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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 21ème jour de séance, 54ème séance

3ème SÉANCE DU LUNDI 2 NOVEMBRE 1998

PRÉSIDENCE DE M. François d'AUBERT

vice-président

          SOMMAIRE :

LOI DE FINANCES POUR 1999 -deuxième partie- (suite) 1

La séance est ouverte à vingt et une heures.


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LOI DE FINANCES POUR 1999 -deuxième partie- (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 1999.


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COOPÉRATION (suite)

M. Pierre Brana, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères - Ce budget est particulier puisqu'il traduit la réforme du ministère de la coopération et sa fusion avec celui des affaires étrangères. Ce rattachement au Quai d'Orsay est un serpent de mer ; je l'ai moi-même appelé de mes voeux à plusieurs reprises.

A l'ancien dispositif, on reprochait le manque de cohérence de notre politique d'aide, dû à l'éclatement entre de nombreux ministères. Notre politique de coopération manquait aussi de lisibilité. Enfin, l'adaptation aux mutations politiques, économiques et sociales des pays du Sud était très difficile.

La première réponse à ce triple défi -cohérence, clarté, efficacité- est administrative. La nouvelle direction générale de la coopération internationale et du développement regroupe des services des deux ministères et comporte quatre directions sectorielles : coopération technique, coopération culturelle, coopération scientifique et audiovisuel.

La réforme a été menée en concertation avec le personnel. La nouvelle structure devrait se mettre en place le 1er janvier 1999, mais d'ores et déjà les deux directives administratives ont fusionné.

Le regroupement des services n'empêche pas l'existence d'un ministère spécifique. Nous ne pouvons que nous réjouir de la promotion de notre secrétaire d'Etat au rang de ministre, d'abord pour lui, ensuite en tant qu'affirmation claire de la volonté politique du Gouvernement.

En 1997, la France a consacré 0,45 % de son PNB à l'aide publique. Elle se place ainsi au premier rang des pays du G8. En termes de volume, elle est au deuxième rang mondial, derrière le Japon et loin devant l'Allemagne et les Etats-Unis. Saluons cet effort, même si nous regrettons une certaine diminution des crédits de la coopération technique.

M. Michel Voisin - Très bien !

M. Pierre Brana, rapporteur pour avis - Cette diminution s'explique par la volonté de remplacer nos coopérants par du personnel local mais pour ma part, ayant souvent constaté à quel point certains pays africains manquent de techniciens, d'ouvriers qualifiés, je souhaite que la France ne se désengage pas, tout en recherchant la meilleure adéquation aux besoins.

Je salue la hausse de 50 millions des contributions volontaires aux dépenses internationales, pour lesquelles la France a un grand retard à rattraper. Il s'agit notamment des contributions à l'UNICEF, au programme alimentaire mondial, au Haut Commissariat aux réfugiés.

Par ailleurs, l'augmentation des crédits destinés à la coopération culturelle et scientifique permettra d'augmenter le nombre de bourses offertes à des étudiants étrangers et de répondre à la concurrence des Anglo-saxons dans ce domaine. Enfin, la volonté de mieux associer la société civile à l'aide au développement se traduit par une augmentation des crédits consacrés à la coopération décentralisée, et notamment aux ONG.

L'éclatement de l'APD entre différents ministères rendait nécessaire une meilleure coordination. C'est le but du CICID -comité interministériel pour la coopération internationale et le développement-, dont le secrétariat est partagé entre les affaires étrangères et les finances. Il doit à la fois déterminer la zone de solidarité prioritaire, établir chaque année la programmation et évaluer la conformité de notre aide aux objectifs fixés.

J'insiste sur cette double nécessité d'une réflexion sur l'aide et d'une évaluation de celle-ci. L'aide au développement doit être ciblée sur des projets précis, son utilisation doit être d'une grande clarté et son maintien doit être conditionné à certains principes, notamment le respect des droits de l'homme. Je pense bien entendu à l'Afrique subsaharienne, cet ancien pré carré qui, quelles que soient les aides qui lui ont été apportées depuis des décennies, est à la fois l'une des régions les plus pauvres du monde et l'une de celles où les atteintes aux droits de l'homme sont les plus nombreuses.

M. Michel Voisin - Très bien !

M. Pierre Brana, rapporteur pour avis - Malheureusement, les conflits inter et intra-étatiques continuent à sévir : conflits entre le Cameroun et le Nigeria, entre l'Ethiopie et l'Erythrée, révoltes et guerres civiles en Casamance, en Guinée-Bissau, guerre civile dans l'ex-Zaïre, en Somalie, raids rebelles en Ouganda, au Rwanda, au Burundi, renaissance d'un affrontement en Angola, tentatives de sécession aux Comores... La liste n'est pas exhaustive.

La politique clairement affirmée par le Gouvernement de non-ingérence et de non-indifférence s'accompagne d'un soutien à des actions internationales -qui peuvent être menées par les Africains eux-mêmes : ainsi le projet Recamp -renforcement des capacités africaines du maintien de la paix-, vise à mettre sur pied des unités capables d'être engagées dans des opérations internationales.

Trop longtemps, misère, atteintes aux droits de l'homme, non-respect de la vie humaine ont été considérés comme consubstantiels à l'Afrique, terre sinistrée entre les guerres tribales et le sida.

A travers la réforme du ministère de la coopération et ce budget, on peut dire la volonté de rompre avec des visions trop schématiques, mais aussi avec des pratiques coloniales. Nous devons porter un regard neuf sur le développement et la coopération.

Au bénéfice de ces considérations, je vous invite, avec la commission des affaires étrangères, à adopter ces crédits.

M. Michel Voisin - Ce projet de budget de la coopération apparaît hélas cohérent avec la réforme administrative décidée, sans beaucoup d'égards pour la représentation nationale, le 4 février dernier. Il regroupe deux parties qui s'enchevêtrent, s'interpénètrent et s'imbriquent : celle du ministère des affaires étrangères et celle du ministère délégué à la coopération. Faut-il y voir la volonté de regrouper, selon une stricte logique comptable, l'ensemble des crédits concourant à l'action extérieure de la France, ou plutôt une volonté d'hégémonie du Quai d'Orsay ?

Je pense qu'il s'agit de la traduction comptable d'un choix politique : placer l'action extérieure de notre pays sous la tutelle et l'autorité du ministre des affaires étrangères. Force est de reconnaître que la réunion des compétences du Quai d'Orsay et de la rue Monsieur n'apparaît aujourd'hui qu'à l'état d'ébauche, et tout me porte à craindre une perte de compétence de l'outil que le général de Gaulle avait forgé pour venir en aide aux pays en voie de développement et que ses successeurs, y compris François Mitterrand, avaient eu à coeur de préserver.

Quelles raisons ont conduit le Gouvernement à rompre avec le passé de la Cinquième République ? Le bon docteur Sigmund Freud évoquerait peut-être une volonté de rompre avec le père à un moment où il paraît difficile d'assumer un héritage que l'on ne peut cependant pas refuser...

Quoi qu'il en soit, le groupe UDF s'interroge sur la capacité du Gouvernement de mener à bien une réforme complexe avec un budget aussi étriqué. Les crédits de la coopération reculent de 7,7 %, ce que ni les changements de nomenclature ni les gains de productivité ne suffisent à expliquer. Nos partenaires traditionnels apprécieront la diminution des crédits consacrés à l'aide au développement et aux écoles françaises. Et que dire de l'immolation de notre coopération militaire traditionnelle ?

Il apparaît certes indispensable de repenser les modalités de notre coopération de défense. Mais le redéploiement des postes d'assistants militaires techniques dans les pays africains du champ constitue-t-il la bonne réponse ?

A cette tribune, voici quelques années, Jean-François Deniau déplorait l'utilisation que le Quai d'Orsay faisait des moyens qui lui étaient octroyés pour ses missions de coopération militaire. Il vous faudra, Monsieur le ministre, rendre des comptes au Parlement sur la façon dont vous emploierez les crédits de coopération de défense.

Alors que l'Afrique est secouée de soubresauts, est-il vraiment urgent de retirer nos quelques coopérants militaires des régions où règne, grâce à leur présence dissuasive, un calme relatif ? Je ne puis que souscrire au concept qui sous-tend le projet Recamp visant à la formation d'une force interafricaine de maintien de la paix, mais je ne puis croire que la contribution de la France à la sécurité du continent africain s'y limite.

Le groupe UDF déplore que le Gouvernement n'ait pas fait de l'action extérieure de la France l'une de ses priorités, après le budget de pénurie de l'an dernier. Nous pouvons être légitimement inquiets d'une logique budgétaire qui excipe d'une prétendue meilleure santé des économies africaines pour réduire les concours aux pays les plus pauvres. La diminution de l'aide aux balances des paiements -moins 305 millions- procède d'une vision à court terme qui paraît oublier que l'on prévoit, pour 1999, la poursuite de la chute des prix des matières premières.

La solidarité, même minime, n'apparaît plus comme une priorité. Le Gouvernement encouragera-t-il ceux qui font preuve de constance dans leurs engagements : ONG, collectivités locales et agence française de développement ? N'oublions pas le rôle central de cet opérateur, qui finance la réalisation de projets productifs, publics et privés, créateurs d'emplois !

Le Gouvernement souhaiterait-il, au fond, aligner les modalités de sa coopération sur celles de ses partenaires occidentaux et notamment des Etats-Unis, ou, mieux encore, diluer son aide bilatérale dans le magma incontrôlable des aides apportées par les institutions de Bretton Woods ? La France peut-elle ainsi renier son passé ?

Nous regrettons que les reports de crédits des fonds d'ajustement structurel n'aient pas bénéficié à l'aide technique. Pouvons-nous diminuer aussi fortement le nombre de nos coopérants, alors que les besoins sont plus criants que jamais, du fait de la disparition programmée du service national ? Nous ne pouvons que nous inquiéter du retard pris par l'élaboration du projet de loi sur le volontariat, retard qui nous fait même douter de la volonté réelle du Gouvernement.

Les crédits alloués aux écoles françaises reculent de 5,8 % : sans doute est-ce votre manière de contribuer au rayonnement international de la France... Nous déplorons également la suppression de postes d'enseignants coopérants. Peut-être avez-vous succombé à l'amicale pression de votre collègue de l'Education nationale, qui recherche désespérément des postes à redéployer, tout en dégraissant son mammouth ! Si mes souvenirs sont exacts, il me semble pourtant que vous avez également en charge la francophonie -à moins que M. Védrine n'ait aussi conquis ce secteur !

M. Jean-Claude Lefort - Ça, c'est perfide !

M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - Je m'étonne qu'un expert-comptable sache aussi mal lire un budget !

M. Michel Voisin - Le FAC a permis à la France de garantir aux pays les moins avancés des revenus réguliers facilitant leurs investissements. Pourquoi réduire ses crédits de paiement sous prétexte d'un étalement de l'exécution des programmes ? Nous attendons, Monsieur le ministre, que vous justifiiez cette réorientation de notre politique de coopération. Ne faut-il pas y voir, une nouvelle fois, des arguments comptables avancés par Bercy et auxquels vous n'avez pu vous opposer ? L'augmentation de 50 millions des contributions volontaires au PNUD ne saurait, à elle seule, compenser la cure d'austérité.

Le FAC prétend fonctionner désormais sur la base du partenariat avec les collectivités locales. Ce souci de proximité est louable, mais ne s'agit-il pas, en fait, d'un désengagement supplémentaire de l'Etat ?

La réforme administrative que vous conduisez au détriment de la coopération, en bradant l'héritage généreux du général de Gaulle, montre que vous acceptez de sacrifier l'idéal qui vous a un temps animés sur l'autel de la rigueur budgétaire. Ce projet de budget manque trop d'ambition pour être conforme à l'idée que nous nous faisons du rayonnement de la France. Nous ne pouvons vous suivre dans votre volonté de réduire progressivement à néant les efforts et l'action passée de vos prédécesseurs, de droite comme de gauche, en faveur des pays les plus pauvres. Nous ne voterons pas ce budget.

M. Elie Hoarau - La Réunion fait de la France un Etat riverain de l'océan Indien. Cette situation constitue indéniablement un atout, à condition que soit exploité le rôle de trait d'union qu'elle peut et doit jouer entre la France et l'Union européenne, d'une part, et les pays d'Afrique australe et de l'océan Indien, d'autre part.

Or on assiste à la constitution d'organisations régionales associant les Etats riverains de l'océan Indien, en vue de constituer des blocs économiques, sans qu'elle y soit associée.

C'est le cas de la SADC qui est en train de réaliser une zone de libre échange qui comptera plus d'un demi-milliard d'habitants dans moins de 25 ans. D'autre part, La Réunion n'a pas été associée aux négociations entre l'Union européenne et les Etats ACP en vue de la prochaine génération des accords de Lomé. De même qu'elle a été exclue de la négociation pour la mise en place d'une zone de libre échange entre l'Union européenne et l'Afrique du Sud. Dans ces conditions, ces accords risquent de concurrencer sérieusement les productions de La Réunion sur le marché européen.

Une logique similaire est à l'oeuvre pour ce qui est de l'Indian Ocean Rim. Une demande a été formulée pour une adhésion de la France au titre de La Réunion, mais il faudrait repenser la démarche si l'on veut éviter un rejet au sommet de Maputo prévu pour mars prochain.

Pourtant, La Réunion a un ardent désir de prendre toute sa place dans la coopération régionale et dispose pour ce faire d'atouts qui pourraient être autant de pôles d'excellence -santé, protection de l'environnement, culture, échanges économiques et commerciaux, formation supérieure et recherche...

Le renforcement du concept de "région ultra-périphérique" et un traitement spécial de celles-ci par l'Union européenne constituent un axe essentiel pour le développement de La Réunion et son insertion dans son environnement naturel. Je demande donc au gouvernement français d'apporter tout son soutien au rapport d'initiative que le Parlement européen est en train de préparer sur les rapports des régions ultra-périphériques et des pays ACP voisins. De la même façon que POSEIDOM a défini les nouveaux rapports entre les DOM et l'Union européenne, ce rapport d'initiative réglementera les relations entre les DOM et les pays ACP voisins. Ainsi, notre double appartenance à l'Union européenne et à notre zone géographique pourra devenir un atout pour notre développement mais aussi celui de nos voisins.

En son temps, la participation de La Réunion aux côtés des Etats membres de la commission de l'océan Indien a constitué une avancée. Depuis, d'autres formules ont été trouvées, permettant notamment aux Antilles et à la Guyane d'être pleinement parties prenantes de l'association des Etats de la Caraïbe ou à d'autres collectivités d'outre-mer de siéger au sein d'organisations régionales. Le Gouvernement doit faire en sorte que La Réunion puisse aussi bénéficier de formules l'associant aux évolutions en cours dans le bassin indiaocéanique et en Afrique australe.

La région en tant qu'entité administrative pourrait jouer un rôle moteur décisif dans ce domaine. C'est l'objet de la réforme que nous souhaitons pour la Réunion ; elle vise à créer un deuxième département et à donner à la région des compétences accrues en matière de coopération régionale et de relations avec l'Union européenne (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Jacques Godfrain - Je me réjouis qu'il y ait désormais un ministre délégué à la coopération participant pleinement au conseil des ministres. Un tel changement n'échappe pas, croyez-le, aux observateurs des pays ACP. Voici en outre le premier budget de la coopération intégré dans celui des affaires étrangères, budget à propos duquel M. Adevah-Poeuf a exprimé, si l'on excepte sa recommandation finale de vote positif, l'opinion générale. Cette intégration budgétaire fait que désormais les crédits et les actions de coopération seront un outil de la politique étrangère française et feront donc l'objet d'une interprétation politique. Cela signifie-t-il pour autant que l'oeuvre humanitaire, culturelle, sanitaire passe au second plan ? Personne ne peut le souhaiter.

En matière d'aide publique au développement, la France a une spécificité, fruit d'une longue tradition : elle plaide pour un fort niveau d'aide et donne l'exemple. Au sommet de Lyon, elle a ainsi amené les Américains à traiter de cette question. Veillons donc à ce que sa crédibilité internationale ne soit pas entamée par le niveau réel de ses donations ! Je sais bien que, situés au deuxième rang des pays donateurs, nous n'avons pas à rougir de notre effort, mais il ne faudrait pas qu'un jour on puisse, au vu de dotations par trop faibles, nous dire d'arrêter de donner des leçons aux autres.

Il doit être bien entendu que l'aide au développement consiste aussi à soutenir les investissements privés et à compenser en partie leurs pertes éventuelles.

Rien ne serait plus grave que de laisser basculer l'Afrique dans l'ornière de l'intégrisme totalitaire. Rien ne serait plus grave que de laisser à des peuples entiers la seule solution d'une marche migratoire vers nos rivages ou nos banlieues. L'aide au développement, cela consiste à aussi leur offrir la possibilité de trouver le bonheur en restant chez eux. De ce point de vue, elle est étroitement liée avec la politique d'immigration.

Dans quelques semaines, la ratification par la France du traité d'Amsterdam va être examinée de près par plusieurs pays. Nous avons la chance exceptionnelle de pouvoir travailler avec l'Union européenne, mais à condition de ne pas lui déléguer nos devoirs. Dans quelques mois, en effet, nous commencerons à étudier de près les suites des accords de Lomé, et je souhaite qu'en la matière votre ministère ait un rôle d'expertise. Les techniciens, les fonctionnaires parfaitement compétents qui vous entourent doivent être pleinement partie prenante dans la renégociation de Lomé. On sait en effet l'importance que peuvent avoir les conséquences de ces accords internationaux : on l'a vu, lors des négociations sur l'OMC, pour les règlements relatifs à la banane.

Enfin, Monsieur le ministre, vous avez la chance d'avoir des fonctionnaires de la qualité des vôtres. Ils ont souvent sacrifié l'esprit de carrière à la conviction ; ils ont voulu servir une cause : celle du développement. Or ils sont aujourd'hui un peu bousculés par la réforme en cours, qui se fait souvent sans eux -j'allais presque dire contre eux. Ils ont besoin d'un signe fort. Une action "sociale" devrait intervenir pour envisager leur avenir, et pour que l'incertitude cesse de planer sur leur destin personnel. Pour compenser la bourrasque qui passe sur eux, un plan social est indispensable. La forte chute des crédits qui leur sont affectés pose un réel problème de crédibilité de leur action dans les pays de leur ressort.

La notion de coopération devra de plus en plus céder la place à celle de partenariat, qui implique un rapport plus égalitaire. Les mesures prises lors des grandes conférences périodiques devront tenir bien davantage compte de l'avis de nos partenaires du Sud. En effet, nous aidons à la formation de nombre d'étudiants ; ils s'engagent dans des filières qui conduisent à des métiers où ils veulent donner le meilleur d'eux-mêmes. Mais qui fait le lien entre les grands projets de la coopération franco-africaine et les filières dans lesquelles ils s'engagent ? Personne ! Associer à ces grands choix les étudiants et les boursiers est essentiel pour introduire une cohérence, et éviter que leurs études ne trouvent aucun débouché dans leur pays.

Un mot sur les centres culturels français. Ce sont de plus en plus des centres culturels de la francophonie, et c'est bien : ils ne sont pas simplement les bouts de ligne de notre action nationale, mais appartiennent aussi aux pays où ils sont situés. Ces pays y trouvent des scènes, du matériel, des locaux, des bibliothèques pour leurs propres créateurs. On peut donc imaginer que ces centres culturels deviendront les lieux d'un partenariat très fort ; et pourquoi leurs conseils d'administration ne seraient-ils pas constitués à parité de représentants de votre ministère et des forces vives de ces pays ?

Ne pas voter votre budget n'est pas, Monsieur le ministre, un signe de défiance à votre égard, ni surtout envers votre action personnelle, à laquelle je rends hommage. C'est une interpellation qui, au-delà de votre personne et de vos services, s'adresse à ceux qui font aujourd'hui le budget de la France. Nous leur disons : le budget de la coopération, et plus largement des affaires étrangères, n'est pas une variable d'ajustement. Si la rigueur budgétaire est inévitable, il n'est pas bon que ce soit au détriment de votre image, et de peuples qui n'ont guère de recours au sein du monde développé, si ce n'est la France. Et il ne serait pas bon qu'en 1999, comme il est malheureusement de tradition, quelques gels ou annulations viennent encore restreindre les moyens dont vous disposez (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Pierre Goldberg - Les crédits de la coopération pour 1999 figurent pour la première fois dans le budget des affaires étrangères : c'est une rupture positive avec le passé. Ne l'oublions pas, c'est par le biais du ministère de la coopération qu'a été conduite trop longtemps une politique africaine, domaine réservé de l'Elysée, marquée par l'opacité et par des dérives qu'a révélées par exemple le rôle plus qu'ambigu des dirigeants de notre pays dans le génocide rwandais. On ne saurait changer d'orientation et de méthodes sans faire évoluer l'outil.

C'est bien une ambition politique qui doit guider notre nouvelle politique de coopération, composante majeure de notre politique étrangère. On a envisagé un temps la gestion par le ministère des finances de l'ensemble des crédits affectés à la coopération : nous jugeons infiniment préférable l'option retenue aujourd'hui. Celle-ci se traduit par la création d'une nouvelle direction : la direction générale de la coopération internationale et du développement, opérationnelle dès janvier prochain.

La prochaine étape sera marquée par la réunion du comité interministériel de la coopération et du développement ; l'avenir dira comment il accomplira le rôle de coordination qui lui est assigné. Nous pensons toujours que notre proposition de créer un ministère du développement était adaptée à l'enjeu de la construction de nouveaux rapports entre la France et ses partenaires du Sud.

La recherche d'un vrai codéveloppement, la construction de relations économiques et politiques rompant avec la logique de domination et d'exploitation sont en effet les clés du développement et de l'emploi dans les pays du Sud mais aussi en France et en Europe. Le dernier rapport de la conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement souligne la responsabilité particulière des pays développés dans le soutien aujourd'hui nécessaire de la demande : pour cet organisme, conforter l'activité des pays les moins développés, les aider à faire face aux conséquences de la crise financière en leur permettant notamment de se protéger de la spéculation sont des objectifs vitaux pour la croissance mondiale. Le monde est malade tant de la croissance financière que de l'insuffisance des dépenses pour les hommes : salaires, formations, investissements utiles, créations d'emplois efficaces. C'est dire l'urgence de construire un nouvel ordre économique et financier avec de nouvelles règles du jeu limitant les pouvoirs des marchés financiers et démocratisant les organismes internationaux.

Nous souhaitons que la France, comme elle a su le faire récemment à propos de l'accord multilatéral sur les investissements, agisse activement en ce sens, en particulier dans les négociations sur la reconduction des accords de Lomé. L'avenir des relations entre l'Union européenne et les pays ACP doit intégrer les acquis de Lomé : le partenariat, la prévisibilité de l'aide, la sécurité des relations, qui sont un point d'appui précieux pour aller de l'avant. Il est plus que jamais nécessaire de promouvoir les ressources humaines des pays ACP en privilégiant la satisfaction des besoins de base dans les domaines de la santé et de l'éducation, en mettant l'accent sur la formation.

Il faut libérer le potentiel de production agricole locale, comme au Mali, et favoriser une politique de la ville en lien avec l'urbanisation croissante. Ces projets de coopération doivent s'inscrire dans une perspective régionale, particulièrement dans des domaines stratégiques comme l'énergie, les transports, l'hydraulique.

A quelles conditions l'aide au développement doit-elle répondre ? Il faudrait dépasser les programmes d'ajustement structurels fondés sur des critères strictement financiers, élaborés par des cercles restreints, loin de la société civile. Et engager une démarche de contrat prenant en compte la réalité socio-culturelle et économique des pays et favorisant l'intervention des populations.

S'il faut un accord global, inscrit dans la durée, précisant les principes de la coopération, ses objectifs et les modalités de sa mise en oeuvre, il nous semble souhaitable de le décliner dans des accords prenant en compte la spécificité de chaque grande région ACP.

Dans le domaine de la coopération financière, le principe de la programmation est essentiel pour garantir la prévisibilité de l'aide et la sécurité des relations entre l'Union européenne et les partenaires du Sud. La banque européenne d'investissement pourrait octroyer des prêts à long terme et à un taux très bas pour financer de grands projets, répondant aux priorités de développement.

L'Union européenne a vocation à se faire l'avocat des pays ACP dans les instances internationales, contre les tendances ultra-libérales qui déstabilisent le développement des pays les plus fragiles. Elle peut agir pour arracher les meilleurs compromis possibles entre les exigences des marchés financiers et celles des sociétés africaines. Au FMI, elle doit refuser qu'on impose aux pays africains une ouverture des frontières incompatible avec leur développement.

Le sous-développement de toute une partie du monde a un coût immense. Et l'immense chantier du développement recèle des potentialités considérables pour ces sociétés, mais aussi pour nos pays développés.

Pour en venir au budget, il est fâcheux que la réduction des crédits des affaires étrangères porte principalement sur les crédits gérés antérieurement par la Coopération. On avance certes quelques arguments fondés pour justifier cette baisse d'environ 7 %. Il est vrai que l'amélioration de la situation des économies africaines ne nécessite plus l'effort consenti au titre de l'ajustement structurel du fait de la dévaluation du franc CFA.

Toutefois, l'avenir s'assombrit pour nombre de pays, comme la Guinée, le Zimbabwe, le Gabon ou le Cameroun, confrontés à la chute dramatique du prix des matières premières alors que se renforcent des logiques de domination et de pillage.

Les désordres politiques que connaissent nombre de pays d'Afrique, notamment ceux de l'Afrique des Grands Lacs, entraînent également une réduction de notre aide qu'on ne peut que déplorer.

L'avenir de la coopération technique est en outre pénalisé par la diminution des effectifs de coopérants, laquelle ne répond pas, de l'avis même du rapporteur pour avis de la commission des finances, à une volonté politique claire.

Nous nous félicitons par contre de la stabilité des autorisations de programme sur le FAC, qui confirme l'effort engagé l'an dernier sur "l'aide-projet" ou de l'augmentation sensible des crédits de la coopération décentralisée.

La France garde le deuxième rang mondial pour le montant net de l'aide publique au développement, avec 0,45 % du PIB contre 0,08 % du PIB pour les Etats-Unis. Mais il est nécessaire de faire plus et aussi différemment.

Le désengagement américain fragilise l'action des organismes internationaux. Les Etats-Unis vont ainsi supprimer en 1999 toute contribution au fonds des Nations Unies pour la population, ce qui entraînera une dégradation de la santé maternelle et infantile dans les pays bénéficiaires.

Pourtant, comme l'assemblée parlementaire de la francophonie l'a encore rappelé en juillet à Abidjan, il convient de prendre en compte, de façon systématique, les problèmes démographiques grâce à des programmes d'information et d'éducation sur la santé et sur la procréation.

Les relations que la France entretient avec ses partenaires du Sud doivent être régies par le souci de la justice et du codéveloppement, afin de favoriser une mondialisation qui ne soit plus dominée par les marchés financiers.

Le chantier de la réforme de la coopération doit se poursuivre.

Prenant en compte les avancées que traduit ce budget, malgré ces limites, notre groupe apportera un vote positif (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Yves Dauge - Le succès de la réforme en cours dépend d'abord des hommes. Ceux qui animent vos services, au sein des directions des ministères, de l'agence française de développement ou de l'agence pour l'action culturelle, et que j'ai souvent eu l'occasion de rencontrer, sont d'une compétence exceptionnelle. Le réseau des collectivités locales et des organisations non gouvernementales est également très remarquable.

Tous ces acteurs publics, parapublics et privés, il faut les mobiliser et vous savez le faire. Il vous faut tenir le discours fort qu'ils attendent et qui est aussi nécessaire vis-à-vis de l'extérieur, car beaucoup de pays souhaitent savoir quelles zones géographiques seront demain prioritaires pour nous. C'est le cas des pays africains, c'est également celui des pays méditerranéens réunis au sein de la conférence euro-Méditerranée et tournés vers la France. Les attentes sont également grandes dans les Caraïbes et en Asie du Sud-Est.

Sans doute convient-il d'accorder plus de place aux questions institutionnelles. Comme le titrait récemment un journal, "le développement sera d'autant plus fort que la démocratie sera forte". Nous pouvons apporter beaucoup à nos partenaires, notamment en matière juridique. Nous l'avons vu ensemble, Monsieur le ministre, lors d'un récent déplacement auprès du Conseil d'Etat thaïlandais, institution remarquable composée de gens faisant constamment référence à notre système institutionnel et parlant notre langue. Cela implique de concentrer notre effort de formation sur ceux qui, sélectionnés avec les partenaires locaux, pourront constituer l'encadrement qui manque souvent aux pays en développement. Le sort réservé aux bourses dans ce budget correspond à ce besoin.

Une attention particulière doit être apportée au développement urbain souvent anarchique que connaissent ces pays. Nous pouvons les aider à prendre en charge notamment les questions d'assainissement et d'environnement grâce à une mobilisation interministérielle impliquant par exemple les services de l'équipement.

Enfin, l'action de la France ne doit plus être bilatérale. Il nous faut collaborer davantage avec les institutions européennes dont les fonctionnaires m'ont souvent signalé notre faiblesse par rapport à beaucoup de nos partenaires, en particulier lorsqu'il s'agit de monter des projets regroupant des financements communautaires.

Il nous faut également travailler davantage avec les organisations internationales, notamment celles de la famille des Nations Unies ainsi que j'ai l'occasion de le faire avec l'UNESCO. Nous n'avons qu'à y gagner.

Je rejoins là vos conceptions de la francophonie qui ne consiste pas en une concurrence avec nos partenaires, mais qui est un "plus".

Vous disposez d'un grand ministère pour une politique ambitieuse. Il vous appartient d'approfondir votre stratégie du développement en lançant la concertation avec l'ensemble des acteurs.

Avec peu de moyens, on peut faire beaucoup de choses, si on fait jouer l'effet de levier.

De belles perspectives s'offrent à nous. Je soutiens votre action, Monsieur le ministre, et j'apprécie votre engagement personnel (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pierre Lequiller - La réorganisation de notre politique de coopération se fait par l'intégration de votre ministère à celui des affaires étrangères. Elle ne peut être que bénéfique, si elle rend plus efficaces les interventions extérieures de la France. Mais il faut aller jusqu'à la création d'une administration unique, compétente aussi pour l'action économique extérieure.

L'annulation par le Conseil d'Etat d'un arrêté, relatif au comité technique paritaire du ministère des affaires étrangères, pourrait retarder de six à huit mois la publication du décret de fusion organique des deux ministères, alors que la nouvelle structure devait se mettre en place dès le 1er janvier 1999. Qu'en est-il, Monsieur le ministre ?

Le budget de la coopération, qui avait déjà diminué de 3,6 % entre 1997 et 1998 est encore amputé de 8,16 % en 1999, pour atteindre 5,96 milliards. Cette réduction patente de vos moyens contraste avec la volonté de reconquête que vous avez affichée au moment de votre prise de fonctions.

La politique française de coopération, c'est avant tout l'aide au développement, financée par le fonds d'aide et de coopération. Or la diminution de 11 % des crédits de ce fonds ne manquera pas d'avoir des conséquences sur l'aide que nous apportons aux Etats les plus pauvres. De plus, l'aide bilatérale directe, financée sur ce fonds, doit être concentrée sur une zone de solidarité prioritaire, qui n'a toujours pas été définie.

Comme M. Tavernier l'a souligné dans son rapport, les crédits d'investissement du fonds d'aide et de coopération, en baisse de 34,62 %, ne représenteront plus que 17 millions en 1999. Aucune opération nouvelle majeure ne pourra être entreprise.

La suppression de 170 postes de coopérants, dans le domaine de l'assistance technique, confirme les craintes que les expatriés avaient exprimées lorsqu'avait été annoncée la réforme de la politique de coopération. Beaucoup de ces postes disparaissent, car ils étaient occupés par des coopérants du service national, que vous n'avez pas les moyens de remplacer.

Quelques mots sur la francophonie : la langue française a cédé la première place à l'anglais au début du XXème siècle. La charte des Nations Unies a été rédigée en anglais, même si le français a été reconnu, ensuite, comme langue de travail. Paradoxalement, le français a regagné un peu de son influence avec la décolonisation : un quart des Etats membres de l'ONU sont francophones, et on estime à 200 millions le nombre de francophones dans le monde. Nous avons récemment entendu, ici-même, le vibrant plaidoyer du président sénégalais.

Les crédits de la francophonie amorcent une décrue relative, avec une baisse de 0,46 %. Il est dommage que, pour utiliser au mieux les 62 millions consacrés à notre politique francophone, on n'ait toujours pas réorganisé les multiples structures concernées.

Le français recule dans de nombreux Etats : en Espagne, en Algérie, en Roumanie, en Pologne...

Il faut développer l'enseignement du français à l'étranger, qui est pris en charge par l'agence pour l'enseignement du français à l'étranger. Celle-ci regroupe 275 établissements, qui comptent plus de 157 000 élèves, dont 41 % sont Français, et plus de 11 000 enseignants. Je me réjouis que sa dotation progresse, même si elle demeure insuffisante -moins de 2 milliards. En revanche, je déplore la faiblesse des crédits d'investissement qui interdit toute implantation nouvelle. D'autre part, la revalorisation des bourses des enfants français, scolarisés à l'étranger, ne fait que compenser l'augmentation des frais de scolarité, due à la baisse des moyens des établissements.

Dans mon rapport de juillet 1996 sur notre réseau d'enseignement à l'étranger, j'ai proposé de rapprocher l'enseignement à l'étranger du monde de l'entreprise, de vaincre les rigidités nées de la loi et des décrets de 1990, de recentrer notre effort sur la formation des élites locales, de multiplier les passerelles entre l'enseignement secondaire français et l'enseignement supérieur et d'orienter les élèves vers les filières porteuses de l'économie internationale.

Telle devrait être notre ambition.

Tout comme ceux du ministère des affaires étrangères, les crédits de la coopération sont en net recul. La dotation est insuffisante au regard de vos missions. Le groupe Démocratie Libérale votera contre ce projet de budget.

M. François Loncle - Mme Roudy, empêchée m'a prié d'intervenir en son nom.

La francophonie est l'amour commun d'une même langue. On dit joliment que la francophonie institutionnelle réunit des Etats "qui ont le français en partage". La francophonie est une force culturelle qui regroupe, à défaut parfois de les fédérer, 104,6 millions de personnes réparties sur les cinq continents, et entre quarante-neuf Etats.

La francophonie recule. On ne peut s'y résigner. L'influence de la France est liée à sa présence culturelle. Le déclin de l'une entraîne le déclin de l'autre.

Les faiblesses de la francophonie sont sérieuses. Environ 60 % des francophones habitent en Europe occidentale. Les zones démographiquement les plus dynamiques ne comptent que peu de francophones -0,06 % en Amérique du Sud, encore moins en Extrême-Orient- ou bien la diffusion de la langue française est freinée par différents phénomènes : arabisation de l'enseignement dans le Maghreb, impact du sous-développement sur la scolarisation en Afrique subsaharienne.

En outre, à mesure que les systèmes d'enseignement des anciennes colonies européennes se mettent en place, la France y envoie moins d'enseignants. Il est cependant anormal que des pays francophones, aidés massivement par la France, ne puissent développer de système satisfaisant d'enseignement obligatoire.

Enfin, hormis en France et à Monaco, le français est toujours la langue d'une minorité, ce qui place ses locuteurs en position défensive.

Si 70 % des textes primaires de la Commission européenne étaient en français en 1986, ce pourcentage est tombé à 38,5 %, alors que celui des textes primaires rédigés en anglais est passé de 19 % en 1995, à 35 % début 1996, et atteint 44,7 % en décembre 1996.

La défense de la francophonie -qui est aussi celle d'une certaine pluralité culturelle et linguistique- impose des décisions offensives et une certaine éthique. Il faut faire de la francophonie un pôle de référence.

Dans un rapport présenté à la commission des affaires étrangères et approuvé par elle, Mme Roudy avait formulé vingt propositions pour relancer la francophonie.

Il faut d'abord remédier à l'atomisation des services concernés et des sommes en jeu, dont personne n'est capable de donner le montant exact. On parle de 700 millions. Nous sommes nombreux à attendre qu'un ministre de la francophonie, doté d'un ministère à part entière, regroupe tous ces services éclatés et rationalise l'octroi des fonds publics.

En outre, sommes-nous dotés de moyens de contrôle convenables de l'usage de ces fonds ? Je crains que non.

De plus, il conviendrait d'évaluer les résultats de nos efforts. Personne n'a été en mesure de me les expliquer. Ce n'est pas admissible.

D'autre part, la politique malthusienne des visas menée ces dernières années a mis la francophonie en péril. Celle-ci a longtemps reposé sur la formation dans les universités françaises des futurs cadres des pays francophones. Les conditions humiliantes de l'octroi des visas, les délais d'obtention, les risques de refus ont détourné les étudiants vers les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'Australie.

Les agents consulaires chargés de la délivrance des visas doivent être encadrés par des fonctionnaires français et mieux formés. Un étudiant ou un chercheur étranger n'est pas nécessairement un immigré clandestin en puissance.

La France, longtemps deuxième pays d'accueil derrière les Etats-Unis, a été reléguée cette année à la troisième place par le Royaume-Uni.

Il faut aussi revoir notre politique des bourses. Les bourses d'études de longue durée doivent être préférées aux stages. Les études à l'étranger créent entre le pays d'accueil et l'étudiant un lien fort, très utile à long terme.

L'enseignement du français à l'étranger doit aussi être développé. Les jeunes étrangers représentent plus de la moitié des élèves de l'AEFE. Ils sont presque 100 000 et constituent un formidable réservoir. Or la plupart s'échappent après le bac vers les pays anglo-saxons. Les bourses d'excellence que vous mettez en place, Monsieur le ministre, peuvent être un moyen de les retenir.

La francophonie souffre de l'absence de priorités claires et d'habitudes paralysantes ; il faudrait concentrer notre action sur les pays traditionnellement francophones, afin d'éviter le saupoudrage, et de lancer des actions auprès de communautés francophones qui ne disposent pas de relais institutionnels -je pense notamment à la Louisiane et aux Haïtiens de New York.

Les fonctionnaires internationaux français abandonnent trop facilement leur langue maternelle. Nous devons exiger qu'ils utilisent le français pour la rédaction des textes primaires dès lors qu'il est une langue de travail de l'organisation qui les emploie.

Nous devons aussi créer des filières francophones de préparation aux concours des écoles diplomatiques nationales ou au recrutement dans les organismes internationaux. Un Suédois qui entrerait à la Commission européenne grâce à une telle préparation ne serait-il pas un bon ambassadeur de la francophonie ?

Il conviendrait d'obliger les représentants de la France à l'étranger à employer le français et de demander aux pays membres de la communauté francophone de s'exprimer en français dans les organisations internationales.

Enfin, je propose l'organisation chaque année, ou avant chaque sommet, d'un débat parlementaire sur la francophonie.

Encore faudrait-il que la francophonie conserve une identité et une éthique. Or nombre de pays ne respectent pas les valeurs que nous voulons promouvoir : la démocratie, le développement, les droits de la personne humaine. De même, les opérations multilatérales gagneraient à être rationalisées ; le contrôle est sans aucun doute plus aisé dans un cadre bilatéral. Je propose que tout projet de coopération francophone fasse l'objet d'un contrat clair avec l'Etat bénéficiaire, assorti d'objectifs quantitatifs. L'aide doit être fonction du respect des engagements : obligation de scolarisation, statut de la femme... et des avancées pour la langue française tels que l'enseignement dès le primaire ou l'ouverture de filières francophones.

C'est parce qu'elle sera exigeante sur ses valeurs que la francophonie sera recherchée et qu'on évitera un déclin qui participerait d'une mondialisation tendant à l'uniformité. Pour cela, il faut une volonté politique forte ; le défi mérite la création d'un ministère à part entière.

Pour terminer, Mme Roudy voulait évoquer le décès survenu dans la nuit du 18 au 19 octobre 1995, dans des circonstances douteuses, de Bernard Borrel, magistrat français en mission de coopération à Djibouti. Elle l'a très bien connu quand il était procureur de la République à Lisieux. La version officielle est le suicide par le feu, mais l'autopsie exigée par sa femme a révélé qu'il était déjà mort quand son corps a brûlé. S'il apparaissait que tout n'a pas été fait pour rechercher les auteurs du crime, la France serait déshonorée et discréditée, tant dans le monde qu'aux yeux de ses ressortissants. La famille de Bernard Borrel, la magistrature française et l'association d'aide et de soutien aux victimes d'infractions commises à l'étranger insistent auprès du Gouvernement pour que les enquêtes nécessaires soient diligentées et pour qu'ils soient assurés de la collaboration sans faille de la République de Djibouti (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - Voici donc le premier budget traduisant la réforme de notre dispositif de coopération, à laquelle Hubert Védrine et moi-même avons consacré beaucoup de soins, beaucoup de temps aussi. Désormais, tous les crédits destinés à la coopération internationale sont inscrits au budget des affaires étrangères. Ce changement rendait l'analyse difficile, et je veux souligner la qualité du travail accompli par les rapporteurs. Pour l'avenir, il faudra que l'Assemblée réfléchisse à la meilleure manière d'organiser la discussion car il m'est arrivé cet après-midi de me sentir peu concerné...

L'an dernier, j'avais affiché nos ambitions, que le ministre des affaires étrangères a rappelées cet après-midi. Je viens aujourd'hui vous rendre compte de nos réalisations et vous demander les moyens de poursuivre notre action.

Depuis longtemps, on reprochait à notre coopération son opacité et son enfermement dans le pré carré francophone ; on affirmait qu'elle devait mieux servir la démocratie et l'ouverture au monde de nos partenaires, contribuer plus efficacement à la lutte contre la pauvreté, en associant davantage les intéressés au choix des moyens. Depuis longtemps donc, chacun convenait qu'il fallait moderniser notre appareil administratif pour améliorer son efficacité, accroître la lisibilité de notre action et développer les synergies entre les pôles diplomatique et économique. En 1997, Lionel Jospin nous a demandé de réaliser la reconfiguration du dispositif.

Encore fallait-il respecter la sensibilité des différents personnels concernés -d'un côté aux thématiques du développement, de l'autre, aux impératifs de diffusion de notre culture. Nous sommes au début d'une nouvelle étape. Nous la franchirons en concertation étroite avec les intéressés ; je regrette que certains d'entre vous aient laissé entendre le contraire. Dans leur grande majorité, les personnels ont compris le sens de la réforme et en attendent un surcroît d'efficacité.

On l'a dit, le budget des affaires étrangères progressent peu en 1999 : c'est un choix qui résulte de priorités nationales fortes et qui nous a conduits à pratiquer des arbitrages. Nombreux sont ceux, qui, parmi vous, souhaitent un effort de maîtrise des dépenses publiques. Mais si certains postes budgétaires sont tenus d'augmenter, il est normal que d'autres consentent un effort plus important. Je pense que nous pourrions consentir l'effort qui nous a été demandé.

Vos rapporteurs ont bien noté que la stabilité globale du budget des affaires étrangères masque une progression relative des crédits des affaires étrangères et une diminution de ceux de la coopération. Nous perdons les marges dont nous disposions en matière de crédits d'ajustement structurel et d'assistance technique mais la réforme n'affecte pas les capacités de fonctionnement de notre appareil administratif.

Ce n'est pas une administration sans ambition ni moyens qui vient enrichir notre ensemble diplomatique. C'est une structure porteuse d'un projet, dotée des moyens humains et financiers pour coopérer au développement, bien au-delà du seul continent africain. Mais je dois dire à M. Goldberg que l'idée d'un ministère de la coopération distinct de celui des affaires étrangères ne me paraît pas bonne.

M. Jean-Claude Lefort - Il n'a pas dit cela.

M. le Ministre délégué - Il a rappelé son espoir d'un grand ministère de la coopération et du développement.

Inscrire le développement au coeur de la politique extérieure de la France est une contribution essentielle à la stabilité du monde, et le rêve serait que chaque diplomate se sente agent du développement -je sais qu'Hubert Védrine y consacre beaucoup d'efforts.

Nous avons délimité les compétences respectives, rapproché les procédures de leur mise en oeuvre et confirmé les modalités d'exercice des tutelles sur l'agence française de développement, à laquelle nous confions d'ailleurs de nouvelles responsabilités. Le nouveau schéma d'organisation du ministère, arrêté à l'issue d'une vaste concertation avec les personnels, entrera en vigueur intégralement en janvier. Les moyens budgétaires et humains seront regroupés, assistance technique comprise. La mission militaire de coopération et la sous-direction de l'aide militaire, érigées en direction de la coopération militaire et de défense, seront placées sous l'autorité du directeur général des affaires politiques. Le service des affaires francophones, rattaché directement au secrétaire général, gagnera en autonomie et en efficacité.

Surtout, la DGRSCT, la direction du développement et le service de la coordination géographique de la coopération seront fondus en une direction générale de la coopération internationale et du développement -DGCID-, sans que l'organisation géographique vienne interférer, comme le craignait M. Myard cet après-midi, avec l'organisation sectorielle.

Le Premier ministre ayant décidé en février dernier que les crédits de la coopération, identifiés au sein du budget des affaires étrangères, seraient présentés par le ministre délégué, il me revient de vous présenter les crédits d'intervention du Quai d'Orsay affectés à l'ensemble des actions de coopération internationale, soit 8,2 milliards sur un budget global de 20,7 milliards, plus 2,3 milliards pour les subventions de fonctionnement aux institutions sous tutelle de la nouvelle DGCID, dont l'agence pour l'enseignement du français à l'étranger et l'AFAA.

La nomenclature budgétaire a été révisée pour tenir compte de la nouvelle architecture, ce qui rend difficiles les comparaisons avec l'exercice précédent, mais éclaircira, à l'avenir, la destination des crédits. Des chapitres spécifiques sont consacrés à la coopération technique et au développement, à la coopération culturelle et scientifique, à l'action audiovisuelle extérieure -dotée, pour la première fois, de plus d'un milliard de francs-, à la coopération militaire et de défense, au soutien des initiatives décentralisées ou privées.

S'agissant des choix budgétaires proprement dits, nous avons décidé de maintenir le montant de notre aide aux projets. Les autorisations de programme au titre du FAC restent à 2,3 milliards, dont 1,3 mis en oeuvre par la CGCID et 1 par l'AFD, mais les économies réalisées n'ont pu être affectées à des actions supplémentaires. Comme les années précédentes, l'amélioration de la situation budgétaire de nos partenaires a entraîné la sous-consommation de nos crédits d'ajustement structurel, et les perspectives restent semblables pour l'an prochain, sous réserve de l'évolution de la conjoncture internationale : l'effondrement de certains marchés asiatiques, la baisse des prix du pétrole, du bois et d'autres matières premières, celle du dollar pourraient contribuer à ralentir la demande mondiale. Nous serions néanmoins en mesure, si la situation de certains pays se dégradait trop, de porter nos concours financiers au niveau adéquat. Reste que la naissance de l'euro et la sécurisation des échanges qui en résultera bénéficieront à nos partenaires de la zone franc et à l'ensemble des pays ACP.

Les effectifs de l'assistance technique civile et militaire baisseront de 194 l'an prochain, au lieu de 305 cette année. Ce ralentissement laisse espérer une prochaine stabilisation, mais je sais que ni nos partenaires, ni les personnels, ni les rapporteurs n'ont été convaincus par la logique de "renforcement de l'expertise nationale". J'ai donc confié à un haut fonctionnaire, fin connaisseur de notre dispositif de coopération, une mission de réflexion en vue de la redéfinition des missions, des statuts et des conditions d'exercice de l'assistance technique. Il me rendra ses conclusions au début de l'an prochain, après concertation avec les intéressés. C'est sans attendre, toutefois, que nous consacrerons une part des sommes économisées à améliorer la situation indemnitaire des coopérants.

D'aucuns ont cru devoir opposer la diminution des moyens à l'extension du champ géographique de la coopération. Mais nous ne serions pas forcément en mesure, s'il y avait des crédits supplémentaires, de les affecter à bon escient, s'agissant de nouveaux partenariats avec de nouveaux pays. Les choses se présenteront toutefois autrement pour l'exercice suivant.

Il reste à donner son assise définitive à cette réforme. Le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement définira, sans doute début décembre, les choix politiques de fond, et la création du Haut Conseil -par un décret dont la signature est imminente- associera la société civile à cet effort national. Je proposerai au comité de définir une zone de solidarité prioritaire et, partant, le contenu politique de la réforme : avec qui coopérer, dans quels secteurs, avec quelle intensité, quels outils, quels objectifs politiques -en termes de démocratie et de droits de l'homme- et en fonction de quels intérêts stratégiques -nationaux, européens ou francophones ?

Nous pouvons constater avec quelque fierté, huit mois après l'annonce d'une grande réforme à laquelle tous ne croyaient pas, que bien des choses ont déjà changé. Cette réforme, vous avez bien voulu l'enrichir de vos observations, et nous avons souhaité en augmenter la portée et le sens en consultant les institutions, les collectivités, les entreprises, les milieux professionnels concernés, dont l'approche, nous nous sommes réjouis de le vérifier, rejoint largement notre ambition.

Une politique ambitieuse, ce sont avant tout des priorités affichées, dotées de moyens humains et financiers importants : développer notre capacité d'influence extérieure, identifier et fidéliser les élites chez nos partenaires, confirmer notre position sur la coopération au développement, associer la société civile.

Développer notre influence suppose d'abord d'améliorer notre présence médiatique, ce qui nous a conduits à renforcer l'action en faveur de l'audiovisuel extérieur : crédits en hausse, hommes nouveaux, un projet correspondant à l'état des techniques et de la concurrence, voilà qui devrait relancer les choses. Notre budget apporte l'essentiel de la contribution française à la francophonie, TV 5 à hauteur de 273 millions, le service des affaires francophones et la future DGCID pour 286 millions. Mais notre rôle ne se limite pas à payer toujours plus. L'action des principaux opérateurs de la francophonie va aussi être évaluée.

Développer notre influence suppose ensuite d'être plus présents dans les institutions multilatérales. C'est pourquoi nous augmentons de 50 millions nos contributions volontaires aux organisations internationales et nous apprêtons à y intervenir de façon plus marquée, qu'il s'agisse de l'ONU, de Bretton Woods, des divers organismes multilatéraux dédiés au développement ou des institutions de la francophonie. Dans ce dernier domaine, 43 millions de francs de mesures nouvelles ont été adoptés pour financer deux programmes majeurs : la promotion du français dans les organisations internationales, le développement des nouvelles technologies de l'information dans l'espace francophone.

Développer notre influence suppose enfin une meilleure présence géographique, donc une réorientation progressive d'une partie de nos moyens vers de nouveaux partenaires. Soutenir le renforcement de l'Etat de droit aux marches de l'Europe ou dans les Républiques de la CEI, c'est sécuriser une région encore potentiellement instable. M. Myard pense qu'il faudrait une direction spéciale pour l'Afrique, mais je puis l'assurer que certains pays d'Europe de l'Est ont autant besoin qu'elle de bases étatiques plus sûres, d'une justice ou d'une fiscalité plus efficaces. Je suis heureux que nous puissions leur offrir notre coopération technique. Soutenir leur démarche, c'est aussi ouvrir de nouveaux marchés à nos industriels pour qui la paix est une condition préalable à l'investissement et au commerce. Mme Aubert m'a presque reproché de défendre les intérêts de groupes industriels français. De fait, il m'arrive d'être porteur de projets industriels intéressant nos entreprises -et pas seulement les grandes, loin de là-, mais je ne crois pas devoir m'en excuser.

M. Jean-Claude Lefort - Très bien !

M. le Ministre délégué - Deuxième priorité : identifier et fidéliser les élites futures chez nos partenaires. Il s'agissait déjà cette année d'une priorité pour la Coopération comme pour les Affaires étrangères, quoique d'une façon différente. Ce sera demain un thème transversal essentiel pour l'ensemble des services. Notre politique de bourses, en particulier d'études, verra ainsi ses moyens renforcés. Notre politique des visas participera également de ce meilleur accueil des étudiants étrangers. Cette priorité se traduira aussi par la recherche de partenariats plus riches entre institutions de formation françaises et étrangères. Nos universités, nos écoles de commerce, nos chambres de commerce et d'industrie, nos chambres des métiers, nos entreprises, nos écoles militaires sont de possibles coopérants. La coopération militaire nous en fournit de bons exemples comme l'ouverture en 1999 d'un centre régional de formation au maintien de la paix à Abidjan.

Autre grande priorité : confirmer la place de la France dans l'aide publique au développement. La réussite des économies asiatiques a pu, un temps, faire douter certains de l'utilité de cette dernière. L'investissement privé suffisait, pensait-on. Mais la crise récente et les fragilités constatées dans ces pays, en matière notamment d'infrastructures ou de formation ont fait justice de cette croyance. Lors des dernières assemblées annuelles du FMI ou de la Banque mondiale, j'ai ainsi constaté une évolution significative du discours sur l'aide publique au développement. Le développement humain, la lutte contre la pauvreté, l'enseignement de base et la formation en général, la restauration de l'Etat de droit y ont été clairement reconnus comme conditions du développement durable des pays sous ajustement.

La France a fait sienne cette analyse depuis fort longtemps et, contrairement à d'autres, s'y est tenue. Même si nous devons regretter l'érosion enregistrée ces dernières années, en 1997, le niveau de notre aide -37 milliards de francs, soit 0,45 % du PIB- nous maintient au premier rang des pays du G8 en termes de taux d'effort, et au deuxième, derrière le Japon, en termes de volume. Nous ne donnerons de leçons à personne, Monsieur Godfrain, mais nous continuerons à mettre chaque pays en face de ses responsabilités.

L'année 1999 sera celle de la renégociation des accords de Lomé. Nous avons défendu âprement la préservation de ce lien privilégié entre l'Europe et les pays en développement, notamment africains. La future convention devra tenir compte de deux nouveautés : désormais, l'OMC existe, l'Europe politique et monétaire aussi. Pour ce qui est de l'OMC, nous avons rappelé l'objectif d'intégration des PVD dans l'économie mondiale mais aussi le besoin d'un calendrier et de modalités appropriées selon les régions. Quant à l'euro, il consolidera le lien économique et commercial avec les PVD, et pas seulement avec les pays de la zone franc.

1999 sera aussi l'occasion de réfléchir à une meilleure utilisation des canaux de l'aide multilatérale, en particulier lorsque nous ne disposons pas du personnel français nécessaire sur le terrain. J'attends d'ailleurs beaucoup des conclusions que votre collègue Yves Tavernier transmettra au Premier ministre sur l'articulation de nos actions bilatérales et multilatérales.

D'une manière générale, la France a besoin de mobiliser mieux ses forces. La mondialisation rend en effet les pays du Sud plus sensibles à la concurrence et à la multiplicité des initiatives ; elle les rend d'autant plus attentifs à toutes les formes de partenariat susceptibles d'augmenter leurs chances de réussite. Associer plus activement la société civile à notre politique de coopération internationale devient ainsi un impératif.

La coopération que l'on qualifie de "hors l'Etat" est au coeur des nouvelles dynamiques. Les moyens que nous y consacrons, en augmentation sensible, sont appelés à soutenir des initiatives très diverses.

La coopération décentralisée s'affirme chaque jour davantage comme répondant à une attente de nos partenaires. Nous encourageons l'élargissement de son champ d'action et la diversité de ses intervenants. Des rencontres nationales de la coopération décentralisée consolideront, au printemps prochain, ces outils de la présence française.

Aux côtés des collectivités publiques, c'est le tissu associatif, bien sûr, mais aussi les entreprises et les organisations professionnelles qui s'engagent. Des actions comme la journée de promotion de l'investissement en zone franc témoignent d'une heureuse synergie entre l'Etat et le secteur privé.

Les organisations de solidarité internationale ont quant à elles une tradition établie de coopération dans les secteurs les plus divers. Notre souci est de les voir se renforcer, d'encourager une réunion des moyens et une professionnalisation qui les rendront aussi efficaces que leurs homologues étrangères.

Enfin, les confédérations syndicales, salariées ou patronales, constituent un terrain de coopération particulièrement fertile. Aussi y consacrerai-je, avec votre appui, de l'énergie et des moyens supplémentaires en 1999.

Permettez-moi, en conclusion, de vous dire combien la préparation de la réforme a été passionnante. Je compte que l'année de sa mise en oeuvre le soit encore davantage. Comme le Premier ministre m'en a donné mandat, j'aurai à revenir vers votre assemblée pour présenter un bilan de l'aide publique française au développement.

M. Jean-Claude Lefort - Très bien !

M. le Ministre délégué - Ce sera l'occasion de faire le point sur les questions traitées par le CICID, la zone de solidarité prioritaire en particulier, et d'évoquer le rôle du haut conseil de la coopération internationale.

Fixons-nous pour objectif de proposer à la société française, dans les six prochains mois, un débat de fond pour qu'à la réforme de la coopération dont vous connaissez l'architecture réponde la mobilisation dont elle porte l'esprit. Dans quelques mois, je proposerai aux instances de concertation que nous avons prévues le document de référence autour duquel le débat pourrait s'engager.

Je ne doute pas que nous saurons alors rencontrer les aspirations de nos concitoyens à une plus grande ouverture sur le monde et révéler ainsi le gisement de générosité que la société française recèle.

J'en viens aux questions qui m'ont été posées. J'ai déjà répondu à M. Adevah-Poeuf au sujet de la zone de solidarité prioritaire. Concernant la relation entre le pôle économique et le pôle diplomatique, je rappelle tout d'abord que les grandes actions extérieures de la France sont décodées par le Premier ministre, dans le cadre des structures interministérielles. Mais, pour ce qui est de la dette et du club de Paris, la question la plus importante est de savoir si la dette continuera d'absorber une part croissante de l'aide au développement, ou si, grâce au désendettement, l'APD pourra servir à financer de nouveaux projets. La fongibilité de l'assistance technique a fait l'objet d'une question dont je ne suis pas sûr d'avoir saisi la pertinence. Il n'y a pas de quotas par régions ou par pays : on peut donc considérer qu'il y a fongibilité. C'est en fonction des besoins et des accords de partenariat avec les différents pays que nous répartissons géographiquement nos experts.

Plusieurs orateurs ont posé la question du volontariat civil qui viendrait compenser la réforme du service national. Le projet de loi qui crée ce volontariat civil devrait être déposé à l'Assemblée début 1999, pour qu'il puisse être adopté au printemps.

Vous avez souligné le rôle que pourra jouer l'euro dans la consolidation des économies africaines ; je n'y insiste pas. Un mot sur la République démocratique du Congo. Notre position : ni ingérence, ni indifférence. Nous connaissons les responsabilités que nous confèrent l'histoire et la géographie. Nous sommes attentifs à l'évolution de la situation. Nous poursuivons d'ailleurs une opération avec ce pays pour environ 20 millions, par l'intermédiaire des organisations civiles. Nous avons organisé récemment une action humanitaire en faveur de la population de Kinshasa. Nous attendons impatiemment des signes positifs, notamment dans le domaine de la démocratie et des droits de l'homme. Le président Kabila a pris des engagements à cet égard. Nous espérons que sur le terrain des progrès seront rapidement constatés, qui nous permettront de reprendre avec ce pays un dialogue plus soutenu.

M. Hoarau a évoqué le rapport d'initiative du Parlement européen. Nous examinerons attentivement ce qu'il nous proposera. Nous sommes sensibles à la préoccupation des élus réunionnais de participer davantage à la vie régionale. J'ai rencontré à l'île Maurice, lors de la conférence de l'océan Indien, le président de votre région. Nous le savons bien, c'est grâce à la Réunion que la France est présente dans cet océan. Mais les instances internationales sont organisées par des protocoles qui rendent difficile la participation directe d'une région française. S'il s'agit en revanche de vous associer aux travaux préparatoires et d'échanger davantage, nous pouvons le faire.

Je vous remercie, Monsieur Godfrain, de votre plaidoyer pour l'APD : nous sommes bien d'accord. Vous avez souligné le rôle des investissements privés. Mais ceux-ci ont une condition préalable : la sécurité juridique et fiscale. Quand nous faisons de l'appui institutionnel avec nos experts, fiscalistes et magistrats, nous contribuons donc à aider l'investissement privé. L'OHADA continue à progresser. J'espère que les instances multilatérales y contribueront.

Vous avez évoqué la relation entre l'aide au développement et l'immigration, et chacun est attentif à votre message sur ce point. Vous avez beaucoup insisté sur le mal de vivre des fonctionnaires de la coopération ; je me suis déjà exprimé à ce sujet. Nous avons su les associer à la réflexion. Parler d'un "plan social" est inadéquat : il n'y a pas ici de licenciement, ni parmi les agents de l'administration, ni dans les associations-relais, qui ne sont pas non plus menacées. Le libre choix des responsabilités qui seront confiées aux agents dans le cadre de la future politique sera la règle ; il n'y aura pas d'affectation forcée, et nous prendrons en compte les voeux de chacun. Il y aura en principe fusion dans un même corps des agents qui exerçaient des responsabilités comparables ; mais nous nous efforcerons de préserver les droits acquis, notamment en matière de primes. L'idée d'un plan social est donc sans objet.

Vous avez formulé des propositions sur les centres culturels. Vous avez raison de vouloir mieux associer les créateurs et les intellectuels des pays d'accueil, et c'est dans cette direction que nous allons déjà. Les directeurs de nos instituts ont instruction d'assurer cette symbiose avec les élites locales.

Je dois décevoir votre espoir, Monsieur Goldberg, d'un grand ministère du développement : nous avons fait un autre choix. Mais cette préoccupation du développement est au coeur de notre politique extérieure. C'est le message que nous voulons faire peser, non seulement dans nos relations bilatérales, mais dans les institutions multilatérales comme le FMI ou la Banque mondiale : nous essayons de les rendre plus attentives à la réalité économique, mais aussi sociale, des pays sous ajustement. Et ce message y est mieux reçu aujourd'hui qu'hier ; mais l'effort doit continuer.

Sur la régulation publique, vos propos rejoignent ceux de M. Védrine aux Nations Unies et de M. Strauss-Kahn au FMI. Vous avez regretté le recul de la coopération technique : j'ai formulé notre analyse à ce sujet. Mais je suis bien d'accord pour ne pas confondre mondialisation et tyrannie des marchés.

La présence française en Méditerranée est en effet très attendue, Monsieur Dauge ; M. Myard -que je connais, depuis l'époque où je présidais la délégation pour l'Union européenne, comme vestale de la souveraineté nationale- y a également insisté. Mais il y a là un argument de plus en faveur de la réforme de la coopération : elle nous aidera à mobiliser de nouveaux moyens dans cette région. Dans le domaine de la francophonie, enfin, je suis d'accord avec M. Dauge sur la nécessité de l'évaluation ; les nouvelles commissions mixtes y travaillent.

M. Lequiller approuve la réforme, et aurait voulu aller plus loin en intégrant aussi l'action économique extérieure : ce sera pour la prochaine fois... (Sourires) Quant au décret, il a été examiné le 20 octobre par le Conseil d'Etat, et devrait être publié dans les semaines qui viennent. Il faut en effet une validation législative des actes juridiques pris à la suite de l'élection en 1994 de représentants du personnel au CTP du Quai d'Orsay. Elle devrait intervenir dans les semaines qui viennent. Cet obstacle levé, nous pourrons respecter le calendrier prévu, notamment pour la mise en oeuvre de la DGCID dès janvier.

Vous avez beaucoup insisté, tout comme M. Loncle, porte-parole de Mme Roudy, sur la francophonie. Vous regrettez que ses structures n'aient pas été rationalisées. Mais la mise en place du secrétariat général répond à ce besoin de pilotage. M. Boutros Boutros-Ghali travaille à donner une dimension politique à la francophonie. En même temps, l'agence de la francophonie est réformée, ce qui répond à votre voeu. Vous avez souhaité l'implantation de nouveaux établissements d'enseignement. Il est certain qu'il nous faut continuer à améliorer nos établissements, mais je ne suis pas sûr que nous ayons besoin d'établissements nouveaux. En outre, nous avons appliqué nombre des recommandations de notre rapport de 1996 en redéployant nos moyens vers les zones prioritaires et en modernisant notre enseignement par exemple.

M. Loncle a fait part des préoccupations de Mme Roudy. Je refuse toutefois la comparaison qu'il a faite entre la Grande-Bretagne et la France pour le nombre d'enseignants. Les établissements britanniques sont en effet payants alors que les nôtres, en principe gratuits, sont contraints d'être sélectifs. Le sommes-nous trop ? La question n'est pas tranchée, car il est vrai que les élites étrangères ont tendance à fréquenter en payant d'autres établissements que les nôtres qui, gratuits, ont une capacité d'accueil faible. En ce qui concerne l'affaire Borrel, à laquelle Mme Roudy est très attentive, l'instruction est suivie attentivement par des professionnels compétents. Elle devrait s'achever durant les semaines qui viennent et Mme Borrel, qui est elle-même magistrat, aura accès au dossier. Nous souhaitons que la vérité soit établie afin de pouvoir relancer une coopération judiciaire éminemment nécessaire. Bien entendu, le projet qu'animait le juge Borrel garde toute son utilité.

J'en viens au réquisitoire extrêmement sincère de Monsieur Voisin, dont le propos n'a été plus mesuré que lorsque, cessant de lire, il a improvisé.

Nous ne refusons pas l'héritage du père ! Nous pensons simplement qu'il y a un temps pour tout et que l'accompagnement d'une décolonisation terminée depuis longtemps doit désormais céder la place à une relation moderne avec les PVD, y compris avec nos anciennes colonies.

En ce qui concerne les gains de productivité, nous nous efforçons d'utiliser le personnel le mieux possible.

Contrairement à ce que vous disiez, les crédits de coopération militaire ne reculent pas, mais se maintiennent à 700 millions pour le budget de la coopération. Un conseil de défense a décidé d'un redéploiement à un rythme modéré vers certains pays de l'Est. Il nous semble, en tout cas, que l'importance de certaines missions de coopération militaire ne se justifie plus et qu'il importe de ne pas confondre coopération militaire et maintien de l'ordre.

Nous n'abandonnons pas les pays africains, Monsieur Voisin, ils le savent d'ailleurs bien et la plupart des chefs d'Etat de la région viendront assister dans quelques jours au sommet franco-africain de Paris.

Quant au prétendu recul des crédits consacrés aux écoles françaises, j'essaie en vain de comprendre un argument que contredisent tous les chiffres puisque le budget de l'AEFE augmente de 5,6 % et que le nombre de bourses et de résidents croît également.

En conclusion, si nous faisons souvent de l'"afro-pessimisme", nous avons souvent aussi une vision trop pessimiste de l'image de la France dans les pays en développement qui ont, au contraire, une grande appétence de France et de français. Il faut donc mobiliser l'opinion pour mieux faire valoir notre action car tout se passe comme si nous nous sentions encore coupables. Il est temps d'abandonner la culpabilité comme la nostalgie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Jean-Claude Lefort - Je souhaite faire un rappel au Règlement sur le fondement de l'article 58-1 pour protester contre l'organisation de nos débats.

Alors que nous n'avons l'occasion d'aborder les questions si importantes de la politique étrangère et de la coopération qu'une fois dans l'année, nous le faisons dans des conditions inadmissibles. Ainsi mon groupe n'a disposé que de quinze minutes sur le budget des affaires étrangères et de dix minutes sur celui de la coopération, ce qui équivaut au temps consacré à l'examen de trois amendements sur un projet de loi !

Il est scandaleux que nous n'ayons pu poser des questions qui nous paraissaient importantes, par exemple sur l'absence de ligne identifiable dans le budget de la coopération consacrée aux problèmes de population, sur l'immigration ou sur la taxe Tobbin.

La manière dont nous travaillons n'est pas acceptable sur des sujets d'une telle importance.

M. le Président - Je vous rappelle que pour la discussion de la deuxième partie de la loi de finances, le temps de parole attribué aux groupes a été de 47 heures réparties selon leur effectif, de sorte que le groupe communiste disposait de cinq heures vingt-cinq minutes. C'est vous qui avez choisi de ne consacrer à l'intérieur de ce quota que quinze minutes au budget des affaires étrangères (Protestations sur les bancs du groupe communiste).

M. Jean-Claude Lefort - Tous les groupes sont dans la même situation.

M. Pierre Lequiller - Je ne partage pas votre avis, Monsieur le ministre, lorsque vous dites que nous n'avons pas besoin de nouveaux établissements. Des redéploiements sont nécessaires et ma question porte donc sur la possibilité de les réaliser, dans le cadre de la coopération européenne, en partenariat avec d'autres Etats membres ce qui manifesterait concrètement notre solidarité et diminuerait pour nous le coût des établissements. Il faudrait multiplier les expériences telles celles réalisées à Manille et à Taïwan en nous appuyant, dans un premier temps, sur la coopération franco-allemande.

M. le Ministre délégué - Je ne voudrais pas qu'on interprète mal mes propos. Nous venons de poser la première pierre d'un nouvel établissement à Luanda et d'en inaugurer un autre à Maputo. Mais nos contraintes budgétaires nous empêchent d'aller plus loin, sauf à accepter une dérive des dépenses qui serait, il me semble contraire à vos convictions.

Pourrions-nous nous associer avec d'autres pays européens, le Portugal aussi bien que l'Allemagne ? C'est peut-être une solution pour consolider nos établissements, qui rencontrent un succès considérable. C'est bien ce succès qui nous conduit à donner en priorité aux établissements existants les moyens de se développer.

Les crédits des titres III et IV de l'état B, de même que les crédits des titres V et VI de l'état C successivement mis aux voix, sont adoptés.

La suite de la discussion du projet de loi de finances pour 1999 est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu demain matin, mardi 3 novembre, à 9 heures.

La séance est levée à 23 heures 45.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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