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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 53ème jour de séance, 133ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 20 JANVIER 1999

PRÉSIDENCE DE M. Laurent FABIUS

          SOMMAIRE :

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 1

    PROBLÈMES AGRICOLES DANS L'OUEST 1

    PRÉRETRAITES DANS LE SECTEUR AUTOMOBILE 2

    CONTRAT FRANCO-ALLEMAND DE RETRAITEMENT DES DÉCHETS NUCLÉAIRES 3

    AVENIR DE LA FILIÈRE NUCLÉAIRE FRANÇAISE 3

    RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL À EDF 4

    JEUX VIDÉO DANGEREUX 5

    ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE 5

    INDUSTRIE AÉRONAUTIQUE 5

    CRISE PORCINE 6

    SITUATION DES HARKIS 7

    INTERNET 7

    LICENCIEMENTS À LA SEITA 8

DÉPOT DU RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES 9

AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE (Suite) 11

La séance est ouverte à quinze heures.


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SOUHAITS DE BIENVENUE À L'ÉQUIPAGE DE LA MISSION SPATIALE STS 95

M. le Président - Je salue la présence dans les tribunes de l'équipage de la mission spatiale STS 95, invité par le groupe parlementaire de l'espace. Je salue en particulier le sénateur John Glenn, dont les exploits ont fait rêver nombre d'entre nous (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent longuement). Gageons que sa présence donnera encore plus de hauteur à nos travaux... (Sourires)


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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

PROBLÈMES AGRICOLES DANS L'OUEST

M. Alain Tourret - Ma question, bien terre à terre, s'adresse à M. le ministre de l'agriculture. La France de l'Ouest connaît actuellement deux crises agricoles majeures, dont l'une oppose les agriculteurs aux consommateurs, l'autre aux habitants du monde rural.

On pensait avoir éradiqué la maladie de la vache folle. Or les nouveaux cas d'encéphalite spongiforme bovine se multiplient : 52 depuis 1990, dont 43 dans l'Ouest et douze en Basse-Normandie, le dernier s'étant déclaré il y a quelques jours dans l'Orne. A chaque fois pourtant le troupeau entier est abattu, les éleveurs et toute la filière bovine sont inquiets tandis que les consommateurs se détournent de la viande de boeuf. On nous assure que toutes les vaches nées après 1996, mais seulement celles-ci, seraient en théorie à l'abri de tout risque de contamination. Quelles mesures comptez-vous prendre, Monsieur le ministre, pour hâter la fin de ce drame que vit le monde rural ?

A ces difficultés vient s'ajouter la crise du porc qui intervient dans le contexte d'opposition parfois viscérale entre habitants du monde rural et éleveurs de porcs. Il serait indispensable de soumettre à autorisation préalable, et non pas à simple déclaration, toute création d'un élevage de plus de cent porcs : le seuil actuel de 450 est à l'évidence démesuré. De même, toute nouvelle installation de porcherie devrait faire l'objet d'une étude préalable d'impact sur l'environnement, faute de quoi le fossé se creusera encore davantage entre éleveurs et riverains. Le Gouvernement est-il prêt à revoir les règles d'installation de porcheries ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste)

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Sachant que d'autres questions vont m'être posées plus tard sur la crise porcine, je répondrai seulement à votre question sur l'ESB. Les nouveaux cas que vous avez signalés concernent en effet des animaux nés après l'interdiction des farines animales dans l'alimentation du bétail, intervenue au deuxième semestre 1996. Mais, nous le savions, il existe pour cette maladie un temps d'incubation de quatre à cinq ans. Dans tous les cas, le troupeau entier a été abattu et une observation scientifique systématique a été engagée. Par ailleurs, le comité interministériel d'observation de l'évolution de l'ESB, mis en place sous la présidence de M. Dormont, rendra un avis en février. Attendons ses conclusions.

Au-delà des mesures prises au niveau national, plusieurs échanges ont eu lieu au niveau européen, à la Commission et au Conseil agricole où la question doit encore être évoquée prochainement. Soyez en tout cas assuré, Monsieur le député, que seul un respect scrupuleux du principe de précaution guide l'action de la France en ce domaine (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

PRÉRETRAITES DANS LE SECTEUR AUTOMOBILE

M. Claude Billard - La presse rapporte que le Gouvernement aurait donné son accord pour financer le départ en préretraite de 43 000 salariés de PSA et de Renault âgés de 56 ou 57 ans, en contrepartie de l'embauche de 12 000 jeunes, ce qui se traduirait donc par 31 000 suppressions d'emplois. S'il est tout à fait légitime que des salariés dont les conditions de travail ont été particulièrement pénibles puissent partir à la retraite à 55 ans s'ils le souhaitent, tout départ devrait être assorti au minimum d'une embauche en contrepartie.

Alors que le patronat automobile a pendant longtemps multiplié les plans de licenciement et encouragé la précarité, il souhaiterait aujourd'hui bénéficier de la manne gouvernementale qui s'élèverait à 60 000 francs par départ. C'est dans ce cadre qu'il se dit prêt à négocier la réduction du temps de travail, mettant donc les salariés et les syndicats devant le fait accompli.

Le Gouvernement a-t-il donné son accord à un tel engagement financier de l'Etat sans contrepartie en matière d'emploi ? Quelle est votre opinion, Madame la ministre, sur ces mesures qui n'ont pas été soumises pour avis aux syndicats ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe du RPR)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Monsieur le député, il ne faut pas croire tout ce qui s'écrit (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Rien de ce que rapporte la presse n'est aujourd'hui fondé. Voici comment les choses se sont passées.

Le secteur automobile connaît depuis quinze ans un problème de sureffectifs, qu'il traite par des licenciements, et un problème de pyramide des âges auquel aucune réponse structurelle n'a jamais été apportée.

Dès septembre 1997 et à plusieurs reprises en 1998, j'ai eu l'occasion de prévenir les constructeurs que l'Etat n'entendait plus, comme il le faisait depuis quinze ans, financer en moyenne à hauteur d'un milliard de francs par an les départs en préretraite dans ce secteur, et ce sans aucune contrepartie en matière d'embauches ni solution de problèmes structurels. Je leur ai clairement indiqué que l'Etat n'apporterait une aide qu'à une double condition. Tout d'abord, que les plans négociés avec les syndicats traitent d'une manière globale de la durée et de l'organisation du travail, de la formation, des embauches en contrepartie des départs en préretraite. Ensuite, et les constructeurs en sont d'accord, qu'un accord ait été obtenu avec les syndicats. J'ai d'ailleurs tenu le même propos aux syndicats, notamment de la fédération de la métallurgie.

Je me réjouis que PSA engage des négociations dès demain et Renault début février. C'est au vu de leurs résultats que l'Etat décidera de son aide dont le montant en tout état de cause ne dépassera pas celui des aides passées et sera conforme à nos engagements européens (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

CONTRAT FRANCO-ALLEMAND DE RETRAITEMENT DES DÉCHETS NUCLÉAIRES

M. Patrice Carvalho - Le gouvernement allemand a décidé d'interdire le retraitement de ses déchets nucléaires à compter du 1er janvier 2000 (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; sur ces bancs : "Scandaleux ! Voynet !").

Des contrats importants vont être rompus avec l'usine de retraitement de la Cogema à La Hague. Le manque à gagner s'élèverait pour celle-ci à trente milliards sur dix ans sans parler du coût social.

Or le gouvernement allemand refuse toute indemnisation. Les arguments avancés par M. Trittin ne sont pas recevables. L'Allemagne doit assumer les conséquences de sa décision et le gouvernement français faire preuve de la plus grande fermeté.

M. Pierre Lellouche - Très bien !

Plusieurs députés RPR, UDF et DL - Voynet !

M. Patrice Carvalho - Le rapatriement des stocks de déchets allemands entreposés à La Hague devrait, quant à lui, attendre la construction d'un lieu de stockage sûr. Est-ce à l'Allemagne d'en décider ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, sur quelques bancs du groupe socialiste et sur de nombreux bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - L'arrêt du retraitement, décidé par le gouvernement allemand, inquiète, on le comprend aisément, les salariés de la Cogema, et cette inquiétude légitime a conduit à quelques débordements choquants à l'encontre d'un candidat aux élections européennes (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). La question des déchets est sérieuse et mérite mieux que des polémiques médiatisées (Mêmes mouvements).

L'industrie nucléaire est l'une des plus surveillées qui soit. Elle a fait ses preuves sur le plan technologique, mais la confiance que lui témoignent nos concitoyens ne sera durable qu'au prix de la transparence : transparence technologique - c'est l'objet du projet de loi adopté par le conseil des ministres du 9 décembre - et transparence politique - ce sera l'objet de notre débat de demain matin.

Le gouvernement français a déclaré à notre partenaire allemand que, s'il ne remettait pas en cause sa décision souveraine, le droit international n'en devait pas moins être respecté (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Le gouvernement allemand doit faire face à quelques difficultés, auxquelles il recherche des solutions appropriées. Lui en donner le temps n'est pas un signe de faiblesse, mais de détermination et d'efficacité, et je ne doute pas que nous puissions aplanir nos divergences et trouver ensemble un compromis acceptable (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Si je comprends le désarroi des salariés de l'industrie nucléaire (Mêmes mouvements), je leur dis néanmoins qu'il est beaucoup trop tôt pour apprécier les conséquences sociales d'une décision qui n'a même pas encore été prise formellement (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Le Gouvernement cherchera, que nul n'en doute, à défendre nos salariés, nos entreprises, notre politique énergétique et notre magnifique filière (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste ; huées sur les bancs du groupe DL).

M. Raymond Barre - Très bien !

AVENIR DE LA FILIÈRE NUCLÉAIRE FRANÇAISE

M. Claude Gatignol - Il y a un an, vous arrêtiez Superphénix pour faire plaisir aux Verts ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV) Il y a trois mois, vous avez applaudi au résultat des élections allemandes, dont nous voyons aujourd'hui les conséquences : il y a huit jours, vos amis politiques de la gauche allemande ont décidé d'arrêter le retraitement des combustibles usés, au mépris des accords passés entre les deux pays ! ("Très bien !" sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

Hier, en lançant sa campagne électorale en Normandie, le chef franco-allemand de la liste des Verts français (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe RPR et du groupe UDF) est venu se moquer des travailleurs du Cotentin (Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe RCV), non seulement ceux de la Cogema, mais aussi ceux d'EDF, de la SNCF et des PME sous-traitantes ! Il était d'ailleurs accompagné de plusieurs membres de votre majorité plurielle, mais la population du Cotentin a su lui réserver l'accueil qui convenait et montrait qu'elle n'était pas du côté de ceux qui jouent contre la France ("Très bien !" sur plusieurs bancs du groupe DL et du groupe du RPR ; protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

Trop, c'est trop, et l'ambiguïté doit cesser ! Allez-vous laisser se développer cette campagne de suspicion contre une industrie hyper-contrôlée, qui a créé des milliers d'emplois, conquis des marchés à l'exportation et donné à la France son indépendance énergétique en même temps que le prix d'excellence de l'environnement ? Qu'attendez-vous pour faire preuve de fermeté dans la négociation avec l'Allemagne ? Dans le cas contraire, vous seriez les fossoyeurs du nucléaire français et de la croissance en Europe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Je n'ai pas à juger des déplacements d'une personnalité politique qui va défendre ses idées à des endroits où elle rencontre, semble-t-il, des contradicteurs (Sourires), ni du comportement adopté par ceux qui viennent écouter ses discours, mais le Gouvernement ne saurait naturellement approuver les manifestations de violence : nous sommes un pays où les idées doivent continuer de s'exprimer librement (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste).

Sur le fond, le Gouvernement a affirmé à plusieurs reprises quelle était sa politique énergétique, et vous avez omis de citer sa décision, prise il y a quelques semaines, relative aux laboratoires souterrains : elle était attendue depuis 1991. Le nucléaire est une grande force technologique et énergétique, et a des effets positifs sur l'environnement puisqu'il permet de réduire les émissions de CO2 (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe du RPR).

Notre voisin allemand a pris une décision souveraine. Il y a cependant des contrats commerciaux, ainsi que des accords entre nos deux gouvernements. Nous ferons en sorte que les uns et les autres soient respectés, ou qu'il y ait des compensations sous une forme ou sous une autre, comme il est de règle en matière commerciale. Le Gouvernement n'entend pas laisser notre filière nucléaire dépérir. Notre politique énergétique est claire, et si les opinions sont libres, y compris la vôtre, ne croyez pas que le Gouvernement fasse preuve de faiblesse ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste)

RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL À EDF

M. Pierre Méhaignerie - La décision du Gouvernement de consacrer 560 millions, sur fonds publics, au maintien des salaires des employés d'EDF qui passeront à 35 heures, voire à 32 heures par semaine, est lourde de conséquences financières, et va en outre aggraver le déséquilibre entre la France protégée et celle qui est soumise à la concurrence internationale (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). Comment en effet pourra-t-on refuser le bénéfice de la même mesure aux 4 millions de salariés du secteur hospitalier, des collectivités locales et des administrations publiques ? Comment justifiera-t-on qu'en soient privés les millions de salariés des PME, qui n'ont souvent ni les mêmes salaires, ni les mêmes retraites, et dont l'emploi n'est pas protégé ? Ces 560 millions ne seraient-ils pas mieux utilisés à réduire les disparités sociales entre les deux France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Comme je l'ai déjà dit hier, aucune décision n'est prise en ce qui concerne les aides dont pourrait bénéficier EDF pour réduire la durée du travail. Les entreprises publiques, qui ne se trouvent d'ailleurs pas toutes dans le secteur protégé, ne sont pas dans le champ d'application des aides incitatives. La question sera donc tranchée dans le cadre général des relations entre ces entreprises et l'Etat, et je regrette que la presse ait lancé un chiffre qui n'est pas fondé (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Je partage, par ailleurs, l'idée qu'il faut réduire les différences entre les salariés des différents secteurs, et je me réjouis donc que 40 % des accords de réduction du temps de travail signés l'aient été dans des PME ; je m'apprête même à en étendre un certain nombre. Lorsque nous examinerons le projet sur la couverture maladie universelle, vous constaterez en outre que celle-ci bénéficiera non seulement aux personnes sans ressources, mais aussi à de nombreux salariés à faibles revenus : l'amélioration de leur sort est donc bien une priorité du Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

JEUX VIDÉO DANGEREUX

Mme Martine Aurillac - En août, Mme la garde des Sceaux avait répondu à une question écrite de M. Myard sur les dangers présentés par certains jeux vidéo qu'elle était sensible au problème et que la loi sur la délinquance sexuelle permettait à l'administration d'interdire la vente aux mineurs des jeux particulièrement violents, ainsi que la publicité pour ces mêmes jeux. Cette disposition n'a guère été utilisée dans les faits, puisque la presse a constaté, au moment des fêtes de fin d'année, que les rayons des supermarchés regorgeaient de jeux consistant à empaler, à noyer, à torturer d'innocentes victimes, ou encore à écraser des piétons en toute impunité. Le Gouvernement entend-il contrôler vraiment la diffusion des jeux vidéo et se donner les moyens d'en interdire certains ? La chancellerie donnera-t-elle des instructions pour que des sanctions pénales soient requises contre les diffuseurs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat - La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes s'est penchée sur ce sujet, en se préoccupant d'abord, il est vrai, du danger immédiat représenté par certains jeux pour l'intégrité physique des jeunes. En ce qui concerne l'aspect que vous évoquez, une action en profondeur a été entreprise depuis la dernière rentrée scolaire, et des procédures judiciaires sont en cours.

Ce que nous avons fait d'important, c'est de prévenir les consommateurs qu'il y a un droit en la matière, et Mme la Garde des Sceaux a assuré que les plaintes seront reçues et non classées sans suite. Il y a en outre 173 contrôles par jour, en moyenne, sur les jeux diffusés par le Net, et une dizaine de mises en examen ont déjà été prononcées. Vous pouvez donc être assurée de notre vigilance (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE

M. Charles Miossec - Selon diverses informations, Monsieur le ministre de l'intérieur, les analyses conduites par le service de régularisation des sans-papiers démontreraient la présence, en France, en 1997, de 300 000 étrangers en situation irrégulière, ce que vous aviez longtemps nié. C'est dire qu'un étranger sur deux seulement a fait une demande de régularisation. Allez-vous expulser les autres, ou leur appliquerez-vous la jurisprudence des déboutés, en ne faisant rien ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - Il n'y a aucune estimation de ce genre émanant du ministère de l'intérieur. La France accueille chaque année 100 millions d'étrangers, qui repartent pour la plupart (Sourires). L'estimation que vous avez citée a été donnée par Le Monde. Alors, que faisons-nous ? demandez-vous. Je vous rappellerai, d'abord, que M. Philibert et Mme Sauvaigo, qui appartenaient à l'ancienne majorité, avait estimé naguère le nombre des étrangers en situation irrégulière à 800 000 : qu'aviez-vous fait à l'époque ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste) Ce n'est pas en reconduisant bon an mal an 10 000 personnes à la frontière que vous pouviez résoudre le problème. Vous connaissiez d'ailleurs environ 50 000 de ces étrangers en situation irrégulière, mais les ministres de l'époque, M. Pasqua et M. Debré, ont bien dû, eux aussi, appliquer la loi, qui interdit d'interpeller les gens à leur domicile quand il n'y a pas de mandat d'un juge. Par ailleurs, vous me permettrez de penser que, si la société doit être policée, elle ne doit pas devenir policière (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

INDUSTRIE AÉRONAUTIQUE

M. Pierre Lellouche - C'est à vous que je poserai ma question, Monsieur le Premier ministre, puisque, dans une interview récente à un grand journal du soir, assortie d'une belle photo de style présidentiel (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), vous avez voulu montrer votre intérêt pour les questions de défense et de politique étrangère.

Hier, vos amis politiques britanniques -vous n'avez décidément pas de chances avec vos amis, qu'ils soient allemand ou anglais (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste)-, ont annoncé le regroupement de British Aerospace et de Marconi, qui donne naissance au premier groupe européen, exclusivement anglo-britannique. Si on ajoute Lagardère, l'Aérospatiale et Dassault, on n'arrive qu'à la moitié de ce nouveau groupe. Ainsi, notre pays, qui était jusqu'ici aux avant-postes en ce domaine, resterait désormais au bord de la route. Or vous êtes là depuis vingt mois, vous ne découvrez donc pas le dossier -nous avons d'ailleurs été nombreux à vous presser d'agir, de privatiser. Mais puisque vous avez raté ce rendez-vous historique, que comptez-vous faire à présent pour sortir l'industrie aéronautique de cette impasse ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Lionel Jospin, Premier ministre - Un point de méthode, tout d'abord. Je ne considère pas le Premier ministre britannique comme un "ami politique", mais comme le Premier ministre de la Grande-Bretagne (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). Et quand le Président de la République française rencontre le Chancelier allemand, il ne rencontre pas un adversaire politique, mais le Chancelier de l'Allemagne. C'est ainsi, en tout cas, que lui et moi concevons nos relations avec nos partenaires européens (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

J'en arrive au fond. Les entreprises privées britanniques déterminent librement leur choix d'alliance et le Gouvernement français n'a pas à leur donner d'injonctions. En l'espèce, nous avons laissé Thomson, alliée d'Alcatel -parce que nous avons, nous, opéré les restructurations industrielles permettant de renforcer la main de la France-, faire une offre à Marconi, comme l'ont fait aussi BAE et un groupe américain. Le choix qui a été fait aboutit en effet à unir deux entreprises à dominante britannique, sans doute parce que GEC ne souhaitait pas un partenaire de référence aussi puissant que Thomson, peut-être aussi dans le souci de privilégier une solution purement britannique. Nous ne nous réjouissons pas de cette décision, mais je pense que Thomson est à la hauteur du nouveau groupe, tant pour sa capacité de recherche que pour sa compétitivité. Au reste, il y aura peut-être une conséquence positive, si j'en juge par la première réaction allemande : la fusion annoncée depuis des mois entre BAE et DASA ne devrait pas être facilitée. En tout cas, la déclaration adoptée en décembre 1997 par la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne, exprime clairement le souhait de construire un grand groupe européen, et nous avons la volonté d'avancer dans cette voie. Nous faisons avancer, nous, la construction industrielle pour renforcer la position de la France (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et quelques applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

CRISE PORCINE

M. Didier Chouat - A 5,02 F le kilo à la vente en gros, le prix de la viande de porc est tombé à un niveau jamais atteint. Quand on sait que le prix de revient moyen est de 9 F le kilo, on imagine aisément les pertes que subissent les éleveurs. Ces pertes sont avérées pour 1998 ; que seront-elles en 1999 ? La réponse à ce problème ne peut être de distribuer indéfiniment des crédits publics considérables. D'ailleurs, comme l'a déclaré lui-même, un dirigeant agricole, "on ne peut être libéral quand tout va bien et dirigiste quand ça va mal !". Que faire, alors, pour aider la filière porcine à surmonter cette grave crise, qui risque de mettre en péril les élevages familiaux ? Il est grand temps d'en venir à une maîtrise européenne de la production porcine en éliminant les excédents illégaux et en contraignant tous les élevages à se mettre aux normes, en Bretagne et ailleurs, pour prendre en compte l'indispensable protection de l'environnement.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - La crise profonde que connaît la filière porcine n'est pas conjoncturelle mais structurelle et elle remet en cause l'existence d'élevages dans toute l'Europe. Aux mesures déjà prises se sont ajoutés les crédits débloqués en décembre, à hauteur de 150 millions, et qui sont à la disposition des préfectures depuis avant-hier. Il convenait en effet de cibler les aides afin d'aider les petits éleveurs à passer ce cap difficile. A cette fin, le Conseil des ministres de l'agriculture de l'Union européenne a décidé d'un programme d'exportations vers la Russie. L'adjudication aura lieu après-demain.

Mais il faut faire davantage, et je me suis longuement entretenu du dispositif à mettre en oeuvre avec les représentants de la fédération porcine. Il convient en premier lieu de faire respecter la loi et notamment la circulaire cosignée par Mme Dominique Voynet et mon prédécesseur, M. Le Pensec. Les arrêtés, signés lundi, seront mis en oeuvre avec diligence.

Il faut aussi lutter contre les "truies illégales", c'est-à-dire contre les élevages ouverts avec un nombre de têtes de bétail à peine inférieur au seuil de 450 bêtes et dont l'accroissement immédiat conduit à la surproduction et à la chute des cours. J'ai entendu les appels de la profession à la vigilance mais, en ce domaine, le laxisme a été général.

Il faudra encore, c'est vrai, renforcer le dispositif législatif, et la loi d'orientation agricole pourrait nous en donner les moyens.

Il faudra, enfin, s'engager avec détermination dans la maîtrise de la production au niveau européen. La France a fini par obtenir de ses partenaires, de haute lutte, que le comité de gestion spécial porc se réunisse à la mi-février. Il faudra donc, à cette date, pouvoir soumettre au comité des propositions concrètes de maîtrise de la production porcine. La bataille n'est pas gagnée, mais le Gouvernement est fermement décidé à la mener (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

SITUATION DES HARKIS

Mme Hélène Mignon - Ma question, Madame la ministre de l'emploi, concerne la situation de nos compatriotes harkis et de leurs familles, population trop longtemps négligée alors qu'elle a fait le choix de la France. Vous nous avez annoncé votre intention de mettre en oeuvre, rapidement, un plan général d'action en faveur de ces citoyens français malmenés par l'histoire et dont les conditions de vie sont généralement précaires puisque les revenus de la majorité d'entre eux ne dépassent pas le minimum vieillesse. Quant à leurs enfants, ils sont touchés par le chômage dans des proportions largement supérieures à la moyenne nationale. Quelles décisions le Gouvernement va-t-il prendre pour que cette fraction attachante et souvent délaissée de la population soit pleinement insérée dans la nation française ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur quelques bancs du groupe du RPR et du groupe DL)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Comme vous l'avez souligné à juste titre, la France est redevable aux harkis, qu'elle n'a pas su recevoir dignement. Il est temps de traduire dans les faits ce que l'Assemblée a voté à l'unanimité en 1994, c'est-à-dire la reconnaissance de la République envers les rapatriés. Cette population vit, vous l'avez dit, dans des conditions précaires et c'est pourquoi le Gouvernement a, dès son installation, pris des mesures visant à son désendettement immobilier : les crédits sont passés de 1 million en 1996-1997 à plus de 12 millions en 1998 et nous avons suspendu les poursuites.

Par ailleurs, instruction a été donnée aux préfets d'installer des cellules spécialisées pour l'emploi des harkis. Plus de 1 800 emplois ont ainsi été créés en 1998, dont 540 emplois-jeunes et 40 % de contrats à durée indéterminée. Mais il fallait faire davantage encore, et c'est pourquoi une rente viagère de 9 000 francs va être accordée à chaque harki de moins de 60 ans dont le revenu est inférieur ou égal au minimum vieillesse. Les aides au logement, dont le précédent gouvernement avait décidé qu'elles disparaîtraient le 30 juin 1999, seront maintenues jusqu'au 31 décembre 2000.

Pour ce qui est de l'emploi, un pilotage national, associant l'Etat et l'ANPE, est mis en place, avec une cellule spécialisée dans 45 départements. Des mesures d'incitation à l'embauche sont prévues ; la convention emploi est portée de 50 000 à 70 000 F dès lors qu'il y a formation, et la bourse d'insertion de 6 000 à 30 000 F. D'autres mesures vont être prises qui feront qu'au total plus de 3 000 emplois par an seront réservés aux harkis. Le plan pluriannuel portera sur plus de 2 milliards. La détermination du Gouvernement sera sans faille : les harkis doivent bénéficier enfin de la reconnaissance à laquelle ils ont droit (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

INTERNET

M. René Mangin - Hier, M. le Premier ministre a annoncé la décision prise par le Gouvernement de favoriser le cryptage pour protéger la confidentialité et le respect de la vie privée sur Internet. Mais que le Gouvernement compte-t-il faire pour démocratiser l'accès au web, tous les internautes ont fait savoir, en allant jusqu'au boycott, qu'ils en jugeaient le coût beaucoup trop élevé ? L'autorité de régulation des télécommunications ART a certes été saisie mais elle a déjà rejeté la proposition faite par France Télécom d'un forfait spécial pour les écoles. Quelle solution compte apporter l'autorité de tutelle ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Comme vous l'avez souligné, le Premier ministre, en dressant le bilan des réalisations obtenues dans le cadre du programme d'action pour la société de l'information, a fait quelques annonces importantes, la première étant celle de l'extension de la liberté de cryptage, qui permettra à notre pays de rejoindre plus facilement le peloton de tête des nations utilisatrices des moyens de communication et de commerce électroniques. Des textes en ce sens seront soumis à votre Assemblée et, dans l'intervalle, le maximum autorisé a été élevé à 128 bits. Il reste à régler la question du tarif des communications, jugé trop élevé par les utilisateurs d'Internet. Le Gouvernement a demandé à l'ART de faire une proposition à ce sujet, mais la difficulté est réelle.

La fixation d'un tarif très bas, même si elle satisferait les utilisateurs, poserait des problèmes de concurrence, car tous les opérateurs n'ont pas les opportunités de France Télécom. Il nous faut donc trouver une solution et nous y parviendrons. L'idée d'un tarif forfaitaire, qui a la faveur des opérateurs, est intéressante. Avec Christian Pierret, nous avons demandé à l'autorité régulatrice des télécommunications de réfléchir à cette question et une réunion de travail aura lieu très prochainement. J'espère que nous pourrons bientôt fixer un tarif qui réponde à la demande des internautes.

Au cours de l'année écoulée, la France a rattrapé une bonne partie de son retard, qu'il s'agisse du financement de l'innovation par le capital risque, de la cryptologie ou de l'équipement des ménages.

Nous avons toutes les raisons de devenir un des grands pays utilisateurs des technologies de l'information. Nous en avons les moyens intellectuels et techniques ; nous sommes en train de nous en donner les moyens juridiques (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

LICENCIEMENTS À LA SEITA

M. Gérard Gouzes - Il y a deux mois, à l'annonce d'un plan de sept cents licenciements par la SEITA, mon collègue Abiven a attiré l'attention de M. le ministre de l'économie et des finances sur l'attitude de cette entreprise, hélas privatisée par la droite en 1995 ! Malgré un bénéfice de 1,2 milliard en 1998 et ses 5 milliards de trésorerie qu'elle doit à un régime fiscal particulier, la SEITA est en train de plonger deux petites villes dans l'angoisse : Tonneins et Morlaix.

Au privé, les bénéfices. Au public, les pertes et l'obligation de réparer les dégâts !

A Tonneins, en plus des 350 emplois supprimés, ce sont 1 000 emplois induits qui sont menacés. Des écoles, des collèges, des commerces risquent de fermer. Les collectivités locales vont perdre, chaque année, 12 millions de recettes fiscales. Qui compensera cette perte ?

Un tel gâchis est inadmissible. Ici même, nous nous préoccupons de l'aménagement du territoire et nous nous efforçons de créer des conditions favorables à l'emploi. Le Gouvernement lui-même mène une politique de création d'emplois, mais certaines entreprises privées ignorent superbement leur devoir de citoyenneté.

Certes, le Gouvernement ne peut intervenir de manière autoritaire auprès de la SEITA, mais il détient encore 5 % de son capital. Quelle position adoptera-t-il au prochain conseil d'administration, qui doit suivre la réunion du comité central d'entreprise au cours de laquelle sera présenté le rapport de contre-expertise réclamé par l'intersyndicale ?

Votre réponse témoignera de votre volonté politique en faveur de l'emploi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - La SEITA a changé de propriétaire, mais aussi de logique. Avant, la Manufacture des tabacs était un pôle de stabilité ; aujourd'hui, la SEITA est une entreprise confrontée à la concurrence de groupes étrangers de grande taille. Cela dit, le Gouvernement s'est ému de ce plan de restructuration d'ampleur considérable. M. Dominique Strauss-Kahn a demandé à la direction de reconsidérer sa décision au vu du rapport de contre-expertise demandé par les organisations syndicales et les élus locaux. Il sera examiné par le comité central d'entreprise le 27 janvier. En prévision du conseil d'administration qui suivra, le Gouvernement donnera des instructions claires pour que les intérêts des salariés et les impératifs de l'aménagement du territoire soient respectés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

La séance, suspendue à 16 heures 5, est reprise à 16 heures 10.


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DÉPOT DU RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES

L'ordre du jour appelle le dépôt du rapport de la Cour des Comptes.

M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes - C'est peut-être la dernière fois que je vous remets ce rapport public, création de la Monarchie de juillet : c'est en effet pendant cette importante période de l'histoire parlementaire que ce rapport a été imprimé au Journal officiel et diffusé dans le pays.

Dans la mesure où son contenu est, depuis quelques minutes déjà, sur Internet, le présent document a surtout une valeur bibliophilique. Faudra-t-il l'année prochaine le présenter au Parlement sous sa forme imprimée ? Je m'interroge. N'êtes-vous pas tous câblés et branchés ? (Sourires)

Cela dit, les Editions du Journal officiel qui vendent chaque année plusieurs milliers d'exemplaires de ce rapport, ont prévu d'en publier une version destinée à être diffusée en librairie.

Les critiques de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes ont eu des effets concrets dans le fonctionnement de certains organismes. Ainsi, à la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole, le conseil d'administration a été suspendu, un administrateur provisoire a été nommé, la composition des instances dirigeantes, renouvelée. Des plaintes ont été déposées devant la juridiction pénale. Des mesures ont été prises, dans cet établissement comme dans d'autres mutuelles, pour corriger les erreurs de gestion. En outre, le contrôle de l'Etat a été renforcé.

De même, suite à nos observations, EDF a procédé à des reprises de provision qui ont eu d'heureuses conséquences sur le budget de l'Etat : par exemple, un versement de 3 milliards au titre de l'impôt sur les bénéfices. C'est trois fois le budget de la Cour des Comptes : vous voyez que le retour sur investissements est incontestable (Rires).

Avant notre intervention, le syndicat des eaux d'Ile-de-France était régi par un avenant qui limitait les appels à la concurrence.

L'autorité préfectorale a déféré au tribunal administratif plus de trente conventions particulières, dont l'annulation a été prononcée. Un avenant nouveau a été rédigé. De la sorte, le prix de l'eau pour les usagers va baisser de 5 %.

Enfin, des entreprises et des associations faisant appel à la générosité publique, suite à nos investigations au sein de l'ARC, ont rendu plus transparentes leurs procédures comptables, renforçant ainsi leur efficacité.

Par ailleurs, c'est conformément à nos recommandations que le Gouvernement a adopté un nouveau mode de comptabilisation des recettes perçues par les services de l'Etat, afin de mieux distinguer celles qui proviennent des impôts nationaux de celles qui relèvent de la fiscalité locale, sur la base des encaissements effectifs.

En outre, la procédure des crédits d'article a été supprimée dans la dernière loi de finances, ce qui était demandé depuis longtemps par la Cour des comptes. Cette procédure servait à financer des dépenses de fonctionnement grâce au produit des redressements fiscaux ou des recouvrements d'impôts locaux à travers un système de rattachement de recettes juridiquement discutable.

Le Parlement a voté une disposition réintégrant ces crédits dans la loi de finances et cette correction, qui porte sur plus de 10 milliards par an, a été opérée.

La Cour des comptes avait demandé aussi la réintégration dans le budget d'opérations dites "extra-budgétaires" portant sur plus de 3 milliards et le Parlement l'a fait.

Il y a encore bien des progrès à accomplir mais l'évolution amorcée tend à garantir que les documents budgétaires soumis au Parlement reflètent plus fidèlement les choix et décisions.

Je ne rappelle que pour mémoire le rapport sur la Sécurité sociale : une proportion exceptionnellement élevée des propositions de la Cour est mise en oeuvre -plus de la moitié ! Il est vrai que dans ce domaine, qui représente 2 000 milliards, plus que le budget de l'Etat, le contrôle avait longtemps laissé à désirer.

Nous souhaitons poursuivre notre travail dans ce sens. Pendant longtemps le rapport annuel de la Cour des comptes a été le seul document qu'elle publiait. Désormais, grâce à des réformes législatives, vous bénéficiez d'un rapport annuel sur l'exécution de la loi de finances, qui vous est remis de plus en plus tôt : il convient en effet d'en disposer dès juillet, au moment où vous examinez le projet de budget de l'année suivante.

J'ai déjà cité le rapport annuel sur l'application de la loi de financement de la Sécurité sociale. Mais il y a bien d'autres sujets d'étude. Depuis six ou sept ans, la Cour publie des rapports sur des thèmes spécifiques. Vous prendrez ainsi connaissance d'ici la fin de l'année d'un rapport sur la fonction publique et ses modes de rémunération très variés. Cela ne relève pas de la polémique, mais de la transparence, car bien souvent des systèmes de rémunération formellement irréguliers ont été imposés par les circonstances du moment et sont ensuite devenus des usages, des droits acquis. Les rémunérations publiques représentant près de la moitié du budget de l'Etat, il est nécessaire qu'elles soient connues et contrôlées de façon claire, et non pas masquées par une présentation obscure des comptes.

D'autres rapports sur des sujets plus mineurs seront adressés à votre commission des finances. Nous poursuivrons aussi les auditions du type de celle à laquelle vous m'avez invité, Monsieur le Président, sur les méthodes d'évaluation des dépenses publiques. Quelles que soient les innovations que vous souhaiterez introduire, vous verrez que les magistrats de la Cour des comptes sont là pour apporter, à partir d'un travail technique austère reposant toujours sur la contradiction, une information éclairée à ceux qui prennent des décisions portant sur une proportion importante du PIB, puisque les prélèvements obligatoires s'élèvent encore aujourd'hui à plus de 40 %.

J'ai donc le plaisir de vous remettre aujourd'hui ce qui est peut-être la dernière version de ce type du rapport annuel de la Cour des comptes (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances - Au-delà de sa portée symbolique, la remise au Parlement du rapport de la Cour des comptes fournit l'occasion, chaque année, de faire le point sur les relations entre notre Assemblée et cette haute juridiction et de tracer quelques perspectives.

Vous avez souvent exprimé, Monsieur le Premier président, votre désir de donner un contenu plus effectif aux dispositions qui assignent expressément à la Cour la tâche d'assister le Parlement dans sa mission constitutionnelle de contrôle.

En remettant cette année son rapport public au Parlement en janvier, et non plus en octobre, période déjà surchargée par la discussion budgétaire, la Cour à contribué à donner à ce document une portée nouvelle dans la vie de notre institution.

La Cour poursuit ainsi son effort pour rapprocher la date de publication des rapports et documents, de la période sur laquelle ils portent, leur donnant ainsi le caractère le plus opérationnel possible.

Ces initiatives, qui traduisent le respect profond de la Cour pour la mission démocratique de l'Assemblée nationale, rejoignent notre souci commun de parvenir à une meilleure gestion des deniers publics.

Depuis longtemps déjà, la commission des finances dispose de moyens juridiques suffisants pour lui permettre d'exercer un contrôle en ce domaine. Ses rapporteurs spéciaux ont en effet des pouvoirs d'investigation sur pièces et sur place qui les autorisent à suivre, tout au long de l'année, l'utilisation des crédits budgétaires de leur domaine de compétence. Depuis le début de cette législature, plusieurs rapporteurs spéciaux ont fait un usage effectif de ces pouvoirs. Je les y ai toujours encouragés et je peux vous assurer que ce travail va se poursuivre et s'intensifier.

Au printemps dernier, la visite que j'ai effectuée à Londres, sur votre invitation, avec le rapporteur général, m'a permis de prendre connaissance de la procédure de contrôle pratiquée par la Chambre des communes et des travaux conduits par le Public Accounts Committee sur la base des enquêtes effectuées par le National Audit Office.

Même si les méthodes de la Chambre des communes ne peuvent pas être transposées telles qu'elles, cette visite a largement contribué à la décision que nous avons prise, d'organiser, en juin et juillet, des auditions "ciblées" de ministres par la commission sur l'exécution de leurs crédits budgétaires. C'est ainsi qu'en juin dernier ont été passés en revue les crédits de l'aménagement du territoire et de l'environnement, de la défense, de l'intérieur et de l'équipement, des transports et du logement, ce qui nous a permis non seulement d'améliorer le contrôle, mais aussi de mieux préparer la loi de finances pour 1999.

Je pense possible et souhaitable de franchir, avec le concours de la Cour des comptes, une nouvelle étape dans l'affinement de nos procédures de contrôle.

Je suis sur ce point en plein accord avec les orientations qui se dégagent du groupe de travail dirigé par le Président Fabius, qui réfléchit aux moyens de développer la fonction de contrôle du Parlement afin de renforcer l'efficacité de la dépense.

Sans anticiper sur les conclusions de ce groupe de travail, je pense que la commission des finances doit se préparer, dès maintenant, à renforcer et à systématiser les procédures de contrôle qui sont de sa compétence afin d'améliorer l'efficacité de la dépense publique. Pour ce travail, qui doit commencer dès le mois prochain, nos rapporteurs spéciaux auront besoin des compétences techniques de la Cour des comptes et je vous remercie, Monsieur le Premier président, de nous avoir assurés de ce concours.

Dès maintenant, l'utilisation plus systématique des moyens que nous fournit la loi doit nous permettre de donner au contrôle budgétaire par le Parlement la place qui doit être la sienne dans le fonctionnement de nos institutions républicaines (Applaudissements sur tous les bancs).

Acte est donné du dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.

(M. le Premier président de la Cour des comptes est reconduit avec le cérémonial d'usage).

La séance, suspendue à 16 heures 30, est reprise à 16 heures 40, sous la présidence de M. Paecht.

PRÉSIDENCE DE M. Arthur PAECHT

vice-président


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AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE (Suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire.

M. André Angot - Chaque ministre souhaite laisser trace de son passage au Gouvernement par une loi portant son nom. Vous ne dérogerez pas à la règle, Madame le ministre : il y aura bien une loi Voynet.

S'il convenait probablement de modifier quelques points de la loi du 4 février 1995 dont de nombreuses dispositions n'ont toujours pas été appliquées, notamment parce que vous les avez toutes bloquées depuis un an et demi, quelques adaptations, à mon avis, suffisaient.

Votre projet reprend certaines idées de la loi de 1995, en particulier l'incitation à la constitution de pays. Moi-même engagé dans la création d'un pays de Cornouaille regroupant onze communautés de communes dont une ville de 60 000 habitants, je souscris à cette démarche. Mais les pays ne doivent pas devenir des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Nous avons déjà assez de structures administratives ! Ils doivent rester des instances de réflexion, et non constituer un échelon supplémentaire de collectivités.

Plusieurs dispositions de votre projet de loi inquiètent l'élu que je suis d'une région périphérique. En effet, il transfère une large part de la responsabilité de la politique d'aménagement du territoire aux régions alors que l'Etat devrait en rester le maître d'oeuvre. Celui-ci devrait conserver la maîtrise de la réalisation des grandes infrastructures afin de compenser les handicaps économiques ou géographiques de certaines régions.

Les schémas nationaux des transports ferroviaires et autoroutiers seront remplacés par un schéma des transports multimodaux. Prétexte pour affirmer qu'il n'y a plus besoin de grands équipements dans le pays ? C'est à craindre, ce qui serait dramatique pour les régions qui attendent toujours leur désenclavement. Les propos récents du délégué à la DATAR devant la commission, selon lequel les Français estimeraient qu'il y a assez de TGV dans le pays, n'apaisent pas mes craintes. On a dû les interroger à Paris ou à Lyon, certainement pas en Bretagne !

En outre, toutes les régions n'ayant pas les mêmes priorités ni les mêmes intérêts, des conflits risquent de naître entre régions. Les régions centrales, déjà bien desservies, n'auront aucun intérêt à ce que de nouveaux axes les traversent pour desservir les régions périphériques.

Enfin, votre projet ne prévoit aucun mécanisme de péréquation financière entre les régions riches et bien équipées et les régions plus pauvres : c'est même le plus gros reproche qu'on peut lui adresser. Les régions riches risquent de s'enrichir encore quand les autres n'auront pas les moyens d'engager leur développement ou devront le faire au rabais. Quatre régions françaises sur vingt-deux concentrent la moitié de la richesse nationale et c'est encore là que l'Etat investit le plus !

Votre projet donne la priorité aux villes, au détriment des zones rurales. Certes, 80 % de la population française vit aujourd'hui en ville et il est indispensable d'organiser le développement urbain. Cependant votre projet ne prévoit rien pour lutter contre la concentration urbaine et la délinquance qui l'accompagne, non plus que contre la pollution atmosphérique.

Votre projet consacre en fait l'abandon de 80 % du territoire. A croire que les zones rurales devraient devenir un désert économique qu'il faudrait préserver pour permettre aux citadins de passer des vacances ou des week-ends paisibles. Pas un mot sur l'agriculture, la pêche ou les régions maritimes ! Les pertes d'emplois risquent de s'accélérer dans les campagnes et les régions côtières.

Pourtant, nos zones rurales possèdent un fort potentiel de développement. Notre agriculture pourrait continuer, pourvu qu'on lui en donne les moyens, d'être un pôle de production à forte valeur ajoutée, d'employer une abondante main-d'oeuvre, et conserver le rôle d'entretien et de préservation des paysages qu'elle remplit depuis toujours. De nombreuses entreprises ont délibérément choisi de s'installer dans des zones d'activités de communes rurales et en sont tout à fait satisfaites, de même que leur personnel. Je ne suis pas certain que cela sera encore possible à l'avenir.

L'article 2 limite la reconversion aux zones industrielles, comme si l'agriculture et la pêche étaient des activités insignifiantes, voire indésirables. L'agriculture aura pourtant besoin d'aides, notamment pour lutter contre les pollutions et pour enrayer la chute dramatique des installations. Quant aux zones côtières, elles sont touchées par le récent plan de réduction des capacités de pêche et par les "primes à la casse" qui ont fait grimper le prix des bateaux d'occasion, sans aucun bénéfice pour la ressource, puisque les pêcheurs espagnols, épargnés par ces réductions, viennent pêcher dans nos eaux territoriales !

Les régions périphériques, hormis les îles et les DOM-TOM, sont les grandes oubliées du projet. Une région excentrée comme la Bretagne, seule, avec la Corse, à ne pouvoir livrer ses produits en 24 heures dans toute l'Europe, a besoin d'aides spécifiques pour renforcer ses voies de communication avec le centre de gravité du continent, qui se déplace de plus en plus vers l'est. L'abandon du schéma national des transports risque de tuer l'espoir d'une amélioration rapide. Je crains également que disparaissent le fonds de péréquation des transports aériens et le fonds d'investissement des transports terrestres, fortement réduits dans le budget 1999.

Si certaines dispositions du projet recueillent notre assentiment, nous en désapprouvons de nombreuses autres, et espérons que le Gouvernement sera réceptif à nos amendements (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Ernest Moutoussamy - A la Guadeloupe, l'absence de schéma d'aménagement régional, la non-application de la loi d'orientation de 1995 et de la loi sur la zone des 50 pas géométriques rendent urgente la définition d'une politique de développement équilibré du territoire. Le poids de la pression démographique, la nécessité de sauvegarder des équilibres fragiles, les menaces d'avancée de la mer, l'indispensable protection des ressources naturelles appelle un programme d'actions énergique. Dans nos régions où le chômage constitue une véritable calamité, l'aménagement du territoire doit contribuer en outre à créer les conditions du développement de l'emploi.

Le projet affirme pour la première fois, en son article 25, la nécessité de tenir compte du concept européen de zone prioritaire ultra-périphérique, contenu dans l'article 299-2 du traité d'Amsterdam. C'est une avancée considérable, qu'il reste à transformer en un outil efficace, en un dispositif fiscal et financier capable de rendre l'outre-mer plus attrayant pour les investisseurs, pour les créateurs de richesses et d'emplois, mais le texte pêche par timidité.

Pour relever le défi du développement, il faut donner une définition précise et ouverte de la notion de zone prioritaire ultra-périphérique et mettre en oeuvre dès cette année des dispositions particulières visant à surmonter les handicaps géographiques, économiques et sociaux. Considérer la situation des DOM comme trop spécifique n'est pas un argument recevable, et les renvoyer à une autre loi d'orientation ne fera que retarder encore leur développement.

Je m'interroge, enfin, sur l'articulation entre les SAR des DOM et les zones prioritaires ultra-périphériques. Que devient la politique de localisation préférentielle ? Que se passera-t-il à la Guadeloupe, où le SAR n'est pas encore approuvé ? Une nouvelle procédure sera-t-elle mise en oeuvre ?

L'aménagement et le développement durable de l'outre-mer doivent reposer sur une stratégie qui sauvegarde et optimise les ressources vitales et concilie efficacité économique et réduction des inégalités (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Le ministère de l'aménagement du territoire existe depuis quelque trente ans, et si j'étais sévère, je dirais que tout reste à faire : les lois de décentralisation n'ont entraîné aucune véritable recomposition du territoire, les échelons actuels datent, sauf la région, de la Révolution et de l'Empire, et les compétences s'enchevêtrent sans qu'aucun échelon exerce son autorité sur les autres, à l'exception de l'Etat, qui a tous les droits, y compris celui de renier ses engagements...

Le déséquilibre est de plus en plus criant entre les villes et les campagnes, entre l'Ile-de-France et "la province", entre le Nord et l'Est, où se concentrent les infrastructures, les services et les activités, et l'arc atlantique. Il est significatif que le CIAT du 15 décembre ait alloué 1 milliard à la vallée du Doubs et au pays de Belfort et de Montbéliard, et 800 millions seulement au reste du pays ! ("Très bien !" sur plusieurs bancs du groupe UDF et du groupe RPR)

Recomposer le territoire, prolonger la décentralisation, donner un nouvel élan à la démocratie : qui ne souscrirait à ces objectifs ? Qui n'aspire à une organisation territoriale plus simple, plus déconcentrée, plus démocratique ? Hélas, le contenu du projet est en contradiction avec ces louables ambitions. Il s'agit, comme l'a dit Patrick Ollier hier, d'un rendez-vous manqué.

Il est illusoire d'espérer simplifier et clarifier en y consacrant trois lois successives -sans doute indispensables, il est vrai, à l'avenir des ministres concernés... La confusion menace d'autant plus que l'Etat se prive de l'outil indispensable qu'était le schéma national d'aménagement et de développement du territoire, et que ni les huit schémas sectoriels, ni les schémas régionaux ne pourront remplacer, ainsi que l'a souligné le Conseil économique et social.

Qui fait quoi ? La loi échoue à répondre à cette question essentielle. Qui plus est, le "pays" a toutes chances de déboucher sur la création d'un échelon supplémentaire, qui achèvera de rendre le paysage institutionnel illisible par nos concitoyens - sans parler du risque d'aggravation de la fiscalité locale, ni de l'imbrication inextricable des structures d'accompagnement, qui rendra impossible toute approche globale. Le schéma national avait l'immense avantage de fournir un cadre aux multiples initiatives surgies du terrain, et je ne puis être qu'en total désaccord avec l'idée qu'il appartiendrait à l'Etat, et à lui seul, de prendre en considération les intérêts nationaux et de réduire les inégalités entre régions.

Vous sifflez la fin de la récréation avec les schémas de services collectifs définis de façon autoritaire. Quelle marge de manoeuvre restera-t-il aux élus ? La messe sera dite jusque dans les moindres détails.

M. le Président - Je vous supplie de terminer.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Le déficit démocratique est évident, en particulier au niveau de la désignation des dirigeants des nouvelles structures. A quand le suffrage universel direct pour toutes les élections ? L'aménagement du territoire méritait mieux (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Jean-Claude Daniel - Les politiques d'aménagement et de développement du territoire se donnent essentiellement, depuis quelques années, comme objectif, d'assurer l'égalité des chances et de promouvoir un développement équilibré. Il n'est plus possible d'édicter des règles contraignantes pour le redéploiement des activités industrielles ou la création d'équipements touristiques. Il est devenu clair que les grands équipements autoroutiers ou les TGV ne suffisent pas à créer du développement.

Dans ces conditions, il faut raisonner en termes d'efficacité de la dépense publique et donc concentrer les crédits sur les territoires en grande difficulté. L'Europe, comme l'Etat, pratiquent une discrimination positive. Mais cette politique risque de laisser de côté les territoires où la mobilisation des hommes ne se fait pas "Organisez-vous, on vous aidera !", cela ne suffit pas à rétablir l'équité.

L'exposé des motifs de ce projet assure que "l'aménagement et le développement durable du territoire doivent répondre aux trois buts fondamentaux de la performance économique, notamment par son inscription dans les processus et les échanges mondiaux, de la cohésion sociale et de la qualité de l'environnement et des ressources naturelles. Le développement de l'emploi en représente à la fois un objectif et un moyen centraux". Et il ajoute quatre priorités : "Mobiliser les territoires et réduire les inégalités entre eux, consolider les systèmes urbains à vocation internationale, jeter les bases du développement durable, et consolider la décentralisation".

Il faudra donc s'engager dans une logique nouvelle, cesser d'attribuer des aides en fonction de critères technocratiques, appuyés sur des zonages compliqués, trop nombreux, inéquitables. Il faut mettre en oeuvre des "territoires de projets", dont le périmètre et le contenu seront définis par les partenaires eux-mêmes, avant d'être cofinancés par l'Europe, l'Etat, les régions, les départements et les intéressés. Mais à cela, il y a trois préalables. D'abord, désenclaver le territoire, condition première du développement, mais non condition suffisante. Beaucoup de territoires n'ont pas été dynamisés par un point de sortie d'autoroute ou un arrêt de TGV.

M. Yves Deniaud - C'est quand même une condition nécessaire.

M. Jean-Claude Daniel - Les nouvelles technologies de l'information et de la communication devraient jouer un véritable rôle pour l'intégration de territoires isolés.

Il faut, ensuite, organiser le territoire. La décentralisation a remis en cause la stratégie de l'Etat dans le domaine de la structuration du territoire. Il a dû composer avec la répartition des compétences, devenue un véritable maquis. Le développement local suppose souvent des territoires assez vastes, dans lesquels puissent se croiser bassin d'emploi et bassin de vie, d'activité économique, de formation et de recherche.

Troisième préalable, aménager les services publics. La présence de services au public est aujourd'hui la condition essentielle de la création d'un cadre propice au développement économique et à l'intégration de tous les habitants. La conception traditionnelle était de couvrir la totalité du territoire français. Pour un service égal partout, avec une répartition relativement équilibrée des hommes sur le territoire. Or les déséquilibres n'ont cessé de croître depuis quelques décennies, et certains responsables s'interrogent. L'intégration se fait en grande partie grâce à des services de qualité maillant le territoire, présence visible de l'Etat, garant de la cohésion nationale. La disparition des services en milieu fragile est vécue par la population comme un abandon, comme le symbole du déclin. Dans les banlieues des grandes villes, la faible présence des services publics est ressentie comme le signe manifeste d'une moindre intégration dans la communauté nationale. L'Etat a pris conscience, et le Premier ministre l'a réaffirmé auprès de ses partenaires européens, qu'il est important de maintenir des services publics sur l'ensemble du territoire.

Ce projet de loi ouvre de nouvelles perspectives, en passant par les trois priorités stratégiques que vient de rappeler le Premier ministre : l'emploi, le développement durable et le partenariat avec les collectivités locales.

Elle marque d'abord une nouvelle étape dans une politique de décentralisation que la loi de 1995 avait échoué à moderniser. Elle se situe au confluent d'une logique de projet et d'une logique d'équité. Aux éléments qui structurent le système, les communes, les établissements publics de coopération intercommunale et les agglomérations, viennent d'ajouter les dispositifs souples que sont les pays et les parcs naturels régionaux. Le renforcement de la contractualisation régionale doit être salué, mais il restera à préciser le rôle des départements.

Il reste des difficultés à surmonter, que le Parlement devra traiter par ses amendements. Il faut, pour éviter une réédition de l'échec de la loi de 1995, que l'articulation des différentes structures -schémas de services collectifs, schémas régionaux d'aménagement du territoire, contrats de plan Etat-régions, zonages européens- soit nettement précisée et que le calendrier d'application des textes soit tenu. Quant à l'abandon du schéma national du territoire, il n'a pas le sens que d'aucuns voudraient lui donner (M. François Sauvadet s'exclame).

Ensuite, y a-t-il opposition entre rural et urbain ? L'emboîtement des différentes strates doit être éclairci, c'est le sens de certains de nos amendements.

Quant à l'agglomération, devra-t-elle rester longtemps privée de démocratie directe ? Dans le bilan de la décentralisation, la réforme a parfois oublié le citoyen et, contrairement au rapport Sueur, votre projet de loi ne paraît pas y remédier.

S'agissant des périmètres et des seuils, comment définir la pertinence du territoire de pays, et à quels seuils arrêter les communautés d'agglomération ?

Il faudra aussi préciser le rôle du Parlement pour la définition des schémas de service, l'évaluation, le contrôle de la nouvelle politique d'aménagement du territoire.

M. François Sauvadet - Très bien !

M. Jean-Claude Daniel - On aura compris que les questions en suspens sont nombreuses. Ainsi, la fracture sociale et les déséquilibres territoriaux sont-ils une fatalité ? Voilà une question qui devrait être posée et au Président de la République et au Premier ministre ! Mais ce n'est pas la seule : les riches seront-ils toujours plus riches, les pauvres toujours plus pauvres ? Où seront vraiment prises les décisions ? Quelle place pour les élus de base et pour les citoyens ? Quel rôle original peuvent jouer les services publics, particulièrement en milieu rural ? Quelle place pour l'agriculture ?

La LOADT précise ce que pourraient être les agglomérations et les "pays". Je crois, pour ma part, à l'hypothèse heureuse de ces regroupements de collectivités locales appartenant toutes à un même territoire, véritables unités "rurbaines" de dimension suffisante pour engager directement le dialogue menant à la contractualisation avec l'Etat et la région, dans une grande souplesse d'organisation.

Il faut donc concevoir le territoire français non plus comme un bloc à homogénéiser, mais comme un ensemble dont chaque pièce a sa richesse et qu'il faut fédérer autour de projets d'avenir.

M. Paul Patriarche - Le projet de loi a pour objectif principal de rééquilibrer une politique d'aménagement du territoire résolument tournée vers une organisation urbaine de notre société.

Vous partez du constat que 80 % de la population vit en zone urbaine, et que les tentatives successives de rééquilibrage n'ont, au fond, jamais modifié cette évolution. Je ne suis pas convaincu que les habitants des villes n'aspireraient pas à prendre la clef des champs, s'ils avaient la perspective d'y trouver un emploi et des structures adaptées.

Or si les tentatives de rééquilibrage n'ont jamais donné totalement satisfaction c'est que les villes, fortes de leur poids électoral, ont toujours drainé les moyens financiers et les projets de développement. Mais on ne repeuplera pas harmonieusement notre territoire, sans rééquilibrer l'activité économique.

L'espace rural occupe 80 % du territoire et 20 % de la population y vit. Dans ma région 80 % du territoire est occupé par 6 % de la population et fournit à peine 3 % des emplois. Si on peut espérer que, grâce au tourisme, le littoral et le centre des bourgs permettent de créer des emplois, les chances de l'intérieur de l'île ne doivent plus relever des seules incantations.

C'est pourquoi j'aurais préféré que vous jouiez la complémentarité entre villes et campagnes.

Or l'article 18 de votre projet mentionne essentiellement des mesures de conservation et de protection du patrimoine naturel, ce qui, je le crains, conduira, contrairement à votre objectif affiché, à opposer les deux parties de notre territoire : la ville sera considérée comme créatrice d'emplois et de richesses et la campagne deviendra un espace protégé de reconquête écologique, voire une zone de promenade, sinon une "réserve d'Indiens"...

Vous supprimez le schéma national d'aménagement du territoire, élément de cohérence pour l'action publique, et vous lui préférez des schémas de services collectifs dont le contenu reste à définir et dont la multiplication risque de conduire à la paralysie.

Il faut donner à tout le territoire les mêmes chances de développement, ce qui passe par l'inégalité de traitement et suppose une vision globale.

Vous imposez en outre la constitution de syndicats mixtes. Or de nombreuses communes ne souhaitent pas l'apparition de ces nouvelles structures qui drainent l'impôt vers les communes les plus peuplées.

De même, pour régler la question essentielle de la présence des services publics en milieu rural, vous proposez notamment d'utiliser les nouvelles technologies de l'information. L'auteur de cette proposition, sans nul doute intéressante pour les milieux branchés parisiens, semble imaginer que l'égal accès aux services publics de la santé, de l'éducation et de la culture peut se faire à distance, et s'imagine peut-être qu'il va connecter tous les foyers sur internet, et en particulier la population rurale, souvent vieillissante. Il montre en fait sa méconnaissance de la diversité territoriale et oublie que la France ne s'arrête pas à la Porte d'Orléans.

On peut, en revanche, s'interroger sur la garantie d'égal accès aux services publics quand le Premier ministre met fin au moratoire sur la fermeture des services publics en zones rurales. Rappelons-nous qu'il y a quelques années, un inspecteur d'académie déclarait très justement : "Lorsque l'éducation nationale ferme une école dans un village, elle ne signe pas son arrêt de mort, mais paraphe son avis de décès".

Chacun sait que la disparition des écoles et de la poste, ainsi que les difficultés de desserte, particulièrement en zone de montagne, ont provoqué le départ des familles vers les villes ! Peut-on espérer que les communes des territoires ruraux en déclin bénéficieront enfin d'un service public de transport ? Permettez-moi d'en douter !

Votre projet qui, au nom si commode de la solidarité nationale, oriente la politique d'aménagement du territoire vers les villes, va en fait rayer de nombreux villages de la carte.

Enfin, comme trop souvent dans les projets de loi touchant l'aménagement du territoire, le manque de moyens financiers est flagrant. Il est facile pour l'Etat de donner une impulsion si le financement reste incertain ! Comment sera financé le fonds de gestion des milieux naturels ?

La démarche n'est pas nouvelle du désengagement financier de l'Etat au détriment des collectivités pour les services postaux notamment et, dans le même temps, la péréquation entre les collectivités semble oubliée.

La mise en oeuvre de la loi du 4 février 1995 est apparue difficile, mais je crains que l'application de cette nouvelle loi ne soit, elle aussi, laborieuse (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Jean-Jacques Filleul - Je soulignerai d'emblée l'enjeu majeur que constitue ce texte en affirmant l'approche multimodale de la chaîne de transport.

Le projet prévoit huit schémas de services collectifs dont deux ont trait aux transports : le schéma multimodal de transport de marchandises et le schéma multimodal de transport de voyageurs. Cette séparation constitue une innovation importante, qui traduit la volonté de rééquilibrer le transport en faveur du fret, trop longtemps négligé, mais elle n'est pas sans risque. J'appréhende en effet la mise en concurrence progressive des deux services alors qu'il me semble nécessaire de rechercher leur complémentarité : l'un ne doit pas se développer au détriment de l'autre.

Par ailleurs, parce qu'il cherche à lier meilleure utilisation de l'argent public et de l'espace collectif en optimisant le réseau existant, ce texte va dans le bon sens. En effet, on ne peut que regretter le foisonnement déstructuré des infrastructures de transport, qui s'est substitué à une réelle politique de transport intégrée à l'aménagement du territoire, foisonnement qui, dans le pire des cas, conduisait à une concurrence, coûteuse, sur les mêmes parcours.

Ce développement anarchique des infrastructures ne pouvait plus durer et la remise en marche de la ligne Béziers-Neussargues constitue un bon exemple de ce que la réactivation de lignes ferroviaires secondaires peut jouer un rôle majeur dans l'aménagement du territoire en désenclavant certains sites.

Néanmoins, le développement du transport intermodal demande de nouvelles infrastructures. Ces investissements sont importants pour trois raisons.

D'une part, il faut multiplier les liaisons interurbaines entre les villes moyennes.

Il faut, d'autre part, réaliser de nouveaux équipements permettant de relier route, fer et voie d'eau, dans un souci de complémentarité.

Enfin, la nécessité de développer davantage le transport de marchandises semble faire l'unanimité. Il apparaît toutefois primordial de trouver des solutions à la saturation du réseau par des itinéraires de délestage ou les structures de contournement. Cela m'amène à souligner combien serait nécessaire la création d'un organisme du transport combiné chargé de coordonner et de financer son développement. Je déposerai un amendement en ce sens.

Depuis une trentaine d'années, le périmètre de nos villes s'est grandement modifié. Certaines se sont largement étendues alors que la densité des autres diminuait, mais les réseaux de transports collectifs n'ont pas suivi le même mouvement. La voiture a souvent été favorisée. Sans aller jusqu'à la chasser de la ville, il importe de repenser la place de chaque mode de transport dans l'espace urbain. Il faut étendre les transports en site propre aux zones périurbaines et même au-delà. L'organisation des déplacements sur ces vastes territoires est un des enjeux de ce projet.

Il faut donc, dans l'intérêt commun, prendre garde aux superpositions de compétence entre zones urbaines et périurbaines et coordonner les transports urbains, départementaux et régionaux.

Enfin, l'Ile-de-France est exclue de ce projet, ce qui n'est pas de votre fait, Madame la ministre, car c'était déjà le cas dans la LOTI. Or un nombre croissant de difficultés apparaissent dans cette région. Il convient d'améliorer la qualité des transports publics, de clarifier les responsabilités du Syndicat des transports parisiens et des agglomérations et de faire entrer le conseil régional au conseil d'administration du STP.

Aménager pour nos enfants un pays solidaire et dynamique, garantir l'égalité d'accès aux services publics et améliorer l'utilisation de notre espace de vie ; tels sont les objectifs de ce projet. C'est ce qui fonde le contrat social qui nous lie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Yves Deniaud - Aménager le territoire suppose des instruments et des moyens. La loi Pasqua créait des instruments : le schéma national, les schémas sectoriels et régionaux, le CNADT, les pays... Elle fournissait aussi des moyens : des avantages fiscaux, sociaux et administratifs, ainsi qu'une panoplie des fonds comme le FITTVN, le fonds de péréquation des transports aériens, le Fonds national de développement des entreprises, le fonds de gestion de l'espace rural, sans compter le Fonds national d'aménagement et de développement du territoire, en lequel fusionnaient plusieurs fonds préexistants.

On me dira que ces fonds furent insuffisamment dotés...

M. Alain Cacheux - C'est vrai !

M. Yves Deniaud - Cependant, on partait de zéro ! Rapporteur du budget de l'aménagement du territoire, j'avais d'ailleurs dit au ministre de l'époque que les moyens alloués restaient chiches.

Mais vous n'avez pas fait mieux, alors que vous n'avez pas eu à rédiger les textes d'application. Une bonne centaine ont été publiés entre 1995 et 1997. Qu'avez-vous fait, vous qui êtes au pouvoir depuis presque deux ans ? Le plus grave, c'est que les fonds créés en 1995 ont été détournés de leur objet. Ils ont été avalés par la machine étatique au profit de ses initiatives et au détriment des projets du terrain.

Le plus important, le FITTVN, finance les dépenses ordinaires des contrats de plan. Le FPTA, devenu une banale machine à subventions, ne soutient plus les petits aéroports isolés. Les dotations du FNDE ne donnent que peu de moyens d'intervention à la BDPME et le FNADT stagne à un niveau dramatiquement médiocre.

Ce projet, pompeusement appelé "loi d'orientation", ne crée qu'un seul fonds, le fonds de gestion des milieux naturels, généreusement doté de 164 millions ! C'est l'équivalent du défunt FGER à son étiage et ne correspond guère qu'à un découplement de crédits du ministère de l'environnement, opéré à des fins d'affichage.

A part ce transfert douteux, portant sur un 10 000e des dépenses de l'Etat, il n'y a pas un euro, ni même un franc de plus, au profit de l'aménagement du territoire. Les contrats de pays ou d'agglomération seront inclus dans les contrats de plan, c'est-à-dire que leur financement sera nécessairement prélevé sur l'enveloppe globale.

Je ne doute pas, Madame la ministre, que vous soyez heureuse de réduire les crédits de votre ennemi no 2 après l'énergie nucléaire : la route ! Mais nous qui pensons que le maillage du pays est loin d'être achevé, cela nous désole.

Pour compléter la loi Pasqua, il aurait surtout fallu en harmoniser les dispositions avec la réforme des fonds structurels européens.

On nous annonce une baisse de 20 % des crédits et de 40 % des surfaces concernées. Ce projet devrait nous indiquer comment on accompagnera l'effort européen là où il persistera et comment on le suppléera là où il va disparaître. (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mesurons bien, en effet, que 20 % des crédits européens, cela fait 2 milliards par an, c'est-à-dire davantage que la totalité du budget de l'aménagement du territoire : 1,799 milliard en 1999. L'agitation médiatique ne saurait masquer cette cruelle réalité, d'autant que la situation sera aggravée par les baisses à venir des moyens du ministère de l'équipement, sans oublier la nette diminution des investissements autoroutiers dont la France est victime grâce à vous.

Voilà le seul résultat tangible et concret de votre politique d'aménagement. Le reste de votre loi n'est qu'un bavardage nocif sur les méthodes, visant à priver le Parlement de ses pouvoirs. Vous avez tenté de camoufler cet échec financier sous des flots de littérature. Vous avez échoué et le les Français, n'en doutez pas, le sauront ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Maurice Ligot - En concluant sur votre projet de budget pour 1999, j'estimais que l'aménagement du territoire -l'une des nécessités absolues de la France d'aujourd'hui- pas plus que le développement rural, ne constituait une priorité pour le Gouvernement. D'ailleurs, le Premier ministre s'est-il jamais exprimé sur cette importante question depuis son discours d'investiture de juin 1997 ?

Votre projet permet-il de corriger le sentiment que j'exprimais en novembre dernier ? J'en doute.

Mes inquiétudes tiennent d'abord aux conditions d'élaboration de ce texte : y aurait-il eu un projet Voynet sans la loi Pasqua, votée par la précédente majorité et que, selon vous, il faut faire disparaître ? Loin d'être une oeuvre originale, votre texte ne fait que la modifier.

Par ailleurs, dans sa phase de préparation, la loi Pasqua fut discutée dans toutes les régions, le ministre allant à la rencontre des responsables locaux et le Premier ministre Balladur, lui-même, participant à certains de ces débats.

Qui a participé à l'élaboration de votre projet ? Un petit cénacle. La procédure de préparation n'en fut cependant pas moins longue. Il vous faudra plus de deux ans, après votre prise de fonctions, pour que la loi soit promulguée.

De plus, les projets du Gouvernement sur les territoires constituent une sorte de puzzle : projet Voynet, projet Chevènement, projet Zuccarelli et projet Strauss-Kahn sur la taxe professionnelle. Ils se complètent, se corrigent, mais ajoutent à la confusion. Les élus locaux espéraient plus de clarté. Leur tâche ne va-t-elle pas devenir encore plus compliquée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

Quel doit être le rôle de l'Etat dans le processus d'aménagement du territoire ? Il s'agit pour lui de corriger les inégalités territoriales par des investissements et des aides, tout en respectant les initiatives des collectivités locales. En effet, depuis la décentralisation, l'action régionale relève d'elles et d'elles seules.

Apprécions votre projet à la lumière de cette définition de l'aménagement du territoire. Vous avez abandonné le schéma national d'aménagement du territoire -ce qui a bloqué tous les projets d'infrastructures depuis plus d'un an et demi.

Vous remplacez ce schéma national par des "schémas de services collectifs", passant ainsi d'une préoccupation d'infrastructures à une préoccupation de service. Du même coup, les infrastructures qui n'ont pas été réalisées précédemment ne le seront sans doute jamais.

Dans ces conditions, que deviendront les territoires qui ont été oubliés ? La nécessité des transversales ne risque-t-elle pas d'être occultée ? La façade atlantique n'est-elle pas condamnée à la marginalisation ? Pour un élu de l'Ouest, c'est une véritable hantise, le spectre d'une asphyxie progressive, faute de moyens de communications modernes et rapides. De même, beaucoup de centres hospitaliers d'antennes universitaires ne sont-ils pas menacés ?

Les schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire, qui sont les "plans" des régions, devront être compatibles avec les schémas de services collectifs. Où se trouve donc la marge d'initiative des collectivités locales ? N'est-on pas en train de vider de son contenu la décentralisation ?

La contractualisation, autre ligne directrice de votre projet, deviendra un mode général de relations entre l'Etat et les diverses collectivités territoriales. A cet égard, lisons attentivement les articles 19 et 20 relatifs aux pays et aux établissements publics d'agglomération. Leur existence est pratiquement liée à la mise en place d'un contrat avec l'Etat et celui-ci, à travers le contrat, sera conduit à dicter sa propre politique. N'est-ce pas là une façon de remettre en cause les acquis de la décentralisation ?

Autre ligne directrice de votre projet, la notion de pays, reprise de la loi Pasqua, et celle d'agglomération, qui constitue effectivement une réalité géographique, se voient institutionnalisées. Mais autant le projet d'agglomération paraît construit et organisé -autant celui du pays reste flou.

Qui plus est, il y aura, dans un certain nombre de territoires, superposition des deux. Comment s'organisera alors la coordination ? L'agglomération aura tendance à supplanter le pays. Est-ce cela que l'on recherche ?

Or si l'agglomération a besoin d'être structurée pour assurer une bonne gestion urbaine, le pays doit déposer des moyens propres de développement, en collaboration avec l'agglomération, certes, mais sans être dominé par elle.

Ces quelques observations méritent des réponses claires et précises. J'ai toujours pensé et dit -j'ai même écrit un livre à ce sujet- qu'une loi d'orientation d'aménagement du territoire est indispensable : elle doit donner une inspiration et un cadre à la fois aux grandes administrations de l'Etat et aux collectivités territoriales.

C'est pourquoi je crois devoir rappeler ce que devraient être les points forts d'une politique d'aménagement du territoire. D'abord, priorité à la décentralisation. Elle n'est pas achevée, loin de là, et trop souvent l'Etat donne l'impression de vouloir reprendre les pouvoirs qu'il a cédés. Le meilleur instrument du développement local, c'est la responsabilité et les initiatives des collectivités territoriales et de leurs instruments.

Second point, l'aménagement du territoire ne peut se développer efficacement que s'il y a clarification des compétences, sans supprimer des niveaux d'administration.

Enfin, l'aménagement du territoire est inséparable de la pratique de l'expérimentation.

M. François Sauvadet - Très bien !

M. Maurice Ligot - Chaque territoire a ses caractéristiques propres, il doit pouvoir concevoir et mettre en oeuvre ses propres voies de développement et d'adaptation.

Votre projet n'a de chance de devenir une bonne loi que si, lors de la discussion qui s'ouvre, vous acceptiez de donner toute leur place à ces principes et d'accepter nos amendements en ce sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

M. François Brottes - Ce projet qui sera certainement, avec votre accord, Madame la ministre, sensiblement enrichi par les amendements du Parlement, propose un mode d'action pour permettre de lutter contre les dérives inévitables de l'économie de marché.

Il ne s'agit pas ici d'un catalogue de mesures sans cesse à réactualiser, mais d'une stratégie durable de développement harmonieux.

Je voudrais m'attarder sur les missions de service public. Aujourd'hui elles sont assurées par des administrations d'Etat, par des établissements publics, par des collectivités territoriales... mais aussi par des organismes du droit privé. Cette notion de "service public à la française" est une fierté de notre République et je me félicite qu'elle ait réussi à s'imposer au niveau européen sous l'appellation de "service universel" (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR).

Que le service public, comme les droits de l'homme, devienne "universel", c'est un signe du destin qui impose respect et aussi vigilance, car lorsqu'on éprouve le besoin d'inscrire dans la loi des droits et des devoirs, c'est que l'évolution naturelle ne les garantit pas.

Il faut que cette nouvelle loi aide nos territoires à défier les fatalités. Elle doit être au service des besoins des populations, y compris les plus fragiles dans les quartiers sensibles comme dans les secteurs victimes de désertification.

En complément des régions, les agglomérations, les pays, les parcs naturels, pourront contractualiser directement avec l'Etat : c'est une innovation qui permet une meilleure adéquation aux besoins exprimés, tout en garantissant la cohésion nationale grâce aux schémas de services collectifs.

Cette démarche ouvre de nouvelles pistes d'organisation des services publics, dans un contexte difficile. En effet, l'évolution incessante très rapide des technologies impose la mutation des métiers, le service universel a un coût et son financement fait toujours l'objet de débats difficiles, les statuts des agents sont souvent très différents les uns des autres, les directives européennes renforcent encore trop souvent : seulement la logique verticale par secteur d'activité, enfin les collectivités locales sont trop fréquemment impuissantes, face au désengagement des opérateurs de service public.

Ce texte, complété par plusieurs amendements, devrait soutenir les décisions annoncées par le Gouvernement à l'issue du dernier comité interministériel.

Si le moratoire est plutôt un signe de sanctuarisation des espaces...

M. François Sauvadet - Oh là là !

M. François Brottes - ...il ne faut pas faire croire que la réorganisation et la modernisation seraient un signe d'abandon.

Alors, puisque le monde bouge très vite et que ce texte donnera aux populations les moyens de formuler leurs besoins et de contribuer à la mise en oeuvre des solutions, prenons le parti de faire évoluer l'organisation des services publics, sans renoncer aux principes républicains, c'est-à-dire à un service public de qualité, accessible à tous, et partout, à des prix abordables.

Donnons un cadre juridique clair aux maisons de service public et à ceux qui les feront fonctionner. Permettons aux collectivités de mieux négocier l'évolution de la présence de La Poste et des télécommunications -je pense aux cabines téléphoniques.

Donnons aux citoyens des garanties importantes et conformes aux directives européennes en matières de service postal : le service universel doit être de qualité et La Poste conserver le monopole d'un important secteur d'activités.

N'excluons personne des progrès de la technologie, qu'il s'agisse de l'audiovisuel, de la téléphonie mobile ou de l'accès à Internet, où un grand effort de baisse des tarifs s'impose -je salue les propos tenus hier par le Premier ministre à ce sujet.

N'excluons personne du droit à l'initiative et au projet -je pense à l'exemple donné, justement, par La Poste qui, à l'initiative de Claude Bartolone et de Christian Pierret, a créé des fonds de participation des habitants des quartiers, destinés à financer des actions à l'initiative d'associations ou de groupes d'habitants. Rappelons qu'en matière de services financiers, La Poste remplit une mission de service public de fait, notamment pour ceux qui n'ont ni chéquier, ni carte bancaire.

Ce ne sont que quelques exemples et bon nombre de mes amendements concerneront le schéma du service collectif en matière d'information et de communication.

En ce domaine, il est vital de garantir à tous, dès l'âge scolaire, le droit d'accéder à l'information, à la culture, à la confrontation des idées, à l'échange. Cet accès à l'information et la capacité à communiquer font désormais partie des droits fondamentaux que nous devons garantir à nos concitoyens -sans quoi il n'y a ni liberté, ni égalité, ni fraternité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Proriol - Le mot "orientation" est décidément à la mode dans ce Gouvernement. Après la loi d'orientation agricole, qui n'en était pas une, voici la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, à la fois complexe et imparfaite. Après un enfantement difficile, le résultat est loin d'être convaincant et je m'étonne de nombreux oublis.

Premier oubli, l'emploi et l'économie. Si vous n'aviez pas abandonné l'idée de schéma national, vous n'auriez pu faire cette impasse sur les entreprises.

Deuxième oubli, l'interrégionalité est passée sous silence.

Troisième oubli, la stratégie européenne du Gouvernement en matière de territoires n'apparaît pas.

Pouvait-on améliorer ce projet ? L'exercice a été tenté en commission de la production, sans grand succès malgré quelques ouvertures -appréciées- de la part de notre rapporteur qui, sur plusieurs points, est allé au-delà du texte initial.

Je voudrais souligner le caractère peu réaliste de votre calendrier, Madame la ministre. Les contrats de plan devront être préparés et signés avant fin 1999 : or ils doivent tenir compte des schémas de service collectifs, alors que la loi concernant ces derniers sera adoptée, au mieux, à la fin du premier trimestre.

Autre problème de calendrier et de cohérence, l'articulation de ce texte avec les trois autres projets de loi annoncés.

Je voudrais insister sur les projets de communautés d'agglomération. C'est une notion cohérente avec le projet Chevènement et qui peut faire avancer les solidarités urbaines. Mais des questions restent en suspens.

Il faut absolument retirer des compétences de l'agglomération les secteurs "eau" et "assainissement", sinon on fait éclater des structures fonctionnelles efficaces. D'ailleurs, lors de la réunion du bureau de l'association des maires de France, Mme le maire socialiste de Cournon, en Auvergne, a qualifié cette innovation d'absurdité technique.

Se pose également la question du périmètre des agglomérations. Comment sera-t-il défini ? Sur des données objectives ou en fonction de la volonté des communes, au risque de diminuer la viabilité des projets ?

Troisième remarque, tous les élus locaux craignent que le pays ne devienne à terme un nouvel échelon administratif, ce qu'il faut absolument éviter.

Enfin, élu des Monts d'Auvergne, je trouve que les intérêts de la montagne ne sont pas préservés dans ce texte. Les zones de montagne risquent de ce fait de se trouver marginalisées.

Vous n'avez pas non plus saisi la chance de donner un tour plus concret à la politique en faveur des zones de revitalisation rurale. J'espère que vous accepterez les amendements visant à instaurer une véritable discrimination positive pour ces zones... au moins pour ne pas décevoir le conseiller général de Cintegabelle dont le canton est particulièrement concerné !

Un rééquilibrage des aides prévues et une péréquation sont nécessaires. 250 F pour les agglomérations, 110 F pour les pays : la différence est mal ressentie. Elargissant le fossé entre zones urbaines et rurales, votre projet de loi risque finalement d'assurer un développement durable... des inégalités territoriales (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Yves Dauge - Ce projet, attendu par la population et les maires, marque un tournant important. Il ne signe nullement l'abandon de toute politique d'infrastructures. Il entend simplement démontrer qu'il est possible de la conduire autrement, de manière à la fois plus intelligente et moins coûteuse. En effet, que d'erreurs ont été commises au nom de l'aménagement du territoire ! Et nous les payons aujourd'hui très cher ! Je me félicite donc du virage pris.

Nous allons, en quelques mois décisifs, passer aux actes. Enfin, dirai-je ! Le calendrier est très serré, et c'est tant mieux. Il nous faut agir sans tarder, et avant même le vote de cette loi, qui va bientôt s'articuler avec la loi Chevènement, nous devons tenir compte de ses futures dispositions, notamment dans la négociation des contrats de plan Etat-régions. Nous voilà enfin engagés dans une expérimentation grandeur nature. Nous ne pouvions plus longtemps nous satisfaire de lois non appliquées...

M. Patrice Martin-Lalande - A qui la faute ?

M. Yves Dauge - Les crédits de l'aménagement du territoire ont été restaurés à un niveau convenable pour 1999. Mais en ce domaine comme dans celui de la politique de la ville, il importe tout autant de mobiliser l'ensemble des acteurs, d'induire une évolution des esprits et des méthodes afin que s'articule l'action de l'Etat, des régions, des départements, des agglomérations et des pays.

La grande nouveauté de ce projet, c'est l'agglomération. Etape décisive que l'institution d'une taxe professionnelle unique de zone sans laquelle aucun aménagement du territoire n'est possible en zone urbaine.

Les schémas de services collectifs devront intégrer également des préoccupations de court terme : on ne peut se contenter de perspectives à long terme, d'autant que la négociation des contrats de plan Etat-régions est engagée.

Enfin, il aurait été souhaitable que ce projet de loi donne un support aux contrats de ville. En effet, certaines zones urbaines ne feront partie ni d'une agglomération ni d'un pays, alors qu'elles bénéficieront pourtant d'un contrat de ville (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Patrice Martin-Lalande - Dans ma commune de 4 500 habitants au coeur de la Sologne, vingt-cinq personnes "télétravaillent" dans l'entreprise Telpro, essentiellement des jeunes ayant une formation supérieure et originaires de la région, qui auraient quitté nos villages si les nouvelles technologies de l'information et de la communication ne permettaient, justement, de valoriser leurs compétences sans les obliger de partir à la ville.

En levant le handicap de la distance et de l'isolement, les NTIC sont un outil extraordinaire pour égaliser les chances entre tous les territoires et accroître leur compétitivité par rapport à la concurrence mondiale.

Partout, il devient possible d'accéder aux meilleures sources d'information et de formation, de disposer de capacités d'expertise, indispensables à nos PME, à nos collectivités territoriales ou à nos hôpitaux ruraux, de travailler en réseau comme le font les écoles du Vercors, de réduire les coûts et les pollutions liés aux transports et à la concentration urbaine, de mieux répartir les emplois sur le territoire. Partout, à condition que l'accès aux NTIC ne soit pas source de nouvelles inégalités !

L'accès à des réseaux à haut débit est un enjeu essentiel d'aménagement du territoire. Or il y a de quoi être inquiet sur ce point. Si les projets d'équipement de villes comme Besançon, Nancy ou Toulouse n'ont pu voir le jour que grâce à l'initiative publique, qui s'intéressera à l'équipement des territoires "non rentables" ?

Nous ne voulons pas d'une cyber-France à deux vitesses. Il faut donc trouver une solution que le projet initial n'apporte pas. Nous le proposons dans nos amendements, il faut soit autoriser clairement les collectivités territoriales à être opérateurs de télécommunication, soit inclure dans le service universel l'accès aux réseaux à haut débit, soit autoriser les collectivités territoriales et l'Etat à participer au financement des investissements dont le temps de retour est objectivement trop long pour les opérateurs du marché.

Le schéma de services collectifs de l'information et de la communication remplacera le schéma des télécommunications. Certes, il fallait tenir compte des changements technologiques et juridiques intervenus depuis la loi Pasqua. Mais le nouveau schéma reste trop général quant aux objectifs à atteindre. S'il faut laisser ouverts les choix technologiques, notamment entre le câble, le filaire, le satellite, le réseau hertzien, il faut prévoir des objectifs plus précis.

Pour mériter le titre de loi d'orientation, ce texte doit être complété sur plusieurs points. Il faut prévoir une adresse électronique pour tous les Français ; élargir le service universel des télécommunications, à prix abordable, aux informations par les réseaux à haut débit. La France doit notamment instaurer une tarification forfaitaire pour les communications locales, qui a assuré le succès d'Internet aux Etats-Unis et dans nombre d'autres pays. Il convient aussi de développer les téléprocédures pour les formalités administratives, fiscales et sociales, de même que le télétravail, qui est l'un des moyens, encore mal utilisé, de répartition plus équilibrée sur le territoire des activités tertiaires. Il faudrait, enfin, prévoir dans ce texte un droit d'expérimentation pour créer de nouveaux usages, évaluer et diffuser les innovations adaptées à la diversité des territoires. J'ai ainsi proposé à M. Strauss-Kahn une intéressante expérimentation à la perception de Mennetou-sur-Cher qui permet de maintenir les emplois locaux.

Le groupe RPR, qui refuse une cyber-France à deux vitesses, veillera à ce que les NTIC soient à la fois un outil et un objectif d'aménagement et de développement durable du territoire (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Alain Cacheux - En voulant corriger, comme vous l'avez vous-même déclaré, les aspects trop ruralistes de la loi du 4 février 1995, votre projet de loi entend rendre toute sa place au phénomène urbain. C'est sur ce point que j'insisterai.

Si la politique d'aménagement du territoire définit les priorités géographiques de l'action publique, elle doit tenir compte du fait que la grande majorité de nos concitoyens vit désormais dans les villes et les agglomérations. Evoquant ces dernières, on parle surtout des banlieues difficiles, de l'insécurité, des voitures incendiées, des affrontements de bandes, et beaucoup moins des emplois qui s'y créent, des possibilités de rencontre et donc d'intégration et d'enrichissement culturel qu'elles offrent, des facilités que procurent les nombreux services urbains.

Il faudrait dépasser une conception de la ville qui prévaut depuis vingt ans et qui consiste à considérer la concentration urbaine comme négative par essence, comme une contrainte aux effets pervers qui appelleraient une politique curative.

Depuis vingt ans, sous l'effet de la crise, les politiques urbaines ont moins cherché à structurer le territoire qu'à éviter sa déstructuration. Il nous faut aujourd'hui une grande politique urbaine, qui organise et facilite le choix de nos concitoyens de vivre en ville. De ce point de vue, le projet représente une avancée, que le texte sur l'intercommunalité viendra compléter utilement.

Encore faudra-t-il que cette orientation se retrouve aussi dans les grands dossiers de 1999 : les contrats de plan et la réforme des fonds structurels européens. La question vaut en particulier pour les grandes agglomérations, celles qu'on appelait, dans les années soixante, métropoles d'équilibre. Comment ne pas être frappé, en effet, par la faiblesse de notre armature urbaine par rapport à celle de nos voisins ? Si Paris rivalise avantageusement avec Londres ou Berlin et distance Bruxelles, Rome et Madrid, force est de constater que nous n'avons pas l'équivalent de Francfort et de Munich, de Manchester et de Liverpool, de Barcelone et de Valence, de Milan et de Turin, d'Amsterdam, de Rotterdam et d'Anvers.

S'il n'y a plus lieu d'évoquer "Paris et le désert français", il faut néanmoins amplifier le développement des grandes métropoles françaises pour fournir une alternative au gonflement inconsidéré de la région parisienne, qui concentre 18 % de la population, 23 % de l'emploi, 30 % du PIB, 40 % des cadres supérieurs et 50 % de la recherche. En dépit des politiques mises en oeuvre, Paris s'est métropolisée quand nos autres grandes villes ne faisaient que s'urbaniser ; il s'agit maintenant d'aider à la métropolisation de quelques-unes de nos grandes agglomérations, afin qu'elles s'amarrent aux grands flux de développement des échanges européens.

Comme le disait Goethe en 1829, "comme la belle France serait plus heureuse si, au lieu d'un seul centre, elle en avait dix qui répandaient partout la lumière et la vie !" (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Marc-Philippe Daubresse - Lorsque vous avez annoncé, Madame la Ministre, une grande réforme de l'aménagement du territoire, vous avez suscité une curiosité amusée (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). Le chemin était étroit, entre la révolution qui eût consisté à réduire le nombre des niveaux d'administration, à renforcer le pouvoir et la légitimité des structures intercommunales, à créer de nouveaux outils de péréquation financière et à décentraliser largement les ressources de l'Etat, et la réforme, exercice rendu difficile par la loi Pasqua qui était l'aboutissement de plusieurs milliers de réunions avec des élus locaux. Nous avons vite compris, lorsque le Premier ministre a décidé de saucissonner la réforme en un projet Voynet, un projet Chevènement et un projet Zuccarelli, qu'il ne s'agirait que d'un ravalement de façade.

De même que le présent projet devrait être la conséquence de celui relatif à l'organisation territoriale de la République, et non son préalable, vous faites les choses à l'envers, ainsi que l'a déclaré M. Delebarre lors d'un colloque, en demandant aux régions de préparer d'abord les contrats de plan, puis les schémas régionaux, et enfin seulement les schémas collectifs : je gage qu'il faudra renégocier les contrats de plan dans trois ans !

Rien n'est prévu pour simplifier les échelons administratifs, au contraire : la contractualisation entre l'Etat et les pays sera nettement plus compliquée que celle entre l'Etat et les agglomérations, au risque de créer, ainsi que le redoute M. Balligand, un aménagement du territoire à deux vitesses. Rien n'est prévu non plus pour clarifier les compétences, décentraliser les ressources, ni d'institutionnaliser le droit à l'expérimentation, comme le propose Pierre Méhaignerie.

M. François Sauvadet - Très bien !

M. Marc-Philippe Daubresse - La montagne a accouché d'une souris boiteuse (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste), et il faut souhaiter que notre débat lui permette de redresser sa démarche, faute de quoi il ne nous restera plus qu'à méditer cette maxime de Paul Valéry : "Le futur serait plein de tous les avenirs si le passé n'y projetait déjà son histoire" (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe RPR et du groupe DL).

M. André Vauchez - Le Jurassien que je suis comme vous, Madame la Ministre, se réjouit que ce projet consacre l'abandon du projet pharaonique de mise à grand gabarit du canal Rhin-Rhône, "accroché" à la loi Pasqua par un amendement sénatorial adopté sans avoir fait l'objet d'un débat au sein de la région Franche-Comté. Observons, à ce propos, que nul ne semble le regretter, hormis MM. Blanc et Ollier...

M. François Sauvadet - Et moi !

M. André Vauchez - Le projet gomme les erreurs de la loi de 1995 et fixe des objectifs clairs. La France est en effet déséquilibrée, entre des villes qui étouffent et des campagnes menacées par le dépeuplement, par la disparition des services publics et par une politique agricole productiviste qui abandonne les espaces les moins fertiles (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Si l'on n'y prend pas garde, la France des 36 000 communes risque d'être désarticulée. Le maillage du territoire ne résistera que si les noeuds sont solidement réunis, du plus gros aux plus petits.

Le projet propose un équilibre entre le monde rural et la ville. Le périurbain et le rural ne peuvent vivre si la ville-centre n'est pas dynamique et créatrice d'emplois. Inversement, celle-ci ne peut se développer si les petites communes avoisinantes n'offrent pas à leurs habitants un cadre de vie et des services satisfaisants. Face aux agglomérations urbaines, se trouve reconnu le pays, dont les contours seront dessinés sur le terrain et non par l'Etat.

Ainsi, pour la première fois, les zones rurales sont considérées comme des entités pertinentes à l'échelle du pays. Dans ces conditions, on comprend mal certaines critiques qui viennent en réalité des présidents de conseils généraux de l'opposition qui voient s'ouvrir de nouveaux espaces de liberté là où ils souhaitaient maintenir leur influence politique. Mais le pays n'est pas un enjeu politicien, il n'est pas un échelon administratif nouveau entre les communautés de communes et le département.

Il naît de la volonté d'hommes et de femmes de nos provinces, et constitue un vecteur de projets, dont la concrétisation donnera demain à la France, le maillage solidaire d'un aménagement durable du territoire.

M. Michel Meylan - L'idée de pays était centrale dans la loi de 1995 et elle est au coeur du présent projet. Au-delà, voici des enjeux fondamentaux : l'Etat est-il enfin prêt à passer d'une logique de guichet à une logique de projet, d'une logique d'administration à une logique d'animation ? Pour se moderniser, la France doit être capable d'inventer de nouveaux modes de gestion.

Plusieurs dispositions du projet viennent prolonger la démarche de 1995. Mais certains aménagements aboutissent à vider partiellement les pays de leur sens.

La notion de pays permet de passer d'un aménagement fondé sur l'organisation administrative du territoire à un développement fondé sur les initiatives et la responsabilité des hommes et des femmes. Pour libérer la société des contraintes administratives, le pays offre un cadre permettant une plus grande flexibilité. Mais le texte est bien timide et le pragmatisme paraît encore étranger à notre culture administrative. Au lieu de reconnaître au pays son rôle de structure de projet assise sur un territoire, on en fait un nouvel échelon institutionnel alourdissant un système déjà complexe. La capacité des pays à contractualiser dépendra de leur constitution en syndicat mixte ou en établissement public de coopération intercommunale. Je souhaiterais plus de souplesse, en permettant le recours à l'association de coopération intercommunale ou à l'association loi de 1901.

La mission d'animation du pays est fondamentale ; selon les cas, dans les pays expérimentaux, cette mission est exercée par un élu, un chef d'entreprise, un responsable associatif ou un sous-préfet. Imposer une structure particulière limite les possibilités. "La France est plurielle" disait Fernand Braudel. L'une des avancées remarquables de la loi Pasqua a été de proposer avec les pays, une structure souple dont Michel Kotas a souligné l'utilité dans son rapport rendu il y a un an. Avec ce projet de loi, ne va-t-on pas supprimer le droit à la diversité ?

Autre source de rigidité, le passage d'un pays "constaté" à un pays "délimité" par le préfet de région, et constitué en syndicat mixte ou structure intercommunale. Un pays, ça se constate, ça ne se décrète pas (Approbation ssur les bancs du groupe communiste).

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - Là où il n'y a pas de projet, il n'y a pas de pays.

M. Michel Meylan - En encadrant de façon rigide l'idée de pays et d'agglomération, le projet empêche la prise en compte de réalités nouvelles. La définition donnée de l'agglomération conduit à ignorer l'existence des réalités de taille moyenne ou petite, qui vivent pourtant les mêmes problèmes urbains que les grandes agglomérations. Comment, par exemple, traiter une conurbation comme la moyenne vallée de l'Arve ?

Le seuil de 15 000 habitants risque de conduire les petites villes à se constituer en agglomérations, alors qu'elles pourraient être l'élément moteur de pays. Le projet cantonne les pays à un rôle de concertation et de réflexion, alors qu'il met en place des moyens et des outils pour les agglomérations. Il faut au moins fixer un seuil démographique assez élevé pour les agglomérations. Sinon, les créations d'activités et d'emplois se concentreront dans les zones urbaines. Le nombre d'habitants ne paraît d'ailleurs pas un critère pertinent pour définir la réalité d'un bassin de vie, d'un bassin d'emploi ou d'une agglomération. Contrairement à une idée reçue, il n'y a pas de taille critique.

Enfin, la loi de 1995 tendait à rétablir un développement équilibré entre les villes et les territoires ruraux. La question de la péréquation financière entre les collectivités territoriales et de clarification des compétences reste entière. Il faut une politique volontariste d'aménagement du territoire, pour mieux prendre en compte les spécificités des zones rurales, notamment de montagne. L'Etat semble abandonner ses responsabilités dans la lutte contre les inégalités géographiques et la garantie d'un égal accès aux services publics. Encore une fois, l'Etat se décharge de ses responsabilités sur le dos des collectivités locales.

Je regrette que le partage en plusieurs textes nous conduise à examiner un dispositif tronqué ; nous devons nous prononcer sur la notion de pays sans connaître encore les dispositions relatives à l'organisation urbaine et à la simplification de la coopération intercommunale, et notamment ce qui concerne la péréquation de la taxe professionnelle. J'aurais souhaité aussi des précisions sur les possibilités de structuration territoriale des pays déjà existants.

En 1994, un rapport du Sénat souhaitait une politique volontariste pour supprimer quelques écueils de la décentralisation, celle-ci ayant brouillé les compétences et conduit à un désengagement de l'Etat, sans organiser la péréquation des ressources. Faisons en sorte que cette loi contribue à résoudre certaines de ces difficultés (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Jean-Paul Chanteguet - Ce projet comporte quelques idées nouvelles importantes, et notamment la notion de développement durable, définie dès l'article premier.

Si le texte marque la place des acteurs locaux dans le processus d'aménagement du territoire, il introduit également une logique de projet et donne une place importante aux espaces urbains, en reconnaissant le rôle structurant des villes, tout en préservant largement les espaces ruraux. Malgré ce que l'on en a dit ici ou là, le projet n'oppose pas les agglomérations et l'espace rural. Il permet surtout de placer en évidence des territoires capables de se mobiliser sur des projets.

Je suis particulièrement satisfait, en tant que président du groupe d'étude sur les parcs naturels régionaux, de voir reconnues ces structures, qui sont des laboratoires du développement durable. C'est ainsi qu'on peut harmoniser la "politique environnementale", au sens large, avec la "politique économique et sociale".

Le projet introduit ainsi trois exigences nouvelles : l'application de ces principes au sein de l'ensemble des politiques territoriales ; la déclinaison sur des espaces pertinents et la mobilisation de l'ensemble des acteurs par la concertation et la coopération.

Les schémas de services collectifs répondent à ces exigences, en considérant les territoires de façon globale, en termes d'utilité économique, de protection des milieux et de fonction sociale. De plus, le texte distingue les espaces à partir de leurs fonctions essentielles, sans toutefois négliger la possibilité d'usages simultanés. Si cette classification et le choix du type d'intervention reviennent à l'Etat, il paraît nécessaire que des concertations aient lieu avec les hommes qui vivent dans ces territoires.

Le fonds de gestion des milieux naturels permet d'envisager le développement d'une véritable politique contractuelle pour certaines opérations. Il permettra notamment de soutenir des actions menées au niveau local, en privilégiant une politique de proximité, et de favoriser la création du réseau Natura 2000.

La recomposition territoriale proposée dans ce texte passe par la recherche de territoires pertinents, dont la définition et la structuration constituent les préalables à l'aménagement et au développement durable. Le texte prend notamment en compte une dimension infrarégionale, avec les pays, les parcs naturels régionaux et les agglomérations.

La nouvelle politique trouvera sa pleine expression à travers des chartes qui devront traduire le projet commun du territoire concerné et l'organisation spatiale qui en découle. Même si certains découpages institutionnels doivent être respectés, un pays ne se décrète pas, il se construit avec la population. Il ne doit surtout pas être l'outil politique d'un élu, mais correspondre à un véritable espace de solidarité.

La charte doit constituer le cadre que les acteurs se donnent pour agir en faveur d'un territoire ; elle doit être l'expression d'un accord sur les objectifs et les stratégies ; elle doit être publique, afin d'être un véritable outil de démocratie locale.

Ici encore, je ne peux que me référer aux parcs naturels régionaux, qui peuvent servir de laboratoires pour les pays, puisque le concept présenté ici s'inspire largement de leur trentenaire. Mais il faudra veiller aux effets de la superposition des pays et des parcs naturels régionaux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Claude Lemoine - Dans ce projet, vous avez, Madame la ministre, clairement inscrit la place de la France dans l'Europe et nous nous en félicitons, car nous voulons que chacune de nos régions puisse participer, avec les mêmes chances, à l'édification en cours. Cela suppose une articulation réelle entre la politique d'aménagement du territoire menée au niveau européen et celle que nous voulons appliquer dans notre pays. La réussite de nos régions dépendra pour beaucoup de nos voies de transport. Elle impose aussi que soient mis en valeur tous nos atouts, et l'occasion nous est donnée de le faire aujourd'hui.

Encore l'Etat doit-il, pour cela, assurer son rôle de garant des équilibres territoriaux en définissant les orientations du développement durable. Cela implique une étude approfondie, qui ne soit pas réalisée dans l'urgence. Il lui revient en effet de proposer une organisation de l'espace en tenant compte des spécificités territoriales et des indispensables solidarités. Il lui appartient aussi de dire comment concilier développement économique et préservation des ressources naturelles. Il lui faut encore déterminer l'implantation des administrations, indiquer quels grands équipements doivent être réalisés, quels réseaux de communication, de transports, de production et de distribution d'énergie doivent être développés.

Tout cela n'est possible que dans le cadre d'un schéma national, celui-là même que prévoyait la loi de 1995 par souci de mettre l'action de l'Etat au service d'une France plus équilibrée et plus solidaire. Sa suppression, dans votre texte est fort regrettable et les schémas que vous proposez ne le remplaceront pas. Pire : vous faites disparaître un instrument de cohérence indispensable sans que rien ne garantisse la cohérence entre les différents schémas de services collectifs, qui seront simplement juxtaposés.

Un tel outil existe pourtant chez nos voisins, et traduit leur volonté politique. Il constitue, chez eux, la clef de voûte du dispositif d'aménagement du territoire et permet la coordination harmonieuse de toutes les interventions. Seul un schéma national permet de lutter contre les déséquilibres régionaux, de réorganiser l'espace rural, d'aménager les zones urbaines et de développer de grandes métropoles régionales. Il est donc indispensable à la réalisation de notre ambition qui est que la France demeure une grande puissance économique sans renier son héritage. Il est nécessaire, aussi, au maintien de la cohésion sociale et sa révision, tous les cinq ans, permet une cohérence avec le Plan, la concertation préalable à son approbation en faisant, en outre, un outil démocratique.

L'abandon du schéma national est regretté par beaucoup, au sein des collectivités territoriales et dans les syndicats, et par le Conseil économique et social, comme nous l'a dit son rapporteur, M. Bury. Ce n'est guère étonnant car sa disparition rend impossible la péréquation financière sans laquelle les collectivités territoriales se livreront à une concurrence sans merci. Les disparités régionales ne pourront qu'en être aggravées, ce qui promet des graves atteintes à l'égalité de traitement des citoyens et à la cohésion nationale.

Cette loi, historique, sera lourde de conséquences. L'aménagement et le développement de notre territoire dans l'espace européen est un grand projet. Il doit réussir. Voilà pourquoi, au nom de mon groupe et, je crois, de beaucoup de mes collègues sur tous les bancs, je réclame le rétablissement d'un véritable instrument de programmation pour garantir la cohérence indispensable (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Pierre Cohen - Le projet de loi qui nous est présenté est, à mon sens, l'un des plus importants de la législature. La nouvelle approche retenue, qui met le citoyen au coeur du débat, avec le souci constant de l'emploi, constitue un vrai projet de société. Je comprends le désarroi de certains qui voient les autoroutes de l'information privilégiées pour la première fois, ce qui reflète l'évolution intervenue dans les échanges, plus simples et moins onéreux. Attention, cependant, aux mirages du marché ! Prenons garde qu'à la fracture géographique se succède la fracture sociale.

Il faudra que les acteurs soient associés, à tous les niveaux, aux prises de décision ; la lisibilité du projet s'en trouvera renforcée. Sa force tient à ce qu'il parvient, dans la continuité des lois de 1982 et de 1992, à recomposer nos institutions. En s'appuyant sur les régions, ses auteurs font preuve de pragmatisme et d'efficacité et donnent tout son sens à ce qu'est une véritable politique d'aménagement du territoire.

Dans la discussion de ce projet, trop souvent caricaturé, il faut mettre l'accent sur la place donnée aux agglomérations qui doivent être organisées et structurées de manière à garantir davantage de justice et une plus grande égalité. L'Etat ne peut plus longtemps négocier, à de trop nombreuses tables -avec des acteurs qui sont souvent les mêmes !- des dispositifs sans cohérence entre eux. L'approche retenue est donc la bonne. Il faudrait, pour la parfaire, instituer des élections au suffrage universel. Je suis convaincu que ce sera la prochaine étape (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Yves Fromion - Madame la ministre, je suis venu vous parler du pays ! Je me félicite en effet que vous ayez conservé cette idée, en dépit des condamnations qu'elle avait suscitées, en son temps, sur vos bancs. Vous souvient-il des termes utilisés, "défiguration" ici, "machin" là, ou encore "nouvelle Arlésienne" ?... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

La région Centre est déjà quadrillée en pays. Mais il reste à clarifier l'administration territoriale. Nombreux sont les orateurs qui ont dit redouter une complexité accrue là où ils auraient aimé que les dispositifs soient allégés. Il est vrai que votre texte ne propose aucune mesure de simplification ; c'est une occasion perdue. Vous auriez pu, en effet, encourager les pays à prendre la forme de syndicats mixtes "à la carte", avec ses compétences obligatoires et d'autres facultatives. Ainsi, nombre de syndicats existants auraient-ils pu, librement et progressivement, se couler dans le cadre des pays. Il aurait fallu, pour cela, ne pas limiter la possibilité donnée à ces entités de se constituer en EPIC uniquement dans la perspective d'une contractualisation : c'est beaucoup trop réducteur. Il faut en finir avec cet émiettement des responsabilités, cet enchevêtrement des structures, qui font que nous ne nous retrouvons plus et subissons les décisions des syndicats sans avoir notre mot à dire. Il y avait lieu de rendre ces structures plus cohérentes et plus efficaces. C'était l'occasion de donner un nouveau souffle au dispositif de la loi Pasqua.

Or vous ne nous proposez qu'un recul. Nous disposons pourtant d'une certaine expérience. Les pays existent, ils ont le plus souvent rédigé leur charte de développement et signé un contrat avec leur région. Nous aurions pu examiner calmement la situation, mais vous ne l'avez pas voulu. Je déplore ce rendez-vous manqué et j'espère que nous aurons l'occasion de revenir aussi vite que possible sur ce que je considère comme une erreur (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Christiane Taubira-Delannon - Voici trente ans que, peu à peu, nous prenons conscience de ce que vous avez appelé, Madame la ministre, la "finitude de la planète". Chaque génération va devoir concevoir ses ambitions dans les limites d'un développement qui cesserait d'être "écophage" et cannibale.

La première alerte nous est venue du Club de Rome, qui a publié en 1968 son rapport sur la croissance zéro. Puis il y a eu le sommet de Stockholm en 1972.

Le sommet de Rio, en 1992, a marqué un tournant significatif, dans la mesure où certains Etats y ont pris des engagements. C'est ainsi que la France a montré sa volonté de préserver la biodiversité en créant un parc dans le sud de la Guyane. Ce furent ensuite les sommets de New York, de Kyoto et de Buenos Aires. Dans le même temps, les connaissances scientifiques ont progressé de manière considérable.

Dans le village global, il nous faut penser globalement et agir localement. C'est pourquoi je vous parlerai de l'outre-mer, dont on se borne, dans ce projet, à rappeler le caractère ultra-périphérique. La situation des DOM ne sera examinée que plus tard, avec le projet de loi d'orientation annoncé par le secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Cette démarche est sensée, à condition que les délais soient respectés -j'ai déposé un amendement en ce sens- et que les grands objectifs de votre texte soient maintenus dans le projet à venir.

Outre-mer, l'aménagement du territoire constitue un enjeu majeur, car il faut y remettre en question des logiques d'occupation territoriale d'inspiration colbertiste au profit d'une politique de gestion des milieux naturels. Nous devons harmoniser des visions culturelles différentes et des intérêts communautaires divergents. Il importe de régler le problème de la pêche à l'intérieur de nos eaux territoriales et d'organiser l'exploitation des ressources minières dans une logique patrimoniale.

Il faut en finir avec le fait accompli. L'aménagement du territoire doit devenir l'expression spatiale de la solidarité, mais aussi la projection des désirs de ceux qui veulent conduire leur destin.

Si je souhaite ainsi prendre date, c'est par souci de vigilance. Vous connaissez le parcours cahoteux des schémas d'aménagement régionaux. Ceux de la Corse et des DOM doivent être approuvés par décret en Conseil d'Etat. Ils ont d'ailleurs vocation à devenir des schémas régionaux d'aménagement et de développement du territoire. La procédure a été ouverte en 1988, mais le premier de ces schémas, celui de la Réunion, n'a été adopté qu'en novembre 1995. Celui de la Martinique ne l'a été qu'il y a un mois. Les services de l'Etat se sont saisis de celui de la Guadeloupe, les délais ayant été dépassés, et celui de la Guyane fait encore l'objet d'observations pour vices de procédure dans les consultations. Il y a certes des carences locales, mais aussi des difficultés objectives, qui appellent un diagnostic.

En l'absence de tels schémas, qui aménage le territoire ? L'OMF, la DRIRE, l'armée, le Centre spatial, EDF, les administrations, par leurs initiatives, mais aussi les gros investisseurs avec leurs projets alléchants et les particuliers qui déboisent les collines. A quel niveau de responsabilité se prennent les décisions ? C'est à cette question qu'il nous faut répondre.

Le principal déséquilibre territorial de la Guyane se mesure quantitativement : 90 % de la population se concentre sur 5 % du territoire, avec une emprise foncière de l'Etat particulièrement élevée. La rédaction des textes qui doivent corriger cette situation n'avance qu'à un train de sénateur, avec tout le respect que j'ai pour nos homologues de la Haute Assemblée (Sourires). Pourtant, une réflexion de bon niveau est engagée sur place, au sein de certaines administrations, de l'établissement d'aménagement foncier et des associations.

Madame la ministre, la Commission française du développement durable a approuvé votre projet. Je vous demande de me donner l'assurance que vous prendrez votre part à l'élaboration du projet relatif à l'outre-mer. C'est bien dans l'occupation de l'espace que se rejoignent les dynamiques communautaires et les trajectoires citoyennes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Henry Chabert - A entendre les déclarations préalables à la présentation de votre projet, Madame la ministre, on pourrait penser que si le monde rural n'y trouvait pas son compte, les villes, elles, y seraient traitées comme il se doit.

Force est de constater la faiblesse de ce texte dans ce domaine, alors que 80 % de nos concitoyens sont concernés par l'évolution des villes, dont chacun connaît les problèmes.

Le développement durable de notre territoire ne peut d'ailleurs reposer sur une opposition entre le monde rural et le monde urbain, mais sur la création des synergies indispensables entre tous les éléments du territoire et entre les différentes fonctions qu'ils assument.

M. Patrick Ollier - Très bien !

M. Henry Chabert - Il y a un fossé entre les décisions d'intention contenues dans l'exposé des motifs et les propositions qui suivent.

La suppression du schéma national au profit des schémas de services collectifs introduit une approche verticale des problèmes là où, pour traiter de la ville, une approche transversale est nécessaire.

Mme Michèle Alliot-Marie - C'est vrai.

M. Henry Chabert - Le simple fait de préférer l'expression "transport de voyageurs" au terme de "déplacement", contenu dans la loi sur l'air, est significatif.

Vous insistez peu sur la question des équipements, alors que les villes ne peuvent assumer leurs fonctions, et notamment jouer un rôle international, que si elles disposent d'infrastructures, ce qui passe par des regroupements intercommunaux, mais aussi, et vous n'en parlez pas, interrégionaux.

Rien n'est prévu dans votre texte pour répartir les investissements publics sur l'ensemble du territoire et corriger de la sorte les effets d'un effort pluriséculaire de centralisation -effets aggravés récemment par les projets pharaoniques du président Mitterrand, concentrés dans la capitale.

Rien non plus n'est prévu pour relier entre eux les schémas de développement et d'aménagement urbain, les schémas d'urbanisme commercial, les plans locaux d'habitats et les plans de déplacement urbain.

Certes, il y aura des schémas d'aménagement régionaux, mais encore faudra-t-il qu'ils s'articulent avec les schémas de services collectifs et que ceux-ci ne soient pas réalisés par l'administration sans contrôle du Parlement (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

La question se pose aussi de la liaison entre ce projet et la politique de la ville. Vous déclarez qu'on va passer d'une logique de guichet à une logique de projet. Mais vous ne faites qu'ajouter à la confusion, gênant ainsi la réalisation des projets en cours dans les agglomérations.

En outre, vous n'abordez pas le problème des relations entre le centre et la périphérie et vous ne vous interrogez pas sur l'avenir des villes nouvelles : faut-il les développer ou les supprimer ?

Mis à part la création des agglomérations, ce qui est anticiper sur la loi relative à l'intercommunalité, votre projet reste purement incantatoire.

M. Sueur, dans Le Monde d'hier, déclarait : "C'est tout un système institutionnel qui joue contre la ville". Mais vous n'apportez pas de réponse à ce problème et semblez admettre, avec M. Balligand, que l'histoire tranchera. Est-ce là faire preuve de volontarisme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Henri Nayrou - Bien des choses ont été dites sur le sujet toujours controversé de l'aménagement du territoire.

J'ai choisi, pour ma part, de centrer mon propos sur les futures applications de la loi Voynet en zones rurales et de montagne, ce qui serait, m'a-t-on dit, un exercice plus périlleux qu'au temps de M. Pasqua. Périlleux à première vue seulement, car, s'il est vrai que la loi du 4 février 1995 se voulait favorable à la ruralité, en réalité, elle n'a favorisé personne, puisqu'elle n'a pas été appliquée (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Comme on ne choisit pas entre peu de choses et presque rien, je n'ai donc pas à avoir d'état d'âme.

C'est bien connu, l'aménagement du territoire est à tous, mais chacun le fait sien. Alors pour tenter de dépasser les clivages, je vais m'efforcer d'aborder quelques points particuliers avec lucidité et sincérité.

Madame la ministre, je dis oui à l'adaptation de votre loi aux perspectives européennes ; oui à l'émergence de bassins de vie et d'emploi, qu'ils soient pays, agglomérations ou parcs naturels régionaux ; oui à la prééminence de la logique de projets sur celle de guichets ; oui aux ambitions affichées concernant le soutien aux territoires en difficulté, l'accès égal aux soins de qualité et aux nouvelles techniques d'information et de communication, l'appui aux cultures et langues régionales, les maisons des services publics, la présence postale territoriale, la prise en compte des zones de revitalisation rurale.

Mais parce que je porte en moi la spécificité de la montagne, parce que je suis l'élu d'une troisième "couronne" à inventer aux abords d'une métropole régionale, parce que je suis intellectuellement opposé à la logique des réserves d'oxygène autour des centres urbains, parce que je crois vraiment à une alternative semi-rurale pour les urbains, parce que j'ai fait personnellement le choix, vingt ans durant, de travailler à Toulouse et de vivre dans la lointaine campagne ariégeoise, je crois que les zones rurales et de montagne peuvent avoir un destin autre que celui de palliatifs de fin de semaine pour citadins pollués et stressés.

Voilà pourquoi, initialement, je me suis inquiété de la part trop belle faite au développement du territoire à partir des centres urbains.

Mais en suivant l'évolution du texte et en l'examinant de plus près, il m'est apparu finalement moins défavorable aux perspectives et aux valeurs auxquelles je crois.

Vous allez donc constater, Madame la ministre, que ruraux et montagnards sauront vous présenter des projets structurants, conformes à l'esprit de votre loi. Au moins, pourront-ils se targuer d'avoir remis l'homme au coeur du débat sur le développement.

Nous voterons votre loi, Madame la ministre, et nous vous faisons confiance pour l'inscrire dans le concret, afin qu'elle ne rejoigne pas celle de M. Pasqua au rayon des illusions perdues (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Thierry Mariani - Moins de quatre années après l'adoption de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, notre assemblée est une nouvelle fois appelée à se prononcer sur le même sujet puisque vous avez décidé de ne pas appliquer la loi Pasqua. Ce qui me frappe dans votre texte, c'est le peu de place qu'il réserve aux services publics locaux en milieu rural.

La loi du 4 février 1995 a placé le service public de proximité comme un élément fondamental de la politique d'aménagement du territoire en préservant l'indispensable égalité d'accès des citoyens, qu'ils vivent à la ville ou à la campagne.

Or votre texte procède de la démarche inverse.

Il est vrai que les principales dispositions de la loi Pasqua vous paraissaient trop rurales et pas assez urbaines. Au moins elles tenaient compte des vraies difficultés que la population et les élus des zones rurales rencontrent au quotidien.

Votre texte, lui, crée un vrai déséquilibre au profit des espaces urbains.

Vous ne donnez pratiquement aucun signe à nos campagnes...

M. Patrick Ollier - Aucun !

M. Thierry Mariani - ...alors même qu'elles en ont le plus besoin.

Pensez-vous que vous allez motiver les quelque 40 % de maires qui ne souhaitent pas se représenter lors des prochaines élections municipales en leur démontrant que l'Etat se désengage et ignore leur problème ?

Dans les communes les plus petites, le maire doit assumer des tâches qui ne sont pas censées lui incomber, tour à tour secrétaire général, cantonnier, assistante sociale ou gendarme -et cela parce que l'Etat y est de moins en moins présent.

Or vous nous proposez plus de moyens pour les villes et le Premier ministre nous annonce la fin du moratoire sur les services publics. C'est une réelle provocation pour ces élus locaux.

D'ailleurs, vous voulez en faire, en plus, des postiers puisque le maintien du service postal serait subordonné à la condition que les maires mettent à disposition les locaux et le personnel nécessaires. C'est un chantage inacceptable qui dénote de votre part une réelle méconnaissance des problèmes spécifiques des petites communes.

Vous allez accentuer un phénomène qui existe déjà depuis plusieurs années et que je connais bien : dans ma circonscription, la commune d'Uchaux a dû consentir de lourds sacrifices financiers pour que les usagers de ce village continuent à accéder à cet indispensable service qu'est La Poste.

Il semblerait que votre texte introduise une rupture avec le principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques : pour ceux qui se trouvent en zone urbaine, le service de La Poste sera assuré comme il se doit et financé par l'impôt national alors que ceux qui habitent dans des zones défavorisées paieront doublement le service (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). C'est la première fois que l'on inscrit cela dans une loi !

Et qui nous dit qu'il n'en sera pas de même, demain, pour nos écoles et nos hôpitaux ?

Y aura-t-il deux types de contribuables, ceux dont les enfants auront droit à un enseignement de qualité et ceux qui devront doublement payer pour que leurs enfants puissent continuer à en bénéficier ?

Je ne parlerai pas du redéploiement des gendarmeries puisqu'il semble que votre Gouvernement soit revenu à la raison sur ce point. Mais globalement il semble que l'Etat n'entend plus assumer ses devoirs en zone rurale.

Un texte sur l'aménagement du territoire ne peut faire l'impasse sur une question aussi essentielle que l'accès de tous aux services publics.

Le groupe RPR, attaché à un développement harmonieux, émet de sérieux doutes sur ce projet, qui risque d'accentuer les inégalités. Nous nous y opposerons donc tout au long des débats. (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme Martine Lignières-Cassou - Madame la ministre, je voudrais vous féliciter car ce texte est l'aboutissement d'un travail de longs mois et d'un véritable exercice d'équilibre.

Equilibre entre les territoires : une des innovations de la loi est d'inscrire l'aménagement de la France dans une perspective européenne et donc de renforcer les pôles à vocation internationale. Ce choix stratégique n'est pas simple car il faut à la fois répondre à la compétition économique et assurer la cohésion de notre pays. Or les objectifs de développement et de solidarité ne sont pas toujours conciliables, ne serait-ce qu'en termes d'arbitrages financiers. D'autre part, il n'est pas toujours aisé de reconnaître les interdépendances : comment mesurer, par exemple, si la modernisation d'un aéroport parisien peut être utile aux entreprises du Béarn ?

Une des questions essentielles qui se pose est le rôle des villes. Certes, la ville est en crise, mais elle reste le lieu principal de création des richesses. Il est de son devoir d'irriguer le territoire qui l'entoure. Je suis donc satisfaite de l'amendement 332 de la commission, qui permet à une agglomération de trouver sa place dans un "pays".

Il faudra rechercher la même complémentarité entre espace naturel et espace rural, notamment au travers du fonds de gestion des milieux naturels et des CTE.

C'est aussi un exercice d'équilibre entre les différents modes de transport. Dans ma région, adossée aux Pyrénées, l'absence de liaison routière interrégionale Pau-Bordeaux est vécue comme un facteur d'enclavement. Néanmoins, je partage votre sentiment qu'il faut renverser la logique actuelle et donner la priorité au transport ferroviaire pour le transit international. Il serait bon que cette déclaration s'accompagne de l'inscription de la traversée centrale des Pyrénées dans le schéma européen des transports qui doit être adopté en 1999. Par ailleurs, je fais remarquer qu'une infrastructure crée des richesses que si elle s'inscrit dans une stratégie locale de développement.

Un des objectifs forts de la loi est de mobiliser les énergies, notamment par l'émergence de projets de pays. A ce propos, j'aimerais que vous vous assuriez que les conseils régionaux ne pourront pas s'opposer à la reconnaissance des pays.

Afin de développer encore la démocratie, nous avons déposé à l'article 20 un amendement visant à instituer un conseil de développement dans les agglomérations.

Puisse la démocratie, que votre projet contribuera à asseoir, favoriser le développement économique et renforcer la cohésion sociale et territoriale de notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 30.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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