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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 54ème jour de séance, 135ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 21 JANVIER 1999

PRÉSIDENCE DE M. Patrick OLLIER

vice-président

          SOMMAIRE :

DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT SUR L'ÉNERGIE ET DÉBAT SUR CETTE DÉCLARATION 1

La séance est ouverte à neuf heures.


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DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT SUR L'ÉNERGIE
ET DÉBAT SUR CETTE DÉCLARATION

L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur l'énergie et un débat sur cette déclaration.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - Pour le Gouvernement, ce débat n'est ni un exercice imposé, ni un exercice de style : il est légitime, nécessaire et décisif que nous débattions devant le Parlement des orientations de notre politique énergétique. C'est légitime : il est normal, dans une démocratie, que le Parlement soit associé à la définition de notre politique énergétique. Tel est le cas lorsqu'il examine les projets de loi de finances, en particulier le budget de mon ministère. Tel sera le cas le mois prochain lorsque vous examinerez le projet de loi sur le service public de l'électricité et, dès que le calendrier le permettra, le projet de loi sur l'Après-Mines adopté hier en conseil des ministres. Ce débat est nécessaire : il faut appréhender la cohérence d'ensemble de cette politique afin d'en définir, en relation avec la politique économique et sociale de la nation, les principes et les objectifs, qui doivent ensuite être adaptés aux différentes composantes de notre politique énergétique. Ce débat est décisif : le secteur de l'énergie connaît partout dans le monde des évolutions profondes, qui touchent à des questions cruciales : la présence de la technologie française dans le monde, nos capacités d'approvisionnement à long terme, notre liberté stratégique, par-dessus tout notre indépendance nationale économique et, par conséquent, notre influence politique dans le monde. D'autre part, la politique énergétique française s'intégrera progressivement dans l'avenir à celle de l'Union européenne, lorsque celle-ci en aura défini une. Je souhaite donc que ce débat permette de dégager une vision claire de nos buts : une énergie de qualité, au moindre coût pour l'économie, respectueuse de l'environnement, accessible à tous même aux plus démunis.

Notre politique énergétique, dans ce cadre mondial, peut être définie de manière cursive par quelques adjectifs. Elle doit être sérieuse, et non soumise aux caprices des polémiques. Elle se reconnaît dans un "ni-tout, ni-tout" : ni tout nucléaire, ni toutes énergies fossiles ou nouvelles. Elle n'oppose pas un lobby à un autre, mais se défie de tout ce qui pourrait compromettre l'ouverture des choix de la France.

M. Yves Cochet - Il y a tout de même trop de nucléaire...

M. le Secrétaire d'Etat - Elle doit être équilibrée quant aux énergies utilisées, quant à leur maîtrise quantitative et quant à ses conséquences sur les territoires et les groupes sociaux. Elle doit être diversifiée et faire une place nouvelle aux énergies nouvelles.

M. Yves Cochet - Très bien !

M. le Secrétaire d'Etat - Elle doit être maîtrisée et nous devons réintroduire dans nos priorités, après une éclipse de plusieurs années, les préoccupations d'économie d'énergie. Elle doit être responsable et se projeter résolument dans le long terme, qu'il s'agisse de la rentabilité économique ou de l'innocuité environnementale pour les générations futures. Bref, elle doit marquer une rupture avec le passé, en étant plus démocratique et donc régulièrement soumise au contrôle du Parlement.

Notre politique énergétique s'inscrit dans une promotion volontariste du secteur public et plus généralement dans la politique économique et sociale du Gouvernement. Ses orientations et ses objectifs traduisent avec cohérence la démarche du Gouvernement ; ils ont été précisés à deux reprises par le Premier ministre lors des conseils interministériels de février et décembre 1998.

Le souci constant du Gouvernement est de concilier, et non d'opposer, performance économique, progrès social et missions de service public, et nos choix en matière énergétique illustrent cette orientation. Ainsi, vous aurez prochainement à débattre des conditions d'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité, et demain de celles qui régiront le marché du gaz. Le Gouvernement souhaite à cette occasion donner corps aux nécessaires missions de service public, tout en confortant la compétitivité et l'attractivité de la base industrielle française. La concurrence entraînera des baisses de prix, en particulier au profit de ceux pour qui la fourniture d'électricité ou de gaz constitue un élément important de leur propre compétitivité. Cela renforcera la capacité d'attraction du territoire français aux yeux des investisseurs, contribuant ainsi à une politique dynamique de l'emploi. Une fourniture énergétique compétitive est un atout décisif, tout comme de bonnes infrastructures ou de bons services de télécommunications. C'est aujourd'hui le cas grâce à EDF et GDF. Cette situation favorable doit se prolonger non seulement pour les futurs "consommateurs éligibles" qui pourront choisir leur fournisseur, mais également pour tous les autres clients. L'évolution du marché permettra aux industriels de bénéficier d'offres multi-énergies pour l'ensemble de leurs sites en Europe. Elle permettra à EDF, entreprise totalement publique et qui le restera, -le Gouvernement s'y engage- de s'affirmer comme un opérateur global sur ce nouveau marché où elle dispose des meilleurs atouts.

Dans le même temps, nous entendons éviter que cette évolution se traduise par une concurrence inorganisée où se déliteraient les solidarités sociales et territoriales.

Dans le secteur énergétique, en particulier charbonnier, le développement économique a trop longtemps fait couler le sang et les larmes. Heureusement, le progrès social, dans le secteur de l'énergie grâce à la loi de 1946, a permis le développement d'une industrie de premier plan, au meilleur niveau mondial. Le Gouvernement ne pense pas que la poursuite de ce développement puisse passer par la négation des acquis sociaux, bien au contraire. Nous jugeons donc équitable que les futurs concurrents d'EDF sur le marché de l'électricité soient soumis aux mêmes règles sociales que l'opérateur en charge des missions de service public. Le statut des industries électriques et gazières sera maintenu dans les mêmes conditions qu'il l'a été depuis le loi de 1946 (Approbations sur plusieurs bancs du groupe socialiste). Nous croyons au développement d'une véritable logique de négociation de branche française, qui devrait déboucher sur une dynamique européenne au profit des salariés du secteur.

Performances économiques et progrès social ne doivent pas être opposées mais s'épauler mutuellement. L'accord sur la réduction du temps de travail à EDF et GDF en constitue une illustration exemplaire, grâce à l'attitude dynamique des partenaires sociaux. Le résultat de cette concertation avec tous les syndicats témoigne de l'amélioration du climat social.

Le Gouvernement estime d'autre part indispensable que les pouvoirs publics soient à même d'assurer la prise en compte des préoccupations de long terme, en particulier le respect de l'environnement. Dans le secteur de l'énergie, plus encore qu'ailleurs, il ne va pas de soi que le marché conduise instantanément et nécessairement vers le meilleur des mondes possibles.

C'est pourquoi l'Etat doit se préoccuper particulièrement de notre sécurité d'approvisionnement énergétique, des conséquences de nos actes sur l'environnement, et plus généralement de la préparation de l'avenir. Notre sécurité d'approvisionnement énergétique : plus de la moitié de notre consommation d'énergie est importée, le plus souvent à partir de pays où un opérateur dispose d'un monopole d'exportation. Qui peut croire que nous pourrons durablement importer du pétrole à un prix inférieur, en termes réels, à celui de 1973 ? Pour le Gouvernement, notre sécurité d'approvisionnement est un impératif politique essentiel. ("Très bien !" sur divers bancs). C'est pourquoi le projet de loi sur le service public de l'électricité prévoit une programmation pluriannuelle des investissements de production et la possibilité pour le Gouvernement de corriger les dérives qui pourraient éventuellement réduire cette sécurité d'approvisionnement.

Nous devons nous soucier également des conséquences de nos actes sur l'environnement, afin de préserver nos écosystèmes et de prévenir les risques pour la santé humaine. Dominique Voynet, au nom du Gouvernement, s'est solennellement engagée vis-à-vis de la communauté internationale et de l'Union européenne à stabiliser nos émissions de gaz à effet de serre. Ces engagements sont importants en termes éthiques, pour les générations futures, et en termes environnementaux. Ils auraient aussi des conséquences financières considérables, s'ils n'étaient pas tenus. En effet, si nous ne pouvons stabiliser nos émissions, nous devrions financer des droits d'émettre ces gaz. Nous ne connaissons pas encore le prix du droit d'émettre une tonne de CO2, mais la prudence veut qu'on évite une situation qui serait grave pour l'économie française, un véritable "choc CO2", alors que nous sommes aujourd'hui le pays industriel le moins polluant de la planète en la matière.

Nous devons nous préoccuper non seulement du long terme, mais du très long terme, non seulement du problème de réchauffement de la planète consécutif à l'accumulation de gaz à effet de serre, qui nous inquiète dès aujourd'hui, mais des dispositions à prendre pour que les déchets radioactifs soient correctement retraités, entreposés ou stockés et pris en charge, que leur période soit de quelques mois ou de quelques milliers d'années.

La programmation pluriannuelle des investissements de capacité de production d'électricité qu'apportera la loi sur l'électricité traduit la volonté des pouvoirs publics de pouvoir influer sur le "mix" des moyens de production nécessaires. Cet outil est important pour l'environnement : la production d'électricité est à l'origine de plus de 30 % des émissions de CO2 de l'Union européenne, même si ces émissions proviennent essentiellement du secteur des transports. Ce chiffre est beaucoup plus faible en France -moins de 10 %- grâce à la composition volontairement originale de notre parc de production d'électricité. Grâce à l'hydraulique, don de la géographie et de la nature, et au nucléaire, choix politique et technologique, près de 90 % de notre production d'électricité n'émet pas de CO2 : situation unique parmi les pays industriels. Depuis le premier choc pétrolier, grâce aux économies d'énergies réalisées pour environ un tiers, et grâce au développement de la production électro-nucléaire, pour environ les deux tiers, nous avons non seulement considérablement réduit notre dépendance énergétique mais également réduit d'environ 30 % nos émissions de CO2, pour ne rien dire des autres émissions polluantes. C'est précisément parce que nous avons déjà réduit nos émissions de CO2 que nous avons pu convaincre nos partenaires que leur stabilisation constituait pour nous un objectif équivalent à la réduction pour eux.

Se préoccuper du long terme signifie aussi nous préoccuper de l'avenir de nos industries et de nos atouts technologiques de premier ordre, avec le Commissariat à l'énergie atomique, l'Institut français du pétrole et le Fonds de soutien des hydrocarbures et, pour les énergies nouvelles renouvelables, l'ADEME.

Développer une politique énergétique équilibrée et respectueuse de l'environnement requiert une démarche à la fois résolue et rationnelle.

Résolue parce que ce qui manque le plus dans ce domaine et ce qui est le plus nécessaire, c'est la constance dans l'effort, d'autant que le prix de l'énergie est bas. Cette résolution a manqué à nos prédécesseurs, puisqu'ils ont fait passer de 300 millions à 75 millions les moyens budgétaires consacrés à la maîtrise de l'énergie et aux énergies renouvelables. Nous avons décidé d'y consacrer une ressource pérenne de plus de 500 millions par an dès 1999. C'est une contribution importante à ce que le Commissariat général du Plan a fort justement appelé "les chemins d'une croissance sobre".

M. Yves Cochet - Très bien !

M. le Secrétaire d'Etat - Notre démarche doit être rationnelle : il ne s'agit pas de faire n'importe quoi, ni de faire prospérer des illusions.

Les énergies renouvelables représentent déjà 12 % de notre consommation d'énergie en France. Tout doit être fait pour que leur contribution augmente.

M. Yves Cochet - Bien !

M. le Secrétaire d'Etat - Cependant, même avec des efforts d'une grande intensité -et nous y travaillons- en faveur des économies d'énergie ou des énergies nouvelles renouvelables, le nucléaire ne pourra pas, dans les trois ou quatre décennies à venir, être remplacé à due concurrence par ces solutions.

Nous devons aussi développer avec vigueur les productions d'énergie décentralisées. Le schéma de services collectifs de l'énergie figurant dans le projet sur l'aménagement du territoire, présenté par Dominique Voynet va dans ce sens.

Nous nous y employons en augmentant substantiellement les crédits de l'ADEME, et aussi grâce aux dispositions de la loi sur l'électricité, tendant à garantir un débouché à l'électricité produite à partir d'ENR, par exemple l'énergie éolienne, qui se développe rapidement, ou encore le biogaz, le solaire thermique, la biomasse et le bois. Le récent rapport de Jean-Louis Bianco ouvre des pistes prometteuses.

Nous devons aussi accentuer le développement des transports propres par des mesures fiscales et réglementaires appropriées. Plutôt que de fixer un niveau minimum, il serait plus fécond que ce choix énergétique tienne compte des préférences de nos concitoyens. Il existe déjà des compagnies de distribution d'électricité proposant à leurs clients un tarif "vert" leur garantissant que leur demande sera satisfaite exclusivement à partir d'énergies renouvelables.

M. Yves Cochet - Non, non !

M. le Secrétaire d'Etat - Je souhaite qu'EDF soit parmi les premiers en Europe à expérimenter un tel tarif.

La fiscalité des différentes énergies devra bien davantage tenir compte de leur impact environnemental. Des progrès ont été accomplis avec la loi de finances pour 1999. Nous ne ménagerons pas nos efforts pour parvenir à une bonne harmonisation communautaire de nos dispositifs fiscaux, dans un sens plus conforme à l'équité de la concurrence et à la dimension environnementale.

Une politique énergétique équilibrée consiste ensuite à diversifier les différentes sources d'énergie primaire.

L'heure n'est plus au tout pétrole, qui nous a conduits aux deux chocs pétroliers. Au début des années 1980, la facture énergétique de la France représentait un prélèvement extérieur de 6 % de notre PIB. Aujourd'hui, ce chiffre a été abaissé à 1 % ! Quel succès ! L'effet du prix du pétrole est évidemment important mais ce résultat a été également acquis grâce aux économies d'énergie. Cela n'enlève rien aux performances croissantes de nos industries pétrolière et para-pétrolière, qui sont aux tout premiers rangs mondiaux.

Mais l'heure ne peut pas être au tout gaz. Sans doute la progression raisonnable du gaz dans notre bilan énergétique est-elle positive. Mais nous dépendons pour près des trois quarts de pays extérieurs à l'Europe communautaire pour nos besoins en gaz. De plus le gaz n'est pas économiquement plus avantageux que le nucléaire pour la production d'électricité en base. En outre, si le gaz émet moins de CO2 que les autres énergies fossiles, il contribue davantage à l'effet de serre que les énergies qui n'en émettent pas du tout. Enfin, la volatilité des prix du gaz lui ôte une partie de son intérêt.

La place du charbon dans notre bilan énergétique va continuer d'évoluer. Il ne serait pas raisonnable de poursuivre son exploitation, dont le coût total pour la collectivité est d'environ 10 milliards pour 5,7 millions de tonnes en 1998. Les conditions de fermeture devront exprimer la reconnaissance de la nation à ces travailleurs de la mine, et tous les efforts doivent être mobilisés pour réindustrialiser ces bassins miniers. Je pense à Gardanne, à Alès ou à la Lorraine. Aussi l'effort financier en faveur de ces bassins, à travers le FIBM et le GIRZOM, doit-il rester soutenu. Le Gouvernement s'y engage. Enfin, si le charbon génère plus d'émissions de CO2 que toute autre énergie fossile, nous développons avec succès des techniques de charbon "propre", en particulier, celle du lit fluidisé circulant à Gardanne.

L'heure n'est plus non plus au tout nucléaire dont la part dans notre production d'électricité est proche de 80 %. Cette part excède la place prévisible de compétitivité du nucléaire. Le nucléaire représente à ce jour la meilleure solution pour produire la quantité d'électricité consommée en continu, mais n'est pas adapté aux pics de demande. Lorsque EDF renouvellera son parc de production, vers 2010-2020, ...

M. Yves Cochet - On ne le fera pas !

M. le Secrétaire d'Etat - ...le nucléaire ne représentera vraisemblablement qu'une part plus réduite, même si elle reste majoritaire, des capacités de production d'électricité.

Ni tout pétrole, ni tout nucléaire, ni tout gaz : notre politique énergétique doit être équilibrée.

Nous devons être conscients des avantages et des inconvénients de chaque filière. Ainsi le nucléaire n'émet pas de CO2 mais génère d'autres déchets.

M. Yves Cochet - Et pour longtemps !

M. le Secrétaire d'Etat - En revanche les coûts de production de cette filière sont les plus stables. Chaque filière doit faire l'objet d'une appréciation sur les "déséconomies externes" qu'elle engendre : s'il faut inclure le coût du démantèlement des centrales obsolètes et du retraitement concernant le stockage des déchets, il faut aussi évaluer le coût des dommages à l'environnement résultant de l'émission du gaz à effet de serre ainsi que les coûts externes des énergies nouvelles.

C'est pourquoi, même si le nucléaire demeurera le pilier de notre politique énergétique, nous entendons ouvrir les choix relatifs aux énergies primaires et valoriser nos atouts nationaux.

Enfin, nous devons conduire notre politique énergétique en tenant compte des aspirations de nos compatriotes à plus de transparence et de démocratie et en assumant nos responsabilités vis-à-vis de nos concitoyens et des générations futures, comme l'a souhaité le Premier ministre dès le 19 juin 1997.

Nos concitoyens sont en droit de bénéficier d'une information fiable et objective concernant les conséquences des choix de politique énergétique. Les choix publics doivent s'effectuer selon les procédures en vigueur dans notre démocratie.

Le Gouvernement a pris d'importantes décisions qui traduisent concrètement cette volonté. Je m'en réjouis d'autant plus qu'une information plus fiable ne peut que renforcer le soutien de l'opinion. Combien de personnes connaissent le bilan sanitaire et humain des différents modes de production énergétique ?

Ce débat contribuera à la transparence. Y contribuera également l'étude économique de l'ensemble de la filière nucléaire, y compris le retraitement dans les différentes hypothèses contenues dans le rapport du plan Energie 2010, qui a été confiée à MM. Charpin, commissaire au Plan, Dessus, directeur de recherche au CNRS et Pellat, haut commissaire du CEA et qui devra évaluer les coûts réels de l'aval du cycle.

Tous ceux qui participent au débat public doivent faire preuve d'objectivité et de responsabilité. Il serait aussi inacceptable de jouer sur les inquiétudes de nos concitoyens. Renvoyons dos à dos le lobby nucléaire et celui de la désinformation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

En cas d'accident grave, nos concitoyens se tourneraient vers l'Etat ; il faut donc éviter que pèse sur lui le soupçon d'un manque d'indépendance à l'égard des exploitants. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de déposer un projet de loi créant une autorité de sûreté indépendante au printemps prochain et de renforcer le rôle du Conseil supérieur de la sûreté des installations nucléaires et des commissions locales d'information ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste).

En ce qui concerne les déchets, le Gouvernement redoublera d'efforts pour que les retours dans les pays d'origine soient assurés avec la célérité nécessaire, en définissant avec les pays concernés des programmes pluriannuels de transports ; en ce qui concerne l'Allemagne, dans le prolongement du sommet de Postdam, le ministre allemand de l'environnement, M. Trittin, a pris l'engagement que, dès cette année, des retours auront lieu. Croyez bien que nous y veillerons.

Nous avons aussi à assumer nos responsabilités vis-à-vis des générations futures, qu'il s'agisse de la lutte contre l'effet de serre ou de la gestion des déchets nucléaires.

Plusieurs gaz à effet de serre, le principal étant le CO2, s'accumulent dans l'atmosphère chaude depuis que des relevés météorologiques existent, et sept années de la dernière décennie figurent parmi les dix les plus chaudes jamais enregistrées. Il faut en tirer des conséquences.

S'agissant de la gestion des déchets radioactifs, dont la durée de vie va de quelques jours à quelques centaines de milliers d'années, le Gouvernement a souhaité privilégier le principe de réversibilité. Les techniques progressent vite et il serait absurde que les générations futures ne puissent revenir sur nos choix. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas prendre de décision. Le Parlement a voté la loi Bataille à l'unanimité ; le Gouvernement a donné une suite concrète à ses principales dispositions : remontée en puissance de Phénix, décision de construire deux laboratoires de recherche souterrains, l'un dans des terrains granitiques, qu'il convient d'identifier dès 1999, l'autre dans des terrains argileux à Bure, dans la Meuse, augmentation des crédits consacrés à l'axe 3 de la loi de 1991 et étude de la possibilité d'un entreposage, en sub-surface dans le Gard.

Je conclus. Nous n'avons pas, collectivement, démérité. La politique énergétique menée depuis vingt-cinq ans est globalement un succès, mais le Gouvernement souhaite des changements radicaux de méthode et d'attitude.

Nous assumons nos responsabilités et en particulier nous maintenons nos options ouvertes afin de pouvoir utiliser au mieux les atouts dont nous disposons et adapter nos règles. Nous estimons pouvoir montrer à nos compatriotes qu'il est possible, dans ce secteur comme dans d'autres, de concilier réussite économique, compétitivité, choix technologique français et progrès social.

Nous voulons mener une politique énergétique globale, dans la transparence et avec un véritable contrôle démocratique ; ce sera le Parlement qui aura le dernier mot (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Guy Hascoët - Premier orateur inscrit, je vais m'employer à expliquer qu'on peut mener une grande politique énergétique en se passant du nucléaire... Je vous offrirai à tous un petit ouvrage sur ce sujet.

Un débat avait déjà eu lieu il y a dix-huit ans... Il fut court et ne répondit pas vraiment aux attentes des écologistes. Celui-ci sera court aussi, mais le contexte est différent : à l'époque, il n'y avait pas de députés Verts, et nos idées étaient moins largement partagées dans l'opinion ; aujourd'hui, dans cet hémicycle même, entre 50 et 70 députés, tous bancs confondus, ont dévié de la pensée unique.

Nous continuons à considérer qu'accepter le cadeau empoisonné des déchets est prendre un risque démesuré. J'espère que les études de coûts seront fructueuses.

L'atome a été le dieu païen de la guerre froide ; mais maintenant que le mur de Berlin est tombé, il faut raisonner différemment. Imaginez seulement, chers collègues, que vos affirmations d'aujourd'hui se révèlent erronées ; les propositions que je formule pourraient alors vous paraître utiles, car aujourd'hui vous mettez tous vos oeufs dans le même panier.

Si l'on se fonde sur la norme internationalement reconnue, on constate que l'électro-nucléaire représente 15 % de l'énergie finale consommée dans notre pays. Autrement dit, 85 % de celle-ci ne dépend en rien du nucléaire.

Le premier objectif de notre politique doit être de développer l'efficacité énergétique. Le développement du chauffage électrique n'est pas une formule intéressante.

Il contribue à l'endettement des ménages les plus modestes, et c'est une solution d'un faible rendement technique. Or, 38 % de notre électricité servent au chauffage. Nous avons imaginé des scénarios sur 15 ou 25 ans, permettant plus de justice sociale, ainsi que des économies globales. Et pour l'emploi, il faut donner leurs chances à toutes les nouvelles filières. On peut donc imaginer des substitutions à l'échéance de 2015 ou 2020. Cette volonté semble aujourd'hui partagée par tous : pourtant, 90 % de l'argent de la recherche continuent d'aller au nucléaire -18 milliards sur 20-, alors qu'on a déjà dépensé près de 600 milliards en 40 ans, pour conduire parfois à des impasses, tandis que les autres techniques ont dû se contenter de quelques millions.

M. Yves Cochet - Très bien !

M. Guy Hascoët - Si nous voulons une nouvelle orientation politique, il faudra changer les normes de l'habitat, de la consommation, organiser un schéma collectif pour le transport des marchandises, et donner aux collectivités locales un rôle majeur pour accompagner l'Etat dans une nouvelle politique énergétique.

Certains ont rêvé d'une énergie éternelle et universelle, le nucléaire. Mais l'inventivité humaine ne s'arrête pas.

M. André Lajoinie, président de la commission de la production - Il n'y a rien d'éternel !

M. Guy Hascoët - Tous les paramètres de choix sont évolutifs, des techniques nouvelles apparaîtront.

M. le Président - Il faudrait conclure.

M. Guy Hascoët - J'y pense ! Mais comme je serai sans doute le seul à parler dans ce sens... Nous croyons possible de faire le choix d'une politique différente, et aussi moins coûteuse.

M. Yves Cochet - Voilà !

M. Guy Hascoët - C'est dans cette voie qu'il faut s'engager.

Quant à l'emploi, gardons-nous de "faire peur". L'emploi industriel existe dans toutes les unités de production, il y a en a aussi dans les filières nouvelles et dans le domaine de la maîtrise de l'énergie -nous sommes prêts à en débattre avec les syndicats, car notre scénario est celui de la solidarité, avec les autres peuples, comme avec les consommateurs les plus modestes. Nous pensons aussi qu'il faut un grand service public de l'énergie, qui soit aussi l'instrument d'une maîtrise de la demande. C'est ainsi que nous pourrons relever le défi des cinquante ans à venir. Puissiez-vous, chers collègues qui après moi parlerez, accepter d'ouvrir les portes de l'avenir (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. François Goulard - Les débats concernant le secteur énergétique prennent toujours un tour curieusement polémique. Cette polémique, aujourd'hui surtout interne au Gouvernement et à la majorité, polarise à propos du nucléaire des opinions extrêmement tranchées, voire simplistes. Dire, comme l'a fait le Premier ministre, qu'il y a un groupe contre le nucléaire -les Verts- et tous les autres pour, c'est trop réduire le débat, les choses sont plus complexes.

Les discussions sont rarement rationnelles, mais il s'agit en définitive de savoir si l'intervention de l'Etat dans ce secteur économique est légitime et efficace. Légitime, l'intervention de l'Etat le fut sans doute lors du lancement de la filière nucléaire française, lorsqu'il fallait coordonner les recherches militaires et civiles. Légitime, elle l'est à coup sûr lorsqu'il faut intégrer la protection de l'environnement dans le domaine énergétique. Légitime, elle l'est aussi lorsqu'il s'agit de protéger la santé publique.

Mais le poids du secteur public dans le domaine de l'énergie, les monopoles que la puissance publique s'est attribués sont aussi à l'origine d'un manque de transparence et d'un défaut de rationalité économique -vous voyez que vous n'êtes pas toujours seul, Monsieur Hascoët.

Le souci de transparence exprimé aujourd'hui par l'opinion est parfaitement légitime. Certes, l'industrie nucléaire, qu'il s'agisse de la production du combustible, de l'exploitation des centrales ou du retraitement, a atteint un degré de sécurité et de fiabilité très élevé -et je crois même que, cette industrie est infiniment moins dangereuse que beaucoup d'autres, et que la revendication écologiste d'un arrêt du nucléaire est infondée et irrationnelle.

Cela étant, s'il faut reconnaître un mérite à la démarche écologiste, c'est d'ouvrir un débat. L'organisation même du secteur, qui repose sur quelques grands établissements publics, très proches par la force des choses de l'autorité de tutelle, n'engendre certes pas la diversité d'opinions.

On peut comparer cela à ce qui s'est passé dans certaines grandes banques publiques : à l'origine de la conduite aberrante de certains dirigeants, il y a l'excessive proximité de la direction du Trésor et des établissements qu'elle devait contrôler, avec la regrettable habitude de réserver les emplois de direction de ces banques publiques à d'anciens fonctionnaires du ministre de tutelle. Or, il en va de même dans le secteur énergétique.

M. Michel Inchauspé - Très bien !

M. François Goulard - Sans mettre en cause la probité des hommes, je regrette que l'expertise soit également concentrée sur le plan économique. Ainsi à propos du prix de l'électricité produite à partir des différentes sources d'énergie : comment considérer comme totalement crédibles des données qui viennent d'une source unique, EDF ? Le quasi-monopole du secteur public est un obstacle sérieux à la transparence scientifique et économique.

Or, cette opacité s'accompagne d'un manque de rationalité économique. Les réussites techniques, aussi brillantes soient-elles, ne sont pas toujours des réussites économiques : nous en avons eu quelques exemples, dans le secteur public en particulier.

Si notre filière électro-nucléaire est incontestablement une réussite au plan technique, la part du nucléaire dans notre production d'électricité fait de la France un cas spécifique. Or il est rare d'avoir raison contre tous. Notre singularité fragilise notre situation. Ainsi, l'interruption par l'Allemagne de son contrat avec la Cogema, aussi choquante soit-elle, était pourtant prévisible. A retenir des options tout à fait différentes de celles de nos partenaires, nous risquons de transformer nos réussites techniques en échecs économiques.

Ces choix univoques sont le produit d'un système de décision trop concentré et peu ouvert. Nous voyons que des solutions techniques rejetées par EDF sont exploitées avec succès à l'étranger, comme la cogénération. Il est donc nécessaire d'introduire la concurrence dans la production énergétique. La transposition de la directive européenne sur l'électricité devrait nous en donner l'occasion : nous examinerons en effet un projet en ce sens dès le mois prochain.

Toutefois, le Gouvernement n'a manifestement pas choisi de développer la concurrence et de garantir la diversité sur ce marché. C'est pourtant dans ce sens que devrait s'orienter notre politique énergétique qui, sans renier les succès du passé, doit nous préparer aux exigences de l'avenir (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. François Hollande - La politique de l'énergie a longtemps souffert d'un déficit démocratique. La rareté des débats, l'opacité des données, la prééminence des experts et le goût du secret ont abouti à la pire des désinformations Si des progrès ont été réalisés, il reste encore beaucoup à faire. Il faut donc que le Parlement se saisisse de ce sujet éminemment politique, qui touche à l'indépendance énergétique de notre pays, à son économie, aux questions d'environnement et à la vie de nos concitoyens. Les fonds publics en cause sont importants et l'avenir des générations futures est en jeu.

Ce débat, qui constitue un progrès, appelle d'autres avancées démocratiques. En février, nous examinerons les projets relatifs au service public de l'électricité et à la transparence des contrôles dans le secteur nucléaire. Je souhaite en outre que le Parlement joue un rôle plus grand dans ce domaine.

Qu'attendre de cette discussion, sinon qu'elle nous permette de fixer les enjeux et de définir une politique ? Pour le groupe socialiste, il y a trois priorités : la maîtrise, la diversification et la transparence.

S'agissant de la maîtrise de l'offre, le marché de l'énergie ne sera jamais comme les autres. Les décisions prises en la matière nous engagent pour le moyen et le long terme. Le marché, à lui seul, ne peut prendre en considération les contraintes écologiques ni garantir l'égal accès de tous à l'énergie. La régulation et l'intervention publiques sont nécessaires. Il faut s'en tenir à quelques grands principes : la fixation des objectifs par la puissance publique ; la présence d'un opérateur public, car nous sommes attachés au statut d'EDF ; la nécessité d'une fiscalité écologique qui encourage l'utilisation de certaines énergies plutôt que d'autres ; et enfin, le maintien de la péréquation tarifaire. L'énergie est un domaine dans lequel le libéralisme n'a pas sa place.

M. François Goulard - Vous verrez, avec l'Europe !

M. François Hollande - Limiter les émissions de carbone suppose des engagements financiers importants. Il faut redéployer nos moyens budgétaires. A cet égard, je me félicite que, dans le budget pour 1999, 500 millions aient été alloués à la maîtrise de l'énergie.

Nous devons par ailleurs diversifier nos sources d'énergie. Depuis le premier choc pétrolier, la France a développé la filière nucléaire, qui produit actuellement 80 % de l'électricité consommée. Ce choix a eu des avantages et il faut reconnaître que les gouvernements des années 70 ont eu du courage en le défendant. Il a garanti notre indépendance énergétique et diminué nos coûts à la production. Cependant, le marché a évolué. Il faut réexaminer, sereinement, notre politique énergétique en se gardant de tout manichéisme. Il n'est pas question d'opposer le "tout nucléaire" au "tout gazier". Refusons ces idéologies primaires, qui font le jeu des lobbies.

Je ne souhaite pas m'en remettre au seul nucléaire, mais il ne sera pas possible avant longtemps de se passer de cette énergie. Nos choix doivent se fonder sur les coûts comparatifs et les considérations écologiques. Chaque énergie, si on lui trouve son bon usage, aura son meilleur rendement. On connaît tout l'intérêt du gaz, qui pourtant joue un rôle dans l'effet de serre et pose un problème d'approvisionnement. Donnons à cette énergie sa place et développons les énergies renouvelables.

Il faut enfin veiller à la transparence du système, afin de faire connaître la vérité sur les conditions de production, sur le traitement des déchets et sur les coûts comparatifs.

Dans ce but, il importe de démocratiser les institutions en charge du nucléaire, renforcer le rôle du Parlement dans ce domaine et créer une autorité indépendante pluraliste, dotée de réels pouvoirs de décision et de sanction.

Nous sommes en droit d'exiger des opérateurs la plus grande transparence.

S'agissant des déchets, il nous appartient de tout mettre en oeuvre pour que la loi Bataille soit appliquée, ce qui suppose le redémarrage de Phénix, l'ouverture de deux laboratoires de recherche et la réversibilité des installations de stockage. La France n'a aucune raison de laisser perdre son avance technologique dans le domaine du retraitement des déchets radioactifs, à condition que cette filière reste compétitive et que sa sûreté soit garantie.

Au niveau européen, une stratégie coordonnée doit être mise en place. Il n'est pas question de nous soumettre à des choix contraires aux nôtres, mais nous ne voulons pas non plus imposer nos options aux autres. A cet égard, je respecte le choix souverain que viennent de faire nos amis allemands. Mais il faut que les contrats passés soient respectés : c'est un principe de droit international (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Nous devons répondre à une exigence de court terme -assurer la fourniture énergétique de notre pays -en même temps qu'à une exigence de long terme- ne pas faire payer nos choix aux générations futures.

La responsabilité de définir la politique énergétique appartient en premier lieu à la représentation nationale. A elle de s'en persuader (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Franck Borotra- Monsieur le ministre, votre discours est sympathique, mais il n'est pas exempt d'ambiguïtés ou d'arrière-pensées politiques.

Ce débat, en outre, arrive tardivement, et se déroule sons une forme particulière : nous n'examinons pas un texte, alors qu'il faut transcrire en droit interne la directive européenne sur l'électricité...

Ce débat est trop limité dans le temps puisque, par exemple, le groupe RPR n'aura que trente minutes pour expliquer ses choix. Robert Galley et moi, nous nous sommes partagé la tâche.

Je voudrais faire trois remarques préalables. En premier lieu, la politique énergétique est une politique à long terme. En tant que telle, elle doit pouvoir résister à l'alternance et faire l'objet d'un consensus. Ce consensus a existé pendant vingt-quatre ans. La majorité l'a rompu en prenant au sujet de Superphénix une décision sur des critères exclusivement politiques, et même politiciens puisqu'il s'agissait simplement, sans débat, sans justification scientifique, technique ou économique, de faire une concession aux Verts. On sait donc maintenant que des préoccupations partisanes peuvent l'emporter sur un intérêt d'Etat. La confiance est sapée.

Deuxième remarque : en matière énergétique, il n'y a pas d'exception française. Notre pays est soumis aux mêmes évolutions et aux mêmes contraintes -parfois même à plus de contraintes- que ses concurrents. Il ne peut faire abstraction de la libéralisation des marchés, du mouvement de privatisation des opérateurs, de l'abaissement des coûts de transports ou de l'interconnexion des réseaux. Nos choix énergétiques doivent intégrer les contraintes internationales.

Troisième remarque : tout le monde connaît les données essentielles de la politique énergétique, il suffit de prendre comme références le rapport du commissariat au Plan, les études d'EDF, du CEA, des sociétés pétrolières...

Ces remarques faites, je souhaite attirer l'attention sur quatre points : l'émergence de la notion de réversibilité des choix énergétiques, la priorité à donner aux problèmes de sûreté, l'apparition de marchés qui obligent à une mutation profonde des entreprises publiques monopolistiques et marquent la fin du client captif, la pression des opinions publiques -on ne peut plus décider comme il y a vingt ans ou même comme il y a un an.

Dans ce contexte, y a-t-il une place pour une politique énergétique nationale ? Oui, mais elle ne peut plus s'inscrire dans le même cadre qu'autrefois. Il faut donc en reformuler les fondements en y intégrant, outre l'indépendance énergétique, la sécurité d'approvisionnement, les missions de service public : l'adaptation aux marchés et à la concurrence, le respect de l'environnement, la valorisation de nos filières industrielles et donc l'emploi, la dimension territoriale.

L'Etat doit modifier ses procédures, lever ses tutelles et s'en tenir à un rôle de chef d'orchestre. Il doit se concentrer sur ses responsabilités essentielles, à savoir le choix d'une stratégie, la définition des missions de service public, le soutien à l'effort de recherche, la sûreté. Mais parler d'autorité indépendante pour la sûreté, Monsieur Hollande, c'est jeter le discrédit sur l'objectivité de l'administration. Pourquoi toujours vouloir faire appel à des autorités indépendantes ?... On peut sans doute envisager la transformation de l'IPSN en établissement public industriel et commercial, mais à condition que l'Etat n'abdique pas ses responsabilités propres et pourvu que la recherche en sûreté reste au sein du CSA. Séparer l'IPSN de la recherche est dangereux, mais séparer la recherche en sûreté du CEA me paraît carrément impossible. Il appartient enfin à l'Etat d'orchestrer la concurrence entre les différentes sources d'énergie.

Pour cela, l'administration doit se transformer et le rôle du Parlement se renforcer. Nous avons besoin d'une loi d'orientation et, peut-être, d'une sous-commission permanente de la commission de la production qui assure le suivi des décisions. Il faudrait aussi mettre en place un observatoire permanent de l'énergie.

Reformuler les fondements, donc, mais aussi choisir une stratégie à long terme. Elle doit se fonder, me semble-t-il, sur une maîtrise de la demande, et des risques, plutôt que sur un élargissement sans fin de l'offre. Le nucléaire doit rester au coeur du dispositif mais celui-ci doit s'ouvrir à une véritable diversification, et pour que celle-ci soit possible, il faut développer notre maîtrise scientifique, technologique et industrielle de toutes les formes d'énergie : la politique énergétique est dans ce domaine inséparable d'une politique industrielle. La diversification implique aussi une concurrence équitable entre les différentes énergies, ce qui pose le problème récurrent de la fiscalité et de l'évolution des entreprises publiques. Une stratégie fondée sur la maîtrise de la demande sera longue à mettre en oeuvre et implique des choix à long terme dans le domaine des transports, de l'urbanisme, de l'immobilier et de l'aménagement du territoire.

Concernant le nucléaire, je veux simplement faire deux remarques. Alors que l'option nucléaire exige une forte implication internationale de la France, le moins que l'on puisse dire est que le Gouvernement envoie actuellement des signaux contradictoires. J'observe en second lieu que, de même que le gouvernement français a sacrifié Superphénix pour de pures raisons politiciennes (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), le gouvernement allemand a pris la décision de sortir du nucléaire sans savoir comment compenser le tiers de la production d'électricité d'origine nucléaire, sans savoir le coût de cette décision par rupture de contrat, sans savoir comment les 3 500 tonnes de déchets allemands retraités à La Hague -plus 1 000 tonnes en attente de retraitement- vont prendre le chemin du retour. Je rappelle qu'à ce jour deux convois seulement ont été réalisés avec d'incroyables précautions pour déjouer les provocations des amis de Mme Voynet et éviter des scènes d'émeutes en Allemagne.

La stratégie que j'ai exposée implique d'encourager le développement et la maîtrise technologique et industrielle des nouvelles filières. Je pense en particulier à celle du charbon propre. Dans ce domaine, la bataille se jouera en Asie, où les entreprises françaises -Gec-Alsthom et EDF- ont déjà remporté de beaux succès face aux mastodontes américains. Il faut maintenant rapprocher les ensembliers-ingénieristes publics de façon à conforter nos techniques et soutenir les entreprises performantes.

Je pense aussi à la cogénération. Comme ministre de l'industrie, j'avais élaboré en mars 1997 un cadre favorable à la cogénération pour une durée de deux ans. Mais la Digec a indiqué, fin 1998, que les projets de cogénération éligibles seraient ceux respectant l'obligation d'achat de la loi de 1946, soit 8 mégawatts et les réseaux de chaleur. Le directeur de la Digec a même dit qu'il ne voulait pas adhérer à une politique de subvention dans le domaine de la cogénération. Je suis en désaccord, car la cogénération doit rester un objectif important de production complémentaire d'électricité, comme cela se fait du reste dans tous les pays européens. Il faut donc aider les PME-PMI françaises à développer leur propre projet de cogénération.

Par ailleurs il faut accélérer l'évolution des entreprises publiques. Elles doivent devenir des entreprises à part entière, dotées de moyens de faire face à la concurrence, de nouer des partenariats industriels, de se développer au plan international en élargissant leur offre au multiénergie et au multiservice. EDF doit rester une entreprise publique détenue à 100 % par l'Etat, si possible avec un statut de droit commun et une filialisation de ses activités de diversification. GDF doit devenir une société anonyme majoritairement détenue par l'Etat et ouvrir son capital à des partenaires producteurs ou industriels, pour conforter sa position d'opérateur international au-delà du transport et de la distribution de gaz. Le rachat à Total de sa participation dans le champ de Murdoch va à cet égard dans le bon sens.

Framatome, au-delà de sa diversification dans la connectique, doit trouver un partenariat industriel majeur. Un rapprochement avec un industriel de même métier permet sans doute d'atteindre la masse critique, mais n'élargit pas le plan de charge : il faut chercher un partenaire qui permette une offre globale d'énergie. C'est sur un vrai projet industriel que Framatome pourra engager sa privatisation, qui après tout a été son statut pendant l'essentiel de son existence.

Je suis personnellement favorable à une ouverture du capital de COGEMA mais non à sa privatisation : peut-être cette grande entreprise peut-elle devenir le gestionnaire des intérêts miniers français, ce qui éviterait pour l'avenir des sinistres du type Yanacocha avec le BRGM. Ces restructurations constituent un enjeu technologique pour l'industrie française. Un mot sur les freins internes au développement de la politique énergétique. C'est tout d'abord la résistance au changement et le mythe de l'exception française. Ainsi la transcription de la directive électricité se heurte au conservatisme, ce qui pousse le Gouvernement à vider de l'essentiel de son contenu le pourtant modeste créneau d'ouverture à la concurrence. Si le texte n'est pas amendé, nous ne pourrons pas le voter. Second frein, le niveau exorbitant et l'incohérence de la fiscalité qui pèse en France sur l'énergie, et je reconnais volontiers que cela ne date pas d'aujourd'hui.

L'essence est en France taxée à 400 % de son prix hors taxe : les fiscalités en Europe sont disparates, et la nôtre est fortement discriminatoire entre les différentes sources d'énergie, sans justification rationnelle. Tout cela est encore davantage brouillé par des projets dangereux : le projet européen de taxe sur l'énergie, y compris le gaz et l'électricité peu taxés en France, et le projet de taxe générale sur les activités polluantes qui viendrait encore fragiliser le secteur industriel. Il faut une refonte globale du système de taxation, qui fasse disparaître les discriminations entre produits pétroliers de même usage, et entre les différentes forme d'énergies concurrentes, sauf exceptions bien identifiées.

J'évoquerai enfin les incohérences gouvernementales. C'est l'arrêt du Superphénix, qui devait expérimenter la destruction de radio-éléments à vie longue dans les déchets nucléaires, alors que Phénix est en révision. Ce sont les retards sur des décisions nécessaires : retard de dix-huit mois sur le dossier du contrôle nucléaire, décision sur un seul site de laboratoire souterrain, retard sur l'extension de la moxisation à vingt-huit tranches des centrales nucléaires. Le Gouvernement a d'autre part laissé se détériorer le climat autour de La Hague et donc de la filière de retraitement, prochaine cible des anti-nucléaires. Il tient un langage irréaliste sur les énergies renouvelables et sur la sobriété énergétique, alors qu'il n'y a pas de politique réelle de réduction des consommations. Il appelle à la démocratisation du débat mais ferme Superphénix sans vote du Parlement... Telle est l'analyse que je souhaitais présenter au nom du groupe RPR (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Claude Billard - Je me félicite que le Gouvernement ait accepté que la question énergétique soit aujourd'hui abordée devant la représentation nationale, à la suite de nombreuses demandes, en particulier celles du groupe communiste. Je m'interroge toutefois sur la portée de cette séance où, le Gouvernement ayant exposé sa politique, les groupes exposent leur point de vue mais ne sont pas invités à se prononcer sur cette politique. La méthode relève donc plus de l'information que d'un véritable débat, lequel aurait d'ailleurs dû intervenir plus tôt, car nous sommes à peine à un mois de la discussion d'un projet capital pour nos choix énergétiques : la transcription de la directive européenne sur l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité.

Une politique énergétique de progrès doit en priorité répondre aux besoins de la Nation et de la population. Elle doit donc contribuer à réaliser les objectifs essentiels qui orientent l'action politique générale et déterminent le contenu de la croissance. La politique énergétique doit ainsi anticiper sur la croissance et se fixer des objectifs prioritaires : développer la consommation et l'emploi, concourir à la réduction des inégalités sociales et au développement de nos industries, assurer l'indépendance nationale et un rééquilibrage de nos échanges extérieurs.

Cela implique une politique diversifiée qui prenne en compte la complémentarité des sources d'énergie, tout en se rappelant qu'au-delà d'un siècle, en l'état actuel des connaissances, seuls le charbon et le nucléaire pourront jouer un rôle essentiel. Il faut donc trouver un équilibre satisfaisant au plan économique, social et environnemental entre les diverses sources d'énergie et économiser les combustibles fossiles, conditions indispensables si nous voulons préserver l'avenir des générations futures.

Dans ce cadre, le développement d'une nouvelle technologie comme celle du charbon propre permettrait d'accroître la part du charbon. L'hydraulique a presque atteint ses limites. La promotion des énergies renouvelables comme le solaire, l'éolien, la géothermie, la biomasse ou les piles à combustible nécessite un effort soutenu. Mais ces énergies sont limitées par nature et ne sauraient permettre la production de masse dont nous avons besoin pour assurer la vie quotidienne et aller vers l'égalité de consommation énergétique domestique entre tous les citoyens.

Enfin, il faut réinscrire parmi les priorités une politique de maîtrise de l'énergie, et donc poursuivre la recherche, développer et encourager les prises de décision en la matière. Les efforts du Gouvernement en ce sens, avec l'importante dotation budgétaire de 500 millions pour l'ADEME, sont à souligner.

M. Yves Cochet - Elle est trop faible.

M. Claude Billard - Dans un contexte de mondialisation, de globalisation et d'ouverture des marchés, il est nécessaire, comme vous l'avez fait, Monsieur le ministre, de réaffirmer une politique énergétique nationale avec une forte implication de l'Etat. Depuis des années, les deux axes de notre politique énergétique sont la primauté de l'énergie nucléaire pour la production électrique, et la diversification de nos sources d'énergie et de nos approvisionnements. Il ne saurait être question de remettre en cause ces orientations comme le préconisent certains, y compris dans la majorité. Mais d'autres objectifs s'imposent aussi : garantir la sécurité des approvisionnements, lutter contre l'effet de serre. Par le choix de l'électricité nucléaire, qui représente 80 % de la fourniture électrique totale, notre pays a ramené son taux d'indépendance énergétique de 23 % en 1973 à 52 % aujourd'hui ; dans le même temps, la part du pétrole dans le bilan énergétique passait de 70 % à 40 % et la facture énergétique de 6 % du PIB en 1980 à 1,2 % actuellement. La prépondérance du nucléaire explique sans doute aussi pourquoi la France n'est, en valeur absolue, qu'au dixième rang des pays émetteurs de CO2.

Toutefois, depuis les premiers chocs pétroliers, le contexte national et international a radicalement changé. Il faut réactualiser les données du débat énergétique français, dans un contexte caractérisé par l'existence des directives européennes sur le gaz et l'électricité, les préoccupations mondiales en matière d'environnement exprimées notamment à Kyoto et à Buenos-Aires, et l'appropriation par nos concitoyens du débat sur la sûreté nucléaire, qui exprime des exigences légitimes de transparence, de contrôle et de respect de l'environnement.

Dans ce cadre, maintenir le principe d'une politique nationale de l'énergie est une impérieuse nécessité pour contrer les effets néfastes de la libéralisation croissante des économies qui nous entourent. Cela implique que la politique du Gouvernement soit plus clairement identifiable. Elle semble en effet connaître ces derniers temps quelques soubresauts et incertitudes, en particulier quant aux orientations de notre politique nucléaire. Certes, nous nous félicitons que le comité interministériel du 9 décembre dernier, présidé par le Premier ministre, ait réaffirmé "le choix de l'énergie nucléaire comme composante majoritaire de l'approvisionnement électrique national", en se référant notamment aux travaux du Comité interministériel sur l'effet de serre du 27 novembre 1998 et aux hypothèses présentées par le Commissariat général du Plan Energie 2010-2020. Mais cette orientation est assortie de l'affirmation tout à fait discutable que la part du nucléaire serait appelée à diminuer par rapport au niveau actuel. Pour quelle raison ? Il est indispensable que la représentation nationale débatte de cette hypothèse et que le Gouvernement précise ses intentions. Il ne faudrait pas accepter trop facilement les réponses que propose actuellement un marché libre de l'énergie, dominé par les multinationales du pétrole et de grands groupes charbonniers. Une politique de bas prix de ces ressources non renouvelables, émettrices de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques classiques, est évidemment rentable à court terme pour les gros consommateurs d'énergie et les producteurs. La libéralisation imposée dans ce sens par les directives européennes sur l'électricité et le gaz est-elle compatible avec nos engagements internationaux de réduction des gaz à effet de serre ? Des experts ont calculé que la substitution de l'électronucléaire par le gaz, le pétrole et le charbon pour 25 % de la production électrique nationale se traduirait par 45 millions de tonnes de CO2, soit 10 % du total des émissions françaises... Les appétits des grands groupes, particulièrement intéressés par la production d'électricité pour leurs clients industriels à partir de combustibles fossiles, empêcheront-ils notre pays de respecter ses engagements de stabilisation de gaz à effet de serre ?

Enfin, si l'on acceptait l'hypothèse d'une diminution de la part du nucléaire, on risquerait de voir s'installer un système à deux vitesses : d'une part une énergie relativement chère et rationnée pour le plus grand nombre, au nom d'une croissance sobre en énergie et d'une taxation élevée exigée par le Pacte de stabilité et la lutte contre l'effet de serre ; d'autre part une énergie libre et à bas prix pour les industriels, produite par eux et au détriment du service public -pour l'électricité-, au nom du libre jeu du marché et de la concurrence mondiale, ce qui rendrait impossible toute taxation nationale et européenne des combustibles industriels.

Il est donc impératif et urgent de prendre certaines décisions. A cet égard, il est préoccupant, pour ne pas dire plus, que la direction d'EDF n'envisage aucune construction de centrale nucléaire, aucune nouvelle installation hydraulique, aucune construction de centrale thermique avant 2010. On constate pourtant depuis vingt ans que la consommation d'électricité augmente au moins comme l'activité économique. Malgré un léger ralentissement prévisible de la croissance, on peut néanmoins estimer que les besoins d'énergie auront doublé dans vingt ans. En raison du vieillissement de ses centrales, EDF ne couvrirait alors plus que 50 % des besoins nationaux. Entre la décision de construire une centrale et le lancement de sa production, il faut compter au moins dix ans de délai. Pour être en mesure de renouveler notre parc à l'horizon 2010, c'est donc aujourd'hui qu'il faut trancher sur la programmation des centrales et la place du nucléaire dans la consommation énergétique.

Cela nécessite notamment puisque le projet franco-allemand de réacteur EPR est prêt, d'inciter nos partenaires allemands à poursuivre activement cette coopération. Ne renouvelons pas la grave erreur de stratégie industrielle et sociale commise avec l'abandon de Superphénix, qui handicape lourdement l'avenir de la filière électronique nucléaire française en coupant l'un des maillons de la chaîne entre l'amont et l'aval du cycle du combustible.

M. Robert Galley - Très bien.

M. Claude Billard - En outre, notre pays doit être particulièrement ferme face aux récentes décisions du gouvernement allemand sur le retraitement des déchets. Mettre en difficulté l'industrie du retraitement menace à terme la production d'énergie nucléaire dans notre pays (Murmures sur quelques bancs du groupe RCV). Le gouvernement allemand ne peut pas faire valoir la clause de force majeure pour justifier son refus de compensation financière. Les engagements internationaux pris, entre la France et l'Allemagne en 1990 doivent prévaloir sur les contrats entre la COGEMA et les électriciens allemands.

Nous ne pourrions pas accepter que les atouts du nucléaire civil acquis par EDF soient sacrifiés par une décision portant atteinte à l'intérêt national et contraire à une construction européenne fondée sur la coopération et le respect mutuel.

Voilà quelques unes de nos propositions, dont nous souhaitons que le Gouvernement les prenne en compte dans la définition de la politique nationale de l'énergie (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Claude Birraux - De tout temps, l'énergie a été associée à la vie et l'homme primitif veillait sur le feu comme sur son bien le plus précieux.

Peu de nos concitoyens se souviennent de la crise des années 1970 et du rationnement de l'essence. La France a bâti une politique énergétique qui en tirait les leçons.

Dans notre pays qui possède peu de ressources énergétiques, l'énergie n'est pas un bien de consommation comme les autres.

Il nous faut prévoir l'approvisionnement dans le long terme, obtenir des prix compétitifs et assurer notre indépendance énergétique.

A partir de là un programme électronucléaire d'envergure a été lancé, que l'alternance de 1981 a globalement conservé.

Le débat d'aujourd'hui a lieu alors que la décision a été prise le 9 décembre, et quelques jours avant la discussion sur la directive électricité. En 1993, Gérard Longuet avait procédé de façon inverse.

Pourquoi ne pas avoir organisé un débat, demandé par l'opposition, comme par certains membres d'autres groupes, avant de décider de l'avenir de Superphénix ?

Vous avez suivi la conception stalinienne du débat démocratique de vos alliés Verts. Comme les talibans, ils avaient lancé une fatwa qui devait être exécutée sans discussion ! (Exclamations sur certains bancs du groupe RCV et du groupe socialiste)

Pourtant le consensus était possible sur un arrêt programmé à court terme sans tout ce gâchis.

J'avais dit que votre commissaire à la reconversion du site ne serait que l'ordonnateur des pompes funèbres. Quel est son bilan ? Qu'avez-vous apporté qui mette un peu de baume sur la désespérance des populations ? Que répondez-vous à ma proposition d'étude de faisabilité d'implantation de la tête de série EPR à Creys-Malville ?

A Kyoto, des engagements ont été pris pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Les rejets en équivalent CO2 par kwh électrique vont de 650 grammes pour le gaz à 25 grammes pour le nucléaire.

Le rejet de CO2 en tonne par habitant et par an est de 5,2 tonnes aux Etats-Unis, de 3,2 tonnes en Allemagne, et de 1,8 tonne en France.

Une centrale au charbon de 1 000 mégawatts rejette 1 500 tonnes de poussières, 5 millions de tonnes de CO2 et de la radioactivité.

Les pays européens se sont engagés à réduire de 8 % leurs rejets de gaz à effet de serre par rapport à 1990. La France, compte tenu de son bilan favorable, devra stabiliser ses émissions, alors que l'Allemagne devra les réduire de 21 % !

Voilà qui répond à des pays comme le Danemark, qui sont de beaux parleurs, mais de piètres pratiquants.

Le nucléaire a un avenir dans notre pays où il est exploité dans des conditions de sûreté et de fiabilité grandes. La durée de vie des centrales devra être appréciée au cas par cas.

J'ai étudié dans un récent rapport pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, le réacteur franco-allemand EPR. La mise au point a induit une coopération franco-allemande exemplaire, tant entre les autorités de sûreté, les chercheurs et les techniciens et les entreprises des deux pays.

Ce réacteur représente le système le plus avancé au monde.

Faut-il lancer sa construction alors qu'il est en phase d'avant-projet détaillé ? Tout à l'heure, vous êtes resté muet.

Le Gouvernement a déclaré laisser toutes les options ouvertes.

Les besoins ne sont pas immédiats, mais les organisations syndicales font justement observer qu'on ne peut pas raisonner en flux tendu.

Framatome compte sur une série de 7 ou 8 réacteurs, ce qui signifie remplacer 1 sur 7 des réacteurs existants. Ainsi la décision d'engagement d'une tête de série doit-elle être prise dans l'année.

Rapporteur de la mission d'information, j'avais mis des conditions très fortes à la privatisation de Framatome, en particulier le maintien de sa coopération avec Siemens.

L'affaire ne s'est pas faite, car le projet industriel de Gec-Alsthom n'était pas assez au point. Depuis, le silence du Gouvernement est abyssal. Quelle est votre stratégie pour Framatome ? Son avenir est-il dans la conectique, avec la reprise de l'américain Berg, et à quel coût ?

La bonne idée serait de constituer un pôle européen, ce qui renforcerait l'EPR comme modèle européen de réacteur. Pourquoi pas avec Siemens ?

Sur les déchets, soyons précis. La France produit par an et par habitant 2 500 kg de déchets domestiques, et 2 900 kg de déchets industriels, dont 70 kg de déchets toxiques, parmi lesquels 1 kg de déchets radioactifs dont 9,9 g de moyenne et haute activité.

Nous avons voté la loi Bataille à la quasi-unanimité. Or, le Gouvernement a beau faire semblant, il ne pourra pas la respecter.

En effet, le choix est fixé à 2006. Or si le laboratoire souterrain de Bure, dans l'argile, pourra donner ses résultats, je doute que le site granitique puisse être choisi à cette date.

Prisonnier d'intérêts politiciens divergents, le Gouvernement fait du surplace et le sait.

Il est pourtant capital de développer l'incinération et la transmutation des déchets. Le projet que j'avais proposé de réacteurs hybrides pilotés par un accélérateur va dans le bon sens. Le Sénat américain a lui aussi voté une subvention pour des recherches tant sur les hybrides que sur les réacteurs haute température.

Incinérer les matières radioactives issues du démantèlement des armes en produisant de l'énergie est intéressant, et plus sûr que de les laisser plus ou moins bien gardées sur des "décharges".

A l'Est les réacteurs de l'ex-URSS continueront de fonctionner, on ne sait trop dans quelles conditions de délabrement. L'assistance à ces pays demeure un impératif. Il conviendrait que les procédures européennes, critiquées par la Cour des comptes, comme celles de la BERD, soient plus efficaces et rapides.

Des pays comme la Suède et l'Allemagne, en s'engageant à abandonner le nucléaire, semblent se donner bonne conscience, alors qu'ils ont la capacité de fonctionner correctement et sûrement avec le nucléaire et sont à la merci d'un pépin à leurs frontières ! En revanche, des pays comme l'Indonésie, les Philippines, la Thaïlande, veulent se doter de l'énergie nucléaire. Celle-ci doit rester l'apanage de pays scientifiquement et technologiquement développés.

Tchernobyl a prouvé qu'il n'y avait pas de frontière contre les nuages radioactifs.

La rupture des contrats de retraitement avec COGEMA met en cause l'emploi en France. S'il existe des clauses d'indemnités pour rupture abusive, j'espère que le gouvernement français sera ferme, et ainsi qu'il renverra leurs déchets aux Allemands par paquet-cadeau !

La transparence est le gage de la confiance du public. J'y ai, je crois, un peu contribué à l'Office parlementaire à travers les rapports et les auditions ouvertes à la presse.

M. Jean-Pierre Brard - C'est vrai !

M. Claude Birraux - La transparence c'est une manière d'être. Il y a de la malhonnêteté intellectuelle pour un Gouvernement à dénoncer le manque de transparence de ses propres services ou des entreprises publiques qu'il contrôle ; à moins que cela ne soit révélateur des carences gouvernementales.

Le Premier ministre rendra-t-il public l'avis du comité d'experts sur le redémarrage de Phénix décidé après l'arrêt de Superphénix ? S'il le veut, il le peut. M. Balladur l'avait fait avant le redémarrage de Superphénix en 1994.

M. Jean-Pierre Brard - Qui est M. Balladur ?

M. Claude Birraux - On sait ce qu'il en est de l'indépendance des organismes de contrôle : "Un expert indépendant est un expert qui partage votre avis lorsque vous êtes contre quelque chose". La suspicion dont sont victimes des fonctionnaires de l'Etat n'est pas acceptable. L'indépendance consiste à ne pas être lié à l'industriel ou au laboratoire de recherche. Il n'était pas utile de demander un tel travail à M. Le Déaut pour le mettre en pièces.

Ce qui allait bien, c'est-à-dire la sûreté, l'autorité, la compétence, le sens du service de l'Etat de la DSIN, n'était discuté par personne. Votre direction collégiale entraînera la paralysie. Il fallait au contraire déplorer l'absence d'autorité du ministère, et en particulier la direction générale de la santé, pour qui le professeur Pellerin a été trop longtemps un bouc émissaire commode.

J'avais proposé en 1991 une refonte totale de la radioprotection. M. Le Déaut a fait de même en 1992.

Avec Mme Veil avait vu le jour le bureau de radioprotection, que la DGS s'est acharnée à faire mourir depuis lors.

Après deux rapports parlementaires et sept rapports administratifs, rien n'a changé. Où est l'autorité de l'Etat ? Y a-t-il l'ombre d'une volonté ? (M. Franck Borotra applaudit)

Satisfaire aux engagements de Kyoto dépend pour une bonne part du nucléaire. Aussi faut-il conforter le CEA dans ses missions, surtout après les déclarations de M. Allègre, qui voudrait en faire le laboratoire d'EDF.

Satisfaire aux engagements de Kyoto, c'est aussi avoir recours aux économies d'énergie et aux énergies renouvelables.

Celles-ci ne constitueront pas une contre-réponse globale au nucléaire. Elles doivent être utilisées à bon escient, c'est-à-dire comme le fait l'association énergie-environnement en Haute-Savoie, dont je suis membre du conseil d'administration.

J'entends dire que des financements massifs dans la recherche et le développement tourneraient en ridicule les tenants d'autres formes d'énergie. Alors pourquoi les pays très orientés dans ce sens n'ont-ils pas fait cette démonstration ?

M. Yves Cochet - Le Danemark l'a fait !

M. Claude Birraux - Pour utiliser rationnellement l'énergie, il faut, dans le domaine des transports, développer la recherche pour réduire les particules des diesels, encourager fiscalement l'usage du GPL et du GNV, comme en Italie, ou encore favoriser les véhicules électriques ou hybrides.

Je propose qu'une loi fixe un quota de véhicules non polluants lors du renouvellement des flottes publiques.

Les économies d'énergies sont possibles jusqu'au moment où les courbes coût-économies se croisent.

La cogénération, avec des réseaux de chaleur, tarde à se développer, nous en reparlerons à propos de la directive électricité.

Satisfaire aux engagements de Kyoto, c'est être ouvert à de nouvelles technologies comme les piles à combustibles, ou la géothermie sur roches chaudes.

L'énergie est nécessaire à l'homme comme l'air ou l'eau. N'agissons pas par idéologie, et veillons à ne pas brader nos atouts. Sachons plutôt jouer sur une palette d'outils multiples pour assurer au mieux notre développement.

Par ailleurs, n'oublions pas que nous ne sommes pas seuls, que ce qui est vrai chez nous ne l'est pas obligatoirement ailleurs et que notre politique ne doit pas nuire aux pays pauvres.

L'énergie est un moyen, non une fin en soi. Plus que jamais, l'approche pragmatique doit s'imposer. Nos choix ne doivent pas être électoraux : le Gouvernement, qui semble donner une cuillère à Daniel, une cuillère à Dominique, une cuillère à Robert, devrait se souvenir qu'"il n'y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va" (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. André Lajoinie - Ce débat doit être l'occasion de préciser les choix énergétiques de notre pays et de réaffirmer que la puissance publique doit garder la maîtrise des décisions, dans la transparence et le respect de la démocratie. Il sera, je l'espère, la première marque de la volonté de donner au Parlement un rôle plus important sur ce sujet.

L'énergie est et restera une condition essentielle du développement. Les objectifs de sécurité d'approvisionnement, d'indépendance énergétique et d'accès égal de tous à l'électricité gardent donc toute leur validité ; aujourd'hui, l'inégalité de l'accès à l'énergie dans le monde et en France même est frappante.

Le caractère limité des ressources fossiles disponibles et la perspective d'un changement climatique induit par la concentration de gaz à effet de serre dans l'atmosphère rendent nécessaire une approche politique nouvelle, fondée sur l'intérêt général, et ouvrant la voie à l'avènement d'une forme de mission de service public mondial. A la conférence de Kyoto, un accord a été obtenu sur une réduction globale de 5 % des rejets de gaz à effet de serre à l'horizon 2010 par rapport au niveau de 1990. L'Union européenne s'est engagée à réduire ses émissions de 8 %.

L'énergie idéale n'existe pas. Il convient donc de maintenir un équilibre entre les diverses sources et d'inciter aux économies d'énergie. Actuellement, les énergies fossiles représentent chez nous 60 % de l'énergie primaire consommée, le nucléaire et l'hydraulique 38 %, les énergies renouvelables 2 %. La France est donc l'un des pays industrialisés qui contribuent le moins aux émissions de gaz à effet de serre, ce qui ne nous exonère pas d'efforts supplémentaires.

Dans l'état actuel des connaissances, les énergies fossiles sont incontournables. Il faut veiller cependant à utiliser des technologies réduisant le plus possible des émissions -dont l'existence doit nous interdire de chercher à substituer ces ressources à d'autres qui ne produisent pas de tels rejets.

La production d'électricité mobilise en France moins de la moitié du total de l'énergie primaire consommée. De plus, elle ne contribue que très faiblement au rejet de gaz à effet de serre, grâce à l'utilisation massive du nucléaire et, dans une moindre mesure, de l'hydraulique. Les efforts sont donc à concentrer sur les secteurs consommateurs d'énergies et fortement émetteurs de CO2 : les activités industrielles, les transports et le secteur tertiaire résidentiel doivent être mis à contribution. Dans le secteur des transports, par exemple, des investissements conséquents sont nécessaires en faveur du rail, du transport fluvial et maritime et des transports en commun.

Une attention particulière doit être portée au développement des énergies renouvelables. Dans ce domaine, une mutualisation des efforts de recherche est nécessaire.

Au regard des enjeux environnementaux mondiaux, l'énergie nucléaire, qui ne contribue pas à l'effet de serre, est indispensable. Nous devons commencer à renouveler notre parc nucléaire à partir des années 2010 ; compte tenu de la durée de construction d'une centrale, il faut prendre les décisions maintenant. Le projet franco-allemand EPR est prêt. La construction d'un prototype de ces nouvelles centrales, plus sûres, au début du prochain siècle, permettrait d'engager le mouvement.

M. Yves Cochet - Les Allemands ne veulent pas !

M. André Lajoinie - Les industriels sont d'accord !

M. Yves Cochet - Le gouvernement allemand ne voudra pas d'EPR sur son territoire !

M. André Lajoinie - Par ailleurs, rien ne peut justifier que le nucléaire reste l'apanage des pays développés et une coopération doit se développer avec les pays en voie de développement pour qu'ils puissent y accéder.

Mme Michèle Rivasi - Au risque d'accidents majeurs ?

M. André Lajoinie - Seriez-vous raciste ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur divers bancs)

Certes, il ne faut pas nier les inconvénients et les limites du nucléaire. La question des déchets est cruciale. Je me félicite des décisions récentes du Gouvernement d'inscrire son action dans une logique de réversibilité et d'engager la création de deux laboratoires souterrains.

M. Yves Cochet - Deux de trop !

M. André Lajoinie - Il serait inadmissible que la décision du gouvernement allemand d'interdire le retraitement des déchets en France entraîne des licenciements massifs à la COGEMA, sans aucune indemnisation, et que le rapatriement des stocks de La Hague soit remis à plus tard sous prétexte de l'opposition de tel ou tel Land.

Par ailleurs, la particularité du nucléaire impose la présence d'un personnel hautement qualifié ; le recours à la sous-traitance et à l'intérim sont à exclure. Ainsi, le caractère public des établissements d'exploitation est une condition nécessaire à la sécurité de la filière.

La même remarque vaut pour la transparence. Malheureusement, la culture du secret qui s'est développée, par crainte des réactions de la population a nourri le sentiment qu'on cachait la vérité. Ce déficit de confiance demeure la plus importante menace ; il est indispensable de donner à la population des garanties sur la qualité des contrôles et la crédibilité de l'information.

Pour finir, je voudrais évoquer les modifications du cadre institutionnel imposées par la volonté de l'Union européenne de déréglementer les marchés de l'électricité et du gaz. Cette conception libérale risque d'aboutir à un développement des gaz à effet de serre.

Un tel scénario, compte tenu des réserves limitées en hydrocarbures, engendrera une dépendance de notre pays vis-à-vis des principaux pays producteurs et une rente de situation pour les groupes pétro-gaziers internationaux. Cela ne garantit pas un approvisionnement durable ni un service public pour tous.

L'intérêt général impose une maîtrise démocratique des politiques énergétiques, pour garantir un approvisionnement diversifié, respectant l'environnement.

M. Jean-Yves Le Déaut, vice-président de l'office d'évaluation des choix scientifiques - On peut s'interroger sur les raison de l'effervescence médiatique actuelle alors que la situation énergétique des pays occidentaux a rarement été aussi favorable : abondance de l'offre, des prix très bas, relative stabilité technologique.

Cette euphorie actuelle ne doit pourtant pas faire illusion : une reprise économique soutenue, en particulier dans les pays émergents, pourrait accélérer les tensions et conduire à une raréfaction de l'offre qui pèserait sur les prix du pétrole. En outre, la répartition inégale des ressources énergétiques dans le monde peut, à tout moment, provoquer une crise mondiale, les pays riches ne pouvant pas continuer impunément à surconsommer une énergie qui fait défaut à la grande masse des peuples du tiers monde.

De toute manière, les ressources en énergie fossile ne sont pas inépuisables. Si, comme l'a estimé le dernier Congrès mondial de l'énergie, la consommation d'énergie devait augmenter de 50 % dans les 20 prochaines années, des sommes colossales devront être engagées pour exploiter des gisements nouveaux, et les prix s'envoleront. Et toutes ces prévisions ne tiennent pas compte des bouleversements géopolitiques qui pourraient tarir certaines sources.

Il nous faut donc rester vigilants, ne pas céder à l'euphorie qui règne chez certains de nos voisins, pour qui le concept d'indépendance énergétique apparaît parfois comme une lubie française. L'indépendance énergétique doit être assurée aujourd'hui plus encore qu'hier -l'Allemagne risque de s'en apercevoir bientôt. Et nous devons dès maintenant nous interroger sur ce que sera la politique de l'énergie au siècle prochain.

L'office parlementaire a tenté, depuis sa création, de préparer la réflexion du Parlement dans le domaine de l'énergie. Nos collègues Claude Birraux et Christian Bataille ont apporté des contributions importantes, comme aussi Mme Rivasi.

M. Yves Cochet - Très bien !

M. Jean-Yves Le Déaut - L'Office ne s'est pas limité au seul nucléaire, il s'est aussi intéressé aux formes plus classiques de la production d'énergie, sous l'angle de la prévention de la pollution atmosphérique ou de l'accès aux ressources.

L'abondance actuelle de l'énergie ne doit pas nous faire négliger la recherche, et d'abord dans le secteur des économies d'énergie, gisement important comme l'a dit François Hollande. Il faut encourager la recherche en faveur d'une efficacité énergétique accrue, notamment chez les particuliers dont beaucoup ne respectent pas les règles élémentaires d'isolation pour les constructions neuves, mais aussi pour les bâtiments officiels qui sont loin de donner l'exemple.

Deuxième axe de recherche à encourager, les énergies renouvelables. Mais on ne doit pas en attendre plus qu'elles ne peuvent donner : l'exemple suédois, avec une expérience de 19 ans, montre que leur apport reste infime.

Troisième axe, le solaire : l'amélioration du rendement des cellules photovoltaïques constitue une piste intéressante pour obtenir une énergie renouvelable sans conséquence néfaste pour l'environnement -à la différence des éoliennes ou des énergies provenant des biocarburants.

Pour exporter les technologies françaises, il faut être présent sur tous les segments de la demande, et pas seulement sur le nucléaire. Le charbon doit être utilisé comme source d'approvisionnement complémentaire, pour répondre aux demandes lors des heures de pointe. Il faut travailler sur le charbon propre, ainsi que vous l'avez dit, Monsieur le ministre, et développer les turbines à gaz, surtout quand elles sont associées à un système de cogénération. La construction d'une centrale à cycle combiné pourrait être envisagée en Lorraine.

L'effort de recherche devra également porter sur le nucléaire.

Comment peut-on refuser cette idée ?

M. Yves Cochet - Nous n'avons pas dit cela.

M. Yves Le Déaut - L'EPR doit être le nouvel horizon de notre recherche nucléaire, réacteur plus sûr et plus compétitif.

Mais il faut explorer aussi avec les Etats-Unis, l'Allemagne et la Russie notamment, la technologie des réacteurs à haute température, à "sûreté intrinsèque", car des matériaux réfractaires servent de matrice au combustible. La voie des réacteurs à neutrons rapides doit également continuer à être étudiée car elle seule permet une valorisation optimale des réserves en uranium.

M. Yves Cochet - C'est du rêve.

M. Yves Le Déaut - La recherche, c'est le rêve ! Pour le moment, en l'état de nos connaissances, il faut bien admettre, avec le Congrès mondial de l'énergie, que la seule alternative crédible à l'usage des énergies fossiles, en attendant de nouvelles découvertes, c'est le nucléaire.

Je vous engage à lire le papier de la revue Nature d'octobre 1998, qui montre que, pour stabiliser la consommation de CO2 à deux fois le niveau de l'âge préindustriel, il faudrait recourir au solaire, aux éoliennes, mais aussi au nucléaire.

Ce qu'il faut, c'est assurer la transparence et la démocratie -et M. Borotra a mal compris ce que signifie l'autorité indépendante que j'ai proposée dans mon rapport. Il n'est pas question que l'Etat abandonne ce qui est régalien -mais quand les règles sont fixées, il faut les appliquer...

M. Franck Borotra - L'administration est là pour ça !

M. Yves Le Déaut - Et elle fait très bien son travail.

M. Frank Borotra - Vous allez bloquer le système avec vos professeurs Nimbus ! Faites confiance à l'administration, et commandez-la !

M. le Président - Seul M. Le Déaut a la parole !

M. Yves Le Déaut - Il faut enfin garder son calme et refuser la guerre médiatique. Attention à ne pas laisser dire n'importe quoi : on ne peut dire qu'il y a de la radioactivité dans la laine de verre, alors qu'il y en a moins que dans le verre placé devant moi. Sinon, les Français ne savent plus que penser (Applaudissements sur tous les bancs). Sachons garder raison, tout en étant transparents. Ne méconnaissons pas qu'il y a une guerre de la communication entre le nucléaire et le gaz, les lobbies existent. Le mieux serait, selon moi, de fusionner EDF et GDF pour doter la France d'un grand service public de l'énergie.

Quelle énergie voulons-nous pour le XXIème siècle ? Le nucléaire entraîne des diktats. Mais dans deux siècles et demi, toutes les réserves fossiles auront été consommées, avec les effets de serre qui en découlent. Le Niño en est peut-être la conséquence. Il faudra travailler sur ces sujets, et l'office le fera. Mais sachons garder notre calme en assurant la transparence démocratique, et organisons ensemble un grand service public de l'énergie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. le Président - Je rappelle que le débat n'a pas lieu sur les bancs, mais à la tribune.

M. Georges Sarre - Je dirai d'abord, en toute honnêteté, que je ne m'exprime pas au nom du groupe RCV tout entier (Rires), mais au nom du MDC.

Je ne veux pas faire de peine, en effet, à mes collègues Hascoët et Cochet.

Je parlerai en conscience et en raison. Pour aborder ce débat opportun, il faut faire appel à la raison naturelle, combattre l'irrationnel et ne se déterminer qu'à l'issue d'une analyse sérieuse de la situation.

Si notre politique énergétique détermine nos choix industriels et technologiques, elle demeure avant tout un enjeu du débat citoyen, en ce qu'elle engage l'avenir de la France. Elle doit être au centre de nos préoccupations, dans une nation libre qui entend conserver la maîtrise de son destin.

Ce débat nous donne l'occasion de réaffirmer l'attachement de la France à son indépendance énergétique.

Je distingue pour ma part trois principes : l'indépendance nationale, l'intérêt général et la sécurité de l'environnement.

Dans les années 70, notre pays a choisi de développer sa filière électro-nucléaire, ce qui a été une formidable aventure industrielle.

Nous disposons ainsi d'un outil sans pareil qui garantit notre indépendance énergétique. Les investissements réalisés à l'époque nous permettent de produire aujourd'hui une électricité à bon marché. Faut-il rappeler que 80 % de notre production électrique est d'origine nucléaire ? De la sorte, la France n'est plus tributaire de l'étranger, ce qui est important dans un monde de plus en plus instable. Monsieur le ministre, sommes-nous vraiment à l'abri d'une remontée du prix du pétrole ? Evidemment non.

En outre, comment croire que le gaz constituera toujours une solution de rechange crédible, alors que nos deux premiers fournisseurs, la Russie et l'Algérie, sont aux prises avec les difficultés que l'on sait ?

La vérité, c'est qu'il n'y a pas de politique énergétique européenne, à l'heure où notre partenaire allemand décide unilatéralement de renoncer au nucléaire. La réalité de l'Europe énergétique, c'est aujourd'hui le divorce franco-allemand. Ce qu'on veut imposer à la France sans concertation n'est pas admissible : des milliers d'emplois sont menacés et le manque à gagner pour la filière va s'élever à 30 milliards, soit un tiers de ce qu'a coûté le désastre du Crédit Lyonnais. Juge-t-on que le prix payé par la France pour la marche forcée vers l'euro n'a pas été suffisant ? Les contrats dénoncés par le gouvernement allemand ont été signés dans le cadre d'un accord international, entériné par un décret du 9 août 1990. Or les déclarations abruptes du Chancelier Schröder semblent exclure toute négociation. Certes, le retour en Allemagne des déchets retraités est promis, mais c'est bien le moins. Le contentieux franco-allemand sera lourd.

Le Gouvernement, qui a notre confiance, doit être vigilant et ferme. Outre nos intérêts financiers, c'est l'image de la France qui est en jeu.

Notre pays dispose, dans le domaine nucléaire, d'atouts uniques au monde : un réseau de centrales sûres, un personnel hautement qualifié, un cadre législatif et une stratégie industrielle en matière de retraitement des déchets. Qu'il nous soit permis, à nous aussi, d'emprunter notre Sonderweg énergétique. La diversification des sources d'énergie demeure un objectif, mais les perspectives offertes par le sous-sol français, en matière d'énergies fossiles, restent très limitées et la capacité de croissance de l'énergie d'origine hydraulique est bornée.

Les énergies renouvelables constituent certes une piste, mais elles sont à la mode depuis vingt-cinq ans, sans avoir fait leurs preuves.

M. Yves Cochet - C'est parce qu'il n'y a eu aucun effort de recherche !

M. Georges Sarre - On n'alimente pas avec des éoliennes les consommations de longue durée, qui représentent 85 % de notre consommation totale. En ce qui concerne les capteurs solaires, il n'échappe pas à leurs inconditionnels, parmi lesquels je me range, que la France n'est ni la Sicile, ni l'Andalousie.

La politique énergétique ne s'entend que soumise à l'intérêt général, qui n'est pas la simple addition des intérêts particuliers. Nous ne laisserons pas la politique énergétique de la France disparaître au profit d'une régulation par le marché, présentée comme inéluctable. Il faudra s'en souvenir quand nous examinerons le projet relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité. Réaffirmer le principe de la péréquation nationale et défendre la mission de service public d'EDF, ce sera réfuter ce lieu commun selon lequel la concurrence constituerait un but en soi.

Garantir l'intérêt général implique de veiller à la sécurité de l'environnement. Le marché, soucieux de rentabilité à court terme, ne se préoccupe pas de la solidarité intergénérationnelle. Le problème se pose en termes crus : l'effet de serre, dû aux énergies "traditionnelles" que sont le gaz, le fuel et le charbon, n'attend pas, alors que nous avons le temps de mettre au point le retraitement et le stockage des déchets radioactifs. Si nous voulons honorer nos engagements pris à la conférence de Kyoto, notre choix est fait. Dans ce domaine, nous avons réalisé depuis vingt ans des progrès constants, et défini en 1991 un cadre législatif adéquat. Rappelons que les députés du Mouvement des citoyens ont déposé, en avril 1998, une proposition de loi visant à créer une délégation interministérielle aux activités et à la sécurité nucléaires.

Le manque de transparence, dans le passé, a été une faute.

Mme Michèle Rivasi - Ah !

M. Georges Sarre - La transparence doit devenir un réflexe conditionné.

Enfin, indépendance nationale ne signifie ni fermeture, ni repli sur soi. Au-delà des frontières de l'Union européenne, de grands pays, en forte croissance, comme l'Inde et la Chine, s'interrogent aujourd'hui sur leur politique énergétique. Si ces deux géants définissaient une stratégie de développement entièrement fondée sur le charbon, imaginez quelles en seraient les conséquences en termes d'effet de serre !

Quelle serait notre responsabilité envers les générations futures, si nous donnions pour exemple à ces pays l'abandon de la filière nucléaire, par soumission au conformisme européen ? Il y a une contradiction à se soucier en paroles du sort des pays en développement tout en diabolisant l'énergie nucléaire.

A rebours d'un certain malthusianisme hypocrite, la France doit coopérer avec des pays comme la Russie ou l'Ukraine afin de garantir la sécurité de leurs installations nucléaires.

Notre pays ne doit pas renoncer à ses atouts dans le nucléaire, une énergie qui permettra aux pays en voie de développement de garantir leur croissance (Applaudissements sur divers bancs).

M. François d'Aubert - Je déplore les conditions dans lesquelles se déroule ce débat. La présence de Mme Voynet aurait été pour le moins intéressante. Je regrette en outre qu'aucun vote ne vienne responsabiliser la majorité plurielle.

On peut définir trois objectifs en matière énergétique. Le premier consiste à faire profiter les Français et les entreprises de la baisse des prix de l'énergie, que vont rendre possible l'émergence d'un véritable marché, la déréglementation et la concurrence, avec la transposition de la directive européenne. Il est vrai que vous vous contentez d'une transposition minimale, au risque de créer des discriminations en faveur des seuls grands groupes.

Nous devons par ailleurs rendre plus sûr notre approvisionnement.

Au lendemain du premier choc pétrolier, il a été décidé de garantir l'indépendance énergétique de la France en développant notre programme électro-nucléaire. Les prévisions, en matière de consommation d'énergie sont délicates. Si on avait su, on aurait probablement construit quelques réacteurs de moins. Et s'il y avait eu davantage de transparence, on connaîtrait mieux les coûts des investissements et leurs répercussions sur le prix du kilowatt/heure. Notre taux d'indépendance énergétique est passé de 22,5 % en 1973 à 50 % aujourd'hui et 90 % de la production d'électricité est d'origine nationale. Ces résultats ont un coût difficilement mesurable, mais la production nucléaire a nettement renforcé la compétitivité et l'avantage technologique de la France, devenue l'un des rares pays industrialisés dont la production d'électricité ne produit pratiquement pas de gaz carbonique.

Vous venez, Monsieur le ministre, de dire à peu près la même chose. Mais où est la cohérence de la majorité ? Le ministre de l'environnement annonce que la France stabilisera ses productions de gaz à effet de serre, ce qui suppose le maintien du nucléaire, au moment où ses amis réclament l'abandon de cette filière.

On veut nous faire croire que le nucléaire pollue. Rappelons simplement que, grâce au programme nucléaire, la France est l'un de pays où les normes écologiques sont les mieux respectées et où les émissions de gaz à effet de serre sont les plus faibles. Les centrales thermiques sont plus polluantes que les centrales nucléaires.

Mme Michèle Rivasi - Parlons aussi des déchets radio-actifs !

M. François d'Aubert - Cependant, la diversification entraînera probablement nous dites-vous, Monsieur le ministre, une diminution modérée de la part d'électricité d'origine nucléaire : nous aimerions que vous nous donniez un pourcentage. Quoi qu'il en soit, elle baissera, surtout si le prix du gaz continue de baisser. Notons toutefois que ces prix sont sujets à variation et que la disponibilité à long terme de cette forme d'énergie est moins garantie, étant donné l'instabilité politique et les monopoles d'Etat de la plupart des pays producteurs.

Troisième objectif : sécuriser la production d'énergie, ce qui implique à la fois une amélioration continue de la sûreté des installations nucléaires, le choix d'énergies non polluantes et une forte prise en considération de l'environnement et de la santé publique.

Il nous faut donc un système énergétique à la fois flexible, robuste et sûr, fonctionnant dans la transparence scientifique et économique.

Vous dites, Monsieur le ministre, qu'il faut maintenir l'option nucléaire ouverte. Mais cela implique des mesures que, me semble-t-il, votre majorité plurielle vous empêche de prendre.

Le nucléaire est une réussite exemplaire, à la fois sur le plan technologique et économique. Cette filière complète qui allie recherche fondamentale et applications militaires et civiles, constitue un atout pour la France, même si les conditions de son optimisation ont changé. Pour maintenir l'option nucléaire ouverte, certaines décisions doivent être prises, dont certaines assez rapidement.

Il est donc d'abord urgent de promouvoir une nouvelle génération de réacteurs, afin de préparer le renouvellement du parc nucléaire actuel.

Le projet EPR, qui allie sûreté renforcée et compétitivité accrue, est de ce point de vue primordial. Il constitue, ironie du moment, un volet particulièrement important de la coopération franco-allemande, via Framatome et Siemens. Espérons que l'attitude actuelle du Gouvernement allemand ne le pénalisera pas. Quand donnerez-vous le feu vert pour la construction d'une tête de série de l'EPR, Monsieur le ministre ?

M. Franck Borotra - Il nous faut une date !

M. François d'Aubert - Nous devons aussi mettre au point un nouveau procédé d'enrichissement d'uranium car en 2010 Eurodif sera devenue obsolète.

Troisième nécessité : améliorer le recyclage du plutonium. C'est essentiel tant du point de vue économique qu'écologique. L'usine de La Hague a un rôle stratégique à jouer, de ce point de vue, et il est fâcheux qu'elle soit l'objet d'attaques des Verts allemands et français. Quatrième impératif : appliquer la loi de 1991 sur les déchets, dite loi Bataille. Elle prévoyait deux sites de stockage. Un seul à ce jour a été désigné.

MM. Hascoët et Cochet - Le deuxième pourrait être à Laval.

M. François d'Aubert - Cinquième nécessité : gérer sans a priori le démantèlement éventuel des centrales de la première génération, ce qui implique notamment une connaissance exacte du coût du "retour à l'herbe".

Il faut, en sixième lieu, de nouvelles normes de radioprotection.

Enfin, il faut mieux connaître, et faire baisser le coût du kilowatt/heure nucléaire.

Je voudrais maintenant vous donner mon sentiment par rapport à l'option allemande du zéro nucléaire. Le moins que l'on puisse dire est que le Gouvernement réagit avec mollesse au mauvais coup porté par le gouvernement allemand à la coopération nucléaire franco-allemande, et en fait à la coopération politique entre ces deux pays, mauvais coup relégué sans retenue par une des composantes de la gauche plurielle et à l'intérieur même du Gouvernement par le ministre de l'environnement.

En cause, il n'y a pas seulement la dénonciation unilatérale brutale, teintée d'arrogance, d'un accord interétatique signé entre la France et l'Allemagne le 25 avril 1990, document ayant valeur de traité en droit international ; il n'y a pas seulement la dénonciation sauvage d'un contrat pouvant entraîner une perte sèche de 30 milliards de francs pour la Cogema, donc pour le contribuable français.

Il y a aussi atteinte à l'état de droit et au principe de sécurité juridique.

Jamais l'alternance politique n'avait servi de prétexte à dénoncer un accord bilatéral. Face à ce diktat, le Gouvernement français reste les bras ballants, sans détermination. On aimerait vous entendre dire, Monsieur le ministre, à l'instar de votre collègue anglais ou de l'exploitant de l'usine britannique de retraitement BNFL, que les contrats doivent être honorés, qu'il n'y a pas à transiger, que le stockage définitif des déchets d'origine allemande à la Hague est impossible et que le contrat qui prévoit un retour de tous les déchets après retraitement doit être respecté.

Face à cette provocation du gouvernement Schröder, le Gouvernement français semble considérer cette incontestable atteinte à l'état de droit comme à un banal conflit commercial et financier, laissant entendre qu'il suffirait de "quelques compensations" pour solde de tout compte !

En vérité, le Gouvernement et la majorité plurielle se sont laissé piéger de l'intérieur par la collusion évidente qui existe entre les Verts français et leurs collègues allemands (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). Curieux, tout de même, ces attaques simultanées contre l'usine de retraitement de la Hague...

M. Yves Cochet - C'est nous qui avons été attaqués !

M. Guy Hascoët - On a encore le droit de visiter ce site, non ?

M. François d'Aubert - ...Attaques venant à la fois du ministre allemand de l'environnement, M. Jürgen Trittin, et de la tête de liste des Verts aux élections européennes, M. Cohn Bendit.

Quand on entend le même M. Trittin affirmer dans une interview à Libération que le nucléaire français l'inquiète aussi et qu'il souhaiterait encourager la France à l'abandonner, on se demande de quel droit il se permet de porter un jugement sur la sûreté des installations françaises et si une "internationale écologiste" n'est pas en train de dicter sa loi au gouvernement français !

Vos discours en faveur du nucléaire, Monsieur le ministre, cachent mal cette emprise des Verts sur la politique énergétique française. D'ailleurs la majorité plurielle n'en sort pas indemne. "La pression des verts allemands sur la France est insupportable. Les Français n'ont pas voté pour la politique nucléaire du chancelier allemand Gerhard Schröder. Les solutions proposées en Allemagne visant à supprimer le nucléaire ne sont pas sérieuses", a par exemple déclaré M. Robert Hue. Au-delà de cette affaire, je note que Mme Voynet retarde certaines décisions, pourtant importantes, relatives au "mox".

Pourquoi, par exemple, le Gouvernement tarde-t-il à autoriser EDF à "moxer", comme prévu depuis longtemps, certains de ses réacteurs ? Pourquoi n'a-t-il toujours pas signé le décret permettant à l'usine Melox de la COGEMA de fabriquer le mox pour les Japonais ? Enfin, on attend toujours la désignation du deuxième site de laboratoire de stockage !

M. Yves Cochet - Laval !

M. François d'Aubert - Tous ces dossiers sont bloqués du fait de la pression des écologistes sur le Gouvernement.

Le débat d'aujourd'hui était sans doute nécessaire mais les clarifications que nous en attendions ne sont pas venues. Reste une impression fâcheuse de flottement qui ne risque pas de se dissiper de si tôt, compte tenu de la composition de la majorité plurielle (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Christian Bataille - Ce débat sur l'énergie vient à point. D'autres le suivront et d'autres l'ont précédé. J'en ai moi-même déjà connu au moins deux, l'un à l'initiative de M. Fauroux en 1989, l'autre à celle de M. Barnier en 1994. Je souhaite simplement qu'à l'avenir, nous puissions conclure en nous prononçant sur une résolution. On ne peut guère en effet aller plus loin, car c'est de lois spécifiques que nous manquons, plutôt que de grandes résolutions de portée générale.

Au rôle que joue le Parlement dans la démocratie, il faut ajouter le travail de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui élabore de nombreux rapports. Il y a quelque dix ans, dans un rapport demandé à l'Office par le Premier ministre Michel Rocard, je concluais sur le triptyque responsabilité-transparence-démocratie. Je reviendrai aujourd'hui sur les deux derniers thèmes. Bien que la nécessité d'avancer vers plus de transparence soit affirmée depuis des années dans cet hémicycle, une certaine culture du secret se perpétue ; si les élus et la population n'y prenaient pas garde, on retomberait vite dans les anciennes ornières. La transparence tant vantée n'apparaît pas toujours dans les faits. Elle s'impose à plusieurs niveaux, et d'abord dans l'enseignement : nos élèves et nos étudiants, futurs usagers de l'énergie, devraient étudier beaucoup plus sa fabrication, notamment celle de l'électricité, afin qu'à l'avenir la parole ne soit pas laissée aux démagogues et aux charlatans qui font une présentation sommaire des choses.

M. Yves Cochet - Qui ?

M. Christian Bataille - Nous devons enfin ne fermer aucune porte. Avec la loi de 1991, nous avions ouvert toutes les portes de la recherche. Mais le travail obstiné de certains consiste à les fermer, et à empêcher que les recherches prévues par la loi aient lieu.

Quelques mots sur la démocratie. Il y a le débat ; le débat avec résolution et vote ; et il y a les lois, ce que le Parlement décide. Nous l'avons fait une fois, sur les déchets nucléaires, mais il y a d'autres exigences ; nous pouvons réfléchir sur la sécurité des centrales, mais aussi sur d'autres domaines que le nucléaire. Les rejets de gaz et l'effet de serre pourraient par exemple faire l'objet d'une loi. Il y a certes une loi sur l'air, due à Mme Lepage, mais elle est incomplète pour ce qui concerne la production massive d'énergie. Et puis il n'y a pas que le Parlement : toutes les instances territoriales élues -communes, départements, régions- peuvent et doivent débattre, mais pour avis. La France est la France, et ne saurait adopter la démocratie à la Suisse ; sans quoi on ne pourrait plus construire une route, un pont, une centrale sans que des référendums locaux y fassent obstacle (Murmures sur les bancs du groupe RCV). Sur les grands sujets d'intérêt national, il faut faire jouer la démocratie locale, la consulter, sans aller plus loin.

Je conclurai sur la nécessité du consensus démocratique à long terme, que nous avons constaté depuis des décennies pour ce qui est de la politique énergétique. Celle-ci met en jeu l'intérêt national, et va bien au-delà de l'événement et du quotidien. Nous devons privilégier cette vision commune, et les majorités qui se sont succédé depuis vingt ans y sont parvenues. Je n'ai aucune gêne à saluer la validité des décisions initiales, prises par le gouvernement de Pierre Messmer, et ajustées ensuite par les gouvernements successifs, de Pierre Mauroy à Jacques Chirac et d'Edouard Balladur à Lionel Jospin. Cette continuité fait notre force, car la politique énergétique serait bien faible si elle devait être modifiée au gré des décisions du corps électoral.

Le débat sur l'énergie ne doit pas être un match, une occasion de polémiques et de recherche du sensationnel. Nous devons y mettre plus de raison, afin de voir plus loin (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. le Président - A son rythme actuel, notre débat se prolongera du-delà de 14 heures. J'invite chacun à respecter son temps de parole.

M. Robert Galley - La production française d'électricité nucléaire représente aujourd'hui l'équivalent de 88 millions de tonnes de pétrole, soit la production d'un émirat. D'après les calculs de l'Office parlementaire, cette production nous a coûté 485 milliards depuis 1973.

M. Yves Cochet - Bien plus !

M. Robert Galley - En contrepartie la France a économisé 600 milliards d'importations. En outre, elle a dégagé chaque année 25 milliards d'exportations, concernant à part égale la vente de courant et celle de combustibles et de services nucléaires, et permis la création de dizaines de milliers d'emplois.

Par ailleurs, la durée de vie des réacteurs sera très supérieure à leur durée d'amortissement : même les plus anciens, du type Fessenheim, auront quarante ans de vie. Et ils produisent une électricité à 19 centimes le kwh. Quand ils seront amortis, le prix de vente du courant pourra être considérablement réduit, au profit de nos industries et des ménages. Et notre collectivité nationale va disposer, par le truchement d'EDF, d'une capacité de financement formidable, de 200 à 300 milliards, pour construire le système énergétique des cinquante ans à venir.

Quelle est la compétitivité actuelle des différents moyens de production de l'électricité ? L'Office a travaillé dur sur ce sujet depuis six mois, et rendra son rapport dans la première semaine de février. Le prix du pétrole s'est effondré, celui du gaz est très bas, et aucun "choc" d'approvisionnement n'est prévu. Les prix actuels du pétrole et du gaz doivent donc servir de base à la comparaison. Point important : le charbon a fait des progrès considérables. Grâce à la technique du charbon pulvérisé et des lits fluidisés circulants, le prix du gaz de charbon et de l'électricité thermique a baissé.

Comment faire la comparaison des coûts ? Se pose d'abord une question de méthode. Toutes les méthodes d'évaluation des coûts, françaises ou étrangères, prennent en compte, pour le nucléaire, la gestion des déchets et le démantèlement des installations et intègrent les charges correspondantes dans le prix de revient du kwh. Tel n'est pas le cas pour les autres filières de production de l'électricité dont les coûts de leurs rejets, de leurs déchets et du démantèlement ne sont jamais intégrés dans le prix du kwh. Un fait est essentiel : c'est l'extrême disparité de la structure des coûts de production entre le nucléaire et le gaz. Le combustible représente environ 20 % du prix pour le nucléaire, alors qu'il représente 72 % pour le gaz. Toute variation du prix du gaz se répercute presque de plein fouet sur le prix du kwh, alors qu'une variation du prix de l'uranium est presque totalement amortie.

On a d'autre part évoqué l'effet de serre. La concentration de CO2 dans l'atmosphère est passée de 200 ppm au moment du dernier maximum glaciaire à 280 ppm en 1750, 315 en 1958 et 358 en 1998. Ainsi, depuis deux cents ans, la concentration en CO2 dans l'air a augmenté cent fois plus vite qu'au cours des 20 000 années précédentes. Si les émissions se maintiennent à leur niveau de 1994, la concentration de CO2 atteindra 500 ppm à la fin du XXIème siècle. On ne sait plus où l'on va. Ce qu'on sait en revanche c'est que l'augmentation rapide de la concentration en CO2 va induire des changements climatiques. Or les pays en voie de développement vont fatalement accroître leurs émissions de CO2. Il est donc de la responsabilité des pays industrialisés de tout faire pour éviter le drame qui menace notre planète.

Pour ce qui est de l'externalité des coûts, je vous renvoie à l'étude qu'a menée la Direction générale XII de la Commission européenne. Elle a pris en considération tous les effets d'externalité des coûts de la production d'électricité, qu'ils concernent la santé, les travailleurs ou l'environnement.

Les chiffres sont éloquents. Le coût externe, hors CO2, est de 1,6 centime par kwh pour le nucléaire, de 8 centimes pour le charbon et de 1,5 centime pour le gaz. Mais le coût externe du CO2 est de 2,6 centimes pour le gaz, de 6,6 centimes pour le charbon, et, bien entendu, nul pour le nucléaire.

La conclusion est claire : le nucléaire sera l'énergie de base pour les cinquante prochaines années, qu'on le veuille ou non.

Le Japon l'a compris, qui lance un grand programme de construction de centrales nucléaires. C'est aussi le cas de la Chine, de l'Inde, et de tous ceux qui sont conscients des exigences de l'avenir.

La France doit reprendre l'initiative. Pardon de vous le dire, Monsieur le ministre, mais l'arrêt de Superphénix est une stupidité !

M. Yves Cochet - C'est son démarrage qui était stupide !

M. Robert Galley - Si lointain soit-il, l'épuisement des réserves de pétrole et de gaz est inéluctable, un mur devant les générations futures.

Dans quelques jours, le démantèlement des installations de Superphénix commencera. Il coûtera très cher. Pour ne pas insulter l'avenir, mettez Superphénix sous cocon, ce qui, en plus, vous fera gagner beaucoup d'argent.

Par ailleurs, la France devrait lancer des expériences pour d'autres moyens de production. M. Borotra l'a fort bien dit, il nous faut penser aux industries françaises. Ces expériences sur notre sol les aideraient à exporter.

Il importe aussi, en dépit des menaces qui planent au sein même du Gouvernement, de lancer l'EPR le plus vite possible, sachons que dix ans sont nécessaires avant qu'il fonctionne.

Parlons des déchets, puisque c'est moi qui ai lancé l'usine de La Hague.

Mme Michèle Rivasi - Ce n'est pas une réussite !

M. Robert Galley - De plus en plus on lit et on entend que les personnels seraient responsables du fait que les déchets allemands ne soient pas renvoyés dans leur pays d'origine. C'est inexact. Les demandes de renvois s'accumulent sur le bureau du ministre. Que le Gouvernement fasse savoir que cette question relève de sa responsabilité !

En construisant l'usine de séparation isotopique de Pierrelatte, le général de Gaulle voulait nous doter de l'uranium 235, afin d'assurer l'indépendance militaire de la France. Il nous a garanti de surcroît l'indépendance énergétique.

N'oublions pas sa leçon ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Roger Meï - Enfin a eu lieu ce débat que nous réclamions depuis plus d'un an.

Je salue les travailleurs du secteur énergétique qui y participent aussi.

Energie et environnement sont les deux aspects d'un même problème.

La France jouit d'un bilan flatteur, la conférence de Kyoto l'a reconnu, parce qu'elle a su mener une politique d'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire. Le gaz, le pétrole, doivent être réservés à des utilisations plus nobles.

L'énergie nucléaire est propre, elle est maîtrisée et le problème des déchets en passe d'être résolu. Sans doute n'est-elle pas sans risque. Cependant, j'ai visité Superphénix, La Hague ; si on avait pris autant de précautions dans d'autres secteurs d'activité, combien d'ouvriers auraient échappé aux maladies professionnelles, aux accidents meurtriers !

Une campagne est menée par les adversaires du nucléaire sur les risques de contamination. Or jamais personne n'évoque le nucléaire militaire, ni le risque de dissémination de la bombe atomique.

Chaque année, en France, se produisent plusieurs Tchernobyl avec le décès de 60 000 personnes, tuées par le cancer dû à l'abus du tabac sans que cela émeuve grand monde. Combien de victimes des accidents de la route, de la pollution due aux gaz d'échappement ?

Certes, le risque d'accident nucléaire est réel. Faisons tout pour le diminuer. Mais rappelons-le, le lien entre cancer et nucléaire est visible dans les hôpitaux, où grâce à la chimiothérapie on soigne des milliers de personnes. Avec la radio, l'IRM, le nucléaire, dans les hôpitaux, est l'auxiliaire privilégié de la médecine. Jamais on n'en dit mot ! On n'a pas le droit d'hypothéquer l'avenir de la planète en laissant croître la température de l'atmosphère avec l'augmentation d'émission de CO2. Les signes précurseurs de catastrophes ne se font-ils pas sentir dès aujourd'hui ?

Le problème le plus grave demeure l'élimination de déchets radioactifs. L'arrêt de Superphénix, sans concertation préalable, est une faute, qui a ébranlé toute la filière nucléaire française.

Plutôt que d'enfouir les déchets, mieux vaut les utiliser le plus possible dans l'EPR dont nous espérons la décision prochaine de construction à travers la surgénération. Nous félicitons le Gouvernement d'avoir pris la décision à propos des laboratoires en surface et subsurface.

Oui, nous soutenons toute la filière nucléaire, pilier de notre politique énergétique électrique !

Notre politique énergétique doit développer l'utilisation des énergies renouvelables, les économies d'énergie, tout en connaissant les limites.

Patrick Malavieille et moi, députés de bassins miniers en activité, appelons le Gouvernement à revenir sur sa politique charbonnière. Le charbon est une énergie d'avenir, pour plusieurs siècles.

A l'heure de l'aménagement du territoire et du développement durable, on ferme les mines, dont vivent souvent des régions entières. On met à la retraite, sans remplacement, des hommes jeunes et disponibles. La fermeture de nos mines coûtera 105 milliards -un Crédit Lyonnais !- aux contribuables.

Les maintenir en activité serait moins coûteux. Nous reprenons notre position de prolonger de 5 ans l'activité charbonnière, comme l'ont fait les travaillistes anglais. Nous soutenons l'action des mineurs dans nos bassins du sud.

Dans quelques semaines nous débattrons de l'application des directives de Bruxelles sur l'électricité. Nous ne pouvons imaginer que l'Assemblée nationale puisse porter un coup fatal au magnifique outil que s'est forgé la nation à travers EDF-GDF.

Accepterons-nous que la loi du marché capitaliste joue d'abord sur la partie la plus rentable des consommations électriques, pour aller dans les 10 ans vers la déréglementation totale et probablement vers la privatisation d'EDF-GDF ? Déjà le Gouvernement paraît disposé à ouvrir son capital au secteur privé.

La surproduction de gaz, son prix, ses facilités d'exploitation attisent les convoitises des producteurs privés.

Il est amusant de lire dans le journal de Vivendi des arguments antinucléaires et environnementaux qu'on entend habituellement dans d'autres bouches ; mais M. Cochet est parti...

Notre pays serait imprudent de s'engager dans cette voie.

Je m'adresse à la majorité plurielle. Nous qui avons toujours défendu depuis le Conseil national de la résistance notre service public EDF-GDF, nous dont c'est la culture, allons-nous prendre la décision historique d'ouvrir au capital le marché électrique et, à plus ou moins long terme, des perspectives de privatisation ?

En décembre 1996, nos collègues socialistes déposaient, sous la signature de M. Bataille et de Mme Royal, un projet de résolution s'opposant résolument à l'application des directives européennes, avec lequel nous étions d'accord.

Serons-nous fidèles à cet engagement ?

On peut se battre à Bruxelles pour faire reconnaître la spécificité française. De récents arrêts de la Cour Européenne de Justice, le 23 octobre 1997, le montrent.

Une mission en Angleterre nous a prouvé que la déréglementation n'a pas beaucoup profité aux usagers anglais.

La France doit conserver le maîtrise de son système électrique et gazier, continuer sa recherche pour des centrales nucléaires de nouvelle génération, tout en gérant convenablement le problème des déchets, et en développant la recherche sur la thermofusion.

Elle doit revoir sa politique charbonnière, rechercher les économies d'énergie, notamment dans les transports, développer les énergies renouvelables.

Bref, il s'agit de laisser ouvertes toutes les voies, en ayant pour objectif de produire une énergie à bon marché, respectueuse de l'environnement, et de laisser aux générations qui suivent une planète propre disposant de l'énergie (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. le Président - Je vais suspendre la séance pour cinq minutes.

La séance, suspendue à 12 heures 35, est reprise à 12 heures 40.

M. Claude Gaillard - Je vous remercie, Monsieur le ministre, d'avoir organisé ce débat, que nous avions demandé lors de la discussion de la loi de finances. Compte tenu des positions variées des membres de votre majorité, je vous félicite de l'exercice intellectuel auquel vous avez dû vous livrer dans votre intervention...

Il aura fallu la décision allemande pour qu'on constate que le contrat n'avait pas été très bien négocié en 1990, aucune clause financière compensatoire n'ayant été prévue. Cette décision a été prise unilatéralement alors que le Premier ministre s'employait à nous expliquer que les relations avec nos partenaires seraient simplifiées par le fait que la majorité des gouvernements en Europe était désormais de gauche... Sans doute avions-nous donné l'exemple avec notre décision brutale sur Superphénix. Toujours est-il que cette affaire n'augure pas très bien de l'avenir.

Une politique énergétique doit avoir pour objectifs la recherche d'économies d'énergie, l'efficacité énergétique, l'indépendance énergétique nationale.

Sur le dernier point, l'essentiel vous manque, Monsieur le ministre, puisque des désaccords de fond s'expriment au sein de votre majorité, une partie de celle-ci ne voulant pas du nucléaire. J'ai entendu hier l'un de nos collègues déclarer que si vous lanciez l'EPR, il quitterait la majorité...

Les Verts nous disent à propos des déchets : pas de retraitement, pas de transport, ce qui signifie stockage sur place et finalement, arrêt de la filière nucléaire. La logique, qui relève d'une attitude théologique, me paraît perverse.

Peut-être avons-nous fait dans un premier temps une confiance excessive au nucléaire ; mais l'inquiétude qui lui succède ne l'est pas moins. L'important est de progresser dans la voie d'une séparation entre ceux qui décident et ceux qui contrôlent.

S'agissant de l'élargissement de nos approvisionnements en énergies fossiles, on constate que, en ce qui concerne le pétrole, nos industriels s'organisent de manière responsable. Pour ce qui est du gaz, je salue les efforts accomplis par GDF.

Il faut donner à nos entreprises un peu plus de liberté. Mais le problème est que le Gouvernement n'arrive pas à choisir entre dérégulation et approche monopolistique...

Quant aux énergies renouvelables, elles ne seront jamais l'essentiel, mais on ne fait pas assez pour les développer -l'énergie photovoltaïque pourrait rendre de grands services dans les DOM-TOM.

Par ailleurs, est-il bien opportun d'utiliser l'électricité pour se chauffer ?

M. Yves Cochet - Non.

M. Claude Gaillard - Il y a beaucoup de pertes et, d'une façon générale, on devrait garder à l'esprit le souci de rendement énergétique.

M. Yves Cochet - Le chauffage électrique, c'est une aberration thermodynamique !

M. Claude Gaillard - La cogénération aurait l'avantage de rapprocher le producteur de l'utilisateur, tout en diminuant les atteintes à l'environnement : il est donc souhaitable de la développer -j'approuve ce qu'a dit M. Borotra à propos des PME. Reste le débat sur la liberté des communes : seront-elles ou non des clients éligibles ?

M. Yves Cochet - Oui.

M. Claude Gaillard - Un autre problème tient au comportement collectif. Il faudrait développer les transports en commun urbains. Quant au chemin de fer, j'en suis un ardent défenseur, mais on n'y incite pas assez, et les financements sont insuffisants. Si l'on veut un transfert modal, il faut une politique de l'offre adaptée.

Au total, je n'ai pas à porter d'accusation politique majeure, ne sachant pas où le Gouvernement veut aller. Mais une politique énergétique devrait être lisible. Arrêtons, cependant, de nous faire des "noeuds dans le cerveau". Une option a été prise il y a 25 ans, elle marche, elle est peu polluante, nous avons là une compétence reconnue. Méditons l'exemple suédois : dix-huit ans après la décision d'arrêter, les douze centrales sont toujours là. Ce que je crains, c'est que vous fassiez de la politique énergétique une variable d'adaptation de la majorité.

Aujourd'hui, le coût du pétrole est anormalement bas, et ce n'est d'ailleurs pas de bonne politique internationale...

M. Yves Cochet - Très bien.

M. Claude Gaillard - Le manque de solidarité pourrait avoir un contre-coup, et la France doit anticiper. Nous verrons ce qu'il en sera de la volonté du Gouvernement lors de la transposition de la directive EDF : s'il y a une vraie politique, ou si l'on gère à la petite main (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Robert Honde - Notre débat d'aujourd'hui, plus serein que celui des spécialistes, me paraît opportun. Sinon pour participer à l'élaboration de notre politique énergétique, du moins pour recadrer les enjeux et bien distinguer le possible du souhaitable.

Alors que le nucléaire produit chaque année 88 millions de TEP, et que notre parc de centrales arrive à maturité, je limiterai mon propos à cette question, pour moi prioritaire : le prix des combustibles fossiles s'est effondré, les stocks de pétrole représentent près d'une année de consommation. Cependant, le progrès technique a permis d'abaisser les coûts de production de l'électricité, mais les écarts de compétitivité se sont réduits, rapprochant le nucléaire du gaz et même du charbon. Dans cette nouvelle conjoncture, y a-t-il des invariants dans notre situation énergétique ? Faut-il accorder autant d'attention aux cours des combustibles fossiles ? Faut-il remettre en cause notre façon d'aborder les questions énergétiques ?

Sans décrier les espoirs que font naître les évolutions technologiques, je voudrais souligner que le progrès technique fait apparaître des sources d'énergie complémentaires, plutôt que concurrentes des moyens actuels. L'électronucléaire a apporté une contribution très importante à la croissance de l'économie française, et aucune autre filière n'aurait pu réaliser de telles performances : avant d'être un outil de changement politique, l'énergie est un outil de compétitivité économique. Et dans les années qui viennent nous devons pousser notre avantage, en toute indépendance, certes améliorer le fonctionnement de toute la filière nucléaire, par une transparence accrue et une démocratie plus vivante, mais confirmer notre choix nucléaire.

Sur ce sujet passionnel qu'est l'énergie, poussés par les spécialistes pour qui le nucléaire devient un nouveau "marronnier", il me semble que nous perdons toute mesure.

Dans le débat sur les moyens de production de l'électricité, on fait référence à une évolution technologique qui permettrait un nouveau modèle de production et de consommation. Les partisans du cycle combiné au gaz notent que cette technologie peut s'appliquer dans des conditions économiques satisfaisantes à des centrales de tailles très différentes.

Quant à la cogénération elle atteint des rendements très élevés pour des installations de taille réduite, permettant de fournir des collectivités de taille réduite, comme les hôpitaux, les grands ensembles immobiliers, les installations industrielles.

La pile à combustible, elle, bénéficiera des progrès recherchés par l'industrie automobile, et pourrait bientôt rejoindre le rayon des machines à laver pour assurer l'approvisionnement en électricité et en chaleur d'un appartement.

Enfin les énergies nouvelles renouvelables bénéficient de progrès de compétitivité, avec le soutien des pouvoirs publics, comme le programme Eole 2005 pour les aérogénérateurs. Toutes ces évolutions rapprochent potentiellement la production du consommateur.

Est-ce à dire que nous pouvons entrevoir la fin de l'énergie centralisée ?

L'appropriation d'un moyen technique par l'utilisateur est une évolution normale et l'évolution de l'informatique est souvent citée en exemple. Mais l'informatique "répartie" ne s'est pas développée au détriment des ordinateurs centraux, elle a multiplié les besoins de traitement de l'information en masse. On peut imaginer qu'il en irait de même pour l'énergie.

Je veux rappeler la contribution de la filière électro-nucléaire à la croissance et à la compétitivité françaises. A la veille du premier choc pétrolier, notre taux d'indépendance énergétique était de 22 %. Depuis le début de son industrialisation d'ailleurs, la France a dû surmonter ce handicap qu'a constitué l'insuffisance de ses ressources en combustibles fossiles. Au début des années 30, notre pays importait 40 % de sa consommation de charbon. L'hydroélectricité a constitué une avancée majeure, mais les sites rentables, vite équipés, étaient en nombre limité. Le gaz de Lacq nous a apporté, dans les bonnes années, jusqu'à 6 millions de tonnes équivalent pétrole, mais ce chiffre est retombé à 2 millions en 1997.

Notre programme électro-nucléaire a été lancé en 1970, avant même le choc pétrolier. Notre taux d'indépendance est passé de 20,4 % cette année-là à 52,6 % en 1995, alors qu'un pays comme l'Italie est resté dépendant à 71 %. La part de notre facture énergétique dans le PIB est passée de 5,6 % à 1,3 %.

Nous entendons dire qu'il faut développer les énergies renouvelables. Mais aux Etats-Unis, malgré des investissements massifs, leur part dans la production d'énergie ne dépasse pas 5 %, hydroélectricité comprise.

Ce ne sont pas les lobbies mais les lois de la physique qui font que les éoliennes et les cellules photo-voltaïques ne peuvent remplacer nos centrales. Notre pari sur le nucléaire a été gagnant.

M. Yves Cochet - Nous en reparlerons.

M. Robert Honde - Qu'il faille améliorer notre système d'information, qui ne le voit ? Qu'il faille rendre la filière plus transparente, nul ne s'en soucie davantage que le Parlement. Notre Assemblée travaille depuis 1990 sur cette question et a fait connaître ses exigences par la voix des rapporteurs de son Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, dont M. Christian Bataille.

Nous attendons donc avec impatience l'examen du projet relatif au contrôle des installations nucléaires.

Avantage décisif hier, le nucléaire reste un atout pour demain. N'y renonçons pas au nom de l'Europe et réaffirmons notre spécificité. A peine la coalition SPD-Vert a-t-elle annoncé l'abandon de la filière nucléaire allemande à un terme qui reste à négocier, qu'on parle de menaces sur l'entente franco-allemande. Depuis 1980, pour des raisons économiques, la Suède piétine dans son processus d'abandon du nucléaire.

Le nucléaire existe. Comment se désoler d'un tel atout ? Nous tirerons le plus grand profit de cette filière si nous savons la gérer, au plan industriel comme en matière de sécurité.

Monsieur le ministre, vous savez que ce parc que nous avons mis quinze ans à construire, nous pouvons aussi le perdre dans les quinze années qui viennent. Il faut équiper nos centrales de réacteurs EPR. Les députés radicaux de gauche vous demandent quand vous déciderez d'engager la France, avec qui voudra la suivre, dans la construction du réacteur européen du futur (Applaudissements sur divers bancs).

M. Claude Gatignol - Ne laisser à chaque orateur que quelques instants pour traiter d'un tel sujet, ce n'est guère convenable, compte tenu de l'actualité.

Malgré la faiblesse de ses ressources primaires, la France est devenue un grand pays industriel, c'est-à-dire un important consommateur d'énergie. Il appartient à l'Etat d'assurer son approvisionnement, sous des formes diverses.

Le pétrole et ses dérivés jouent toujours un rôle de premier plan. Grâce à Elf et à Total, notre pays est présent à tous les niveaux de la filière pétrolière et la récente acquisition de Pétrofina par Total vient de renforcer notre position internationale.

Les produits pétroliers fournissent 41 % de notre énergie primaire, la moitié de cette quantité étant consommée par les véhicules. Hors taxe, le prix du carburant en France est un des plus bas d'Europe. Si toutefois vous croisez à Bercy M. le ministre de l'économie et des finances, rappelez-lui, Monsieur le secrétaire d'Etat, que nos 83 % de TIPP nous mettent en mauvaise posture. Nous attendons une certaine modération fiscale, d'autant que la pollution automobile n'est pas aussi grave qu'on le dit. On s'est aperçu que le pic de pollution qui a motivé la journée sans voiture à Paris était dû aux rejets d'une usine d'incinération.

Les carburants propres et économiques suscitent beaucoup d'espoir. Le Gouvernement compte-t-il prendre des initiatives pour inciter à leur utilisation.

Le gaz est un produit aussi intéressant qu'abondant. Importé de quatre pays, il fait l'objet de contrats valables vingt-cinq ans, ce qui garantit la sécurité de notre approvisionnement. Le gaz, qui représente 14 % de notre énergie primaire, est importé à 95 %. Mais quelles sont nos capacités de stockage ? Grâce aux nouvelles turbines, particulièrement performantes, le gaz pourra servir à la production d'électricité à un coût très concurrentiel, ce qui permettra de faire face aux pics de pollution.

Les énergies renouvelables, y compris l'hydro-électricité et le bois, doivent être développées, même si nous connaissons leurs limites. Il existe des sites propices à l'exploitation de l'énergie solaire, dont on peut attendre quelques mégawatts, mais à quel prix de production et de maintenance ? Ceux qui ont vu des champs d'éoliennes aux Etats-Unis savent que les vaches elles-mêmes hésitent à s'y aventurer. Les possibilités de l'énergie solaire restent limitées, même si le chiffre d'affaire des sociétés françaises spécialisées dans ce domaine progresse. Y a-t-il par ailleurs, en France, un programme en faveur de la pile à combustible ? Dans le domaine nucléaire, grâce à EDF, au CEA et à Framatom, nous disposons d'une expertise sans pareille et surtout d'installations construites en série, ce qui nous donne un parc homogène et des procédures reproductibles.

L'investissement a été très lourd, -près de 1 000 milliards-, mais l'économie réalisée -100 millions de tonnes équivalent pétrole par an- est à sa mesure. L'enjeu en valait la chandelle, pour ne pas dire la lampe à pétrole. C'est à souligner au moment où on s'apprête à libéraliser le marché français de l'électricité, une mesure attendue par les consommateurs car elle fera baisser les tarifs.

La filière nucléaire a cette particularité que le combustible utilisé n'est pas jeté, mais retraité et réutilisé. La Cogema procède donc à une sorte de tri sélectif. Comme l'a souligné Robert Galley, cette source d'énergie nous a procuré un niveau inespéré d'indépendance énergétique sans porter atteinte à l'environnement. Sous l'influence d'une minorité, des décisions lourdes de conséquences ont été prises par certains gouvernements. Dans ce domaine très contrôlé, encadré par des textes dont le plus célèbre est la loi Bataille, il faut toujours réclamer plus de sûreté et de transparence, mais aussi dresser un bilan économique. Grâce à nos choix passés, nous avons l'électricité la moins chère d'Europe. Monsieur le ministre, le Gouvernement compte-t-il bien poursuivre dans cette voie ? Allez-vous obtenir l'autorisation de "moxer" tous nos réacteurs ? Quelles décisions comptez-vous prendre pour renouveler notre parc ? L'avenir passe par la construction de l'EPR, le réacteur européen du futur. Nous attendons votre décision avec impatience.

Un gouvernement soucieux de l'avenir est celui qui développe ses atouts. La conjugaison des différentes sources d'énergie est nécessaire. En outre, il nous faut relancer notre politique d'économies d'énergie. Il ne fait aucun doute que la chance, pour la France, c'est le nucléaire.

Enfin, Monsieur le ministre, souvenez-vous du mot de Talleyrand : quand il est urgent, il est déjà trop tard (Applaudissements sur les bancs du groupe DL).

M. le Président - Il est déjà 13 heures 15 et il y a encore beaucoup d'orateurs inscrits...

M. André Billardon - Compte tenu des délais, je limiterai mon propos au maintien ou non de l'option nucléaire, sujet majeur qu'il nous faut aborder pour des raisons à la fois techniques -la question du remplacement des centrales se posera à partir de 2010-, institutionnelles -l'Europe impose désormais des règles communes qui introduisent concurrence et déréglementation-, économiques -le prix très bas du gaz en fait un concurrent sérieux du nucléaire civil-, politiques enfin, car les opinions publiques exigent un débat démocratique sur la question.

Pour conduire ce débat, il faut d'abord éviter les caricatures. On peut être partisan convaincu du choix nucléaire sans être automatiquement un archéoproductiviste membre d'un lobby. De mon côté, je ne tourne jamais en dérision ceux qui veulent développer les énergies alternatives.

Je rappelle simplement que remplacer une centrale au charbon par une centrale au gaz, c'est diminuer les émissions de CO2, alors que remplacer une centrale nucléaire par une centrale au gaz a pour effet de les augmenter.

Concernant la production d'électricité, quatre critères doivent nous guider : recherche de l'indépendance maximale, inscription dans le long terme, fourniture à prix modéré, respect de l'environnement. Si l'on considère ces quatre critères, l'électricité, d'origine nucléaire est incontournable.

Mais il faut se préoccuper davantage du retraitement et de l'aval du cycle. J'insiste à cet égard sur la nécessité d'appliquer la loi Bataille et sur l'importance du combustible Mox. Il faut aussi que les choix relatifs au programme électro-nucléaire soient faits dans une plus grande transparence, sous le contrôle de l'opinion publique. Or depuis le début le nucléaire souffre d'un déficit de démocratie et d'une culture du secret.

Par ailleurs, l'avenir du nucléaire suppose des choix immédiats relatifs à la filière industrielle et au réacteur franco-allemand EPA. Avec le CEA, Framatome, la Cogema et EDF, la France possède la première filière industrielle nucléaire du monde, qui a permis un taux d'indépendance énergétique de 52 % et représente 30 000 emplois directs ainsi que 28 milliards d'exportations. Mais j'y insiste : c'est aujourd'hui que les décisions doivent être prises, car ne rien décider fermerait l'option nucléaire. Framatome doit absolument maintenir sa compétence ; son actionnaire majoritaire doit y veiller.

Quelques mots enfin à propos de l'EPR, ce réacteur de nouvelle génération, fruit de la coopération entre Framatome et Siemens, qui a à la fois pour ambition plus d'efficacité énergétique et plus de sûreté. Le maintien de nos capacités technologiques implique que nous construisions rapidement la tête de série de l'EPR : je suggère que cela se fasse dès cette année sur un site français. Et j'espère, Monsieur le ministre, que vous accepterez des amendements en ce sens dans le projet sur la modernisation du service public de l'électricité.

Parier sur l'avenir du nucléaire civil, c'est faire le choix d'une société moderne et celui du développement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Asensi - Le 27 novembre dernier, le Premier ministre a rappelé, devant la mission interministérielle sur l'effet de serre, que "la France ne devait pas avoir dépassé en moyenne, sur la période 2008-2012, le niveau des émissions de carbone de 1990". Sachant que les énergies renouvelables ne représentent que 1,8 % de la consommation nationale, comment le Gouvernement tiendra-t-il ces engagements ?

Je voudrais pour ma part évoquer l'une de ces énergies renouvelables : la géothermie.

Après le second choc pétrolier et les efforts demandés pour réaliser des économies d'énergie, l'Etat a encouragé les collectivités locales à investir dans la géothermie, avec le concours financier de la Caisse des dépôts et consignations. Il promettait notamment aux maires des prêts avantageux, l'absence de concurrence avec d'autres formes d'énergie, une technique maîtrisée, et aux futurs abonnés, des économies substantielles. Aucune promesse ne fut tenue.

Dès le démarrage, des difficultés sont apparues. L'absence de toute mutualisation des risques a rendu les villes individuellement responsables et les conduisait tout droit à l'impasse financière parce qu'elles avaient garanti des masses d'emprunt considérables.

En 1991, l'Etat décida donc de prendre partiellement en compte leurs difficultés, mais il ne tarda pas à retirer les avantages qu'il venait d'accorder, notamment en portant de 5,5 % à 18,6 % puis à 20,6 % le taux de TVA sur les abonnements. Rappelons que dans la loi de finances pour 1999, le taux de TVA sur les abonnements EDF-GDF est passé de 20,6 % à 5,5 % : il est inadmissible de ne pas en faire autant pour les abonnements au chauffage urbain.

En Ile-de-France, les 40 sites de géothermie en activité produisent de la chaleur pour une combustion de 150 000 tonnes d'équivalent pétrole. Cette chaleur est distribuée à 130 000 logements, en majorité des logements sociaux.

La production géothermique a permis d'éviter, annuellement, le rejet dans l'atmosphère de près de 700 000 tonnes de gaz carbonique, de 8 740 tonnes de dioxyde de soufre, de 1 110 tonnes d'oxydes d'azote et de 200 tonnes de poussières.

Pourtant, 15 ans après, la majorité des villes qui se sont engagées dans cette voie sont confrontées à l'échéance du renouvellement des polices d'abonnement et des contrats d'affermage. Dans un univers fortement concurrentiel, les abonnés sont tentés de faire d'autres choix parmi des fournisseurs d'énergies non renouvelables comme par exemple GDF.

Si nous ne faisons rien, nous allons vers une fermeture des puits, car la charge des emprunts pesant sur la géothermie reste très importante. Sans cette charge, l'énergie géothermique coûte trois fois moins cher que le gaz.

Cette situation est d'autant plus injuste que, dans les années 1970, les pouvoirs publics ont donné de solides garanties aux villes, dont celle de Tremblay, dont je suis le maire et qui a clairement choisi le développement durable.

Monsieur le ministre, ce choix doit également être celui du Gouvernement. L'association AGEMO a fait des propositions dont vous pourriez vous inspirer.

Il faut que cesse la concurrence à armes inégales avec EDF-GDF. Le ministère des finances doit, par ailleurs, agir auprès des organismes financiers, en particulier la Caisse des dépôts et consignations qui n'attend que des directives du Trésor pour que les annuités d'emprunts soient les plus basses possibles. Cela passe par une baisse des taux d'intérêts. Un geste en ce sens a été fait par le ministre des finances. Il faut maintenant son feu vert pour l'étalement des dettes sur la durée des contrats. Il faut également appliquer rapidement une taxe européenne pénalisant les énergies fossiles, productrices de gaz à effet de serre. Il faut enfin classer les réseaux de chaleur géothermique et tirer les conséquences de la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie. Les réseaux de chaleur alimentés par la géothermie doivent constituer la cible privilégiée de ces dispositifs. Si cela n'était pas possible, il faut que l'Etat et les régions supportent une partie des dettes des maîtres d'ouvrages, afin de retrouver une juste mutualisation des risques.

La géothermie reste une expérience à encourager. Je compte sur le soutien du Gouvernement pour aider les collectivités locales qui ont parié sur elle (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Michel Meylan - L'arrêt de Superphénix, l'ouverture des marchés du gaz et de l'électricité, le programme de remplacement de notre parc de centrales nucléaires, la décision unilatérale du gouvernement allemand de cesser le traitement des déchets sur le site de La Hague, démontrent la nécessité d'ouvrir un large débat national sur notre politique énergétique.

Débat auquel le Parlement doit être pleinement associé. Non de façon épisodique mais au moins chaque année. Ce qui implique de la part du Gouvernement une plus grande transparence dans ses choix, lesquels doivent obéir, me semble-t-il, à trois exigences : indépendance énergétique, maîtrise de l'énergie, protection de l'environnement.

La maîtrise de l'énergie passe notamment par une politique audacieuse de réduction des gaspillages, que ce soit dans le domaine du logement -je pense en particulier à la réhabilitation-isolation de l'immobilier social construit dans les années 1960-1975- ou celui des transports, où certains semblent envisager la création d'une taxe sur les véhicules industriels pour inciter à l'utilisation des transports collectifs. Quand résoudra-t-on les problèmes autrement qu'en augmentant la fiscalité ? Il faudrait d'abord s'interroger sur l'utilisation qui est faite de la taxe sur les produits pétroliers et sur l'adaptation de l'offre de transports collectifs aux besoins des populations.

S'agissant de l'indépendance énergétique, il ne faut pas négliger le développement des énergies renouvelables, domaine dans lequel notre pays dispose de réels atouts ; mais on ne peut raisonnablement penser que celles-ci pourront demain se substituer aux énergies traditionnelles. Dans l'état actuel des choses, seule la filière électronucléaire nous garantit l'avenir. C'est bien pourquoi l'arrêt du surgénérateur Superphénix constitue une décision grave. Elle est d'ailleurs critiquée par de nombreux experts et élus, ainsi que par l'ensemble des personnels et des syndicats. Et elle a des conséquences désastreuses pour les salariés et leur famille ainsi que pour les collectivités locales du canton de Morestel, sans parler de tous ces emplois induits.

De même qu'il faut renforcer le contrôle du Parlement, les élus locaux et régionaux devraient être mieux associés aux grandes décisions en matière de politique énergétique et de maîtrise de l'énergie. Dans le cas de Superphénix, ils ne furent pas consultés. Je souhaite que les nouvelles dispositions sur l'aménagement du territoire et les schémas de service collectifs favorisent cette participation des élus locaux.

La décision de fermeture de la centrale est étrangère à une politique énergétique inscrite dans la durée. Elle ne s'imposait ni pour des raisons de sûreté, ni pour des raisons financières, ni même pour des raisons de recherche. Elle satisfait uniquement aux promesses électorales de l'aile verte de votre majorité plurielle. Abandonner Superphénix c'est renoncer à préparer l'avenir et à préserver notre savoir-faire.

Or nous devons poursuivre le programme nucléaire engagé dans les années 70, même si nos voisins allemands remettent en cause leur politique nucléaire, pour des raisons électorales plutôt qu'objectives. Notre taux de dépendance énergétique est passé de 23 % en 1973 à 52 % aujourd'hui. Le nucléaire nous permet de produire 80 % de notre électricité et d'économiser 100 millions de tonnes de pétrole par an, soit l'équivalent de la production du Koweit. Et la France est l'un des pays les moins polluants de la planète puisque l'énergie électronucléaire n'émet pas de gaz à effet de serre. Nous devons certes contrôler la sécurité de nos centrales et sécuriser le transport et le traitement des déchets radioactifs. Mais la situation du nucléaire en France ne peut être comparée à celle des pays de l'Est. Plutôt que de venir faire de la provocation à la Hague, les écologistes pourraient se préoccuper de la situation désastreuse des pays de l'Est, et, par exemple, des sous-marins nucléaires qui pourrissent dans la mer de Baral.

La décision allemande peut d'ailleurs faire sourire : pour assurer leur approvisionnement énergétique, nos voisins devront produire leur électricité à partir de combustibles qui contribuent au réchauffement de la planète, et importer de l'énergie produite dans les pays de l'Est par des centrales très peu sûres, ou s'approvisionner chez nous. C'est si simple d'être anti-nucléaire chez soi et de compter sur la production nucléaire de ses voisins... Cette décision risque d'autre part de remettre en cause la coopération franco-allemande sur le réacteur EPR. Quelle sera l'attitude de la France sur cette question ? Comment allez-vous gérer l'incohérence, au sein de votre majorité, entre les Verts, qui sont en adéquation avec la nouvelle politique énergétique allemande, et la position du Gouvernement sur la nécessaire pérennité du nucléaire en France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

M. Michel Destot - Lors du colloque tenu en juin à l'Assemblée sur les défis internationaux de la politique énergétique française, le Premier ministre se prononçait pour un changement de mentalité, souhaitant "multiplier les occasions de débat au Parlement" et "mettre fin à une certaine culture du secret". Le présent débat est un pas en ce sens. Il en faudra bien d'autres, ne serait-ce que pour prendre toute la mesure de l'évolution du contexte énergétique français en quelques décennies. D'une approche essentiellement hexagonale, fondée sur l'indépendance nationale, nous devons passer à une culture plus internationale, pour affronter un marché désormais mondial où la France peut faire valoir des atouts de premier ordre. L'accident de Tchernobyl nous a rappelé la relativité des frontières administratives. Les engagements contractés au sommet de Kyoto s'imposent à tous, car la protection de notre environnement se vit à l'échelle planétaire. Nous savons trop les risques écologiques que présenterait le développement énergétique mal maîtrisé de pays comme la Chine.

Il faut donc poursuivre dans la voie tracée par le Gouvernement, mais en poussant plus encore les feux, et tout d'abord en instaurant une démocratisation et une transparence accrue de la problématique énergétique. C'est un domaine où les temps de réponse sont longs : il faut anticiper pour un demi-siècle nos choix de vie, d'aménagement du territoire, d'urbanisme, de transport, de logement. On a beaucoup parlé de l'électricité, mais pas assez des transports, dont l'avenir, lié au pétrole, est problématique. Notre politique budgétaire et fiscale est largement hors course à cet égard. Il faut faire en sorte que l'intervention publique porte autant sur la demande que sur l'offre. Il faut le faire de façon démocratique, donc dans le respect de la représentation nationale. Je propose que l'on programme une loi d'orientation pluriannuelle qui fixerait, sur cinq ans par exemple, les grands engagements de la France en matière de recherche sur l'aval du nucléaire et les énergies renouvelables ; d'investissements, concernant le réacteur EPR et la diversification énergétique ; ainsi que dans le domaine de la coopération internationale qu'il s'agisse de la sûreté nucléaire ou de la politique d'après Kyoto.

La France doit prendre toutes ses responsabilités. Le nucléaire ne pouvant répondre à toutes les demandes, il faut amplifier l'action pour la maîtrise de l'énergie, la diversification et les énergies renouvelables. En augmentant de 500 millions le budget de l'ADEME, le Gouvernement a fait un pas dans cette direction. Il faut l'inscrire dans la durée et permettre à la France de quitter la dernière place européenne en matière de recherche et développement dans ce domaine. Notre politique doit aussi répondre à l'émergence des sources de production de proximité, en favorisant la cogénération et les offres multiservices. La loi sur l'électricité devra assurer un bon équilibre entre EDF et les régies et SEM locales de distribution.

Quant au nucléaire, nous devons le maintenir à un haut niveau de performances. C'est l'intérêt économique, social et écologique de notre pays et même du monde entier, la France étant devenue une référence en matière de sûreté. Le désengagement allemand renforce même nos responsabilités internationales. Peut-on en effet laisser isolés les pays d'Europe de l'Est aujourd'hui, la Chine et l'Inde demain ? Je plaide donc pour que nous décidions d'ici à la fin 1999 la réalisation de l'EPR (Murmures sur les bancs du groupe RCV). Le partenaire allemand Siemens y est prêt, il vient de le confirmer. Nous avons quelques mois pour rechercher un site approprié. La France dispose de nombreux sites nucléaires, dont certains en reconversion : pourquoi ne pas étudier la faisabilité d'une telle implantation ?

A court terme, il nous fait conforter la filière Mox, et exiger de nos partenaires allemands qu'ils traitent la Cogema et la France selon des règles plus respectueuses du droit et du sort des gens. Je m'associe aux revendications de mon collègue Bernard Cazeneuve, préoccupé par les risques économiques et sociaux que ferait courir au site de La Hague le maintien de la décision brutale et unilatérale de l'Allemagne.

La France peut trouver un équilibre en matière énergétique à condition de sortir de l'affrontement manichéen nucléaire-antinucléaire et que l'on ouvre de nouvelles perspectives à notre industrie et à notre recherche au plan international. C'est l'occasion de réussir la synthèse entre croissance économique, progrès social et développement durable : un des plus beaux chantiers pour notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs).

M. Ernest Moutoussamy - J'évoquerai la problématique de l'avenir d'EDF dans les départements d'outre-mer.

Depuis cinq ans sont apparus en Guadeloupe de nouveaux producteurs d'électricité, à la faveur de la politique d'indépendance énergétique menée par la région, l'ADEME et EDF elle-même au titre du programme régional des énergies renouvelables, et de la décision prise par les pouvoirs publics de créer une centrale bagasse-charbon pour accompagner la restructuration de la filière canne. Ces entreprises nouvelles, dans lesquelles EDF est systématiquement partie prenante, développent certes des technologies de pointe, qui font déjà de la Guadeloupe une vitrine dans ce domaine. Leur arrivée sur le marché a toutefois des conséquences néfastes, notamment la fermeture anticipée de certaines installations d'EDF, ce qui a un effet dévastateur sur l'emploi, fait craindre des répercussion sur la continuité de l'alimentation, et suscite des inquiétudes pour la sûreté des zones riveraines : le stockage de volumes importants de combustibles n'est pas sans danger surtout dans une région sensible aux catastrophes naturelles.

Comme la production d'EDF suffit à couvrir les besoins énergétique de l'archipel guadeloupéen, il ne faut pas encourager aveuglément la production privée d'électricité. Il convient donc, comme en France métropolitaine, de lever l'obligation d'achat imposée à EDF, sans quoi celle-ci pourrait être amenée à acheter un jour plus d'énergie que n'en nécessitent les besoins réels du pays. L'apparition de nouveaux producteurs exige de réorganiser la gestion du système électrique guadeloupéen pour mettre en synergie l'ensemble des acteurs et assurer une utilisation rationnelle des différentes sources d'énergie. S'il est légitime de faire appel à toutes les énergies disponibles, il faut inclure toutes les entreprises privées productrices d'électricité dans le périmètre du service public et sous la direction d'EDF.

Par ailleurs, dans le cadre de la future loi sur le service public de l'électricité, il importe de maintenir pour l'outre-mer un régime de prix connecté au prix EDF métropolitain. Dès lors que seront imposées à l'opérateur du service public certaines contributions créant des surcoûts importants, la péréquation tarifaire entre les DOM et la métropole doit être appliquée au nom de la continuité territoriale. Il convient donc d'intégrer le déficit d'EDF en Guadeloupe dans les charges du service public à financer.

Enfin la Guadeloupe constitue, au sens de la directive européenne, un ensemble de petits réseaux isolés, susceptibles de bénéficier des dérogations prévues à l'article 24-3. La France doit demander ce bénéfice à la commission ; on pourrait ainsi éviter d'instaurer dans notre département une concurrence au niveau du client final. En définitive, même si la nouvelle réglementation met fin au monopole d'EDF, elle n'interdit pas le maintien d'un service public de l'électricité. Nous devons donc veiller à ce que la dérégulation n'entrave pas notre développement, ni ne conduise à un recul de notre société (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. François Dosé - Ma contribution sera partielle, partiale et partisane.

Partielle, car j'aborderai un seul aspect des problèmes énergétiques : l'aval du cycle nucléaire, en particulier la gestion des déchets dits ultimes. Un élément ne préjuge pas toujours de la globalité, mais parfois celle-ci est discréditée par un élément.

Partiale ensuite ; représentant de la nation mais aussi de Bure, village où s'engageront les travaux de l'un des deux laboratoires souterrains, j'appréhende des nécessités aux déclinaisons contradictoires : intérêt national et contingence territoriale, réponse immédiate et héritage laissé aux générations futures...

Partisane enfin ; socialiste, je note avec satisfaction que c'est l'un des nôtres qui proposa la loi du 30 décembre 1991, mais seulement 15 ans après la décision de nucléariser la quasi-totalité de nos sources d'énergie. De plus, notre gouvernement met progressivement en place un système moins déséquilibré et moins opaque.

Si je rappelle les exigeantes obligations du principe de précaution, ce n'est pas pour discréditer la filière nucléaire, mais pour répondre à des enjeux d'ordre éthique et économique.

Prétendre qu'exprimer publiquement sa vigilance, voire sa méfiance, sur certains aspects de la politique nucléaire nous classerait objectivement comme des militants antinucléaires est une sottise. Si cette filière veut mériter sa pérennité, il lui faut apprendre la démocratie, la transparence, la modération, et la maîtrise de ses déchets. Le temps de l'accompagnement béat est révolu.

Afin que nos concitoyens comprennent bien les enjeux et, le cas échéant, en acceptent les contraintes ou les risques, la politique énergétique doit être soumise à la validation et au contrôle des élus de la nation. En effet, le déficit démocratique enfante les rumeurs, les peurs, et pour finir les rejets.

Puisse ce premier débat annoncer une autre pratique politique.

Tous ensemble, travaillons à exclure la possibilité d'entreprendre dès 2006 la réalisation d'un centre de stockage de déchets radioactifs en couche profonde et à refuser l'irréversibilité du stockage des déchets pour les temps présents.

En effet en 1991, l'Assemblée décidait d'engager des programmes de recherches tendant à la gestion des déchets et précisait que, 15 ans après, le Parlement pourrait, le cas échéant, statuer sur la création d'un centre de stockage à grande profondeur.

Or, les travaux du premier laboratoire n'ont pas commencé et le second site n'est pas encore choisi.

En conséquence, décidons que le Parlement ne pourra statuer définitivement qu'au moins 15 ans après le début des travaux du second laboratoire.

Auparavant, si la saisine du Parlement reste souhaitable dès 2006, tout vote de sa part serait incompréhensible dans l'opinion publique et discréditerait les responsables politiques.

Enfin, prenant acte du relevé de conclusions du 9 décembre 1998, je souhaite que nous mettions solennellement hors la loi l'hypothèse pour les temps présents du stockage irréversible par enfouissement qui pourrait conduire à esquiver des recherches en transformation ou transmutation, jugées trop coûteuse.

L'irréversibilité du stockage, si les roches s'avéraient un bouclier efficace pour des temps indéfinissables, ne serait tolérée que si une génération était confrontée à l'impossibilité de maintenir "dans le colis" la radioactivité des déchets, ce qui n'est pas encore le cas.

M. le Président - Veuillez conclure !

M. François Dosé - Sans impertinence mais sans relâche, je ne cesserai de vous rappeler cette nécessité.

Le débat est enfin engagé. Merci à ceux qui l'ont permis. Il faut maintenant le mener à son terme (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Michèle Rivasi - Au dogmatisme des certitudes doit faire place la pédagogie du changement. Nous sommes en période de choix, ce qui doit nous conduire à réfléchir.

Je regrette que ce débat ne dure qu'une demi-journée, alors qu'il intéresse tous les citoyens et tous les responsables politiques. Plus qu'une suite de monologues, j'aurais préféré des propositions d'actions éventuellement conclues par un vote.

Il existe un dogmatisme très fort sur le concept de progrès, conçu comme le déploiement d'une technologie centralisée, coûteuse, voire dangereuse, et très peu capable d'adaptation. Chacun peut mesurer combien cette espèce de productivisme prévaut aujourd'hui.

La pédagogie du changement, elle, ouvre sur une technologie décentralisée, modulable, plus soucieuse de la demande des citoyens.

L'impératif de productivisme, pour lequel il fallait consommer à tout prix du kilowatt/heure nucléaire, a conduit à refuser la cogénération, dont le rendement est pourtant de 80 %, contre 30 % pour les centrales, à refuser aussi les turbines à gaz, qui évitent le désagrément des lignes haute tension et dont j'espère qu'elles alimenteront bientôt Nice.

Ce dogmatisme a rendu également frileux sur le développement des énergies renouvelables, que des pays étrangers comme l'Allemagne ont lancé depuis longtemps. Elles ne remplaceront pas, nous dit-on, le nucléaire. Efforçons-nous du moins d'atteindre l'objectif des 12 %, en choisissant selon les conditions locales la géothermie, l'éolienne ou le soleil. Ce sont des énergies de ce type que les pays d'Afrique, d'Amérique centrale ou Madagascar sont demandeurs, et non pas du nucléaire. De fait, les Danois, les Allemands, répondent aux appels d'offres de ces pays, mais non les Français. Nous devons absolument soutenir la recherche et l'innovation dans le domaine de la maîtrise de l'énergie.

Nous avons à relever deux défis : respecter le protocole de Kyoto, réduire la part du nucléaire dans la production d'énergie. On l'a dit, avec 56 réacteurs en activité, il existe toujours un certain pourcentage de risques d'accidents majeurs. S'il devait s'en produire un jour, tous ici nous en serions responsables. Plus les réacteurs sont nombreux, plus le risque est grand.

Dans ces conditions, comment imaginer d'exporter la filière nucléaire dans des pays sous-développés ? Celle-ci n'est sûre que si l'argent est suffisant pour les faire fonctionner. On voit ce qu'il en est en Russie : sans argent, pas de sûreté.

S'agissant des déchets, comment préparer les choix de 2010-2020 ?

M. le Président - Veuillez conclure !

Mme Michèle Rivasi - Pour commencer, il faut réduire la demande d'électricité. Les ministres, les maires, tous les bâtiments publics devraient devenir des vitrines de la maîtrise de l'énergie. Il faudrait interdire le chauffage électrique, renforcer l'isolation thermique au-delà des 30 % réglementaires, installer des lampes à basse consommation. En quoi serait-ce archaïque ?

La transparence, qui est une nécessité, ne doit pas devenir un instrument d'escamotage, comme à la Cogema où plus on parle de transparence, moins on la pratique.

Je suis favorable à la création d'une haute autorité, mais dépendante des politiques, et que les citoyens pourraient saisir.

Le nucléaire est une chose trop importante pour être confisquée par des fonctionnaires. Il relève de la responsabilité des politiques, qui en répondront devant les générations futures (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur certains bancs du groupe RCV).

M. le Secrétaire d'Etat - Ce débat riche, constructif, s'est déroulé dans un climat apaisé, sans polémique. Il incite à l'optimisme quant à la possibilité pour le Gouvernement et le Parlement de travailler ensemble à la définition des grandes orientations de notre politique.

Des convergences fortes sont apparues sur presque tous les bancs quant à l'équilibre de notre politique énergétique. L'unanimité se fait sur l'idée du "ni tout, ni tout" -ni tout nucléaire, ni tout énergies fossiles, ni tout énergies renouvelables-.

Comme l'a dit M. Sarre, notre débat n'est pas seulement technique : des questions de société sont en jeu. M. Galley a insisté sur l'enjeu que constitue notre indépendance nationale. Contrairement à ce qu'a cru pouvoir dire M. d'Aubert, lorsqu'une politique est définie par l'arbitrage du Premier ministre -et c'est le cas pour notre politique énergétique- elle engage le Gouvernement tout entier et chacun de ses membres : il n'y a qu'une seule politique énergétique, qui est soumise au contrôle fructueux du Parlement.

Nous devons, vous l'avez tous affirmé, tenir compte du contexte européen et de nos engagements internationaux.

S'agissant de la lutte contre l'effet de serre, la France est bien placée pur respecter les engagements de Kyoto puisque ses émissions de carbone sont limitées à 1,7 tonne par habitant et par an, contre 5,4 aux Etats-Unis, 2,3 en moyenne dans l'Union européenne et 3 en Allemagne. Si nous ne pouvions stabiliser nos émissions de gaz à effet de serre, la règle de Kyoto nous imposerait de payer des droits d'émettre : en cas, par exemple, de dépassement de 1 % de notre engagement, nous aurions, sur la base de 200 dollars, soit 170 euros, par tonne de carbone -prix actuellement envisagé par l'OCDE- à débourser 152 millions d'euros, soit 1 milliard de francs, par an.

On a évoqué la création d'une taxe générale sur les activités polluantes. La nouvelle taxation doit se substituer à la taxation existante, non s'y ajouter, afin de permettre la baisse des prélèvements obligatoires.

Par ailleurs, la France peut jouer un rôle majeur dans le débat européen sur l'énergie. La diversité des positions au sein de l'Union, reflet des atouts de chacun, est une force pour l'Europe. Les Norvégiens, les Britanniques et les Néerlandais ont du gaz et du pétrole, nous avons du nucléaire et de l'hydraulique. Notre avantage comparatif réside dans la production d'électricité en base ; à nous de valoriser cet atout, qui contribue à la diversification du bilan énergétique européen.

S'agissant de nos relations avec l'Allemagne, les contrats de l'après 2000 comme les précédents sont couverts par la déclaration commune du sommet franco-allemand de juin 1989 et par l'échange de lettres des gouvernements du 25 avril 1990.

Il est encore trop tôt pour tirer les conséquences de la décision allemande, d'autant plus que la loi ne sera adoptée qu'après une négociation avec les électriciens, qui va probablement durer plusieurs mois.

Des investissements ont été réalisés en France sur la base d'engagements politiques et contractuels. Leur remise en cause ne peut donc se faire unilatéralement, d'autant plus que seules les entreprises françaises et britanniques ont été écartées de la négociation. Pour toute décision, l'impact en termes d'emplois doit être pris en considération.

Le Gouvernement souhaite que le groupe de travail dont la mise en place a été décidée à Postdam se réunisse très vite. Sachez que nous faisons preuve d'une grande fermeté.

C'est ainsi que M. Jospin a parlé de dédommagements appropriés si l'Allemagne confirme sa décision, en soulignant que si les alternances devenaient un cas de force majeure pour remettre en cause les traités internationaux, les relations internationales deviendraient fort instables.

Beaucoup d'orateurs ont évoqué la transposition des directives européennes sur l'énergie et la défense du service public. Politique énergétique et service public sont indissociables dans l'esprit des Français. Nous devons donc nous attacher à préciser nos priorités en matière de missions de service public des énergies en réseau. L'examen du projet de loi sur la modernisation et le développement du service public de l'électricité en sera l'occasion, mais je peux dès maintenant vous indiquer deux de nos priorités : le maintien d'une péréquation tarifaire et la satisfaction des besoins minimaux d'énergie pour tous, c'est-à-dire la construction d'un véritable droit à l'énergie. Nous ne voulons pas d'un service public de l'énergie à deux vitesses, l'une pour les entreprises, l'autre pour les clients individuels ; les uns et les autres doivent bénéficier des baisses de prix.

La France qui doit commencer par repenser la politique des transports, en particulier pour assurer un meilleur équilibre entre le rail et la route, a des atouts déterminants à faire valoir.

En ce qui concerne les énergies nouvelles renouvelables, M. Asensi a évoqué la géothermie, qui n'a malheureusement pas connu dans le passé les succès technologique et économique escomptés.

Les difficultés techniques ont été pour l'essentiel surmontées. Un décret visant à faciliter le classement des réseaux alimentés par les énergies nouvelles renouvelables devrait être signé prochainement. Le Gouvernement a par ailleurs demandé à Bruxelles la possibilité d'accorder le taux réduit de TVA aux abonnements aux réseaux de chaleur, comme pour les énergies concurrentes ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste).

M. Moutoussamy a parlé de la bagasse : pour la production électrique dans les DOM-TOM, les centrales électriques bagasse-charbon sont une solution prometteuse.

Trois centrales sont actuellement en fonctionnement : deux à la Réunion et une à la Guadeloupe. Cette filière technologique de pointe pourrait être utilement développée dans d'autres régions sucrières du monde, par exemple au Vietnam ou à Cuba.

M. Meï a parlé du charbon à Gardanne. Le Pacte charbonnier repose sur le principe de la cessation de toute extraction charbonnière en France au plus tard en 2005. En contrepartie, il offre à chaque mineur le choix entre une reconversion externe et la poursuite de son activité au sein du groupe CDF jusqu'à une "mesure d'âge".

Dominique Strauss-Kahn et moi-même avons communiqué, début octobre 1998, au préfet de la région PACA les orientations qu'il convenait de mettre en oeuvre afin de définir un plan d'ensemble de reconversion du bassin, soit, pour les études et les décisions nécessaires afin d'assurer la poursuite de l'exploitation dans les meilleures conditions de sécurité jusqu'à l'échéance de 2005.

En ce qui concerne l'approvisionnement en combustible de la centrale de Provence, il en va de l'existence de la centrale électrique de Gardanne et de son développement.

Par ailleurs, afin de conforter l'activité électrique à Gardanne, nous avons décidé la mise à l'étude sur le site de la centrale de Provence d'une nouvelle installation de production basée sur la technique du "lit fluidisé circulant" (LFC).

Le gaz et le pétrole, à présent. Le gaz est amené à se développer, mais sans excès. Il est d'ailleurs significatif que le gouvernement britannique ait mis fin à la "ruée vers le gaz" qu'il constatait ces dernières années, alors même que le Royaume-Uni, contrairement à la France, possède des ressources gazières substantielles.

La cogénération, production combinée d'électricité et de chaleur valorisée, constitue un enjeu important. Sur le plan énergétique, elle offre de très bons rendements, et contribue à la diversification de notre parc de production électrique. Sur le plan industriel, la cogénération est un atout pour les consommateurs ayant de gros besoins en électricité et en chaleur, dans la mesure où elle permet de réduire leur facteur énergétique. En outre, elle produit des émissions polluantes réduites par rapport à celles que donnerait l'utilisation classique d'énergies fossiles.

De nouveaux principes avaient été définis en 1997 en ce qui concerne la rémunération de l'électricité produite par les cogénérateurs et achetée par EDF. De nombreux contrats, qui concernent en pratique toute une série d'installations d'une puissance allant en pratique jusqu'à 90 mw pour un total de 1 200 mw, ont été signés dans ce cadre ou le seront bientôt et ont permis le décollage de la cogénération en France.

Les conditions d'achat de l'électricité produite par les nouvelles installations devront prendre en compte les évolutions technico-économiques, notamment la baisse des coûts, ainsi que la perspective d'une ouverture progressive du marché électrique à la concurrence.

Le nucléaire enfin, source principale, mais non exclusive de notre énergie électrique. Oui, il faut changer les méthodes, et le Gouvernement le fait quand il dote l'OPRI de 100 millions supplémentaires.

Je ne me défilerai pas à propos de l'EPR. Celui-ci poursuit deux objectifs. D'abord, rendre les réacteurs encore plus sûrs : notamment en diminuant par dix les risques de fusion du coeur et en atténuant les conséquences à l'extérieur du site en cas d'accident grave. Ensuite, l'amélioration des performances techniques vise un gain substantiel de compétitivité par une augmentation de la disponibilité et une optimisation de l'utilisation du combustible nucléaire.

Ce programme a, depuis 1989, fait l'objet d'une coopération européenne exemplaire, tant au niveau des industriels que des autorités de sûreté.

Le maintien de l'option nucléaire ouverte passe entre autres par le maintien des compétences d'étude et des moyens de fabrication les plus stratégiques et dépend de la possibilité d'engager les études de définition et la construction d'une tête de série EPR.

Quid de la restructuration de l'industrie nucléaire ? Des réflexions sont en cours sur Framatome. C'est une entreprise solide, qui a les moyens d'assurer seule son développement et su opérer les redéploiements nécessaires de la construction de chaudières vers les activités de services et de fabrication du combustible. En tout état de cause, cette entreprise restera à majorité largement publique.

Quant à l'usine Melox, à propos de laquelle j'ai été interrogé par M. d'Aubert et quelques autres, je peux vous rassurer : toutes les décisions réglementaires seront prise dans les prochaines semaines.

Quelques mots de conclusion. La puissance publique, sous le contrôle du Parlement, doit continuer à jouer un rôle majeur dans le secteur énergétique. Nous devons nous attacher à mener la politique énergétique autrement, c'est-à-dire à rendre notre filière plus transparente et à veiller, comme l'ont réclamé avec ferveur M. Dosé et Mme Rivasi, à la réversibilité des stockages. Nous devons tenir compte en premier lieu de la demande des consommateurs, comme l'a souhaité M. Hascoët.

Le gouvernement de Lionel Jospin estime parfaitement légitime un examen périodique de notre politique énergétique par le Parlement. Le moment venu, les engagements pris à Kyoto vous seront soumis et vous aurez ainsi satisfaction, Monsieur Lajoinie.

La France, au plan international, a un rôle majeur à jouer, comme l'ont indiqué MM. Galley et Bataille. Elle apportera sa contribution à l'indépendance énergétique et à la compétitivité de l'Union européenne.

Je me félicite que vos avis et propositions, qu'ils émanent de la majorité, dont ils mettent en évidence le caractère pluriel, ou de l'opposition, soient tous formulés de manière constructive. Ensemble, nous pourrons bâtir une vraie politique énergétique, garante de notre indépendance (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. le Président - Le débat est clos.

Prochaine séance cet après-midi à 16 heures 30.

La séance est levée à 14 heures 30.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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