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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 8ème jour de séance, 19ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 13 OCTOBRE 1998

PRÉSIDENCE DE M. Arthur PAECHT

vice-président

          SOMMAIRE :

LOI DE FINANCES POUR 1999 (suite) 1

    EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 7

    QUESTION PRÉALABLE 18

La séance est ouverte à vingt et une heures.


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LOI DE FINANCES POUR 1999 (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion générale du projet de loi de finances pour 1999.

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances - Je suis très impressionné par la qualité de mon auditoire...

M. Jacques Heuclin - A défaut de son nombre.

M. le Rapporteur général - Si au milieu de l'année dernière la France semblait en panne, les orientations retenues à partir de l'été 1997 auront permis une remise en mouvement. L'objectif, que d'aucuns jugeaient irréaliste, d'une croissance de 3 % en 1998 devrait être atteint, et même légèrement dépassé ; le "bouclage budgétaire" que les mêmes avaient jugé impossible a été réalisé sans imposer de sacrifices supplémentaires aux Français ; des marges ont été dégagées pour renforcer la stratégie de croissance et de solidarité que les Français ont appelée de leurs voeux au printemps 1997.

Cependant l'horizon international s'est obscurci. Aggravé par la brutalité des réactions des marchés financiers, symptôme des dérèglements inhérents à un capitalisme incontrôlée, l'enchaînement des crises -asiatique, japonaise, russe...- est un réel choc, que les économies européennes, en marche vers l'euro, doivent surmonter. Qu'on ne nous reproche pas de pratiquer la méthode Coué : le degré d'ouverture de la zone euro est d'environ 10 % ; son degré d'exposition aux pays émergents d'Asie et au Japon est inférieur à 2 % de son PIB ; vis-à-vis de la Russie et des pays de l'Est, il s'établit à 1,4 %. Nul doute que la représentation nationale tout entière soutient les orientations définies par le Premier ministre en vue d'un "nouveau Bretton Woods" pour mieux réguler le système financier international.

Les perspectives économiques de la zone euro restent favorables et, avec un projet de budget qui réinvestit judicieusement les fruits de la croissance retrouvée, notre pays peut -sauf tourmente mondiale- espérer tenir la prévision de croissance, prudemment révisée, de 2,7 % pour 1999, en concordance avec les plus récentes prévisions du FMI.

La croissance, d'abord alimentée par l'exportation, repose désormais sur la demande intérieure : la consommation bénéficie de la hausse du pouvoir d'achat et du retour de la confiance ; l'investissement est enfin reparti. Cette croissance autonome contribue à une certaine vigueur des importations, mais sans remettre en cause l'équilibre de nos échanges extérieurs.

L'inflation est contenue, et la perspective de l'euro a préservé l'Europe des turbulences financières, en lui permettant de bénéficier de taux d'intérêt historiquement bas. Enfin, la croissance a permis d'amorcer un redressement de l'emploi et un repli du taux de chômage, lesquels soutiennent la consommation et raffermissent la confiance des ménages.

Dans ce contexte, les hypothèses économiques associées à ce projet de loi de finances paraissent réalistes, comme le montrent les débats qui ont eu lieu il y a quelques jours au sein de la commission des comptes de la nation et que, pour satisfaire à une demande exprimée en commission des finances, j'ai relatés de manière détaillée dans mon rapport écrit. Les conjoncturistes avec une prévision moyenne de 2,5 % de croissance pour 1999, sont en phase avec le Gouvernement. Certes le niveau du dollar, qui a chuté de près de 10 % depuis deux mois, introduit un élément d'incertitude ; mais la poursuite de la baisse des taux d'intérêt peut conforter la croissance européenne.

Pour que nous restions sur le chemin de la croissance, les pouvoirs publics ne doivent pas rester inertes. Il faut maintenir les orientations définies pour préserver le ressort de l'investissement et faire bénéficier les entreprises des baisses d'impôts qu'autorise l'amélioration de nos finances, mener une politique sélective de la dépense publique, contribuant au soutien de la demande intérieure.

La croissance retrouvée a conduit à relever les prévisions de recettes pour 1998 de 26,7 milliards par rapport aux évaluations initiales, essentiellement en raison de meilleures rentrées de TVA. En 1999, on attend une hausse de 74 milliards des ressources nettes du budget général ; si l'on tient compte du changement du périmètre du budget de l'Etat l'augmentation s'établit à quelque 51 milliards. D'où le débat, lors de la préparation de ce budget, sur la répartition des fruits de la croissance.

Je voudrais, à cet égard, saluer les avancées constatées dans la méthode : plus grande transparence, meilleure association des parlementaires, plus grande anticipation dans les arbitrages. En annonçant à l'avance les trois axes de réforme de la fiscalité -patrimoine, fiscalité locale, écologie-, le Gouvernement aura permis à la commission des finances de présenter ses propositions avec le rapport de Mme Nicole Bricq sur la fiscalité écologique, celui de M. Edmond Hervé sur la fiscalité locale et celui que j'ai eu l'honneur de présenter sur la fiscalité du patrimoine.

Ce dialogue avec le Gouvernement aura permis la reprise de nombre d'idées émises par les parlementaires, dès le stade du projet de loi. Je souhaite, bien sûr, qu'il s'enrichisse encore cette semaine.

Quelles sont les orientations de ce projet de budget ?

Dans un contexte qui reste encourageant en dépit des incertitudes, le partage des fruits de la croissance fait l'objet d'arbitrages raisonnables : 16 milliards sont affectés au financement des priorités de la nation, avec une progression de 1 % en volume des dépenses, associée à un effort sans précédent de redéploiement ; 21 milliards sont consacrés à une nouvelle réduction du déficit budgétaire, permettant d'envisager, pour 1999, un besoin de financement des administrations publiques de 2,3 %, le budget de l'Etat devant atteindre, pour la première fois depuis 1991, l'équilibre primaire ; environ 16 milliards confortent le mouvement de décrue des prélèvements obligatoires, amorcé en 1998, dans le cadre d'un processus tendant à réorienter notre système fiscal vers l'emploi et la justice sociale.

L'évolution maîtrisée de la dépense participe des priorités politiques de la majorité plurielle, qui veut agir rapidement et puissamment pour l'emploi et la solidarité en poursuivant l'effort de soutien de la croissance. Les crédits de l'emploi augmentent de 6,1 milliards au profit des emplois-jeunes, de la réduction du temps de travail et de l'allégement du coût du travail pour les emplois non qualifiés. L'effort consacré à la lutte contre l'exclusion et au renforcement de la solidarité se traduit également par l'augmentation sensible des dotations allouées aux budgets de la santé, de la ville et du logement.

Le budget de l'environnement connaît une évolution à la mesure de la montée des préoccupations écologiques des Français.

Avec la création de 60 000 emplois d'aides-éducateurs dans l'enseignement scolaire et de 800 emplois dans l'enseignement supérieur, ainsi que la mise en place de moyens destinés à financer le plan social étudiant, l'école et l'université s'affirment aussi comme un lieu privilégié de la lutte contre l'exclusion.

L'Etat ne délaisse pas pour autant ses fonctions régaliennes. La priorité accordée à la justice en 1998 est confirmée en 1999, avec notamment la création de 930 emplois. Par ailleurs, les moyens de fonctionnement et d'investissement de la sécurité publique sont renforcés.

Enfin, l'effort d'investissement civil de l'Etat s'accroîtra de 2 % alors que les moyens de fonctionnement resteront stables.

Ainsi le projet de budget amplifie les orientations tracées l'an passé pour placer notre pays sur la voie d'une croissance plus durable pour une société plus juste et plus humaine. Ce dessein suppose une action forte sur les dépenses de l'Etat. Les efforts d'économie ne sont pas ménagés -près de 30 milliards-, les redéploiements de crédits portent sur des montants élevés, les actions prioritaires sont clairement identifiées et correctement financées. La dépense publique n'est plus subie, mais assumée.

L'opposition nous reproche d'utiliser une partie de nos moyens pour soutenir ainsi la croissance. Il y a là quelque inconséquence puisque les mêmes prédisent un affaiblissement de la croissance. Je n'ose croire qu'ils choisissent la politique du pire...

Il faut raison garder. L'évolution de la dépense est bien maîtrisée.

Depuis quinze ans, la commission des finances mesure les charges du budget de l'Etat par un agrégat différent de celui du Gouvernement puisque nous intégrons la somme des crédits du budget général, la charge nette des opérations temporaires et les crédits de dépenses définitives des comptes d'affectation spéciale. Compte tenu de la réduction prévue des cessions de titres publics, la progression des charges définitives de ces comptes est freinée. Marquant ainsi, pour une fois, une progression moindre que celle de l'agrégat du Gouvernement, le nôtre augmente d'un peu moins de 4 %, 1,51 % si l'on tient compte des 40 milliards de rebudgétisations. Compte tenu de la prévision d'inflation, le montant des charges de l'Etat est donc quasiment stabilisé.

Ce constat objectif relativise quelque peu les appréciations sur un prétendu dérapage, voire une explosion de la dépense publique. Les faits sont là : le budget est bien tenu.

D'ailleurs, les dernières statistiques de l'OCDE devraient quelque peu troubler les apôtres de la réduction systématique de la dépense publique. Aux commandes du pays de 1993 à 1997, ils ont réalisé des performances d'autant plus médiocres que leur discours était plus radical ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste).

Deuxième axe de ce projet : réduire le déficit. C'est un impératif social autant qu'économique. Le déficit nourrit, en effet, un endettement qui conduit à prélever sur les revenus d'activité pour servir des intérêts, c'est-à-dire à favoriser la rente, au détriment des entrepreneurs et des classes moyenne et populaire. Le poids du service de la dette dans le budget est d'ailleurs tel que la dette nourrit la dette, ce qui accroît la "viscosité" du budget. Par ailleurs, il convient, dans une conjoncture favorable, de dégager des marges pour faire face à un éventuel ralentissement économique, dans le respect de nos engagements européens.

Un effort considérable est réalisé : le déficit -236,6 milliards- est en recul de 21,3 milliards, ce qui le ramène à 2,7 % du PIB, le déficit de l'ensemble des administrations s'établissant à 2,3 % du PIB.

On mesurera les progrès accomplis depuis l'époque où le Premier ministre, M. Alain Juppé, qualifiait de calamiteux le budget de son prédécesseur et jugeait infaisable le budget 1998, doutant ainsi de la capacité de notre pays à se qualifier pour l'euro... Saluons l'objectivité de M. Juppé.

M. Philippe Auberger - C'est indigne d'un rapporteur général !

M. le Rapporteur général - Vous vous en êtes permis d'autres !

Pour la première fois depuis 1991, le solde primaire, c'est-à-dire hors charges de la dette, est équilibré. Le déficit des administrations publiques se rapproche du seuil qui permettra de stabiliser, avant de le réduire, le poids de la dette publique dans le PIB.

En 1999, en effet, le déficit stabilisant la dette serait de l'ordre de 2,1 % du PIB. L'écart avec le déficit effectif prévu de 2,3 % ne serait donc plus que de 0,2 point de PIB en 1999, au lieu de 0,5 en 1998, 1,2 en 1997 et 2,7 en 1996. Casser la dynamique de la dette n'est donc plus hors de portée. La charge a d'ailleurs été déjà contenue, puisqu'elle ne devrait progresser que de 1 %, contre 5,5 % en 1998.

Troisième orientation forte de ce budget : les baisses d'impôts.

La volonté de diminuer les prélèvements obligatoires trouve son origine dans le constat du poids excessif de notre fiscalité, même s'il faut aussi tenir compte du niveau des prestations collectives. L'effort est d'autant plus méritoire que, parallèlement, on recherche une nouvelle répartition des impôts, entre les prélèvements qui pèsent sur le travail et ceux qui pèsent sur le capital, et qu'on allège la charge fiscale des ménages les plus modestes.

La réforme dite Juppé, que nous avons abandonnée, ne bénéficiait qu'aux seuls contribuables imposables à l'impôt sur le revenu. Mais aujourd'hui la moitié des foyers fiscaux ne sont pas imposés. Or ils ont été lourdement pénalisés par la hausse des taxes et impôts indirects.

Selon une étude récente de l'INSEE, le prélèvement fiscal global apparaît modérément progressif. La nette progressivité -de 0 à 14 %- de l'impôt sur le revenu est en effet largement atténuée par l'effet dégressif des prélèvements assis sur la consommation, qui, à l'inverse, varient de 13 à 7 % au fur et à mesure que le revenu croît.

L'enquête révèle par ailleurs -ce n'est pas sans intérêt dans le cadre du débat sur la politique familiale- que si la présence d'enfants entraîne une consommation plus élevée, donc des prélèvements indirects plus importants, à partir de deux enfants, les effets du quotient familial sur l'impôt sur le revenu, font plus que compenser ce surcroît d'impôt sur la consommation. Mais cet effet ne s'exerce, par définition, que pour les ménages imposés et joue donc, malgré le plafonnement du quotient familial, d'autant plus fortement que les revenus du ménage sont élevés.

De là découle notre choix de privilégier la baisse de la TVA. L'exercice est difficile compte tenu de la part de cet impôt dans les recettes fiscales : 674 milliards de recettes nettes, soit 44 % des recettes fiscales et des contraintes communautaires. C'est pourquoi nous avons préféré des baisses ciblées de TVA.

Après les mesures importantes décidées en 1997, d'autres, significatives, sont aujourd'hui proposées par le Gouvernement. Nous souhaitons cependant aller plus loin et tirer parti des ouvertures faites récemment par la Commission européenne.

MM. Alain Barrau et René Mangin - Très bien !

M. le Rapporteur général - Le Conseil européen extraordinaire de Luxembourg sur l'emploi, des 20 et 21 novembre 1997, a, en effet, engagé, à l'initiative de la France, une démarche qui place la lutte contre le chômage au coeur des priorités européennes. Cette volonté des Etats membres a conduit la Commission à envisager "de permettre, à titre expérimental, un taux réduit de TVA, au lieu du taux normal, à la prestation de certains services considérés comme étant à forte intensité de main-d'oeuvre". Ses propositions concernent notamment les services à domicile et la rénovation et la réparation de logements.

Le Gouvernement a essentiellement défendu l'idée d'une baisse de la TVA sur les services à la personne. Ce choix n'est, semble-t-il, pas le plus opportun car la portée du dispositif est très limitée et il risque de jouer au détriment d'une offre associative qui remplit parfaitement sa fonction.

Votre commission des finances a donc préféré proposer l'application du taux réduit de TVA aux travaux d'amélioration et d'entretien dans le bâtiment. Nous pensons que ce dossier doit être défendu, de manière prioritaire, par le gouvernement français, au niveau communautaire.

M. Alain Barrau - Très bien !

M. le Rapporteur général - L'obtention d'une autorisation formelle permettra, sous réserve des marges budgétaires disponibles, de mettre en oeuvre cette mesure apte à soutenir fortement l'activité intérieure.

Nous souhaitons également, malgré la réponse plus fermée du commissaire européen, Mario Monti, que le dossier de la restauration soit rouvert.

Dans l'attente de décisions que pourrait prendre le Conseil, nous proposons de doubler, à compter du 15 octobre 1998, les seuils applicables au crédit d'impôt pour les travaux d'entretien, de porter son taux de 15 à 20 % et son plafond de 10 à 20 000 F. C'est, en année pleine, une aide supplémentaire de 2 milliards pour l'ensemble des ménages, le dispositif touchant les foyers non imposables. La réduction de dépenses pour les ménages est ainsi portée à 3,4 milliards. Je me réjouis que cette disposition ait reçu l'approbation du Gouvernement.

Mais nous consacrerons sans doute de longues heures à ces dossiers fiscaux à l'occasion de l'examen des articles et des centaines d'amendements déposés. Je saluerai donc simplement l'effort de solidarité que traduisent les articles qui permettront de porter à près de 15 milliards le produit de l'ISF. Je salue également les mesures proposées au titre de la fiscalité écologique, le rééquilibrage de la fiscalité des carburants s'effectuant dans un contexte de modération fiscale : pour la première fois depuis vingt ans, les taxes sur le super sans plomb n'augmentent pas.

Un mot de l'article 24, qui traite de la fiscalité de l'assurance vie et qui vise à lutter contre l'évasion fiscale résultant du dispositif actuel. Des correctifs sont nécessaires, afin de respecter un principe d'égalité lors de la transmission des patrimoines. Le dispositif proposé posant toutefois des problèmes techniques et juridiques, notamment quant à l'égalité entre les contribuables, la commission l'a rejeté, dans l'attente de l'élaboration, en collaboration avec le Gouvernement, d'un dispositif mieux adapté à l'objectif poursuivi : rendre plus juste la fiscalité applicable lors de la transmission du patrimoine. J'ai préparé une proposition en ce sens.

Nous aurons sans doute à débattre longuement de la réforme de la taxe professionnelle, à nos yeux une bonne réforme. Il y aura cependant lieu de suivre pas à pas ses effets sur les entreprises et sur les finances locales, ce qui justifie que notre commission ait demandé qu'un rapport soit préparé dès septembre 1999.

Nous avons prêté une attention particulière à l'article 40, qui propose un nouveau contrat de croissance et de solidarité de trois ans avec les collectivités locales. Un dialogue est engagé avec le Gouvernement et nous espérons donc bien parvenir sur ce point à un meilleur équilibre.

Installer la croissance dans la durée, tel est l'objectif premier de ce budget : il vise, d'abord, à stimuler une croissance solidaire par une progression maîtrisée de la dépense publique, ensuite, à préserver à terme la possibilité de mener une politique plus efficace de la dépense publique, enfin, à favoriser le dynamisme de l'économie.

Ni laxiste, ni rigoriste, cette démarche équilibrée rompt avec les erreurs d'un passé récent et nous permettra de tenir le cap du projet collectif qui a fait renaître la confiance dans notre pays : la croissance, l'emploi, la justice sociale, la modernisation de la société, la préparation de l'avenir.

La commission vous invite donc à adopter ce projet de budget, sous réserve de l'adoption de ses amendements (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances - Au moment où s'engage la discussion, il me semble instructif d'observer le chemin parcouru depuis un an. Malgré les prévisions alarmistes et les mises en garde de l'opposition, force est de constater que la France va mieux.

Notre économie va connaître en 1998 une croissance exceptionnelle, avec une inflation totalement maîtrisée et une reprise de l'investissement. Et surtout, près de 300 000 emplois auront été créés. Certes, compte tenu de la hausse de la population active, le chômage ne baisse pas d'autant, mais tout indique que nous devons persister dans la voie que la nouvelle majorité s'est fixée.

Notre politique est efficace car elle mise sur les forces vives du pays : ceux qui travaillent et innovent. En d'autres termes, nous avons choisi le travail plutôt que la rente. Cette orientation s'est traduite concrètement dès cette année puisque la loi de finances pour 1998 a permis de transférer près de 20 milliards du capital vers le travail. Ce choix, aux antipodes de ceux des gouvernements de droite, a été non seulement juste mais aussi efficace, et nous avons prouvé que réduire la fracture sociale enclenchait une sorte de cercle vertueux. La situation des finances publiques s'est améliorée aussi grâce aux prélèvements effectués sur les grandes entreprises, lesquelles n'ont pas été pour autant pénalisées, à en juger par les profits annoncés.

Au moment où le Gouvernement propose à notre assemblée de poursuivre cette politique, je souhaite que nous ayons tous à l'esprit ces résultats.

Il est vrai que le contexte international n'est pas aussi bon que celui de l'an dernier. Mais, là encore, il me semble que c'est le libéralisme qui est en cause : la myopie des marchés financiers et la libéralisation trop rapide d'économies encore fragiles sont pour une bonne part responsables de la crise. Les grands dirigeants de ce monde semblent en prendre conscience. Malheureusement, il est à craindre que les populations soient conviées à payer au prix fort la frénésie des spéculateurs qui jouent quotidiennement avec les milliards.

Face à cette situation, les gouvernements doivent inventer une nouvelle voie qui réhabilite l'Etat et faire le pari de l'économie réelle contre l'économie virtuelle. Les propositions du gouvernement français vont dans ce sens. Heureusement pour nous, l'Europe semble en grande partie préservée, ce qui n'est peut-être pas sans lien avec le fait que la grande majorité des pays du vieux continent soient dirigés par des gouvernements de gauche.

Compte tenu de l'environnement international, les pays européens, en particulier ceux de la zone euro, doivent coordonner leurs politiques budgétaires en vue de soutenir la demande intérieure et de dynamiser la croissance et l'investissement. La commission des finances a travaillé dans cet esprit et se félicite d'avoir orienté les choix gouvernementaux. Le rapport d'information de Nicole Bricq sur la fiscalité écologique et celui de Didier Migaud sur la fiscalité du patrimoine trouvent dans cette loi de finances une traduction concrète et rapide. J'espère qu'il en sera de même très prochainement de l'excellent travail effectué par Edmond Hervé sur la fiscalité locale. D'une manière générale, je souhaite que cet effort de collaboration se poursuive et que le Gouvernement continue d'être toujours attentif à nos travaux.

Le projet de loi de finances pour 1999 concilie trois priorités : le soutien de l'Etat à l'activité par une hausse modérée des dépenses, la réduction des déficits publics et la baisse de la fiscalité.

Les dépenses n'augmentent en effet que de 0,2 % par rapport à l'inflation. En matière de maîtrise des dépenses, nous faisons donc beaucoup mieux que la droite pendant ses quatre années de pouvoir. Nos collègues de l'opposition devraient s'en souvenir (Murmures sur les bancs du groupe UDF).

Cependant, l'action de l'Etat est indispensable et doit être vigoureuse quand le pays est confronté à une situation de chômage de masse et de déstructuration de son tissu social et urbain. Ne faut-il pas intensifier l'effort du pays dans le domaine de l'éducation, de la recherche, des transports, de l'équipement ? ("Si !" sur les bancs du groupe socialiste)

L'Etat ne doit-il pas agir en faveur des exclus ? (Mêmes mouvements)

Serait-il concevable de réduire les moyens affectés à la sécurité ? ("Non !" sur les bancs du groupe socialiste) Faut-il remettre en cause les dizaines de milliards d'exonération de charges sur les bas salaires ? (Mêmes mouvements) L'Etat doit-il revenir sur la hausse des concours aux collectivités locales ? (Mêmes mouvements) Hausse que, pour ma part, je juge encore insuffisante...

La dépense publique, parce qu'elle prépare le futur, et résorbe la fracture sociale, doit être défendue avec fermeté. Il est par ailleurs normal que les fonctionnaires, qui assurent le fonctionnement de nos services publics, soient en nombre suffisant et bénéficient d'une progression de pouvoir d'achat, car l'Etat ne doit pas s'exonérer de ses obligations d'employeur.

M. Philippe Auberger - Surtout parce qu'ils sont votre clientèle (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président de la commission des finances - Mais cela ne nous dispense pas de chercher à réduire le déficit budgétaire afin de ne pas reporter sur les générations futures le poids de la dette. Lourde est à cet égard la responsabilité des gouvernements Balladur et Juppé ! Quelle charge ils ont léguée à l'ensemble de la nation !

M. Lucien Degauchy - On verra bientôt ce que vous laisserez !

M. le Président de la commission des finances - La réduction du déficit sera donc poursuivie à un rythme soutenu, mais sans pour autant aller trop vite : lorsque l'épargne des ménages et des entreprises est excédentaire, le déficit et la dette de l'Etat permettent de recycler dans le circuit économique ces excédents improductifs. Mieux vaut que l'épargne des entreprises serve à construire des écoles et des hôpitaux qu'à nourrir la spéculation sur les marchés mondiaux.

Enfin, ce budget tient les promesses que nous avions faites concernant la baisse des impôts, en commençant par les impôts indirects, afin que tous les ménages en bénéficient, en particulier ceux qui ont été sacrifiés par les gouvernements précédents, plutôt que par l'impôt sur le revenu, qui ne concerne qu'un ménage sur deux et dont la progressivité a été trop fortement réduite.

M. François Bayrou - Avez-vous vu ce que font les Allemands ?

M. le Président de la commission des finances - Cette baisse des impôts indirects, qui est plébiscitée par nos concitoyens, favorisera en priorité les plus modestes et les plus jeunes. J'ajoute que pour la première fois depuis bien longtemps, la TIPP sur l'essence sans plomb ne sera pas réévaluée. Il me semble possible d'aller plus loin dans cette direction en baissant la TVA sur la rénovation des bâtiments et en uniformisant les taux de la restauration. Nous ferons des propositions en ce sens.

La répartition des marges budgétaires entre dépenses publiques, baisse de la fiscalité et réduction des déficits n'est pas le fruit d'une arithmétique simpliste mais traduit bien une orientation politique claire : répondre aux difficultés du présent et préparer l'avenir.

En effet, cette loi de finances engage des réformes structurelles importantes. La suppression programmée de la part salariale de la taxe professionnelle rompra le cercle vicieux qui voulait que l'on surtaxe l'entreprise qui embauche. Cette réforme a toujours été réclamée sur tous les bancs et je suis fier que ce gouvernement ait le courage de l'engager. Les réserves que nous avions pu formuler à son sujet n'avaient évidemment pas pour objet de remettre en cause la réforme elle-même mais étaient motivées par le comportement des unions professionnelles, qui cherchent à détourner la loi sur la réduction du temps de travail, et par la crainte que la compensation aux collectivités locales ne se fasse pas de manière complète et pérenne. C'est pourquoi la commission a souhaité qu'un rapport d'étape nous permette d'évaluer au bout d'un an les effets de la réforme sur l'emploi et la façon dont s'effectue la compensation aux collectivités locales.

Nos collectivités territoriales assurent plus de 70 % de l'investissement public, et leurs missions économiques et sociales s'élargissent sans cesse. Je salue la volonté du Gouvernement de transformer le pacte de stabilité, qui est en réalité un pacte de régression (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), en pacte de solidarité et de croissance, mais je crois aussi que cette croissance doit être encore accentuée si nous voulons que les communes en difficulté ne soient pas pénalisées.

Ce budget, en résumé, traduit bien les engagements que nous avons pris : davantage de solidarité et de justice sociale, moins d'impôts sur les plus pauvres, et priorité à l'emploi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - En application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement, M. Douste-Blazy et les membres du groupe UDF soulèvent l'exception d'irrecevabilité.

M. Jean-Jacques Jegou - Bien que le ministre ait laissé entendre, en répondant aux questions que nous ne lui avons pas encore posées, qu'il était inutile que nous montions à la tribune, je m'efforcerai de montrer que la politique du Gouvernement n'est pas si vertueuse que celui-ci veut bien le dire (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Je me permettrai de l'alerter au passage, non sans malice, sur la nécessité de mobiliser les troupes de sa majorité plurielle afin d'éviter les fâcheux déboires qu'il a connus vendredi dernier (Rires sur les bancs UDF, RPR et DL) -mais je n'espère pas, rassurez-vous, avoir la même chance que mon collègue et ami Jean-François Mattei... ("Ah !" sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Louis Idiart - Question de talent...

M. Jean-Jacques Jegou - Au-delà des arguments d'ordre constitutionnel que je développerai tout à l'heure, ce projet de budget, loin de répondre aux impératifs du moment, dénote un laxisme coupable, un manque d'ambition, en un mot un retour aux errements des années 1988-1990. Je voudrais lire, à propos de laxisme, de courts extraits d'une lettre adressée par un ministre de l'économie au chef de l'Etat : "Point d'emprunt, parce que tout emprunt diminue toujours le revenu libre et nécessite au bout de quelque temps ou la banqueroute ou l'augmentation des impositions (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Il faut, en temps de paix, ne se permettre d'emprunter que pour liquider les dettes anciennes ou pour rembourser d'autres emprunts fait à un denier plus onéreux. Pour remplir ces trois points, il n'y a qu'un moyen : c'est de réduire la dépense au-dessous de la recette." (Mêmes mouvements)

M. le président de la commission des finances - Vous auriez dû le dire à Balladur !

M. Jean-Jacques Jegou - "Sur quoi retrancher ? Chaque ordonnateur dans sa partie soutiendra que presque toutes les dépenses particulières sont indispensables. Il peut dire de fort bonnes raisons, mais il faut que toutes ces raisons cèdent à la nécessité absolue de l'économie. On peut espérer de parvenir, par une répartition plus équitable des impositions, à soulager sensiblement le peuple, sans diminuer beaucoup les revenus publics, mais si l'économie n'a pas précédé, aucune réforme n'est possible." Cette lettre a été écrite le 24 août 1774 par Turgot à Louis XVI (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste), et son texte figurait en 1991 sur les cartes de voeux de Michel Charasse, alors ministre du budget, qui y adjoignait même l'engagement de ne pas ménager ses "efforts pour s'inspirer de ces conseils, plus que jamais nécessaires à l'intérêt national"... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Comme chaque année, j'ai lu avec attention le rapport économique, social et financier adressé au Parlement par le Gouvernement lui-même Il n'est pas exempt, sans doute est-ce là la loi du genre, d'une certaine mauvaise foi, mais n'en est pas moins un document de travail intéressant, comportant, qui plus est, des recommandations fort bien venues, auxquelles le Gouvernement tourne malheureusement le dos.

Page 16 : "Conserver un solde structurel équilibré, c'est faire en sorte que les surcroîts de recettes apparues en périodes de vaches grasses soient bien mis en réserve en prévision des périodes ultérieures de creux de cycle". Page 19 : "Nous n'avons pas aujourd'hui un déficit structurel suffisamment proche de l'équilibre pour disposer des marges de manoeuvre suffisantes en cas de retournement de conjoncture." Page 18 : "C'est fréquemment en période de bonne conjoncture que les Etats peuvent commettre des erreurs de politique budgétaire, par exemple en surestimant le potentiel de croissance de l'économie." Page 20, enfin : "Inverser la tendance du ratio de la dette, retrouver les marges de manoeuvre budgétaire, cela conduit à gérer nos finances publiques en mettant l'accent sur un objectif de dépense. Dans la phase actuelle, cela suppose d'affecter d'éventuelles rentrées d'impôts et de cotisations supplémentaires à la réduction du déficit et à la baisse des prélèvements obligatoires, plutôt qu'à l'accroissement des dépenses."

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - C'est ce que nous faisons !

M. Jean-Jacques Jegou - En période de croissance, la seule voie qui puisse préserver nos concitoyens du retournement de conjoncture est celle de la baisse des impôts, de la baisse du déficit et de la baisse des dépenses.

M. le président de la commission des finances - Vous n'avez guère donné l'exemple !

M. Jean-Jacques Jegou - Un mot sur le cadrage budgétaire. A l'initiative du précédent gouvernement, un débat d'orientation budgétaire a été organisé pour la première fois au printemps 1996 pour éclairer le Parlement sur les choix du Gouvernement. Je me félicite que l'actuelle majorité en ait conservé le principe, et ait même présenté, en juillet, ses grandes orientations pour 1999 en matière de finances publiques.

Force est de constater que, depuis six mois, la position du Gouvernement n'a pas varié. Ce serait, si le monde n'avait pas changé non plus entre-temps, un signe de volonté politique ; dans le cas contraire, c'est une marque d'aveuglement, voire d'irresponsabilité. Or la conjoncture économique mondiale s'est fortement dégradée depuis juin, sous l'effet des crises asiatique, russe et latino-américaine. Depuis, le Gouvernement n'a pourtant révisé sa prévision de croissance que d'un dixième de point à la baisse, et a même révisé à la hausse, dans les mêmes proportions, sa prévision d'inflation et, parallèlement, de dépenses !

Il est vrai qu'un ministre de l'économie doit rassurer les agents économiques et les marchés, et que l'annonce d'une prévision plus basse aurait sans doute eu des répercussions négatives sur l'économie. Il est vrai aussi que le Parlement, et encore moins l'opposition, ne dispose d'aucun moyen d'établir ses propres prévisions. On aura beau organiser tous les débats d'orientation que l'on veut et adresser à tous les députés tous les documents de la terre, le Parlement demeurera à la merci de l'administration tant qu'il ne disposera pas d'un outil indépendant d'expertise, de prévision et de simulation. Sans doute les auteurs de la Constitution ont-ils voulu rompre avec les dérives parlementaristes de la IVe République, mais cette soumission du législatif à l'exécutif n'est plus supportable.

M. François Bayrou - Très bien !

M. Jean-Jacques Jegou - J'en viens aux prévisions de croissance elles-mêmes. Nous souhaitons naturellement qu'elles se réalisent, mais beaucoup de spécialistes les jugent trop optimistes, et nous nous rappelons le destin du projet de loi de finances pour 1993. Le gouvernement socialiste de l'époque l'avait fondé sur une hypothèse de croissance de 2,2 %, mais il y eut, en fait, récession de 1,3 %, si bien que le déficit, censément limité à 165 milliards, frôla, en exécution, les 350 milliards, plombant toutes les marges de manoeuvre budgétaires pour les années suivantes, et toute l'action des gouvernements d'Edouard Balladur et d'Alain Juppé a consisté à les restaurer ; ce sont elles que vous avez trouvées en revenant aux affaires en 1997 (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Une seule mauvaise prévision, et l'on peut mettre trois ans à remonter la pente ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe RPR et du groupe DL)

Plus que jamais, il faut assainir les finances publiques : c'est la contrepartie de la construction européenne. L'arme monétaire va être transférée à la Banque centrale européenne. Dans l'intérêt des pays membres de la zone euro, il convient d'harmoniser les politiques budgétaires nationales : c'est tout l'intérêt des critères de convergence et du pacte de stabilité.

M. Jean-Claude Lefort - Ah !

M. Jean-Jacques Jegou - La France est malheureusement le mauvais élève, dans la classe de l'euro 11. Comme l'a déclaré le président de la Banque centrale européenne, "les dividendes de la croissance cyclique doivent être utilisés à réduire le niveau des déficits et des dettes." Notre déficit est déjà de 3 % du PIB en 1998, alors que celui de l'Allemagne se situe à 2,3 % et celui de l'Italie à 2,6 %. En 1999, même si nous atteignons l'objectif des 2,3 % fixé par le Gouvernement, nous resterons les derniers : l'Allemagne sera à 2,2 %, l'Italie à 2 %, l'Espagne à 1,9 % et les Pays-Bas à 1,2 %. Je ne dis rien de la Finlande, du Luxembourg ou de l'Irlande, qui sont en excédent...

M. Jean-Pierre Brard - Et Andorre ?

M. Jean-Jacques Jegou - Vous connaissez mal l'Euroland, mais cela ne m'étonne guère.

Malgré toutes ces contraintes, Monsieur le ministre, vous n'avez pas réduit le déficit et vous aggravez les dépenses.

Sur le papier, le taux des prélèvements obligatoires devrait se stabiliser en 1999.

M. le Rapporteur général - Il va baisser.

M. Jean-Jacques Jegou - Mais le rapport économique, social et financier nous montre que l'ensemble des mesures fiscales prises depuis votre arrivée au pouvoir se traduit par un alourdissement des charges pesant sur les ménages et les entreprises : 17 milliards pour les premiers et 59 milliards pour les secondes. Comment ne pas évoquer la baisse du plafond du quotient familial ou l'augmentation de l'impôt sur les sociétés ?

Ce gouvernement pratique la "torture espagnole" : après avoir étranglé bien fort sa victime, il relâche un peu la pression et lui demande si ce relâchement ne lui fait pas du bien.

M. Jean-Pierre Brard - C'est l'Inquisition !

M. Jean-Jacques Jegou - Ainsi, le coût pour les ménages des réformes engagées par le Gouvernement, qui s'élevait à 11,6 milliards en 1998, ne sera plus que de 5,15 milliards.

De même, les entreprises ont été ponctionnées de 19,5 milliards en 1997, de 29,8 milliards l'année suivante et le seront de 9,5 milliards en 1999. La pression fiscale aura donc diminué de 20 milliards en un an, mais elle s'est accrue de 10 milliards entre 1997 et 1998.

S'agissant des recettes, on nous annonce une grande réforme de la taxe professionnelle, qui remet en cause le principe même de la libre administration des collectivités locales. L'Etat étend son influence sur elles en supprimant la part salariale de l'assiette -vieille lune des fonctionnaires de Bercy.

En tant que chef d'entreprise, je ne peux me plaindre. Tout allégement, même aussi minime, est bon à prendre, d'autant que les 35 heures vont coûter très cher aux entreprises.

Vous prétendez créer 2 500 emplois en 1999 et 100 000 à terme avec cette réforme de la taxe professionnelle. Mais les entreprises attendent un tout autre signal pour embaucher : la baisse des charges, dont reparlera M. Méhaignerie.

M. Gérard Fuchs - On a vu ce que cela donnait !

M. Jean-Jacques Jegou - Le Conseil des impôts, dans son quinzième rapport, a d'ailleurs souligné que le montant de la TP n'a qu'une faible influence sur les décisions des entreprises. Vous vous trompez donc de cible. En outre, c'est surtout la part en capital qui est surtaxée.

Cette réforme, qui coûtera 11,8 milliards selon vous et 7,2 milliards selon nos estimations, n'aura qu'un effet mineur sur l'emploi : le gain des entreprises sera trop faible, d'autant que l'Etat va se rattraper par ailleurs...

En outre, cette réforme est injuste. Elle favorisera les entreprises de services à faible densité capitalistique, et non les entreprises industrielles, pourtant exposées à la concurrence internationale.

Enfin, vous financez cette réforme d'une manière pour le moins incongrue : par l'augmentation de 0,35 à 1,5 % de la cotisation minimale...

M. le Président de la commission des finances - C'est vous qui l'avez créée.

M. Jean-Jacques Jegou - En outre, la cotisation de péréquation va augmenter de 500 millions. Vous n'avez pas oublié la réduction pour embauche et investissement : 1,8 milliard en 1999.

Certains ont crié au loup...

Plusieurs députés socialistes et communistes - Hou ! Hou ! Jegou !

M. Jean-Jacques Jegou - Les communistes ont parlé d'un cadeau aux entreprises. Mais il est payé par les entreprises elles-mêmes. Le cynisme du Gouvernement est sans borne.

J'ai dit que cette réforme, qui sera inefficace, va porter atteinte à la libre administration des collectivités locales (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Il s'agit pourtant d'un principe constitutionnel. Et qu'on ne nous parle pas des Pays-Bas ou du cas britannique, dans lequel les collectivités sont financées à 80 % par l'Etat. Telle n'est pas la tradition française.

L'article 34 de la Constitution confie au législateur le soin de déterminer "les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales" et l'article 72, alinéa 2, dispose que "les collectivités locales s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi".

Plusieurs députés socialistes - Eh bien !

M. Jean-Jacques Jegou - Administrer librement, c'est avant tout jouir d'une réelle indépendance financière.

M. le Président de la commission des finances - Cela, ce n'est pas dans la Constitution.

M. Jean-Jacques Jegou - Que cherche à faire le Gouvernement à travers cette réforme ? A ôter une ressource propre aux collectivités pour les subventionner, à déresponsabiliser les élus locaux !

La part des ressources propres dans le financement des collectivités territoriales va passe de 51,4 à 46 %. L'Etat, qui acquitte déjà 38 % de la taxe professionnelle, va verser 55 % de son produit. On passe de l'autonomie à l'assistance respiratoire.

M. Pierre Bourguignon - L'image est osée.

M. Jean-Jacques Jegou - Enfin, le taux de subventionnement de l'Etat aux collectivités locales passera de 30 à 36 %.

Le comité des finances locales était opposé à cette réforme, qui place les collectivités sous tutelle. Mais comme d'habitude, vous n'écoutez que vous.

C'est une étatisation galopante qui nous menace (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Un maire pourra dire à ses administrés, si les impôts locaux augmentent, d'écrire au Premier ministre : lui ne sera plus responsable.

La compensation prévue ne compensera pas tout. Aussi les communes devront-elles augmenter leurs taux d'imposition.

Les collectivités au moins ne votent pas des budgets en déséquilibre ! Quant à l'équilibre des finances locales, il risque d'être mis à rude épreuve. La compensation n'est que partielle : les collectivités ne s'y retrouveront pas, et vous le savez.

Une compensation indexée sur l'enveloppe normée, avec qui plus est, une référence unique à l'année en cours, c'est insuffisant. Il faudra bien que les collectivités conservent malgré tout, leur équilibre financier. Monsieur le ministre, elles aussi subissent la crise. Comment feront-elles ? Elles augmenteront les taxes locales et ce seront bien au final, l'entreprise et le contribuable qui paieront.

D'autres mesures alourdissent encore les charges des collectivités : les mesures relatives à la fonction publique territoriale, que l'Etat décide unilatéralement, et qui sont totalement à la charge des collectivités. Mais de tout cela, le Gouvernement n'en a que faire.

Pour préserver l'emploi, il suffirait de baisser les charges, en particulier sur les bas salaires. Seule, une telle mesure nous rendra compétitifs au sein de l'Euroland.

Pierre Méhaignerie, qui nous a présenté une simulation faite par notre collègue sénateur Yves Fréville, a démontré les risques de perversité de votre réforme.

Ce n'est enfin pas la réforme qu'il fallait faire pour redonner du souffle aux collectivités, sur lesquelles l'Etat se décharge toujours plus, sans jamais prendre les mesures propres à compenser les transferts effectués.

Pourtant il y a une chose que l'on ne peut reprocher à ce gouvernement ("Ah !" sur les bancs du groupe socialiste) : il n'hésite pas à revenir, d'une année sur l'autre, sur ses propres réformes. Comme le dit avec humour notre rapporteur, "c'est la réforme de la réforme".

Parlons de la famille.

Pour ceux qui en doutaient encore, c'est bien une politique fiscale de gauche que vous nous imposez encore une fois (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Depuis quelque temps, vous avez peur de ne plus être de gauche. Votre politique fiscale, qui ne diminue pas le taux de prélèvement obligatoire, est partiale, injuste, sans vision d'avenir.

L'an passé, vous mettiez les allocations familiales sous conditions de ressources.

M. Jean-Pierre Brard - Excellente mesure !

M. Jean-Jacques Jegou - Cette année, elles bénéficieront à nouveau à toutes les familles et nous vous en félicitons.

Mais vous oubliez les familles qui n'ont qu'un enfant.

M. François Hollande - Elles n'ont qu'à en faire d'autres. (Sourires)

M. Jean-Jacques Jegou - Je sais que vous êtes un spécialiste ! (Rires)

Ce sont surtout les jeunes foyers qui ont précisément le plus besoin d'aide. Or vous augmentez leur charge fiscale.

Une fois de plus, vous commencez par serrer très fort, puis, l'année d'après, vous desserrez, mais on reste étranglé.

M. Jean-Pierre Brard - C'est une obsession !

M. Jean-Jacques Jegou - En baissant le plafond du quotient familial de presque un tiers, et ce pour toutes les familles, vous contredisez toute notre politique familiale depuis 50 ans. Nous ne pouvons accepter non plus votre raisonnement selon lequel l'un compensera bien l'autre puisque cette mesure nouvelle rapportera à l'Etat pas moins de 3,9 milliards.

De plus, comme le souligne lui-même le rapporteur général, le quotient familial n'est pas seulement "un instrument de la politique familiale... mais également un élément de la politique sociale en faveur de plusieurs catégories de personnes peu favorisées". Alors, qu'en est-il de ces catégories ? Où est passé votre sens de la justice sociale ?

En fait, ce sont entre 530 000 et 670 000 familles qui verront leur impôt augmenter de 6 200 F par an en moyenne, alors que la mise sous conditions de ressources des allocations familiales n'avait touché "que" 386 000 familles, et beaucoup plus légèrement. Certes, quelque 225 000 foyers seront bénéficiaires, mais c'est bien peu comparé à ceux qui paieront plus.

Mais le plus inacceptable, c'est le tri que vous opérez entre les familles. C'est le retour à une idéologie sectaire, avec des relents de lutte des classes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste), surannée, que l'on doit certainement à vos amis communistes, majorité plurielle oblige. Mes amis du groupe UDF pensaient sincèrement que vous aviez fini par dépasser ce stade (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Comment expliquerez-vous aux parents qui n'ont qu'un enfant que leur impôt augmente, alors qu'ils ne perçoivent aucune allocation de la part de l'Etat et à ceux qui aident leurs enfants devenus de jeunes adultes mariés, que l'Etat les incite à les laisser se débrouiller seuls ?

Vous savez fort bien qu'il ne s'agit pas que des familles aisées

M. Jean-Pierre Brard - Des exemples !

M. Jean-Jacques Jegou - Voilà donc encore une réforme injuste et qui méconnaît vos promesses aux Français lors de la dernière campagne. Loin de baisser les impôts, vous aggravez l'inégalité des Français devant la fiscalité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Serge Janquin - Quid des vertus redistributives de l'impôt ?

M. Jean-Jacques Jegou - Mais il y a plus fort encore, et j'aborde un sujet qui, à lui seul, justifie cette exception d'irrecevabilité.

Vous recréez, dans ce budget, une nouvelle catégorie de contribuables : celle, très particulière, qui pourra bénéficier d'une allocation pour frais d'emploi. Je veux bien sûr, parler des journalistes, mais aussi des rédacteurs, photographes, directeurs de journaux et critiques dramatiques et musicaux, qui ont la chance de figurer dans le même article du CGI que les heureux bénéficiaires de ce privilège.

Bien que j'imagine les raisons qui vous poussent à vouloir nous faire adopter une telle mesure, je ne vois pas comment on peut justifier qu'un ouvrier horloger ou un interne des hôpitaux de Paris, tout aussi respectables qu'un journaliste, ne bénéficient pas de cette même indulgence. C'est de la discrimination et une véritable atteinte à nos principes républicains (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Notre rapporteur s'en excuse, du reste, à la page 52 de son rapport, en écrivant : "Dans un cas, qui apparaît nécessairement exceptionnel, même si l'exception qui met la règle générale à l'épreuve est devenue si courante qu'elle n'est plus guère exceptionnelle, une intervention du législateur a été jugée indispensable". On sent bien que certaines dispositions soient impossibles à justifier.

Auriez-vous oublié ce que l'on peut lire sur le fronton de tous nos édifices publics ? "Liberté, Egalité, Fraternité" : l'un de ces trois mots vous a visiblement échappé, l'égalité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Mme Nicole Bricq - C'est à Mme Boutin qu'il faut dire cela.

M. Jean-Jacques Jegou - Pour calmer les esprits, je citerai Erasme : "L'homme qui croit en l'humanité ne doit pas encourager les divisions mais l'union, il ne doit pas fortifier les sectaires dans le sectarisme ni ceux qui se haïssent dans leur haine, il doit s'efforcer de faire vivre les hommes en bonne intelligence et de favoriser les accords". Vous faites exactement le contraire, en favorisant une catégorie de salariés, au détriment de toutes les autres.

Les autres dispositions fiscales portent peu à conséquence. Toutefois, le régime de l'assurance vie, plus que tout autre, est sans cesse modifié, bien souvent au détriment des personnes physiques contractantes. La sécurité juridique, la confiance qui doit lier deux cocontractants...

M. Alain Néri - Le PACS ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Jacques Jegou - ...justifient qu'il soit mis fin à ces pratiques, en particulier à la rétroactivité.

En ce qui concerne la TIPP, nous approuvons la réduction de l'écart entre le gazole et l'essence sans plomb. En revanche, la hausse globale de la fiscalité pesant sur les carburants est contestable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). Le rattrapage aurait très bien pu être fait en abaissant le prix du sans plomb vers celui du gazole. J'avais déposé, il y a quelques années, avec certains de mes collègues du groupe UDF, un amendement tendant à geler la hausse de la TIPP. Le sort qui lui avait été réservé me laisse deviner celui que vous lui ferez cette année, mais je le regrette.

Bref, le volet recettes de ce projet manque singulièrement d'ambition. Aucune réforme d'ampleur n'est amorcée. Mais pour ce qui est des dépenses, point de frilosité, ni d'états d'âme ; l'augmentation de la dépense publique reste pour la gauche un instrument privilégié d'action. Le groupe UDF-Alliance n'est pas, a priori, hostile au principe de la dépense publique qui, lorsque la consommation est atone et les exportations moroses, peut servir à relancer l'économie. Outre qu'elle contribue à la cohésion de la société grâce aux dépenses de solidarité, elle peut effectivement avoir un impact direct sur la croissance.

M. le Président de la commission des finances - Vous auriez du le dire à M. Juppé !

M. Jean-Jacques Jegou - Mais ce qui nous gêne davantage, c'est l'accroissement de la dépense publique en période de croissance économique.

M. le Ministre - Mais alors quand faut-il le faire ?

M. Jean-Jacques Jegou - En période de croissance, il faut s'attaquer en priorité aux déficits et à la baisse des impôts, afin de dégager les marges de manoeuvre qui seront nécessaires lorsque la conjoncture sera moins bonne. On sait aujourd'hui que la croissance risque de s'essouffler et le Gouvernement va augmenter de plus de 37 milliards les dépenses de l'Etat. Est-ce raisonnable ? Cette politique nous range parmi les mauvais élèves non seulement de l'Union européenne mais également du G7. En 1998, nos dépenses publiques représentaient déjà plus de 54 % du PIB au lieu de 47 % en Allemagne, 39,4 % au Royaume-Uni et 31,8 % aux Etats-Unis. La moyenne des pays du G7 est évaluée à 38,2 % et celle de l'Union européenne à 47,6 %.

Il faut rompre avec ce mal français qui consiste, devant chaque obstacle, à augmenter la dépense publique. Certes, cette tendance n'est pas l'apanage des gouvernements de gauche mais elle reste leur spécialité.

La préparation des budgets, année après année, illustre la perversité du système. Régulièrement, une palme est décernée au ministre qui aura obtenu la plus forte augmentation de ses crédits, alors que le ministre économe sera vilipendé comme un mauvais défenseur des intérêts de son département. Si la dépense publique peut effectivement se justifier, son augmentation incessante et souvent irréfléchie n'est pas saine.

Peut-être est-il temps d'envisager à nouveau une rationalisation des choix budgétaires... Certes, le système pensé dès 1968 n'a jamais vraiment fonctionné, mais si l'on y pensait à l'époque, c'est bien que le Gouvernement était déjà confronté à l'augmentation des dépenses publiques. Le formalisme et la lourdeur du système mis en place ont sans doute été pour beaucoup dans son abandon, mais l'idée de départ était pertinente. Pour chaque denier public, on devrait se demander : cette dépense est-elle bien utile ? Mais je n'ai pas d'illusions, parce qu'il s'agit de réformer totalement un mode de pensée "unique" consistant à dire, pour un ministre dépensier : "Ce que j'avais l'an passé, je suis sûr de l'avoir cette année, et sans me battre !".

Est également posé le problème de la structure du budget : partage entre dépenses de fonctionnement et dépenses d'investissement, d'une part, entre services votés et mesures nouvelles, d'autre part.

Chacun connaît le poids des dépenses de fonctionnement des titres III et IV. Une réflexion doit être menée de toute urgence sur l'évolution des dépenses de rémunérations et de pensions. Je ne fais pas partie de ceux qui montrent du doigt les fonctionnaires (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) ; mais je considère qu'il faut sans passion poser la question du format de la fonction publique. Et j'observe que le rapport de la Cour des comptes sur l'exécution du budget 1997 a mis en évidence l'augmentation rapide des charges sociales et des pensions de retraite versées aux fonctionnaires.

En ce qui concerne la CNRACL, le rapport démographique entre cotisants et bénéficiaires va se dégrader rapidement : on passera de 1 retraité pour 3 actifs en 1997 à 1 pour 2 en 2000 et 1,6 vers 2015. Le Gouvernement va-t-il nous dire, sans s'en remettre aux conclusions d'un énième rapport d'experts, quelle réforme il va engager ? Va-t-il augmenter les cotisations, baisser les prestations ? Il n'y a pas d'autre issue possible pour les régimes spéciaux que l'intégration dans le régime général. Quand le Gouvernement le reconnaîtra-t-il ?

L'autre problème concerne les services votés. Dans ce projet de budget, ils n'ont été revus à la baisse que de 12 milliards, sur plus de 1 580. Engageons, là encore, le débat de manière dépassionnée sur leur révision. Le transfert à la Banque centrale européenne de la politique monétaire rend l'arme budgétaire encore plus importante qu'autrefois ; l'harmonisation fiscale à l'intérieur de l'Union, à laquelle le groupe UDF est très attaché, accentuera davantage encore la nécessité de retrouver des marges de manoeuvre budgétaires. Or le budget devient, année après année, une machine sur laquelle le Gouvernement, sans parler du Parlement, a de moins en moins de prise.

Le déficit du budget, grâce à l'action des gouvernements précédents, a été ramené de 4,8 % en 1993 à 3,3 % en 1997. Le gouvernement actuel a, semble-t-il, découvert les vertus d'un déficit modéré, mais l'effort est insuffisant : la réduction des déficits publics à 2,3 % du PIB en 1999 ne suffira pas pour faire décroître le poids de la dette publique ; de plus, l'essentiel de l'effort porte sur les collectivités locales et les organismes de sécurité sociale.

Le poids de la dette commence à reculer lorsque les déficits publics ne dépassent pas 2 % du PIB. J'aurais souhaité d'ailleurs, avec plusieurs collègues éminents du parti socialiste -je pense au Président Fabius, au président de la commission des affaires étrangères, M. Lang- que nous puissions descendre jusque-là dès cette année.

Le déficit budgétaire est fixé à 2,7 % du PIB en 1999 ; et on compte sur la modération des autres administrations publiques. C'est le cas pour la Sécurité sociale, qu'on crédite d'un excédent de 0,1 % : n'est-ce pas l'effet d'un excès d'optimisme concernant la croissance ?

Pour les collectivités locales, on prévoit un excédent de 0,15 %. Il est vrai que l'effet "bases" jouera à plein en 1999 ; cependant on constate un affaissement relatif des bases sur une longue période. Les bases de taxe professionnelle, par exemple, qui ont augmenté d'environ 7,5 % par an entre 1989 et 1995, ne croissent plus depuis que de 3,3 % par an. L'évolution est à peu près la même pour la taxe d'habitation.

En ce qui concerne les taux, la modération observée depuis 1997 devrait se poursuivre. Cependant, la présentation de ce projet de loi de finances, avec la réforme de l'assiette de la taxe professionnelle, les inquiétudes liées au financement de la CNRACL, l'insuffisante prise en compte de la croissance dans les dotations de l'enveloppe normée, ne va pas contribuer à dégager l'excédent que prévoit le Gouvernement.

Les collectivités locales tendent à devenir la variable d'ajustement des comptes publics, malgré la conclusion du pacte de stabilité et de croissance -que le président de la commission des finances a critiqué.

Parce que ce projet ne prépare pas l'avenir, parce qu'il méconnaît plusieurs dispositions constitutionnelles, principalement le principe d'égalité et la libre administration des collectivités locales, je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir adopter cette exception d'irrecevabilité.

M. Alain Néri - On n'est plus vendredi !

M. le Ministre - Je voudrais d'abord féliciter MM. Migaud et Bonrepaux de leurs interventions. L'un et l'autre ont largement contribué à l'élaboration de ce projet de loi de finances.

M. Migaud a bien noté la baisse des prélèvements obligatoires. Il nous propose d'aller plus loin pour la TVA : nous allons voir ce que nous pouvons faire. Nous verrons aussi comment nous pouvons nous orienter vers un doublement du seuil du crédit d'impôt en matière de travaux à domicile.

M. Bonrepaux est revenu sur le problème de la TVA concernant la restauration. Du côté communautaire, nous rencontrons des difficultés, mais je puis m'engager à essayer de faire avancer ce dossier.

A l'égard des collectivités locales, l'effort du Gouvernement est déjà important ; nous verrons comment on peut le renforcer encore.

Quant à M. Jegou, j'ai apprécié qu'il place son propos sur le double parrainage de MM. Turgot et Charasse... (Sourires) Son souhait que l'Assemblée nationale dispose d'instruments d'analyse propres me paraît très sensé : l'Assemblée votant son propre budget, à elle de faire le nécessaire. Cela dit, la commission des finances ne m'a jamais paru manquer d'instruments d'analyse, en tout cas d'analystes.

Vous avez, Monsieur Jegou, fait référence à 1992 s'agissant de la prévision de croissance. Mais la situation actuelle n'a rien à voir : en 1992, l'ensemble de l'Europe était à la fin d'un cycle de croissance ; nous sommes aujourd'hui au début d'un cycle.

En ce qui concerne les déficits, je vous renvoie à cette phrase prononcée en décembre 1993 par M. Balladur : "Dorénavant, je suis responsable". Or vous savez que le déficit de 1994 -le plus grand depuis Turgot- était supérieur à celui de 1993... Et en juin 1995, M. Juppé avait considéré que la situation était "calamiteuse".

Vous contestez la baisse des prélèvements obligatoires dont parle l'INSEE, par un calcul sophistiqué consistant à considérer l'effet d'une hausse d'impôt sur toutes les années suivantes. Si l'on vous suit, la hausse des deux points de TVA de 1996 a pris de la poche des Français 60 milliards en 1996, mais aussi en 1997, en 1998...

M. Michel Bouvard - Qu'attendez-vous pour décider une baisse ?

M. le Ministre - C'est ce que nous faisons, notamment pour les compteurs EDF-GDF.

M. Michel Bouvard - 100 F !

M. le Ministre - Quand vous avez passé le taux de TVA de 5,5 à 20,6 %, vous avez considéré que ce n'était pas grave de les prendre ; nous considérons que ce n'est pas si mal de les rendre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Nous, nous faisons confiance à l'INSEE.

Le temps que vous avez consacré à la TP montre l'intérêt que vous portez à la réforme... On a vu comment les députés de la majorité ont accueilli votre argument sur la perte d'autonomie des collectivités locales. Or il y a autant d'élus locaux ici que là. Vous l'expliquez par la suppression de 60 milliards. Mais, à l'issue des cinq années de la réforme, la compensation de l'Etat sera sensiblement égale à ce qu'elle est aujourd'hui. Où est la perte d'autonomie ?

Cette réforme, personne n'a osé la faire. Je comprends donc qu'elle fasse peur, mais qu'y a-t-il d'injuste dans le fait qu'elle favorise les entreprises à forte densité d'emplois quand tel est précisément l'objectif poursuivi ?

Quant à la critique du Conseil des impôts dont vous avez fait état, elle était fondée sur l'hypothèse d'une compensation totale de la suppression de la part salariale par une augmentation de la TP. Puisque c'est l'Etat qui compensera, elle n'a plus lieu d'être, merci de m'en donner acte.

Vous avez parlé, par ailleurs, d'étatisation galopante. Je n'y reviens pas, l'Assemblée décidera. Le Gouvernement, fort modeste, se contente de lui faire des propositions... (Rires)

M. Michel Bouvard - Jusqu'à la deuxième délibération...

M. le Ministre - Qu'auriez-vous dit, Monsieur Jegou, si nous avions suivi la proposition du Conseil des impôts d'instaurer un taux national unique de TP ou celle de M. Fourcade, qui envisageait benoîtement de remplacer la TP par un pourcentage de l'impôt sur les sociétés ?

M. Philippe Auberger - Il a été tellement suivi qu'il a perdu la présidence de la commission des finances du Sénat... (Sourires)

M. le Ministre - Cet après-midi, M. Auberger n'aimait pas M. Madelin, ce soir il n'aime plus M. Fourcade (Sourires). Il y a quelques dissensions au sein de l'Alliance...

Selon vous, Monsieur Jegou, la perte de recettes serait réelle pour les collectivités locales, car la compensation ne serait que partielle. C'est faux ! La première année, la compensation sera totale, ensuite elle sera indexée sur la base de l'inflation et de la moitié de la croissance. Avec un tel mécanisme, elle aurait progressé plus vite que la masse salariale au cours des cinq dernières années et le rendement de la TP avait été supérieur pour les communes. Où est la perte de recettes ?

Vous affirmez que seule la baisse des charges peut conduire les entreprises à embaucher. C'est faux : elles embauchent comme jamais, 300 000 personnes à la fin de 1998, soit deux fois la moyenne annuelle des années 1960, trois fois celle des années 1970, cinq fois celle des années 1980. Sans doute n'est-ce pas assez, mais c'est un début prometteur.

Vous avez parlé de politique fiscale de gauche -je vous en remercie- et la majorité vous a approuvé.

M. Jean-Pierre Brard -  Pas assez de gauche...

M. le Ministre - En prétendant, Monsieur Jegou, que la baisse du plafond du quotient familial coûterait 3,5 milliards aux ménages, vous oubliez qu'ils retrouveront 4,7 milliards d'allocations et seront donc globalement gagnants. Et quand vous parlez de rupture du principe d'égalité, vous oubliez aussi un peu vite la suppression de la remise d'impôt pour frais de scolarité et la fiscalisation des indemnités de maternité inscrites dans la réforme Juppé.

Sur la TIPP, je ne vous ai pas bien compris. Si vous avez été à l'origine d'un amendement empêchant son indexation, rejeté par l'ancienne majorité, vous devriez vous réjouir que, fait sans précédent, elle reste stable cette année.

Vous pouvez être contre telle ou telle mesure, mais vous n'avez avancé aucun motif réel d'inconstitutionnalité, que ne saurait en tout cas constituer le fait de conduire une politique fiscale de gauche. Je vois donc mal comment l'Assemblée pourrait adopter votre exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et sur plusieurs bancs du groupe communiste).

M. le Rapporteur général - Je comprends mal, Monsieur Jegou, comment un député qui a voté, dans une loi de finances précédente, la mesure relative à la soulte de France Télécom, peut parler d'artifice à propos des recettes du présent budget...

M. Bernard Accoyer - Et la CSG l'an dernier ?

M. le Rapporteur général - Vous prétendez aussi que les dépenses publiques augmentent. Avez-vous oublié que votre volonté affichée de les maîtriser s'est trouvée contredite par les dérives observées par la Cour des comptes ?

Cette fois, la dépense publique est contenue ("Non !" sur plusieurs bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Selon les indicateurs de la commission des finances, qui n'ont pas varié depuis 15 ans, quelles que soient les majorités, elle n'augmentera que de 0,2 % en volume. Elle est donc maîtrisée.

Vous n'avez soulevé aucun motif d'inconstitutionnalité et la commission ne peut donc que proposer à l'Assemblée de repousser l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gérard Fuchs - M. Jegou a parlé de "laxisme coupable" du budget. Mais est-il coupable de réduire l'impôt sur le revenu, l'impôt des riches, comme vous l'avez fait pendant deux ans,...

M. Gilles Carrez - Caricature !

M. Gérard Fuchs - ...ou de réduire la TVA comme nous le faisons depuis deux ans ?

M. Michel Bouvard - Et la TVA sur la restauration ?

M. Gérard Fuchs - Il n'est pas coupable de contraindre la consommation et d'étouffer la croissance, mais il le serait de relancer la consommation pour consolider la croissance et de faire reculer le chômage ?

Et il serait coupable d'augmenter de 1 % le budget de l'Etat pour consacrer 15 milliards aux emplois-jeunes ?

M. Michel Bouvard - Un dixième du déficit du Crédit lyonnais...

M. Gérard Fuchs - Préféreriez-vous 0 % d'augmentation, ce qui contraindrait à renoncer à ces emplois ?

Je vous en donne acte, Monsieur Jegou, une prévision de croissance de 2,7 % n'est pas dans la Constitution -elle ne lui est pas contraire pour autant-, cela simplifierait pourtant la tâche de M. Strauss-Kahn... Le réalisme est-il un motif d'inconstitutionnalité ?

Vous croyez que la diminution de la taxe professionnelle n'aura pas d'effet sur l'emploi. Mais avez-vous compris que nous commencerions par les PME dont 70 % de la part salariale disparaîtra dès l'an prochain ? Je suis pour ma part convaincu que cela aura des effets sur l'emploi, la commission a d'ailleurs adopté un amendement prévoyant cette évaluation.

La libre administration des collectivités locales serait selon vous menacée.

M. Strauss-Kahn a répondu que le volume des recettes n'était pas affecté. Et la libre administration, c'est avant tout la libre affectation des dépenses, laquelle n'est pas touchée.

M. Jegou a parlé de politique familiale injuste. Il est vrai que pour vous, les familles ne forment pas un bloc uniforme, il y a d'un côté les familles aisées, de l'autre celles qui le sont moins...

M. Michel Bouvard - Pour vous, il y a d'un côté les familles, de l'autre les homosexuels. Et vous voulez prélever sur les premières pour donner aux autres ! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste)

M. Gérard Fuchs - C'est absurde.

Pour nous, il n'existe pas de politique familiale indépendante d'une politique sociale.

M. Michel Bouvard - Mais votre proposition de loi a été déclarée irrecevable !

Plusieurs députés socialistes - Du calme !

M. Gérard Fuchs - A ce propos, je vous renvoie à l'article 13 de la déclaration des droits de l'Homme, qui fait partie de la Constitution : "...pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés". Voilà notre conception de la politique familiale.

Au total, Monsieur Jegou, j'ai trouvé votre argumentation économiquement mauvaise et constitutionnellement bien faible et j'invite donc l'Assemblée à repousser cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

M. Philippe Auberger - Ne voulant pas déclarer la loi de finances pour 1998 inconstitutionnelle, le Conseil constitutionnel a demandé de façon très pressante au Gouvernement d'intégrer dans le budget les fonds de concours, ce qui a été fait -j'en donne acte au Gouvernement- mais seulement en partie, comme l'a très bien montré M. Chabert. Nous demandons donc, conformément à la décision du Conseil, la réintégration dans le budget de tous les fonds de concours.

Par ailleurs, la Cour des comptes a épinglé la façon dont sont comptabilisés les prélèvements au profit des collectivités locales ou de la Communauté européenne, jugeant qu'il y avait lieu de distinguer les recettes et les dépenses opérées à ce titre au lieu de contracter les deux.

Un autre motif d'accepter l'exception d'irrecevabilité tient au fait que l'abaissement du plafond du quotient familial rompt l'égalité devant les charges publiques...

Plusieurs députés socialistes - Ah bon, pourquoi ?

M. Philippe Auberger - ...Comme le montre très bien l'excellent rapport Thelot, rien ne justifie de remplacer l'actuel plafond de 16 380 F par un de 11 000 F. J'ajoute que dans un premier temps, il a été décidé de soumettre au même plafond la demi-part applicable aux anciens combattants et aux handicapés, mais qu'ensuite il a paru difficile de traiter sur le même pied ces derniers et les familles, ce qui a amené à remanier l'article 2. Ce plafond pose donc bel et bien un problème constitutionnel.

L'autre rupture du principe d'égalité concerne l'abattement pour frais professionnels, les journalistes étant à cet égard traités différemment des autres professions qui en bénéficiaient.

Un mot, enfin, de la réforme de la taxe professionnelle. Je n'insiste pas sur le fait que le Conseil des impôts l'a jugée inadaptée. Je note seulement que vous voulez renationaliser le produit correspondant à la compensation et l'intégrer au bout de cinq ans à la DGF, avec d'autres critères de répartition que les bases actuelles de la taxe professionnelle, ce qui à l'évidence pénalisera les collectivités locales ayant accepté des charges pour accueillir de nouvelles entreprises. La fixation de nouveaux critères est bien une atteinte à la libre administration des communes, sans parler de leur équilibre financier et fiscal.

Pour toutes ces raisons, l'exception d'irrecevabilité me paraît devoir être adoptée. Si elle ne l'était pas, c'est le Conseil constitutionnel qui nous départagera le moment venu (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Jean-Pierre Brard - Nos collègues de l'opposition voudraient bien refaire le coup de vendredi dernier, mais ils ne sont ni assez nombreux ni assez en forme.

Jean-Jacques Jegou a fait appel aux ancêtres, de Turgot à Charasse, mais n'a invoqué la Constitution qu'à une ou deux reprises, pour faire semblant, et n'a avancé aucun argument constitutionnel sérieux. Je ne le pense pas par ailleurs le mieux qualifié, Messieurs les ministres, pour dire si un budget est de gauche. Qu'il en juge ainsi ne suffit pas en tout cas à vous donner un blanc-seing en la matière, car il reste encore quelques efforts à faire pour arriver à un budget qui améliore vraiment la vie de nos concitoyens et qui soit plus conforme à l'exigence de justice. Je pense notamment à l'ISF dont M. Jegou a préféré ne pas parler car il sait bien que proposer de l'alléger passerait mal dans l'opinion...

M. Michel Bouvard - Je parie qu'il y a plus d'assujettis à l'ISF dans votre circonscription que dans la mienne !

M. Jean-Pierre Brard - Je suis prêt à toutes les comparaisons que vous voudrez et j'aimerais justement plus de transparence en ce domaine.

Je pense aussi à la réforme de la taxe professionnelle qui devrait prévoir une contrepartie -par exemple, la mise en oeuvre des 35 heures- à l'avantage consenti. Nous aurons donc des propositions à faire à ce sujet, ainsi que pour le foncier bâti ou la TVA.

M. Bouvard a dit que 100 F n'étaient qu'une pacotille. Sans doute, quand on ne tire pas le diable par la queue ! D'ailleurs les gouvernements qu'il a soutenus n'ont pas hésité à augmenter la TVA qui, comme chacun sait, est proportionnellement plus payée par les pauvres que par les riches, et la langue de bois, chère aux inspecteurs des finances, ne remplit pas les assiettes ! (Rires)

Vous avez parlé, Monsieur Jegou, de liberté, d'égalité et de fraternité, mais vous êtes-vous interrogé sur la meilleure façon de donner un contenu à la devise de la République et de permettre aux plus pauvres d'exercer concrètement leur liberté ? Non, car cela ne vous intéresse pas ! (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Quant à M. Auberger, on croit rêver lorsqu'on l'entend affirmer que les propositions du Gouvernement sur le quotient familial portent atteinte à l'égalité des citoyens devant les charges publiques : cette égalité exige au contraire que les plus riches paient davantage que les plus pauvres. Il est vrai que le même M. Auberger nous a auparavant expliqué, en commission des finances, qu'il est normal que les enfants de riches disposent de plus de revenus que les enfants de pauvres, parce qu'ils dépensent plus ! (Exclamations sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste)

M. Philippe Auberger - Vous m'avez mal compris !

M. Jean-Pierre Brard - Tout cela montre qu'il ne faut pas ajourner la discussion, mais au contraire l'engager sans délai, afin d'améliorer le projet du Gouvernement -ce gouvernement dont M. Strauss-Kahn nous a dit tout à l'heure, avec une humilité à peine croyable (Rires), qu'il "se bornait à proposer", à charge pour le Parlement, si j'ai bien compris, de disposer... Chacun de nous n'étant responsable que devant ses électeurs, nous devrions donc, dépassant nos appartenances partisanes, tenir compte des seuls intérêts de nos concitoyens, à commencer par les plus pauvres d'entre eux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV)

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La séance, suspendue à 23 heures 20, est reprise à 23 heures 30.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe RPR une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Gilles Carrez - Ce projet de budget est décalé. Il repose sur des hypothèses périmées et vous vous obstinez à ne pas baisser les impôts.

M. le Rapporteur général - C'est faux !

M. le Président de la commission des finances - Vous n'avez pas donné l'exemple.

M. Gilles Carrez - Seule la France va augmenter la dépense publique.

M. le Rapporteur général - C'est inexact.

M. Gilles Carrez - Enfin, ce projet de loi de finances ne prépare pas notre pays à la mondialisation des échanges. C'est un budget conservateur qui, malgré quelques signaux adressés aux diverses composantes de la majorité plurielle, n'affiche aucune priorité. C'est un budget pour temps calme. On veut endormir les Français, leur donner l'illusion que la croissance est là, que les risques sont conjurés et les efforts inutiles. C'est le budget d'un Gouvernement sûr de lui, autosatisfait : j'en veux pour preuve le brillant discours de M. Strauss-Kahn.

Mais un tel contentement de soi est-il vraiment de mise en ces périodes de turbulences ? Nous sommes dans l'oeil du cyclone. Le souvenir du scénario dramatique que nous avons connu au début des années 90 ne doit-il pas nous inciter à plus d'humilité ?

Vous avez prévu que la croissance sera de 2,7 % en 1999. Je le souhaite pour notre pays et ne me hasarderai pas à faire des pronostics : en cela je suis plus modeste que M. le ministre. Ce qui importe, c'est de savoir si le taux de croissance va se maintenir au-dessus de 2 % : c'est un chiffre en deçà duquel le chômage augmente.

En cas de perturbations, pourrez-vous adapter votre budget, réduire les dépenses improductives ? Stimuler la demande intérieure, pour compenser un fléchissement des exportations ? La réponse est non.

C'est tout l'enjeu de cette question préalable : dans l'adversité, nous ne disposerons d'aucune marge de manoeuvre, ni dans les dépenses, ni dans les recettes, ni, bien sûr, dans le déficit.

Je passe rapidement sur l'enchaînement des crises financières, sur l'atonie du Japon, sur la longue convalescence du sud-est asiatique, sur le naufrage de la Russie et sur la vulnérabilité de l'Amérique latine.

Le ministre nous dira que nos exportations vers ces pays sont d'un poids limité et il aura raison. Mais il sous-estime leurs capacités de réaction, leur agressivité commerciale à l'égard d'une Europe qui, avec les Etats-Unis, reste un des derniers havres de prospérité.

Je m'inquiète en outre de l'évolution de la demande extérieure, qui doit s'accroître, selon votre prévision, de 5 %. Si on élimine les pays en crise, cette demande ne peut provenir que de la zone euro et de l'Amérique du Nord : il faudrait donc que le volume des échanges progresse de 7 à 8 %. C'est irréaliste. Le dollar s'achemine vers un cours de 5,50 à 5 F. Ce n'était pas le cas quand vous avez fait vos prévisions, en mai. Le Royaume-Uni entre en récession et la situation de l'Allemagne semble aussi incertaine que la nôtre. Dans ces conditions, peut-on compter sur une reprise de la demande extérieure ?

Nul ne contestera que la mise en place de l'euro, le 1er janvier prochain, nous protégera comme un bouclier. C'est d'ailleurs un thème que le ministre affectionne. Mais personne ne pourra décréter le cours de l'euro par rapport au dollar et au yen, ni deviner l'évolution des échanges entre l'Europe et le reste du monde ou encore entre les pays européens.

S'il est rassurant que 60 % de notre commerce extérieur se fasse à l'intérieur de l'Europe, un dollar faible n'aura-t-il pas un effet d'éviction sur nos exportations, y compris chez nos partenaires européens ? Vous n'apportez aucune réponse à cette question capitale.

Bercy rétorquera que nos importations vont coûter moins cher. Mais avec trois millions de chômeurs, la balance de l'emploi doit primer sur la balance commerciale. Un Français sur quatre, je le rappelle, travaille pour l'exportation.

Depuis juin, le volume mensuel de nos exportations recommence à baisser. Tabler sur une croissance de la demande extérieure de 5 % n'est donc pas sérieux.

En outre, s'agissant des crédits alloués au commerce extérieur, c'est la Berezina financière : moins 20 % pour les foires et salons, pourtant si utiles, moins 30 % pour l'assurance prospection. Au moment où la concurrence internationale s'exacerbe, où vos concurrents, y compris les plus libéraux, doublent leurs crédits publics de soutien à l'exportation, la France désarme !

Le monde a beaucoup bougé ces derniers temps, mais vous vous cramponnez désespérément à vos prévisions, qui datent du printemps.

Et si la demande extérieure n'est pas au rendez-vous, M. Strauss-Kahn compte stimuler la demande intérieure. Vous prévoyez une augmentation de 5,7 % des investissements des entreprises, mais lisez donc les récentes enquêtes d'intentions des chefs d'entreprise : celles qui datent d'il y a quinze jours sont beaucoup moins encourageantes que celles du début de l'été.

Donc, toute la crédibilité des prévisions du Gouvernement repose sur le maintien d'une consommation élevée et sur l'évolution du pouvoir d'achat des ménages. Vous prévoyez respectivement 2,5 % et 2,7 % d'augmentation ce qui, à première vue, ne paraît pas hors d'atteinte ("Ah !" sur les bancs du groupe socialiste). Mais l'année 1999 ne sera pas favorable aux ménages pour plusieurs raisons.

M. Philippe Auberger - Les 35 heures !

M. Gilles Carrez - Tout d'abord, ils ne bénéficieront pas de baisses d'impôts.

Ensuite, hormis les fonctionnaires qui sont toujours choyés par la gauche, les salariés risquent de connaître une situation moins favorable qu'en 1998 : à l'incertitude extérieure s'ajoutera l'incertitude franco-française des 35 heures. De nombreux accords salariaux sont actuellement gelés en attendant de connaître le régime futur des heures supplémentaires et le traitement qui sera réservé aux cadres. Les hausses de salaires sont donc différées ou annulées.

Enfin, troisième facteur d'inquiétude : l'effet richesse, comme disent les économistes, et qu'on devrait plutôt appeler l'effet appauvrissement. Certes, les Français détiennent beaucoup moins de valeurs mobilières que leurs homologues anglo-saxons mais la chute des bourses provoquera un réflexe de précaution qui entraînera très certainement un ralentissement de la consommation. Or la consommation est la seule chose sur laquelle vous comptez ! Nous serons sans doute fixés dès les fêtes de fin d'année sur le comportement des Français en matière de consommation.

Face à ces perspectives incertaines, la politique fiscale du Gouvernement ne lui laisse aucune marge de manoeuvre. Faute d'une baisse des impôts, le pouvoir d'achat des ménages sera freiné en 1999 cependant que la pression fiscale augmentera. Fin 1997, vous disiez que celle-ci recommençait à baisser ; or, selon les statistiques incontestables d'Eurostat, le pourcentage des prélèvements obligatoires par rapport au PIB est passé de 46 % en 1996 à 46,3 % en 1997 (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Balligand - Alors, selon votre raisonnement, la consommation aurait dû ralentir !

M. Gilles Carrez - La loi de finances rectificative pour 1998 fera apparaître une aggravation de la pression fiscale.

M. Jean-Pierre Balligand - Alors pourquoi les Français ont-ils davantage consommé en 1997 ?

M. Gilles Carrez - Dans votre budget, les recettes fiscales de l'Etat augmentent plus vite que la richesse nationale -respectivement 4,3 % et 3,8 % : donc, la pression fiscale augmente. En 1998, les recettes fiscales augmentent de 60 à 80 milliards par rapport à l'année précédente.

M. Jean-Pierre Balligand - Si l'Etat perçoit davantage de TVA, c'est bien parce que les gens consomment.

M. Gilles Carrez - Quoi qu'il en soit, dès lors que la TVA augmente plus vite que la richesse nationale, la pression fiscale s'accroît. Nous avons donc toutes les raisons d'être inquiets pour la relance de la consommation.

Parlons de la TVA dont la diminution en 1999 semble être la grande affaire du groupe socialiste.

M. Alfred Recours - Mais son augmentation, c'était vous !

M. Gilles Carrez - Dans sa grande générosité, le Gouvernement octroie une baisse de TVA sur les abonnements au gaz et à l'électricité -environ 130 F par famille- et une baisse limitée du taux pour les bailleurs privés de logements sociaux de l'ordre de 200 millions, soit au total 4 milliards de baisse qu'il faut comparer aux 675 milliards que la TVA rapportera en 1999 ! Dans ces conditions, parler d'une baisse de la TVA relève de l'escroquerie intellectuelle.

Tout à l'heure, le ministre a dit qu'aucune majorité n'avait jamais été aussi étroitement associée à la préparation d'une loi de finances.

M. le Président de la commission des finances - C'est vrai !

M. Gilles Carrez - Ce n'est pourtant pas l'impression que j'ai eue en assistant, la semaine dernière, à une réunion de la commission. Nous examinions un amendement socialiste réduisant le taux de TVA sur les travaux d'entretien de l'habitat. C'était une très bonne idée et j'ai voté l'amendement. Mais quelle ne fut pas ma déception lorsque, à peine l'amendement voté, on nous a expliqué qu'il n'était pas "euro-compatible" !

M. le Rapporteur général - Caricature !

M. Gilles Carrez - L'Europe a bon dos. Comme ersatz, vous nous avez proposé le triplement d'un malheureux crédit d'impôt de 2 000 ou 3 000 F.

L'important, disiez-vous, était de donner un signal fort au Gouvernement avec cet amendement. Je le fais en vos lieu et place en demandant au ministre d'aller négocier avec conviction à Bruxelles. Je ne sais si nos collègues socialistes sont naïfs ou cyniques, mais vous savez fort bien que ce problème de baisse de la TVA est uniquement budgétaire : est-il possible de réduire la TVA de 15 milliards comme l'ont souhaité nos collègues ? Si tel était le cas, nous nous empresserions de voter l'amendement.

Je veux rappeler la vérité historique de ce qui s'est passé en 1995. A l'époque, le taux de TVA a été relevé de deux points parce que c'est le choix de l'euro qui a été fait (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Il fallait qualifier la France, donc réduire le déficit budgétaire abyssal, colossal dont nous avions hérité en 1993 (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

En décembre 1992, vous aviez prévu un déficit de 170 milliards. En mars 1993, nous l'avons trouvé à 340 milliards ! Pour les comptes sociaux, vous aviez prévu 20 milliards de déficit : ce fut 100. Pour l'assurance chômage, vous aviez prévu 0 : ce fut 50 ! Au total, les déficits publics atteignaient au printemps 1993 6 % du PIB.

Nous ne pouvions pas redresser la situation d'un coup de baguette magique ! Pour respecter les critères de Maastricht, il fallait passer par des étapes douloureuses. La hausse de la TVA en juin 1995 en fut une, mais Alain Juppé n'a peut-être, à l'époque, pas mis suffisamment en avant la responsabilité socialiste (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Il s'était engagé solennellement à baisser graduellement le taux normal de la TVA quand la croissance repartirait, pour revenir à 18,6 %. Nous aurions tenu cet engagement, comme nous avons tenu celui de baisser l'impôt sur le revenu. D'ailleurs, les groupes de l'Alliance défendront un amendement tendant à réduire le taux d'un demi-point par an jusqu'à atteindre 18,6 % (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Mes chers collègues, si vous continuez à interrompre M. Carrez, vous m'amènerez peut-être à ne pas donner la parole au Gouvernement parce que l'heure sera trop tardive... Je ne pense pas que ce soit votre souhait.

M. Gilles Carrez - Depuis que vous êtes arrivés au pouvoir, vous n'avez, vous, jamais tenu vos promesses de baisser la TVA : ni en 1998 -en dehors d'une mesure ciblée sur les organismes HLM, dont les consommateurs ne profitent donc pas-, ni dans ce projet 1999 -où la seule baisse concerne les abonnements au gaz et à l'électricité.

En ce qui concerne l'impôt sur le revenu, vous vous êtes empressés d'annuler la réforme Juppé -autrement dit de faire payer aux Français 15 milliards d'impôts de plus.

M. le Président de la commission des finances - Mais non !

M. Gilles Carrez - A cet égard, j'ai constaté le cynisme de M. Fuchs : il a jugé qu'il serait anormal, dès lors que la moitié des Français ne paie pas l'impôt sur le revenu, de diminuer l'effort de l'autre moitié... Les Français apprécieront ce ciblage électoral !

Vous avez même décidé d'alourdir encore l'impôt sur le revenu de 4,5 milliards, en abaissant le plafond du quotient familial : cette mesure va entraîner une forte hausse d'impôts pour 600 000 familles.

M. Alfred Recours - Les plus pauvres ?

M. Gilles Carrez - Elle semble d'ailleurs vous gêner, Monsieur le ministre, car on n'en voit aucune trace dans les décomptes fiscaux que vous présentez.

Vous dites que les familles ne perdent rien puisqu'on leur rétablit les allocations familiales.

Mme Nicole Bricq - Eh oui !

M. Gilles Carrez - Mais on ne peut pas mélanger prestations sociales et dispositions fiscales. Et que répondrez-vous à une famille qui aura perdu deux fois cette année, d'abord parce qu'elle n'a pas eu d'allocations familiales, ensuite parce qu'un impôt majoré va amputer son revenu ?

Votre idéologie, consistant à "faire payer les riches", nous causera de graves déconvenues.

Mme Nicole Bricq - La redistribution, vous ne connaissez pas ?

M. Gilles Carrez - Vendredi, je me suis demandé pourquoi si peu de collègues socialistes étaient dans l'hémicycle. Je pense qu'ils se sentaient gênés d'avoir à défendre l'attribution d'avantages fiscaux aux couples homosexuels, alors que le mardi suivant on allait leur proposer d'asséner un grand coup aux familles, en considérant les enfants comme de la matière taxable ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Rapporteur général - Vous nous aviez habitués à mieux, Monsieur Carrez...

M. Gilles Carrez - Continuons à chercher quel impôt baisserait dans ce projet de budget. Assurément, ce n'est pas l'impôt de solidarité sur la fortune. Il fallait donner des gages à vos alliés communistes : j'espère qu'ils se satisferont des 2 milliards prévus. Mais vous oubliez que les ménages qui gagnent de l'argent sont aussi ceux qui créent de la richesse et de l'emploi.

Vous oubliez aussi que le combat qui vise à cadenasser fiscalement la France est totalement incompatible avec la disparition des frontières européennes, avec l'euro, avec la mondialisation. Vos alliés communistes, qui sont contre l'euro et contre la mondialisation sont plus cohérents !

M. Christian Cuvilliez - Ne parlez donc pas pour nous !

M. Gilles Carrez - Un exemple : l'article 16 du projet de loi de finances. Il vise à imposer les plus-values latentes en cas de transfert du domicile fiscal à l'étranger. Il symbolise un combat pathétique, perdu d'avance, de l'administration fiscale française contre les acteurs économiques, découragés par le poids de nos impôts.

Faut-il nous réjouir du départ de dizaines de milliers de jeunes Français que nous avons formés à grands frais, vers l'Angleterre de Tony Blair ? Faut-il nous réjouir du désengagement financier probable d'investisseurs étrangers qui, depuis quelques mois, recommençaient à investir dans l'immobilier parisien et qui vont voir que les droits de mutation sont terriblement alourdis ?

Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez parlé tout à l'heure de mettre en place une fiscalité du mouvement. Mais il s'agirait plutôt d'une fiscalité de la fuite des capitaux...

Il ne s'agit pas pour notre pays de viser le moins-disant fiscal mais simplement de ne pas se transformer en épouvantail fiscal !

Or votre budget envoie, en matière fiscale, plusieurs signaux négatifs.

Premier signal, la trahison de la parole donnée par l'Etat, avec la remise en cause de l'exonération de droits de succession sur les produits de l'assurance vie. J'ai cru toutefois comprendre que vous seriez prêt à reconnaître le bien fondé de notre demande de ne pas voir trahis les Français qui ont déjà signé des contrats (M. le secrétaire d'Etat fait un geste de dénégation).

La rétroactivité fiscale est un archaïsme de notre droit et nous ramène au rang de pays sous-développé. L'opposition tout entière va donc déposer une proposition de loi organique pour la bannir à jamais de notre droit fiscal.

Deuxième signal, la suspicion généralisée à l'égard de ceux qui font vivre l'économie française : ISF, droits de mutation sur les immeubles professionnels, taxation des résidents et des non résidents, les exemples sont nombreux.

Je ne suis pas sûr que l'Etat fasse un bon calcul budgétaire en majorant le barème de l'ISF, en verrouillant fiscalement les plus-values en report d'impôt et même les plus-values latentes, en cherchant à assujettir à l'impôt en France des revenus réalisés à l'étranger, en bafouant la règle de bon sens de la non-rétroactivité. Peut-être récupérera-t-il ainsi quelques milliards sur des agents économiques prisonniers de leurs engagements en France. Mais, beaucoup plus sûrement, ce sont des dizaines de milliards d'investissements qui feront demain défaut à notre pays car les investisseurs internationaux, et même français, ne feront plus confiance à la France, plus confiance à une administration inquisitoriale et sans parole.

Quelle schizophrénie de votre part (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) de parler sans cesse d'Europe, de mondialisation, et d'en nier en même temps l'existence par des mesures fiscales de nature carcérale ("Oh !" sur les bancs du groupe socialiste). Regardez l'article 16 ! Tout cela pendant que l'impôt, loin de baisser, aurait plutôt tendance à augmenter.

Mais revenons à nos calculs pour les ménages : 4 milliards de moins sur la TVA, mais 4 milliards et demi de plus au titre de l'impôt sur le revenu des familles ; 3,7 milliards de moins de taxes sur les ventes de logements, mais 3 milliards de plus sur l'ISF et sur l'assurance vie ; 1,6 milliard de moins avec la suppression des taxes sur les cartes d'identité et le permis de conduire, mais 1,1 milliard de plus sur le gazole.

Ce sont vos chiffres et, au bout du compte, pour les ménages, on est pratiquement à zéro pour les baisses d'impôts (Rires sur les bancs du groupe socialiste).

Plusieurs députés socialistes - Ce ne sont pas les mêmes !

M. Gilles Carrez - Je comprends le dépôt par certains collègues de la majorité d'amendements réduisant la TVA, car c'est seulement ainsi que les prélèvements obligatoires baisseront en 1999...

Vous me rétorquez, Monsieur le ministre, que s'il n'y a pas de baisse d'impôts pour les ménages dans ce budget, il y a en revanche une baisse réelle pour les entreprises. Car, vous l'avez répété sans cesse, la mesure fiscale phare, c'est la réforme de la taxe professionnelle. Parlons-en !

Vous avez pris tout le monde de vitesse, à commencer par vos propres collègues du Gouvernement.

Mme Aubry d'abord, qui souhaitait réamorcer la politique de baisse des charges sur les bas salaires engagée par Edouard Balladur et poursuivie par Alain Juppé, car cette politique est efficace pour la création d'emplois. Elle ne doit pas négliger les salariés, car l'évolution de leur pouvoir d'achat est aussi très importante pour la santé de l'économie. Vous avez donc forcé Mme Aubry à ranger cette idée au placard et à se contenter de nouvelles concertations avec les partenaires sociaux, en constatant sans doute avec amertume que la réforme de la TP concoctée par Bercy coûtera la bagatelle de 300 000 F par emploi, s'il y en a...

M. Chevènement ensuite -je me réjouis de son rapide rétablissement- qui avait su si bien comprendre les aspirations légitimes des collectivités locales. Début juillet encore, la refonte de la fiscalité locale passait par deux grandes idées : la réforme de la taxe d'habitation et la mise en oeuvre de la taxe professionnelle unique dans le cadre de son projet sur l'intercommunalité.

Sur ces sujets, Edmond Hervé avait fait à la commission des finances une communication très intéressante en juin dernier. Et puis, à la surprise générale -le secret avait été très bien gardé- le 21 juillet, changement de cap radical : on ne parle plus de réformer la taxe d'habitation mais de supprimer la base "salaires" de la TP.

M. Robert Gaïa - Vous êtes contre ?

M. Gilles Carrez - Non, pour. Mais ne prenons pas des vessies pour des lanternes. La révision des valeurs locatives, votée depuis 1992, ne saurait tenir lieu de réforme de la TH comme vous le fait croire le Gouvernement.

M. Philippe Auberger - Il vous gruge !

M. Gilles Carrez - Cette réforme de la TP, c'est une vieille idée de Bercy. Je distingue Bercy et le ministre, car Bercy rêve en fait soit de la disparition pure et simple de la TP, soit de son étatisation. Le raisonnement des fonctionnaires est simple : si on supprime, ou si on étatise, la part "salaires" de la TP, le reste, c'est-à-dire la fraction "investissement", tombera ensuite comme un fruit mûr. C'est d'ailleurs toute la TP que le porte-parole du CNPF, M. Kessler, veut voir disparaître, soulignant à juste titre, que les bases "investissement" se sont accrues plus rapidement que les bases "salaires" -moitié-moitié il y a dix ans, un tiers-deux tiers aujourd'hui.

Quelle que soit la sincérité de l'actuel ministre du budget ou de ses successeurs (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), les ministres passent, Bercy reste... Ils feront l'objet d'une pression grandissante pour que cet impôt qualifié d'antiéconomique sur l'entreprise...

M. Philippe Auberger - Sur l'investissement.

M. Gilles Carrez - ...finisse par disparaître.

Nous payons là d'ailleurs, les critiques souvent excessives que nous avons tous adressées à la TP, "cet impôt imbécile qui pénalise l'emploi et l'investissement".

M. Alfred Recours - Chirac...

M. Gilles Carrez - La réforme est donc lancée, Monsieur le ministre, sa forte médiatisation depuis plusieurs mois l'a rendue populaire, en particulier auprès des PME. Elle va donc se faire...

Plusieurs députés socialistes - La voterez-vous ?

M. Gilles Carrez - Quand les socialistes proposent la baisse d'un impôt, il faut s'empresser de la voter...

Mais comment la mener à bien sans pénaliser les collectivités locales ? Malheureusement, vous prévoyez la technique de la compensation budgétaire, c'est-à-dire de la subvention d'Etat pour compenser le manque à gagner subi par les collectivités locales. Pourtant, dès le départ, les représentants des associations d'élus locaux ont plaidé pour le dégrèvement fiscal. La compensation budgétaire pose un problème de principe car, en confisquant un pouvoir fiscal autonome pour le remplacer par une subvention d'Etat, on remet en cause le principe d'indépendance des collectivités locales, reconnu par l'article 72 de la Constitution et qui est l'un des fondements de la décentralisation.

La compensation budgétaire marque bien votre volonté de décentralisation et d'étatisation de la ressource publique locale, tout comme la création de la taxe générale sur les activités polluantes, sorte "d'écotaxe", centralisée et affectée en totalité au seul budget de l'Etat, alors qu'elle remplace plusieurs taxes prélevées à un échelon déconcentré, comme les taxes au profit des agences de bassin, qui financent les travaux au plus près de la réalité du terrain.

Cette centralisation ne peut que pénaliser les collectivités locales.

Vous êtes bien optimiste quand vous affirmez que l'indexation sur les prix et la moitié de la croissance de la future compensation de la taxe professionnelle sera favorable aux communes. Pour 1999, par exemple, cela donnerait une indexation à environ 2,5 %, alors que Mme Aubry prévoit dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale un accroissement de la masse salariale de 4,2 %. 4,2 - 2,5 = 1,7 %. Voilà déjà ce que perdront en 1999 les collectivités locales sur l'indexation.

Le système de la compensation a un autre inconvénient : il fige les situations acquises dans la mesure où l'on retiendra comme base des salaires historiques. Et il arrivera peut-être que l'on maintienne un droit à compensation alors même que l'entreprise aura disparu.

En revanche, la compensation sera bloquée pour les communes qui ont fait des efforts pour attirer des entreprises ou pour leur permettre de s'étendre.

J'avoue, Monsieur le ministre, que je ne comprends pas votre obstination à rejeter la formule du dégrèvement fiscal, alors qu'en 1999, vous acceptez de compenser à partir des bases "salaires 1999" et des taux 1998, c'est-à-dire dans des conditions qui sont pratiquement celles du dégrèvement. Pourquoi s'arrêter en si bonne route ? Ne soyez donc pas prisonnier de votre administration et de sa méfiance viscérale envers les collectivités locales ! Si tant d'élus de tous bords se battent pour un dégrèvement plutôt qu'une compensation, c'est parce qu'ils sont conscients qu'une mauvaise compensation aura pour effet direct inévitable l'augmentation des impôts payés par les ménages, à savoir la taxe d'habitation et le foncier. En effet, les charges des collectivités locales vont être très lourdes au cours des prochaines années, du fait des accords salariaux, de la mise aux normes et la montée des dépenses sociales. Si vous leur retirez la taxe professionnelle, que peuvent-elles faire d'autre que d'augmenter les impôts des ménages ?

M. Alfred Recours - Déconnexion des coûts !

M. Gilles Carrez - A moins que le Gouvernement n'accepte de supprimer la liaison des taux entre la taxe professionnelle et lesdits impôts... Mais alors il faut le dire très vite, et prévenir les entreprises.

Il faut aussi les prévenir que la réforme de la taxe professionnelle va conduire certaines d'entre elles à contribuer davantage, et cela dès 1999. En effet, d'ici l'an 2000, la réduction pour embauche et investissement va être supprimée. C'était pourtant une bonne disposition permettant d'amortir les effets sur la TP d'une augmentation de l'emploi et de l'investissement de l'entreprise, et il me semble qu'elle serait encore plus nécessaire lorsque ne subsistera que la seule base "investissement".

Outre que le triplement dès 1999 de la cotisation minimale de TP à la valeur ajoutée me semble un peu rapide, je regrette que le produit soit une fois de plus affecté en totalité au budget de l'Etat. La multiplication par 2,5 puis par 3 de la cotisation nationale de péréquation appelle de ma part les mêmes remarques. Enfin, je trouve regrettable que la réforme de la TP ne conduise à aucune amélioration de la péréquation entre communes alors que les écarts entre celles-ci ne font que se creuser.

Pour en terminer avec les collectivités locales, particulièrement maltraitées par ce projet de budget, je voudrais dire que la transformation du pacte de stabilité en pacte de croissance et de solidarité relève d'un véritable abus de langage. Comment en effet parler de croissance quand vous n'indexez les dotations de l'Etat que sur 15 % de croissance, ce qui a pour effet mécanique une diminution de la dotation de compensation de la taxe professionnelle de 11 % ? La seule manière de ne pas faire chuter la DCTP consisterait à indexer les concours de l'Etat sur les prix plus la moitié de la croissance. Telle est d'ailleurs la demande unanime de l'association des maires de France, du comité des finances locales, bref de tous les élus locaux qui suivent ces questions. Et ce serait en cohérence avec ce qui est prévu pour la DGF.

Pour toutes ces raisons, Monsieur le ministre, j'espère que vous accepterez les amendements tendant à transformer la compensation budgétaire en dégrèvement fiscal.

M. Alfred Recours - Ce qui suppose d'abord de rejeter la question préalable !

M. Gilles Carrez - Au total, je constate que, malgré les 75 milliards de recettes fiscales supplémentaires prélevées sur les ménages et sur les entreprises depuis votre arrivée au pouvoir en juin 1997 et malgré la soixantaine de milliards de recettes spontanées en plus, liées au retour de la croissance, les ménages ne vont bénéficier d'aucune baisse d'impôt global en 1999 et que les entreprises ne bénéficieront que d'une baisse très limitée de la taxe professionnelle ! Que faites-vous donc, Monsieur le ministre, de ce volant de recettes fiscales supplémentaires ? Vous sert-il à financer quelque réforme de structure ? A réduire fortement le déficit de l'Etat et l'endettement de la nation ? Non, pas du tout, il vous sert à accroître la dépense publique et c'est malheureusement là que se situe l'exception française au sein de l'Europe socialiste, travailliste et social-démocrate ! Dans ce projet de budget, la dépense publique augmente en effet trois fois plus vite que les prix, ce qui est très grave dans un pays où plus de 54 % du PIB sont déjà accaparés par la dépense publique et sociale.

De même qu'il est grave que vous tourniez le dos à la plus urgente des réformes, celle de l'Etat. Le seul tableau dont nous disposons fait apparaître un solde nul pour les emplois civils, 2 358 créations pour 2 358 suppressions, redéploiements dérisoires par rapport aux effectifs. Est-il normal, alors qu'on assiste depuis six ou sept ans à une baisse rapide des effectifs scolaires en maternelle et dans le primaire, que l'Etat soit incapable de faire face à l'augmentation prévisible du nombre d'élèves dans les lycées ?

Et vos chiffres d'effectifs sont-ils sincères, quand on sait que plusieurs milliers de postes de maîtres d'internat ou de surveillants d'externat ne sont pas pourvus ? Est-il acceptable, pour la sécurité des Français, que les effectifs de police soient en chute libre et que le nombre des adjoints de sécurité soit loin de remédier à la disparition progressive des policiers auxiliaires ? (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

Enfin, vous passez sous silence le fait que les 60 000 fonctionnaires qui partent à la retraite chaque année sont remplacés presque automatiquement, nombre pour nombre, quelles que soient les tâches auxquelles ils sont affectés. Cette gestion immobiliste de la fonction publique illustre la démission du Gouvernement face la réforme, pourtant urgente, de l'Etat. Redéploiements vers les missions prioritaires de l'Etat, remplacement partiel des départs à la retraite, intéressement des fonctionnaires à la qualité du service, promotion au mérite : tels doivent être les grands axes de cette réforme. Pourquoi serions-nous incapables de faire ce que font nos voisins britanniques et allemands ?

L'enjeu est considérable, car l'effort demandé à la nation est gigantesque : sait-on que l'accord Zuccarelli de février 1998 coûtera en l'an 2000, pour les trois fonctions publiques, 40 milliards, soit un demi-point de PIB ? (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Pour ce prix, la nation est en droit d'exiger une meilleure qualité de service, notamment dans le domaine de la sécurité. Au lieu de cela, le Gouvernement demande aux agents de la RATP et de la SNCF de contrôler les identités à la place de la police !

Nous revivons la même absence de courage qu'entre 1988 et 1992, lorsque Lionel Jospin, ministre de l'éducation nationale, a fortement revalorisé les rémunérations des enseignants, ce qui était sans doute nécessaire ("Ah !" sur les bancs du groupe socialiste), mais sans exiger, en contrepartie, d'obligations de service nouvelles, ni d'effort de rénovation de l'enseignement.

Mme Nicole Bricq - Et Bayrou, qu'est-ce qu'il a fait ?

M. Gilles Carrez - Allez-vous renoncer, comme à l'époque, à tout effort de réforme face aux forteresses syndicales de la fonction publique ? L'accord salarial est pourtant généreux, et mériterait des contreparties : n'oublions pas qu'aux deux revalorisations de 1,3 % s'ajoutent les avancements automatiques qui, en pratique, doublent la mise ! Comment ne pas rapprocher les 15 milliards que coûtera cet accord en 1999 de votre refus de poursuivre la baisse de l'impôt sur le revenu et, sans doute, de réduire la TVA sur les travaux d'entretien ?

Les économies réelles portent sur moins de 15 milliards, soit moins de 1 % du total des dépenses, et sacrifient, qui plus est, l'investissement : les crédits d'équipement civil diminuent de 0,3 %, et le budget des routes est réduit à la portion congrue, ce qui nous rend perplexe sur le grand emprunt pour travaux publics proposé par le Premier ministre la semaine dernière... Quant aux budgets prioritaires, il n'y en a pas moins de onze, ce qui dilue la notion même de priorité. La politique de la ville bénéficie d'une hausse de crédits de 33 %, mais cela ne fait jamais que 250 millions de plus ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Le maire de banlieue que je suis s'indigne de l'état d'abandon dans lequel est laissée la politique de la ville depuis juin 1997 (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

En vérité, une grande partie des marges de manoeuvre offertes par les 75 milliards de recettes fiscales supplémentaires sont affectées à la hausse des dépenses de personnel induite par l'accord salarial et par les emplois-jeunes. C'est ainsi que le budget de l'enseignement scolaire passe de 286 à 298 milliards sous l'effet de la création de 60 000 emplois-jeunes, et que les 350 000 emplois prévus au total constitueront une charge de 35 milliards pour le budget de l'Etat. Si l'on ajoute à cela les 3 à 5 milliards affectés aux 35 heures et la majoration des crédits de la lutte contre l'exclusion, la hausse des dépenses potentielle atteint en réalité 50 milliards, et la diminution des impôts n'est que de 4 ou 5 milliards. On est loin, très loin de la règle des trois tiers énoncée en juillet par le ministre de l'économie et des finances ! On est encore plus loin des déclarations faites avant-hier par M. Schröder... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) La politique budgétaire et fiscale de la France fait désormais figure de singularité dans l'Europe socialiste d'aujourd'hui ! (Mêmes mouvements)

Ces dépenses supplémentaires sont de véritables bombes à retardement, qui mettront les gouvernements d'après 2002, quels qu'ils soient, en grande difficulté. Que deviendront les bénéficiaires d'emplois-jeunes, sinon de nouveaux fonctionnaires, qu'il aura fallu titulariser dans la douleur, selon un scénario auquel nous ne sommes que trop habitués ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Ueberschlag - Les jeunes sont dans la rue parce que le Gouvernement les méprise ! Il les traite comme du bétail ! (Mêmes mouvements)

M. Gilles Carrez - Vous me direz qu'à chaque jour suffit sa peine et que 2002, c'est loin, mais 1999, c'est demain ! Or votre budget place la France dans une situation d'extrême fragilité en cas de retournement brutal de la conjoncture.

Mme Nicole Bricq - On dirait que vous le souhaitez !

M. Gilles Carrez - Votre budget n'est pas contracyclique, car il ne baisse pas l'impôt et alourdit l'Etat. Il est vulnérable à une éventuelle chute des recettes, car vous serez incapables de geler ou d'annuler les dépenses irrémédiablement engagées par les hausses de salaires et les emplois-jeunes, et le déficit se creusera inévitablement.

Votre ambition de le réduire de 21 milliards est déjà terriblement limitée, surtout si l'on songe que la loi de finances rectificative enregistrera, en fait, 12 milliards de recettes supplémentaires. Si ces recettes étaient intégralement consacrées à réduire le déficit 1998, la baisse réelle annoncée pour 1999 ne serait que de 9 milliards. Voilà qui démontre à l'envi que votre priorité n'est ni la baisse du déficit ni celle des impôts, mais la relance de la dépense publique. Encore vos chiffres se fondent-ils sur des prévisions d'excédent bien optimistes en ce qui concerne le déficit de la Sécurité sociale et des administrations locales : celui de l'Etat lui-même sera plutôt de l'ordre de 2,7 % du PIB que de 2,3 %. L'endettement public va continuer de s'accroître, passant de 58,2 à 58,7 % du PIB, et le service de la dette aussi. C'est pourquoi Dominique Strauss-Kahn n'a promis de baisses qu'à l'horizon 2000. Demain on rase gratis !

Vous travaillez sans filet. Tout retournement de conjoncture peut vous être fatal. J'ai peur d'un scénario catastrophe, comme en 1992 : 170 milliards de déficit prévus, 340 milliards constatés.

Nous serions plus rassurés si vous aviez su baisser les impôts, maîtriser la dépense et réduire le déficit de manière significative.

M. Dominique Baert - C'est bien d'y penser quatre ans après !

M. Gilles Carrez - Votre immobilisme se révélera destructeur, car il nous éloigne de nos partenaires européens. Au nom du groupe RPR, je demande à mes collègues d'adopter cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. le Secrétaire d'Etat - Cet exposé, très décousu, est bourré de contrevérités. Ces prévisions ne datent pas d'il y a six mois, mais d'août. Vous prétendez qu'il n'y aura pas de baisse des impôts, mais votre alchimie produit plus de fumée que de clarté (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Vous verrez dans le rapport que les impôts diminueront de 16 milliards.

Vous avez trouvé ce budget "décalé" : il n'y a pas décalage, mais une différence fondamentale entre vos conceptions et les nôtres. Pour vous, le monde est fatalité. Pour nous, il est volonté. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Sur la famille, vous avez parlé éloquemment de la majoration de l'ISF qui va frapper les ménages aisés.

M. Jean Ueberschlag - Vous n'aimez pas les familles !

M. le Secrétaire d'Etat - Si, nous les aimons, et la preuve en est que nous avons suivi les recommandations des associations familiales et diminué le quotient familial.

Vous vous inquiétez pour la consommation de Noël. Faut-il vous rappeler que le salon de l'auto a reçu 1,2 million de visiteurs et que les commandes ont progressé de 21 % en un an ? (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF, et du groupe DL)

Nous croyons quant à nous que la consommation populaire est le moteur de la croissance. C'est pourquoi nous allons réduire la TVA de 10 milliards, alors que M. Juppé l'avait augmentée de deux points. Au moins a-t-il eu le courage de reconnaître qu'il avait trop lourdement frappé les ménages.

Nous avons aussi transféré 11 milliards des cotisations d'assurance maladie à la CSG.

La différence entre vous et nous, c'est que vous lisez les bulletins du CNPF alors que nous entendons les aspirations populaires (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Jean Ueberschlag - Faites-vous élire, Monsieur le secrétaire d'Etat !

M. le Secrétaire d'Etat - C'est un bon conseil. Je vais y songer (Sourires sur les bancs du groupe socialiste).

Il y a donc bien une droite et une gauche. Je souhaite que cette question préalable soit repoussée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. le Rapporteur général - M. Carrez vient de nous montrer qu'il y a lieu d'ouvrir un débat. Il faut donc rejeter sa question préalable (Mêmes mouvements).

Mme Nicole Bricq - M. Carrez est pessimiste sur nos perspectives de croissance. Il se complaît dans une vision cauchemardesque, mais tous les indicateurs lui donnent tort (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). D'ailleurs, êtes-vous qualifiés pour nous donner des conseils, vous qui avez cassé la reprise qui s'amorçait en 1995 ?

Vous n'avez aucune vision d'avenir. Ne pensiez-vous pas, il y a dix-huit mois, que le budget pour 1998 serait infaisable ? A toujours vouloir être en avance, vous vous retrouvez en retard sur les réalités. Pour ce qui est de la pression fiscale, vous l'avez augmentée, de la manière la plus injuste !

M. Philippe Auberger - Vous continuez !

Mme Nicole Bricq - D'ailleurs, les différentes factions de la droite ne sont toujours pas d'accord sur la manière de faire baisser les prélèvements obligatoires. Nous, nous les réduirons dès 1999. Quant à la baisse des charges, elle n'est pas incompatible avec la réforme de la taxe professionnelle, à laquelle vous l'opposez par malignité politique.

Vous avez du mal à admettre que ce budget ait deux qualités : il est de gauche et il est réaliste ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Le groupe socialiste ne votera pas cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) .

M. Laurent Dominati - J'ai trouvé, quant à moi, excellent l'exposé de M. Carrez, même s'il reste encore beaucoup de choses à dire.

Vous prétendez baisser les impôts. Mais comment ferez-vous, puisque le taux de pression fiscale, comme l'a montré Gilles Carrez, va augmenter davantage que le taux de croissance ?

Ce budget est bien décalé. Je sais que le Gouvernement est parfait ou du moins s'estime tel, mais vous nous avez présenté le même projet de budget avant la crise mondiale. Ne s'est-il donc rien passé, ou bien est-ce que ce budget est à ce point parfait qu'il conviendrait à toutes les conjonctures ?

L'INSEE prévoit pour 1999 une croissance de 2,5 %. J'espère qu'elle sera supérieure. Mais contrairement à ce que pensent certains de nos collègues, un budget n'est ni de droite ni de gauche : il est efficace ou il ne l'est pas. C'est ce qu'a expliqué le Premier ministre britannique à cette tribune (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Votre budget repose sur des hypothèses périmées. Vous parlez d'une "phase de décollage" : ce ne peut être que le décollage avant la chute.

Que dire, enfin, de vos propos sur l'opposition, qui servirait le CNPF, et votre majorité, le peuple ? C'est répandre, à l'aube du XXIème siècle, un discours d'avant-guerre ! La caricature ne suffit pas pour défendre un budget. En outre, les ministres de votre gouvernement ont bien plus de relations avec le CNPF que moi !

On caricature en disant que vous défendez les familles pauvres et nous les familles riches. Les familles vous répondent et les jeunes aussi. Ça vous dérange et ça continuera ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. Daniel Feurtet - S'il n'y avait de budgets qu'efficaces, Monsieur Dominati, vous devriez être encore au gouvernement !

Cela dit, M. Carrez a le droit de lire le budget comme il l'entend. Nous n'en faisons pas la même lecture que lui. A notre sens, c'est un budget de gauche. Il manque une volonté politique de faire en sorte que la croissance existe tirée par la demande interne. Nous nous efforcerons, au cours du débat, de renforcer la cohérence de gauche de ce budget. C'est pourquoi nous ne voterons pas la question préalable.

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu ce matin, mercredi 14 octobre, à 9 heures 30.

La séance est levée à 1 heure 20.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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