le Président, le Premier ministre et le ministre concerné, car sur des questions stratégiques, la France doit parler d'une seule voix. Le Président s'est donc exprimé fortement, le Premier ministre et moi-même aussi, chacun à sa place.

Je disais donc qu'il faut limiter autant que faire se peut la marge laissée à la Commission dans les prochaines négociations relatives à l'Organisation mondiale du commerce. Je demanderai donc à mes collègues européens de faire preuve en la matière de beaucoup de pragmatisme. Je ne dis pas qu'il ne faut rien faire avant la conclusion des négociations de l'OMC, je dis simplement que les ajustements éventuels de la PAC doivent se limiter à ce qui est strictement nécessaire à l'équilibre des marchés, tout en engageant celle-ci dans la voie d'un découplage progressif entre aides à l'agriculture et production. S'agissant des grandes cultures, l'ajustement consistera à abaisser le prix d'intervention des céréales -ce qui devrait favoriser l'équilibre à long terme des marchés- sans pour autant conduire à une remise en cause de la protection communautaire. La production d'oléagineux doit de son côté continuer à bénéficier de protections spécifiques, le maintien du statu quo étant préférable à ce que propose la Commission. Les protéagineux doivent eux aussi bénéficier d'un soutien spécifique et les cultures à usage non alimentaire être encouragées par un régime d'aide particulier.

S'agissant de la viande bovine, je considère que la baisse des prix garantis n'est pas la solution. L'organisation commune de marché doit adapter ses prix à ceux de la viande blanche mais aussi aller vers une maîtrise de la production. La baisse du prix d'intervention doit être intégralement compensée pour tous les types de production, qu'il s'agisse des vaches allaitantes ou des bovins mâles.

S'agissant de la production laitière, je m'opposerai comme je l'ai déjà fait à tout ce qui s'apparenterait à un abandon des quotas.

Les négociations doivent être l'occasion de réorienter la PAC de façon à distribuer autrement une partie des aides et à passer d'une logique de filière à une logique plus horizontale permettant un développement équilibré des exploitations sur le territoire. C'est pourquoi j'ai soutenu l'idée de modulation des aides, étant entendu que celle-ci ne peut se faire que dans un cadre communautaire.

La Commission a avancé l'idée d'un plafonnement. Je ne la récuse pas, mais je refuse que les économies ainsi réalisées profitent au budget communautaire au lieu de revenir aux agriculteurs des Etats membres. L'autre idée avancée est de moduler les aides directes versées aux exploitants afin de financer certaines actions conduites par les exploitations agricoles tendant, par exemple, à développer l'emploi. On peut y réfléchir.

Certains m'accusent de vouloir renationaliser. Je m'inscris en faux mais permettez-moi de citer ceci : "Nous sommes pour que le principe de subsidiarité joue à plein dans la mise en oeuvre de la PAC ou de la politique qui lui succédera car nous pensons que les Etats membres de la Communauté européenne peuvent mieux gérer les soutiens à leur agriculture que la Commission européenne. Mais lorsque nous avons proposé une renationalisation partielle de cette gestion, beaucoup nous ont traités d'antieuropéens, de sectaires, de corporatistes rétrogrades, de conservateurs, voire de poujadistes. Alors, s'il faut dire subsidiarité à la place de renationalisation, soit, je suis d'accord puisque le résultat est le même". Ces lignes sont de Christian Jacob dans la Clé des champs, avril 1994 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

M. Christian Jacob - Je ne renie rien mais le paragraphe suivant remet en cause la PAC et les organisations communes de marché.

M. le Président - Je vous prie d'écouter le ministre.

M. Christian Jacob - Je dénonce cette lecture partielle.

M. le Ministre - En ce qui concerne le contrôle des structures, il est à l'évidence nécessaire à l'installation des jeunes. La logique économique conduit spontanément à une concertation accélérée des exploitations et seule une volonté politique peut corriger cette machine infernale. Toutes les organisations syndicales demandent d'ailleurs une intervention du législateur en ce sens.

Au demeurant ce que je propose en matière de contrôle des structures n'est pas un verrouillage mais une modernisation du dispositif en vue de favoriser systématiquement l'installation des jeunes agriculteurs sur des exploitations viables. Il faut à cet effet limiter les agrandissements abusifs d'unités existantes.

La portée du contrôle des structures qui n'est pas une invention de la gauche, a été en pratique limitée par des détournements, notamment par le biais de montages sociétaires et par la faiblesse des sanctions. Nous proposons donc le principe de l'égalité de traitement entre ces exploitations individuelles et sociétaires.

La question des exportations agricoles est un faux débat. Personne bien entendu ne s'oppose au fait que nous exportions, la question est de savoir dans quelles conditions.

Savez-vous que pour exporter hors de l'Union européenne une tonne de céréales en 1992 il en coûtait 583 F de restitution pour un prix de vente de 724 F ? La situation s'est ensuite améliorée ramenant le montant des restitutions par tonne à 138 F.

Quant à la viande bovine, pour un prix moyen à l'exportation vers les pays tiers de 8 000 F, le montant des restitutions a varié entre 1992 et 1997 de 6 000 F à 10 000 F !

Voilà des chiffres qui devraient corriger quelques appréciations sur la priorité à accorder à l'exportation.

MM. Lenoir et Lemoine ont relevé l'absence du mot "entreprise" dans le texte. Je ne le conteste pas car je crois que l'exploitation agricole n'est pas une entreprise comme les autres.

La moitié du revenu disponible des exploitations agricoles provient de fonds publics. La fiscalité agricole est donc spécifique. Je veux prévenir la banalisation de ce secteur, mais j'admets que les statuts des exploitations agricoles peuvent être améliorés.

M. Ollier a parlé de qualité, de plurifonctionnalité et de montagne. Je voudrais lui donner l'assurance que les indemnités compensatoires de handicaps naturels ne sont pas comprises dans le financement des CTE.

La situation difficile de nos DOM, et particulièrement des producteurs de bananes frappés par le récent cyclone qui a traversé la Guadeloupe, a été évoquée par plusieurs intervenants, En liaison avec Jean-Jacques Queyranne et les services de la Commission européenne, j'ai envoyé une mission d'évaluation des dégâts dont j'attends les conclusions afin de faire jouer la solidarité.

Plus largement, je m'efforce d'obtenir de la Commission que les modalités d'application du nouveau règlement européen ne prive pas nos opérateurs et en particulier les groupements de tous leurs droits.

De nombreux orateurs ont évoqué la question du CTE et de la concurrence avec les artisans et les commerçants. Les représentants de l'UPA et des chambres des métiers, que j'ai reçus m'ont donné acte que je les avais rassurés sur ce point.

M. Christian Jacob - Ce n'est pas ce qu'ils disent.

M. le Ministre - Je vous sais vigilant et suis ouvert à vos propositions d'amélioration du texte.

S'agissant du FGER je rappelle que je l'ai trouvé réduit à zéro à mon arrivée au Gouvernement et que j'ai eu à le rétablir.

M. Christian Jacob - C'est faux : il était doté de 140 millions.

M. Didier Quentin - C'est un décret d'avance qui l'a ramené à zéro.

M. le Ministre - Je crois, enfin, que les propositions d'amendement de la commission sur les organisations économiques répondent largement aux problèmes des coopératives.

M. Jacob a évoqué la baisse de budget. Je ne conteste ce qu'il a avancé, mais je regrette que les présentations générales des budgets de l'Etat conduisent pour l'agriculture à ajouter des carottes et des navets.

Il faut en effet distinguer les crédits consacrés à l'agriculture et à la pêche, d'un montant de 28 milliards, en augmentation de 3 % et le BAPSA, lequel progresse de 1,1 % à 89 milliards. C'est la progression de la TVA et des compensations entre régimes qui permet une baisse de la subvention d'équilibre de l'Etat, dont je me réjouis.

M. Christian Jacob - Vous admettez bien que votre budget baisse de 8 % ?

M. le Ministre - Pas du tout. Ajouter au budget de l'agriculture la subvention d'équilibre au BAPSA n'a aucun sens ni économique, ni social.

M. de Courson m'a fait part de propositions en matière de fiscalité. Nous avançons à propos de cette question sur laquelle la consultation avec les professionnels n'est pas achevée.

Plusieurs orateurs sont intervenus sur la question des retraites. M. Vasseur a minoré la portée de la revalorisation des plus petites retraites agricoles que j'ai décidée pour 1998 et 1999 et qui concerne plus de 600 000 personnes, soit un tiers des retraites.

M. Germinal Peiro dont je salue le travail obstiné au sein du groupe d'études des retraites agricoles a rappelé ces mesures.

Elles garantissent que les retraités concernés ne percevront en aucun cas une pension inférieure à des seuils significativement relevés -l'augmentation est de 3 000 F pour les exploitants, de 3 850 F pour les veuves, de 7 350 F pour les conjoints, de 10 950 F pour les aides. Ces mesures représentent un coût de 2,6 milliards en année pleine, soit six fois plus que les mesures "Vasseur" (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste ; protestations sur les bancs du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Philippe Vasseur - Il faut comparer avec les mesures prises de 1993 à 1997 !

Vous donneriez à ce débat davantage de crédibilité, en faisant des comparaisons valables au lieu de polémiquer. Vous venez déjà de vous faire infliger un démenti cinglant sur votre budget par M. Jacob.

M. le Ministre - Pas du tout !

M. Philippe Vasseur - Ne vous livrez pas à des effets de tribune que vous risquez de regretter quand, demain, des observateurs impartiaux étudieront les chiffres. Conservez cette modération qui faisait votre charme (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. le Ministre - J'ai répondu à une comparaison faite ce matin avec les mesures Vasseur. Vous élargissez la comparaison en évaluant l'ensemble des mesures prises par l'ancienne majorité, je ne la crains pas ; nous y reviendrons dans le détail.

Est-ce une loi d'orientation ? Je crois que si elle ne portait pas en germe des changements, on ne chercherait pas à la combattre.

Ce projet prend acte du fait que les grandes lois de 1960 et 1962 ont changé notre agriculture. C'est bien parce que l'agriculture a changé qu'il faut adapter notre dispositif législatif et réglementaire. Il a été conçu pour répondre aux préoccupations qui étaient celles de la société française au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il faut aujourd'hui l'orienter à la lumière des attentes d'une société qui entre dans un autre siècle.

Nous voulons une politique agricole plus équitable dans la distribution des fonds publics, plus soucieuse de la gestion de l'ensemble de notre territoire et de ses ressources, plus moderne dans des rapports contractuels et équitables avec les agriculteurs.

Cette modernisation, nous voulons l'opérer par une approche contractuelle, et cela, c'est bien une orientation. D'ailleurs, les organisations syndicales, l'opinion publique, le Conseil économique et social, le Conseil d'Etat m'en ont donné acte.

Le travail en commission a permis un dialogue fructueux que vous avez été nombreux à saluer, et qui s'est prolongé aujourd'hui. Je suis sûr que le reste de la semaine permettra encore d'enrichir cette loi d'orientation dont le pays a besoin (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe RPR une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du Règlement.

M. François Guillaume - La présentation que vous avez faite de votre projet, Monsieur le ministre, a confirmé nos premières impressions. Sur la forme, c'est un projet bâclé : de nombreuses dispositions sont nébuleuses, et c'est bien pourquoi je demande le renvoi en commission. Sur le fond, votre projet témoigne de deux intentions : l'une politicienne -il s'agit de donner des gages à la composante verte de votre majorité ; l'autre dogmatique -profiter des circonstances pour imposer une politique égalitaire des revenus en agriculture.

Il est clair que vous êtes pour une agriculture malthusienne. L'article premier qui définit les missions de l'agriculture et se substitue à l'énoncé de 1980, donne une place disproportionnée aux fonctions d'entretien de la nature et des paysages, qui sont depuis des siècles assurées gratuitement par les paysans. Ce malthusianisme est d'ailleurs pour la gauche une seconde nature : tout en flattant nos paysans et en vantant leurs performances, vous nous proposez de poursuivre une stratégie de repli amorcée en 1984 avec l'introduction des quotas laitiers, qui a réduit de moitié le nombre des producteurs laitiers et fait baisser la production de 10 %. La part de l'Europe sur le marché mondial est tombée de 60 % à 20 % pour le beurre et le lait en poudre. Les prix mondiaux ne se sont pas redressés pour autant, cet effort de maîtrise étant largement compensé par le développement de la production en Nouvelle-Zélande et aux Etats-Unis.

En 1992, c'est un autre de vos collègues qui acceptait le gel des terres obligatoire et les primes compensatoires à la baisse des prix agricoles avec une définition précise des superficies éligibles. Puis il y eut les quotas de primes bovines et ovines afin de limiter l'extension des cheptels. Bref, nous sommes passés d'une agriculture d'entreprise à une agriculture administrée qui appelle toujours plus de contraintes.

Certes, l'encombrement des marchés mondiaux et la guerre commerciale que se livraient les Etats-Unis et l'Europe à coups de subventions pour exporter sur les marchés saturés des années 1980 exigeaient une meilleure maîtrise des productions et l'ouverture de négociations internationales. En 1986, le gouvernement Chirac a obtenu de Bruxelles le système des quantités maximales garanties pour les céréales et les oléagineux, tout dépassement de production de ces quantités fixées globalement étant pénalisé d'une baisse des prix proportionnelle. Comme la productivité française pour les productions végétales est la meilleure d'Europe, on pouvait espérer que nos concurrents européens nous abandonneraient une part de production. Ce système a d'ailleurs bien fonctionné jusqu'à ce que la réforme de 1992 y mette un terme. 1986 fut l'année d'une autre échéance délicate, l'ouverture des négociations multilatérales de l'Uruguay Round.

A ce sujet, il faut corriger ce que vous avez dit ce matin : ce n'est pas en 1986 qu'a été décidée l'introduction de l'agriculture dans la négociation multilatérale, mais lors d'une réunion ministérielle de 1982, confirmée en 1985.

M. le Ministre - Vous savez bien que c'est faux ! Vous êtes allé à cette réunion en 1986 avec M. Noir.

M. François Guillaume - Pour la première fois, l'agriculture était au centre des débats entre l'Europe et les Etats-Unis, soutenus par le reste du monde -y compris par les PED, qui se sont trompés d'alliés. Malgré tout, la première étape de cette négociation s'est conclue par une victoire de l'Europe agricole qui, sous l'impulsion de la France, a obtenu le maintien du système de prélèvement variable, un démantèlement équilibré des aides directes et indirectes à l'agriculture, aussi bien américaines qu'européennes, un correctif monétaire pour pallier les évolutions erratiques du dollar.

Tous ces acquis ont malheureusement été perdus quelques années après, ainsi que l'atteste une déclaration de Jacques Delors en 1992 : "Désormais, l'Europe agricole produira moins, exportera moins, importera plus". La France accepta la réforme de la politique agricole commune qui, à l'avance, indiquait aux Etats-Unis les concessions qu'elle était disposée à faire.

Résultat, suite à l'accord de Marrakech, les Etats-Unis ont pris notre place en Asie et au Moyen-Orient. Et cette stratégie de conquête ne s'arrêtera pas là, elle vise le long terme, et regarde notamment du côté de la Chine, qui compte vingt fois plus d'habitants que la France pour une surface agricole utile tout juste double. A terme, elle pourrait importer 350 millions de tonnes de céréales.

Croyez bien, en tout cas, que les Etats-Unis sauront user de toutes les ficelles pour promouvoir leur atout agricole, en jouant sur le cours du dollar, par des aides diverses aux agriculteurs -certes peu conformes aux règles du GATT mais conformes au droit du plus fort. Leur détermination sera sans faille.

Raison de plus pour ne pas commettre la même erreur stratégique qu'en 1992. Mais c'est justement ce que vous allez faire : au lieu de commencer par l'OMC avant d'en venir à la PAC et à la loi française, vous faites l'inverse, comme un joueur de poker qui montrerait son jeu à l'adversaire. Je sais bien que vous n'êtes pas seul en cause. Si mon reproche s'adresse à vous personnellement, c'est que la France joue un rôle déterminant dans la définition et la gestion de la PAC et que notre ministre de l'agriculture doit se donner les moyens de tenir toute sa place au conseil des ministres européens.

Ce projet était aussi une occasion unique de toiletter les textes pour les adapter aux changements techniques et commerciaux. Mais seul son titre est ambitieux. Son contenu est décevant. L'absence de vision d'avenir est affligeante. Il semble que vous cherchiez surtout à régler des comptes avec une agriculture riche, et à opposer les paysans entre eux. Mais c'est peine perdue. Au justicier extérieur, les paysans préfèrent les arbitrages internes. Ainsi sans nier leur diversité, ils ont eux-mêmes obtenu -voire arraché- une législation française, des règlements européens, des accords internationaux qui, tenant compte de cette diversité, concrétisent une vraie solidarité.

Le système des montants compensatoires nous chagrine. Parlons-en. Il est antiéconomique. L'agriculteur tire son revenu des subventions publiques. La pérennité des aides n'est pas assurée, l'opinion les critique. Forfaitaires, elles pénalisent les bons et favorisent les médiocres. En réalité, ce sont des subventions à la consommation.

Les primes compensent des prix insuffisants. Pour les oléagineux, elles représentent près de la moitié de la recette à l'hectare, pour les céréales le quart. A ce niveau, elles couvrent une part des coûts de production. Il est donc fallacieux et démagogique de dénoncer leur caractère proportionnel. Même si l'on servait le même revenu à tous les agriculteurs, le montant des primes resterait différent pour tenir compte de la partie des charges que ne peut couvrir la recette du produit. De plus, la prime est indexée sur la production moyenne régionale, non sur la production individuelle. L'agriculteur n'est donc pas incité à rechercher à tout prix les hauts rendements. Mais si vous souhaitez limiter la taille des exploitations pour favoriser l'installation des jeunes, plafonnez donc -vous aurez mon assentiment- le montant des primes pour une exploitation à un niveau convenable déterminé avec les organisations agricoles. Ce sera un meilleur moyen de contrôler les structures que celui que vous préconisez et qui incite à la fraude. Ce ne serait pas une innovation. Il y a 30 ans, à l'initiative du syndicalisme agricole, un article de loi limitait la taille des ateliers hors-sol au niveau où les économies d'échelles disparaissent. On n'interdisait pas le dépassement, mais au-delà on était considéré comme un industriel. Malheureusement, cette disposition a dû être abandonnée lors de l'extension du marché commun aux productions animales.

On attendait un texte mobilisateur qui prenne en compte l'accroissement de la demande internationale et donne à nos producteurs les moyens de rivaliser sans complexe avec leurs concurrents extérieurs. Une telle déclaration d'intention aurait eu aussi le mérite de provoquer nos partenaires européens trop facilement résignés à subir la loi des Etats-Unis.

Vous nous renvoyez à notre pré carré. La loi est d'essence malthusienne. Elle prend acte avant la lettre des intentions de réforme de la PAC qui visent à réduire le potentiel de production quitte à subventionner les pertes de recettes. En contrepartie, elle offre une participation rémunérée à la préservation des ressources naturelles et à l'entretien des paysages. Une nouvelle définition des missions de l'agriculture qui met sur un pied d'égalité ses fonctions économique, environnementale et sociale se substitue à celle qui prévalait et mettait l'accent sur la production agricole et agroalimentaire. Pour compléter leurs revenus, les agriculteurs sont conviés à effectuer des travaux de protection de l'environnement... en concurrence fâcheuse avec des activités existantes. En contrepartie d'aides pour l'instant indéterminées, le nouveau CTE préciserait les engagements de production agricole, de services collectifs et de travaux d'entretien de la nature que prendrait l'agriculteur. Des contrats-types seraient élaborés par département. Bien entendu n'y souscriraient que les volontaires. Mais comme une partie des subventions actuelles à la production ne seraient délivrées que dans le cadre du CTE, on peut supposer que les 700 000 entreprises agricoles françaises ne tarderont pas à pratiquer ce que vos technocrates appellent l'agriculture multifonctionnelle. On n'ose imaginer le nombre de fonctionnaires nécessaires à la gestion et au contrôle du système. Au total, l'écologie est privilégiée au détriment de l'économie agricole.

Reste le financement. Faute d'être bien assuré par le budget de l'Agriculture, il le serait par des subventions européennes dont Bruxelles prône la renationalisation partielle. La Commission a en effet l'intention de reverser directement aux Etats membres 25 % des sommes en cause. Vous avez cru tenir ainsi le financement de votre loi. Mais cette aubaine se transforme en cauchemar budgétaire. L'Allemagne, suivie par quelques autres, réclame une baisse de sa contribution, prétextant qu'elle fournit 30 % des ressources du budget européen pour un retour moitié moindre. Elle a déjà obtenu l'engagement, qu'en dépit du coût de l'élargissement, le plafond des recettes budgétaires ne dépassera pas 1,27 % du PIB communautaire au cours des six prochaines années. Elle veut convaincre la Commission de faire prendre en charge par chaque Etat membre 30 % des aides directes versées à ses producteurs. La France qui consomme le quart des dépenses agricoles communautaires devrait trouver une dizaine de milliards dans son propre budget pour y faire face. Au lieu de reprendre à son compte la revendication du "juste retour" autrefois martelé par Margaret Thatcher, Bonn s'attaque habilement à la seule dépense agricole, à la fois la plus importante et la plus contestée du budget européen.

Isolé au sein du conseil des ministres européen, votre refus tardif d'une telle solution contraire à la solidarité financière ne peut vous dédouaner de votre faute dont l'agriculture française fera les frais.

Pour conclure, votre projet manque gravement d'ambition et relève d'une erreur de stratégie. Il ignore les retombées de l'OMC et méconnaît les conséquences d'une réforme de la PAC. Il néglige d'instaurer une fiscalité positive qui favoriserait les transmissions d'entreprise et autoriserait les provisions pour récolte. Il se résume à des promesses sur l'amélioration des retraites. Il accroît les contraintes de la politique des structures jusqu'à mettre en péril les entreprises. Il propose des CTE dont on ne sait toujours rien et dont le fonctionnement paraît aléatoire. Pour toutes ces raisons, le législateur ne peut se prononcer avant d'avoir été informé davantage.

C'est pourquoi je vous demande de voter cette motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. François Patriat, rapporteur de la commission de la production - A vous entendre, Monsieur Guillaume, ce projet de loi aurait été bâclé. Or il a donné lieu, durant dix mois à une très large concertation avec l'ensemble des organisations professionnelles agricoles et coopératives mais aussi avec le secteur de la distribution et les associations de consommateurs. L'APCA et la CFCA reconnaissent d'ailleurs aujourd'hui qu'il est globalement positif et marque des avancées significatives. Ce texte a également donné lieu à 29 heures de travail en commission, dont 13 heures 50 pour les auditions et 15 heures 30 pour l'examen de son contenu. J'aurais été heureux, Monsieur Guillaume, de vous voir alors... (Protestations sur les bancs du groupe du RPR)

M. Christian Jacob - M. Guillaume n'est pas membre de la commission de la production.

M. le Rapporteur - Beaucoup de députés non membres de cette commission ont néanmoins assisté à ses travaux, M. de Courson par exemple.

M. Christian Jacob - M. Guillaume nous avait confié ses amendements.

M. le Rapporteur - Projet bâclé, nébuleux, dogmatique, malthusien, aux visées politiciennes : votre démonstration, Monsieur Guillaume, est brillante par la forme. Elle a de surcroît le mérite de la constance. Déjà, lorsque leader syndical, vous parcouriez la France en avion, vous dénonciez de meeting en meeting la politique catastrophique du gouvernement socialiste. Vous étiez ainsi venu expliquer dans mon département qu'instituer des quotas, établir des prix différenciés ou viser à la maîtrise des productions était une hérésie. A l'appui de votre démonstration, vous citez aujourd'hui plusieurs dates -1983, 1986, 1992-, mais il en est que vous oubliez ! Quel est le ministre de l'agriculture, devenu plus tard Premier ministre, qui avait créé les montants compensatoires ? (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR)

M. Jean Auclair - Qui les a supprimés ?

M. le Rapporteur - C'est le gouvernement socialiste qui, en maîtrisant l'inflation, les a fait disparaître. Enfin, qui a signé les accords de Marrakech ?

M. Christian Jacob - Qui les avait négociés ?

M. le Rapporteur - Vous avez donc oublié deux dates néfastes pour notre agriculture.

Je me demande aussi, Monsieur Guillaume, si vous rencontrez encore des agriculteurs. Ceux que, pour ma part, j'ai rencontrés récemment tout près de chez vous, en Moselle, m'ont dit se féliciter des quotas laitiers. Sans ce dispositif, combien resterait-il de producteurs laitiers ? Quel serait leur revenu ? Combien y aurait-il encore d'agriculteurs dans le Doubs qui possède pourtant aujourd'hui le plus fort taux d'installation de jeunes ? Quant aux céréaliers de Lorraine, ils ne veulent surtout pas que l'on touche à la PAC de 1992-93.

M. Jean Auclair - Et les éleveurs ?

M. le Rapporteur - Monsieur Guillaume, après nous avoir démontré que nous ne pourrions rien contre les Etats-Unis, ces maîtres du monde, vous avez dans un deuxième temps, demandé pourquoi le Gouvernement n'engageait pas avec eux une partie de bras de fer pour continuer à exporter, au prix d'ailleurs de restitutions au coût exorbitant. C'est incohérent.

Vous nous avez également démontré que la France ne devait pas définir l'agriculture qu'elle veut avant les prochaines négociations à Bruxelles. C'eût été irréaliste. Nous disons au contraire clairement quelle agriculture nous voulons avec quels agriculteurs et pour quels produits. Et nous entendons bien que cela devienne réalité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Joseph Parrenin - Monsieur le ministre Guillaume, vos propos m'ont surpris. J'ai vraiment le sentiment que vous ne savez plus ce qu'est un paysan (Protestations sur les bancs du groupe du RPR). Vous avez emboîté le pas du Président de la République sur les "jardiniers de l'espace". Mais je suggère à M. Le Pensec de vous adresser ainsi qu'au Président de la République le texte de l'intervention de M. Ollier tout à l'heure : il y rappelait que nous avons besoin "de troupeaux pour brouter les pâturages en montagne".

Autre contradiction, avec les agriculteurs cette fois : quatorze ans après l'institution des quotas laitiers, vous doutez de leur utilité quand tous les producteurs de lait, partout en France, s'inquiètent de l'éventualité de leur suppression.

De même, lorsque, à la tête de la FNSEA, vous parcouriez -en avion- la France, vous vous opposiez à l'entrée de l'Espagne dans le Marché commun. Souvenez-vous ! Or, aujourd'hui, le solde de la balance commerciale agricole entre la France et l'Espagne a augmenté de 50 % (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Vous êtes, enfin, en contradiction avec les premiers orateurs de l'opposition qui estimaient, eux, que nous avions mis trop de temps à élaborer ce projet de loi, que vous considérez, vous, insuffisamment préparé. Mettez-vous donc d'accord avec M. Vasseur.

Enfin, s'il y a un seul malthusien dans cet hémicycle, c'est vous, qui défendez exclusivement les régions fertiles de grande culture, cela dût-il condamner les zones défavorisées à n'avoir plus demain d'agriculteurs.

Au vu de tant de contradictions, cette motion de renvoi en commission n'a vraiment aucun sens (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Jacques Rebillard - A écouter M. Guillaume, j'ai eu l'expression d'un remake d'Apocalypse now. Notre agriculture ne serait plus qu'un champ de ruines après cette loi d'orientation. Propos trop outrancier pour être pris au sérieux ! D'ailleurs, si ce texte était aussi mauvais que vous l'avez prétendu, l'opposition n'aurait pas déposé autant d'amendements.

Les CTE, principale innovation du texte, ne seront pas obligatoires. Si certains agriculteurs souhaitent affronter le marché mondial, qu'ils le fassent, mais sans soutien public. Il est normal en revanche d'exiger des contraintes en contrepartie d'une certaine protection.

Vous avez évoqué la fiscalité. Ce n'est pas elle qui aujourd'hui constitue le frein principal à la transmission des exploitations, mais bien la lourdeur de leur capital qui rend très difficile aux jeunes de les acquérir.

Vous avez regretté une dérive environnementale. Mais la droite joue là les cigales. Si nous épuisons les ressources naturelles les plus fragiles, qui paiera la facture demain ? S'il existe aujourd'hui des distorsions de concurrence, c'est bien que certains pays ne respectent pas les contraintes d'environnement. Lorsque les pays du sud de l'Europe entretiendront mieux leurs espaces naturels, ils seront beaucoup moins compétitifs.

Vos propos, Monsieur Guillaume, traduisent vos préférences. Les agriculteurs des zones défavorisées apprécieront que vous défendiez les hauts revenus des agriculteurs les plus productifs, et que vous appeliez à une agriculture libérale, sans règles. C'est en effet le plus sûr moyen de les condamner.

Vous avez évoqué l'institution de pénalités en cas de dépassement des quantités maximales de production. Or un tel dispositif pénalise le plus ceux qui produisent le moins.

Sur les exportations aussi, nos divergences sont de fond. Les exportations à bas prix ont déstabilisé l'agriculture des pays du tiers monde en même temps qu'elles enrichissaient certains tyrans. Elles ont eu le même effet que les importations de chemises à bas prix sur notre industrie textile.

Nous ne voterons pas cette motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Proriol - Je vais introduire une note discordante : j'ai trouvé l'intervention de M.  François Guillaume, excellente dans le fond comme dans la forme.

M. Guillaume nous a fait des propositions intéressantes. Il a parlé d'un "texte déséquilibré", car votre projet donne la priorité aux problèmes d'environnement sur la production. Allez expliquer cela aux paysans (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). M. Guillaume nous propose de nous réunir en commission pour réécrire l'article premier, qui est effectivement malthusien.

S'agissant des contrôles de structures et du calcul des primes, il suggère que ces opérations s'effectuent de manière transparente et non plus obscure et aléatoire...

Enfin, votre texte manque d'ambition. Monsieur le ministre, on n'a cessé de vous le reprocher : il est trop déconnecté des problèmes européens et internationaux. Avec le président Lajoinie, nous sommes allés aux Etats-Unis, où nous avons rencontré les membres du Sénat et de la chambre des Représentants, lesquels nous ont montré que l'Amérique voulait reprendre la main dans le domaine agricole. Nous devons donc nous montrer fermes et précis dans nos ambitions, afin de leur résister.

Un renvoi en commission s'impose (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. le Président - La parole est à M. Sauvadet pour le groupe UDF-Alliance.

Plusieurs députés socialistes - UDF quoi ?

M. François Sauvadet - Je savais que cela vous ferait plaisir. Mais concentrez-vous plutôt sur notre débat. Dans son exposé rigoureux, M. François Guillaume a replacé la question dans une perspective historique. Nous sommes aujourd'hui une grande puissance agricole, qui doit tenir sa place sur les marchés mondiaux.

Pourquoi un renvoi en commission ? Parce que ce que vous dites ne correspond pas à ce qui est écrit dans le texte, qu'il s'agisse de la fonction productive de notre agriculture ou de sa vocation exportatrice.

Vous ne pouvez continuer à vous complaire dans la caricature, à réclamer des prix bas au nom de la compétitivité internationale, ni à pratiquer comme vous le faites l'art de l'esquive. Je pense particulièrement à la question des retraites. Certes, votre effort est louable, mais comme le redira M. de Courson, ceux de vos prédécesseurs étaient de même ampleur.

En outre, vous ne nous avez toujours pas apporté les précisions nécessaires sur les moyens de financement, sur l'installation et la gestion des droits à produire. Comment comptez-vous "adapter" votre politique d'installation, si vous vous apprêtez à réduire les crédits des fonds d'installation, que vous considériez l'an passé comme des outils moyens de votre politique ?

Vous ne dites rien des enjeux de l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale ; rien des contours du CTE ; rien de la manière dont la France va aborder les grandes négociations à venir.

Un renvoi en commission s'impose (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Christian Jacob - Il manque à ce projet une approche économique. Le mot "économique", d'ailleurs, a dû être introduit dans le texte par un amendement, adopté, je le reconnais volontiers, presque à l'unanimité.

On ne trouve rien sur les filières ni sur les marchés, rien sur l'installation. Vous instituez toutes sortes de contrôles, mais ne créez aucun mécanisme d'incitation à l'installation ou à l'investissement.

Je ne reviendrai pas sur l'absence de toute mesure fiscale.

Quant à l'environnement, on ne peut certes envisager une installation sans s'en préoccuper. Mais reconnaissez que les agriculteurs ne vous ont pas attendus pour cela. On a parlé des pesticides. Mais en vingt ans, leur volume et celui des engrais azotés ont diminué de 30 %. Pour ce résultat, les agriculteurs ont utilisé les crédits de l'ANDA et leurs propres moyens financiers, sans faire appel à l'Etat. Un peu de modestie, s'il vous plaît.

Je ne veux pas entrer dans le débat sur les petits et les gros, qui vous est si cher...

M. Marcel Rogemont - C'est une réalité !

M. Christian Jacob - Comment le Gouvernement va-t-il financer les CTE ? En prélevant sur les crédits des OGAF et du FGER qui bénéficient aux régions difficiles et aux zones de montagne, ainsi que sur les fonds d'installation. Vous allez donc engraisser les DDA et les préfectures au détriment des paysans des zones difficiles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Ce texte doit être renvoyé en commission (Mêmes mouvements).

M. Félix Leyzour - Au nom du groupe communiste, je demande que cette motion de renvoi soit renvoyée à son auteur (Sourires).

Comme l'a rappelé notre rapporteur, nous avons eu une discussion approfondie en commission et celle-ci était ouverte à tous.

En outre, M. Guillaume prétend parler au nom de la profession agricole dans son ensemble pour défendre les mesures prises par les gouvernements de droite auxquels il a appartenu, mais les agriculteurs sont très divers.

Il a insisté sur la nécessité de s'opposer aux prétentions des Américains. Je ne crois pas que nous pourrons le faire si nous nous plaçons sur leur terrain. Il faut s'opposer à eux en défendant une politique européenne réorientée, s'appuyant sur une formule rénovée de préférence communautaire. Ce projet doit nous servir de point d'appui pour réorienter la politique européenne.

Nous voterons contre cette motion de renvoi (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La séance, suspendue à minuit, est reprise le mardi 6 octobre à 0 heure 10.

M. le Président - J'appelle maintenant, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du Règlement, les articles du projet de loi, dans le texte du Gouvernement.

ARTICLE PREMIER

M. le Président - Compte tenu du nombre d'inscrits à cet article, je prie les orateurs de ne pas dépasser les cinq minutes qui leur sont imparties.

M. Jean-Michel Marchand - L'article premier définit les missions de l'agriculture : produire, préserver l'environnement et les paysages, développer l'emploi.

C'est faire un mauvais procès à ce projet que de l'accuser de sous-estimer l'acte de production. Reste qu'il faut repenser cette fonction car aux crises de surproduction qui perturbent l'économie agricole s'ajoutent, depuis les problèmes sanitaires que nous avons connus, une crise de confiance des consommateurs et une inquiétude face à la mise en culture d'organismes génétiquement modifiés. Il en résulte une forte demande de qualité et de traçabilité des produits.

Il n'y a pas d'incompatibilité entre réorganisation et contrôle des productions, qualité des produits et revenu décent des agriculteurs. J'en veux pour preuve les actions menées par les viticulteurs d'Anjou et de Saumur pour contrôler leur production et améliorer encore sa qualité.

L'article premier reconnaît aussi la multifonctionnalité de l'agriculture. L'animation de l'espace rural répond à des besoins réels de nos concitoyens. Je pense en particulier au tourisme vert et à la vente directe à la ferme, qui tous deux créent des liens forts entre producteurs et consommateurs, entre ruraux et urbains. La multifonctionnalité, c'est aussi la contribution des agriculteurs à la protection des ressources naturelles, au maintien de la biodiversité et à la préservation des paysages, étant entendu que l'espace rural ne se résume pas à l'espace agricole. L'importance de cette mission doit être reconnue. C'est ce que fait le projet.

Développer l'emploi n'est pas une mince gageure dans un secteur où il s'est constamment dégradé, processus qui a entraîné la désertification de beaucoup de nos campagnes. Développer l'emploi, c'est faciliter l'installation, sur des exploitations solvables, de jeunes, voire de moins jeunes, qu'ils soient issus ou non du monde agricole.

C'est aussi leur permettre de s'installer sur des exploitations dont la solvabilité est assurée, c'est faciliter le groupement d'employeurs pour garantir des emplois salariés stables. C'est donc être précis en ce qui concerne l'unité de référence pour une exploitation viable et la définition de l'actif agricole.

Ce projet s'inscrit dans une volonté politique de prendre en compte les problèmes de manière globale. Les dispositions de la loi, en particulier pour les CTE, doivent donc trouver un cadre d'application cohérent à travers la notion de pays qui sera développée dans le projet de loi d'orientation d'aménagement durable du territoire.

M. Damien Alary - L'enjeu du projet de loi d'orientation agricole est double. Répondre à une attente ancienne du monde agricole et inscrire l'agriculture française dans une dynamique d'avenir à l'heure de la réforme de la PAC et des négociations pour l'Organisation mondiale du commerce.

Le texte présenté est le fruit de consultations multiples de l'ensemble des acteurs du monde agricole et a fait l'objet d'un travail d'amendements et de réflexions considérables au sein de votre commission.

A la manière des préambules des grandes lois constitutionnelles, l'article premier du projet fixe les objectifs de la politique agricole et reconnaît la multifonctionnalité de l'agriculture.

La philosophie générale de ce texte repose sur une volonté de transparence des fonds publics par une contractualisation des rapports entre l'agriculture et l'Etat dans le cadre des contrats territoriaux d'exploitation.

La trifonctionnalité économique, environnementale et sociale de l'agriculture mise en avant avec force dans l'article premier reflète la transversalité de cette notion à travers des textes allant de la conférence de Rio en 1992 au code forestier.

Elle rejoint également la notion de développement durable évoquée par le projet de loi d'aménagement du territoire. Le territoire, l'emploi et la justice sociale sont donc au coeur de ce texte.

Son premier objectif est de favoriser l'installation agricole notamment des jeunes, de garantir la pérennité des exploitations, d'encourager leur transmission et d'assurer le développement de l'emploi agricole. Pour une région comme la mienne, le Languedoc-Roussillon, et en particulier pour le bassin d'Alès ou les Cévennes, il est essentiel que soient assurés un renouvellement et un développement des exploitations. Il faudra prendre en compte la spécificité de chaque région pour y adapter les contraintes administratives.

Ainsi l'installation de jeunes exploitants dans de petites productions en Cévennes sera différenciée de l'installation des arboriculteurs ou des viticulteurs dans la plaine. Il faut pour cela tout en conservant le caractère individuel des CTE permettre à travers eux le renforcement de l'organisation économique des producteurs tout particulièrement dans le secteur viticole de l'arc méditerranéen où de nombreux efforts ont été entrepris en matière de réencépagement ou d'investissement dans les caves, en leur donnant les moyens de s'organiser pour accroître le regroupement de l'offre. Il faut en effet qu'ils puissent peser sur les marchés pour avoir un retour sur la valeur ajoutée. Cette reconnaissance des spécificités locales est nécessaire pour lutter contre la désertification en milieu rural, pour maintenir les emplois et en créer de nouveaux.

Cette orientation rejoint la volonté affirmée par le cinquième objectif de l'article premier de valorisation des terroirs grâce à des systèmes de production qui leur sont adaptés. Le projet concilie donc production et environnement conformément au souhait du Gouvernement de garantir une occupation équilibrée du territoire et de préserver les ressources naturelles.

Le huitième objectif de l'article premier du projet qui concerne la promotion des produits agricoles sur les marchés met l'accent sur le renforcement d'une politique de la qualité et de l'identification.

Son importance est illustrée par un exemple local. C'est celui, dans la cinquième circonscription du Gard, de la reconnaissance comme appellation d'origine de "l'oignon doux des Cévennes" que demande depuis de nombreuses années son association de défense.

M. le Président - Pouvez-vous arriver à votre conclusion ?

M. Damien Alary - Je crois nécessaire cette reconnaissance compte tenu des enjeux socio-économiques qu'elle implique pour une région en grande difficulté où cette production, très spécifique, occupe plus d'une centaine de familles.

On pourrait citer d'autres productions, le miel ou l'huile d'olive et d'autres producteurs telle la coopérative castanéicole des Cévennes.

En ce qui concerne la viticulture, il faut signaler que tous les acteurs ont oeuvré pour le renforcement de la qualité grâce à un encépagement noble.

Il est indispensable que de telles démarches soient soutenues au niveau national et que l'agriculteur ne soit plus considéré seulement comme un producteur de denrées alimentaires, mais comme un gestionnaire de l'espace rural et des ressources naturelles qui doit répondre à la demande de qualité grandissante du marché.

Il sera aussi nécessaire de veiller à une cohérence des textes et des politiques internes et européennes.

L'article premier, qui va donc de l'installation des jeunes à la revalorisation progressive des retraités agricole, va engager notre pays dans la voie d'une agriculture moderne pour le XXIème siècle.

M. Roland Garrigues - Le projet de loi d'orientation agricole s'inscrit dans un contexte national puisqu'il est l'une des priorités de Lionel Jospin, mais aussi européen, alors que certains Etats membres de l'Union semblent vouloir remettre en cause le consensus existant sur le GATT, et mondial avec la perspective des négociations de l'OMC.

La profession attendait qu'à l'aube du XXIème siècle, nous définissions un nouveau cadre pour l'agriculture, qui tienne compte de l'évolution de l'agriculture depuis presque quarante ans, du rôle qu'elle joue dans notre balance commerciale, mais aussi des exigences de nos concitoyens en matière de qualité des produits et de respect de l'environnement.

L'évolution des techniques, la concentration des exploitations, la puissance de l'industrie agroalimentaire et le travail des hommes et des femmes qui font l'agriculture ont élevé la France au rang de grand pays exportateur.

Constatant cette évolution, les excès qui en ont découlé, voire les injustices, ce projet ne se limite pas à la notion de production et envisage toutes les fonctions de l'agriculteur.

L'agriculture a de plus démontré depuis des décennies une véritable capacité d'intégration des populations étrangères. Je me souviens des Républicains espagnols qui avaient trouvé refuge dans nos fermes du Sud-Ouest et des Cévennes, plus tard, des rapatriés d'Afrique du Nord, auxquels je veux rendre hommage.

L'agriculture est enfin, puisqu'elle occupe 80 % du territoire, le premier aménageur du pays.

On connaît le montant des aides européennes et le mode de répartition qui prévalaient jusqu'alors.

Or on ne peut plus accepter que 20 % des agriculteurs perçoivent 80 % des aides et que 54 % des agriculteurs ne perçoivent même pas le SMIC, un tiers de ceux-ci ayant même un revenu inférieur au RMI.

On ne peut plus accepter, que pour percevoir ces aides, certains se lancent dans des concentrations à outrance, et dans la course à une productivité polluante.

Cela ne veut pas dire que ces aides seront diminuées, mais qu'elles seront réparties de manière plus équitable et sur une base contractuelle.

Dans ma belle circonscription, qu'y a-t-il de commun, en effet, entre les vallées du Tarn et ses productions fruitières et le Causse du Quercy avec son élevage, si ce n'est la même volonté des hommes à travailler leur terre et à essayer d'en vivre ?

La loi tient compte des spécificités de ces agricultures dont la diversité est un des facteurs de la richesse nationale.

Produire oui, mais produire mieux, en mettant l'accent sur des productions de qualité, attendues par les consommateurs, et qui assureront des revenus décents au monde agricole.

Produire donc, développer l'emploi en milieu rural et préserver durablement l'environnement : voilà les trois missions fondamentales, que ce projet reconnaît aux agriculteurs.

En favorisant l'installation des jeunes, en abordant véritablement le statut du conjoint, et en mettant en oeuvre les moyens nécessaires pour que les retraités puissent enfin vivre correctement, la loi pose les jalons d'un véritable statut de l'agriculteur.

Vous nous permettez, Monsieur le ministre, de tracer de nouveaux sillons pour l'agriculture française. Elle saura les suivre. Et nous nous rappellerons le Rimbaud des Illuminations : "A l'aurore nouvelle, armé d'une ardente patience, il était rendu au sol paysan".

M. Jacques Masdeu-Arus - Votre texte est insuffisant, car il n'aborde pas les problèmes spécifiques des agriculteurs situés en zone périurbaine.

Ces exploitations, le plus souvent vouées à l'arboriculture ou aux cultures maraîchères, occupent le faible espace interstitiel rendu libre par l'expansion urbaine, d'une part, et la céréaliculture, d'autre part.

Elles sont donc caractérisées par une situation géographique spécifique et forment une sorte d'espace tampon entre les zones urbaines et agricoles.

Ce type d'agriculture de proximité qui a toujours privilégié la qualité sur les rendements élevés, joue un important rôle économique, social et environnemental.

En Ile-de-France, ces exploitations occupent un périmètre de plus de 400 hectares et emploient près de 2 000 personnes, sans compter les emplois induits en amont et en aval.

Sur un plan environnemental, elles contribuent à structurer et agrémenter le paysage en zone périurbaine.

Elles sont les témoins d'une agriculture de qualité et de proximité, d'une tradition, d'un savoir-faire.

Or, malgré son rôle important, ce type d'agriculture est confronté à de graves difficultés dues à sa situation géographique particulière.

Ces exploitations subissent de nombreux handicaps : les dégradations qui atteignent parfois, en Ile-de-France, le quart des récoltes ; la précarité foncière due à une plus grande instabilité des documents d'urbanisme ; le coût plus élevé des charges, du foncier, des transports, de la main-d'oeuvre, de l'eau ; la raréfaction des terres agricoles disponibles et le mitage ; la fragilité de baux qui proscrit tout investissement de matériel ; la quasi-absence de groupements de producteurs ; les phénomènes de pollution ; les difficultés de circulation, etc.

Ces difficultés de l'agriculture périurbaine entraînent de graves problèmes économiques et financiers. Le résultat, c'est que dans les Yvelines, par exemple, le nombre d'exploitations a diminué de 35 % entre 1988 et 1995 et le nombre d'actifs de 33 % ; les surfaces cultivées se sont réduites de 8 % entre 1995 et 1997 ; la production s'est effondrée de 50 % pour certains produits comme les pommes ou les poires ; 10 exploitations sur 18 ont un taux d'endettement dépassant 80 %.

Il est donc urgent de prendre conscience de cette situation et d'adopter des mesures ambitieuses. Votre projet de loi étant totalement silencieux sur ce point, j'ai déposé des amendements répondant aux attentes de ces agriculteurs, mais seuls deux d'entre eux ont franchi le barrage de la recevabilité financière. Le premier vise à aider les exploitants situés en zone périurbaine à se réunir en organisations de producteurs. Le deuxième tend à doter les cultures arboricoles et maraîchères des zones périurbaines d'un signe de qualité provenance et d'une charte spécifique.

Les amendements qui ont été déclarés irrecevables tendaient à instituer un fonds de calamité périurbaine pour compenser les déprédations ; à inscrire dans la loi des CTE à spécificité périurbaine ; surtout, à créer des zones franches agricoles calquées sur les zones franches urbaines.

M. le Président - Il faudrait en terminer.

M. Jacques Masdeu-Arus - D'autres orateurs ont parlé huit minutes !

Il est dorénavant impératif de diminuer les charges sociales, notamment sur les bas salaires, et je souhaite que vous mesuriez la nécessité de compenser les handicaps spécifiques de l'agriculture périurbaine.

Comme l'a dit Jacques Chirac, les exploitants agricoles ne sont pas des "jardiniers au profit des intérêts de citadins en quête de rêve" mais des "producteurs". C'est en mettant en place une véritable politique volontariste et en prenant en compte les spécificités des agriculteurs que l'on parviendra à défendre notre agriculture, un des fleurons de notre pays.

Mme Huguette Bello - L'agriculture est toujours un secteur majeur pour la Réunion et je voudrais appeler l'attention sur un certain nombre de difficultés.

Il y a d'abord un contexte mondial de plus en plus contraignant et incertain. Après les mésaventures de la banane aux Antilles, la plus grande vigilance s'impose à l'approche de la négociation de l'OCM-sucre. Il est indispensable de renforcer les acquis obtenus de l'Union européenne, maintien du quota de chaque département, stabilité des prix d'intervention, reconduction des aides du POSEIDOM.

Il ne faudrait pas fragiliser la filière canne-sucre-rhum alors que de lourds investissements ont été engagés, avec le soutien de l'Union européenne, pour permettre, par une augmentation des surfaces cultivables, d'atteindre le quota de 300 000 tonnes de sucre réservé à la Réunion. A cet égard, qu'en est-il du projet de création d'une industrie sucrière dans un autre DOM et des réaffectations de quotas qu'elle entraînerait ? L'inquiétude est grande parmi les professionnels de la Réunion.

Un tel redéploiement des quotas risquerait de déstabiliser, dans un département accablé par le chômage, une filière qui représente plusieurs milliers d'emplois. Surtout il pourrait discréditer les pouvoirs publics aux yeux de l'Union européenne et affaiblir la position de l'Outre-mer qui apparaîtrait ainsi divisé. En outre, il y aurait une urbanisation du périmètre ainsi irrigué et la spéculation foncière serait accrue. Rappelons, enfin, que la canne joue un rôle important pour préserver les sols de l'érosion.

Pour toutes ces raisons, nous comptons sur le Gouvernement pour défendre la filière sucrière à la Réunion lors des prochaines échéances.

L'agriculture réunionnaise est un secteur dynamique où la valeur ajoutée a fortement augmenté. En témoignent les efforts entrepris depuis une quinzaine d'années pour la diversification, et qui font de la filière fruits-légumes-fleurs la première spéculation agricole de la Réunion. Il faut à présent consolider ces acquis, notamment dans le cadre des futures conventions de Lomé. En effet, ces productions subissent une vive concurrence des produits ACP et la mise en place d'une zone de libre-échange entre l'Union européenne et la République sud-africaine n'est pas de nature à rassurer les producteurs réunionnais.

La concurrence se manifeste sur le marché intérieur lui-même, et elle est vive sur les marchés européens -d'autant plus que la place accordée à la production agricole, considérée comme non prioritaire, dans le fret aérien, ne contribue guère à améliorer des conditions de production déjà désavantageuses. A quoi sert d'encourager la production des litchis si les producteurs n'ont jamais l'assurance que ces fruits seront effectivement acheminés sur les marchés européens ?

Ces incertitudes ne sont certainement pas la meilleure façon de pérenniser l'agriculture réunionnaise, dont les atouts sont pourtant réels. C'est pourquoi nous vous demandons de nous aider à les surmonter pour le développement durable de notre île (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. René Dutin - Dans son article premier, le projet précise que la politique agricole prend en compte les fonctions économique, environnementale et sociale de l'agriculture. Je voudrais insister sur l'aspect social.

La fonction sociale de l'agriculture doit jouer d'abord pour le monde agricole lui-même. Il est indispensable de revaloriser les retraites agricoles, c'est un devoir de justice auquel les députés communistes sont très attachés. A l'ouverture de cette législature, nous avons déposé une nouvelle fois une proposition de loi tendant à porter les retraites agricoles à 75 % du SMIC. Et, dans l'immédiat, il ne doit plus y avoir de retraites agricoles inférieures au minimum vieillesse : c'est ce que nous proposerons par nos amendements.

L'an dernier, le gouvernement de gauche a fait un premier pas, et cette année une seconde étape de revalorisation est inscrite dans la loi de finances pour 1999. Ce progrès reste insuffisant à nos yeux. Ne pourrait-on tirer parti du fait que la subvention d'équilibre au BAPSA baisse de 2,5 milliards ? Il serait indispensable de supprimer le coefficient de minoration pour que tous les intéressés bénéficient de l'augmentation dans son intégralité.

Il serait également utile de revaloriser l'actif successoral qui ne l'a pas été depuis 1982. Le faible niveau du plafond incite en effet beaucoup de retraités à ne pas demander le bénéfice du FSV de peur que les allocations soient récupérées sur leur héritage au détriment de leurs enfants. Cette revalorisation serait d'autant plus légitime que, pour la prestation spécifique dépendance créée en 1994, on a fixé un plafond de 300 000 F.

Je voudrais insister sur le statut des veuves et veufs retraités agricoles. Le décret du 2 février 1995 a institué deux catégories avant et après janvier 95 qui ne perçoivent pas la même somme. Cette discrimination est injuste et très mal vécue, et je vous propose de la supprimer.

Revaloriser les retraites coûte cher, mais ce sont de bonnes dépenses. Pour élargir les ressources budgétaires, nous proposons une contribution solidarité agricole retraite, appliquée aux grandes entreprises en amont et en aval de la production, à la grande distribution, au Crédit agricole, aux compagnies d'assurances. De la sorte on devrait arriver aux 75 % du SMIC.

M. Christian Jacob - J'interviens sans esprit polémique, même si je sais que les promesses socialistes n'engagent que ceux qui les entendent...

Plusieurs députés socialistes - C'est du Pasqua !

M. Christian Jacob - ...sur les objectifs fixés à l'article premier.

La politique agricole vise à "la pérennité des exploitations agricoles, leur transmission, et le développement de l'emploi". D'abord, la pérennité d'une entreprise ne se décrète pas. Elle dépend des résultats. La loi peut simplement y contribuer. Favoriser la transmission est un objectif, mais ne fait l'objet d'aucune proposition dans ce texte.

Il est ensuite question de "l'amélioration des conditions de production et du revenu, et de la parité des garanties sociales avec les autres catégories sociales, à contributions équivalentes. Mais dans ce texte, on ne trouve rien non plus sur les cotisations sociales. Les agriculteurs qui, avec les commerçants et artisans, paient des cotisations sur le revenu réinvesti souhaitent qu'on le distingue du revenu disponible.

On vise ensuite la production de biens agricoles alimentaires et non alimentaires... "satisfaisant aux conditions de sécurité sanitaire". Je dirai que c'est heureux !

Quant à la promotion des produits agricoles sur les marchés internationaux, on sait tout ce qui a été dit sur les exportations. C'est un objectif, soit. Mais toujours rien de concret.

La politique agricole prendra aussi en compte les situations spécifiques. Mais où sont les propositions spécifiques pour les zones de montagne, les zones défavorisées, les DOM ?

Sur les objectifs de cette loi, on peut se retrouver. Mais il n'y a pas de propositions. C'est pourquoi nous y sommes opposés.

M. le Président - Nous passons aux amendements.

M. François Guillaume - J'ai reproché au ministre de donner la priorité dans les missions de l'agriculteur à la protection de l'environnement et à l'aménagement du paysage. Il s'en est défendu. Mais c'est bien l'impression que donne le texte.

Mieux vaut maintenir l'article premier de la loi de 1980 qui décrit les missions de l'agriculteur de façon plus exhaustive et donne la priorité à la fonction productive.

Il a aussi l'avantage de ne pas négliger les biocarburants. Cet oubli dans la loi est surprenant de la part d'une majorité qui parle beaucoup d'environnement. Pourtant, on peut oxygéner les carburants avec les biocarburants pour limiter la pollution.

Autre surprise, on ne retrouve pas ici une des missions fixées à l'agriculteur par la loi de 1980, qui est de contribuer à l'aide alimentaire.

Par ailleurs, les missions de type collectif confiées à l'agriculteur entraîneront une concurrence peu souhaitable pour les artisans.

La loi de 1980 offrait déjà aux agriculteurs la possibilité de s'intéresser au tourisme, mais avec un chiffre d'affaires plafond. Ici, il n'y a aucune limite de ce type. Je crains une concurrence abusive.

Le texte de 1980 est bien meilleur. Par l'amendement 285, je demande donc la suppression de cet article.

M. le Rapporteur - La commission l'a rejeté. D'abord, vous faites erreur. La loi de 1980 a déjà été modifiée par celle de 1995. Toute loi d'orientation définit de grands objectifs. Ce texte le fait tout normalement. La confusion peut naître du travail en commission, où chacun a voulu en ajouter.

Quant aux biocarburants, ce projet y fait référence quand il évoque les productions non alimentaires transformables.

M. le Ministre - L'exposé des motifs est explicite, mais il est indispensable de fixer dans le corps de la loi les objectifs essentiels auxquels la politique agricole doit concourir. Défavorable

L'amendement 285, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Claude Lemoine - Notre amendement 286 ne modifie pas le texte de la commission mais l'ordre de présentation des objectifs, afin de faire de l'amélioration du revenu un objectif prioritaire.

M. le Rapporteur - La commission l'a rejeté. L'agriculteur tire ce revenu des différentes fonctions qu'il exerce. La loi d'orientation souligne leur caractère premier.

M. le Ministre - L'amendement remet en cause le travail effectué par la commission pour clarifier le texte. Défavorable.

L'amendement 286, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Claude Lemoine - Le revenu est secondaire !

M. François Sauvadet - Notre amendement 746 affirme que la forêt fait partie de la politique agricole. Vous avez annoncé qu'il y aurait une loi sur la forêt. Mais il est préférable de ne pas l'écarter de cette loi agricole. Beaucoup de forêts de moins de 25 hectares n'ont pas de plan de gestion. Il faut s'en préoccuper.

M. le Rapporteur - La commission a rejeté cet amendement. Il n'est pas d'usage qu'une loi d'orientation comporte des dispositions sur le secteur forestier. D'autre part, le rapport de M. Bianco servira de base à un projet qui sera présenté en 1999. On traitera mieux les problèmes d'ensemble de la forêt dans un texte spécifique et cohérent.

M. le Ministre - Je pense comme vous que la forêt est une composante importante de notre agriculture et que ce secteur exige des adaptations. Une mission sur le sujet a été confiée à M. Bianco. C'est sur la base de son rapport qu'une loi spécifiquement forestière sera déposée courant 1999. Je vous suggère donc de retirer votre amendement.

M. Christian Jacob - Je ne partage pas l'avis du rapporteur. A plusieurs reprises déjà par le passé, il nous est arrivé de mêler politique agricole et politique forestière. En outre, les propriétaires de terres agricoles et les propriétaires forestiers sont souvent les mêmes. Il serait donc dommage de cloisonner les approches. C'est à force de cloisonner ainsi qu'une partie de l'enseignement agricole ou bien encore une partie des contrôles sanitaires échappent désormais au ministère de l'agriculture. Je soutiens donc l'amendement.

M. François Sauvadet - Je le maintiens, pour réaffirmer publiquement qu'agriculture et forêt ont partie liée, notamment dans la mise en valeur de zones en déprise.

L'amendement 746, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 58 rappelle que l'agriculture participe à l'aménagement du territoire, en s'attachant à un développement durable.

M. le Ministre - Avis favorable.

L'amendement 58, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 59 corrigé, déposé en accord avec plusieurs membres de l'opposition, souligne que la politique agricole nationale doit être définie en liaison avec la politique agricole commune.

M. le Ministre - Pour que les orientations nationales soient vraiment efficaces, il faut en effet tenir compte de la PAC. Nous espérons même que cette loi d'orientation nous permettra de peser sur les évolutions de cette dernière. Avis favorable donc à l'amendement.

M. Félix Leyzour - Notre sous-amendement 845 complète l'amendement par les mots "s'articulant sur la préférence communautaire rénovée". Il se justifie par son texte même.

M. le Rapporteur - Avis favorable.

M. le Ministre - Je m'interroge sur le sens de "préférence communautaire rénovée". Pour ma part, je défends la préférence communautaire. J'en ferai une priorité lors de la renégociation de la PAC. L'amendement me paraissait assez explicite. Je m'en remets pour ce sous-amendement à la sagesse de l'Assemblée.

M. François Guillaume - Je m'interroge aussi sur le sens du terme "rénovée". Il y a ou non préférence communautaire. Je ne vois pas qu'elle puisse être différente de celle que nous sommes en train de perdre progressivement. Je voterai donc ce sous-amendement à la condition que l'on retire le mot "rénové".

M. François Sauvadet - Ni l'amendement ni le sous-amendement ne sont anodins. Le groupe UDF s'était associé à l'amendement, regrettant l'absence de toute référence à la PAC et n'ayant pas voulu penser que cet oubli puisse traduire l'aveu d'une résignation à la renationalisation de la politique agricole. S'agissant de la référence à la préférence communautaire, il paraît sage de s'en tenir à la proposition de François Guillaume.

M. Michel Bouvard - Je propose donc de corriger le sous-amendement de M. Leyzour en y supprimant le mot "rénovée".

M. Félix Leyzour - J'en suis d'accord.

Le sous-amendement 845 corrigé, mis aux voix, est adopté.

L'amendement 59 corrigé, ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

M. Christian Jacob - L'amendement 287 tend à supprimer le deuxième alinéa du point I de l'article premier. Ce n'est pas l'Etat qui décide ou non de la pérennité d'une entreprise privée, mais bien ses résultats. Ce point n'a donc pas à figurer dans la loi.

M. le Rapporteur - Nous sommes d'accord : la survie d'une entreprise dépend d'abord du revenu qu'elle dégage. Mais l'un des objets mêmes de ce projet de loi est de créer les outils permettant d'accroître le revenu agricole et, donc, d'assurer la pérennité des exploitations. La commission a donc rejeté cet amendement.

M. le Ministre - Même avis.

L'amendement 287, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 60 de la commission souligne que l'installation des jeunes est une priorité en agriculture.

M. Jean Proriol - Mon amendement 640 est identique. Je remercie donc le rapporteur de m'avoir associé à l'amendement de la commission. La mention du mot "jeunes" me paraissait en effet indispensable.

M. le Ministre - Avis favorable aux deux amendements.

Les deux amendements 60 et 640, mis aux voix, sont adoptés.

M. Félix Leyzour - Notre amendement 829 précise que "le caractère familial doit aussi être préservé".

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Préserver le caractère familial des exploitations va de soi. Il n'est pas nécessaire d'alourdir le texte.

M. le Ministre - Je suis favorable à l'installation sous toutes ses formes, mais j'estime que cette précision n'est pas souhaitable.

M. François Guillaume - J'approuve cet amendement, mais je ne vois pas comment il s'insérerait dans le texte du projet. Il y a un problème de liaison.

M. Félix Leyzour - Pas du tout. Il faut lire que la politique agricole a pour objectifs "l'installation en agriculture, la pérennité des exploitations agricoles, leur transmission et le développement de l'emploi dans l'agriculture, dont le caractère familial doit aussi être préservé".

M. Jean Proriol - L'amendement de M. Leyzour exerce une certaine séduction sur nos bancs. L'agriculture familiale est reconnue dans notre pays. Le groupe DL votera cet amendement, étant entendu qu'il fait référence à la famille telle qu'elle est actuellement définie par notre législation... (Sourires)

L'amendement 829, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 61 de la commission vise à rappeler que la politique agricole doit s'appliquer "dans l'ensemble des régions françaises en fonction de leurs spécificités".

Nous préférons une agriculture accrochée au territoire à une agriculture hors-sol.

M. le Président - J'imagine que le mot "région" doit être entendu au sens large, ce qui inclut les DOM.

M. le Rapporteur - Bien sûr.

M. le Ministre - Le texte de cet amendement est redondant avec l'alinéa 10 : "La politique agricole prend en compte les situations spécifiques à chaque région, notamment aux zones de montagne, aux zones défavorisées et aux départements d'outre-mer, pour déterminer l'importance des moyens à mettre en oeuvre pour parvenir à ces objectifs". Je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée.

M. Christian Jacob - J'apporte mon soutien plein et entier au ministre. Je sais qu'il y est sensible (Sourires). Cet amendement serait en effet redondant, avec l'alinéa suivant et avec l'alinéa 10.

M. Jean-Michel Marchand - En fait, cet amendement porte spécialement sur l'emploi : en effet, les actions en faveur de l'emploi ne peuvent être identiques d'une région à une autre. Certaines ont besoin de développer l'emploi saisonnier à travers des groupements d'employeurs, d'autres préféreront des opérations différentes. Il n'y a donc pas redondance.

L'amendement 61, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - Adopté par l'ensemble des membres de la commission, l'amendement 62 corrigé vise à faire référence à l'amélioration du niveau de vie plutôt qu'à celle du seul revenu. Le nombre d'heures travaillées, par exemple, est une variable à prendre en compte.

M. le Ministre - Avis favorable.

M. François Sauvadet - Une fois n'est pas coutume, un amendement de l'opposition a été repris par le rapporteur. La notion de niveau de vie est plus large que celle de revenu. Elle nous conduit à nous interroger sur la parité des garanties sociales, au moment où le temps de travail salarié va être ramené à 35 heures...

L'amendement 62 corrigé, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - Je propose de modifier l'amendement 63 de la commission, de manière à substituer aux mots "la parité des garanties sociales avec les autres garanties sociales à contributions équivalentes" les mots "ainsi qu'un renforcement de la protection sociale des agriculteurs tendant à la parité avec le régime général, à contributions équivalentes".

M. le Président - Cet amendement devient donc l'amendement 63 corrigé.

M. le Ministre - Avis favorable.

M. Michel Bouvard - Tout comme l'enfer, ce projet sera pavé de bonnes intentions !

L'amendement 63 corrigé, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - La commission a jugé nécessaire la revalorisation des retraites agricoles. Le Gouvernement a engagé un effort substantiel et pluriannuel dans ce sens. Il s'agit d'ailleurs d'une demande formulée avec force par le monde agricole. Aussi faut-il inscrire cette revalorisation parmi les objectifs cités à l'article premier. Tel est le sens de l'amendement 64 de la commission et de l'amendement 544 identique, de M. Peiro.

M. Germinal Peiro - Le Gouvernement a en effet mis en place un programme pluriannuel de revalorisation, ce que tous nos collègues apprécient, quelle que soit leur sensibilité politique.

Comme il est de règle dans toutes les autres professions, les droits acquis seront calculés en fonction de la durée de l'activité.

M. Jean Proriol - Nous voterons ces amendements et regrettons, Monsieur le ministre, que la revalorisation des retraites n'ait pas figuré parmi les objectifs de la politique agricole dans votre projet initial.

M. le Ministre - Ces amendements prévoient la revalorisation progressive des pensions et une garantie de retraite minimale. J'en approuve le principe, mais je préfère le texte de l'amendement 577, déposé par les mêmes auteurs que l'amendement 544 et qui viendra en discussion tout à l'heure. J'apprécierais que ces amendements soient retirés au profit de l'amendement 577, qui vise à insérer un article additionnel après l'article premier.

M. Germinal Peiro - Ce n'est pas la même chose. L'amendement à l'article premier vise à poser le principe de la revalorisation, alors que l'amendement 577 dit simplement que le Gouvernement déposera avant le 31 mars 1999 un rapport décrivant catégorie par catégorie l'évolution qu'il compte imprimer aux retraites agricoles...

M. le Ministre - Je regrette de ne pas avoir été entendu, mais je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée.

Les amendements 64 et 544, mis aux voix, sont adoptés.

M. Jean-Michel Marchand - Notre amendement 730 ajoute aux dispositifs énumérés à cet article la prise en compte et l'amélioration des conditions d'élevage, de transport et d'abattage des animaux.

M. le Rapporteur - Votre rapporteur, qui a exercé quelques années comme vétérinaire, se soucie évidemment du bien-être des animaux, mais un tel ajout rendrait l'article premier confus et illisible. La commission a donc repoussé l'amendement.

M. le Ministre - La protection des animaux est un thème important qui fait l'objet d'un autre projet, lequel sera examiné en novembre au Sénat en seconde lecture.

M. Jean-Michel Marchand - Dans ces conditions, et sachant que le problème sera bientôt débattu, je retire l'amendement.

M. Christian Jacob - Mon amendement 288 tend à supprimer le quatrième alinéa du I de l'article. Est-il besoin en effet de préciser que les biens agricoles doivent satisfaire aux conditions de sécurité sanitaire ? C'est une évidence, sans quoi ils ne seraient pas mis sur le marché.

M. le Rapporteur - Compte tenu de ce qui s'est passé ces dernières années, il est important que la société prenne conscience que l'agriculture fournit des produits de qualité. Rejet, donc.

M. le Ministre - Je suis un peu surpris que M. Jacob propose de supprimer cet alinéa où il est question des débouchés de la production agricole. M. Jacob sait bien pourtant que l'un des objectifs de la politique agricole est de produire.

M. Christian Jacob - Cet alinéa ne fait qu'introduire un doute dans l'esprit du consommateur en sous-entendant qu'auparavant, les produits agricoles ne satisfaisaient pas aux conditions sanitaires.

M. le Rapporteur - C'est arrivé !

M. Christian Jacob - Alors, c'est que le ministre et ses services ne font pas bien leur travail !

L'amendement 288, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 65 de la commission ajoute les mots "de qualité", car cet impératif sous-tend tout le texte.

L'amendement 65, accepté par le Gouvernement et mis aux voix, est adopté.

M. le Président - Nous en arrivons à des amendements identiques -37, 228, 236 et 720- qui peuvent être mis en discussion commune avec les amendements 66, 545 et 507.

M. Christian Jacob - L'amendement 37, qui substitue au mot "industries" le mot "activités", a pour objet d'éviter que l'adaptation du secteur agricole se limite aux seuls besoins des industries agroalimentaires.

M. Michel Bouvard - Le 228 est défendu.

M. François Sauvadet - Le 236 et le 720 aussi.

M. le Rapporteur - La commission avait adopté l'amendement 66 mais lui préfère l'amendement 507 de M. Sauvadet.

M. François Sauvadet - Je m'en réjouis.

M. le Ministre - Le Gouvernement est favorable à l'excellent amendement de M. Sauvadet.

M. Jean Michel - Dans ces conditions, le 545 est retiré à son profit.

M. Christian Jacob - Tous les amendements sont retirés au profit de celui de l'excellent M. Sauvadet ! (Sourires)

L'amendement 507, mis aux voix, est adopté.

M. Félix Leyzour - L'amendement 67 complète le quatrième alinéa par les mots : "et contribuant à la sécurité alimentaire mondiale". Y contribuer, c'est venir en aide aux populations menacées par la famine mais aussi respecter les productions des pays en voie de développement pour leur permettre d'aller vers l'autosuffisance.

M. François Sauvadet - Je vote pour l'amendement de l'excellent M. Leyzour (Sourires).

L'amendement 67, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Jean Proriol - Par mon amendement 641, repris par l'amendement 68 de la commission, je propose d'ajouter, après le quatrième alinéa, l'alinéa suivant : "le renforcement de l'organisation économique des marchés, des producteurs et des filières". Une telle référence s'impose, à la veille de grandes négociations.

M. le Rapporteur - Favorable.

M. le Ministre - D'accord, mais je vous propose de le lier à l'alinéa 5, tout en satisfaisant l'amendement 13 de Rebillard. Cela donne la phrase suivante : "le renforcement de l'organisation économique des marchés, des producteurs et des filières, dans le souci d'une répartition équitable de la valorisation des produits alimentaires entre les agriculteurs et les entreprises de commercialisation."

M. le Rapporteur - D'accord.

M. Jean Proriol - D'accord.

Les amendements 641 et 68 corrigés, mis aux voix, sont adoptés.

M. le Rapporteur - L'amendement 69 de la commission évoque l'aide alimentaire et les pays en développement. Il a été adopté par la commission à l'initiative de M. Marchand qui a précisé que l'effort d'aide alimentaire ne devait pas porter préjudice aux agriculteurs et aux économies des pays aidés.

M. le Ministre - Avis favorable.

M. François Sauvadet - Nous partageons pleinement cette préoccupation.

L'amendement 69, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 70 corrigé a été adopté à l'unanimité par la commission. Il prend acte de la place acquise par notre pays sur le marché mondial et du fait que le maintien de cet effort à l'exportation conditionne le développement de bon nombre de nos productions. Tout le débat d'aujourd'hui montre que nous souhaitons exporter des produits de qualité, transformés à forte valeur ajoutée.

M. le Ministre - Avis favorable à cet amendement, à condition de le sous-amender en précisant "vers l'Europe et les marchés solvables".

M. le Rapporteur - Je suis favorable au sous-amendement.

M. François Sauvadet - Nous nous réjouissons que vous preniez en compte comme nous le souhaitions la vocation exportatrice de notre agriculture, et nous sommes favorables au sous-amendement.

M. Christian Jacob - Je partage l'opinion de M. Sauvadet. Je souhaite maintenant que nous cherchions à concrétiser cette importante déclaration d'intentions.

Le sous-amendement, mis aux voix, est adopté, de même que l'amendement 70 corrigé, ainsi modifié.

M. le Président - L'amendement 289 de M. Jacob tombe et l'amendement 13 présenté par M. Rebillard est satisfait par l'adoption de l'amendement 68.

M. Michel Bouvard - Mon amendement 828 vise à établir la préséance des intérêts économiques des exploitants agricoles sur les contraintes qui pourraient leur être imposées en application de certaines obligations environnementales se traduisant par un coût non supportable. Il s'agit d'expliciter, pour le secteur agricole, le sens du principe fondamental du droit de l'environnement d'équilibre entre coût et avantage. L'affirmation de ce principe dans la loi pourrait trouver une application immédiate concernant le retour du loup, dont le statut d'espèce protégée, interdit aux éleveurs de préserver leurs troupeaux en l'abattant en cas de menace directe.

Cet amendement est extrêmement important car si certains territoires peuvent être adaptés au retour de grands prédateurs, d'autres ne le sont pas compte tenu de l'organisation de leur exploitation agricole. C'est en particulier le cas des régions de montagne où l'élevage ovin est réalisé avec des troupeaux dispersés et donc peu surveillés.

Les limites des dispositifs de prévention rendent nécessaires un règlement définitif de ce problème conformément au rapport coût-inconvénients qui doit toujours être le facteur de choix déterminant.

M. le Rapporteur - Il y a une erreur dans la formulation. Il ne s'agit pas du cinquième, mais du septième alinéa. Cela dit, la commission a repoussé cet amendement, estimant qu'il alourdissait la rédaction.

M. Christian Jacob - Elle s'est trompée.

M. le Président - Il convient de réserver cet amendement qui se rapporte au septième alinéa alors que nous en sommes pour l'instant au cinquième.

L'amendement 828 est réservé.

M. François Sauvadet - Avec l'amendement 296 corrigé de M. François Guillaume, il s'agit de diversifier les productions de matières premières notamment en développant leur vocation énergétique. Le rapporteur a estimé que la notion de non-alimentaire pouvait couvrir cette vocation. Nous pensons que la diversification des sources d'énergie est devenue un impératif national et une exigence au niveau européen et mondial. La loi d'orientation agricole doit donc préciser la nécessité de créer de nouveaux débouchés pour l'agriculture à partir de la transformation de productions agricoles en produits énergétiques.

M. le Rapporteur - Les produits alimentaires et non alimentaires sont inclus dans la rédaction actuelle qui est plus concise. L'amendement a donc été repoussé par la commission.

M. le Ministre - Les valorisations non alimentaires offrent des débouchés intéressants dans le secteur de l'énergie mais aussi au-delà par exemple dans la chimie ou les lubrifiants. Ils n'ont toutefois pas encore fait preuve de leur rentabilité économique.

J'ai confié au PDG de Rhône-Poulenc une mission sur ce sujet. Son rapport sera disponible avant la fin de l'année.

L'amendement proposé est redondant avec l'alinéa 4. L'avis du Gouvernement est donc défavorable.

M. Christian Jacob - L'amendement 53 de M. Deprez est assez semblable au 296 corrigé.

Dans les paragraphes précédents, on a parlé de l'alimentaire, il est bon de mettre ici en avant l'énergétique. Beaucoup de progrès ont déjà été faits pour le carburant vert, on a réussi à incorporer jusqu'à 30 % de diester sans que cela pose aucun problème. On dit que ce n'est pas rentable : mais le minitel était-il rentable à l'origine ? Il faut aller vers une défiscalisation pour que les gens qui souhaitent investir ne soient pas suspendus chaque année à la décision budgétaire -d'autant plus que beaucoup de villes ont fait un effort. L'agriculture est seule capable de produire une énergie renouvelable : ayons le courage de rappeler sa vocation énergétique.

L'amendement 53, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - L'amendement 296 corrigé tombe.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce matin, mardi 6 octobre, à 10 heures 30.

La séance est levée à 2 heures 5.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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