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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 53ème jour de séance, 134ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 20 JANVIER 1999

PRÉSIDENCE DE M. Yves COCHET

vice-président

          SOMMAIRE :

AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE (suite) 1

    MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 7

    AVANT L'ARTICLE PREMIER 13

    ARTICLE PREMIER 14

La séance est ouverte à vingt et une heures


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AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi du 4 février 1995 pour l'aménagement et le développement du territoire.

M. Christian Estrosi - Depuis que vous êtes au Gouvernement, Madame le ministre, nous attendons que vous appliquiez la loi du 4 février 1995. De vos deux casquettes, en effet, nous ne savons que trop ce que vous faites de l'une, l'environnement, mais nous ne savons pas ce que vous faites de l'autre, l'aménagement du territoire. Vous nous dites que la loi Pasqua était inapplicable, mais c'est vous qui avez refusé de la rendre applicable...

Vous vouliez une loi Voynet, la voici, mais je doute que vous passiez à la postérité à ce titre ! Et que de temps perdu...

En outre, le Gouvernement ne juge pas opportun de déposer un texte global sur la politique d'aménagement du territoire, incluant les projets de MM. Zuccarelli et Chevènement. Pourtant, les sujets sont liés ! Il n'aurait pas fallu isoler ce texte-ci, encore moins en déclarer l'urgence.

Sur le fond, le gouvernement socialo-vert-communiste renoue avec le jacobinisme. Ce texte organise la recentralisation et la mainmise des préfets et des administrations nationales sur les collectivités locales. La démocratie locale est mise sous tutelle !

En outre, vous avez mis fin au moratoire qu'Edouard Balladur avait institué sur la fermeture de services publics en zone rurale. Vous fermez les cabines téléphoniques (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), vous enlevez les brigades de gendarmerie de nos campagnes. Chaque jour, l'administration menace de fermer un hôpital, une école... Or si les services publics disparaissent, rien ne pourra retenir les jeunes, car les activités économiques disparaîtront !

Votre premier souci aura été de détruire les grands projets d'aménagement -canal Rhin-Rhône, percées alpines... Et le dernier CIADT s'est traduit par des mesures qui relèvent plus du copinage politique que de l'aménagement du territoire. Ainsi, dans la région PACA, vous prenez le risque d'affaiblir la technopole de Sophia-Antipolis au profit de quelques circonscriptions socialistes de Bouches-du-Rhône...

Sur la loi Pasqua, comme Patrick Ollier l'a indiqué, 102 textes d'application avaient déjà été pris. Mais depuis votre arrivée, plus rien ! Plus grave, vous tuez les zones de revitalisation rurale à petit feu, alors que c'était l'une des grandes avancées de la loi Pasqua.

Je suis assez inquiet de la dominante urbaine de ce texte. Le Gouvernement concentre sur les agglomérations les moyens d'investissement et de fonctionnement au détriment du monde rural. Vous auriez pu suivre, une fois n'est pas coutume, les orientations données par le Chef de l'Etat à Rennes, lorsqu'il évoquait "des agglomérations et des communes rurales constituées volontairement et sans contrainte, et administrées par des conseils élus au suffrage universel direct". Peut-être avez-vous souhaité ménager, une fois encore, votre majorité...

Bref, vous nous proposez une politique moyenne, sans envergure. Or la mission de l'Etat est de soutenir les zones les plus fragilisées. Nos agriculteurs ne doivent pas être réduits au rôle de "jardiniers de l'espace"...

Seule une gestion concertée des espaces urbains et des espaces ruraux sera à même de préparer la France du XXIème siècle. Une telle politique nécessite des moyens et surtout une concertation avec les élus, en laissant au Parlement, garant de l'unité nationale, le dernier mot (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Jean Espilondo - L'époque est révolue où l'Etat pouvait avoir l'ambition d'aménager le territoire national à coups de délocalisations massives ou de grands chantiers de mise en valeur touristique. A l'heure où les évolutions économiques politiques et sociales exacerbent la concurrence entre territoires, il s'agit aujourd'hui de permettre à chacun d'entre eux de mener à bien un projet de développement.

Cela ne doit pas faire renoncer à l'idée d'une solidarité entre territoires, que ce projet laisse à l'état de chantier, et qui passe par une péréquation financière ambitieuse entre collectivités locales. Il s'agirait d'une réforme délicate et de longue haleine, à laquelle je suis prêt à travailler.

Il reste que chaque territoire doit se mobiliser pour imaginer son avenir ; telle est bien l'idée qui sous-tend la politique de pays et d'agglomérations.

Le pays, institué par la loi de 1995, avait pris rang, faute d'être suffisamment défini, parmi les "objets votés non identifiés" (Sourires) ; le projet lui donne enfin corps, tout en préservant sa vocation de "territoire de projet". La carte administrative française étant, de l'avis de tous, saturée, il ne saurait être érigé en une nouvelle structure de gestion : les entreprises internationales qui envisagent de s'implanter en France sont déjà déconcertées par l'épaisseur du "millefeuilles" administratif... La réussite des pays dépendra de leur capacité à innover et à s'adapter à la diversité des territoires.

Si la montée en puissance des agglomérations doit être la priorité de notre politique territoriale, villes et campagnes sont des territoires interdépendants, qui doivent inventer de nouvelles formes de solidarité. Je suis l'élu d'un territoire, le pays Basque, qui fait figure de pionnier dans ce domaine, et d'une agglomération, celle de Bayonne, qui joue à fond le jeu du pays bien que son territoire déborde largement les limites du pays Basque : cela prouve qu'il n'y a pas lieu d'opposer pays et agglomération.

Il convient, d'une façon générale, de se méfier des idées reçues : quand on parle de diversification modale, on parle de transport maritime, mais on se focalise le plus souvent sur les grands ports d'envergure internationale, en oubliant les ports d'intérêt national ou régional, en dépit de leurs perspectives de développement. On mesure, par cet exemple, la difficulté de définir des priorités pertinentes et la vanité d'orientations, si louables soient-elles, qui ne se traduiraient pas en actes sur le terrain. C'est aux élus locaux qu'il appartiendra de faire vivre ces nouveaux dispositifs juridiques, de mener à bien des projets communs.

La loi d'orientation, premier pilier d'une profonde réforme de notre organisation territoriale, ne réussira que si chaque territoire, chaque responsable se l'approprie et y voit une chance de développement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Didier Quentin - La loi Pasqua est une bonne loi, à laquelle il eût été souhaitable de donner toute sa portée, quitte à lui apporter quelques corrections techniques, plutôt que de nous proposer une énième loi d'orientation, véritable "zapping" législatif qui nuit à la cohérence et à la lisibilité de la politique d'aménagement du territoire, complique encore le paysage administratif et laisse sans réponse le problème de la clarification des compétences comme celui de la péréquation financière. En vérité, l'objectif de cette loi de rupture semble bien être de détruire le travail accompli par les gouvernements de MM. Balladur et Juppé.

La loi de 1995 s'était fixé pour objectif de revitaliser la ruralité ; le présent projet paraît répondre avant tout au souci de sanctuariser toute une partie du territoire, d'entériner le recul de la présence humaine. Or un territoire-sanctuaire ne peut être un territoire prospère. Tout est fait pour soumettre l'activité de l'homme à des objectifs de "protection de la nature", de "reconquête écologique" ou d'"extension des espaces protégés", au risque d'accentuer et d'accélérer la désertification.

Une occasion est perdue : celle de redonner confiance au monde rural, qui s'interroge sur son avenir, de donner un nouvel élan à la reconquête des territoires après l'exode rural massif des décennies passées, de maintenir les populations qui vivent et travaillent dans les zones rurales, les villes moyennes et les bourgs à taille humaine. Le projet fait silence, hélas, sur les actions à mener pour y favoriser le développement des PME, premier gisement d'emplois. Je crois heureusement savoir que le Sénat prépare une proposition de loi pour pallier cette carence.

Autre lacune de taille : le littoral, qui est l'un de nos principaux atouts, est pratiquement ignoré des rédacteurs du projet. Trois groupes de réflexion ont pourtant évalué les résultats des politiques d'aménagement du littoral. Le rapport Bonnot insiste sur la nécessité d'un développement global des façades maritimes et d'une meilleure valorisation des activités de la mer ; le rapport Rufenacht préconise la création d'un Conseil national du littoral, le développement de l'intercommunalité et du partenariat et la simplification des documents et des procédures ; enfin, le rapport Marini recommande d'inclure dans une même vision les espaces urbains et les espaces naturels. L'absence d'ambition maritime dans ce projet de loi d'orientation est regrettable, et j'ai donc déposé plusieurs amendements, dont un qui tend à créer un Conseil national du littoral.

Je déplore, enfin, que le projet ne s'inscrive pas dans une stratégie des territoires et fasse l'impasse sur le problème posé par la situation périphérique de la France dans la future Europe élargie. La négociation de l'Agenda 2000 exige que le Gouvernement dise quel est son projet pour les territoires français au sein de l'Europe, et en particulier pour notre arc atlantique. Ce projet est une occasion perdue, et je crains qu'il ne laisse durablement l'aménagement du territoire en jachère ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Michel Bouvard - Il est symbolique que notre discussion générale s'achève sur les interventions des porte-parole de deux zones handicapées : le littoral et la montagne. C'est à cette dernière que je consacrerai mon propos.

Vous nous avez annoncé hier, Madame la Ministre, que le Conseil national de la montagne se réunirait en février prochain : trois ans se seront donc écoulés depuis sa précédente réunion ! Je regrette vivement qu'il n'ait pas été convoqué avant la discussion du présent projet de loi, ne serait-ce que pour prendre connaissance des travaux de sa commission permanente, qu'animait M. Ollier - avant de démissionner fort démocratiquement en juin 1997 pour passer le relais à M. Bonrepaux -, ainsi que du rapport d'étape -il n'y en a pas eu d'autre depuis - de la mission d'évaluation de la politique de la montagne, présenté en mars 1996 ! Ces documents, en effet, auraient été de nature à vous inciter à infléchir une politique dont beaucoup considèrent, sur tous les bancs de cette Assemblée, qu'elle privilégie à l'excès la protection par rapport au développement.

La loi de 1985 a reconnu la nécessité de définir et de mettre en oeuvre une politique spécifique de développement, d'aménagement et de protection de la montagne. C'est dans ce même esprit que nous avons inclus dans la loi Pasqua la mise en oeuvre des schémas interrégionaux de massif et la création d'un volet "montagne" dans les contrats de plan. Votre projet ne les remet pas en cause, mais il ne semble pas que les préfets de région aient reçu des instructions sur le second point, et les commissaires de massif de la DATAR ont bien failli disparaître cet été, n'était la démarche pressante entreprise par M. Migaud.

Alors, même si vous vous dites ouverte à la mise en oeuvre d'une politique de la montagne, vous comprendrez que nous restions vigilants. Nous proposerons par amendement l'affectation de crédits spécifiques à la montagne.

Nous souhaiterions aussi que vous affirmiez clairement votre volonté d'obtenir de l'Europe la mise en oeuvre d'un PIC montagne (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

Il est indispensable de bien identifier les crédits qui complètent ceux de l'Etat sur ces territoires à handicap.

Vous avez dit hier, Madame la ministre, qu'il n'y avait pas une montagne mais des montagnes. C'est vrai, il y a des massifs divers, mais je conteste votre opposition entre des montagnes riches -les Alpes du Nord- et des montagnes pauvres. Il y a aussi des zones en difficulté dans les Alpes du Nord. Est-il riche, le plateau mathézin ? Riche, la vallée de la Maurienne ? Il est vrai que l'hydroélectricité et le tourisme donnent aux Alpes du Nord des ressources supérieures à la moyenne, mais elles ont aussi des problèmes de reconversion, elles doivent investir pour les routes, accompagner une agriculture aux coûts plus élevés qu'ailleurs.

Toutes ces difficultés, liées à la géographie, concernent la montagne dans son ensemble, et ne justifient pas un traitement discriminatoire, même si les solidarités départementales doivent jouer, et si certaines zones recevoir les aides maximales.

Un mot, enfin, à propos du schéma national d'aménagement du territoire, et notamment de celui des transports, dont je regrette vivement qu'il n'ait pas vu le jour avant la discussion des contrats de plan. Il y a en effet des urgences en matière d'infrastructures des transports, et notamment les projets de TGV et d'autoroute ferroviaire franco-italien et franco-espagnol, à travers des zones où l'environnement est fragile.

Il serait dramatique de renoncer à la construction d'un nouveau tunnel ferroviaire entre la France et l'Italie au moment où l'Europe décide de mettre en place les sillons. On ne peut s'en remettre à la Suisse pour le transport ferroviaire et condamner la France aux poids lourds. La Suisse crée déjà des emplois dans le transport, alors que notre pays en est à se demander s'il convient de faire un schéma directeur ou des schémas de services !

Vous l'aurez compris, je souhaite que l'aménagement du territoire reste marqué par le volontarisme politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

La discussion générale est close.

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - Je voudrais d'abord remercier le président et le rapporteur de la commission de la production, ainsi que l'ensemble des intervenants. Mais à ceux qui ont mis en cause, comme M. Ollier, la nécessité de réviser la loi Pasqua, et accusé le Gouvernement de l'avoir entrepris pour des raisons idéologiques, je dirai que je comprends leur déception d'avoir à tirer un bilan mitigé de la mise en oeuvre de cette loi par les gouvernements Balladur et Juppé. Le débat de 1995 avait été riche, il avait suscité bien des espoirs, mais les moyens déployés n'ont pas été à la mesure de l'attente.

Et en disant cela, je ne pense pas seulement aux moyens financiers, même si les budget de l'aménagement du territoire ont connu en 1995 et 1996 une chute libre qui les a ramenés à 1,5 milliard et si le FGER dont M. Vasseur nous dit que c'est un outil majeur, n'était plus en 1997 que de 5 millions, contre 500 millions en 1995.

M. François Sauvadet - C'est faux.

Mme la Ministre - Cette chute a été enrayée et les crédits de l'aménagement du territoire s'établissent aujourd'hui à 5,9 milliards. Mais je ne pense pas seulement aux moyens financiers, Monsieur Ollier, je pense aussi au non-respect pour les gouvernements des grands rendez-vous fixés par la loi, à la non-production de nombreux rapports. Et ce que vous n'avez pas fait en deux ans et demi, nous aurions dû le faire en dix-huit mois ? La plupart de vos "grands chantiers" n'étaient que des têtes de chapitres, de nombreuses dispositions annoncées n'étaient pas praticables. La loi de clarification des compétences, la réforme de la fiscalité locale, l'organisation intercommunale : que de lourdes tâches et il m'est arrivé de penser que la dissolution vous avait peut-être enlevé une épine du pied ! D'autant plus que certaines dispositions envisagées étaient impraticables. Les moyens qui vous avaient fait défaut, nous avons fait l'effort de les dégager -et vous savez, au fond de vous-même, Monsieur Ollier, que le Gouvernement ne s'est pas arrêté à des considérations politiciennes : seuls 22 des 86 articles de la loi de 1995 sont abrogés...

M. Patrick Ollier - Je ne mets pas en cause vos intentions !

Mme la Ministre - Nous avons ajouté des dispositions nécessaires et élagué ce qui relevait d'un simple affichage, était inapplicable ou dépassé. Je n'ai pas voulu modifier l'architecture de la maison, mais organiser la circulation et je souhaite que la loi se traduise dans les faits. Pour cela, je me bats en vue d'un rattrapage budgétaire, et nous devrons faire preuve à la fois de ténacité et de créativité -l'idée d'un FRADT est intéressante.

Mais il y a aussi entre l'opposition et la majorité des divergences de fond, notamment à propos de la ville, où résident 80 % de la population, et où certains ne voient que le lieu de toutes les turpitudes (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR).

Mais il y a aussi la prise en compte des conséquences de l'Union européenne, la "banane bleue", les risques de marginalisation de la façade atlantique si on devait privilégier l'élargissement vers l'Est.

Le développement durable n'est pas archaïque, mais c'est un cadre qui va s'imposer à tous les aspects de la vie quotidienne. Les industriels en ont déjà pris conscience, si la classe politique ne le fait pas toujours. Cette notion refuse de sacrifier l'avenir aux intérêts à court terme de quelques-uns. Qui paie la dépollution de Salsignes ? Mon ministère ! Qui paiera les affaissements miniers ? -encore 43 maisons concernées en Lorraine. Je dirai, citant Félix Leyzour, que le développement durable, c'est le souci de neutraliser les risques pour l'avenir, de valoriser et de gérer les ressources en mettant l'emploi et la qualité de la vie au coeur de la démarche.

M. Vasseur nous dirait que l'on ne peut être contre une telle approche : que ne l'avez-vous mise en oeuvre, pendant toutes ces années ? Ces exigences répondent aux voeux d'une majorité écrasante des parlementaires réunis dans cette enceinte ; alors, que l'on ne s'en tienne pas aux discours, que l'on passe aux actes !

La volonté politique du Gouvernement est forte, et je ne suis une adepte ni du laisser-faire, ni du faire-semblant, de ce faire-semblant qui a, pendant trop longtemps caractérisé la politique française d'aménagement du territoire. Faut-il rappeler tout ce qui n'a pas été fait dans le Massif central, en dépit de l'intérêt personnel qu'y attachaient deux présidents de la République ? Faut-il rappeler le schéma avorté des TGV, dont M. Gayssot a rappelé que quatre siècles auraient été nécessaires à sa mise en oeuvre, faut-il rappeler les moyens dérisoires alloués aux zones de montagne ou à la pluriactivité ?

Je le dis tout net : tous les projets en stock ne sont pas utiles, et tous ne trouveront pas un financement. Pour autant, l'infrastructure générale est nécessaire, qui permettra de dégager les moyens nécessaires à la réalisation de ceux qui sont indispensables au développement durable de notre pays. Alors j'ai adopté une méthode modeste, c'est vrai, mais combative : pas de mouvements du menton, pas d'ivresse, mais des actes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

J'ai entendu parler, au cours du débat, aussi bien d'un prétendu retour en force de l'Etat que d'un prétendu renoncement à l'Etat. Je pense pourtant que le projet qui vous est présenté contredit ces deux caricatures en précisant le rôle de l'Etat, qui a évolué, comme l'a souligné Patrick Rimbert, puisqu'il ne décide plus seul de l'aménagement du territoire, cette responsabilité étant maintenant partagée. C'est dire l'utilité de préciser les enjeux, de définir les priorités, dans un dialogue entre partenaires qui se respectent.

Mais le rôle essentiel de l'Etat est d'assurer l'égalité des chances, la cohérence des choix, la synergie des efforts des collectivités territoriales et leur coordination et de corriger les handicaps. Il revient en outre au Gouvernement d'animer le débat public sur la stratégie portuaire et aéroportuaire ou encore le franchissement des massifs montagneux.

Le rôle de la région est tout aussi important, car elle a la responsabilité d'animer cette réflexion au niveau local. Vous concéderez que lui reconnaître ce rôle ne signifie pas déshabiller le département, qui demeure un interlocuteur privilégié de l'Etat. Il n'empêche que nous avons eu le souci de clarifier les compétences afin que, pour chacune d'elles, un chef de file soit désigné. Cette simplification, qui paraît nécessaire à tous, est d'une application difficile, car la plupart d'entre vous disent qu'il faut simplifier sans rien supprimer, et surtout pas le sacro-saint département !

J'aurai l'occasion de vous redire tout l'intérêt que je porte aux pays et à leurs ancêtres et modèles, les parcs régionaux. Je le répète : il ne s'agit pas d'instituer un nouvel échelon administratif, mais de créer des espaces de projets. On m'a reproché ce que l'on a qualifié de complexité excessive, Mme Bassot allant jusqu'à parler, non sans un certain humour, de "salmigondis de structures empilées"... Mais c'est la loi Pasqua qui a institué ce salmigondis ! C'est la loi Pasqua qui a créé ces outils, lesquels n'enlèvent rien, d'ailleurs, aux prérogatives des CESR.

Il a été dit, aussi, que le projet de loi privilégierait les zones urbaines au point de nier le droit à l'existence de 80 % du territoire. J'espérais pourtant que le débat éviterait poncifs, caricatures et stéréotypes, tous dangereux car, comme l'a dit très justement Mme Taubira-Delannon, ils contribuent à élever des murs là où il faudrait jeter des ponts ; monter les villes contre les campagnes, les départements contre les régions, est-ce vraiment d'actualité ? Tous ceux qui réfléchissent à l'aménagement du territoire parient sur la complémentarité et savent la diversité des territoires. On peut parfaitement reconnaître les villes sans méconnaître pour autant les zones rurales ! Philippe Vasseur a dit que mettre en oeuvre une mauvaise politique de la campagne ne suffisait pas à faire une bonne politique de la ville. Je considère pour ma part qu'il a, effectivement, fait une mauvaise politique rurale ! (Protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

Je souhaite souligner à nouveau que, loin de négliger les zones rurales, nous avons maintenant tout ce qui, dans la loi de 1992, visait à venir en aide aux régions les plus vulnérables. Nous avons, de plus, prévu que le fonds de gestion serait, pour la première fois, accessible aux agriculteurs.

J'ai aussi entendu dire que le rôle du Parlement était remis en cause. Sans doute n'ai-je pas été assez claire sur ce point, et je vais m'en expliquer. Je reconnais volontiers quelque faiblesse de texte sur ce point. C'est que je ne voulais pas vous refaire le "coup", habile, de Charles Pasqua ; car le schéma national n'est pas ce que vous croyez ! Son auteur avait pris soin d'expliquer qu'il n'était qu'"indicatif, n'obligeant que par la conviction" qu'il susciterait ! Et c'est ainsi qu'ont été rédigées 80 pages de voeux pieux, qui n'était toujours pas publiés un an après l'adoption de la loi, contrairement aux engagements pris. Ainsi, le nec plus ultra de la cohérence, telle que la conçoit l'opposition, était facultatif ! En conséquence, non seulement les schémas de transport, dont M. Filleul a rappelé l'extrême importance, n'ont jamais été élaborés mais ce dont il s'agissait de toute façon, c'est de juxtaposition, et non d'aménagement du territoire !

Il fallait remédier à ces lacunes, et votre commission a proposé des amendements visant à renforcer le rôle du Parlement. Elle a aussi fixé au Gouvernement un rendez-vous auquel il ne se dérobera pas. Mais dois-je rappeler que jamais, au cours d'un débat sur l'aménagement du territoire, il n'a demandé au Parlement de se prononcer sur l'implantation d'infrastructures, cartes géographiques en main ? C'est bien au Gouvernement qu'échoit la conduite de l'action publique : nous la menons et continuerons de le faire.

Et c'est ainsi que les cahiers des charges transmis aux préfets de région pour lancer la réflexion sur les SSC ont été examinés par le CIADT du mois de décembre, qui réunissait la presque totalité du Gouvernement sous la présidence du Premier ministre. La cohérence à laquelle nous sommes tous attachés sera ainsi assurée.

Pour ce qui est des pays, je suis convaincue qu'ils ne créeront aucun alourdissement ni institutionnel, ni fiscal. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les remarques faites sur ce que pourrait être leur nature juridique et j'ai noté l'insistance mise sur la nécessaire souplesse. La commission en a débattu, et a admis la possibilité qu'ils se constituent en associations régies par la loi de 1901.

D'autres parlementaires, comme M. Lenoir, ont rappelé la nécessité d'une gestion rigoureuse des fonds publics, ce qui les a conduit à préférer la formule du syndicat mixte. J'ai aussi noté votre souci de renforcer la contractualisation à l'échelle des pays. A ce sujet, je ne compte pas remettre en cause les pays existants, même si je serai amenée à plaider dans certains cas en faveur d'une plus grande cohérence dans la définition de leur périmètre. Je souhaite, comme M. Chanteguet, que les pays se fassent avec leur population.

Nous ne devrons pas mégoter sur notre soutien aux agglomérations, ces territoires privilégiés de la contractualisation. Le nouveau dispositif devrait permettre d'en finir avec la concurrence entre les collectivités locales et certaines rentes de situation, dont M. Rimbert a souligné la nocivité.

Le débat sur le seuil de population reste ouvert. Je veux préciser que les agglomérations concernent les espaces urbains et que leur création n'enlève rien aux pays. Il n'y a pas une formule de luxe pour les villes et une formule de rattrapage pour les zones rurales en difficulté. A cet égard, tous les amendements visant à autoriser l'inclusion d'une agglomération dans un pays ou la superposition des deux formules vont dans le bon sens.

S'agissant des services publics, il devenait indispensable de sortir du moratoire, car il n'est pas sain de figer des inégalités. Je suis autant que vous attachée à l'égalité d'accès aux services publics. Mais il y a dans mon département une école qui, grâce au moratoire, a continué de fonctionner avec deux élèves : ce n'est pas acceptable (Protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. François Sauvadet - Caricature !

Mme la Ministre - Au lieu de créer de faux clivages, mieux vaut adapter l'offre de services publics à la réalité en utilisant les nouvelles technologies de communication, en encourageant la mobilité du personnel et en ouvrant des maisons de service public.

J'avoue avoir écouté avec beaucoup d'intérêt M. Mariani : comme lui, je trouve surprenant qu'on demande à des communes rurales de payer pour conserver leur bureau de poste, ce qu'on ne ferait pas à Neuilly ou à Puteaux.

La nouvelle loi ne s'appliquera que si nous parvenons à dégager des moyens. J'ai entendu vos remarques sur la péréquation, mais celle-ci ne remplace pas le dynamisme du développement local. Notre ambition est bien de réduire les inégalités territoriales. Cela marche en Europe : certaines zones françaises classées au titre de l'objectif I vont sortir de ce classement car elles ont rattrapé leur retard de développement. Des dispositions ont été prises pour la période de transition. Réduire les inégalités territoriales, cela marche en Allemagne. Pourquoi pas chez nous ?

Beaucoup d'entre vous ont évoqué la réforme des zonages nationaux et communautaires. Avant d'imaginer des scénarios catastrophe, il faut examiner lucidement les bénéfices que retirent de leur classement les habitants des territoires zonés.

La multiplication des dispositifs horizontaux en faveur de l'emploi a singulièrement réduit l'avantage comparatif de ces zones. Aujourd'hui, un quart de la population vivant dans des territoires éligibles à la prime d'aménagement du territoire n'ont bénéficié d'aucun transfert réel.

Le montant des exonérations de taxe professionnelle correspondant à des emplois nouveaux, dans les zones de revitalisation rurale, a été de 28 millions en 1997 pour 45 % du territoire national (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

S'agissant des fonds structurels, l'enjeu est important. Actuellement, 42 % de la population en bénéficie ; la Commission veut ramener ce taux à 30 %. La mobilisation de tous sera nécessaire si nous voulons parvenir à un résultat acceptable. Du Président de la République au ministre des finances, tout le monde plaide en faveur de la rigueur budgétaire, de l'élargissement à budget constant et du maintien de la PAC. C'est à l'issue des négociations communautaires que le Gouvernement réexaminera les zonages existants.

Un mot sur les DOM TOM. La reconnaissance de leur caractère ultra-périphérique et la mise en place des schémas d'aménagement régionaux valant schémas d'aménagement et de développement du territoire, c'est bien le minimum, comme l'ont indiqué M. Moutoussamy et Mme Taubira-Delannon. Reste à définir de manière pertinente l'ultrapériphérique dans les Antilles. Il faudra, dans la loi qui sera consacrée à l'outre-mer, fixer les priorités de l'aménagement du territoire dans les DOM TOM.

En conclusion, je suis prête à examiner les amendements de la commission et des parlementaires, qui pourront rendre ce projet plus cohérent et plus opérationnel. Enfin, plusieurs d'entre vous l'ont rappelé, la lutte contre les inégalités territoriales va de pair avec la lutte contre les inégalités sociales (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J'ai reçu de M. Philippe Douste-Blazy et des membres du groupe UDF une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91 alinéa 6 du Règlement.

M. François Sauvadet - Nous sommes en train d'examiner un nouveau projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, quatre ans seulement après l'adoption du précédent. Vous avez dit, à l'ouverture de nos travaux, que ce n'est pas un moment ordinaire et vous avez raison. Une telle loi touche à l'essentiel : à la vie des habitants, à la solidarité, à la cohésion, à la sécurité.

Cette nouvelle loi était-elle nécessaire ? Est-elle une vraie loi d'orientation ? Apporte-t-elle avec ses 36 articles, une réponse durable aux problèmes, eux aussi durables, des agglomérations, où les zones de non-droit se multiplient ?

Répond-elle aux préoccupations du monde rural, dont on voit se déliter le tissu d'activités et qu'abandonnent même les services publics ? Renforcera-t-elle la place de la France dans l'espace européen ? Bref, votre loi est-elle à la hauteur des enjeux ?

Ce débat ouvre une série de rendez-vous qui ne seront pas sans conséquences.

La réforme des fonds structurels européens risque de mettre un terme à certains programmes et de concentrer les actions sur une partie plus restreinte du territoire national, avec des moyens limités. Il y a aussi la redéfinition des contrats de plan Etat-régions et une série de textes à venir concernant les collectivités.

Vous avez commis, Madame la ministre, un péché d'orgueil. Vous avez voulu donner votre nom à une loi au lieu d'appliquer la loi de 1995 que vous auriez pu réviser à l'issue d'un certain nombre d'expérimentations. M. Méhaignerie a d'ailleurs déposé un amendement visant à prévoir la possibilité d'expérimenter, dans le respect du principe d'égalité et dans le souci de l'intérêt général.

Votre péché vous aurait été pardonné si vous aviez pris le temps d'écouter, de consulter les élus locaux, comme l'avaient fait MM. Pasqua et Hoeffel. Leur effort avait été salué à l'époque.

Je me souviens aussi que M. Balligand avait alors souligné tout l'intérêt du large débat national qui avait précédé l'adoption de la loi...

Pour votre part, Madame la ministre, vous avez éludé le débat, en dépit de l'important travail réalisé par la commission et son rapporteur, auquel je tiens à rendre hommage. Je note d'ailleurs que vous l'avez bien encadré...

Mme la Ministre - C'est l'inverse !

M. François Sauvadet - Il aurait souhaité un rôle renforcé pour le Parlement, notamment dans l'appréciation des schémas de services collectifs. Vous lui avez fait comprendre que ce n'était pas opportun, nous cantonnant au rôle d'une chambre d'enregistrement. J'aurai l'occasion d'y revenir.

Votre texte laisse aussi un goût d'inachevé, renvoyant à plusieurs projets de loi ultérieurs, comme ceux relatifs à l'intercommunalité ou l'intervention économique des collectivités. Il ne faudrait pas non plus oublier les entreprises car ce sont elles qui créent de l'activité et des emplois : or elles ne le feront là où elles n'y sont pas spontanément incitées que si nous les y aidons. Non, on ne peut évoquer l'avenir des territoires sans traiter de l'activité. Renvoyer à des textes ultérieurs les dispositions relatives à la fiscalité, à la péréquation ou au zonage, c'est une erreur de méthode. Vous avez indiqué dans votre propos liminaire que les territoires n'avaient pas besoin de matière grise -propos qui a d'ailleurs choqué les élus ruraux. De quoi ont-ils besoin ? D'abord, de moyens pour mener une politique d'aménagement que les ressources locales ne permettent pas d'engager.

Vous nous proposez aujourd'hui de rompre avec une politique dépassée, dites-vous, de l'aménagement du territoire, qui délaissait les villes pour se focaliser sur les zones rurales. C'est oublier que la loi de 1995 a créé des zones de revitalisation rurales en même temps que se mettait en place une véritable politique de la ville, avec notamment des zones franches (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). C'est cet équilibre qu'il aurait fallu préserver : vous le rompez au prétexte que la politique précédente aurait été trop "ruralo-ruraliste". Dois-je vous faire observer que jusqu'en 1997, le ministère de la ville était rattaché au ministère de l'aménagement du territoire, ce qui était tout à fait logique. Il l'est désormais au ministère de l'emploi et de la solidarité, choix que je regrette...

M. Maurice Leroy - Mme Voynet aussi !

M. François Sauvadet - Vous ne pouvez, cela étant, prétendre qu'il n'y a pas de politique de la ville dans notre pays. Vous fâcheriez d'ailleurs M. Bartolone (Sourires). Elle est sans doute insuffisante, nous en convenons avec vous, mais sachez qu'il ne pourra y avoir de bonne politique de la ville sans bonne politique des campagnes. Vous pourriez d'ailleurs utilement suggérer la création d'un ministère des espaces ruraux -il existait d'ailleurs un ministère du développement rural jusqu'en 1995. Il pourrait être rattaché, avec celui de la ville, au ministère de l'aménagement du territoire, qui serait alors vraiment digne de ce nom.

La loi de 1995, que vous jugez ambitieuse, mais paradoxale et inapplicable, a été de surcroît inappliquée, avez-vous dit. Mais à qui la faute ? Vous en portez une large part de responsabilité. Qu'avez-vous fait entre 1997 et aujourd'hui, hormis remettre en cause des projets d'infrastructures ? Sans doute serez-vous tentée de me demander ce que nous-mêmes avons fait entre 1995 et 1997. Et là, nous n'aurons pas à rougir : nous avons lancé l'expérimentation de pays, nous avons mis en place des commissions départementales de maintien et d'amélioration des services publics, nous avons institué un moratoire que M. Jospin s'est empressé de supprimer, nous avons accordé des exonérations de charges dans les zones franches et d'autres zones fragiles du territoire...

M. Patrick Rimbert - Parlons-en !

M. François Sauvadet - M. Carraz a sûrement un avis différent du vôtre sur le sujet !

Madame la ministre, j'aimerais vous convaincre qu'il ne pourra y avoir de développement sans aménagement. Vous avez doté le FNDE créé par la loi Pasqua de 200 millions. C'est une bonne chose mais que n'avez-vous continué car le mérite de la loi Pasqua était précisément d'offrir une palette d'action qui vous aurait permis à vous aussi d'agir. Vous l'avez refusé car vous tendez subrepticement à confiner villes et campagnes dans un rôle distinct, figé : aux premières, l'activité, aux secondes, le naturel que vous justifiez au nom d'un développement durable et solidaire. Mais les territoires sont divers : le premier défaut de votre texte est malheureusement de ne pas le reconnaître. Il applique une organisation territoriale fondée sur les pays et les agglomérations à des espaces dont vous voulez réduire la diversité par une organisation imposée plutôt que consentie.

Pour nous, la politique nationale du territoire la plus durable, c'est de reconnaître la diversité et la souplesse comme une source de progrès et d'unité nationale dont l'Etat doit rester le garant.

L'article premier de votre projet dispose d'ailleurs que la politique d'aménagement du territoire est déterminée au niveau national par l'Etat, après consultation des partenaires intéressés. Que n'avez-vous alors associé les partenaires à son élaboration ? Vous semblez avoir une conception étroite du dialogue, on l'a vu avec la TGAP et la politique des agences de l'eau. Je le regrette. Pour nous, l'Etat doit assurer les grandes solidarités, la cohérence mais aussi aider à l'initiative, en privilégiant espaces de projets et partenariats, ce qui exige une péréquation.

A votre vision dirigée, pour ne pas dire dirigiste, nous opposons le droit à l'expérimentation. Le pays et l'agglomération à fiscalité propre, voire à taxe professionnelle unique, aboutiront à créer un échelon supplémentaire. Il aurait fallu au contraire clarifier les compétences et déconcentrer. A la complexité née de l'empilement des structures avec son lot d'impôts nouveaux, nous voudrions opposer la simplification.

M. Jean-Marc Ayrault - Les textes qui seront examinés ultérieurement nous permettront d'opérer la simplification que vous souhaitez.

M. François Sauvadet - Si nous demandons aujourd'hui le renvoi de votre texte en commission, c'est précisément que nous avons le sentiment, au-delà des divergences légitimes, qu'il n'est pas achevé. Il s'apparente à une contribution sur l'un des aspects de l'aménagement du territoire. Nous souhaiterions une réflexion plus approfondie pour bâtir un arsenal plus cohérent qui réponde à une vision de notre avenir, nécessairement européen, associant l'Etat, mais aussi les régions et les départements.

Je suis un fervent partisan des pays, mais à organisation comme aux contours simples.

S'agissant des choix stratégiques de la politique d'aménagement pour les vingt ans à venir, vous abandonnez, au profit des schémas de services collectifs, le schéma national, que le Conseil économique et social considère comme l'élément de cohérence indispensable et que M. Balligand saluait en 1995. Il aurait fallu engager la mise en oeuvre des schémas sectoriels ; pour cela, il était nécessaire de révolutionner les pratiques budgétaires, afin de parvenir à une vraie programmation : c'est ce que nous réclamions déjà sous la précédente majorité.

L'idée qui sous-tend votre démarche est que le pays est déjà aménagé. Pourtant, nombreux sont les équipements qui font encore défaut... Et qui peut donner l'impulsion nécessaire, sinon l'Etat ?

Sur ces aménagements, le Parlement doit avoir son mot à dire. Je me félicite que tel soit l'avis de la commission, mais je suis très surpris, Madame la ministre, de votre refus que le Parlement soit saisi des schémas de services collectifs. Peut-être est-ce parce que vous voulez passer à la trappe un certain nombre de projets... La préoccupation de l'environnement est légitime, mais on n'a pas, au nom de l'environnement, à refuser d'équiper le pays ! Depuis la haute antiquité, le développement économique s'est toujours fait autour des axes de circulation... Le Conseil économique et social vous a d'ailleurs mise en garde contre l'abandon d'une politique d'équipement.

Vous proposez d'organiser l'espace autour de métropoles, d'agglomérations et de pays.

Vous écrivez à juste titre qu'il nous faut des pôles de développement à vocation européenne et internationale ; mais vous cherchez à opposer la région parisienne aux autres, alors que Paris et l'Ile-de-France ont un rôle essentiel à jouer, même si Lyon, Strasbourg, Toulouse, Lille, Marseille, Rennes et bien d'autres doivent aussi jouer le leur.

Vous voulez une politique d'agglomérations qui participe au développement des bassins de vie, ce qui se conçoit ; mais la commission a opportunément souligné la nécessité d'une cohésion entre les agglomérations et les espaces ruraux, qu'il ne faudrait surtout pas négliger. Je regrette que vous ayez renoncé à la notion de réseau de ville.

Enfin, vous affichez une vision des pays singulièrement réductrice et technocratique. Ce n'est pas la structure qui fait le projet, c'est le projet qui doit conduire à la structuration ... Les espaces se dessinent de manières différentes selon qu'on traite de l'eau, des déchets, du développement économique... On ne plaquera pas sur des structures existantes une nouvelle entité, sans une adhésion forte à un projet ; il faut de la souplesse...

Quant aux schémas de services collectifs, j'avoue ne pas très bien saisir les choix stratégiques qu'ils recouvrent. Vous parlez d'un schéma d'enseignement supérieur et de la recherche : pourquoi ne pas parler d'éducation, de la maternelle au supérieur ?

D'un schéma de services culturels : s'agit-il d'une vision d'Etat de la culture, (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) d'une déconcentration de l'offre culturelle ?

D'un schéma de l'information et de la communication : quelle relation nouvelle avec les entreprises nationales qui assument une mission de services publics ?

D'un schéma des services sanitaires : sur ce sujet, il faut vous rapprocher rapidement des services de Mme Aubry et de M. Kouchner, qui mettent en place des schémas régionaux d'organisation sanitaire, qui témoignent d'une vision assez technocratique... M. Kouchner vient d'ailleurs de faire publier une circulaire prévoyant la fermeture des maternités ayant moins de 300 accouchements par an.

D'un schéma de l'énergie : sur ce sujet, nous aurons un débat demain.

On aurait pu aussi parler de schémas de la sécurité, de la justice, des services publics...

Quelques mots sur le schéma des espaces naturels et ruraux.

La loi de 1995 avait créé le fonds de gestion de l'espace rural. En 1997, tout le monde réclamait qu'il soit doté. Et en 1999 il ne l'est pas pour financer les contrats territoriaux d'exploitation... Le FGER existe toujours, mais en quelque sorte de manière virtuelle... Parallèlement, vous créez un fonds de gestion des milieux naturels, chichement doté. Est-ce à dire que l'espace rural n'est pas naturel ? Peut-être souhaitez-vous que la politique de l'espace rural soit concentrée sur les espaces naturels ?

Le vrai problème est que vous n'avez pas fait de bilan et pas expérimenté la loi de 1995. Vous avez voulu imprimer votre marque : bien... Mais ce qui manque le plus dans votre texte, c'est une vraie vision du territoire, du rôle de l'Etat, du service public. S'agissant des services publics, il faut appliquer la loi de 1995, prévoyant non seulement des études d'impact mais aussi une discussion de fond. Le moratoire mis en place par Edouard Balladur n'était pas un gel, mais il contraignait au dialogue avant toute restructuration.

Je n'ai pas le sentiment que nous ayons avancé, mais au contraire reculé, hormis sur la question des contrats locaux d'éducation, que M. Allègre a eu la sagesse de poursuivre.

Le multimodal est une dimension moderne, d'ailleurs contenue dans la loi Pasqua, mais qui ne peut fonctionner sans équipements : aériens, ferroviaires, routiers, maritimes, fluviaux - et je n'ajouterai rien sur les conditions dans lesquelles vous avez enterré, sans débat devant la représentation nationale, et sans proposer aucune alternative, le canal Rhin-Rhône. Vous accordez la priorité à l'accès aux réseaux et équipements existants, mais quelle est la portée de cette notion lorsque les réseaux et les équipements n'existent pas ? En vérité, on dirait que vous n'aimez pas les mots "équipement" et "infrastructure", mais c'est pourtant cela que nos compatriotes attendent. Je souhaite que le Parlement soit destinataire d'un rapport sur la politique d'aménagement du territoire, afin de vous obliger à poursuivre un dialogue auquel vous n'avez consenti que trop brièvement.

S'agissant des rapports entre l'Etat et les collectivités, je crains que vous n'ayez pas pris la mesure du "ras-le-bol" des élus locaux, qui attendent une clarification des compétences, fondement de la transparence de l'action publique et, par-là même, de la citoyenneté. Or, en fait de clarification, on nous propose une réforme saucissonnée en trois textes, qui prouve d'ailleurs, par l'absurde, que confier l'aménagement du territoire au ministre de l'intérieur n'était pas une si mauvaise idée... Ne nous parlez pas d'ambition territoriale, de transparence, d'implication des acteurs locaux, là où il n'y aura, dans les faits, qu'un empilement de structures et de procédures nouvelles !

L'intérêt de l'institution des pays réside dans leur souplesse. Vous ne faites pas assez confiance aux territoires. Le rôle de l'Etat ne doit pas être de les contraindre à s'organiser, mais de les y exhorter, en tenant compte de leur histoire et de leurs projets.

Fallait-il déclarer l'urgence d'un projet qui intéresse directement l'organisation du territoire et qui propose des schémas de service d'une durée de vingt ans ? Le simple fait de poser la question aide à mesurer les limites de l'exercice. On n'aménage pas le territoire dans l'urgence. En demandant le renvoi en commission, nous appelons le Gouvernement à une vraie discussion de fond, pour sortir d'un débat dans lequel le droit d'amendement ne s'est exercé qu'à la marge. Imposer aux agglomérations un traitement uniforme tout en marginalisant le monde rural n'est pas notre conception : nous revendiquons le droit à la différence démographique, économique, culturelle, en même temps que le droit à l'égal accès aux services. C'est le fondement du pacte républicain moderne, et votre texte en est loin.

Qu'on me permette de rappeler ce que disait M. Balligand, lorsqu'il opposait, le 7 juillet 1994, la question préalable au projet de M. Pasqua : "C'est surtout de ménagement que le territoire français a besoin. Derrière ce mot se tiennent trois idées : faire le ménage, ménager, bien tenir la maison". Je ne sais s'il a satisfaction aujourd'hui sur ces trois points ; nous, non ! Les incertitudes et les doutes subsistent, jusque dans votre majorité, et notre motion de renvoi pose la question de la cohérence des projets entre eux, de leur cohérence avec la future réforme des financements européens, de leur articulation dans le temps. J'espère que notre message sera entendu, car notre pays ne peut vivre indéfiniment avec de telles disparités et de telles incertitudes sur son avenir (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. André Lajoinie, président de la commission de la production - Il aurait été cruel de priver M. Sauvadet du long discours rentré qu'il portait en lui. Il a parlé de beaucoup de choses, mais s'est bien gardé de dire l'inavouable, c'est-à-dire à quoi aboutirait l'adoption de la motion de renvoi : à ce que tout le travail de la commission, dont il a bien voulu reconnaître lui-même l'intérêt, soit annulé d'un trait de plume ! Ce serait un bien mauvais coup en vérité... (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR)

La commission a examiné 603 amendements, plus 439 au titre de l'article 88. Elle en a adopté 123, dont 67 du rapporteur - la plupart élaborés en concertation avec le Gouvernement -, 30 du groupe socialiste, 14 du groupe communiste, 10 du groupe RPR, 8 du groupe RCV, 6 du groupe DL et 2 du groupe UDF - c'est-à-dire qu'aucun groupe n'a été oublié ! Faudrait-il, pour des raisons purement politiciennes (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), détruire tout ce travail ? Non, et l'Assemblée nationale ne vous suivra pas, car elle veut dialoguer avec le Gouvernement afin d'aboutir à de bonnes solutions pour l'aménagement et le développement durable du territoire (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Jean Proriol - Le texte reste complexe, malgré les efforts de la commission de la production pour l'améliorer. Il reste dirigiste, et nous voudrions l'assouplir. M. Sauvadet a soulevé un certain nombre de problèmes concrets, tels qu'ils se posent à l'élu local. Nous avons participé à des séances de travail avec les préfets, et nous n'avons pas trouvé là toute la clarté souhaitable. Il faut mettre de l'ordre : qui va s'occuper de l'eau, de l'assainissement lorsqu'il y aura des communautés de communes ? Nous avons déjà des syndicats qui s'en occupent fort bien, mais dans un autre périmètre. Et n'est-il pas curieux que vous nous proposiez huit schémas de services collectifs sans que nous puissions entendre ni M. Gayssot ni M. Pierret ni M. Allègre ni Mme Lebranchu ni M. Bartolone ? Si c'était l'ancienne majorité qui avait déposé un pareil texte, donnant les pleins pouvoirs à la technocratie, que n'aurions-nous pas entendu ? Le renvoi en commission est tout à fait justifié.

J'ajoute que, ce matin, nous avons vu arriver un amendement rédigé pendant la nuit, et qui a entraîné le départ de certains commissaires, et justifié une suspension un peu longuette -finalement, le groupe communiste ne l'a pas voté, non plus, bien sûr, que l'opposition. C'est dire qu'il y a encore beaucoup à mettre au point. Nous ne voulons pas que l'Etat reste le seul maître du jeu. Le groupe DL votera la motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Christian Estrosi - Je ne comprends pas bien pourquoi M. Lajoinie a attaqué M. Sauvadet qui a voulu être consensuel et ouvrir un dialogue constructif, notamment sur ce revirement survenu en commission, au coup de sifflet de Mme Voynet ! On tient au Parlement un discours tout différent de celui que nous entendons de la bouche des préfets dans les départements. D'un côté, il faut que les élus locaux informent ceux-ci de leurs priorités au premier semestre. De l'autre, on nous dit que cette loi, ainsi que la loi Chevènement qui suivra, vont modifier les règles de négociation des contrats de plan pour 2000-2006. Où est la cohérence ? Dans ces conditions, il est normal de voter la motion de renvoi, et c'est ce que fera le groupe RPR (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Patrick Rimbert - J'ai attendu en vain, Monsieur Sauvadet, que vous annonciez un élément nouveau, quelque chose qui n'ait été mentionné ni en commission ni dans la discussion générale. Alors pourquoi recommencer ? Au reste, tous les orateurs ont loué le travail du rapporteur, jugé excellent, et l'apport de la commission à l'écriture de la loi -dès lors, n'est-il pas étrange de vouloir retourner en commission ?

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Ce n'est pas sérieux !

M. Patrick Rimbert - J'ai eu parfois le sentiment, Monsieur Sauvadet, que vous lisiez à l'envers, par exemple quand vous nous dites à propos des pays que ce n'est pas la structure qui fait le projet. Mais lisez le texte, et vous verrez qu'il demande explicitement une structure transparente !

M. François Sauvadet - Là n'était pas mon propos !

M. Patrick Rimbert - Vous nous dites aussi que le projet de loi oppose zones rurales et zones urbaines...

M. François Sauvadet - C'est un fait !

M. Patrick Rimbert - ...alors que ce texte apporte un ajout majeur à la loi Pasqua qui avait oublié les territoires urbains... (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) sans lesquels il n'est pas d'aménagement du territoire possible. Nous avons donc donné à l'agglomération tout le poids qu'elle devrait avoir.

Il est, d'autre part, tout à fait louable de vouloir, tel un Premier ministre, réorganiser l'ensemble des ministères mais cela ne peut se faire au détour d'un débat comme celui d'aujourd'hui.

M. François Sauvadet - Vous semblez oublier que nous sommes la représentation nationale !

M. Patrick Rimbert - Justement pas ! Et ce serait précisément mépriser les élus que de les croire incapables de discuter un projet de loi et de l'améliorer. Auriez-vous peur du débat public, article par article ? (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. François Sauvadet - Rendez-nous Balligand !

M. Yves Coussain - De toute évidence, ce projet de loi demande à être réexaminé au fond, tant il est apparu déséquilibré et lacunaire. Rien n'est réglé de ce qui touche à la clarification des compétences ou à la péréquation, et le Parlement est écarté de la discussion ultérieure de l'aménagement du territoire. Le retour en commission est nécessaire, Madame la ministre, parce que vous n'avez répondu ni à nos questions sur l'articulation entre votre texte et celui que prépare M. Chevènement, ni à celles qui portaient sur les moyens que vous entendez consacrer à cette politique. Le retour en commission est nécessaire, aussi, parce que nous voulons améliorer ce texte. Nous voterons donc la motion présentée par M. Sauvadet, pour que le bon travail commencé par la commission soit parachevé (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Marie-Hélène Aubert - Après nous avoir parlé de délais très serrés, vous demandez maintenant le renvoi en commission. Votre argumentation me paraît spécieuse et plus encore lorsque vous proposez à l'Assemblée de tenir plusieurs débats en même temps et de recevoir, à cette fin, tous les ministres concernés, sinon le Gouvernement dans son ensemble. Tout cela est irréaliste et ce que vous nous proposez, en fait, c'est de ne pas choisir, car vous voulez tout en même temps : pays et régions, cantons et départements, grandes métropoles sans toucher aux crédits de l'Ile-de-France...

Or si le schéma national n'a pu être appliqué, c'est parce qu'il s'efforçait de concilier des désirs épars. Le projet qui nous est présenté a, lui, le mérite de proposer des choix cohérents et clairs. Nous l'aurions préféré plus clair encore et prévoyant des structures plus stables, mais nous comprenons la nécessité du compromis qui a prévalu. En résumé, rien ne justifie le renvoi en commission, sinon le désir d'allonger encore un débat qui a déjà eu lieu pendant tout le temps nécessaire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Félix Leyzour - On peut comprendre que l'opposition veuille utiliser des artifices de procédure pour gagner du temps, mais on n'est pas obligé de la suivre dans sa volonté d'obstruction délibérée (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). La commission a beaucoup travaillé, chacun a pu s'exprimer, de nombreuses observations ont été prises en compte et je ne vois pas ce que le texte gagnerait à un renvoi en commission. Il faut donc repousser cette motion et passer aux choses sérieuses : la discussion des articles.

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. le Président - J'appelle, dans les conditions de l'article 91, 9e alinéa du Règlement, les articles du projet de loi dans le texte du Gouvernement.

AVANT L'ARTICLE PREMIER

M. François Sauvadet - L'amendement 698 vise à rendre possible une phase d'expérimentation, dans une zone géographique donnée, pendant une période limitée. Les enjeux sont tels que l'intérêt général commande d'expérimenter avant de procéder à des réformes d'aménagement du territoire aussi importantes, et qui engagent l'avenir. Agir de la sorte contribuerait à la modernisation de la vie politique, voulue tant par nos concitoyens que par le Président de la République. Je rappelle que les contrats locaux d'éducation ont été expérimentés de la sorte, avec succès. Montrez que vous êtes sensibles à l'aspiration à une plus grande concertation locale.

M. Philippe Duron, rapporteur de la commission de la production - Avis défavorable. L'expérimentation n'est pas sans intérêt, mais les dispositions de ce texte sont déjà très souples. En outre, pour les pays, l'expérimentation a déjà eu lieu. Il est temps d'aller vers des solutions durables.

Mme la Ministre - Le Gouvernement considère que la conception et la mise en oeuvre de la politique d'aménagement du territoire peuvent tirer profit d'une phase expérimentale préalable. Mais l'expérimentation ne saurait porter atteinte au principe de l'égalité des citoyens devant la loi. Avis défavorable.

M. Patrick Ollier - Je regrette la position de la commission, d'autant que Mme le ministre elle-même a reconnu l'utilité de l'expérimentation. Il serait dommage de nous priver de cette possibilité : il ne s'agit pas, en effet, d'expérimenter de manière systématique. L'amendement précise que toute mesure "peut être précédée" d'une phase expérimentale. On éviterait de la sorte de s'engager directement dans des dispositifs qu'on n'aurait pas pris le temps de discuter. Notre proposition est avant tout constructive.

L'amendement 698, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Yves Coussain - Pour que la politique d'aménagement du territoire soit efficace, il faut clarifier les compétences des différents acteurs, comme on l'a souligné sur tous ces bancs pendant la discussion générale. En effet, les enchevêtrements de responsabilité et la concurrence entre les collectivités locales ont montré toute leur nocivité. On ne peut en attribuer la responsabilité au précédent gouvernement, même s'il aurait dû présenter une loi de clarification des compétences, comme le prévoyait la loi Pasqua.

Ce que les gouvernements Juppé et Jospin n'ont pas fait, il importe d'en rappeler le caractère obligatoire dans la nouvelle loi d'orientation. C'est pourquoi mon amendement 699 vise à fixer au 1er janvier 2001 la date à laquelle devra intervenir une loi de clarification. Un tel délai laisse suffisamment de temps au Gouvernement pour préparer son projet.

M. le Rapporteur - L'article 65 de la loi du 4 février 1995 disposait en effet que la répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités locales devait être clarifiée par une loi dans l'année qui suivrait la promulgation.

Nous sommes tous d'accord pour considérer qu'une telle clarification s'impose. Mais le délai que vous fixez est trop court. En outre, ce n'est pas au ministre de l'aménagement du territoire mais à celui de l'intérieur qu'il appartient de légiférer sur l'organisation des collectivités locales. Avis défavorable.

Mme la Ministre - Difficulté à isoler les responsabilités, difficulté à engager une réforme globale dans un contexte de contrainte budgétaire, difficulté à réformer notre fiscalité locale, absence de consensus sur le partage de la taxe professionnelle et sur une nouvelle répartition des compétences, telles sont les raisons qui ont conduit le Gouvernement à agir de manière pragmatique.

Dans le domaine des transports ferroviaires, une expérimentation est en cours dans six régions...

M. Michel Bouvard - Merci Pons !

Mme la Ministre - Le Gouvernement entend approfondir la décentralisation. Le présent projet tend à relancer la contractualisation et à mobiliser les énergies à l'échelon local. Quant au projet Chevènement, il mettra de nouveaux instruments d'intercommunalité à la disposition des élus. Enfin, le projet Zuccarelli va clarifier les interventions des collectivités locales dans le domaine économique.

Ambitieuse et coordonnée, notre politique s'inscrit dans la lignée des textes fondateurs de la décentralisation.

Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

M. Jean-Claude Lenoir - Cet amendement est important. Favorables aux pays, les élus réclament cependant une clarification des compétences entre les différentes collectivités et l'Etat.

La première des lois de décentralisation portait sur des transferts de compétence : c'est une fois ceux-ci clairement établis qu'on a pu réfléchir à l'organisation des collectivités territoriales.

Le rapporteur estime le délai trop court. Mais le 1er janvier 2001, c'est le début du prochain millénaire. Mettons donc à profit les deux années qui viennent !

L'amendement 699, mis aux voix, n'est pas adopté.

ARTICLE PREMIER

M. Georges Sarre - L'article premier redéfinit les objectifs et les principes de la politique d'aménagement du territoire, instrument de cohésion, de protection de l'environnement, de développement économique et de réduction des inégalités territoriales. Il insiste sur la nécessité d'inscrire cette politique dans un espace européen et prévoit un partenariat entre l'Etat et les collectivités locales.

Si la région, depuis les lois de décentralisation, est devenue l'échelon pertinent des interventions économiques et actions en faveur de l'emploi et de la formation, il n'en reste pas moins que la responsabilité ultime appartient à l'Etat, garant de la cohésion nationale. Or, dans cet article, l'Etat n'est plus un acteur à part entière, mais une sorte de "veilleur" censé suivre la mise en oeuvre des politiques publiques après avoir défini des choix stratégiques. Mais comment pourrait-il le faire sans instruments de cadrage ? Au nom de quelle doctrine interviendra-t-il s'il ne dispose d'aucun guide d'action ? Il ne s'agit même pas, Madame le ministre, de promouvoir une conception jacobine de l'aménagement du territoire -ce qui, d'ailleurs, ne me gênerait pas-, mais de revenir au rôle fondamental de l'Etat en matière de planification, à l'heure où de nouvelles compétences sont transférées à l'Union européenne et où le libéralisme crée de nouvelles inégalités sociales et territoriales. L'Etat doit assurer ses fonctions de régulation, de planification et d'arbitrage.

Aussi la suppression du schéma national d'aménagement du territoire constitue un handicap sérieux (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Ni les huit schémas de services collectifs, ni les schémas régionaux, qui ne seront pas nécessairement cohérents entre eux, ne pourront véritablement le remplacer. Notre politique d'aménagement risque de perdre sa cohérence. C'est pourquoi nous préconisons le rétablissement du schéma national et avons déposé plusieurs amendements en ce sens (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Aloyse Warhouver - Madame la ministre, il faut interdire toute nouvelle percée dans les territoires intacts qui nous restent. La SNCF et EDF peuvent se contenter des couloirs existants. Les grands terrains de manoeuvres militaires, devenus des espaces sauvages, pourraient être utilement intégrés dans les schémas d'aménagement des espaces naturels et ruraux et soumis au même régime fiscal que les autres espaces.

Le schéma multimodal des transports pourrait prévoir la création de "véloroutes" à vocation touristique, utilisant les chemins de halage.

Il conviendrait de réviser la carte de la prime d'aménagement du territoire : deux communes au moins dans chaque canton devraient être éligibles à cette prime incitative, déterminante dans le choix des industriels.

En matière culturelle, il serait bon de créer de petits musées accueillant les oeuvres des artistes locaux qui gagneraient à être présentées dans leur site d'origine plutôt que dans de grands musées nationaux. Cela contribuerait à l'animation des territoires. Dans le domaine sanitaire, il importe de ne pas supprimer plus de 15 % des lits d'hôpitaux existants par bassin et de maintenir l'activité que procurent dans certaines zones rurales des établissements comme sanatoriums ou centres de post-cures.

En matière d'enseignement, il convient de prendre en compte la situation des collèges ruraux. Il n'est pas normal par exemple que les communes supportent le poids financier des équipements sportifs contigus à ces collèges alors que dans les grandes villes, le fonctionnement des gymnases est pris en charge par l'Etat. L'égalité des chances sur l'ensemble du territoire passe aussi par l'égalité des financements.

M. Michel Meylan - En abandonnant le schéma national d'aménagement du territoire, ce projet de loi supprime l'un des instruments assurant la cohérence de la politique d'aménagement du territoire. Aucune politique cohérente ne pourra naître de l'addition de huit schémas de services collectifs définis par décret, sans consultation du Parlement.

Ce mécanisme renforcera en outre l'opacité des politiques publiques. Il serait souhaitable que l'ensemble des dispositifs de financement de l'aménagement du territoire soit rassemblé dans un seul fonds.

L'articulation entre schémas de services collectifs, schémas régionaux d'aménagement du territoire, contrats de plan Etat-régions, zonages européens doit aussi être mieux précisée. Elu local de la vallée de l'Arve, je puis témoigner des difficultés qui se posent lorsqu'existe un conflit entre les vues de la région et celle d'un "pays-test".

Avec une sectorisation en huit schémas de services collectifs, il ne sera plus possible aux pays d'offrir une vision globale. L'objectif du pays de la loi Pasqua était de favoriser une réflexion transversale, par exemple sur les relations à établir entre agriculture, formation et tourisme pour assurer un développement global.

Je soutiendrai les amendements qui permettront d'adapter l'article premier aux exigences que je viens d'évoquer (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Maurice Leroy - Alors qu'il n'y a guère plus d'un demi-siècle, la population française était équitablement répartie sur le territoire national, 80 % vit aujourd'hui entassée sur moins de 20 % de l'espace national. La tête du pays a enflé, son coeur s'est affaibli. Paris étouffe, le Perche vieillit et la Creuse se désertifie. Et les projections de l'INSEE montrent que ce déséquilibre ne fera que s'accroître. Une fracture territoriale menace notre nation dans ses fondements tout comme la fracture sociale. Mme la ministre continue pourtant de le nier, déclarant par exemple "que la loi Pasqua est fondée sur un postulat erroné, celui d'une France écartelée entre désertification des campagnes et hyperconcentration des agglomérations". Comment nier ainsi l'évidence, fût-ce au nom d'une idéologie verte dont les postulats sont pour le coup erronés ? La loi Pasqua serait trop ruraliste, insuffisamment consciente des changements liés à la globalisation de l'économie et à la mondialisation des échanges. A bas nos villages millénaires ! Vive le village planétaire !

Croire que les habitants des campagnes, qui sont heureux d'y vivre se laisseront imposer la vision de ceux qui ne la connaissent qu'à travers le miroir déformant des "week-ends à la campagne" c'est mal connaître l'attachement profond des populations à leur territoire, à leurs racines ; c'est sous-estimer leur capacité de résistance.

L'enjeu de la reconquête du territoire est fondamental : à travers un modèle d'occupation du territoire, il s'agit de savoir dans quelle société nous souhaitons que nos enfants vivent. Veut-on préserver la présence d'une population suffisante sur l'ensemble de notre territoire, en le gardant vivant, productif et accueillant, pas seulement à l'aide de petits musées ou de sanatoriums, comme l'a évoqué l'un de nos collègues ? L'Allemagne a consenti des efforts financiers bien plus considérables pour sa réunification. Qui pourrait accepter que la France soit à la pointe de la conquête de l'espace et reste à la traîne dans la reconquête de son propre espace territorial ? Le Gouvernement abandonne aujourd'hui cette belle détermination et renvoie la France profonde à ses inquiétudes. Une véritable politique de l'aménagement du territoire ne peut pas être celle de la résignation et du renoncement.

La loi Pasqua a ouvert la possibilité d'attirer des entreprises par des avantages financiers et fiscaux et de maintenir des services à la population grâce à des fonds qui n'ont pas toujours été correctement dotés, j'en conviens. Mais ils avaient le mérite d'exister et il est toujours temps de les doter... Avec le concours des régions et des départements, le mouvement de dévitalisation s'inversait et une dynamique de développement s'ébauchait. Abandonne-t-on cette démarche volontariste et se satisfait-on des déséquilibres existants ? Politiquement, c'est sans doute plus confortable, mais c'est intellectuellement malhonnête et humainement inacceptable. Investir des dizaines de milliards pour améliorer les conditions de vie des populations installées dans des métropoles européennes reliées par des voies de communication rapides ne sert à rien si, d'un autre côté l'on n'a pas pour ambition de faire vivre harmonieusement nos compatriotes sur l'ensemble de l'espace géographique national. En réalité, politique de la ville et politique de l'aménagement du territoire ont toutes deux pour objectif de maintenir la cohésion nationale autour des valeurs de la République.

D'ailleurs, comment pouvez-vous nous reprocher d'avoir négligé la politique de la ville alors que dans le premier gouvernement Jospin, il n'y avait tout simplement pas de ministère de la ville ?

L'attrait des citadins pour la campagne ne s'est jamais démenti et la France détient le record des résidences secondaires. Notre tourisme vert réalise un chiffre d'affaires qui équivaut pratiquement à l'excédent de la balance touristique française. La majorité des citadins porte aujourd'hui un autre regard sur le monde rural paré de nouvelles vertus comme la sécurité, la santé, la proximité de la nature, la convivialité, la beauté. D'ailleurs, nos bourgs ruraux se repeuplent, ce qui n'est pas toujours sans leur poser des difficultés, notamment en matière sociale.

M. le Président - Veuillez conclure.

M. Maurice Leroy - Que l'Etat cesse de menacer en permanence le monde rural d'une réorganisation des services publics comme La Poste : cela décourage les meilleures volontés. Il doit jouer son rôle de régulation qu'il a trop souvent abandonné pour s'en remettre à la seule loi du marché. Les nouvelles technologies offrent une opportunité exceptionnelle pour implanter des activités en milieu rural. L'Etat doit assurer l'égalité des citoyens à leur accès.

Nous savons le coût économique et humain d'une urbanisation à marche forcée. Nous devons épargner ce terrible échec aux nouveaux habitants des campagnes. Le monde rural ne veut pas être limité à sa seule fonction résidentielle, comme si l'emploi était le monopole des villes.

La fiscalité locale doit aussi être adaptée, notamment à travers une péréquation efficace de la taxe professionnelle et une intercommunalité librement consentie.

Le monde rural nous rappelle en permanence à notre premier devoir : aimer la France. L'oublier, ce serait manquer de coeur. Ne pas se battre pour son renouveau, ce serait manquer de cervelle (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. le Président - Je remercie M. Estrosi, qui renonce à son temps de parole.

M. Jean-Pierre Balligand - Le texte de l'article premier a été sensiblement amélioré par la commission. Mais certains de nos collègues font semblant de n'avoir pas lu le rapport.

La commission a proposé de citer parmi les objectifs de la politique d'aménagement du territoire l'égal accès de chaque citoyen aux services publics sur l'ensemble du territoire et la réduction des écarts de richesses entre les collectivités territoriales. Elle a aussi voulu affirmer la nécessité d'une mise en cohérence avec la politique d'aménagement de l'espace communautaire.

On peut soutenir des amendements de suppression de l'article premier ; pour le reste, il faut être constructif... J'avais, pour ma part, essayé de l'être lors de la discussion de la loi Pasqua.

On parle du schéma national prévu par celle-ci ; mais souvenons-nous : le ministre avait voulu le mettre en annexe de la loi et c'est la commission spéciale, par la voie de M. Ollier, son rapporteur, qui s'y était opposée, en considérant que le schéma devait être élaboré en collaboration avec les élus. La DATAR s'est mise au travail mais jamais le Parlement n'a vu revenir un texte... La raison n'en est pas la dissolution, mais, le fait que, dans un pays aussi décentralisé que la France, l'exercice était impossible.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Décentralisé ?

M. Jean-Pierre Balligand - Que certains collègues soient opposés aux pays ou aux communautés d'agglomérations, soit ; mais sur des articles généraux comme celui-ci, essayons d'avancer, en évitant les mauvais procès... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Pierre Ducout - L'article premier définit les objectifs, la méthode et les moyens de l'aménagement du territoire. Il réaffirme le rôle de l'Etat républicain dans la réduction des inégalités sociales et territoriales.

En ce qui concerne les objectifs, la commission a apporté certains compléments.

Un premier objectif est l'égal accès des citoyens aux services publics sur l'ensemble du territoire. Nous devons à cet égard être conscients de ce qu'a apporté le service public de l'éducation nationale depuis plus d'un siècle.

Un deuxième objectif est la réduction des écarts de richesses entre les collectivités territoriales, par une péréquation de leurs ressources.

La réduction des inégalités territoriales est également un point très important. Il faut prendre garde du risque d'une marginalisation croissante de la façade atlantique au sein d'une Europe élargie. D'autre part, il convient de conforter les métropoles de rang européen -les métropoles d'équilibre des années 60.

En ce qui concerne la méthode, le texte affirme que la politique d'aménagement du territoire doit être conduite par l'Etat et les collectivités territoriales, dans le respect des principes de la décentralisation. A cet égard, il ne faut pas entrer dans la polémique stérile sur le choix de la région ou du département : nous avons les deux, la région a un rôle prépondérant dans la planification, le département est une collectivité de proximité et de solidarité qui marche bien. Par ailleurs, la méthode choisie est marquée par la volonté de démocratie : la politique d'aménagement du territoire ne sera pas imposée.

S'agissant, enfin, des moyens, l'article premier précise que la politique se traduit par des schémas de services collectifs, l'ambition étant d'apporter à nos concitoyens efficacité économique, justice sociale, protection et mise en valeur de l'environnement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Béatrice Marre - Les orateurs de l'opposition nous ont expliqué que ce projet n'apportait rien à la loi Pasqua. Pourtant, celle-ci était totalement muette sur un sujet central, l'Europe -ce qui n'étonnera personne étant donné la personnalité de son auteur. Je me félicite, pour ma part, que l'article premier inscrive le territoire français dans "un ensemble européen cohérent et solidaire". Par ailleurs, je me réjouis que le rôle central de l'Etat soit réaffirmé.

A la veille de profondes mutations au sein de l'espace européen, il était nécessaire que la France se dote d'un outil d'aménagement marquant clairement son ambition.

Enfin, s'il est réaffirmé que l'Etat conduit la politique d'aménagement du territoire dans le respect des principes de la décentralisation, il est également spécifié qu'il favorise la conclusion de contrats de plan dans le cadre de la politique européenne de développement économique et social, ce qui signifie que nous devons veiller à ce qu'il conserve son rôle d'intermédiaire entre les régions et la Commission européenne. Je me félicite que le cadre soit ainsi fixé (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Michel Vergnier - Hier, l'un de nos collègues me disait être resté en admiration devant des images d'un journal télévisé montrant des chevaux galopant sur fond de brouillard au milieu d'une prairie creusoise, et j'ai cru déceler dans son propos un brin d'envie bien légitime, qui me conforte dans les propos que je tiens souvent sur l'avenir de ces départements ruraux où il fait si bon vivre, mais où l'on a du mal à retenir les jeunes. Si la campagne est belle, elle ne peut compter sur sa seule beauté pour résoudre tous ses problèmes, et c'est pourquoi l'aménagement du territoire est toujours porteur, pour les ruraux que nous sommes, d'un formidable espoir.

L'article premier proclame des principes essentiels que nous partageons. Il est indispensable que se conjuguent des initiatives qui permettront à nos territoires de valoriser leurs propres atouts, au lieu d'aller, chacun pour soi, à la pêche aux subventions. Nous avons tous tendance à rester sur la défensive, préservant avec une belle énergie nos écoles, nos gendarmeries, nos bureaux de poste sans jamais lever le nez du guidon, et c'est pourquoi je salue cet article qui fait une large place à l'imagination et au partenariat, l'Etat restant le chef d'orchestre et les collectivités locales étant chargées d'écrire la partition. Le rapporteur a cependant raison d'insister pour que nous affirmions par voie d'amendement la nécessité de l'égal accès de tous aux services publics et de la réduction des écarts de ressources entre collectivités.

Les pays sont un levier du développement local, les contrats territoriaux d'exploitation en sont un autre. Les territoires doivent être aidés à raison de leurs handicaps, sans que l'on oppose les villes aux campagnes, les urbains aux ruraux. Certains écueils doivent toutefois être évités : d'aucuns envisageraient, paraît-il, de créer des pays dont le contour serait identique à celui de structures déjà existantes, voire coïnciderait avec celui d'un département entier ; j'ose espérer qu'il ne s'agit pas pour eux d'un simple enjeu de pouvoir...

J'approuve les orientations de cet article et les amendements qui les précisent. Demain, si chacun prend la place qui est la sienne pour que l'avenir soit plus dégagé, le soleil percera le brouillard, et si la campagne est toujours belle, on pourra s'imaginer que le printemps va arriver ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

M. Félix Leyzour - Je renonce à la parole.

M. le Président - Je vous en remercie.

M. Patrick Ollier - Je m'efforcerai d'être objectif et constructif. Je ne mets nullement en doute votre sincérité, Madame la Ministre : il se trouve simplement que nous sommes en désaccord sur certains choix stratégiques, et peut-être y a-t-il malentendu entre nous sur d'autres points. Je salue également l'excellent travail de la commission, même si je ne puis accepter ce qui s'est passé ce matin, et M. Balligand a raison de dire que nous avons avancé sur la question des services publics et sur celle de la péréquation - grâce, d'ailleurs, à l'opposition.

Cet article donne de l'aménagement du territoire, par rapport à l'article premier de la loi de 1995, une définition considérablement édulcorée : peut-être n'est-ce qu'une question de mots, mais je crains qu'il n'y ait aussi une question de volonté politique. Dans la loi Pasqua, la politique d'aménagement du territoire "corrige", "fixe", "réduit" ; dans le présent projet de loi, elle "vise", "concourt", "incite", "participe". Dans la loi Pasqua, elle a pour buts l'égalité des chances, le rétablissement des équilibres, la compensation des handicaps territoriaux, toutes notions qui ont disparu du projet d'aujourd'hui, de même que la référence à une possible fiscalité dérogatoire.

Quant à l'Etat, aux termes de la loi Pasqua, il "assure l'égal accès de chaque citoyen aux services publics", "détermine l'implantation des administrations publiques, les conditions d'accès à distance aux services publics, la localisation des investissements publics qui relèvent de sa compétence, les obligations des établissements, organismes publics et entreprises nationales placés sous sa tutelle et chargés d'un service public". Le texte qui nous est soumis, en revanche, se réduit à des pétitions de principe que nous sommes loin de désapprouver, mais qui n'ont ni la précision, ni l'ambition suffisantes : il n'est même plus spécifié que l'Etat et les collectivités territoriales "incitent les personnes physiques et les personnes morales de droit privé à participer à la réalisation des objectifs d'aménagement et de développement du territoire". C'est pourquoi je propose, par l'amendement 121, que l'on supprime cet article, afin d'en rester à la rédaction en vigueur (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. le Président - Je suis saisi de cinq amendements de suppression. Etant donné que nous avons quelque 1200 amendements à examiner, j'invite chacun à la concision.

M. Yves Deniaud - L'article premier de la loi Pasqua était plus fort que celui-ci, à tous points de vue, et je propose de la rétablir, en supprimant l'article par l'amendement 374.

M. Michel Bouvard - L'amendement 461 tend aussi à supprimer l'article. Il faut maintenir une certaine stabilité législative malgré la fréquence des alternances. Or la définition que la loi précédente donnait de l'aménagement du territoire était meilleure. L'organisation des services publics va évoluer, comme celle des entreprises publiques. Qui dit que, demain, la Commission ne souhaitera pas modifier la desserte en énergie des particuliers ? Il faut donc maintenir des contraintes précises, afin que nos concitoyens soient traités de même où qu'ils résident. Il faut qu'un certain nombre de projets continuent de dépendre de l'Etat, et qu'on ne s'en remette pas à une "veille de l'Etat" en matière d'aménagement du territoire, pour citer M. Sarre.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Les formules incantatoires qui reviennent régulièrement au début des lois d'orientation, auraient plutôt leur place dans l'exposé des motifs. Pourquoi réécrire ici l'article premier d'une loi récente, en y passant beaucoup de temps si j'en juge par le nombre d'amendements ? Ne valait-il pas mieux s'en tenir à l'article premier de la loi Pasqua ? Surtout que ces articles préliminaires, dépourvus de toute sanction, n'ont aucune valeur normative. Faisons des lois plus sobres, en nous inspirant du code Napoléon ! En attendant, l'amendement 796 tend à supprimer l'article (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Maurice Leroy - L'amendement 961 est aussi de suppression. L'article premier de la loi de 1995 posait un certain nombre de principes forts, affirmant la responsabilité de l'Etat et son rôle d'impulsion pour l'aménagement du territoire. Or votre article premier relève d'une logique inverse : sous couvert de modifier, il remet en question certains principes fondamentaux relatifs au rôle structurel de l'Etat, à l'égalité des chances, à l'aide au développement. Ce n'est pas la juxtaposition des schémas de services collectifs qui remplacera utilement le schéma national. Vous renoncez à conjuguer nation et territoire, à garantir l'égalité des citoyens. Il y aura désormais des zones rurales qui seront durablement en friche : nos régions sont inégales, maintenons leur inégalité ! Tel est l'esprit de cet article. Vous avez parlé de passéisme à propos de la loi Pasqua, mais son auteur vous a répondu dans Le Figaro qu'en matière de passéisme, M. Jospin et Mme Voynet parlaient d'or : quand on ferme Creys-Malville, qu'on a la phobie du TGV et de l'autoroute... Voilà pourquoi je propose la suppression de l'article : à votre conception, je préfère avec Louis Aragon "La France des cent villages".

M. le Rapporteur - Un article premier, c'est fait pour définir la philosophie d'une loi et en définir les méthodes. Il n'était pas inutile de fixer les principes nouveaux que le Gouvernement veut adopter : notion de développement durable, critère de participation à la négociation européenne, objectif de création d'emploi, justice sociale. Il était normal que la loi intègre les conséquences de l'alternance. L'amendement 239 précisera les choses encore mieux. Contre les amendements de suppression.

Mme la Ministre - Même position.

M. Patrick Ollier - Je souhaite répondre à la commission (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), mais qu'on ne nous fasse pas de procès d'intention ! Sinon, si on veut créer des incidents de séance, nous ne serons pas en reste car nous savons faire, s'il le faut !

Ce que je souhaite surtout, c'est que le débat ne dérive pas et que, si je demande la parole pour répondre au Gouvernement, on me la donne ! La loi de 1995 créait, en son article premier, des obligations. Pourquoi ne sont-elles pas reprises ? Les intentions exprimées sont louables, mais le drame est que les dispositions sont mauvaises ; faute de créer des obligations, le texte se réduit à une pétition de principe. Le travail de la commission est bon, mais il est inachevé, et je n'ai eu de réponse ni sur la fiscalité dérogatoire, ni sur l'égalité des citoyens face à l'action publique. Ce sont les dispositions que nous avions voulu réintroduire, et c'est pourquoi nous aurions voulu substituer à cet article premier celui de la loi de 1995.

Les cinq amendements de suppression, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Patrick Ollier - J'aimerais des réponses à mes questions !

M. le Rapporteur - L'amendement 237 vise à insérer, après le premier alinéa, les deux alinéas suivants : "Art. premier. - La politique nationale d'aménagement et de développement durable du territoire concourt à l'unité de la nation, aux solidarités entre citoyens et à l'intégration des populations.

"Elle vise à permettre un développement alliant l'efficacité économique, le progrès social et la protection de l'environnement".

M. Jean-Claude Lenoir - Les sous-amendements 573, 574, 576 et 575 ne sont pas des sous-amendements d'opposition : ils visent à enrichir le texte. Si le premier est purement rédactionnel, le second vise à préciser que la politique d'aménagement du territoire est définie dans le cadre européen. Le troisième tend à rétablir un membre de phrase omis par la commission. Le dernier apporte une rédaction plus dynamique à l'article premier, en insistant sur la mise en valeur et la préservation des ressources.

M. le Rapporteur - La commission n'a pas retenu le sous-amendement 573, qui n'apporte rien. Elle a en revanche approuvé le sous-amendement 574, qui rétablit un membre de phrase qui figurait dans le projet de loi, ainsi que le 576. Elle a repoussé le sous-amendement 575, dont les dispositions figurent dans l'amendement 238 qu'elle a déposé.

Mme la Ministre - Le Gouvernement est favorable à l'amendement 237 et aux sous-amendements 574 et 576.

Le sous-amendement 573, mis aux voix, n'est pas adopté.

Le sous-amendement 574, mis aux voix, est adopté.

Le sous-amendement 576, mis aux voix, est adopté à l'unanimité.

Le sous-amendement 575, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 237 modifié, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 238 vise à rédiger ainsi les deux premiers alinéas de l'article premier : "Elle tend à renforcer la coopération entre l'Etat, les collectivités territoriales et leurs groupements, les établissements et organismes publics, et les acteurs économiques et sociaux du développement, à assurer un égal accès de chaque citoyen aux services publics sur l'ensemble du territoire, à réduire les écarts de richesses entre les collectivités territoriales par une péréquation de leurs ressources en fonction de leurs charges et par une modulation des aides publiques.

"Elle crée les conditions favorables à un développement de l'emploi, à une meilleure justice sociale, à la réduction des inégalités territoriales ainsi qu'à la préservation des ressources et à la mise en valeur des milieux naturels".

M. Jean-Claude Lenoir - Je défendrai successivement les sous-amendements 1150, 1151, 1152 et 1153. Le premier vise à souligner les objectifs de compétitivité et de correction des inégalités, le deuxième à favoriser l'égalité des chances entre les citoyens en assurant à chacun d'eux un égal accès au savoir, le troisième à souligner la nécessaire protection de la richesse naturelle. Le dernier tend, par souci de cohérence avec les modifications suggérées, à supprimer le dernier alinéa de l'amendement.

M. le Rapporteur - La commission n'a pas souhaité retenir les sous-amendements 1150, 1152 et 1153. Elle a en revanche retenu le 1151.

Mme la Ministre - Le Gouvernement est favorable à l'introduction des deux principes contenus dans l'amendement 238 et au sous-amendement 1151. Il s'oppose à l'adoption des trois autres sous-amendements.

M. Patrick Ollier - Nous voterons l'amendement de la commission, car il nous paraît utile de réintroduire dans le texte de la loi les notions essentielles qui y figurent, mais nous sommes quelque peu surpris par la manière dont ce projet a été préparé : est-il de bonne méthode de devoir procéder de la sorte ? J'y insiste : le Gouvernement aurait dû reprendre l'intégralité des obligations qui figuraient dans l'article premier de la loi de 1995. L'amendement est utile, mais insuffisant.

Je reconnais que, sur la question de l'équilibre territorial, la rédaction de la commission est la meilleure. Nous allons être constructifs à l'instant.

Le sous-amendement 1150, mis aux voix, n'est pas adopté.

Le sous-amendement 1151, mis aux voix, est adopté.

Le sous-amendement 1152, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que le sous-amendement 1153.

L'amendement 238 sous-amendé, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - L'adoption de l'amendement 238 fait tomber les dix-huit amendements suivants. Nous reprendrons la discussion à l'amendement 240.

La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.

Prochaine séance ce matin, à 9 heures.

La séance est levée le jeudi 21 janvier, à 1 heure.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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