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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 26ème jour de séance, 67ème séance

1ère SÉANCE DU SAMEDI 7 NOVEMBRE 1998

PRÉSIDENCE DE M. Laurent FABIUS

          SOMMAIRE :

PACTE CIVIL DE SOLIDARITÉ (suite) 1

    QUESTION PRÉALABLE 1

    FAIT PERSONNEL 19

La séance est ouverte à neuf heures trente.


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PACTE CIVIL DE SOLIDARITÉ (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - En application de l'article 91-4 de notre Règlement, M. José Rossi et les membres du groupe DL opposent la question préalable.

M. Jean-Claude Lenoir - Selon certains, cette question préalable serait inconvenante après l'examen de l'exception d'irrecevabilité soutenue par notre collègue Christine Boutin (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF). Elle le serait parce qu'elle nous réunit, du reste assez nombreux, un samedi matin alors que tant d'engagements auraient justifié notre présence dans nos circonscriptions respectives. Mais c'est le Gouvernement qui a voulu qu'il en soit ainsi. Cette question préalable serait également inconvenante en raison du temps de parole qui m'a été attribué et sur lequel les informations les plus fantaisistes ont circulé. Lorsque la question m'a été posée par les services de l'Assemblée, pour des raisons évidentes d'organisation de nos travaux, ouvrant à peine le dossier, j'ai dit à titre indicatif que ce pourrait être cinq heures ; ce pourrait être moins, et même beaucoup moins... ("Ah !" sur les bancs du groupe socialiste) ou beaucoup plus ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

Des rumeurs ont donc circulé. Ainsi un courrier du groupe socialiste, que beaucoup de ses membres ont sans doute lu puisqu'ils sont ici, annonçait : "Chers amis, attention, il est annoncé partout que la question préalable sera défendue pendant cinq heures. Il faut cependant être conscient que si la droite est majoritaire, l'orateur peut interrompre son discours à tout moment (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) pour précipiter le vote, d'où la nécessité d'être majoritaire dès le début de la séance". Je vous rassure : l'hypothèse d'un vote rapide n'est pas la plus probable.

Pour autant, je ne maîtrise pas le temps dont j'aurai besoin pour exposer mes convictions. Combien de temps est-il légitime d'utiliser pour s'exprimer ?

Mme Yvette Roudy - Il n'a rien à dire !

M. Jean-Claude Lenoir - J'ai pu compter sur la contribution du groupe communiste dont l'un des membres, son doyen Robert Hage...

Plusieurs députés communistes - Georges !

M. Jean-Claude Lenoir - Je vous prie de m'excuser, je connais moins bien M. Hage que vous. Georges Hage, donc, a défendu l'idée qu'un parlementaire avait le droit de s'exprimer aussi longtemps qu'il le souhaitait...

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois - Pour autant qu'il a quelque chose à dire !

M. Jean-Claude Lenoir - ...et, comme je sais qu'il aime se référer aux saintes écritures, je pense qu'il avait à l'esprit ce passage de la Bible où il est dit que celui qui n'a jamais péché jette la première pierre. Je me souviens en effet que M. Hage s'est tenu à cette tribune pendant de longues heures au cours de débats qui l'intéressaient...

M. Georges Hage - Non à la privatisation de Renault ! (Rires sur de nombreux bancs)

M. Jean-Claude Lenoir - ...et nul ne peut l'en blâmer. Pour ma part, je ne cherche pas à battre un record. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Christine Boutin s'est exprimée avec conviction et talent dans un temps qui a été indiqué. Je ne cherche pas, chère Christine, à faire mieux que vous.

Plusieurs députés socialistes - Pacsez-les !

M. Jean-Claude Lenoir - Exprimer une telle ambition manquerait d'ailleurs singulièrement d'élégance.

Les passions affleurent sur le sujet qui nous rassemble. Il mérite pourtant un échange constructif. Je vous demande donc, mes chers collègues, d'admettre que nous sommes sincères. Je pars, quant à moi, du principe que vous êtes d'une parfaite bonne foi et je vous crois nés généreux, idéalistes, donc peu réalistes. J'argumenterai avec, comme armes, ma conviction et mes dossiers, rassurants pour l'orateur qui s'exprime comme pour le public qui l'écoute car un dossier est comme un sablier : c'est au fur et à mesure qu'il s'écoule que le temps dont j'ai besoin diminue.

Je voudrais dire un mot du contexte du débat. Ce texte, comme tous ceux qui portent sur des enjeux de société essentiels -je pense notamment au débat sur les lois de bioéthiques qui fut exemplaire à bien des égards-, a soulevé beaucoup de passions. Son examen a débuté dans un climat d'intolérance. La gauche a désigné un coupable : une droite ringarde et conservatrice. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste)

On ne saurait mieux appuyer les propos tenus par certains des vôtres tel Jean-pierre Michel, qui dénonçant la croisade de ceux "qui refusent toute évolution des moeurs avec la bénédiction des plus hautes autorités religieuses, qui ont une vision rétrograde de l'homosexualité considérée comme une pathologie".

De son côté, le président du groupe socialiste, très fâché du vote du 9 octobre, a accusé la droite "de démontrer une fois de plus ce qu'elle est au fond d'elle-même, c'est-à-dire ultra-conservatrice (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) comme elle le fut dans le passé sur la contraception, l'IVG, le droit de vote à dix-huit ans, bref sur toutes les questions de société". Dans le Nouvel Observateur, Delfeil de Ton juge sévèrement cette sortie : "il fallait voir le président du groupe parlementaire socialiste, responsable de la farce qui venait de se jouer, hurlant devant l'Assemblée, après sa déculottée de vendredi dernier, que (...) la droite avait été contre la contraception, l'avortement et la majorité à 18 ans. La loi sur la contraception porte le nom de Neuwirth, député gaulliste (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF), loi votée sous de Gaulle. Celle sur l'avortement porte le nom de l'UDF Simone Veil, et la majorité à 18 ans, c'est Giscard d'Estaing qui l'a voulue" (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; nouveuux applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Mme Nicole Bricq - Toutes ces réformes ne sont passées que grâce aux voix de la gauche !

M. Franck Borotra - C'est aussi au général de Gaulle qu'on doit le vote des femmes !

M. Jean-Claude Lenoir - Dans L'événement du Jeudi, Alain Etchegoyer écrit : "Quelles que soient les intentions louables de Lionel Jospin et d'Elisabeth Guigou, ils auraient tort de laisser les socialistes développer des propos scandaleux. Le discours tenu par le président du groupe socialiste, à la suite de son constat de carence, qui a vu la victoire de la droite ce vendredi 9 octobre, n'est pas acceptable. On ne peut à la fois donner une grande importance à la question du Pacs et déserter l'Assemblée, en faire un débat de société et jeter l'anathème sur ceux qui y contribuent". Ce jugement sévère est justifié. Peut-on dénier le droit d'ouvrir la bouche à tous ceux qui osent faire valoir un point de vue différent de celui de la majorité.

A l'extérieur du monde politique aussi, des voix se sont élevées contre le terrorisme de la modernité officielle. Ainsi, Tony Anatrella, psychanalyste bien connu, déclare : "Toute critique à l'égard du Pacs et de l'homosexualité se trouve très vite caricaturée, parfois derrière une censure implicite qui ne veut pas penser à ces questions autrement qu'en les justifiant sous le couvert de la modernité (...). Il est même très difficile de faire entendre sérieusement un autre point de vue sans être taxé d'ultra, d'intégriste, de conservateur, de fanatique, d'homophobe et sans voir cette question amalgamée avec d'autres problèmes politiques, moraux, religieux (...). Le terrorisme intellectuel brouille les discours et les informations" ("Très bien !" sur quelques bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

Pourtant, que déclarent-ils, la plupart de ceux qu'on veut ainsi clouer au pilori de la ringardise ? Tout simplement qu'ils sont d'accord pour tenir compte des évolutions de la société et pour adapter notre droit de façon à résoudre les difficultés auxquelles les couples non mariés sont confrontés dans leur vie quotidienne, qu'ils soient hétérosexuels ou homosexuels. Jean-François Mattei l'a dit, le 9 octobre. Quant au conseil permanent de la conférence des évêques de France, il a déclaré : l"Eglise catholique ne peut rester indifférente à ce qui faciliterait de manière juste l'existence de personnes engagées dans des situations singulières et parfois difficiles". De son côté, l'UNAF a précisé qu'elle n'est pas opposée à ce que des droits soient ouverts pour d'autres situations non familiales, mais qu'elle refuse confusion et assimilation.

D'ailleurs, qui a commandé le rapport Hauser, le premier qui ait traité des conséquences financières de la séparation des couples, sinon le prédécesseur de Mme Guigou sous le gouvernement d'Alain Juppé ?

S'il s'agit de tenir compte des évolutions de la société, nous sommes d'accord, donc. Je vais même plus loin. S'il s'agit de faire en sorte que l'homosexualité ne soit plus exposée aux brimades, qu'elle soit mieux comprise, à titre personnel, oui, je suis d'accord. Du reste, les orateurs de l'opposition se situaient sur une ligne assez voisine. Ainsi M. Mattei déclarait-il le 9 octobre dernier : "Certaines situations dramatiques rencontrées par les couples homosexuels, mais aussi par les couples non mariés, sont apparues insupportables au cours de ces dernières années. Ce sont notamment les conséquences liées au décès de l'un des membres du couple qui ont alimenté les campagnes de revendication d'un statut pour les homosexuels : exclusion du logement commun, dépossession de tout pouvoir de décision lors des funérailles, exclusion de la succession...". Ainsi en fut-il également de Mme Boutin. Je ne vais peut-être pas citer toute son intervention ("Si ! Si !" sur les bancs du groupe socialiste) pour le prouver, mais simplement cet extrait : "Il ne faut pas méconnaître les difficultés qui sont à l'origine de la demande du Pacs. Ces difficultés c'est, d'abord, l'éviction par la famille du compagnon homosexuel, qui se voit refuser le droit de visite et d'information à l'hôpital et, après le décès, le droit de succession. C'est, ensuite, l'expulsion du logement commun par la famille ou le bailleur... C'est, encore l'exclusion de certains avantages du droit du travail et de l'affiliation à la Sécurité sociale avant un an de cohabitation. C'est, enfin, l'impossibilité de rédiger une déclaration commune des revenus, le refus de la reconnaissance du statut de "soutien de famille" pour le compagnon d'un malade du sida appelé sous les drapeaux, l'absence de statut du compagnon ou de la compagne étrangers qui ne peut bénéficier du regroupement familial". Semblable déclaration justifiait-elle les quolibets de la gauche ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du greoupe UDF et du groupe du RPR)

Un peu plus loin, Christine Boutin rappelait qu'en 1980, une réforme avait porté le taux d'imposition à 60 %, rendant la tontine inattractive. Et elle reconnaissait que le droit successoral n'est pas satisfaisant pour les couples homosexuels.

On a donc presque le sentiment que tout le monde est d'accord sur le fond, comme l'a d'ailleurs reconnu Mme le Garde des Sceaux elle-même.

A ce point de mon propos, je ne peux passer sous silence les prises de position du président de Démocratie Libérale, Alain Madelin, il y a quelques jours dans Le Nouvel Observateur. Il déclare : "Je n'ai jamais réduit le libéralisme à l'économie. Au contraire, le libéralisme c'est pour moi avant tout une pensée philosophique, juridique et politique qui tire les conséquences de la primauté donnée à la personne, à sa liberté et à sa responsabilité. C'est en cela que le libéralisme est d'abord un humanisme". Et, s'agissant du Pacs, il demande "qu'on cesse d'aborder ce débat de façon caricaturale : d'un côté, il y aurait les conservateurs ringards et de l'autre les novateurs progressistes. Le débat démocratique mérite mieux que cette dichotomie simpliste. Pour les libéraux, chacun a la liberté et la responsabilité de poursuivre son propre bonheur, conseillé par son propre jugement. Tant que l'exercice de cette liberté se fait dans la sphère privée et ne porte pas atteinte à autrui, le caractère moral ou immoral de l'exercice de cette liberté relève de l'éthique privée et non de la philosophie politique". Mais il précise qu'elle est la crainte de beaucoup, et notamment des députés de DL : c'est qu'on fasse du Pacs "une sorte de consécration de situations qui, sur le principe, ne relèvent que de la sphère privée". "Cette crainte", poursuit-il "est d'autant plus forte qu'il a été présenté par certaines associations et par le rapporteur lui-même comme une démarche en vue d'instituer "le droit au mariage des couples homosexuels". A cet extrémisme, observe M. Madelin, s'en oppose un autre, qui voit dans ce projet "la destruction du mariage".

M. Alain Barrau - C'est Mme Boutin !

M. Jean-Claude Lenoir - M. Madelin expose ensuite les deux craintes des députés de DL. La première est que le Pacs fasse concurrence au mariage en offrant un statut aux situations de concubinage. Lui-même ne partage pas cette crainte, car le concubinage est une réalité sociale. La seconde est que le Pacs apporte une sorte de consécration à un mariage homosexuel qui n'ose pas dire son nom.

Dès lors, poursuit M. Madelin, que tout le monde est d'accord pour faciliter la vie des couples qui ont un projet de vie commune, y compris les couples homosexuels, cela implique nécessairement une forme de déclaration, de constat de situation, ou de contrat de vie commune, absolument nécessaire pour entraîner un certain nombre d'effets juridiques. Et il pose la question de fond : comment faire pour que cette déclaration ou ce contrat n'apparaisse pas comme la consécration d'un mode de vie ?

Voilà donc écarté le procès en ringardise. Mais quand on a légiféré sur la contraception, l'IVG, le droit de vote à dix-huit ans, les gouvernements et leurs majorités affichaient clairement leurs buts : ils n'avançaient pas, comme vous, avec un faux nez.

Dans une deuxième partie de mon introduction, je souhaite préciser ma démarche. La question préalable tend à démontrer qu'il n'y a pas lieu de délibérer.

Je m'en tiendrai strictement à mon sujet, c'est à dire aux questions que nous devons nous poser avant d'entamer l'examen du texte et pour savoir s'il y a lieu de le faire. Pour éviter que ce débat ne sombre à nouveau dans l'ornière, je m'en tiendrai à une règle de conduite simple : m'appuyer sur les faits, qui sont parfois têtus, et laisser s'exprimer d'autres voix que celles de l'opposition, en donnant la parole à des universitaires -sociologues, juristes, philosophes-, à des représentants des différents courants de pensée, à des journalistes de toutes tendances et aussi, à l'occasion, à des représentants de la majorité : bref, à tous ceux qu'on n'a pas beaucoup entendus jusqu'à présent. Mon objectif n'est ni d'enterrer le débat, ni de le faire durer par plaisir ou par calcul politique. Certains ont récemment utilisé un gros mot, accusant l'opposition "d'obstruction". J'ai une certaine mémoire de la vie parlementaire, et j'ai, en outre, consulté un ouvrage de droit sur la question. L'obstruction est apparue en 1980, à l'initiative du groupe socialiste de l'Assemblée, lors de l'examen de la loi "sécurité et liberté". Elle a connu des développements importants entre 1981 et 1986, quand nous étions dans l'opposition, et surtout entre 1986 et 1988, durant la cohabitation. Depuis lors, durant la période où la gauche était aux affaires, elle n'a connu qu'une seule application véritable, lors du débat sur le statut de la régie Renault.

M. Georges Hage - Oui ! (Sourires)

M. Jean-Claude Lenoir - Je tenais à faire ce rappel historique pour montrer qu'en la matière nous n'avons pas de leçons à recevoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

Mon objectif sera d'ouvrir vraiment le débat, d'en clarifier les enjeux. Il est extraordinaire de voir tant de parlementaires réunis un samedi matin sur ce texte, alors que le Gouvernement a annoncé à l'Assemblée un programme législatif chargé, si j'en crois la lettre adressée par M. Vaillant aux présidents des groupes début octobre. N'avez-vous pas le sentiment, mes chers collègues, que nous aurions pu consacrer ce samedi et ce dimanche à des textes plus importants, plus urgents que cette proposition sur laquelle le travail reste à faire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF) Le programme annoncé par le Gouvernement comporte en effet l'examen du projet relatif à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage ; des projets de lois constitutionnelles relatifs à la révision de l'article 88-2 de la Constitution, d'une part, à la parité hommes-femmes, de l'autre ; du projet relatif à la présomption d'innocence, aux droits des victimes et à la réforme de la procédure ; du projet de loi sur la sécurité routière, du projet de loi sur l'audiovisuel public, du projet de loi organique sur la Nouvelle-Calédonie, du projet de loi d'orientation sur l'aménagement du territoire, du projet de loi sur le service public de l'électricité - annoncé, soit dit en passant, pour début février, alors qu'il doit être promulgué au plus tard le 19 du même mois ! -, du projet de loi sur la couverture maladie universelle, du projet de loi sur les relations entre les citoyens et l'administration, du projet de loi sur l'intercommunalité...

Mme Nicole Bricq - Voilà un gouvernement qui travaille !

M. Jean-Claude Lenoir - N'avez-vous pas le sentiment que nous aurions pu, quitte à passer le week-end à Paris, le consacrer à l'un de ces textes attendus par les Français ? ("Très bien !" sur plusieurs bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

En fait, je ne poserai pas une, mais quatre questions préalables. J'aurais pu en poser bien plus, mais je me limiterai à celles-là ("Ah !" sur les bancs du groupe socialiste). Les conditions dans lesquelles le texte a été élaboré et vient en discussion sont-elles satisfaisantes ? ("Oui !" sur les bancs du groupe socialiste ; "Non !" sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF) Est-il opportun d'en délibérer ? ("Oui !" sur les bancs du groupe socialiste ; "Non !" sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF) Est-il amendable ? ("Non !" sur les bancs du groupe socialiste ; rires sur de nombreux bancs) L'adoption de la question préalable n'arrangerait-elle pas, en fin de compte, tout le monde ? ("Non !" sur les bancs du groupe socialiste) Je note que vous avez répondu à ces quatre questions après un temps d'hésitation croissant... (Sourires)

La première question n'est pas seulement de forme, mais aussi de fond. Le débat sur la bioéthique, qui présentait de réelles analogies, par son enjeu, avec celui-ci, avait suscité des prises de position souvent passionnées, mais s'était déroulé dans un climat d'une grande dignité, et les vraies questions avaient pu être posées. Chacun, ensuite, y avait répondu selon ses convictions intimes et, surtout, en toute connaissance de cause. Or, aujourd'hui, il y a lieu de se demander si le travail de préparation a été suffisant, si le travail parlementaire s'est déroulé de façon satisfaisante et si les conditions dans lesquelles nous sommes amenés à rediscuter du texte sont acceptables.

Selon la présidente de la commission des lois, la proposition de loi n'est ni un projet de loi déguisé, ni une initiative hâtive et mal préparée, mais un texte mûrement réfléchi. On peut toujours dire, naturellement, que le rôle de l'opposition est de crier au loup, mais en l'espèce elle n'est pas seule de son avis, et les témoignages établissant l'insuffisance des consultations préalables sont accablants. Selon Le Point, Mme Irène Théry, chargée par le Gouvernement lui-même de présenter un rapport sur l'évolution du droit face aux mutations de la famille et de la vie privée, n'a été entendue ni par la commission des lois ni par le Gouvernement. La Fondation pour l'enfance, qui a d'ailleurs consulté Mme Théry sur la situation des enfants dont les parents concluraient un Pacs, regrette, de son côté, que les associations et institutions s'occupant de l'enfance n'aient pas eu à donner leur avis.

On me répondra qu'il y a bien eu des consultations, mais force est de reconnaître qu'elles ont été pour le moins sélectives. Le conseil de l'épiscopat français a jugé regrettable et même inquiétant que, sur un texte déterminant en partie l'avenir de notre société, des représentants de toutes les familles de pensée n'aient pas été consultés. La fédération protestante de France se dit également déçue que les religions soient tenues à l'écart, voire priées de se taire, et voit là un grave déficit démocratique. De fait, il ressort du rapport de M. Jean-Pierre Michel qu'aucun prêtre, pasteur, rabbin ni mufti n'a été entendu par la commission.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois - Heureusement !

M. Jean-Claude Lenoir - En revanche, les représentants de sept associations homosexuelles ont été entendus.

La présidente de la commission a elle-même apporté des précisions sur les méthodes de travail employées. Dès le début de la législature, a-t-elle affirmé, la commission a commencé de travailler sur les propositions de loi déposées depuis 1992, il a été demandé en décembre 1997 à MM. Michel et Bloche de rapprocher ces textes, et c'est en septembre dernier que M. Ayrault a demandé l'inscription du fruit de leur travail à notre ordre du jour. Quant à M. Michel, il dit avoir procédé lui-même à de nombreuses auditions et travaillé en étroite concertation avec le ministère de la justice, et adresse en outre des remerciements appuyés à Mme la garde des Sceaux pour son engagement "ancien et constant" sur le sujet. A l'évidence, on n'a pas souhaité prendre en considération les avis qui dérangeaient l'opinion de ce cénacle restreint, tels ceux de l'ensemble des autorités religieuses, de nombreuses autorités philosophiques ou scientifiques et des quelque 20 000 maires qui ont marqué, par voie de pétition, leur opposition à l'enregistrement éventuel du Pacs en mairie.

Quant à Mme Théry, qui n'a même pas été invitée à donner son avis à la commission ni à son rapporteur, elle déclare avoir fait part depuis longtemps de ses objections et ajoute : "S'ils n'ont pas voulu m'entendre, c'est qu'une autre passion, plus forte, les animait".

Le ministère de la justice a commandé des rapports, mais n'en a jamais effectué la synthèse. Plus grave, le Conseil d'Etat n'a pas été saisi pour avis.

M. Bernard Roman - C'est une proposition de loi !

M. Jean-Claude Lenoir - C'est pourquoi il est regrettable que le Gouvernement n'ait pas choisi la voie du projet de loi, qui eût rendu automatique le passage en Conseil d'Etat. On nous répondra, et l'argument se veut imparable, qu'il s'agit de revaloriser le rôle du Parlement... Si tel est vraiment votre souhait, Madame le Garde des Sceaux, offrez-vous la possibilité d'inscrire à l'ordre du jour prioritaire des textes qui répondent aux attentes des Français.

M. Bernard Roman - Et vous, offrez-nous un autre spectacle !

M. Jean-Claude Lenoir - Le Premier ministre n'a pas fait preuve de la plus grande clarté quant au Pacs. Selon La Vie, Lionel Jospin a tardé à s'engager en faveur du Pacs. S'il accorde, comme il le dit, une telle importance à ce texte, pourquoi ne le représente-t-il pas sous la forme d'un projet de loi ? Il y aurait trouvé plus d'un avantage, comme de soumettre à la sagacité du Conseil d'Etat un texte dans lequel bien des juristes voient des motifs de contestation".

Ce texte a été élaboré au sein d'un cercle très fermé et dans la précipitation, quoi que vous en disiez. Les critiques n'ont d'ailleurs pas manqué. "Pourquoi vous-êtes-vous laissé imposer ce texte dans la hâte et la confusion ?" vous a demandé Evelyne Sullerot au cours d'un entretien organisé par Libération. La pression du lobby homosexuel a-t-elle été si forte qu'elle n'a pas permis au Gouvernement d'engager les études préalables nécessaires ? Vous auriez pu joindre le projet du Pacs au programme confié à la commission Dekeuwer-Defossez, que vous avez, fin août, chargée de moderniser le droit de la famille. Cela n'aurait retardé que de quelques mois une proposition qui n'a fait l'objet d'aucune étude sérieuse, ni sur ses fondements juridiques, ni sur ses conséquences sociales, fiscales et économiques" (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Vous ne lui avez d'ailleurs pas apporté la réponse qu'elle attendait. "Vous ne m'avez pas répondu sur un point essentiel", ajoutait-elle, "à savoir pourquoi aucune étude juridique n'a été engagée sur le texte lui-même et sur ses conséquences. Elle s'avérait pourtant nécessaire puisque le Pacs modifie le code civil. J'avoue que je n'ai toujours pas compris pourquoi tant de hâte."

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois - Six ans !

M. Jean-Claude Lenoir - Citons aussi un député de la Dordogne, interrogé par la presse après le 9 octobre. Je rappelle que tous les députés de ce département appartiennent à la majorité. "J'estime, déclarait ce collègue, que la proposition relative au Pacs a été présentée avec trop de précipitation. Elle aurait mérité un débat plus approfondi".

Si nous avons un peu de temps, au terme de mon intervention... (Sourires sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL), je vous lirai cinquante déclarations semblables, émanant toutes d'élus de la majorité, qui pensent là-dessus comme nous.

Plusieurs députés socialistes - Non !

M. Jean-Claude Lenoir - Cette proposition a été élaborée avec beaucoup d'amateurisme.

Le travail parlementaire a-t-il été satisfaisant ? Ce n'est pas le cas. Certes, avant la présentation du Pacs I, M. Jean-Pierre Michel a déclaré : "Le mois de septembre a été consacré à de nombreuses auditions, lesquelles ont conduit les rapporteurs à améliorer ce texte qui, ainsi modifié, a été examiné par votre commission, le 23 septembre dernier, et doit l'être par la commission des affaires culturelles, saisie pour avis".

Mais les commissaires n'ont pas été de cet avis et ont regretté les conditions dans lesquelles ils ont dû travailler. Ainsi, mon collègue Henri Plagnol a regretté qu'un texte de cette importance soit examiné dans la précipitation, sans auditions publiques, estimant que les auteurs de la proposition auraient dû prendre pour modèle le débat sur la bioéthique.

Christine Boutin l'a dit : un tel texte appelait la constitution d'une commission ad hoc et la tenue d'un débat sur plusieurs mois.

La commission des finances a été saisie dans des conditions qui l'ont empêché d'examiner le fond du projet. Le Conseil constitutionnel aura sur ce point des observations à faire, le moment venu.

Au terme d'un débat à la sauvette, le texte a finalement été adopté par la commission des lois sans aucune modification. Les trente-deux amendements déposés ont tous été rejetés.

C'est ce texte adopté par la commission qui nous a été soumis le 9 octobre dernier. Le Pacs, à la niche !

Ce texte aurait dû être inscrit à l'ordre du jour prioritaire, comme l'ont d'ailleurs montré les événements... Il est pour le moins imprudent d'inscrire un texte auquel on tient un vendredi, qui est la veille d'un samedi...

Plusieurs députés socialistes - Bravo ...

M. Jean-Claude Lenoir - Vous admettiez parfaitement que le Pacs soit voté un vendredi, chacun comptant sur son voisin pour remplir son devoir ...

L'opposition, quant à elle, s'est émue des conditions dans lesquelles était organisé ce débat. Ainsi, Pierre Lellouche a déclaré : "Que l'on soit pour ou contre le Pacs, tout le monde reconnaît que c'est un texte fondamental pour notre société. Il est dommage de devoir l'examiner à toute vitesse, entra la loi d'orientation agricole et le vote du budget".

"La niche parlementaire, a ajouté M. Philippe Séguin, n'est pas faite pour débattre de textes aussi importants. Je ne comprends pas l'attitude du Gouvernement, qui devra de toutes façons, assumer les conséquences du Pacs, alors qu'il voulait dégager sa responsabilité".

De ce vendredi noir, on n'en parle pas trop... Que s'est-il passé ? Un simple accident arithmétique ? Je ne le crois pas. Les journaux ont décrit les événements d'une manière assez délicieuse...

M. le Président - Monsieur Lenoir, cela n'a pas grand-chose à voir avec une question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

MM. François Rochebloine et Franck Borotra - Pas de censure !

M. Jean-Claude Lenoir - Je serai bref sur ce point. Remarquez cependant que, malgré ces turbulences qui ont agité la majorité, les parlementaires de l'opposition ont fait preuve d'une grande retenue. Nous entretenons de bonnes relations avec nos collègues et assurons de notre solidarité ceux qui ont subi les foudres des responsables qui n'avaient pas pris leurs précautions ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

Enfin, débattons-nous aujourd'hui dans de bonnes conditions ? Il y a incontestablement violation des textes et détournement de procédure.

A propos de l'exception d'irrecevabilité votée le 9 octobre, Mme Tasca a réagi en indiquant que "M. Mattei n'avait pas utilisé beaucoup de moyens juridiques" dans son discours. Mme Boutin, depuis, a fait le nécessaire. A mon tour, je citerai l'article 84 alinéa 3 du Règlement, en vertu duquel "les propositions ne peuvent être représentées avant un délai d'un an".

Mais voici le Pacs II. Le retour ! M. Ayrault avait d'ailleurs prévenu dès le 9 octobre et chacun savait à quoi s'en tenir ! Même, un moment, les dates du 24 et du 25 octobre avaient été avancées, mais c'était par des parlementaires, et non par le Gouvernement qui fixe l'ordre du jour prioritaire, comme il l'a rappelé...

Il reste que, dans les deux cas, il s'agit du même texte, exception faite de la disposition en faveur des fratries et de quelques modifications... qui, reprenant en fait les amendements de la commission des affaires culturelles, auraient très probablement été inclues dans le texte discuté le 9 octobre ! Dès lors, le détournement de procédure apparaît clairement.

La commission des lois, quant à elle, a été saisie à la hussarde : non seulement le "délai de viduité" n'a pas été respecté mais, comme il y avait urgence pour vous, elle a été sommée de produire un texte dans les délais les plus courts. Il faut reconnaître une certaine logique à cette démarche : puisque le texte n'avait pas été modifié, pourquoi perdre du temps en commission ?

Je le réaffirme solennellement, il y a bien eu violation pure et simple de notre Règlement intérieur et détournement de procédure. Poser la question, c'est quasiment y répondre et l'exposé du motif du nouveau texte est presque un aveu. Après un paragraphe qui ne fait que rappeler ce que chacun sait, à savoir l'adoption de l'exception d'irrecevabilité, on se borne à enchaîner : "Il n'est pas acceptable que plusieurs millions de nos concitoyens se trouvent ainsi privés d'un cadre légal nouveau leur offrant une sécurité juridique qu'ils appellent de leurs voeux. C'est pourquoi, nous déposons une nouvelle proposition de loi, différente de celle adoptée par la commission des lois, mais également de nature à donner un statut à deux personnes ayant, quel que soit leur sexe, un projet commun de vie".

On lit aisément ce que dissimule cette rédaction... Les commissaires de l'opposition ont toute raison de considérer que cet exposé des motifs porte atteinte à la dignité et à la souveraineté de l'Assemblée nationale, puisque cette dernière avait rejeté le texte quelques jours plus tôt. Ils ont dénoncé ce coup de force et demandé que la nouvelle proposition soit purement et simplement rejetée, avant qu'elle ne soit exposée à une autre censure !

M. Christine Boutin - Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir - M. Dutreil, par exemple, a estimé en commission des lois que cette procédure était comparable à celle d'un tribunal revenant sur son jugement et que la majorité manifestait son mépris des citoyens en essayant de faire passer en force un texte incohérent. M. Houillon, pour sa part, a dénoncé une violation du Règlement et annoncé que le Président de l'Assemblée en serait saisi -à quoi la présidente de la commission a répliqué qu'en acceptant le dépôt des propositions de loi, le Président de l'Assemblée avait tranché la question, mais je pense que celle-ci devra être prochainement reposée. M. Goasguen a déclaré, enfin, que les commissaires de l'opposition se retireraient en signe de protestation.

La lecture du journal Le Monde est également édifiante : on y lit que la commission des affaires sociales a adopté la nouvelle proposition en moins d'une heure et que seuls les élus socialistes ont approuvé le texte, en la présence de M. Denis Jacquat, de Démocratie Libérale, qui n'a pas pris part à ce vote.

Il est dommage qu'on n'ait pas mis à profit le vote du 9 octobre pour se donner le temps de reprendre entièrement le problème : cela eût été plus respectueux de la lettre et, surtout, de l'esprit du Règlement, et eût peut-être permis de laver le Pacs des reproches qui lui étaient adressés.

A défaut, et en raison des conditions dans lesquelles il a vu le jour, ce texte est vivement critiqué, sur le fond et sur la forme, y compris par les deux personnalités officiellement consultées sur le sujet. M. Hauser, sollicité il est vrai par M. Toubon mais que vous n'aurez pas manqué de lire, a jugé que le Gouvernement avait eu grand tort de croire qu'il pouvait se défausser sur les parlementaires d'un projet fâcheux : cela a abouti, selon lui, à une proposition encore plus fâcheuse. Il ne suffit pas d'avoir des convictions idéologiques pour faire une bonne loi, a-t-il ajouté, concluant : "On a ici l'exemple de ce que donne une proposition faite par des groupes de pression qui ne voient que leurs intérêts boutiquiers et qui n'ont ni la compétence ni la largeur de vues nécessaires pour rédiger une loi sur un sujet compliqué : tout cela est de l'amateurisme".

Mme la Présidente de la commission - Mieux vaut la République des experts...

M. Jean-Claude Lenoir - Mme Théry, que vous avez sollicitée, tout en estimant que la proposition actuelle est meilleure que les précédentes, dénonce un compromis sur le dos du droit et déclare qu'elle n'aurait pas voté le Pacs I...

Plusieurs députés socialistes - Elle n'est pas député !

M. Jean-Claude Lenoir - Je m'en félicite aussi, car j'imagine ce qu'elle eût dit.

Au bout du compte, cette proposition porte tous les stigmates de l'impréparation : approximations, incertitudes, lacunes et confusion. De mémoire de parlementaire, rarement un texte n'aurait suscité des avis aussi unanimement négatifs, du strict point de vue juridique. A la première question préalable -les conditions dans lesquelles ce texte a été élaboré et soumis à la discussion sont-elles satisfaisantes ?-, la réponse est clairement non.

Je passerai donc à la deuxième question préalable : y a-t-il lieu de délibérer de ce texte ? Je vois deux raisons de répondre encore par la négative.

Premièrement, ce texte a déjà été rejeté pour inconstitutionnalité. Comme M. Mattei et Mme Boutin se sont exprimés déjà sur ce point, je passerai rapidement (Les groupes DL, RPR et UDF manifestent leur déception) en m'attardant un peu sur les deux principaux motifs de rejet mis en évidence par le premier : l'un tient aux modalités et aux conséquences de la rupture du Pacs, l'autre a trait aux droits des enfants.

Le Pacs, disait M. Mattei, va à l'encontre du Préambule de la Constitution de 1946, qui dispose que la nation "assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement et garantit à tous, notamment à l'enfant et à la mère la protection de la santé et la sécurité matérielle". En ne prévoyant pas suffisamment les modalités et les conséquences de la rupture du pacte de solidarité, en instituant la loi du plus fort au sein du code civil, cette proposition, qui est aussi destinée à des couples hétérosexuels, entretient la fragilité des familles et des enfants.

Ce qui valait le 9 octobre vaut encore, même si un préavis de trois mois a été introduit : cette disposition figurait déjà dans les amendements que la commission avait décidé d'approuver.

Il est vrai que la commission des lois a approuvé un autre amendement selon lequel la décision de rupture au lieu d'être notifiée par lettre recommandée devra désormais être signifiée. Elle a également approuvé un amendement du groupe communiste précisant que le Pacs sera déclaré au greffe du tribunal d'instance et non à la préfecture. La condition de résidence a été précisée. L'Assemblée a relevé hors du récent débat budgétaire les abattements sur les droits de donation et de succession pour les conjoints. Enfin, un amendement prévoit que les conjoints homosexuels qui concluait un Pacs se verront reconnaître la qualité d'ayant droit d'assuré social.

En dépit de ces modifications, au fond qu'est-ce qui a changé ? Nous arrivons là à une vraie difficulté reconnue d'ailleurs par Jean-Pierre Michel lui-même : "C'est vrai que la rupture nous a posé problème car dans le Pacs, à l'entrée, l'accord de volontés n'est chapeauté par personne et donc, à la sortie, le simple désaccord pourra le défaire". Il précisait, ensuite, qu'il fallait pourtant protéger la personne qui ne voudra pas se "dépacser" et que conformément à la jurisprudence fondée sur l'article 1382 du code civil, cette personne pourrait éventuellement obtenir un dédommagement.

Derrière ce discours, il y a un mot qu'on ne veut pas prononcer : c'est celui de répudiation. Pour cacher ce débat, Patrick Bloche s'empresse de faire valoir qu'à tout prendre, le Pacs constitue un progrès par rapport à l'union libre dont la rupture ne fait l'objet d'aucun formalisme et n'ouvre pas automatiquement droit à indemnisation. Mais en quoi le Pacs constitue-t-il un progrès ? Il risque au contraire d'être un marché de dupes en n'offrant que l'illusion de la sécurité juridique qu'il prétend apporter si j'en crois l'exposé des motifs. M. Mattei l'a dit le 9 octobre. De même, un éminent professeur de droit considère que ce projet institutionnalise la répudiation et créera des situations injustes. Le sous-mariage, ce sont les droits du mariage sans ses contraintes et, en particulier, sans la procédure de divorce. Comment ne pas voir qu'ici comme ailleurs, entre le fort et le faible c'est la liberté qui opprime ?

Bien sûr, la situation est la même pour les concubins mais ceux-ci ne sont pas juridiquement liés l'un à l'autre. Une chose est de constater qu'une situation de fait existe. Une autre est pour l'Etat de prêter son concours à la création de situations injustes.

On s'est empressé de faire valoir qu'à défaut d'accord, c'est le juge qui sera amené à régler les conséquences de la rupture. Le rapporteur Patrick Bloche nous dit ainsi qu'il pourra accorder de dommages et intérêts en cas de rupture abusive. Mme la Présidente de la commission des lois le confirme. Selon Mme la ministre de la justice, le Pacs pourrait même éviter les contentieux dans la mesure où le partenaire informé de la décision de rupture pourra solliciter l'attribution préférentielle du biens indivis et négocier les conditions de la rupture à partir de règles simples qui éviteront des procès. Mais tous ceux qui savent ce qu'est une rupture ne peuvent être convaincus par un tel argument. En l'absence d'un tiers, ce ne sont pas les deux parties qui déterminent les conditions de la rupture, mais la plus forte d'entre elles.

De surcroît, le texte ne précise pas quel juge devra être saisi. Ses auteurs ont affirmé en commission que ce serait le juge des contrats et qu'il pourra accorder des dommages et intérêts en cas de rupture abusive. Mais quelle réalité cette notion recouvre-t-elle ? Il a en outre été précisé que la rupture ne pourrait ouvrir le droit à pension alimentaire. Dès lors, comment apprécier le préjudice ? La juge ne pourra guère faire autre que gérer les conséquences sur les biens sans que l'on sache bien, d'ailleurs, en fonction de quoi il le fera.

Irène Théry prévoit donc des batailles de procédures qui feront le bonheur des avocats. Un professeur de droit, signalant que le projet est muet quant aux conséquences de la rupture, propose des solutions proches du divorce, donc insidieusement du mariage. Les mesures que le juge pourra proposer ne sont, en effet, pas précisées par la proposition de loi. On pourrait donc en venir à octroyer une pension alimentaire ou même à reconnaître le pouvoir au juge de refuser, pour des raisons d'équité, la rupture du contrat si celle-ci devait avoir des conséquences extrêmes. De fil en aiguille, c'est ainsi tout le droit du divorce qu'on en viendrait à réinventer tant il est vrai qu'il n'y a pas à côté ou au-dessous du mariage de place pour une autre institution qui organiserait de manière digne de la République les rapports de l'homme et de la femme désireux d'unir leurs vies.

Soit on ne prévoit aucune mesure pour régler les conséquences de la rupture et l'on ne change pas grand chose par rapport à l'union libre, soit on en prévoit et alors on copie le mariage. Tout cela nous mène à une impasse ; ce n'est que la première.

Il faut aussi évoquer le second motif de rejet qui avait été soutenu le 9 octobre par M. Mattei. Il a démontré que ce projet étant contraire aux droits de l'enfant proclamés par le Préambule de la Constitution de 1946 et par la Convention sur les droits de l'enfant.

J'en viens à ma deuxième "question préalable" : y a-t-il bien lieu de délibérer d'un texte qui répond si mal aux objectifs en vue desquels il a été élaboré ?

A l'origine, il s'agissait de tenir compte à la fois de l'évolution des modes de vie et du développement du sida. M. Jean-Pierre Michel l'a reconnu avec sa franchise habituelle lorsqu'il a déclaré que le texte sur le Pacs est issu des revendications des associations de lutte contre le sida, formulées dans les années 90, à une époque donc où cette maladie faisait plus de ravages qu'aujourd'hui. Et Mme Guigou a confirmé cette approche historique.

Personnellement, je considère qu'il n'est pas normal que, lorsqu'un des membres du couple décède, l'autre ne puisse même pas obtenir un jour de congé, qu'il doive quitter les lieux si le bail n'est pas à son nom et qu'il soit traité, successoralement, comme un étranger au défunt. Nous sommes nombreux à être d'accord pour remédier à ces problèmes rencontrés par les couples non mariés, qu'ils soient homosexuels ou hétérosexuels. D'ailleurs des aménagements ont déjà été apportés par le Parlement et par la jurisprudence, par exemple sur le transfert de bail. Mais il est vrai que ces aménagements favorables aux concubins ne s'appliquent pas toujours aux homosexuels. Cependant, les avancées réalisées montrent qu'il est possible -et à mon avis souhaitable- de procéder par modifications législatives ponctuelles, apportées au code civil pour ce qui concerne le droit successoral, au code général des impôts, pour ce qui est de l'impôt sur le revenu ou des droits d'enregistrement à titre gratuit, au code de la Sécurité sociale pour ce qui a trait à la protection social du compagnon ou de la compagne, au code du travail pour ce qui est des congés ou autorisations d'absence...

Un député communiste - Et le code de la route ?

M. Jean-Claude Lenoir - ...à la loi du 6 juillet 1989 pour ce qui concerne le droit au bail, au code de la Fonction publique pour ce qui est du rapprochement des conjoints. Techniquement, ce ne serait pas difficile...

M. Louis Mexandeau - Pendant ce temps, le Perche est en train de crever !

Un député socialiste - Ne lui tendons pas la perche ! (Sourires)

M. Jean-Claude Lenoir - Si M. Mexandeau souhaite m'interrompre, je l'y autorise.

M. le Président - Moi, non. Et c'est moi qui préside.

M. Jean-Claude Lenoir - Je vous confirme dans vos fonctions...

M. le Président - Et moi dans les vôtres : revenez-en à votre question préalable, s'il vous plaît.

M. Jean-Claude Lenoir - Lorsque des personnalités éminentes me parlent du Perche, il m'est difficile de ne pas leur répondre.

M. le Président - Ne tirez pas à la ligne, revenez au Pacs.

M. Jean-Claude Lenoir - Bien. J'ai lu toutes les professions de foi que les socialistes ont adressées à leurs électeurs et j'ai constaté qu'aucun d'entre vous, mesdames et messieurs, n'y parlait du sujet qui nous rassemble si nombreux ce samedi matin (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Plusieurs députés socialistes - C'est faux !

M. Jean-Claude Lenoir - Il y était question des 35 heures, de la création de 700 000 emplois jeunes, de l'abandon des nationalisations, des privatisations, de la baisse rapide de la TVA...

Mme Françoise de Panafieu - Toutes choses qu'ils n'ont pas faites !

M. Jean-Claude Lenoir - ...mais à aucun moment du Pacs (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Dans son discours du 19 juin 1997, le Premier ministre n'y a pas consacré non plus un seul paragraphe ni même une ligne ou un mot.

M. Yann Galut - Le texte sur le Pacs est une initiative parlementaire !

M. Jean-Claude Lenoir - La notion finale adoptée lors du congrès de Brest en novembre 1997 n'y fait pas davantage référence.

M. Julien Dray - Il fallait lire la motion minoritaire ! (Sourires)

M. Jean-Claude Lenoir - J'aurais très bien compris que l'on nous mobilisât en si grand nombre un samedi pour parler des 35 heures, de la création de 700 000 emplois ou de la baisse de la TVA, mais je m'étonne qu'on le fasse pour un texte dont vous n'aviez même pas parlé à vos électeurs.

M. Yann Galut - Nous en parlons depuis 1990 !

M. le Président - J'attire votre attention sur le temps qui s'écoule. Je souhaiterais que nous puissions voter avant la fin de la matinée, ce qui implique, Monsieur Lenoir, que vous finissiez vers 12 heures 30 (Protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Franck Borotra - Pas de censure !

M. le Président - Je connais comme vous le Règlement, et il m'appartient d'estimer à quel moment l'Assemblée est suffisamment informée. Je vous invite donc, Monsieur Lenoir, à poursuivre votre propos sans vous en laisser détourner.

M. Jean-Claude Lenoir - Je n'ai aucune raison de vous être désagréable, Monsieur le Président, mais je ne suis pas sûr de pouvoir terminer d'ici midi et demi. Et l'Assemblée ne sera pas éclairée si je n'ai pas répondu aux quatre questions préalables que j'ai posées dès le début.

M. le Président - C'est pour vous permettre d'organiser votre propos que j'ai suggéré qu'à midi et demi nous devions prendre des dispositions.

M. Jean-Claude Lenoir - A ce stade, deux problèmes se posent. Tout d'abord, faut-il accorder à tous les gens qui vivent maritalement les mêmes droits qu'aux couples mariés ? Les droits de ces derniers sont en effet la contrepartie des devoirs qu'ils assument, et il faut réfléchir à cet équilibre entre droits et devoirs ; Mme le Garde des Sceaux a d'ailleurs posé ce problème. Ensuite, à qui faut-il accorder ces droits ? Comme le rappelle M. Jean-Pierre Michel, les rapports Hauser et Théry, demandés par deux gouvernements successifs, ont exploré les scénarios possibles. Le rapport Hauser, demandé par M. Toubon, ne portait que sur les conséquences financières de la séparation des couples. Mme Théry avait reçu de Mmes Guigou et Aubry la mission plus large de réfléchir sur les évolutions de la famille et de la vie privée. Mais les deux rapports défendent la thèse d'aménagements ponctuels à apporter à notre droit fiscal et social.

Que proposent-ils ? Sur le plan social, d'aligner les droits dérivés du concubinage -sous réserve dans certains cas d'une durée minimale de vie commune- sur ceux des conjoints. Cela concerne les assurances invalidité, vieillesse, veuvage, décès, accidents du travail ; les prestations en nature des assurances maladie et maternité sont déjà étendues aux gens qui vivent maritalement et les prestations familiales sont conditionnées à la seule charge d'enfant.

Sur le plan financier, les deux rapports prévoient des modalités différentes, mais avec un même objectif d'harmonisation avec la situation des couples mariés. En matière d'impôt sur le revenu, M. Hauser propose d'élargir aux concubins la notion de foyer fiscal, permettant l'imposition commune et les abattements pour enfants à charge. Mme Théry n'y est pas favorable et prône l'imposition séparée, mais demande une réforme d'ensemble de l'impôt sur le revenu qui prenne en compte l'évolution de la famille et de la vie privée. Concernant les droits de mutation, le rapport Hauser recommande de porter de 10 000 à 150 000 l'abattement pour les concubins, en conservant les barèmes actuels. Le rapport Théry va plus loin, en demandant qu'on accorde au concubin -sous condition d'une certaine durée de vie commune- le même abattement qu'au conjoint survivant ; mais ce rapport souligne qu'on ne peut séparer ce renforcement des droits des concubins d'une réforme d'ensemble des droits de succession.

Quant au régime des biens, les deux rapports proposent de passer des pactes sous seing privé. Ils prévoient des dispositions sur le transfert du droit au bail. Le rapport Théry préconise une harmonisation des avantages résultant du droit du travail et des conditions relatives aux choix thérapeutiques et à l'organisation des funérailles. Ce qui rapproche les deux rapports est au total bien plus important que ce qui les sépare.

Ce qui les sépare porte essentiellement sur deux points. Tout d'abord, à qui faut-il accorder ces nouveaux droits ? Pour Mme Théry, à tous les concubins, sauf pour ce qui est du régime des biens, pour lequel les intéressés devront conclure un acte sous seing privé. Et elle définit le concubinage par la possession d'état de couple naturel, quel que soit le sexe de ses membres. Elle suggère d'ailleurs d'introduire cette définition dans le code civil, en le complétant par des indications sur les faisceaux de faits susceptibles d'établir cet état.

Le rapport Hauser propose en revanche d'attacher ces nouveaux droits à l'existence d'une convention sous seing privé, le pacte d'intérêt commun ou PIC. Il s'agirait donc de généraliser une démarche que Mme Théry retenait pour le seul régime des biens. M. Hauser veut donc introduire dans le code civil un titre sur le PIC, qu'il définit comme une convention par laquelle deux personnes physiques décident d'organiser tout ou partie de leurs relations en vue d'une communauté de vie.

Les deux formules ont leurs avantages et leurs inconvénients. Celle de Mme Théry ne risque-t-elle pas d'exposer les couples naturels à devoir constamment prouver leur communauté de vie ? Celle de M. Hauser, d'être limitée aux personnes qui connaissent leurs droits, donc à une catégorie privilégiée ?

La seconde différence entre les deux rapports concerne les homosexuels. Le rapport Théry choisit d'en parler, non le rapport Hauser. Tous deux cependant aboutissent à conférer les mêmes avantages aux concubins homosexuels et hétérosexuels. Tous deux ont aussi en commun un point essentiel : ils se refusent à définir un statut de concubins, et donc les obligations personnelles, les engagements réciproques qui y seraient attachés. Le rapport Théry notamment, s'il reconnait légalement le concubinage, ne lui donne pas de statut, et l'auteur s'en explique clairement. Imposer la formalisation aux concubins, dit-elle, suscite inévitablement deux questions : celle des conditions requises pour contracter, et celle des engagements réciproques. Qui sera autorisé à contracter ? Les seuls concubins ? Ou faut-il étendre cette possibilité à toutes les personnes qui en ont la capacité juridique ? En ce cas, poursuit Mme Théry, le couple est noyé dans un ensemble flou où il côtoie des amis, des frères et soeurs, deux religieuses... Au-delà de la confusion symbolique, la disparition de la distinction entre couple et non-couple aboutit à ce paradoxe que le contrat ne consacrera le couple de fait qu'au prix de son effacement juridique.

Sur la question des engagements réciproques, Mme Théry note que la création d'un contrat entre des personnes implique de le fonder sur des engagements réciproques : devoir de secours et d'assistance, solidarité face aux dettes. Dès lors on entre dans une logique qui dénature le concubinage, lequel est un engagement privé. Il est paradoxal, alors que des centaines de milliers de personnes revendiquent l'union libre, de conditionner l'accès à des droits à l'abandon de cette liberté. Plus le contrat sera élaboré, moins il évitera la similitude avec le mariage : enregistré comme lui devant l'état civil et rompu devant le juge, produisant les mêmes effets fiscaux et sociaux, il sera un mariage bis.

Le refus de donner un statut au concubinage, homosexuel comme hétérosexuel, est un point essentiel sur lequel se retrouvent ces deux rapports, commandés par deux majorités différentes. Or ce point semble avoir gêné les promoteurs du Pacs, qui ont justement fait le choix opposé : comment s'affranchir d'un rapport rédigé à leur demande ? De fait, les commentaires consacrés à ces travaux par notre rapporteur sont pour le moins contradictoires : s'il en donne, dans son rapport écrit, une interprétation tout à fait exacte, il a en revanche déclaré en séance publique, comme en fait foi le Journal officiel du 9 octobre, que les rapports Hauser et Théry plaidaient pour un statut légal des couples non mariés ! Je trouve particulièrement grave qu'on dénature le contenu des écrits d'autrui, dont les conclusions sont justement opposées ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe RPR et du groupe UDF)

Au fond, le Pacs est une fausse bonne idée. Comme l'a démontré Jean-François Mattei le 9 octobre, il suffit, pour apporter des solutions concrètes aux problèmes des personnes, notamment homosexuelles, qui vivent ensemble hors du mariage, de modifier la loi de 1989 sur le transfert du bail, de réduire les droits de mutation spoliateurs qui portent atteinte à la liberté du donateur et de prendre diverses autres mesures, législatives ou réglementaires. Ainsi que l'a écrit le conseil permanent de l'épiscopat français, le droit offre aux personnes qui ne peuvent ni ne veulent se marier assez de possibilités pour qu'il ne soit pas besoin d'instaurer pour eux un nouveau statut légal qui risquerait de dénaturer le sens du couple et de la famille. L'UNAF ne dit pas autre chose, non plus que Tony Anatrella, déjà cité, ou Guy Coq, qui n'est pas réputé pour ses affinités droitières, et qui nous a invités à prendre en considération la réalité des problèmes humains de l'homosexualité sans passer par cela par un contrat spécifique. Il n'est pas trop tard, écrit Irène Théry, pour abandonner cette fausse bonne idée - à moins que la fausse bonne idée n'ait été de lui commander un rapport...

Mme Christine Boutin - C'est pour cela qu'elle n'a pas été consultée !

M. Jean-Claude Lenoir - Ce "monstre juridique", ainsi que l'a qualifié un représentant du notariat, risque de faillir à sa mission première, en ne répondant ni aux besoins des uns ni aux attentes des autres, et en laissant entière la question du concubinage. Il méconnaît profondément, en effet, ce à quoi les personnes - en tout cas homosexuelles - vivant en union libre sont le plus attachées : la liberté. Ayant choisi l'union libre parce qu'elle est libre, sont-elles prêtes à s'enfermer dans le Pacs ? Le rapporteur pour avis semble persuadé que les couples non mariés attendent impatiemment le Pacs pour donner à leur relation stabilité et sécurité et bénéficier enfin d'une reconnaissance sociale, mais les expériences étrangères montrent que ce type de contrat est surtout le fait de couples homosexuels, et que très peu de couples hétérosexuels y recourent. Comme l'a souligné Evelyne Sullerot, les concubins "ne demandaient rien", car ils ont déjà les mêmes droits sociaux que les couples mariés et "n'ont pas plus envie de se rendre chez le juge ou le préfet que chez le maire" ; en revanche, a-t-elle observé, le Pacs n'offre aucune réponse aux problèmes réels liés à la présence d'enfants (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Quant à Mme Théry, la signification du concubinage contemporain est, selon elle, parfaitement connue : il s'agit d'un choix de vie commune, relevant de la conscience personnelle de chaque couple, et qui n'exprime pas un refus de l'institution du mariage, mais une préférence pour un lien individuel. Le Pacs, en conclut-elle, "fait injure, sans même en avoir conscience", à ces centaines de milliers de concubins par choix (Applaudissements sur quelques bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF). Le professeur de droit Philippe Malaurie estime même "contraire à la volonté des intéressés", qui entendent conserver la liberté d'organiser leur union comme ils le veulent.

Voici ce que chantait Georges Brassens : "Ne gravons pas nos noms au bas d'un parchemin. Laissons le champ libre à l'oiseau. Nous serons tous les deux prisonniers sur parole. Au diable les maîtresses-queux qui attachent les coeurs aux queues des casseroles" (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF, du groupe du RPR et sur divers bancs).

M. Jean-Pierre Michel lui-même a eu un doute. "Le Pacs étant ouvert à tous les couples non mariés, expliquait-il, il intéresse au premier chef des hétérosexuels, même si ceux-ci combattent surtout pour la reconnaissance de droits aux enfants issus de leurs unions. Verra-t-on beaucoup de sans-papiers de l'amour revendiquer un permis de s'aimer ?" ("0h !" sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Les exemples étrangers nous invitent à faire un pronostic réservé. Le cas des Pays-Bas montre bien que la création d'un dispositif de type Pacs évolue fatalement vers la parentalité des couples homosexuels. Dans ce pays, un régime de "partenariat" a été institué au début de l'année 1998. En un semestre, 2 655 de ces contrats ont été signés : 1 245 par deux hommes, 769 par deux femmes et seulement 641 par des couples hétérosexuels. Ne dites pas que le Pacs est destiné à ces derniers. Il sera choisi essentiellement par des couples homosexuels, qui voient en lui un mariage bis.

Par ailleurs, les homosexuels seront-ils satisfaits du Pacs ? Un journal illustré titre : "Nous, on veut se marier", et la photo est révélatrice.

Un de nos collègues, qui a reconnu publiquement avoir fait le choix de l'homosexualité, a ainsi déclaré : "Ce pacte vise à constater un état de fait, il reconnaît légalement que deux hommes ou deux femmes puissent s'aimer". Mais André Labarrère refuse cette intrusion de l'Etat dans la vie privée : "Le véritable amour n'a pas besoin d'être codifié".

M. Pierre Lellouche - Ne nationalisez pas le sexe !

M. Jean-Claude Lenoir - Je vous lirai, enfin, quelques lignes d'une personne que beaucoup d'entre vous semblent mal connaître...

Plusieurs députés socialistes - Dites-nous qui est Irène !

M. Jean-Claude Lenoir - Si vous ne savez pas qui est Irène Théry, je me demande de quelle manière vous avez préparé ce débat et sur quelles bases vous fondez votre opinion. Selon Mme Théry, il existe deux catégories d'homosexuels : "ceux qui voient dans leur orientation l'affirmation d'une identité, une communauté de destin, un mode de vie et ceux qui ne se satisfont pas de cette assignation identitaire. En ne leur proposant qu'une seule formule, vous obligez les homosexuels à se soumettre à une seule logique ou à rester dans le non-droit".

Le Pacs ne réglera pas pour autant les problèmes des couples non mariés. que deviendront-ils ? Dans cinq ou dix ans, ne faudra-t-il pas créer une nouvelle formule pour les concubins, entre le Pacs et le mariage ? La question des concubins reste entière.

M. Jean-Jacques Dupeyroux l'a déclaré, "l'émergence du Pacs trouve sa cause dans les aberrations de notre droit successoral, qui comprend des règles du droit civil et d'autres du droit fiscal. S'ils n'appartiennent pas au cercle familial, les légataires devront abandonner 60 % de la succession au fisc, sans parler des frais notariaux. Et le Pacs dans tout cela ? Je ne sais pas ce qui sortira du bricolage hasardeux auquel il donne lieu. Si des solutions moins aberrantes au plan successoral sont adoptées pour ses signataires, tant mieux pour eux. Mais le problème reste entier pour les autres".

Ainsi donc, la conclusion de ma deuxième question préalable préfigure ma conclusion générale : le Pacs, qui en veut vraiment ? A qui va-t-il servir ?

Pour résoudre les problèmes posés, il n'est pas besoin du Pacs, qui va par ailleurs poser de nouveaux problèmes ! Non seulement cette proposition est inconstitutionnelle, mais encore elle est complètement hors sujet. Y a-t-il lieu de délibérer ? Non, deux fois non ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

M. le Président - Mon cher collègue, il va falloir accélérer... (Protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

M. Franck Borotra - Il y a peut-être encore, dans la suite du discours, des arguments décisifs !

M. le Président - Chacun ici est suffisamment informé...

M. Yves Fromion - S'ils étaient bien informés, ils retireraient cette proposition !

M. Jean-Claude Lenoir - J'en arrive à ma troisième question préalable : le texte déposé peut-il être amendé ? Je rappelle que j'en poserai une quatrième : et si l'adoption d'une question préalable arrangeait tout le monde ? Et j'ajouterai même -c'est d'ailleurs pourquoi je souhaite arriver au terme de mon propos- que ce serait sans doute aussi le meilleur moyen d'assurer la cohésion de la majorité.

Après donc avoir démontré que ce texte, ayant été élaboré dans un cercle des plus limités, était au bout du compte mal ficelé, puisqu'il ne répondait pas en l'état aux objectifs qui lui étaient assignés à l'origine -ceci étant d'ailleurs largement la conséquence de cela-, je m'efforcerai de déterminer si des amendements seraient susceptibles de surmonter ce double handicap.

Cependant, pour savoir s'il est utile d'amender cette proposition, il faut d'abord dresser un état des lieux et décrire la genèse de toute cette affaire.

A l'origine du mouvement, tout le monde en est d'accord, se trouvent les associations homosexuelles, confrontées aux traitements discriminatoires dont leurs membres faisaient l'objet. Mais s'il n'y avait eu que ces discriminations, de simples ajustements juridiques auraient suffi. En fait, la revendication a changé de nature : le drame du sida a été déterminant à cet égard, faisant apparaître le sort réservé aux homosexuels comme particulièrement injuste. Le regard des Français s'est alors profondément modifié : du rejet et de la suspicion, on a évolué vers la tolérance, puis vers une acceptation de l'homosexualité. Le sentiment de l'urgence y a été pour beaucoup. Mais, et c'est là le mouvement dont je parlais, s'est fait jour une revendication nouvelle, tendant à la reconnaissance sociale du couple homosexuel. Alors qu'auparavant, il s'agissait d'obtenir que les homosexuels soient traités comme des citoyens à part entière, on a commencé de demander un statut, ce qui était très différent, pour ne pas dire contradictoire.

Les échanges entendus ici le 9 octobre ont clairement illustré cette évolution, où le débat qui nous occupe depuis plusieurs semaines prend sa source. Toutefois, posée en termes politiques, la question a fini par prendre la forme suivante : comment faire avancer la cause homosexuelle sans le dire ? En effet, même si ses préventions étaient tombées, l'opinion n'était pas prête à accepter la reconnaissance du couple homosexuel. Les responsables politiques ont-ils alors manqué de courage ? A tout le moins, ils n'ont pas dit la vérité -mais peut-être se mentaient-ils à eux-mêmes pour se rassurer-, et ils ont noyé le poisson dans un formidable court-bouillon : CUC, CUS, CUCS, PIC, Pacs I, Pacs II... (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

Chez les militants homosexuels, s'est imposée l'idée qu'il fallait faire montre de prudence tactique pour ne pas choquer, voire qu'il fallait avancer masqués. Et c'est pour cela que la solution d'un contrat qui ne serait pas spécifique aux couples est apparue comme la solution médiatiquement idéale. Toute l'ambiguïté morale et politique est là : elle consiste à noyer dans l'union sociale la question du couple homosexuel, à cacher dans le droit ce qui s'affiche dans la rue ! Une conception purement tactique de la politique y a contribué. La confusion entretenue entre concubinage et quasi-mariage s'explique ainsi par le fait que les homosexuels n'ont pas accès au mariage.

Dès lors qu'il ne s'agissait plus seulement de régler les problèmes rencontrés dans la vie quotidienne, mais de reconnaître légalement les couples homosexuels, le débat changeait évidemment de nature, mais les promoteurs du projet et ceux qui les soutenaient ont continué de faire comme si de rien n'était. On en est ainsi arrivé à livrer deux batailles : la bataille du statut et celle des fratries.

Qui dit reconnaissance dit en effet, forcément, statut. On comprend dès lors l'acharnement manifesté contre vents et marées pour légiférer de manière globale. La présidente de la commission des lois a affirmé, le 9 octobre, que de simples aménagements du droit ne sauraient suffire. Mme Guigou a de même considéré que légiférer par petits bouts serait difficile, long, "sans visibilité et de surcroît hypocrite", tandis que le choix d'une proposition de loi avait le mérite de la simplicité, de la rapidité, de la clarté et de la sincérité. Mardi, elle a confirmé sa position, arguant que les textes à réformer étaient multiples, que ce travail manquerait de visibilité et que la démarche serait hypocrite.

M. Michel a, lui, le mérite de la franchise, quand il refuse une approche uniment juridique en faisant valoir qu'il y manquerait un aspect symbolique : "pour ceux qui veulent déclarer au monde leur intention de vivre ensemble, le pacte civil de solidarité met fin à une logique d'exclusion, en accordant aux couples non mariés une reconnaissance sociale". Mme le Garde des Sceaux ne dit d'ailleurs pas autre chose, en fait : "Le mérite du texte est de tendre à organiser la vie commune, et non la simple gestion des biens communs". On comprend dans ces conditions que le rapport Hauser ne vous ait pas convenu : le pacte de constatation qu'il proposait était bien loin du pacte de consécration voulu par les promoteurs du projet.

"A sa manière, le Pacs contribue au maintien et au renouvellement des liens entre les personnes ; il apparaît comme une nouvelle forme de solidarité entre individus", déclarait Mme le Garde des Sceaux le 9 octobre. Elle ne pouvait donc entendre les recommandations de Mme Théry. Le statut est passé loin devant les avantages et les droits qui lui étaient attachés, même...

M. le Président - J'avais prévu que vous puissiez en avoir terminé à 12 heures 30. Nous y sommes. Je veux bien que vous poursuiviez jusqu'à 12 heures 45, mais pas au-delà (Protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). L'Assemblée paraît suffisamment éclairée, et il existe des précédents en ce sens. J'avertis M. Lenoir afin qu'il puisse resserrer son propos (Vives protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Franck Borotra - Il serait inacceptable de priver la France de ce débat.

M. José Rossi - Je souhaite effectuer un rappel au Règlement.

M. Jean-Claude Lenoir - J'autorise M. Rossi à m'interrompre.

M. le Président - C'est à moi qu'il appartient de donner la parole. Je ne vous donnerai pas plus d'un quart d'heure supplémentaire, Monsieur Lenoir (Protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Jean-Claude Lenoir - Monsieur le Président, je fréquente cette Assemblée depuis longtemps et je ne crois pas qu'un seul Président de cette assemblée ait un jour abrégé les propos d'un orateur inscrit sur une question préalable.

M. le Président - Il n'y en a pas eu un seul mais deux : le président de séance, Philippe Mestre en décembre 1986 et le Bureau lui a ensuite donné acte de la bonne application du Règlement. Le 12 décembre 1995, M. Hage avait été interrompu par un président qui s'appelait Philippe Séguin... (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; vives protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

M. Jean-Claude Lenoir - Monsieur le Président, vous me donnerez acte que rien dans mes propos depuis le début de la séance n'a été fait pour conduire l'Assemblée à manifester son impatience ou sa réprobation (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). Tout comme vous, je me suis efforcé de préserver un climat serein dans cette Assemblée.

Si tel n'avait pas été le cas, je pourrais comprendre que vous me demandiez de quitter la tribune.

Je n'ai pas l'intention de le faire aujourd'hui pour deux raisons (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). La première est que le sujet qui nous réunit est d'une importance exceptionnelle. Il l'est par la volonté du Gouvernement et de quelques membres de sa majorité plurielle. Rien n'obligeait à nous réunir, alors que nous avons tant à faire dans nos circonscriptions, ce samedi et, demain, dimanche (Mêmes mouvements). Nous aurions bien entendu répondu à sa convocation pour légiférer dans les nombreux sujets qui justifiaient cette urgence et que j'ai rappelés.

Là, nous discutons d'un texte qu'aucun des candidats de la majorité plurielle n'avait annoncé dans sa profession de foi (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR) et je peux vous donner lecture de chacune d'entre elles ("Oui, oui !" sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). Le Premier ministre lui-même depuis cette tribune ne l'a pas évoqué en présentant ce que serait l'action de son Gouvernement. Le parti majoritaire, le parti socialiste, n'en a pas dit un mot lors de son congrès à Brest.

Sur un sujet qui engage l'avenir de notre société, notre comportement eut été très différent si la majorité et le Gouvernement avait organisé au préalable la consultation qui s'imposait. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR) Comme cela s'était produit lorsque nous avons délibéré sur les lois de bioéthique.

Ce que nous voulons, je vous en donne ma parole, ce n'est pas bloquer le débat (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) mais commencer à discuter ("Allons-y" sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) pour étudier comment régler des problèmes que nous connaissons. Nous refusons par contre cette marche forcée que l'on nous impose pour satisfaire les revendications de quelques-uns (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR) qui ont obtenu l'inscription de ce texte à l'ordre du jour prioritaire un dimanche sans que la majorité, à l'évidence, n'ait été réellement informée. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

Mes chers collègues, si je ne disais pas la vérité, vous auriez été là le 9 octobre et nous ne serions pas là aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

Voilà la première raison pour laquelle je n'entends par renoncer à mon temps de parole. (Mêmes mouvements) La deuxième est que, si l'on peut porter le jugement que l'on veut sur ce qui est dit à cette tribune, j'ai travaillé cette intervention pendant des jours et des jours et que je ne vois pas au nom de quoi ce travail réalisé avec mes amis des groupes DL, UDF et RPR ne pourrait pas faire l'objet d'une communication du haut de cette tribune ! (Très vifs applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR ; très vives protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) Aussi, je vous propose, Monsieur le Président, au nom de mon groupe, de suspendre la séance tout en étant parfaitement prêt -je ne veux pas d'ambiguïté à cet égard- à m'exprimer aussi longtemps que nécessaire pour terminer mon propos.

Si nous nous arrêtions pour nous restaurer, nous pourrions en profiter pour discuter des modalités de la séance de cet après-midi. (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

M. le Président - Il n'est pas de coutume qu'il y ait ce type de dialogue mais l'important est que nous avancions.

La Présidence a tout à fait la faculté, et il y a des précédents en ce sens, vous le savez, lorsqu'elle juge l'Assemblée suffisamment informée... (Protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR "Elle ne l'est pas !") d'inviter l'orateur à conclure, ce que j'ai fait, et, ensuite, d'en tirer les conséquences.

Ce point de droit est clair. (Protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

Il y a déjà eu une intervention qui n'a pas été totalement résumée... (Rires sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV) puisqu'elle a je crois duré cinq heures... M. Lenoir vient de parler, d'ailleurs avec talent, pendant plus de trois heures. La Conférence des présidents a fixé la durée de notre discussion générale à quatre heures et d'autres intervenants s'exprimeront. M. Devedjian a en outre prévu d'intervenir assez longuement. Comptable de la bonne organisation de nos travaux...

Mme François de Panafieu - Nous siégeons le jour, la nuit et le week-end, belle organisation !

M. le Président - ...j'observe que M. Lenoir a développé ses arguments au point d'ailleurs qu'il reprend certains de ceux qu'il avait déjà exposés. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; vives protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR) ...en tout cas à l'égard de ceux d'entre-vous qui étaient déjà là (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Conformément à notre Règlement, je l'invite donc à conclure (Protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Franck Borotra - Continuez, Monsieur Lenoir !

M. Jean-Claude Lenoir - Monsieur le Président, comme il fut dit un jour dans cet hémicycle, la séance continue.

Je voudrais maintenant vous donner lecture d'un article de quelqu'un que la majorité ne peut récuser puisqu'il s'agit de Robert Badinter. Il pose la question de savoir si ce Pacs est vraiment la meilleure solution. "Le mariage, dit-il, est une institution juridique indissociable de la procréation, comme le rappelle la sociologue Irène Théry". Maître Badinter, lui, connaît Irène Théry. C'est pourquoi, continue-t-il, je ne suis pas partisan d'un "mariage" entre homosexuels qui peut, de surcroît, être ressenti par beaucoup de couples mariés comme un sacrilège ou une parodie. Une chose, écrit-il enfin, est de proclamer le principe de non-discrimination entre homosexuels et hétérosexuels, autre chose est de les inscrire à la faveur d'un Pacs dans un ensemble hétéroclite de "partenaires" aux situations diverses dont aucune, contrairement à l'homosexualité, n'a jamais fait l'objet d'hostilité, voire de persécution.

En même temps que la bataille du statut s'en déroulait une autre : celle des fratries. L'enjeu était : comment s'y prendre pour camoufler au mieux le couple homosexuel sans prendre le risque de le diluer dans un modèle où il n'y retrouverait plus son identité ? C'est tout le dilemme qui se cache derrière cette valse hésitation de sigles. D'innombrables versions se sont succédé. D'un Pacs à l'autre, impossible de savoir le matin en se levant si celui de la veille n'avait pas entre-temps été supplanté par un autre.

Plusieurs formules étaient possibles. La première, un statut de concubinage commun aux couples homosexuels et hétérosexuels, pouvait aisément s'abriter derrière le fait que les uns et les autres sont confrontés aux mêmes difficultés dans leur vie quotidienne. De ce point de vue, la démarche aurait donc affiché une certaine cohérence. Posant le principe de l'équivalence entre les couples homosexuels et hétérosexuels, sans doute était-elle également satisfaisante aux yeux des militants de la cause homosexuelle. Elle est dès lors apparue comme une référence du couple moderne aux yeux de certains. D'ailleurs M. Bloche l'a dit d'emblée : "C'est du couple qu'il s'agit prioritairement".

M. le Président - Veuillez conclure, s'il vous plaît.

M. Jean-Claude Lenoir - Et M. Jean-Pierre Michel ajoutait : le couple n'est plus uniquement formé par un homme et une femme, il peut l'être aussi par deux hommes ou par deux femmes.

Mais justement parce qu'elle posait le principe de l'équivalence entre les couples homosexuels et hétérosexuels, cette formule était trop sulfureuse et risquait de soulever trop d'interrogations auxquelles notre société n'est pas prête à être confrontée. Certains se sont d'ailleurs exprimés résolument contre et la formule en est restée au stade d'hypothèse.

La deuxième formule, celle d'un statut pour toutes les formes de cohabitation non étendu aux fratries, lavait le Pacs de toute connotation sexuelle et permettrait de mettre en avant les valeurs d'entraide, de solidarité et de lutte contre l'exclusion. Le Pacs numéro 1 était politiquement correct et a été retenu à ce titre.

M. le Président - Je vous invite à conclure (Protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Jean-Claude Lenoir - J'ai été sincère en disant d'emblée qu'il ne me serait pas possible de terminer en fin de matinée. De fait, je n'ai dépassé que de très peu la moitié de mon intervention.

M. le Président - Vous avez parlé déjà trois heures vingt. Et j'estime que, compte tenu de tout ce que vous avez déjà expliqué de fort pertinent, l'Assemblée est suffisamment informée. Je vous invite donc, avec cette fois beaucoup de fermeté, à conclure,... (Protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF) faute de quoi vos propos ne seraient pas retransmis au Journal officiel (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Henri Plagnol - Censure !

M. le Président - Concluez, Monsieur Lenoir ou je vous retire la parole.

M. Jean-Claude Lenoir - Monsieur le Président, je crois pouvoir dire que mon intervention était conçue depuis le début pour ne blesser personne et pour ne pas provoquer la majorité (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF). Je demande le droit de poursuivre (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste), quitte à prendre moins de temps que prévu. Je propose donc de nous interrompre pour déjeuner et de reprendre après. C'est une solution raisonnable qui nous permet de continuer le débat dans la même sérénité que ce matin -sérénité dont je remercie mes collègues de la majorité.

M. le Président - Le ton de votre intervention n'est nullement en cause, mais vous avez déjà parlé trois heures vingt qui s'ajoutent aux cinq heures de l'exception d'irrecevabilité, aux quatre heures prévues pour la discussion générale, aux deux heures supplémentaires qui s'ensuivront... ("Et alors ?" sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

Me fondant sur l'article 54 du Règlement, j'estime l'Assemblée suffisamment informée. Je vais donc clore cette intervention et demander au Gouvernement ce qu'il a à dire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste ; protestations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Jean-Claude Lenoir - Je dénonce cette décision !

Mme Elisabeth Guigou - Monsieur le député (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste ; claquements de pupitres ininterrompus sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF), votre discours ne m'a pas semblé apporter d'élément conceptuel nouveau.

Mais sans doute n'était-ce pas son objectif. Il est temps de débattre du fond. Je demande donc à l'Assemblée de repousser la question préalable.

M. Jean-Pierre Michel - Au nom de la commission des lois (Claquements de pupitres sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF), je vous invite à repousser la question préalable car il y a lieu de délibérer rapidement du texte.

M. le Président - Mes chers collègues, nous allons passer aux explications de vote, à raison de cinq minutes par orateur (Claquements de pupitres sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. José Rossi - ...Suspension !

M. Henri Plagnol - ...Rappel au règlement !

M. le Président - Monsieur Delnatte, nous vous écoutons (Mêmes mouvements).

M. Patrick Delnatte - Le groupe RPR ne veut pas d'un débat tronqué.

M. Bernard Roman - Le groupe socialiste (Mêmes mouvements) votera contre la question préalable.

M. Patrick Malavieille - Le groupe communiste (Mêmes mouvements) votera contre la question préalable.

M. Alain Tourret - Les propos d'Alain (Mêmes mouvements) étaient en général convaincants et brefs. Or Alain était de Mortagne... S'inspirant de ce grand philosophe, le groupe RCV votera contre la motion défendue par M. Lenoir.

M. Jean-François Mattei - Monsieur le Président, nous aurions souhaité que ce débat garde sa sérénité (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Vous exercez certes une prérogative qui vous appartient. Vous avez fait allusion à deux précédents. Mais l'un portait sur un sujet secondaire. L'autre concernait le président Hage, mais celui-ci avait clairement annoncé un temps de parole. Permettez-moi donc de vous dire, avec tout le respect que je dois à la fonction que vous exercez, qu'à nos yeux le débat est tronqué, tout comme il n'a pas été conduit correctement avant. Vous interdisez à un orateur inscrit pour cinq heures d'aller jusqu'au bout de son argumentation. Je n'argumenterai donc pas, car nous n'acceptons pas aujourd'hui la façon dont vous considérez le Parlement (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Maurice Leroy - Ce qui se passe est inadmissible. Vous bafouez tous les droits de l'opposition dans cet hémicycle (Mêmes mouvements). Le droit de l'opposition, c'est celui de développer ses arguments. M. Lenoir n'avait pas dépassé son temps de parole annoncé en Conférence des présidents. Soyez-y attentifs, mes collègues de l'opposition : la jurisprudence qui se crée aujourd'hui contre nous pourra s'exercer demain contre vous. Ce n'est pas seulement le Journal officiel qui nous intéresse. Nous allons rester en séance, et démontrer que nous sommes prêts à débattre, que nous avons des arguments, et que nous ne participons pas de la mascarade qui se déroule depuis le 9 octobre. Tout cela a lieu parce que vous n'avez pas su être présents en séance : vous avez pensé faire un tout petit "coup" à l'occasion d'une niche parlementaire, alors que le sujet méritait un vrai débat au fond. Ce qui se passe est intolérable (Mêmes mouvements).

M. le Président - Je mets aux voix la question préalable (Exclamations sur les bancs du groupe DL).

M. José Rossi - Rappel au Règlement !

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; Huées sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

FAIT PERSONNEL

M. Philippe Séguin - Je souhaite avoir recours à l'article 58, alinéa 4, du Règlement. Vous m'avez en effet mis en cause, Monsieur le Président, et vous avez donné à penser à l'Assemblée que j'avais, étant son Président, interrompu l'auteur d'une question préalable avant qu'il soit parvenu au terme de son temps de parole. C'est tout à fait inexact, et c'est par déférence envers le Président de l'Assemblée que je n'emploie pas un autre adjectif (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). M. Hage -le Journal officiel en fait foi- était inscrit pour deux heures trente, et, bien qu'il s'agisse d'une durée indicative, je l'ai interrompu après qu'il ait dépassé ce temps. Deux heures trente demandées : deux heures trente de discours ; voilà la vérité. Et d'ailleurs M. Hage, je lui en donne acte, n'a pas protesté. Il a simplement fait savoir qu'il pensait que le temps dont il disposait était illimité. Par conséquent, Monsieur le Président, si vous estimez être dans votre droit en interrompant M. Lenoir avant le terme de son temps de parole, vous ne devriez pas avoir besoin d'arguments fallacieux pour vous justifier (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; M. Philippe Séguin quitte l'hémicycle).

M. le Président - Je veux rappeler les faits tels qu'ils figurent au Journal officiel de la séance du 8 décembre 1995. Le Président Séguin a dit à M. Hage qu'il devrait s'orienter vers sa conclusion. L'orateur a répondu qu'il pensait que son temps de parole était illimité. Le Président a dit qu'il ne l'était pas, et qu'il appartenait à la Présidence de faire respecter les textes constitutionnels. Le Gouvernement, a-t-il ajouté, a priorité pour l'ordre du jour, et le Président -poursuit M. Séguin- doit veiller à ce que l'exercice de ses droits par l'Assemblée ne fasse pas obstacle à l'exercice des droits constitutionnels du Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Il a alors rappelé à M. Hage que celui-ci avait demandé deux heures trente, et lui a demandé de s'orienter vers sa conclusion. M. Hage a répondu qu'il allait le faire, mais qu'il croyait que cette durée n'était qu'indicative. Le Président Séguin a alors déclaré : c'est le Président qui préside, et qui apprécie si le temps est indicatif ou limitatif (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR du groupe UDF et du groupe DL). M. Hage, dont on connaît la culture, a conclu : "magister dixit ; je vais donc résumer".

J'ai fait également référence à un autre président qui a retiré la parole à M. Fuchs en invoquant l'article 54-6. Des protestations se sont élevées ; après quoi l'exception d'irrecevabilité de M. Fuchs a été mise aux voix.

Dans le cas présent, j'ai considéré, sur la base de l'article 54, que M. Lenoir avait informé l'Assemblée.

M. Thierry Mariani - Il n'y a pas eu la durée prévue !

M. le Président - Je ne peux pas oublier que, sur ce même sujet, vous avez eu cinq heures et demie d'exception d'irrecevabilité, à quoi s'ajouteront quatre heures de discussion générale et encore deux heures pour la motion de renvoi (Vives exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures 15.

La séance est levée à 13 heures 10.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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