Accueil > Archives de la XIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (1998-1999)

Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 39ème jour de séance, 100ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 26 NOVEMBRE 1998

PRÉSIDENCE DE M. Raymond FORNI

vice-président

          SOMMAIRE :

FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 1999 (nouvelle lecture) 1

    ARTICLE PREMIER 14

    RAPPORT ANNEXE 15

La séance est ouverte à dix heures.


Top Of Page

FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 1999 (nouvelle lecture)

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant que la commission mixte paritaire n'a pu parvenir à l'adoption d'un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999. Aussi le Gouvernement demande-t-il à l'Assemblée nationale de procéder, en application de l'article 45, alinéa 4, de la Constitution, à une nouvelle lecture.

En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, de ce projet de loi.


Top Of Page

RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Jean-Luc Préel - Mon rappel au Règlement se fonde sur l'article 58, relatif à l'organisation des débats et au fonctionnement de l'Assemblée. Légiférer, nul ne le contestera ici, est une affaire sérieuse, et l'on déplore trop souvent des textes bâclés pour ne pas souhaiter qu'un minimum de temps soit consacré à la consultation et à la réflexion. Or qu'en est-il de l'organisation de cette seconde lecture ? La commission s'est réunie le 24 novembre à 16 h 30 sans avoir eu connaissance des amendements du Gouvernement. Le compte rendu de ses travaux n'a été disponible que le 25 au soir, et le rapport n'était pas à la distribution ce matin à neuf heures, heure à laquelle ce débat devait commencer, puisque la séance, initialement prévue pour cet après-midi, a été avancée. Cela a posé de sérieuses difficultés d'emploi du temps à nombre de mes collègues et, plus grave, des problèmes certains pour la rédaction des amendements. La commission souhaitant rétablir le texte de l'Assemblée, il nous faut pouvoir sous-amender ; encore devrions-nous savoir quels textes !

Cette bousculade n'est pas de bonne pratique. Demandez au personnel du service de la séance, que je remercie pour sa disponibilité, ce qu'il en pense ! Monsieur le Président, je vous demande donc de bien vouloir transmettre au Président de l'Assemblée et au Gouvernement notre vive protestation et notre désir de pouvoir débattre sereinement à l'avenir.

M. le Président - Je rappelle que l'organisation des travaux de l'Assemblée a été décidée par la Conférence des présidents et que la décision d'examiner ce texte date d'une dizaine de jours. Il n'y a rien de surprenant à ce que nous siégions ce matin à dix heures, après avoir siégé fort avant dans la nuit. Cet emploi du temps difficile traduit la charge de travail du Parlement. Je m'associe naturellement aux remerciements que vous avez adressés aux fonctionnaires, et je transmettrai vos remarques lors de la prochaine Conférence des présidents.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Je sais la dextérité intellectuelle de M. Préel et sa parfaite connaissance du dossier, et je me porte garant de sa capacité à formuler tous les sous-amendements qu'il estimera nécessaires. Plus largement, il n'y a pas lieu de dramatiser. Il est vrai que la commission travaille beaucoup, et je remercie à mon tour les fonctionnaires, qui oeuvrent de manière remarquable dans des délais très courts. Cela dit, des problèmes urgents se posent auxquels les députés doivent faire face, puisqu'ils ont été élus pour cela : c'est leur devoir, et ils n'ont aucun mérite particulier à le remplir.

Je suis toutefois convaincu que la préparation de la loi de financement de la Sécurité sociale va devenir l'une des tâches essentielles de la commission et du Parlement, et c'est vrai, les modalités de préparation de ce texte majeur ne sont pas à la hauteur des enjeux. C'est pourquoi j'ai sollicité du Bureau, qui m'a donné son accord, la création d'un groupe de travail chargé de réfléchir à de meilleures conditions d'organisation. Les membres en sont déjà désignés : ce sont les quatre rapporteurs et un représentant de chaque groupe politique. J'informerai naturellement le Président de l'Assemblée et le Gouvernement des conclusions auquel le groupe de travail aura abouti.

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - Avant d'évoquer le texte tel qu'il vous est soumis de retour du Sénat, je souhaite rappeler les objectifs majeurs autour desquels s'articulait le projet de loi initial et que votre assemblée a enrichi sans en contrarier la logique. Quels sont-ils ? Il s'agit de rétablir l'équilibre des comptes en 1999 sans augmenter les prélèvements, ni diminuer les prestations -et à ceux qui protestent, je poserai une seule question : existe-t-il une autre méthode ?

Il s'agit aussi d'élargir les possibilités d'actions, notamment celles des partenaires conventionnels, pour éviter les dépenses inutiles et de mettre en place des mécanismes d'ultime recours destinés à préserver, si nécessaire, l'assurance maladie.

Il s'agit encore d'affirmer la priorité donnée à la pérennité des régimes par répartition, notamment en créant un fonds de réserve des retraites ; de construire une politique familiale plus juste et plus solidaire ; d'améliorer significativement la prise en charge des maladies professionnelles.

Ce texte a été profondément dénaturé lors de son examen par la Haute Assemblée.

M. Jean-Luc Préel - Amélioré !

M. le Secrétaire d'Etat - La majorité sénatoriale, qui ne s'est épargnée aucun paradoxe, a prétendu donner des leçons de rigueur de gestion tout en multipliant les amendements qui dégradent les comptes. Je comprends que la majorité sénatoriale soit prisonnière de ses contradictions, mais, pour le Gouvernement, une attitude comparable est impossible : définir une politique, c'est arbitrer.

La majorité sénatoriale a cédé à la facilité en transférant quelques milliards de charges de la Sécurité sociale vers le budget de l'Etat ! Repoussant les mesures d'économies, elle a cherché à démontrer sa rigueur sur des sujets qui laissent perplexes. Ainsi a-t-on entendu des propos accusateurs sur l'hôpital public, sur l'insuffisance de ses efforts d'adaptation, sur un prétendu laxisme de la politique hospitalière... Or l'adaptation de notre système hospitalier est en cours, et il convient de saluer l'ensemble des personnels qui y concourent.

Ce n'est pas en réduisant l'ONDAM d'un milliard que nous la mettrons en oeuvre ! C'est en élaborant des schémas d'organisation sanitaire adaptés aux besoins, en créant des réseaux de prise en charge de la périnatalité, du diabète, de la douleur rebelle ou de lutte contre le cancer, et en poursuivant la définition de contrats d'objectifs avec les établissements. Telle est la politique hospitalière que le Gouvernement entend poursuivre, si vous lui en donnez les moyens, notamment en réduisant l'inégalité des dotations budgétaires entre régions et entre établissements.

En matière de médecine de ville, la majorité sénatoriale a refusé les évolutions nécessaires. Elle a approuvé la mise en place du fonds d'aide à la qualité, mais elle a repoussé l'article visant à permettre aux partenaires conventionnels de mettre en place des filières et des réseaux.

On ne peut prétendre défendre la politique conventionnelle et la maîtrise dite "médicalisée" des dépenses et, en même temps, faire obstacle aux propositions qui visent à les mettre en oeuvre !

S'agissant des mécanismes de sauvegarde économique, nous étions d'accord pour considérer qu'ils doivent constituer des dispositifs "d'ultime recours". Encore faut-il que ce soient vraiment des "recours". La majorité sénatoriale a proposé un système censé individualiser la régulation. Mais, en prévoyant de fixer des objectifs médecin par médecin, poste par poste, elle a inventé un monstre bureaucratique.

Nous aurons, sans nul doute, un débat sur le médicament. Vous n'aviez pas souhaité, en première lecture, que le fait, pour un laboratoire, de passer une convention globale l'exonère de la clause de sauvegarde. Sensibles à votre inquiétude, nous vous proposerons un dispositif conventionnel rénové.

Chaque année, à l'issue de nos débats, le comité économique recevra des orientations qui permettront de traduire dans les conventions les exigences formulées par le Parlement en matière de maîtrise de dépense ainsi que les priorités de santé publique qu'il aura définies. Les prérogatives du comité économique seront renforcées : il pourra modifier les conventions si l'évolution des dépenses, les progrès scientifiques ou les nouvelles orientations gouvernementales l'exigent.

Le contenu des conventions doit être enrichi.

M. Claude Evin, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles pour l'assurance maladie et les accidents du travail - Nous avons été entendus.

M. le Secrétaire d'Etat - Bien sûr. Outre la fixation des prix, elles devront comporter un ensemble cohérent d'engagements en matière de promotion, de recherche, de santé publique, de bon usage du médicament. Seules les conventions d'un type nouveau signées après le 1er janvier 1999 pourront entraîner exonération de la clause de sauvegarde ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste).

Le dispositif conventionnel est donc profondément réformé. Les exigences nouvelles formulées auprès des laboratoires qui souhaitent se conventionner justifient qu'ils soient soumis à une régulation, définie par leur propre convention, et par conséquent exclus du champ de la contribution générale.

La majorité sénatoriale a demandé une réforme profonde et rapide des retraites mais s'est bien gardée d'en définir les modalités.

Nous avancerons sur ce dossier à notre rythme, celui du dialogue et de la concertation. L'expérience de 1995 a clairement montré que l'activisme ne menait à rien.

Sur ce sujet majeur pour notre pays, j'espère que nous pourrons dégager des solutions dépassant les clivages politiques.

Je me félicite à cet égard que la majorité sénatoriale, contrairement aux députés de l'opposition, ait approuvé le principe d'un fonds de réserve pour garantir les régimes par répartition. Elle a malheureusement écarté des dispositions essentielles, notamment celles qui organisent le contrôle des partenaires sociaux sur le fonds de réserve.

M. Pascal Terrasse - Grâce à un amendement de l'Assemblée.

M. le Secrétaire d'Etat - Le Gouvernement ne peut suivre la Haute Assemblée dans ses insuffisances et ses contradictions.

Mme Dominique Gillot, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles pour la famille - Ah ça !

M. le Secrétaire d'Etat - Aussi souhaite-t-il que, pour l'essentiel, soit rétabli le texte voté par l'Assemblée en première lecture.

En outre il vous propose d'introduire un droit à la cessation anticipée d'activité pour les victimes de l'amiante. Lors de la première lecture, vous avez souhaité qu'on reprenne ce dossier.

Le Gouvernement vous propose de franchir une nouvelle étape pour rendre justice aux salariés qui, après avoir été astreints à des travaux pénibles, sont maintenant fauchés par la maladie pour avoir inhalé sur leur lieu de travail de la poussière d'amiante.

Ainsi, les personnes atteintes de certaines maladies professionnelles liées à l'amiante pourront cesser leurs activités dès 50 ans. Pour celles qui ont travaillé dans les établissements de transformation de l'amiante, un tiers des années d'activité passées dans le secteur de l'amiante sera déduit de l'âge légal de la retraite de 60 ans.

Nous avons bien conscience de ne pas traiter le cas de tous les salariés exposés à l'amiante. Un élargissement du dispositif est possible, mais il doit se fonder sur des critères objectifs et nous avons besoin d'un délai supplémentaire d'expertise.

Pour l'heure, je suis certain que vous aurez tous à coeur d'exprimer la solidarité de la collectivité nationale à l'égard des travailleurs de l'amiante.

Ce faisant, nous rappelons que la protection sociale ne se réduit pas à des flux financiers, à des mécanismes d'assurance ; elle constitue un puissant vecteur de cohésion sociale, un outil majeur de solidarité.

C'est avec cette conviction, que je souhaite largement partagée sur tous les bancs, que je reprends avec confiance nos travaux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président de la commission - J'essaierai, sans me substituer à notre rapporteur Alfred Recours, de le remplacer au pied levé.

Consolider et approfondir la solidarité, tel est bien notre objectif commun.

La CMP du 19 novembre n'a pu que constater les divergences profondes entre les deux assemblées, notamment sur le mécanisme de régulation des dépenses de médecine de ville et sur la clause de sauvegarde pour l'industrie pharmaceutique. Le Sénat, contrairement à l'Assemblée, a donné son accord pour la création d'un fonds de réserve de l'assurance vieillesse ; il a cependant supprimé la ressource affectée cette année à ce fond.

La commission est revenue pour l'essentiel au texte voté par l'Assemblée en première lecture. Mais, outre les seize articles votés conformes, les assemblées se sont rejointes sur un certain nombre de points : nous avons accepté plusieurs dispositions votées par le Sénat. Il s'agit, par exemple, de l'extension aux associations de prestataires d'aide à domicile de l'exonération totale de cotisations patronales. Quant à l'absence de déduction, au profit du Trésor public, pour frais d'assiette sur la CSG portant sur les revenus du patrimoine, l'Assemblée l'avait votée en première lecture. Nous avons repris le débat et le Sénat nous a confortés. Je sais que des pressions s'exerceront sur vous, Monsieur le ministre, mais je regretterais beaucoup que le Gouvernement ne tienne pas compte de la volonté du législateur. Je compte sur votre courage politique pour nous suivre.

Nous avons accepté le mode de calcul retenu par le Sénat pour la taxe sur les PREMIX, ainsi que la taxe de santé publique sur les tabacs affectée à la CNAM. Dans la version du Sénat, elle rapporterait 1,4 milliard supplémentaire et serait affectée à la seule CNAM. Nous en débattrons.

En revanche, nous nous sommes opposés à un certain nombre d'initiatives du Sénat, telles que le maintien à dix et quinze ans des majorations des allocations familiales et le rappel des dispositions relatives à la compensation intégrale des exonérations de charges sociales par l'Etat.

Pour le reste, nous sommes donc revenus aux dispositions adoptées en première lecture. M. Recours aura l'occasion d'en dire plus dans le débat.

Je voudrais insister sur deux points. Nous nous félicitons de l'amendement déposé par le Gouvernement sur les travailleurs de l'amiante. Vous avez dit aussi qu'il faudra réfléchir aux élargissements. Je signale que les dockers de Dunkerque ont, pendant vingt ans, porté sur leur dos 60 % de l'amiante utilisée en France sans aucune protection, dans de simples sacs de jute parfois éclatés. Les conséquences sont évidemment dramatiques. Nous devons travailler ensemble, lors du débat, à prendre en compte ces situations.

En second lieu, nous reviendrons, avec M. Evin, sur la clause de sauvegarde de l'industrie pharmaceutique. On en parle un peu trop à mon sens. Mais je suis convaincu qu'avec la pression exercée par l'Assemblée nous parviendrons à une solution satisfaisante alliant la rigueur indispensable dans la maîtrise des dépenses de médicaments et le souci de développer la politique contractuelle. En tout cas, nous serons très vigilants (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Thierry Mariani - C'est une fois de plus dans la précipitation et sans concertation avec les associations et les professionnels que nous allons légiférer sur le financement de la Sécurité sociale.

Nous allons devoir nous prononcer en quelques heures sur un budget supérieur à celui de l'Etat et qui a subi des modifications essentielles depuis son premier passage devant notre assemblée. C'est inadmissible. Depuis septembre, notre rythme de travail s'est emballé d'une façon qui ne nous permet plus de remplir notre mission. L'ordre du jour est sans cesse modifié, les convocations arrivent au dernier moment et nous siégeons de nuit dans des conditions qui relèvent plus de l'épreuve d'endurance que du travail législatif. C'est ainsi que certains de nos collègues, je pense en particulier à M. Accoyer, ne pourront pas assister à ce débat faute d'avoir pu concilier leur emploi du temps avec la frénésie législative que vous nous imposez.

M. Marcel Rogemont - Dites à Mme Boutin de parler moins longtemps !

M. Thierry Mariani - Mais, Monsieur le ministre, ce n'est pas en menant vos réformes au pas de charge que vous les rendrez acceptables aux yeux de nos concitoyens.

Ce projet de loi de financement de la Sécurité sociale restera comme le projet des occasions perdues.

C'est particulièrement vrai pour la branche vieillesse, ledit projet se limitant à gérer à courte vue la pénurie, alors qu'il est plus que temps de prendre des mesures fortes, d'une part, pour assurer aux actuels retraités des pensions décentes, de l'autre, pour garantir aux actifs d'aujourd'hui, qu'ils auront demain de quoi vivre dignement. Mais vous vous contentez de symboles et de déclarations de bonnes intentions. Comment pouvez-vous fonder la défense du système de retraites par répartition sur la seule création d'un fonds doté de 2 milliards ? Comment expliquerez-vous à nos concitoyens que vous ne débloquez que 2 misérables milliards, alors que vous trouvez dans le même temps 8 milliards au bas mot pour financer votre projet de Pacs ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Ce ne sont pas deux milliards qu'il faudrait provisionner, mais au minimum 300 pour financer les pensions de la génération du baby-boom. Combien de colloques faudra-t-il encore pour que vous preniez enfin conscience de la nécessité d'une réforme fondamentale ? En temporisant comme vous le faites, vous entraînez la France dans une spirale infernale. Pourtant, les solutions existent : assortir nos régimes de retraite d'un volet basé sur la capitalisation et revoir les régimes spéciaux sans a priori et sans tabous.

En effet, le système à deux étages -retraite de base et retraite complémentaire- ne suffira pas à donner aux futurs retraités des pensions leur permettant de vivre dignement, sauf à augmenter les cotisations des actifs d'une manière insupportable. Alors la question est de savoir si nous sommes capables de mettre en place un troisième étage basé sur la capitalisation ou si nous préférons laisser à chacun de nos concitoyens le soin de se constituer individuellement un capital pour ses vieux jours. L'équité exige, me semble-t-il, d'organiser une capitalisation qui vienne en appui des régimes de base par répartition et assure ainsi la pérennité de ces derniers.

Parler des régimes spéciaux de retraite, ce n'est pas montrer du doigt leurs bénéficiaires, et en particulier les fonctionnaires. Ce l'est d'autant moins que le besoin de financement du régime des fonctionnaires de l'Etat atteindra, à législation inchangée, 20 points supplémentaires de cotisation à l'horizon 2015, et même 30 points supplémentaires pour le régime des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. Ne pas s'en préoccuper, c'est aller contre l'intérêt des bénéficiaires mêmes de ces régimes.

De plus, il convient de s'interroger sur ces régimes spéciaux en termes d'équité. Est-il normal que les assurés des régimes spéciaux bénéficient pour la plupart d'un statut nettement plus favorable que celui du régime général ? Comment concevoir que les efforts consentis par les salariés du privé ne s'accompagnent pas d'un effort comparable des personnels du secteur public ?

Ce qui est désolant dans ce projet, c'est son manque de courage et de perspectives, son déphasage avec la réalité.

Ce projet est aussi celui des mauvais coups.

D'abord, pour les retraités.

En effet, en vous attaquant à l'épargne comme vous le faites, vous vous attaquez principalement aux retraités, qui se sont constitué pendant leurs années d'activité un capital afin de compléter des pensions souvent modestes. C'est d'autant plus choquant que vous avez promis durant la campagne électorale que vous indexeriez les pensions de retraite sur les salaires et non plus sur les prix.

Vous ne pouvez pas à la fois, imposer toujours plus les retraités, les priver de pouvoir d'achat et décourager l'épargne ! Les quelque 100 000 retraités qui sont descendus dans la rue le 22 octobre dernier vous l'ont rappelé avec force. Pourtant, quelques jours après cette manifestation, le Gouvernement a demandé le retrait d'un amendement voté unanimement par notre assemblée qui visait à stopper la baisse du plafond de leur abattement de 10 %.

Les mauvais coups sont aussi pour les médecins libéraux. En effet, vous instaurez à l'article 21 une clause de sauvegarde qui institue un mécanisme de régulation purement comptable des dépenses lequel comporte deux volets : un mécanisme de lettres clés flottantes en cours d'année et des reversements collectifs en fin d'année. Le mécanisme de lettres clés flottantes doit être mis en oeuvre par les parties conventionnelles lorsqu'au quatrième ou au huitième mois de l'année elles constatent une évolution des dépenses incompatible avec le respect de l'objectif. Si elles estiment que l'évolution des dépenses est compatible avec le respect de l'objectif, mais que tel n'est pas le sentiment du Gouvernement, celui-ci peut fixer de nouvelles valeurs aux lettres clés par arrêté interministériel et placer les médecins devant le fait accompli. Curieuse conception de la négociation !

Il est probable que l'essentiel de la régulation des dépenses médicales se fera par l'intermédiaire de ce mécanisme, en particulier pour les médecins spécialistes. Et comme les représentants des spécialités où l'évolution des dépenses sera raisonnable feront certainement pression pour obtenir une baisse de la rémunération dans les spécialités à progression des dépenses élevée, certains spécialistes paieront deux fois : une première avec la baisse de leur rémunération, une seconde avec les reversements collectifs de fin d'année.

Ce genre de mesures pousse les médecins au désespoir. D'ailleurs, la grève annoncée pour la fin de l'année traduit bien leur désarroi. Les médecins refusent de payer de leur poche les soins dont les Français ont besoin, étant entendu que de nouvelles pathologies comme la sclérose en plaque, l'Alzheimer et le sida font l'objet de nouveaux traitements. Chaque spécialité devrait donc bénéficier d'un taux d'évolution qui lui soit propre. Vous ne pouvez pas limiter de la même manière, ce serait aberrant, les dépenses liées à la cardiologie et celles liées à l'exercice de la rhumatologie. C'est à partir de ce constat de bon sens que nous réclamons l'instauration d'un ONDAM propre à chaque spécialité. L'équité ne consiste pas à tout niveler uniformément, mais à tenir compte des spécificités de chacune des spécialités concernées. Votre projet, Monsieur le ministre, c'est du collectivisme à l'état pur. Il est vrai que vous ne faites là qu'appliquer les bonnes vieilles recettes socialistes !

Mauvais coup encore que la modification, à l'article 19, des critères d'attribution de l'allocation de remplacement en cas de cessation d'activité des médecins. On ne change pas les règles du jeu en cours de route !

Mauvais coup pour l'emploi à domicile, que cet article 3 bis qui limite à 180 heures l'exonération de charges patronales pour l'embauche de gré à gré d'un salarié à domicile par une personne de plus de 70 ans.

Enfin, l'industrie pharmaceutique fait particulièrement les frais de votre maîtrise comptable. S'il est légitime que les laboratoires contribuent, au même titre que les assurés sociaux, à l'effort de limitation des dépenses de santé, il ne faut pas pour autant oublier que l'industrie pharmaceutique est une industrie. Elle doit donc pouvoir bénéficier d'une lisibilité à long terme et d'une sécurité juridique en ce qui concerne les règles de contribution qui lui seront appliquées d'une année sur l'autre. Or tel n'est pas le cas, tant s'en faut.

Chaque année, avec la discussion de la loi sur le financement de la Sécurité sociale, les laboratoires attendent de savoir à quelle sauce ils seront mangés. Cette année, le choix pour eux était simple : payer ou bien encore payer ! Payer en acquittant la note que vous leur avez présentée quelques semaines avant le début de nos débats ou bien payer en application de l'article 26, finalement retiré, qui instituait une contribution au titre de l'année 1998.

Pour 1999, vous imposez à l'industrie du médicament un taux d'évolution de 2,6 %, alors que le taux normal d'évolution, si l'on tient compte du vieillissement de la population, des progrès techniques, et de l'inflation, devrait être de 5,5 % au minimum.

Certes vous vous apprêtez à supprimer la clause de sauvegarde de l'article 25, mais chacun est bien conscient que si dépassement il y avait, reversement il y aura.

Si vous promouviez réellement les génériques et établissiez une rémunération correcte pour le pharmacien, vous pourriez économiser quelques milliards sans pour autant léser la santé de nos concitoyens. Si vous réformiez la distribution, qui représente environ 50 % du prix public du médicament, vous gagneriez des marges de manoeuvre, de même que si vous évaluiez vraiment les médicaments utiles et ceux qui ne le sont pas.

Mais vous ne faites rien de tout cela. Résultat, il n'y a plus un seul laboratoire français dans le peloton de tête des grands et les laboratoires étrangers n'ont plus intérêt à venir faire de la recherche en France. Des investissements considérables se déplaceront vers des cieux plus accueillants, faisant de notre pays un simple territoire de comptoir de vente pour les firmes multinationales.

Décidément, votre politique ne mène qu'à la stagnation, voire à la régression. Alors qu'il faudrait que la France reste une terre d'innovation et de progrès, de plus en plus de produits essentiels, ayant reçu des ASMR 1, 2 et 3, ne sont pas remboursés. Pour sortir de cette situation, outre les réformes de fond que je préconisais à l'instant, il n'y a pas d'autre solution que de fixer conventionnellement les taux d'évolution des dépenses, par spécialité, ou par groupe de spécialités, comme pour les médecins, après avoir institué un ONDAM spécifique à l'industrie pharmaceutique.

Bien entendu, cela demande du temps et une réelle évolution de l'efficacité des médicaments, mais que d'économies pour les comptes sociaux, sans parler des progrès qu'on peut en attendre pour la santé publique.

Enfin, il me semble indispensable, dès cette année, d'exonérer des contraintes liées aux taux d'évolution des dépenses de santé, les médicaments remboursés à 100 % par les caisses d'assurance maladie. En effet, ces derniers ne sont pas pris en charge pour rien, surtout lorsqu'ils sont utilisés pour les trithérapies. Pour des raisons de santé publique, ce geste s'impose !

En conclusion, je tiens à m'élever à nouveau contre les conditions de travail qui nous ont été imposées, s'agissant d'un budget supérieur à celui de l'Etat.

M. Jean-Luc Préel - Très bien !

Mme Jacqueline Fraysse - A l'issue de la première lecture, j'avais exposé les raisons pour lesquelles ce texte demeurait insatisfaisant pour notre groupe : les moyens dégagés ne permettaient pas de répondre aux besoins de la population. D'autre part, alors que les états généraux prenaient du retard, nous avions souligné l'urgente nécessité de mener une réflexion avec l'ensemble de nos concitoyens. Cette appréciation n'a pas varié et l'actualité viendrait même la conforter.

Ainsi, alors que le premier des forums régionaux annoncés par le secrétaire d'Etat ne s'est pas encore tenu, des suppressions sont décidées sans réelle concertation préalable avec les intéressés. C'est, par exemple, ce que je viens de vivre à Nanterre : alors que la loi contre les exclusions réaffirme justement le rôle social de l'hôpital et que l'activité de celui de Nanterre est à cet égard exemplaire grâce à l'action courageuse des médecins et des personnels, on vient d'annoncer la suppression du scanographe ! Au nom de la coopération au demeurant légitime avec son voisin Louis-Mourier de Colombes, on ne peut ainsi sacrifier un établissement qui, depuis tant d'années, reçoit les plus démunis. Ne courons pas le risque d'en refaire l'hospice qu'il était au siècle dernier.

Les 87 000 habitants de la ville-préfecture, le campus universitaire qui accueille 36 000 étudiants, la proximité des salariés de la Défense, l'aménagement de l'Arche, autant d'éléments qui justifient amplement que cet hôpital dispose d'un scanographe.

Ce cas n'est pas unique, même s'il a un relief particulier. L'inquiétude est profonde dans l'ensemble de la communauté hospitalière. Les établissements auront-ils les moyens d'assurer leurs missions, anciennes et nouvelles ? La solution réside pour une part dans la répartition régionale de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie. Nous ne la connaissons pas à cet instant : peut-être pourrez-vous nous l'indiquer aujourd'hui, Monsieur le secrétaire d'Etat ? Je crains cependant que, si cette répartition aide à combler des inégalités, elle n'en fasse apparaître de nouvelles. En effet, les moyens dégagés resteront insuffisants tant que ne seront pas mis sur pied de nouveau modes de financement, notamment à la faveur de la réforme des cotisations patronales. C'est pourquoi nous tenons à ce que le texte mentionne notamment l'examen de celle-ci pour le premier semestre de l'année prochaine.

Les améliorations que nous avions apportées au texte initial ont pour l'essentiel été supprimées par la majorité de droite du Sénat, qui a également réduit l'objectif national des dépenses de santé -ce n'est pas pour nous étonner puisque les mêmes ici continuent de se réclamer du plan Juppé, sans états d'âme !

Notre groupe souhaite vivement que ces améliorations soient rétablies. Il s'agit, d'abord, de l'engagement d'abroger la loi Thomas, que nous avions inséré et que la droite a fait disparaître pour éviter que ne soit concurrencé son projet de fonds de pension.

Il s'agit ensuite de la possibilité donnée aux centres de santé de participer aux campagnes de prévention et de soins bucco-dentaires en faveur des jeunes, sans les enfermer en contrepartie dans le carcan d'une maîtrise comptable des dépenses.

A l'article 2, il nous paraît indispensable de rétablir la participation des partenaires sociaux au comité de surveillance du fonds de réserve. De même pour le dispositif favorisant la professionnalisation des aides à domicile. Nous avons entendu les précisions apportées par Mme la ministre sur les CCAS et les CIAS. Mais nous souhaitons que le texte précise explicitement que ces dispositions s'appliquent également à ces organismes.

En ce qui concerne les clauses de sauvegarde, nous maintenons notre refus de voir peser sur les médecins de ville un système de reversement justifié par la seule nécessité de contenir leurs dépenses dans une enveloppe définie à l'avance, en fonction de critères comptables et non d'une évaluation rigoureuse des besoins.

En revanche, il faut que l'industrie pharmaceutique, qui bénéficie largement de la protection sociale, contribue à son financement. Elle en a les moyens. Le médicament ne doit pas être traité selon les seules règles habituelles du marché. Nous avons trop vu de ces entreprises arrêter des recherches utiles mais considérées comme insuffisamment rentables ou destinées à des pays réputés "non solvables". Nous les voyons aussi renoncer à demander le remboursement d'un médicament pour pourvoir en fixer le prix à leur guise.

Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons évidemment pas accepter le texte adopté par la majorité de droite au Sénat.

Un retour au texte que nous avions adopté en première lecture -et sur lequel notre groupe s'était abstenu compte tenu de ses insuffisances- serait le minimum. C'est avec cet objectif, et avec le souci d'améliorer encore une loi largement perfectible, que nous participerons au débat (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Jean-Luc Préel - Au lieu de vous réjouir des heureuses modifications apportées par le Sénat à ce projet, vous semblez vouloir revenir, pour l'essentiel au texte adopté ici en première lecture, texte que nous avions sévèrement critiqué.

Ces critiques étaient des critiques majeures, s'agissant d'une loi de financement de la Sécurité sociale, censée préparer l'avenir : elles portaient sur vos prévisions de recettes et de dépenses.

Les premières apparaissent bien optimistes : elles sont en effet calculées en fonction d'une croissance estimée à 2,7 %, chiffre retenu au printemps avant les crises asiatique et russe mais que vous n'avez pas voulu revoir depuis. Or, hier, l'INSEE a publié des prévisions sur l'investissement, hélas, très pessimistes... N'est pas réaliste non plus le fait de s'appuyer sur une hausse de la masse salariale évaluée à 4,3 % : vous savez bien qu'avec l'application de la loi sur les 35 heures, les chefs d'entreprise ne sont guère enclins à augmenter aussi fortement les rémunérations !

En revanche, il est des domaines où l'Etat pourrait se montrer volontariste : partout où il est employeur, financier et débiteur. Que ne vous engagez-vous, par exemple, à compenser intégralement les exonérations de charges que vous décidez ? Je pense, par exemple, à ces 17 milliards d'exonérations qui datent d'avant la loi de 1994 : compensez-les et la Sécurité sociale retrouvera des marges de manoeuvre.

Il semble aussi que vous vouliez demander la suppression des amendements votés par le Sénat, tendant à compenser les exonérations liées aux 35 heures. Je comprendrai cela, venant de M. Strauss-Kahn, mais pas de vous, qui devez garantir le financement de notre protection sociale !

L'Etat devrait en outre payer son dû, sans atermoiements, qu'il s'agisse du RMI ou de l'ARS, au lieu de mettre agios et intérêts à la charge de la même protection sociale.

Enfin, je veux rappeler que le basculement des cotisations maladie vers la CSG a permis de prélever cette année 23 milliards sur le capital. Les revenus de placements sont donc taxés à 10 %. Mais tous les épargnants ne sont pas de gros capitalistes et il est bien des retraités modestes qui ont reçu, incrédules, leur avis. Par ailleurs, n'avez-vous pas expliqué que l'équilibre était en vue sans nouveau prélèvement ?

Vos prévisions de dépenses sont, elles aussi, optimistes, du moins en ce qui concerne la santé -la progression de 2,6 % de l'ONDAM étant calculée par rapport aux prévisions 1998 et non aux dépenses réalisées- et le médico-social.

Enfin et surtout, vous ne préparez pas l'avenir.

Vous ne nous proposez pas la politique familiale globale qui serait indispensable au pays. Certes, après avoir défendu avec vigueur la mise sous conditions de ressources des allocations familiales, vous reconnaissez votre erreur ; mais en même temps que vous rétablissez l'universalité, vous réduisez l'effet du quotient familial, pénalisant ainsi 400 000 familles. Vous prolongez d'un an le droit aux allocations familiales, ce dont nous nous réjouissons ; mais vous repoussez d'un an la majoration pour âge, récupérant ainsi 1,8 milliard. Vous annoncez en juin 1998 l'élargissement de l'allocation de rentrée scolaire aux familles n'ayant qu'un enfant ; mais vous repoussez la mesure d'un an...

Mme Dominique Gillot, rapporteur - Il a toujours été dit qu'elle serait applicable en 1999 !

M. Jean-Luc Préel - Enfin, vous ne faites rien pour commencer à simplifier les prestations familiales. Je n'évoquerai pas le Pacs...

Mme Martine David - Non, ce n'est pas la peine !

M. Jean-Luc Préel - Mais j'observe que vous êtes moins généreux pour les familles que pour les retraités, puisqu'elles ne bénéficient pas des mêmes revalorisations.

Vous ne préparez pas davantage l'avenir de nos retraites. Vous nous proposez d'attendre encore un an l'élaboration d'un énième rapport, et de créer un fonds de réserve de 2 milliards qui n'est qu'un gadget improvisé ; les sénateurs ont souhaité qu'une loi précise ses missions et son financement mais, semble-t-il, vous allez nous demander de ne pas les suivre. Vous demandez que la CNRACL puisse emprunter 2,5 milliards, alors qu'elle est structurellement excédentaire ; diminuez donc plutôt la surcompensation ! Vous rappelez à nouveau que vous allez abroger la loi Thomas et vous refusez les amendements de l'UDF relatifs à l'épargne-retraite. Vous refusez également deux amendements essentiels que nous allons défendre à nouveau, l'un donnant à la CNAV, c'est-à-dire nos partenaires sociaux, une réelle autonomie, l'autre tendant à créer une caisse de retraite des fonctionnaires, gérée de manière paritaire.

En ce qui concerne la branche maladie, l'UDF est opposée à la fois à l'étatisation et à la privatisation. Or vous vous êtes mise, Madame la ministre, dans une situation très difficile. Vous ne semblez pas en comprendre les raisons, qui sont pourtant lumineuses (Murmures sur les bancs du groupe socialiste).

En arrivant au pouvoir, vous avez vertement critiqué le plan Juppé et expliqué que les reversements prévus étaient stupides. Vos déclarations, jointes à un immobilisme coupable, ont désespéré l'hôpital et fait croire au secteur ambulatoire que vous laisseriez filer les dépenses.

En fin de compte, vous conservez toutes les réformes structurelles du plan Juppé. Je vous en félicite, mais les choses seraient plus claires si vous le disiez !

Chacun ayant cru pendant plusieurs mois que vous lâchiez la bride, les dépenses ont dérapé. Vous vous êtes donc rattrapée : en juin, au mépris de l'autonomie des caisses et des engagements antérieurs, vous avez pris des mesures autoritaires pour les dentistes, les radiologues, les biologistes et l'industrie pharmaceutique. Dans ce projet de loi, vous nous proposez un système de lettres clés flottantes. Certes les juristes, dont M. Evin, expliquent qu'il y aura des rendez-vous trimestriels et que les lettres clés ne flotteront pas, mais évolueront par palier : nuance ! Vous nous proposez en outre un impôt social sur le revenu, sanction collective parfaitement injuste : le bon médecin qui prendra le temps d'écouter ses malades et appliquera les références médicales sera pénalisé si son voisin voit dix malades par heure... J'ai cru comprendre, en vous écoutant hier, que vous trouveriez anormal de pénaliser les pédiatres parce que d'autres spécialistes auraient dérogé. Est-ce une évolution vers une enveloppe par spécialité ?

Les laboratoires, les cabinets de radiologie, l'industrie ne peuvent revoir à la baisse leur budget tous les quatre mois. L'UDF demande donc que l'ONDAM soit régionalisée par spécialité ; j'ai déposé des amendements en ce sens. Nous sommes pour la responsabilisation des professionnels et l'autodiscipline de la profession.

On parle peu de l'hôpital, dont le malaise est pourtant profond. Comment sera répartie l'enveloppe entre les régions et entre les établissements ? A quel rythme allez-vous corriger les inégalités, sur quels critères ? Comment sera appliquée la loi sur les 35 heures ? L'une des questions essentielles est le statut du praticien hospitalier et des spécialités sinistrées ; rien ne serait pire que de procéder à des restructurations hospitalières dictées par le manque d'anesthésistes. Il est indispensable de prendre en compte dans le statut et les rémunérations la responsabilité et la pénibilité du travail.

Enfin, je suis très attaché à la prévention et à l'éducation. En ce domaine où les intervenants sont nombreux, il n'y a pas de politique coordonnée et les moyens sont insuffisants. La solution serait de créer une agence nationale et le vote par le Parlement, à côté de l'ONDAM, d'une enveloppe qui lui serait attribuée. Ayez le courage politique de l'accepter !

J'espère, Madame le ministre, que vous me pardonnerez mon ton parfois un peu vif : c'est que je suis passionné par ce débat majeur pour notre avenir. Nous sommes très attachés au contrat, à l'autonomie, à la régionalisation, à l'individualisation, mais nous ne croyons pas aux mesures collectives aveugles.

M. François Goulard - Très bien !

M. Pascal Terrasse - Quinze articles de ce projet ont été adoptés conformes par nos collègues du Sénat. Cependant des points de désaccord importants portent notamment sur les mécanismes de régulation de la médecine de ville et sur la clause de sauvegarde des entreprises pharmaceutiques, domaine dans lequel le Sénat fait des propositions intéressantes mais dans le cadre d'une maîtrise comptable.

Nous sommes tous attachés à notre système de protection sociale, mais sans mécanisme de régulation, c'est l'ensemble du système qui, à terme, serait appelé à disparaître. Certains, d'ailleurs, sont prêts à laisser glisser les dépenses, dans le seul objectif de substituer à un système de solidarité des systèmes d'assurance. Un système purement financier casserait la solidarité pourtant nécessaire à l'égard des fractions les plus fragiles de la population.

Comment laisser croire que c'est en dépensant toujours plus que l'on améliorera notre système de protection sociale ? Il nous faut au contraire maîtriser les dépenses tout en répondant aux nouveaux besoins, ce qui exige de responsabiliser à la fois l'ensemble des professions de santé et des assurés sociaux.

Vous vous êtes fixée pour objectif, Madame la ministre, de ramener les comptes de la Sécurité sociale à l'équilibre en 1999 tout en garantissant à nos concitoyens l'accès aux soins et les prestations sociales auxquelles ils sont légitimement attachés. Le transfert des cotisations d'assurance maladie vers la CSG, opéré l'an dernier, constitue une première étape. Il faut maintenant aller plus loin en engageant une réforme des cotisations patronales, comme vous vous y êtes engagée en première lecture. Leur assiette devra être réformée et les charges sur les bas salaires devront être allégées.

Année du retour à l'équilibre, 1999 sera aussi l'année de la mise en place de la couverture maladie universelle, accompagnée de diverses mesures visant à améliorer la protection sociale des familles, des salariés et des retraités.

L'Etat prendra à sa charge l'allocation parent isolé. L'allocation de rentrée scolaire sera substantiellement revalorisée et surtout étendue aux familles d'un enfant. Les allocations familiales et les majorations d'allocations logement pour enfant seront servies jusqu'à la vingtième année des enfants. Enfin, plus de vingt milliards seront dégagés pour le développement des crèches, mesure très attendue des associations familiales.

1999 verra aussi l'ouverture d'un vaste chantier sur les retraites. Premier poste du budget de la Sécurité sociale, les retraités constituent un grand sujet de préoccupation. Les salariés se demandent si leurs retraites seront assurées, les retraités s'inquiètent pour leur pouvoir d'achat. La population française vieillit. C'est en 2005 que commenceront de partir à la retraite les générations nombreuses nées dans l'immédiat après-guerre.

Le Premier ministre a chargé le commissaire au Plan d'une mission sur l'avenir des régimes de base et complémentaires. Il a souhaité, contrairement à ce qu'avaient fait MM. Balladur et Juppé, une large concertation avec les partenaires sociaux et avec, je le souhaite, les élus de la nation. En attendant les conclusions de ce rapport et la mise en application de mesures structurelles et durables, certaines dispositions ont d'ores et déjà été adoptées.

La loi de financement de la Sécurité sociale de cette année réaffirme le principe de la retraite par répartition, seule à même d'assurer la solidarité entre les générations. Le Gouvernement s'est également engagé à abroger la loi Thomas, tout en soulignant la nécessité de réfléchir à des systèmes d'épargne collective, gérée par les partenaires sociaux. La création d'un fonds de réserve doté de deux milliards constitue un signe fort : ce fonds devra être pérennisé.

D'autres dispositions ont été prises, toutes favorables aux retraités et aux personnes âgées : exonération totale des charges patronales pour les associations de maintien à domicile des personnes âgées ; revalorisation significative des retraites pour les bénéficiaires du minimum vieillesse ; augmentation de 1,2 % des pensions, ce qui permettra un gain de pouvoir d'achat de 0,5 % ; amélioration sensible de l'assurance veuvage ; revalorisation des retraites agricoles grâce au transfert de 1,2 milliard du budget général vers le BAPSA.

1999 sera l'année internationale des personnes âgées. Qu'elle soit pour nous l'occasion de poser les fondations de notre politique en leur faveur pour le prochain millénaire.

Votre démarche, Madame la ministre, comme celle des députés de la majorité plurielle est simple : consolider la Sécurité sociale par des réformes structurelles et durables, menées en concertation avec l'ensemble des acteurs. Cette concertation a été menée à bien et a permis de dégager des objectifs clairs et partagés. Je ne reviendrai pas sur l'ensemble des avancées sociales dont doivent bénéficier les familles en 1999.

S'agissant de la branche vieillesse, les rapports Charpin et Hespel-Thierry, ainsi que le groupe d'études lancé à votre initiative, sur la révolution de la longévité apporteront un éclairage précieux sur la prise en charge de la vieillesse et de la grande vieillesse.

L'objectif national de dépenses d'assurance maladie augmentera de 2,6 % en 1999 contre 2,27 % en 1998. Parallèment, des réformes utiles et courageuses ont été entreprises. Une lutte contre la surconsommation de médicaments a été engagée. L'adoption d'un règlement conventionnel devrait permettre une meilleure coordination des soins et de la prévention en réseau, ainsi que l'adoption de références médicales opposables.

Il faut mieux prendre en compte la réalité des maladies professionnelles et améliorer leur réparation. Je pense naturellement à celles dues aux radiations ionisantes et à l'amiante. Quelles sont vos intentions sur ce problème qui concerne plusieurs centaines de salariés dont l'espérance de vie est inférieure à 65 ans ?

Des objectifs clairs et courageux, un budget équilibré tenant compte à la fois des besoins et des ressources, une large concertation avec le monde de la famille, du travail et de la santé, les retraités et les personnes âgées, et bien entendu les élus de la nation. Vous pouvez compter, Madame la ministre, sur le soutien du groupe socialiste pour améliorer encore ce texte.

M. François Goulard - Le groupe Démocratie Libérale formulera les mêmes critiques qu'en première lecture. Les solutions que vous préconisez, Madame la ministre, ne permettent pas de garantir aux Français un niveau de protection sociale satisfaisant : elles sont passéistes et s'en tiennent au court terme.

Sur les retraites d'abord. Nul ne peut le nier, il sera impossible avec le système actuel de servir des pensions décentes aux générations qui prendront leur retraite dans quinze ans et après puisque le rapport entre retraités et cotisants ne sera plus alors que d'un pour un. Mais le Gouvernement tient aux Français un discours rassurant, sinon lénifiant, quand une prise de conscience collective serait indispensable. De plus, il retarde les décisions qui permettraient, au moins en partie, de résoudre les difficultés.

Quelle sont ces solutions, dont l'honnêteté oblige à souligner qu'elles sont seulement partielles ? Les fonds de pension, tout d'abord. Pour qu'ils aient pu intervenir efficacement en 2015, il aurait fallu les mettre en place il y a plus de dix ans. Le seul groupe politique à l'avoir préconisé alors était le nôtre. Les fonds créés aujourd'hui ne seront un appoint précieux qu'en 2025. Raison de plus pour ne pas perdre encore du temps. C'est pourtant ce que vous avez fait depuis juin 1997 et continuez de faire, gênés sans doute par vos alliés communistes...

Mme Muguette Jacquaint - Notre présence est une très bonne chose.

M. François Goulard - Permettez-moi de penser que la présence de communistes en son sein empêche le Gouvernement d'agir...

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Nous en sommes très contents, nous !

M. François Goulard - Comme l'a fort bien dit mon collègue Jean-Luc Préel, le fonds de réserve que vous instituez est une rustine. Ni ses modalités de gestion ni ses modalités de contrôle n'ont été définies. Ce dispositif aurait été plus visible si la responsabilité en était confiée aux partenaires sociaux et s'il était doté de crédits à la hauteur des besoins. Le bruit court que le Gouvernement pense lui affecter l'excédent des fonds propres des caisses d'épargne ; mais je doute que l'Etat puisse disposer de ces sommes à sa guise : ne reviennent-elles pas plus légitimement aux épargnants et aux collectivités ? Mieux vaudrait donc lui affecter le produit d'une importante privatisation, celle d'EDF par exemple. Je ne suis malheureusement pas sûr que certains membres de votre majorité soient d'accord avec une telle solution...

Plusieurs députés socialistes - Personne ne l'est !

M. François Goulard - Voilà une précision intéressante, qui ne manquera pas d'être reprise lors du débat sur la politique énergétique de la France ! Mais, pour en revenir aux retraites, il faut absolument revoir les règles de fonctionnement des régimes spéciaux. Ne pas énoncer clairement cet impératif est une forme de mensonge politique.

J'en viens à la protection sociale pour constater que les limites de notre régime de base vous contraignent à des correctifs que l'urgence vous interdit de renvoyer aux calendes grecques -ce que vous faites lorsqu'il s'agit du système des retraites. Les remboursements sont aujourd'hui insuffisants pour tous ceux de nos concitoyens qui n'ont pas de couverture supplémentaire. Quant à la situation dans les hôpitaux, elle est très contrastée : à côté de succès manifestes, on constate des pénuries inacceptables. Les vacances de postes se multiplient, et elles auront, sous peu, des conséquences dramatiques dans certaines spécialités : chirurgie et anesthésie certainement, obstétrique surtout. A ces graves lacunes s'ajoute une dérive des coûts si insupportable que leur maîtrise est devenue capitale.

La situation ainsi décrite vous obligeait à trouver une solution immédiate qui, contrainte, apparaît aussi bureaucratique et centralisée, en un mot, déphasée. Comment ne pas comprendre qu'à prendre les médecins en tenaille, en favorisant les plus laxistes tout en les menaçant tous de sanctions autoritaires, vous ne pouvez que susciter la révolte des professions de santé ? Cette révolte qui gronde ne fera que prendre de l'ampleur, au risque de bloquer complètement notre système de santé. L'expérience devrait pourtant vous avoir appris que l'on ne réforme pas en prenant de front les professions concernées, non plus que l'on ne changera l'école en insultant les enseignants (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

L'attitude que vous adoptez à l'égard de l'industrie pharmaceutique est de la même eau : vous la présumez coupable. Sans m'attarder sur vos invraisemblables flottements au sujet de la clause de sauvegarde, j'ai observé que vous négligez plusieurs faits. Le premier est que le Gouvernement et les caisses d'assurance maladie ont déjà la possibilité de choisir les médicaments les plus efficaces et d'en négocier les prix. Le deuxième est que le progrès est souvent source d'économie. Le troisième est qu'aucun groupe pharmaceutique d'envergure n'envisage plus d'investir en France...

M. Alfred Recours, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales pour les recettes et l'équilibre général - C'est inexact !

M. François Goulard - Cet état de fait, dont vous êtes responsables, est coûteux pour notre économie. L'assurance maladie doit se concevoir en termes de performance médicale et de performance économique, les deux étant indissociables, et les esprits non prévenus ne peuvent que s'interroger sur la mobilité du système envisagé.

Le groupe Démocratie Libérale considère qu'il faut instituer une décentralisation réelle, afin d'instaurer des relations directes entre tous les intervenants, et définir une organisation qui privilégie la motivation plutôt que la sanction, dans le seul objectif de garantir à tous les Français le plus haut niveau possible de protection sociale.

J'en viens au "chaînon manquant" de votre projet : la politique familiale. Les familles sont, sans conteste, les grandes perdantes de la redistribution actuelle des revenus, au point que l'on ne peut que s'interroger : est-il juste et responsable de consentir plus longtemps à ce que le pouvoir d'achat des familles soit à la traîne de celui des ménages sans enfants ?

Mais là ne sont pas les seules insuffisances du texte. Que dire du MICA, dont nous regrettons que vous n'ayez pas accepté l'assouplissement, et dont nous déplorons qu'il ait pour effet de modifier des règles en cours de partie ?

Mme la Ministre - Mais ce dispositif était en faillite !

M. François Goulard - Que dire, aussi, de l'article 7 qui modifie a posteriori l'assiette d'un prélèvement obligatoire, ce qui me fait douter de sa constitutionnalité ? Que dire, encore, de l'exonération des charges sociales pour les CCAS ? L'intervention ministérielle avait jeté un trouble qui s'est, je l'espère, dissipé, mais je regrette que l'on paraisse opposer deux des formes de l'action sociale qui sont les plus efficaces.

M. le Président - Je vous prie de conclure.

M. François Goulard - Je ne saurais terminer sans mettre l'accent sur l'incidence de l'application des "35 heures", ni faire observer que les recettes escomptées sont conditionnées par la bonne tenue de la conjoncture. Mon voeu est en tout cas de ne pas avoir à constater, dès l'année prochaine, les effets néfastes de votre imprévoyance.

Mme Muguette Jacquaint - Je tiens à vous dire, Madame la ministre, combien le groupe communiste est satisfait des mesures prises par le Gouvernement en faveur des victimes de l'amiante (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

Les accidents du travail et les maladies professionnelles font l'objet d'une attention particulière du Gouvernement. C'est ce que souhaitait le monde du travail, car ces fléaux mettent en cause la santé, parfois même la vie du salarié.

Les accidents du travail et les maladies professionnelles doivent être examinés sous l'angle de la prévention, de la couverture sociale et de l'indemnisation. Mais cela ne doit pas faire oublier que de nombreuses victimes sont dans l'impossibilité, actuellement, de faire valoir leurs droits les plus élémentaires.

En effet, nombre d'entreprises, l'employeur exerce des pressions pour éviter, dans un premier temps, les déclarations d'accident de travail. Or, en cas d'accident de travail ou de maladie professionnelle, la couverture sociale est supérieure à celle de la maladie. En cas de non-déclaration, les droits de la victime ne sont donc plus respectés.

D'autre part, il existe un transfert de charges financières de la branche accident du travail vers la branche maladie, qui est estimé à près de 30 milliards. De la sorte, cette branche peut apparaître excédentaire, ce qui a pour effet la baisse, inadmissible, des cotisations patronales.

De surcroît, la reconnaissance de la maladie professionnelle pose de réels problèmes. Le dispositif, adopté en première lecture, apporte un début de réponse puisque le délai de prescription court à compter de la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et son activité professionnelle. Il est également indispensable de prendre en compte dans les tableaux de maladies professionnelles les produits et procédés de travail cancérigènes.

A la base, il faut donner des moyens aux caisses régionales d'assurer la prévention et renforcer les droits des CHSCT. La fonction de l'inspection du travail est dénaturée, trop de procès-verbaux restent sans suite ; il faut réaffirmer son rôle. La médecine du travail doit aussi trouver une place nouvelle dans la prévention, d'autant que l'utilisation massive des produits chimiques provoque de nouvelles pathologies. Pour cela, la médecine du travail doit devenir réellement indépendante des employeurs. C'est aussi la conclusion du rapport sur la sécurité sanitaire environnementale, remis le 21 novembre au Premier ministre.

S'agissant des accidents du travail, la situation reste grave. La CNAM annonce le chiffre de 1 328 080 accidents en 1997, soit une augmentation de 1,6 %. Selon un sondage commandé par la fédération nationale des accidentés du travail au 1er avril 1998, 19 % de la population active aurait été victime d'accidents du travail.

Ces chiffres s'expliquent aussi par l'explosion de la précarité. Dans l'industrie, 20 % des accidentés sont des salariés précaires. Dans le tertiaire, 9 % des salariés précaires représentent 24 % des accidents dans les transports, ils sont 4 % et subissent aussi 24 % des accidents.

Le personnel précaire est souvent sous-formé. Lutter contre le travail précaire, en y associant le Parlement et les organisations représentatives, est une priorité.

Il faut traiter à la fois de la prévention et de l'indemnisation. Ce projet contient une disposition de progrès social. Mais il faudra débattre dans une proche avenir de l'ensemble de la question. C'est primordial pour la santé publique, afin que ne se produise plus jamais un drame comme celui de l'amiante (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. le Président de la commission - Je demande une suspension de séance pour réunir la commission et examiner les amendements en application de l'article 88. La commission se réunira à nouveau à 14 heures 15 pour achever ses travaux.

M. le Président - La suspension est de droit.

La séance, suspendue à 11 heures 50, est reprise à 12 heures 20, sous la présidence de M. Ollier.

PRÉSIDENCE DE M. Patrick OLLIER

vice-président

M. le Président - En application de l'article 91, alinéa 9, du Règlement, j'appelle maintenant, dans le texte du Sénat, les articles sur lesquels les deux assemblées du Parlement n'ont pu parvenir à un texte identique.

ARTICLE PREMIER

M. Jean-Luc Préel - Le rapport annexé permet au Gouvernement, au-delà de la sécheresse juridique des articles, de préciser ses intentions. Malheureusement le texte auquel nous allons globalement revenir manque de souffle et ne pose pas les vrais problèmes.

Dans le domaine de la santé, le premier tient à la définition des besoins. Pour cela, le Gouvernement compte apparemment sur les états généraux de la santé. Ils constituent certes un lieu utile de réflexion et de sensibilisation, mais ils ne sauraient permettre de définir des priorités. Nous avons tous reçu des représentants de retraités qui demandent la création d'un cinquième risque "dépendance", sans obligation alimentaire, sans récupération sur succession, sans condition de ressources ni même cotisation supplémentaire. De même, chacun souhaite une prévention accrue, des soins de qualité gratuits, la possibilité de consulter qui il veut, quand il veut, des établissements à la fois proches géographiquement et assurant une totale sécurité. De ce type de consultation, il peut difficilement ressortir autre chose qu'une addition de souhaits...

Pour définir et hiérarchiser les besoins, il faut régionaliser et disposer de bons outils. Les ORS en sont un. En première lecture, j'ai fait adopter un amendement visant à leur donner les moyens de fonctionner. Seront-ils accrus pour autant ? J'en doute, hélas. Il importe pourtant qu'ils puissent "alimenter" les conférences régionales de la santé, deuxième bon outil, créé par les ordonnances Juppé. Encore faut-il que ces conférences ne se limitent pas à une grand-messe d'une journée mais réunissent l'ensemble des partenaires tout au long de l'année. J'ai déposé un amendement à leur sujet, j'espère qu'il sera accepté.

Deuxième point sur lequel il faudrait insister dans ce rapport : la prévention. Elle laisse à désirer, à cause du manque de moyens et de la multiplicité des intervenants, qui interdit notamment une politique ciblée sur un objectif comme la réduction de la mortalité prématurée évitable. Je propose donc de faire voter chaque année par le Parlement une enveloppe dédiée à la prévention et de créer, au niveau national, une agence chargée de coordonner les efforts de tous les acteurs de ce secteur et qui serait déclinée au niveau régional. Nous y viendrons certainement, mais pourquoi attendre ?

Mme la Ministre - Pourquoi ne l'avez-vous pas fait quand vous aviez la majorité ?

M. Jean-Luc Préel - Le plan Juppé a été interrompu en 1997 !

Par ailleurs, ce rapport pose le principe des sanctions collectives, via des lettres clés flottantes et des reversements. Ce système est voué à l'échec. Refusant l'étatisation comme la privatisation, l'UDF réclame une régionalisation par spécialité de l'ONDAM, une individualisation du système et une autodiscipline de la profession dans le cadre d'unions régionales.

Mme Jacqueline Fraysse - Nous nous étions abstenus sur l'annexe rédigée par notre assemblée. Or celle proposée par le Sénat est souvent très en retrait du premier texte. Il n'y est question que de "mécanismes efficaces de maîtrise des dépenses". Obsédée par la crainte de dépenser trop, la droite sénatoriale va même jusqu'à ôter un milliard à l'ONDAM, tout en déplorant qu'il existe des besoins non satisfaits ! Le seront-ils en diminuant l'ONDAM ? Et en refusant de faire contribuer davantage les entreprises au financement de la Sécurité sociale, il y a pour le moins quelque incohérence dans la démarche de la majorité sénatoriale...

Comment améliorer les remboursements et la prise en charge des patients sans accroître les ressources de la Sécurité sociale ? On ne pourra pas comprimer indéfiniment l'offre de soins... Ou bien l'on décide de ne pas satisfaire les besoins de santé de l'ensemble de la population -car il s'agit bien ici de réduire l'accès aux soins !-, ou bien l'on se donne les moyens financiers nécessaires : ce n'est qu'une question de volonté politique. Nous avons fait des propositions pour accroître les ressources de la Sécurité sociale, nous souhaitons qu'elles soient examinées rapidement et nous demandons donc à ce qu'on prenne date pour le prochain semestre.

Cependant, dès aujourd'hui, il nous paraît indispensable de rétablir des dispositions introduites à notre initiative en première lecture : celle qui vise à associer les centres de santé aux programmes de dépistage et de soins bucco-dentaires destinés à la jeunesse et celle qui tend à abroger la loi Thomas, notamment.

L'annexe adoptée par le Sénat illustre parfaitement la philosophie de la droite : compression des dépenses et de l'offre de soin, préparation du terrain pour l'instauration d'une retraite par capitalisation. Notre groupe souhaite rompre avec cette logique et nous nous félicitons donc que la commission entende revenir au texte adopté ici en première lecture. Il faudra toutefois aller plus loin dans les semaines et mois à venir. Compte tenu de l'insuffisance des moyens dégagés actuellement et bien que nous partagions la plupart des objectifs retenus par la commission, nous nous abstiendrons sur cet article premier.

RAPPORT ANNEXE

M. Claude Evin, rapporteur - L'objet de l'amendement 1 est simple : il vise à rétablir le texte que nous avions adopté en première lecture.

M. le Secrétaire d'Etat - Je ne puis que donner un avis favorable.

M. Jean-Luc Préel - Nous nous sommes clairement opposés, à plusieurs reprises, aussi bien à la privatisation qu'à l'étatisation de la protection sociale. Pour moi, je ne crois pas qu'on puisse attendre de réelles économies de la mise en concurrence des caisses. Cependant, compte tenu du climat dans lequel s'est déroulée la discussion générale, je proposerai par mon sous-amendement 60 une expérimentation limitée dans le temps et dans l'espace, en vue d'apprécier l'opportunité d'une gestion privée du risque. Pour éviter toute dérive, un cahier des charges interdisant toute sélection des patients et des professionnels sera élaboré. Ainsi constaterons-nous certainement qu'on ne peut attendre de cette délégation des améliorations assurées, mais nous aurons au moins contribué à préserver la protection sociale à la française.

M. Claude Evin, rapporteur - Ce sous-amendement a déjà été repoussé en première lecture.

Mme la Ministre - Rejet. Je relève d'ailleurs une contradiction entre cette demande d'expérimentation et la position défavorable à l'assurance privée prise tout à l'heure par M. Préel. Un récent rapport du CREDES ne peut d'ailleurs que nourrir cette défiance !

Le sous-amendement 60, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Luc Préel - Mon sous-amendement 61 a surtout une valeur symbolique : il tend à rappeler que le basculement des cotisations salariales d'assurance maladie vers la CSG a commencé en 1997. Le Gouvernement a là les moyens de reconnaître qu'il poursuit l'application du plan Juppé.

M. Claude Evin, rapporteur - Ne faisons pas d'histoire, ni d'histoires ! S'il fallait doter le début de cette réforme, c'est d'ailleurs à 1990, plutôt qu'à 1997, que nous devrions remonter. Puisque c'est en 1990 qu'a été instituée la contribution sociale généralisée -j'ai quelques raisons personnelles de m'en souvenir ! Et je me rappelle aussi que M. Juppé s'était alors opposé à cette réforme ! C'est précisément à cause de cela, pour ne pas faire d'histoires, que la commission avait supprimé toute mention de date en première lecture.

M. le Secrétaire d'Etat - Même avis, et je rends hommage à la sagesse historique du rapporteur ! (Sourires)

Le sous-amendement 61, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Luc Préel - Les états généraux ne peuvent définir les besoins ni les moyens d'y répondre par une offre adéquate. En première lecture, un amendement a été voté pour donner aux observatoires régionaux de la santé des moyens de fonctionner car ils sont actuellement obligés de s'autofinancer grâce à des études qui n'ont rien à voir avec leurs missions. Le Gouvernement veillera-t-il à ce qu'ils puissent effectivement remplir celles-ci ?

Cependant, nous avons un autre instrument à notre service : les conférences régionales, qui font l'objet de notre sous-amendement 63. Il s'agit d'affirmer qu'elles ne se réservent pas à des grand-messes mais qu'elles doivent, tout au long de l'année, étudier les besoins en vue d'une meilleure adéquation de l'offre.

M. Claude Evin, rapporteur - S'agissant des observatoires, je partage l'appréciation portée par M. Préel sur l'importance de leur mission, mais, pour ce qui est des moyens, cela relève de la loi de finances.

Je ne suis pas favorable au sous-amendement dans la mesure où il assigne aux conférences régionales de la santé des objectifs qui ne sont assis sur aucune disposition législative. En outre, aucune référence n'est faite, par exemple, aux schémas régionaux d'organisation sanitaire.

Le sous-amendement 63, repoussé par le Gouvernement et mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Luc Préel - Le Gouvernement a annoncé son intention de généraliser la prévention des cancers féminins et des cancers du côlon. Cependant des expériences sont en cours à cet effet dans 29 départements et l'on a pu constater que toutes les femmes ne se soumettaient pas au dépistage. On ne résoudra pas le problème en confiant le travail d'organisation aux caisses : il me paraît préférable de recourir, dans chaque département, à des associations regroupant caisses, médecins et associations de prévention, qui seront plus à même de toucher le public visé.

M. Claude Evin, rapporteur - Avis défavorable.

M. le Secrétaire d'Etat - Rejet également. Le système départemental que vous proposez s'est révélé inefficace. Au contraire, toutes les femmes pourront bénéficier du dispositif unique que nous voulons mettre en place.

Le sous-amendement 65, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Luc Préel - Mon sous-amendement 66 vise à remplacer "au cours de l'automne 1998" par "dès que possible". Les feuilles sont déjà tombées et nous n'avons rien vu venir !

M. Claude Evin, rapporteur  - L'automne ne se termine que le 21 décembre !

Le sous-amendement 66, repoussé par le Gouvernement et mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Luc Préel - Contrairement aux salariés, qui passent obligatoirement une visite médicale par an, le personnel de l'Éducation nationale n'en passe une que lors de son embauche. Or il se trouve en permanence au contact des élèves. D'où le sous-amendement 67. Tout à l'heure, en commission, le rapporteur nous a dit que sa place n'était pas dans ce rapport annexé, mais ne s'agit-il pas d'un élément essentiel à une politique de santé efficace ?

M. Claude Evin, rapporteur  - Nous sommes pour l'amélioration du suivi médical des personnels de l'Éducation nationale, mais contre ce sous-amendement tel qu'il est rédigé.

M. le Secrétaire d'Etat - Même avis.

Le sous-amendement 67, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Luc Préel - Le sous-amendement 68 est défendu.

M. Claude Evin, rapporteur  - La commission ne l'a pas examiné.

M. le Secrétaire d'Etat - Sagesse.

Le sous-amendement 68, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Luc Préel - 8 % des infirmiers et infirmières sont membres d'une association ou d'un syndicat. Le Gouvernement n'a pas d'interlocuteur représentatif pour examiner les problèmes d'éthique ou de formation. Je propose donc, par mon sous-amendement 50, de prévoir la création d'un ordre des infirmiers.

Le sous-amendement 50, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Luc Préel - Mon sous-amendement 51 est très important.

Certains laboratoires, se sentant pénalisés par le système actuel de convention, préfèrent, lorsqu'ils mettent sur le marché une molécule innovante, ne pas demander son remboursement. C'est le cas du Viagra, mais aussi d'autres médicaments. Pour éviter que ne s'instaure ainsi une médecine à deux vitesses, seuls pouvant bénéficier de ces médicaments ceux qui ont les moyens de payer, je propose d'écrire que "le Gouvernement étudiera avec les laboratoires un dispositif permettant à l'ensemble de la population d'avoir accès à toute molécule innovante".

M. Claude Evin, rapporteur - Le problème est réel, mais ce sous-amendement n'est pas satisfaisant. Personnellement, je serais favorable à une modification du code de la sécurité sociale ; il faut y travailler avec le Gouvernement. La question n'est pas simple, car on ne peut enlever toute liberté aux laboratoires.

M. le Secrétaire d'Etat - M. Préel pose en effet un problème important, mais je ne le suis pas dans la rédaction qu'il propose : je suis prêt à examiner cette question, mais avec tous les spécialistes de la santé publique et pas seulement les laboratoires ; de plus, on ne peut parler d'un accès à "toute" molécule innovante, car certaines molécules ne sont pas utiles. Par ailleurs, le problème est juridiquement très difficile, car on ne peut pas forcer les laboratoires à demander le remboursement.

Mme Muguette Jacquaint - Il est indispensable de trouver une solution. Ce problème concerne notamment les pilules contraceptives de troisième génération, prescrites par les médecins mais non remboursées.

Le sous-amendement 51, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Luc Préel - Le sous-amendement 52 est défendu.

Le sous-amendement 52, repoussé par la commission et par le Gouvernement, n'est pas adopté.

M. Jean-Luc Préel - En commission, le rapporteur a dit qu'il était favorable, sur le principe, à mon sous-amendement 53, mais qu'il ne l'acceptait pas ; je n'ai pas compris pourquoi. Il s'agit de renforcer les pouvoirs des conseils d'administration des hôpitaux. Il serait souhaitable qu'ils puissent préparer des projets d'établissement, et embaucher les directeurs chargés de les appliquer.

M. Claude Evin, rapporteur - Défavorable. Les conseils d'administration élaborent d'ores et déjà des projets d'établissement. Sans doute leurs pouvoirs sont-ils insuffisants, mais dire qu'on va les renforcer sans préciser comment n'a pas grand sens.

M. le Secrétaire d'Etat - Défavorable.

Le sous-amendement 53, mis aux voix, n'est pas adopté.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 55.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


© Assemblée nationale