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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 60ème jour de séance, 151ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 4 FÉVRIER 1999

PRÉSIDENCE DE M. Patrick OLLIER

vice-président

          SOMMAIRE :

COOPÉRATION INTERCOMMUNALE 1

La séance est ouverte à dix heures.


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COOPÉRATION INTERCOMMUNALE

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à l'organisation urbaine et à la simplification de la coopération intercommunale.

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - Ce projet de loi vient en discussion après une longue phase de concertation à laquelle certains d'entre vous ont été associés. Car, avant d'être adopté au conseil des ministres du 28 octobre 1998, un avant-projet a été présenté au comité des finances locales ainsi qu'aux associations d'élus locaux et a fait l'objet d'une longue concertation au milieu de l'année dernière.

Cette nouvelle étape de la décentralisation vise à situer la prise de décision au niveau le plus pertinent pour assurer le développement du territoire et réduire les inégalités sociales. Je souhaite qu'un débat de fond permette d'aboutir à un texte dont l'application, à l'initiative des élus, soit un vrai succès.

La forte identité de l'institution communale n'a pas empêché la création de nombreuses structures de coopération à fiscalité propre, sur la base de la loi du 6 février 1992 d'orientation pour l'administration territoriale de la République. On compte au 1er janvier 1999, 1 679 établissements publics à fiscalité propre regroupant près de 34,5 millions d'habitants et 18 876 communes, soit la moitié des communes de France.

Cette relance de la solidarité entre les communes est venue heureusement compléter la coopération syndicale, laquelle remonte à la loi du 22 mars 1890 qui a institué le syndicat intercommunal à vocation unique. Nos communes qui puisent leur identité dans l'histoire ont su depuis longtemps se regrouper, d'abord pour gérer des services spécialisés, ensuite pour orienter le développement local.

Mais ce succès masque des déséquilibres. Des régions entières sont restées à l'écart du mouvement, et surtout les villes. La répartition géographique est encore inégale et depuis deux ans la progression des créations fléchit : 137 en 1997 et 103 en 1998 contre 216 en 1996 et davantage les années précédentes. L'intercommunalité, dans la période récente a, il est vrai, surtout profité aux petites unités et au milieu rural. Aux districts et aux communautés urbaines ne sont venues s'ajouter que cinq communautés de villes et le partage de la richesse, à travers la taxe professionnelle unique, n'a pas rencontré le succès espéré.

Aussi ce projet a-t-il pour ambition de restructurer nos villes et de sauver nos communes rurales, avec des outils mieux adaptés et dans le respect des principes de la décentralisation.

Le fait urbain -et sa traduction, l'agglomération- est devenu un trait dominant de la société française. Si, jusqu'en 1931, la majorité de notre population vivait encore dans les communes rurales, les trois quarts des Français vivent aujourd'hui dans des aires urbaines où se concentrent la crise sociale, le chômage, l'insécurité, les déséquilibres économiques et les fractures sociales, culturelles et scolaires. Certains quartiers se sont transformés, au fil des ans, en quasi-ghettos où la montée des communautarismes bat en brèche les valeurs républicaines. Une civilisation de la ville se cherche. Sa construction est à l'arrière-plan de notre débat.

Une société inégalitaire, aux antipodes des valeurs républicaines se développe sous nos yeux. La ségrégation spatiale renforce la ségrégation sociale et la citoyenneté, censée fonder notre République, tourne de plus en plus à vide.

Il faut donc se donner tous les moyens de lutter sur le long terme contre l'apartheid social. Et puisque celui-ci revêt de plus en plus la forme d'un apartheid spatial, il faut repenser notre organisation urbaine pour défendre au niveau pertinent le modèle de citoyenneté auquel nous sommes attachés.

A la réalité physique des agglomérations, de leur ville-centre, de leurs communes périphériques, de leurs cités agrégées au fil de la croissance urbaine, ne correspond aujourd'hui aucune entité politique et juridique, capable de prendre les décisions qui engagent le long terme : nouvelle répartition de l'habitat, remodelage des banlieues, dédensification de certains quartiers, reconstitution du tissu urbain, politiques ciblées de formation et d'emploi, plans de circulation et de transports publics, etc. L'agglomération est le niveau le plus pertinent pour définir et appliquer une politique de la ville efficace sur le long terme. Ce projet vise à forger l'outil nécessaire.

Il ne convient cependant pas d'opposer le rural et l'urbain. L'un et l'autre ont leurs problèmes qui requièrent des traitements adaptés. Si les fractures au sein des agglomérations doivent être prises en compte, car il en va de la cohésion sociale de notre pays, je n'en suis pas moins attentif aux espaces ruraux qui doivent être structurés autour d'un bourg-centre ou d'une petite ville. Il leur faut trouver la taille qui leur permette d'investir : les domaines de l'eau, de l'assainissement, des déchets, du développement économique et de l'emploi, de l'aménagement de l'espace.

Il s'agit aussi de mettre en commun des moyens de fonctionnement que n'ont pas les communes de très petite taille. Les maires dépourvus de moyens doivent pouvoir trouver un appui auprès des bourgs et des petites villes pour résoudre des problèmes de plus en plus complexes. J'en suis persuadé, l'intercommunalité constitue le seul avenir de nos communes rurales au devenir desquelles je suis très attaché car je sais qu'une des forces de la France, par rapport à nos voisins européens, est justement l'étendue de son espace.

Certains reprochent au texte d'être trop centré sur les espaces urbains ; votre commission, à l'initiative de votre rapporteur Gérard Gouzes et d'autres députés, propose de prendre en compte les fonctions urbaines des petites villes en zone rurale.

J'en viens aux outils que le projet propose de créer ou de renforcer : les communautés d'agglomération et les communautés de communes. Les moyens institutionnels et financiers de l'intercommunalité sont aujourd'hui insuffisants. Alors que leurs charges financières s'accroissent, les agglomérations éprouvent les plus grandes difficultés à développer leurs ressources. Les disparités de taux de taxe professionnelle au sein d'une même agglomération et les inégalités cumulatives que cette situation engendre accentuent les déséquilibres et témoignent de l'absence de solidarité au sein de territoires qui devraient au contraire rechercher leurs complémentarités.

Sur le plan institutionnel, le fait urbain ne bénéficie pas d'une reconnaissance satisfaisante. Aux côtés des syndicats, les formules de coopération à fiscalité propre prennent souvent en charge la gestion de services d'intérêt communautaire soit du fait de la volonté du législateur -c'est le cas de certaines communautés urbaines et des syndicats d'agglomération nouvelle- soit en raison de la volonté des communes qui les composent.

La distinction entre coopération urbaine et rurale s'est perdue au fil du temps. La communauté de communes, formule de coopération intercommunale à fiscalité propre la plus souple, est certes utilisée surtout en milieu rural et elle l'est aussi en milieu urbain. De même il existe des districts en milieu rural. La communauté de villes, dotée de compétences plus intégrées et d'outils fiscaux plus puissants, notamment de la taxe professionnelle unique, n'a pas rencontré le succès espéré. Cinq seulement ont vu le jour depuis 1992. La communauté urbaine, formule très intégrée sur le plan des compétences, est peu à peu détournée de sa vocation initiale, du fait d'une dotation globale de fonctionnement très incitative et d'un seuil démographique de création trop bas.

Le projet de loi cherche à rendre la situation plus cohérente et propose de simplifier l'architecture de l'intercommunalité autour de trois grandes entités : la communauté urbaine, la communauté d'agglomération et la communauté de communes. C'est un progrès par rapport à l'actuelle coexistence de huit catégories d'établissements.

A côté des communautés urbaines qui concernent les plus grandes villes, le fait urbain appelle un outil spécifique nouveau, doté d'une taxe professionnelle unique et des compétences nécessaires à la solution des problèmes. Il s'agit de structurer les agglomérations comptant plus de 50 000 habitants autour d'une ville-centre de 15 000 habitants au moins, pour créer une nouvelle sorte d'établissement public : la communauté d'agglomération.

A ces nouveaux espaces de solidarité, il faut bien sûr fixer des compétences et des périmètres. A un noyau dur de compétences -développement économique et aménagement de l'espace, habitat, politique de la ville, organisation des transports-, pourront s'ajouter, facultativement, au moins deux autres : assainissement, qualité de l'eau, collecte et traitement des déchets, gestion d'équipements collectifs.

Quant au périmètre, il est aussi logique qu'il corresponde à celui de l'aire urbaine au sens de l'INSEE. D'autre part, il convient de prendre en compte non seulement la continuité de l'espace bâti comme pour les unités urbaines, mais aussi un flux de déplacement domicile-travail d'au moins 40 %. Les seuils ont été fixés pour déterminer 141 aires urbaines qui concentrent 75 % de la taxe professionnelle et 70 % de la taxe d'habitation, mais les périmètres ne sont pas prédéterminés et il appartiendra aux élus et au préfet de discuter les périmètres pertinents.

La création des communautés d'agglomération va de pair avec le relèvement du seuil de création des communautés urbaines, désormais fixé à 500 000 habitants au lieu de 20 000. Il faut, en effet, revenir aux règles fixées en 1966, qui avaient réservé la constitution des communautés urbaines aux très grandes agglomérations.

Certains d'entre vous souhaitent que les seuils déterminent des catégories étanches : communautés de communes en dessous de 50 000 habitants, communautés d'agglomération au-dessus. Une certaine souplesse me semble toutefois nécessaire et les villes doivent pouvoir passer, si elles le souhaitent, par le stade de la communauté de communes, pour "tracer le chemin en marchant". Dans ce domaine, le mieux serait l'ennemi du bien.

Il n'y a pas de solidarité territoriale sans mutualisation des ressources. C'est pourquoi les communautés d'agglomération comme les nouvelles communautés urbaines doivent obligatoirement bâtir leur projet commun à partir d'une taxe professionnelle unique d'agglomération.

La réforme de la taxe professionnelle adoptée en loi de finances n'a en rien réglé le problème de la grande dispersion des taux entre communes d'une même agglomération. L'unification de la taxe professionnelle doit pouvoir s'effectuer sur douze ans, soit la durée de deux mandats, si les conseils municipaux le décident.

Pour réussir le passage à la taxe professionnelle unique, il est indispensable de garantir la sécurité budgétaire des communautés d'agglomération et des nouvelles communautés urbaines. Sont prévus à cette fin un mécanisme de fiscalité additionnelle comparable à celui prévu pour les syndicats d'agglomération nouvelle et une déliaison des taux entre taxe professionnelle et "impôts ménages". Ces derniers doivent pouvoir diminuer, là où ils sont très élevés, sans que la communauté perde des ressources de taxe professionnelle. Votre commission souhaite que ces deux libertés fiscales ne soient plus encadrées. C'est un sujet difficile, non pas que le Gouvernement, et surtout pas moi, reproche aux élus locaux de céder à la facilité d'augmenter inconsidérément la pression fiscale. Il sait parfaitement que ces décisions sont difficiles à prendre.

Ces deux incitations fiscales ont été réservées aux nouvelles communautés urbaines et aux communautés d'agglomération, ce que semble regretter votre commission qui a adopté des amendements tendant à les étendre aux communautés de communes adoptant la taxe professionnelle unique. Nous en débattrons.

Cela étant, ces mesures fiscales ne suffiront pas si un financement fortement incitatif ne complète pas l'effort des communes.

Les communautés d'agglomération créées d'ici le 1er janvier 2005 bénéficieront d'une dotation globale de fonctionnement fixée à 250 F par habitant, soit plus du double de celle accordée aujourd'hui aux communautés de villes. L'objectif, à l'horizon de cinq ans, est d'atteindre 40 % de la cible potentielle, soit une bonne cinquantaine de communautés d'agglomération, sans remettre en question par ailleurs le financement des créations de groupements issus de la loi de 1992.

La réforme créant les communautés d'agglomération coûtera environ 2,5 milliards sur cinq ans. Cela exige de modifier en profondeur le mode de financement actuel de l'intercommunalité, lequel s'appuie exclusivement sur la masse de la DGF reçue par les communes. Les communautés d'agglomération seront financées jusqu'en 2004 par un prélèvement sur les recettes de l'Etat, externe à la DGF. Cet apport budgétaire nouveau de l'Etat en faveur de l'intercommunalité ne résulte pas d'une économie sur les dotations versées aux collectivités locales.

Cette recomposition de l'intercommunalité urbaine permettra à la communauté de communes de retrouver sa vocation initiale. Elle redevient, comme il était envisagé en 1992, la structure institutionnelle idoine en milieu rural, adaptée à une intercommunalité de petite taille. Elle s'affirme comme la structure intercommunale de référence pour les communes qui souhaitent organiser leur coopération avec prudence et progressivité, et il importe de tenir compte de la psychologie des élus. Elle sera aussi la structure d'accueil des districts et des communautés de villes qui ne pourront ou ne voudront devenir une communauté d'agglomération.

Le projet de loi concourt au développement et à l'aménagement du territoire puisque le financement de la DGF versée aux communautés de communes ne sera plus en concurrence avec celui des groupements urbains. L'intercommunalité en milieu rural continuera donc à être soutenue, elle qui, depuis 1992, contribue puissamment à fédérer les énergies sur des projets de développement, qui créent des emplois et contribuent à l'aménagement d'espaces souvent en voie de désertification.

Je suis prêt à examiner vos amendements tendant à améliorer le montant de la DGF allouée aux groupements qui, bien qu'inférieurs à 50 000 habitants, possèdent la taille et les compétences nécessaires pour fournir les services attendus aujourd'hui et qui ont adopté la taxe professionnelle unique ou pourraient le faire à l'avenir. Nous devons toutefois être attentifs aux équilibres internes de la DGF et ne pas risquer de compromettre sa répartition à l'avenir.

La péréquation volontaire des charges et des ressources sera sans doute plus difficile à réaliser en Ile-de-France, notamment dans la partie la plus peuplée de l'agglomération, même si des projets y ont déjà vu le jour. C'est pourquoi le mécanisme du fonds de solidarité devrait être renforcé de manière à assurer la redistribution au bénéfice des communes à faible potentiel fiscal et aux charges, notamment sociales, élevées, d'un montant prélevé sur les recettes des communes les plus riches en taxe professionnelle.

La plupart d'entre vous sont, comme moi, très attachés aux libertés communales et à ce que la coopération soit librement décidée.

La loi doit offrir les moyens de lutter contre un certain campanilisme, c'est-à-dire le repli sur elles-mêmes des communes riches ou qui se croient telles.

Nous devons convaincre les citoyens, et d'abord les élus, que la mise en commun des ressources et, à terme, une certaine mixité sociale, comportent beaucoup moins d'inconvénients que le développement de la ségrégation urbaine, mère de toutes les violences.

La création autoritaire de communautés d'agglomération remettrait en cause une décentralisation qui implique la responsabilité. Si le projet prévoit la possibilité, pour le préfet, de proposer des périmètres cohérents et d'être à l'initiative de projets de regroupements, ces derniers resteront décidés par les conseils municipaux, selon les règles de majorité qualifiée déjà instituées en 1992.

Certains d'entre vous souhaiteraient que les délégués communautaires soient élus au suffrage universel. Un amendement de votre commission propose même d'instituer dès maintenant ce mode d'élection dans les communautés urbaines, forme ancienne et très intégrée de regroupement. Or, même là, j'estime que l'heure n'est pas encore venue. Ce serait ériger les établissements publics de coopération en collectivité territoriale de plein droit avant même qu'une véritable communauté d'intérêts soit née.

Cela conduirait en outre à deux élections simultanées, municipales et intercommunales, qui créeraient davantage de confusion que de démocratie. Mais surtout ce serait imposer une contrainte qui risquerait de rebuter les communes et de nuire ainsi à l'ensemble du projet.

Tâchons plutôt, tel est en tout cas mon avis, d'introduire davantage de démocratie dans le dispositif existant.

Il convient ainsi de ne déléguer dans les structures intercommunales que les conseillers municipaux. Cette exigence pourrait d'ailleurs être étendue, si le Parlement le souhaite, aux syndicats intercommunaux. En effet, la gestion et le coût des compétences exercées par les syndicats, considérables en matière d'assainissement, d'eau, de déchets, de transports, ne sont pas aujourd'hui contrôlés de façon assez démocratique.

Le texte prévoit d'autres mesures destinées à accroître la transparence des structures intercommunales et à renforcer la participation ainsi que l'information des habitants, par la création de comités consultatifs et l'organisation systématique de débats. Des amendements ont été déposés sur ce point. Je suis prêt à examiner tout ce qui peut renforcer la démocratie locale.

Enfin, ce projet renforcera la décentralisation grâce à la simplification et la rationalisation des règles d'organisation et de fonctionnement des groupements. Nombre d'entre elles avaient été préparées par M. Perben en 1997. Le Gouvernement les a d'autant plus volontiers reprises qu'elles allaient dans le bon sens.

M. Gilles Carrez - Très bien !

M. le Ministre - Il faut rendre les règles de l'intercommunalité plus lisibles pour les élus et pour les citoyens : 71 articles du code général des collectivités locales seront supprimés ; les règles de création, de dissolution, de majorité qualifiée comme celles relatives à la désignation des délégués, leur statut et la durée de leurs mandats, seront harmonisées.

Cette réforme d'ampleur de la coopération intercommunale peut rassembler une large majorité au Parlement, avant d'être appliquée dans les villes et les campagnes, par les élus de toutes les rives républicaines.

Je sais que grâce aux efforts accomplis au sein de votre commission par Gérard Gouzes ainsi que par Jacky Darne, un large accord a déjà pu être trouvé sur nombre de dispositions.

L'intercommunalité disposera désormais d'outils mieux ciblés et mieux adaptés au développement local et à la diversité des territoires. Les communautés de communes, les communautés d'agglomération et les communautés urbaines correspondent en effet à des niveaux d'intégration et de compétences qui tiennent compte des particularités économiques, humaines et territoriales de notre pays.

La création de communautés d'agglomération et le renforcement des communautés de communes, ce sont des moyens parmi d'autres, et cependant indispensables, permettant d'enrayer les évolutions insidieuses qui sapent notre République. Il s'agit d'une vraie réforme, dont les effets se feront pleinement sentir sur le long terme, si les élus savent en tirer profit.

Oui, il s'agit d'une nouvelle étape de la décentralisation, qui mobilisera, au niveau de décision le plus pertinent, des moyens accrus, tout en respectant la libre décision des communes et les rythmes adaptés à chaque situation locale. La meilleure garantie de la démocratie locale et des libertés communales réside à terme dans la capacité des collectivités à servir le progrès social et les valeurs républicaines dans une société qui doit relever le défi d'un développement égalitaire et des replis qu'il suscite.

Cette réforme est inspirée du double souci de faire vivre la démocratie locale et de redonner un souffle à la décentralisation, laquelle doit répondre aux besoins de notre temps pour être légitime. C'est à la fois un acte de confiance à l'égard des élus locaux et un acte de foi dans les vertus de la décentralisation (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Gérard Gouzes, rapporteur de la commission des lois - La loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire que l'Assemblée vient d'examiner en première lecture se caractérise par la trilogie : un territoire, un projet, un contrat. Ouvrant de nouvelles perspectives de développement, elle nous conduit logiquement à aborder aujourd'hui la question des acteurs : c'est l'objet du présent projet de loi relatif à l'organisation urbaine et à la simplification de la coopération intercommunale. Débat ancien, déjà lancé par M. Perben dont nous avons repris beaucoup d'idées non sans les améliorer.

Avec plus de 36 000 communes et trois niveaux de collectivités territoriales, la France constitue une exception. Cette diversité représente une richesse pour notre démocratie. Nos communes constituent autant de lieux de mémoire, d'identité et d'enracinement. Elles donnent au mot de citoyen toute sa dimension républicaine, surtout depuis les lois de décentralisation voulues par François Mitterrand et Gaston Defferre.

Mais elles ne peuvent plus, seules, répondre complètement aux besoins des populations. Exercer pleinement les compétences de la politique de la ville, mettre en place la collecte sélective des déchets, favoriser le développement économique au niveau d'un bassin d'emploi... tout cela exige des coordinations et la recherche de synergies.

Ce n'est pas une idée neuve. Le syndicat à vocation unique existe en effet depuis 1890 et depuis, nous pourrions plutôt nous plaindre de l'empilement et de l'enchevêtrement des SIVU, des SIVOM, des syndicats mixtes fermés ou ouverts, des associations de communes, des réseaux de villes, des communautés urbaines, des districts... sans oublier nos départements ou nos régions dont on nous annonce périodiquement soit la disparition inéluctable soit l'agrandissement indispensable... Pardonnez-moi, j'allais omettre le pays ! Cette débauche de formules risque de faire de la démocratie un exercice d'experts, nos concitoyens ne s'y retrouvant plus. Votre projet, Monsieur le ministre, pousse donc à la simplification en supprimant deux formules, le district et la communauté de villes, en facilitant l'émergence de périmètres plus rationnels, en harmonisant les règles des EPCI dans un corpus commun et en supprimant ainsi une cinquantaine d'articles du code des collectivités territoriales. Est-ce suffisant ? Certains seront peut-être tentés de tout réformer avant de tout démocratiser, d'autres souhaiteront tout démocratiser sans réformer. Réduire le nombre de nos communes ? Ce serait un appauvrissement. Supprimer les départements ? Ce serait une erreur. Diminuer le nombre de régions ? Une gageure. Le désir de rationaliser peut pousser parfois à imaginer un "grand soir" de l'organisation territoriale où l'on redessinerait tout et tout de suite. Ce serait, à mon avis, aller trop vite que d'ignorer l'importance de notre diversité nationale, que de ne pas prendre la mesure de l'expression démocratique que représentent plus de 500 000 élus sur le terrain. Ce serait de surcroît faire abstraction des souhaits de nos concitoyens. Cela dit, la démarche empirique qui nous est proposée ne constitue en rien le statu quo.

Il s'agit bien plutôt de donner un deuxième souffle à la décentralisation. Après la suppression de la tutelle de l'Etat sur les collectivités locales et l'affirmation de leurs droits, il faut maintenant rendre l'action sur le terrain plus efficace. La recherche d'objectifs communs -tels que cohésion sociale, développement local, soutien aux transports collectifs, lutte contre l'insécurité et encouragement à l'emploi- doit privilégier le service rendu au citoyen tout en assurant la transparence des mécanismes décisionnels.

Après les lois de 1982 et 1983, après la loi d'orientation sur l'administration territoriale de la République de février 1992, il fallait aller plus loin et aussi tirer les leçons de l'échec de l'intercommunalité dans les milieux urbains et périurbains. D'où l'innovation principale de ce texte : la communauté d'agglomération.

A ce stade de mes explications, je voudrais crever dans l'oeuf un faux débat. Non, il n'y a pas d'opposition, ici, entre les urbains et les ruraux, entre les rats des villes et les rats des champs. Nous avons tous le souci de faire des collectivités locales des outils efficaces. Et aujourd'hui la réalité moderne nous impose de prendre en compte ensemble le travail à la ville, le domicile en zone rurale, les activités du périurbain ! Voilà pourquoi très symboliquement mais très fermement, Monsieur le ministre, je vous demanderai de modifier le titre du projet de loi, en supprimant la référence à l'urbain et en retenant la formule plus générale de : projet de loi relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale.

M. Didier Chouat, rapporteur pour avis de la commission des finances - Très bien !

M. le Rapporteur - Certes, il faudra bien parler de seuils démographiques, mais, comme notre commission l'a souhaité, nous parlerons surtout de compétences partagées et de solidarités fiscales à encourager.

Fédérer les énergies, regrouper les compétences et les ressources dans un but de solidarité et de développement de projets, supprimer les situations d'aubaine, l'alliance des égoïsmes et le système du guichet,... voilà les objectifs.

La nouvelle structure qui est la communauté d'agglomération sera adaptée aux réalités des aires urbaines qui ont boudé jusqu'à présent les formules intercommunales mais restera disponible aussi pour les aires mixtes désireuses de conforter leurs fonctions urbaines. Quant aux communautés de communes de taille plus modeste, elles doivent être encouragées à mieux s'intégrer notamment en matière de taxe professionnelle unique. Il faudra, Monsieur le ministre, faire un effort significatif en ce sens de même qu'il faudra accepter plus de mixité dans les produits fiscaux des groupements et plus de déliaisons de taux, c'est-à-dire finalement plus de souplesse dans les règles d'encadrement des ressources fiscales des collectivités locales ayant opté pour la coopération intercommunale. Il y a là une nécessité technique et une ardente obligation politique, car il s'agit d'une demande unanime de notre assemblée.

Les communautés d'agglomération ne sont pas instituées contre les départements. Ceux-ci doivent préparer les mutations nécessaires sans volonté conservatrice hégémonique.

Dans le sens d'une meilleure hiérarchisation des formules on retiendra également le relèvement à 500 000 habitants du seuil démographique requis pour la création des communautés urbaines.

Aujourd'hui, on compte 17 760 communes adhérant à un EPCI à fiscalité propre, plus de 310 districts, 12 communautés urbaines, 1 240 communautés de communes. Leur répartition sur le territoire national laisse apparaître de larges espaces sans solidarité. Ainsi, l'Ile-de-France surprend par la faiblesse du mouvement intercommunal. Pourtant, je reste persuadé que c'est bien là que devrait mieux s'exercer la solidarité sociale et fiscale. Et j'ai noté que c'est aussi votre souci, Monsieur le ministre.

Il y a lieu aussi de corriger les effets d'une croissance échevelée de l'intercommunalité. Certains groupements n'ont que peu de compétences déléguées et ne perdurent que dans l'objectif d'obtenir une part de la dotation globale de fonctionnement des groupements. Car les élus peuvent se soucier d'abord de trouver des financements pour les dépenses de leur commune. Dès lors, les établissements publics qui relèvent officiellement d'une intercommunalité de projets se rapprochent dans les faits plutôt de la coquille vide. Sans même parler de ces cas extrêmes, il existe des situations intermédiaires où les groupements bénéficient de diverses délégations de compétences, consenties au fil des nécessités sans réel souci de cohérence. Oui, l'intercommunalité de projets, fondée sur une véritable solidarité et une homogénéité politique, géographique, sociale et culturelle, émerge difficilement.

En outre, la carte de la coopération intercommunale n'est pas toujours très claire car une commune adhère en général à plusieurs établissements intercommunaux -en moyenne, une commune adhère à 5,4 groupements. Cette pratique conduit à un enchevêtrement des relations intercommunales. En résultent des dysfonctionnements tels que le chevauchement de compétences, la délégation d'une même compétence communale à plusieurs établissements publics de coopération intercommunale, l'exercice par une commune d'une compétence officiellement déléguée à un groupement ou, à l'inverse, l'exercice par un établissement public de coopération intercommunale de compétences qui ne lui ont pas été déléguées. La répartition des attributions entre communes et groupements devient alors source de contentieux important.

Cette absence de rationalisation peut résulter de certaines stratégies. Il s'agit parfois d'éviter la formation d'établissements publics de coopération intercommunale trop puissants. Parfois, on a voulu fédérer les petites communes rurales contre la ville-centre, perçue comme menaçante, quitte à ne réunir que de maigres moyens. Parfois, encore, l'objectif peut être d'éviter l'émergence d'un pôle urbain rival.

Une rationalisation de la carte de la coopération intercommunale est donc nécessaire, mais il ne doit exister en la matière aucune obligation qui ne soit sanctionnée par un vote démocratique à la majorité qualifiée. Des étapes peuvent être nécessaires pour s'engager dans l'intercommunalité. L'instauration d'un cadre trop rigide se retournerait contre l'intercommunalité. Le libre choix doit donc demeurer le principe.

La rationalisation s'appuiera sur un autre principe facile à admettre : une commune ne saurait adhérer à plus d'un EPCI à fiscalité propre. Les communes adhérentes à un syndicat ayant déjà les compétences obligatoires dévolues à une communauté d'agglomération ou à une communauté urbaine devront se retirer des syndicats des communes auxquels elles adhéraient antérieurement.

L'objectif de rationalisation se traduit par une meilleure définition des compétences, notamment des équipements d'intérêt communautaire, et de la subsidiarité.

Dernier point novateur du projet : la démocratisation et la recherche de transparence dans le fonctionnement des EPCI, se traduisant par l'obligation de rapporter devant les conseils municipaux, par la création de comités consultatifs... Certains vont jusqu'à demander l'élection au suffrage universel direct des délégués communautaires. Des amendements ont été déposés en ce sens, notamment par des membres du groupe socialiste, et j'ai entendu le Président de la République lui-même le souhaiter. L'idée mérite d'être discutée ; mais en agissant de manière précipitée, voire démagogique, on pourrait aboutir à l'inverse de l'effet recherché.

M. Renaud Donnedieu de Vabres - La démocratie démagogique !

M. le Rapporteur - Ça existe...

Ne serait-ce pas le moyen de sonner la mort des communes, de provoquer des conflits de légitimité, de présenter un repoussoir à ceux qui auraient été tentés par une intercommunalité de projet ? Comme le disait le ministre, le mieux est parfois l'ennemi du bien...

Platon, dans La République, définit le nombre d'habitants de la cité idéale par un raisonnement mathématique qui tend à concilier le bon fonctionnement de la vie publique, la puissance de la cité à l'extérieur et sa bonne administration à l'intérieur, mais en oubliant une donnée essentielle, la relativité dans le temps du modèle choisi... Je suis certain, Monsieur le ministre, que vous préféreriez vous tromper de date plutôt que d'époque. Alors, mes chers collègues, mettons en place le meccano qui nous permettra de résoudre les grands défis du siècle prochain. Ce texte mérite mieux qu'un affrontement politicien ; tous les élus l'attendent, car il constituera pour eux la meilleure boîte à outils pour répondre aux besoins de nos populations (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Didier Chouat, rapporteur pour avis de la commission des finances - L'esprit de décentralisation qui souffle depuis 1982, a encouragé les collectivités à s'organiser en pratiquant la coopération. Depuis sept ans, de nombreux groupements à fiscalité propre se sont créés ; aujourd'hui, 1 679 EPCI réunissent 19 129 communes et concernent 34,4 millions d'habitants, soit plus de la moitié de la population. Cependant, la réussite de la loi de 1992 est très variable. Les EPCI sont nombreux dans le Grand-Ouest, le Nord ou la vallée du Rhône, mais d'autres régions sont encore en jachère ; et la coopération intercommunale s'est développée davantage en zone rurale, où elle répond à un besoin.

En Bretagne, par exemple, seul le regroupement permet d'assurer certaines fonctions. Dans les grandes agglomérations urbaines, en revanche, les villes qui disposent de bases importantes de taxe professionnelle n'ont pas envie de partager cette ressource et les plus pauvres se tournent d'abord vers l'Etat pour qu'il assure une meilleure redistribution des richesses.

Or les problèmes que les villes, petites, grandes ou moyennes, accumulent dans le domaine social, en matière d'emploi, de logement, de transports, d'éducation, ne peuvent être résolus que dans un cadre intercommunal, à l'échelle d'une agglomération. C'est la raison pour laquelle il faut inciter leurs responsables à adopter, pour leurs groupements, le régime de la taxe professionnelle à taux unique, appelé aussi la taxe professionnelle d'agglomération.

Seulement 98 des 1 679 EPCI à fiscalité propre ont déjà adopté ce régime fiscal très intégré et 70 % d'entre eux comptent moins de 20 000 habitants. Je peux témoigner que le passage à ce système est un exercice délicat, nécessitant un long temps de préparation et de nombreuses simulations financières ; mais je peux aussi témoigner de l'intérêt de cette mise en commun. Comme l'indique notre collègue Edmond Hervé, dans un récent et excellent rapport d'information sur la fiscalité locale, "le développement de la taxe professionnelle intercommunale constitue la voie obligée de la modernisation de notre système fiscal local".

Les avantages sont multiples : on met fin à la concurrence entre communes proches dans leurs relations avec les entreprises ; le groupement est amené à mieux maîtriser l'aménagement de son territoire ; les risques sont mutualisés en cas de défaillance d'une ou de plusieurs entreprises, puisque le groupement doit continuer à assurer le versement aux communes du montant de TP perçu l'année précédant la mise en commun.

Dans ces conditions, il est normal que ce régime fiscal soit rendu obligatoire pour les futures communautés d'agglomération appelées à se substituer aux communautés de villes et aux districts urbains, ou à se créer là où n'existe aucun EPCI à fiscalité propre.

Ces communautés d'agglomération devront exercer davantage de compétences que les communautés de communes. En contrepartie, elles percevront une DGF calculée à partir d'une moyenne de 250 F par habitant ; la première enveloppe, financée directement par le budget de l'Etat, s'élèvera à 500 millions.

L'incitation financière est significative puisque dans les communautés de communes et districts ayant opté pour la taxe professionnelle à taux unique, la DGF moyenne par habitant est de 122 F. Ce fait, ainsi que quelques autres avantages financiers et fiscaux, ont créé un trouble chez les élus des zones rurales, qui ont été les pionniers en matière de coopération intercommunale. Il faut leur dire, comme vous venez de le faire, Monsieur le ministre, que ce texte n'est pas une "revanche des villes sur les campagnes" et que la DGF moyenne de 250 F par habitant résulte des charges qui pèseront sur ces EPCI du fait des compétences exercées -quatre obligatoires et deux optionnelles-, notamment en matière de politique de la ville.

Ce projet apporte des réponses pragmatiques, parfois partielles, à de nombreuses questions soulevées par les praticiens de l'intercommunalité.

Ainsi, les communautés d'agglomération et les communautés urbaines à taxe professionnelle unique pourront mettre en oeuvre une fiscalité mixte en percevant, de manière complémentaire, les impôts levés sur les ménages. De même, le texte innove en autorisant la "déliaison" à la baisse entre le taux de TP et les taux de taxe d'habitation. Des baisses mécaniques ont en effet été subies par les groupements dès lors qu'une seule commune décidait de réduire son taux de taxe d'habitation.

L'unification des taux de TP pourra s'effectuer progressivement, sur une période de douze ans, ce qui atténuera, pour les entreprises concernées, les conséquences des hausses de taux.

Le calcul du coefficient d'intégration fiscale, élément clef dans la détermination de la DGF versée par l'Etat, sera revu et son application sera étendue à l'ensemble des EPCI à fiscalité propre, notamment aux groupements à taxe professionnelle unique. Cette disposition va dans le sens de l'équité car le flou de la loi de 1992 avait pour conséquence la prise en compte, en faveur de quelques groupements, de certains transferts, par exemple les versements des contingents départementaux d'aide sociale et d'incendie, qui ne correspondent pas à des compétences réellement exercées.

Le projet va aussi dans le sens de la simplification et de l'incitation à l'intercommunalité de projet : le FCTVA sera attribué l'année même de réalisation des investissements à tous les EPCI à fiscalité propre, à l'exception des communautés urbaines et des syndicats d'agglomération nouvelle, alors que les districts étaient jusqu'à présent écartés ; le versement de la part de TP prise en charge par l'Etat, appelée réduction pour embauche et investissement, sera effectué en faveur du groupement à TPU et non plus de la commune sur laquelle se trouve l'entreprise ; pour les groupements situés en zone rurale, la dotation de développement rural sera désormais entièrement attribuée aux EPCI à fiscalité propre dans les conditions habituelles des critères démographiques ; enfin, il est prévu à l'article 56 de mettre fin à l'écrêtement des bases de TP des communautés d'agglomération et des communautés urbaines, tout en maintenant les ressources des fonds départementaux de péréquation.

Il reste cependant des questions auxquelles nous devons chercher à répondre.

Le risque politique majeur est l'affichage d'une intercommunalité à deux vitesses, du fait des seuils fixés pour la création des futures communautés d'agglomération et du montant moyen de DGF attribué à ces nouveaux EPCI.

Il ne faudrait pas que ceux qui, en zone rurale, ont su créer des structures de coopération et qui, hormis les critères démographiques, remplissent toutes les conditions pour constituer des communautés d'agglomération aient le sentiment d'avoir eu raison trop tôt et d'être aujourd'hui tenus à l'écart. Un effort financier est donc indispensable en faveur des communautés de communes de moins de 50 000 habitants, ou comptant une ville-centre de moins de 15 000 habitants, qui ont déjà mis en oeuvre la taxe professionnelle à taux unique.

D'autres dispositions, moins lourdes financièrement, marquent trop la distinction entre intercommunalités urbaine et rurale, et méritent donc d'être amendées.

Lorsqu'une communauté de communes se crée, sa DGF subit, la première année, un abattement de 50 % puisqu'on ne connaît pas encore son coefficient d'intégration fiscale. Pourquoi le projet en exonère-t-il les communautés d'agglomération ?

La fiscalité mixte devient possible pour les communautés d'agglomération et les communautés urbaines, mais demeure interdite aux communautés de communes à TP unique. Pourquoi ? La commission des finances souhaite que cette possibilité soit offerte à tous les groupements à TP unique.

L'exercice des compétences liées aux ordures ménagères continue à poser problème. Le projet en fait une compétence optionnelle pour les communautés d'agglomération en liant les deux activités de collecte et de traitement ; mais la législation sur l'environnement impose des unités de traitement pour des ensembles de 200 000 à 300 000 habitants, et les groupements de communes plus petits ne peuvent exercer pleinement les deux compétences. Evitons les différences d'interprétation selon les départements, que nous avons déjà connues.

D'autre part, la déliaison à la baisse des taux de fiscalité locale, fortement encadrée, ne pourra être utilisée que de façon très limitée. Il fallait certes éviter les dérives, mais il serait temps de faire confiance au sens de la responsabilité des élus.

M. le Rapporteur - Très bien !

M. le Rapporteur pour avis - Enfin, le nouveau mode de calcul du coefficient d'intégration fiscale écarte de manière systématique tous les transferts en faveur des collectivités. Selon des estimations de 1996, la moyenne nationale de ce coefficient pourrait passer de 15,14 % à 9,14 %, ce qui va se traduire, pour de nombreux groupements, par une diminution importante de la DGF. Il fallait sans doute substituer à l'intercommunalité d'"aubaine" une intercommunalité de projet mais, hormis les contingents départementaux, véritables dépenses obligatoires des communes, les autres transferts sont directement liés à des compétences réelles ou à la stricte application de la loi de 1992 : en particulier, la dotation de solidarité, répartie par les groupements à taxe professionnelle unique selon des critères précis, négociés par l'EPCI.

Certains responsables de districts ou communautés de communes ont mis en oeuvre une redistribution solidaire au profit des communes les plus pauvres. Comment leur expliquer que ces dotations, assimilées à des transferts, n'entrent plus dans le calcul du CIF ?

Il en va de même pour les financements de structures de pays, qui concourent au développement local dans l'esprit du projet de loi sur l'aménagement du territoire.

En conclusion, nous élaborerons des dispositions efficaces si nous savons concilier une nouvelle vision de l'organisation territoriale avec le principe de libre administration des collectivités. Ce projet de loi, comme celui de 1992, fait le pari que les élus locaux, notamment en zone urbaine, prendront conscience de la nécessité de coopérer sur un même territoire. C'est le pari de l'intelligence, de l'imagination et de la supériorité de l'intérêt général. C'est pourquoi l'action de l'Etat doit être plus incitative que contraignante.

Pour que la coopération intercommunale réussisse, il faut, selon la formule consacrée, "donner du temps au temps", mais aussi se rappeler que la démocratie est exigeante : pour être efficace, elle ne doit pas être le domaine réservé des élus. Il faut que les citoyens y soient associés. Ce projet en tient compte et je m'en réjouis.

La commission vous invite donc à approuver cette avancée vers plus de démocratie locale et de solidarité, sous réserve de l'adoption de quelques amendements (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Dominique Perben - Ce texte est important pour la vie de nos collectivités et donc pour notre démocratie au quotidien. Les Français sont attachés à leurs municipalités mais on ne peut se contenter de s'en féliciter pour assurer la permanence de cet attachement : il faut aussi faire en sorte que l'organisation de la vie politique locale suive l'évolution de la société.

Depuis le début des années 1990, l'intercommunalité s'est considérablement développée, en s'appuyant notamment sur la loi de 1992, quitte à la détourner quelque peu de ses objectifs initiaux. C'est ainsi que le monde urbain a délaissé l'outil proposé dans ce texte -la communauté de villes- pour emprunter au monde rural la communauté de communes. La leçon doit être retenue.

Aujourd'hui, l'intercommunalité à fiscalité propre est la règle pour une majorité de nos communes. Pour autant, tout n'est pas réglé. Les dispositifs existants sont complexes, disparates et incompréhensibles pour beaucoup. Une simplification s'impose donc. Il faut aussi lever les obstacles à la solidarité et mieux structurer les espaces urbains et périurbains.

Les relations entre nos collectivités souffrent également d'une complexité effarante : le comble est atteint avec les contrats de plan : le nombre des intervenants, consultations, réunions, dépasse l'entendement !

Mme Odette Grzegrzulka - C'est cela, la démocratie !

M. Dominique Perben - Non ! Un tel dysfonctionnement de nos institutions ne peut signifier que leur inadaptation aux réalités d'aujourd'hui. Faute d'améliorer les structures, nous bricolons des procédures. Les initiés sont ravis mais on sait comment a fini la Chine des mandarins !

A l'évidence, nous sommes dans une phase de transition. Il nous faut par conséquent à la fois fixer le cap et procéder par étapes. Nous devons simplifier pour alléger les charges publiques et pour redonner souffle et sens à la vie démocratique. Nous devons réintroduire le suffrage universel dans les structures dont les décisions importent souvent beaucoup pour l'aménagement du territoire. Ce cap, c'est celui que vous a proposé le Président de la République dans son discours de Rennes, en décembre. Le suivre, c'est tirer profit de toutes les forces d'initiative qui viennent de plus en plus de la vie locale.

En même temps, il ne faut pas casser le changement, dont le moteur est, depuis une dizaine d'années, la liberté de choix des élus et des électeurs. Or votre projet témoigne parfois de l'existence chez vous, Monsieur le ministre, d'une tentation de la coercition. Il faut corriger cela !

La principale novation de ce texte est la création de la communauté d'agglomération. Le dispositif est intéressant, comportant à la fois un bloc de compétences et des mesures fiscales, garantes d'une vraie solidarité. Toutefois, pourquoi imposer la continuité territoriale absolue alors que le préfet est bien démuni face aux récalcitrants ? Pourquoi limiter strictement le recours à la fiscalité additionnelle ? Bercy aurait-il le sentiment que les finances locales sont moins bien gérées que celles de l'Etat ?

Mais le point difficile est celui du seuil démographique : comme l'avoue le titre, ce projet est un projet exclusivement urbain. Je crois que vous avez commis là une erreur stratégique ! Vous avez un peu corrigé le tir dans votre propos de tout à l'heure, mais vous aurez du mal à nous convaincre sans modifier le texte...

Vous cantonnez les communautés urbaines aux grandes agglomérations : cela paraît logique, mais attention aux risques de dérive possibles dès lors que vous imposez systématiquement la TPU : celle-ci était-elle le seul moyen d'assurer une plus grande solidarité financière ?

Pour les communautés de communes, l'obligation de continuité ne va-t-elle pas pénaliser les collectivités qui veulent aller de l'avant ?

Les simplifications proposées, s'agissant du fonctionnement des EPCI, me paraissent raisonnables. Le texte comble aussi des vides, s'agissant de l'organisation et des pouvoirs des présidents et des bureaux, et règle la question du statut des élus communautaires. Les dispositifs de transformation des EPCI ne me semblent poser aucune question de principe.

Restent deux sujets à caractère fiscal et financier, que je voudrais aborder sous l'angle politique : d'abord la question de la TPU. Comme vous le savez, beaucoup d'élus locaux en réclament avec insistance la généralisation. La DCF a proposé d'en fixer le principe pour tous les EPCI à fiscalité propre, étant entendu que la fiscalité additionnelle serait tolérée : les établissements publics qui la refuseraient devraient la repousser à la majorité qualifiée. Je juge pour ma part la proposition intéressante, car de nature à accélérer l'harmonisation des taux de taxe professionnelle. Ce serait une vraie réforme, complémentaire de ce que suggère parfois le ministre des finances et favorable à une plus grande solidarité entre communes.

Deuxième sujet : l'article 57, qui touche à l'Ile-de-France. Je ne conteste pas la nécessité, là, d'une vraie péréquation financière et je sais que celle-ci ne peut être garantie par l'intercommunalité, pour des raisons qui tiennent à la géographie urbaine. Mais ni le processus de décision ni la méthode que vous proposez ne sont acceptables. S'agissant du premier point, que n'avez-vous saisi les structures de concertation propres à la région parisienne ?

Quant à la méthode proposée, il n'est pas raisonnable de mélanger l'impôt et la solidarité financière : il n'est pas sain que la feuille d'impôts locaux que recevra l'entreprise contribuable lui fasse croire que sa contribution ira à sa commune, alors qu'en fait une partie bénéficiera à d'autres communes. C'est une forme de mensonge, très dangereuse.

M. le Rapporteur - C'est déjà le cas aujourd'hui !

M. Dominique Perben - Non, aujourd'hui, cela n'apparaît pas sur la feuille d'impôt.

Cet article 57 "pollue" votre texte. D'ailleurs il aurait sa vraie place dans une loi de finances.

Comme vous le voyez, le groupe RPR aborde ce débat de façon constructive. Je souhaite que vous manifestiez une ouverture suffisante à l'égard de nos positions, auquel cas notre groupe aurait aussi un comportement positif (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Michel Vaxès - Ce projet est indissociable de celui relatif à l'aménagement du territoire, auquel s'ajoutera le projet de réforme de la fiscalité locale. Ces trois textes sont de nature à modifier en profondeur les rapports entre les collectivités territoriales et l'Etat, entre les collectivités territoriales elles-mêmes, ainsi qu'entre ces collectivités et les citoyens.

L'organisation du territoire est une grande question de société. Les structures de la République sont nées de siècles de luttes pour la démocratie. Elles ont contribué à briser l'autoritarisme féodal, à libérer les structures économiques et à créer les bases d'un pouvoir démocratique et social qui s'est élargi au fil des décennies. Comme le disait Alexis de Tocqueville, "la commune est à la liberté ce que l'école est à la science ; elle la met à la portée du peuple."

Au moment où le mouvement de la société place la démocratie et la citoyenneté au coeur de nouvelles avancées, la commune serait-elle dépassée ou réduite à n'exercer que des compétences de très immédiate proximité ?

A l'évidence non, sauf si une volonté politique visait à assujettir les sociétés et les territoires aux intérêts des marchés financiers.

Certes, aujourd'hui, les besoins des populations ont évolué, les déséquilibres de territoire sont une réalité quand 25 % des communes comptent moins de 200 habitants, enfin les questions de participation des citoyens se posent en termes renouvelés.

Tout cela a contribué à faire grandir le besoin de coopération entre communes, mais également entre bassins d'emplois, entre départements, entre régions, entre pays.

Il existe ainsi en France plus de 1 800 établissements publics de coopération intercommunale aux formes juridiques variées. Ces coopérations remplissent-elles totalement leurs objectifs ? Probablement pas ! Mais les obstacles qu'elles rencontrent ne sont pas principalement de nature juridique, nous le savons ici.

Ce qui entrave leur développement, ce sont d'abord les capacités et charges financières de chacune d'entre elles, leur endettement et parfois même la tutelle qui fait obstacle à leurs projets.

Le bilan de l'application de la loi de février 1992 en témoigne : près de la moitié des communes, représentant 31 700 000 habitants, sont associées dans un établissement public à fiscalité propre, mais cette évolution s'est pour l'essentiel réalisée dans des structures de petites dimensions.

Ce sont surtout les communautés de communes qui se sont développées. On en compte aujourd'hui environ 1 600, alors que les communautés de villes à taxe professionnelle unique se comptent sur les doigts d'une main. De nombreux groupements se sont réalisés sur la défensive, pour se protéger d'un voisin trop puissant, sans véritable volonté de transférer les compétences, avec l'objectif, quelquefois, d'un meilleur partage de la taxe professionnelle entre communes voisines, mais surtout pour bénéficier des incitations financières de l'Etat. Les statuts et modes de fonctionnement qu'ils se sont donnés, souvent d'ailleurs en contradiction avec l'esprit de la loi de 1992, témoignent d'une grande détermination à défendre la libre administration des collectivités.

C'est à cette situation, que vous qualifiez vous-même de relatif échec, notamment en milieu urbain, que vous voulez vous attaquer en favorisant l'émergence de grandes métropoles et un développement harmonieux de l'intercommunalité sur un territoire marqué par de fortes disparités.

Dans cet esprit, vous créez deux nouveaux établissements publics de coopération intercommunale -EPCI- à vocation essentiellement urbaine : la communauté d'agglomération de plus de 50 000 habitants d'un seul tenant avec une commune-centre d'au moins 15 000 habitants, et la communauté urbaine de plus de 500 000 habitants. Par ces moyens et les incitations financières qui les accompagnent vous voulez créer de meilleures conditions pour affronter les conséquences de la crise urbaine.

Nous serions tentés de dire "chiche" si cette ambition était portée par une volonté de vraies solidarités, nourries de moyens financiers nouveaux ! Mais cette loi, en l'état, le permettra-t-elle ?

Nous regrettons les conditions contraignantes dans lesquelles vont se constituer ou s'élargir les communautés urbaines et d'agglomération, s'opérer les transferts de compétences et se décider la mise en place de la taxe professionnelle unique. Les communes se trouveront de fait dessaisies de l'essentiel de leurs prérogatives, sans être assurées que leurs compétences transférées seront exercées dans le strict respect du suffrage universel et des orientations et programmes majoritairement soutenus par leurs citoyens.

C'est tellement vrai que beaucoup d'élus locaux s'interrogent sur le sort réservé à très court terme aux institutions existantes et particulièrement à la commune et au département sur lequel votre projet reste particulièrement discret.

Au-delà des incitations financières et fiscales dont nous connaissons les effets aléatoires et pervers et le caractère souvent conjoncturel, nos préoccupations tiennent aussi aux conditions financières dans lesquelles vont s'exercer les compétences importantes des EPCI. Permettront-elles de mieux répondre aux besoins de leurs populations ou seront-elles le moyen de mieux partager leurs misères ?

On oppose souvent communes dites riches et communes réellement pauvres, mais la vraie question, c'est celle de la réforme de la fiscalité locale, de l'augmentation conséquente des dotations de l'Etat pour un véritable essor de la démocratie, de la justice sociale et des services publics locaux, financé, par exemple, par une taxation des revenus financiers.

Impulser avec audace les coopérations intercommunales exige des moyens. Il faut avoir le courage d'aller les chercher là où ils sont et de mettre les citoyens en mouvement, pour faire contrepoids aux formidables pressions qui refusent que se concrétisent de véritables solidarités de nature à réduire les fractures sociales.

Nous ne sentons pas suffisamment cette détermination.

De même que la construction de l'Europe doit se faire dans le respect des spécificités nationales, de même l'intercommunalité n'a de chance de s'épanouir que nourrie de la volonté des conseils municipaux des communes qui auront choisi de la développer et que si elle reste placée sous la vigilance constante des populations qu'elle doit servir.

Sans doute faut-il aussi donner aux communes le coup de pouce qui les incitera à mieux prendre en compte l'intérêt général. L'Etat doit en être le garant par des initiatives financières et juridiques positives mais probablement pas par des mesures administratives contraignantes. L'intérêt général c'est l'intérêt de notre peuple et ce n'est que par une meilleure réponse à ses besoins que se jugera la qualité du dispositif législatif relatif à l'organisation administrative de la France.

Nous sommes convaincus que la décentralisation doit être confirmée et poursuivie. Nous souhaitons que les collectivités locales et particulièrement les communes disposent des moyens financiers supplémentaires correspondant à leurs compétences nouvelles, aux coopérations qu'elles souhaitent développer, au rôle qu'elles peuvent jouer dans la relance de la consommation et de l'investissement en faveur de la croissance et de l'emploi.

Mon ami Jean Vila consacrera son intervention au domaine financier et fiscal et Muguette Jacquaint versera au débat nos réflexions sur les spécificités de l'Ile-de-France.

Pour conclure, si le projet de loi, en son état actuel, ne répond pas encore à notre attente, nous n'en sommes pas moins animés d'une volonté constructive. Nous avons déposé des amendements propres à assurer un développement conséquent de la coopération intercommunale dans le respect du principe constitutionnel de la libre administration des collectivités locales et des besoins de leur population (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Marc-Philippe Daubresse - L'UDF a toujours été le parti de la décentralisation. C'est donc rempli d'espoir que notre groupe avait accueilli l'annonce d'une réforme qui aurait dû se concrétiser par trois projets de loi complémentaires : celui de Mme Voynet sur l'aménagement du territoire, celui que vous proposez aujourd'hui sur l'intercommunalité, celui que devrait prochainement nous présenter M. Zuccarelli sur le développement économique.

Connaissant, Monsieur le ministre, vos convictions sur la République et la démocratie, nous savions que vous ne choisiriez pas la voie révolutionnaire. Inutile en effet de rêver au grand soir qui aurait marqué l'acte II de la réforme de l'organisation de la République, supprimant plusieurs niveaux de décentralisation, renforçant le pouvoir des pays et agglomérations, instaurant un système fiscal assurant une réelle péréquation au bénéfice des plus démunis, et décentralisant effectivement les compétences et ressources de l'Etat.

Mais au moins pouvions-nous attendre de votre part une réforme sérieuse qui aurait tenté de satisfaire les préoccupations d'élus locaux -que vous connaissez bien, Monsieur le ministre, pour avoir été longtemps maire de Belfort-, qui se débattent dans un système chaque jour moins efficace et moins transparent.

Notre déception est profonde devant une réforme qui s'arrête au milieu du gué et qui accentuera la complexité et l'absurdité de la situation. Ce texte révèle une grave erreur de méthode. Quelle logique, en effet, à saucissonner une même réforme en trois projets de loi qui sont loin d'être complémentaires ? Comment comprendre que le Parlement examine d'abord le projet Voynet, qui devrait être la conséquence du vôtre ? La meilleure preuve en est que, lors de l'examen de cette loi Voynet, on n'a cessé de faire référence à votre projet et à le prendre comme base de discussion, et que de nombreux amendements ont été différés, car prématurés. On pourrait pourtant attendre d'un gouvernement, même s'il n'est pas cohérent dans la pratique, qu'il le soit, au moins, dans sa théorie.

Il est difficile de légiférer sérieusement dans de telles conditions de précipitation et d'incohérence qui laissent les élus locaux perplexes.

Pourquoi compliquer encore nos structures intercommunales en rajoutant des communautés d'agglomération qui concurrencent directement les communautés de communes et en opposant, ce faisant, la France urbaine à la France rurale ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Marc-Philippe Daubresse - S'agissant du contenu, nous souscrivons aux dispositions louables de votre projet pour rationaliser et clarifier la gestion des EPCI.

Mais ces intentions ne s'accompagnent ni de changements spectaculaires, ni de moyens adaptés. Tous les élus locaux attendaient de votre projet qu'il poursuive quatre objectifs : simplifier, clarifier les compétences, décentraliser les moyens, permettre l'expérimentation locale.

S'agissant de la simplification des niveaux administratifs, pourquoi restez-vous au milieu du gué ? Pourquoi doter les nouvelles communautés d'agglomération de compétences importantes, sans poser le problème de l'empilement des niveaux de décentralisation ? A quoi servira demain un conseiller général dans une grande agglomération qui, de surcroît, pourra contractualiser directement avec l'Etat ?

M. le Rapporteur - C'est une vraie question.

M. Marc-Philippe Daubresse - Si vous voulez supprimer à terme les départements, dites-le, plutôt que d'avancer masqué !

Tout cela fait désordre, un désordre qui atteint son comble dans la gauche plurielle, lorsque Bernard Roman, député socialiste du Nord, fait voter en commission un amendement sur l'élection des conseils de communauté au suffrage universel, contre votre avis et contre celui du rapporteur, sachant que cela aboutira, de fait, à remettre en cause l'existence des départements, voire des communes.

Pourquoi rester encore au milieu du gué en incitant les territoires urbains à se regrouper en communautés d'agglomération, omettant d'offrir la même possibilité aux communautés de communes, colonnes vertébrales des pays en zone rurale ? Pourquoi un territoire rural percevra-t-il 110 F de DGF par habitant en communauté de communes, et un territoire urbain 250 F ? Pourquoi avoir fixé un seuil de 50 000 habitants autour d'une ville-centre de 15 000 habitants en zone urbaine, et aucun seuil pour les communautés de communes en zones rurales ? N'est-ce pas ce que votre collègue Jean-Pierre Balligand, député socialiste de l'Aisne, appelle "un aménagement du territoire à deux vitesses" ?

Pourquoi supprimer districts et communautés de villes et maintenir SIVOM et communautés de communes ? Pourquoi accepter la création de nouvelles communautés urbaines sur le modèle des communautés d'agglomération, et laisser les anciennes fonctionner sur un modèle différent ?

La vérité, c'est que vous n'avez pas pu ou pas voulu choisir, et qu'au lieu de simplifier, vous avez rajouté quelques tuyaux supplémentaires à l'usine à gaz de la fausse décentralisation.

Sur la clarifiction des compétences entre région, département, agglomération, pays et SIVOM, là encore, la montagne a accouché d'une souris : si votre volonté était de ne vous attaquer ni à la région, ni au département, ni à l'agglomération, était-il donc si difficile de rendre leurs compétences respectives exclusives et complémentaires, plutôt que de renforcer leur concurrence ? Un seul exemple : le développement économique restera l'apanage d'une région, mais pourra susciter des intérêts dans le département, et l'agglomération pourra aussi s'en occuper, sans faire obstacle à une action des communes et sans oublier la possibilité d'adjoindre aux projets présentés des fonds structurels européens ! Il en résultera un véritable parcours du combattant pour financer les projets des élus. Il faut déjà quatre ans pour obtenir des aides à l'implantation de Toyota en France, alors qu'il n'a fallu que six mois à nos voisins belges pour faire leurs offres !

Sur la décentralisation des moyens, nous attendions aussi une vraie réforme. L'enjeu est de savoir si l'Etat se concentre sur ses pouvoirs régaliens et décentralise les choix et l'action au plus près du citoyen, afin de combler l'écart qui se creuse entre la population et les politiques. De tout cela, pas un mot dans votre projet...

M. le Rapporteur - Vous en avez fait encore moins !

M. Marc-Philippe Daubresse - ...si ce n'est pour donner un peu plus de pouvoir aux préfets qui décideront, autoritairement, de la création de nouvelles intercommunalités, au détriment de l'autonomie de nos collectivités.

Mais, direz-vous, vous engagez une vraie réforme fiscale de l'intercommunalité. Parlons-en ! Vous proposez des dispositions totalement incompréhensibles pour l'élu local moyen et même pour les quelques grands fiscalistes que nous comptons sur nos bancs.

Que constatons-nous en effet ? Une dispersion des systèmes fiscaux, sans aucune volonté d'unification, avec la création d'une taxe professionnelle d'agglomération et l'instauration d'une fiscalité mixte entre taxe professionnelle et taxes sur les ménages, qui aboutira à supprimer la spécialisation des impôts. De fait, vous empilez les taxes dans les agglomérations, mais le problème se posera aussi pour les petites communes des communautés rurales qui opteront pour la fiscalité mixte, laquelle présente un certain risque d'irresponsabilité fiscale. Si, théoriquement, la fiscalité mixte est souhaitable pour équilibrer les comptes, elle aboutira pratiquement à des taxes très inégalement réparties sur le territoire.

En ce qui concerne la péréquation des ressources, nous resterons sur notre faim tant qu'on n'engagera pas, dans notre pays, la profonde réforme des bases d'imposition qui s'impose depuis des années et qu'il faudra bien avoir le courage et la lucidité d'entreprendre un jour. C'est une réforme essentielle attendue sur tous les bancs.

M. Bernard Roman - Sur tous les bancs, c'est vite dit...

M. Marc-Philippe Daubresse - Ce sera peut-être l'objet d'un quatrième projet de loi, sous la plume de M. le ministre des finances, l'an prochain.

Et comment ne pas voir que vous vous apprêtez à financer une bonne partie de la DGF des nouvelles communautés d'agglomération, en puisant dans les ressources des autres intercommunalités, alors qu'il eût été plus sage de laisser le Comité des finances locale assurer les équilibres entre les différents types d'EPCI et choisir les priorités ?

Je ne m'attarderai pas sur le problème de l'Ile-de-France...

M. le Rapporteur - Dommage, c'est de la péréquation, ça !

M. Marc-Philippe Daubresse - C'est un véritable racket que subiront certaines communes d'Ile-de-France.

M. Laurent Cathala - Scandaleux !

M. Marc-Philippe Daubresse - Sur le droit à l'expérimentation, enfin : pourquoi vouloir absolument rigidifier les procédures ? L'exigence de démocratie conduira Pierre Méhaignerie et le groupe UDF à proposer une loi sur le droit à l'expérimentation, mesure réclamée sur de nombreux bancs de cette assemblée.

Le groupe UDF n'est pas favorable à la philosophie générale de ce texte, même si les problèmes qu'il aborde sont sérieux. Dans son Anthologie de la poésie française, Georges Pompidou écrit : "A vouloir sculpter dans le marbre, on en oublie le vent..." Le groupe UDF s'opposerait à votre texte s'il restait sculpté dans le marbre mais nous espérons encore que, au cours de son examen, vous tiendrez compte du vent de la diversité qui souffle de nos villes et de nos villages (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Michel Crépeau - Un projet de loi sur l'intercommunalité était-il nécessaire ? Le groupe RCV dans son ensemble, les radicaux de gauche en particulier, abordent le présent texte avec un préjugé favorable, à condition toutefois que certaines précisions soient apportées.

J'interviens ici avec l'expérience d'un président de communauté de villes. Si ces dernières sont restées peu nombreuses, ce n'est pas qu'elles aient mal fonctionné. Je constate d'ailleurs avec satisfaction que les communautés d'agglomération, qui vont devenir le groupement de droit commun, les calquent à quelques nuances près.

Il fallait simplifier le dispositif actuel : qui, si ce n'est au moins un agrégé de droit public, peut expliquer, exactement, sans note, ce que sont les syndicats de communes, les syndicats à vocation unique, les syndicats à vocation multiple... ces structures innombrables auxquelles viennent d'ailleurs d'être ajoutés les pays ? Quant à l'idée, émise par certains, de faire élire les délégués des communautés d'agglomération au suffrage universel, elle est le type même de la fausse bonne idée. Imagine-t-on la pagaille qui s'ensuivrait ?

J'ai veillé dans ma communauté de villes, qui regroupe dix-huit communes, à ce que chacune d'entre elles ait au moins deux représentants et que chaque maire des petites communes assure une vice-présidence. Mais si l'élection a lieu au suffrage universel, Monsieur Roman, chacun devra être placé sur un pied d'égalité. Avec un élu pour cinq cents habitants, La Rochelle aurait à elle seule 140 élus. Belle démocratie ! Comme a par ailleurs été adopté un amendement au projet de loi sur le non-cumul des mandats selon lequel le maire de la ville-centre ne pourrait présider une structure intercommunale...

M. Bernard Roman - Non ! C'est la seule exception que nous ayons acceptée.

M. Gérard Voisin - Voilà l'unité de la gauche plurielle !

M. Michel Crépeau - ...dans ces conditions, les couteaux seront tirés dès que j'aurai le dos tourné !

Deuxième impératif : assurer une véritable liberté aux communes. Selon certains, l'intercommunalité y porterait atteinte. Ce n'est pas vrai. En effet, être libre pour une commune, c'est posséder les compétences juridiques et techniques nécessaires ainsi que le pouvoir financier. Or, précisément, les maires des petites communes sont aujourd'hui totalement démunis, contraints de s'en remettre aux DDE ou, pis encore, aux troupes de MM. Messier, Mestrallet ou Bouygues pour mener à bien leurs projets. En revanche, avec une structure assez forte, il est possible de gérer les services en régie. Là s'exprime vraiment la liberté des communes. La politique n'est pas un exercice d'enfants de choeur : on n'y vaut jamais que ce que l'on pèse.

Troisième impératif : harmoniser. Il ne s'agit pas d'opposer les villes et les campagnes.

M. le Rapporteur - Très bien !

M. Michel Crépeau - La communauté de villes de la Rochelle regroupe, autour de la ville-centre, des communes périurbaines de 6 000 à 10 000 habitants et neuf petites communes rurales que nous avons, pour ainsi dire, prises sous notre aile protectrice. Tout se passe très bien. Ainsi les charges de centralité peuvent-elles être réparties. Ceux qui clament à l'envi "la campagne, la campagne, la liberté, la liberté !" oublient sans doute que les citadins qui habitent aujourd'hui ces petites communes rurales souhaitent y trouver tous les services ordinairement disponibles en ville. Le seul moyen d'y parvenir, c'est l'intercommunalité ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste).

Quatrième impératif : organiser au mieux le financement. La communauté de villes présentait l'avantage de le clarifier : l'impôt prélevé sur les entreprises servait à financer le développement et les grands équipements collectifs, l'impôt prélevé sur les ménages, conservé en totalité par les communes, à financer la vie de proximité. L'important est de mutualiser le risque, notamment en cas de régression économique. Dans le périmètre de ma communauté de villes, une usine Peugeot a supprimé 3 600 emplois et une usine Alcatel-CIT 800. Grâce à l'intercommunalité, nous avons pu amortir les effets du manque à gagner soudain de taxe professionnelle pour les collectivités concernées.

Enfin, Monsieur le ministre, pourriez-vous me rassurer sur un point ? Chacun connaît la propension du ministère des finances à gratter trois sous dès qu'il le peut ! Alors que les communautés de villes devaient recevoir 250 F par habitant, elles n'ont perçu que 125 F, portion congrue à laquelle elles sont réduites depuis six ans, contrairement à ce qui m'avait pourtant été promis dans un courrier. J'espère donc que nous toucherons désormais vraiment 250 F par habitant...

M. le Ministre - Il ne s'agit plus d'un courrier, mais d'une loi.

M. Michel Crépeau - Chat échaudé craint l'eau froide ! Et sur ce point, votre texte manque de clarté.

Par ailleurs, est-il juste que les communautés de villes ne perçoivent que 250 F quand les communautés d'agglomération en toucheront 420 F ? Je note, d'ailleurs, que les députés communistes ont, pour la première fois, me semble-t-il, cité Tocqueville à la tribune, alors que nous étions plutôt habitués à entendre M. Giscard d'Estaing faire cette référence. Je ne vous souhaite pas, chers collègues communistes, d'avoir bientôt à citer M. Giscard d'Estaing (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Francis Delattre - La coopération intercommunale, à chaque fois présentée comme une avancée décisive, a toujours été vécue davantage comme une nécessité que comme un enjeu démocratique. Les premières forces d'intercommunalité ont vu le jour dès 1837 et ont trouvé un cadre légal dans une loi de 1890. Longue route donc !

Il est vrai qu'avec 36 700 communes, la France connaît un émiettement du pouvoir local, unique en Europe.

C'est pourquoi, chaque Gouvernement, à l'instar de Sysiphe, se croit obligé de rajouter sa pierre à cet édifice baroque. Depuis la loi du 16 juillet 1971, huit lois se sont succédé pour renforcer la coopération intercommunale, la dernière, celle du 6 février 1992 ayant créé une taxe professionnelle unique et une taxe professionnelle de zone. Eternel recommencement donc avec, finalement, des résultats contrastés.

Communautés de villes, communautés de communes, communautés urbaines, districts, syndicats à vocation unique, syndicats à vocation multiple, ces myriades de structures se sont empilées, ont sédimenté. Cet amoncellement est devenu peu lisible pour le citoyen-contribuable et préjudiciable à la démocratie locale. Il convient donc de le simplifier, de le rationaliser et de le moderniser : il entretient en effet l'irresponsabilité.

Le Gouvernement souhaite faire de ce projet la pierre angulaire de la coopération intercommunale et de la taxe professionnelle unique la clé de voûte du dispositif.

Mais comment instaurer cette coopération sans brider l'autonomie des collectivités locales ni méconnaître la Constitution ? L'adhésion à un groupement intercommunal devrait être volontaire et progressive.

Comment alors encourager l'intercommunalité ? En faisant les choses sans le dire. C'est un peu ce que vous nous proposez, Monsieur le ministre.

Les hésitations sur le titre de votre projet, d'ailleurs modifié par la commission, traduisent les incertitudes qui le caractérisent.

S'agit-il seulement d'organisation urbaine ? Cela aurait été vrai si le projet n'avait concerné que les communautés d'agglomération, mais il procède également à un sérieux toilettage des autres groupements intercommunaux, notamment pour le volet fiscal. Les districts par exemple disparaissent.

S'agit-il de simplification ? J'en doute, vu la haute technicité des mesures proposées. Les situations différentes que vous multipliez, sous prétexte de dispositif transitoire, ne servent qu'à masquer un projet bancal qui ne choisit pas, et pis, rend encore plus complexes les procédures et les structures.

Pourquoi proposer des dispositifs plus contraignants qu'incitatifs ? Est-ce pour défavoriser les groupements intercommunaux à vocation rurale ?

L'examen de ce texte, juste après le projet de loi relatif à l'aménagement du territoire, n'est pas un hasard. Le point commun à toutes ces dispositions, c'est l'instauration d'une TPU pour toutes les structures intercommunales. Les communes seront libres d'adhérer à un EPCI mais non de choisir leur régime de fiscalité propre.

Ce projet n'est pas dénué d'arrière-pensées.

Si la coopération intercommunale a plutôt bien fonctionné en milieu rural, elle a plutôt été un échec en milieu urbain. Beaucoup de communautés de communes ont vu le jour, mais seulement cinq ont opté pour la communauté de villes.

Je suis désolé de faire ce triste constat, mais l'intercommunalité a bien fonctionné là où les structures avaient le choix de leur fiscalité. Si les communautés de villes n'ont pas marché, c'est parce que la TPU était leur régime de droit commun. La TPU reste un régime minoritaire que seuls 6 % des EPCI à fiscalité propre ont adopté. Si, par contre, les communautés urbaines fonctionnent bien, c'est qu'elles ont le choix entre la TPU ou la fiscalité additionnelle.

Or vous faites de la TPU, Monsieur le ministre, le principal facteur d'intégration pour votre nouvelle formule de groupement. Sachant que la taxe professionnelle représente 50 % des recettes fiscales locales et augmente de 6 % l'an, alors que l'impôt dû par les ménages ne progresse que de 2,5 %, on peut prévoir que les communes y regarderont à deux fois avant de renoncer à cette recette. D'autant que le bloc des compétences obligatoires n'est pas tout à fait adapté aux nécessités du moment, à savoir l'élimination des déchets, la qualité de l'eau, l'assainissement.

Ce projet pousse sans le dire à une solidarité fiscale entre communes à potentiel fiscal disparate, solidarité que nombre d'élus locaux sont prêts à assumer -je le dis d'autant plus facilement que j'ai été de ceux qui ont amené l'UDF à voter pour la DSU- mais qui risque de lier des communes ayant des types de gestion opposés. Et cette solidarité conduira inévitablement à une pression fiscale aggravée sur les entreprises. Certaines communes verront ainsi leur taux de taxe professionnelle augmenter mécaniquement, ce qui les privera parfois du bénéfice d'années d'efforts de gestion consentis afin d'offrir aux entreprises des taux attrayants.

En fait, les équilibres entre apports et retraits ne pourront être obtenus qu'après une négociation serrée sur les compétences dévolues à la communauté d'agglomération, étant rappelé que le bloc de compétences obligatoires ne sera pas de ce point de vue le plus performant.

En outre, si certains amendements de la commission des lois sont adoptés, il sera créé une dotation de solidarité communautaire, que le groupement sera obligé de verser aux communes déjà éligibles à la DSU ou à la DSR. Beaucoup de communes urbaines d'Ile-de-France seront pénalisées sur l'aspect fortement péréquateur de cette mesure. Certes elles ont souvent un potentiel fiscal supérieur à la moyenne nationale, mais elles sont aussi confrontées à des problèmes qui justifieraient plus un soutien que des coupes dans leurs ressources.

Nous soutenons le principe d'une forte incitation financière pour les groupements qui choisiront une fiscalité fortement intégrée, mais ne pas l'étendre aux autres groupements intercommunaux n'est pas juste. En faisant ce choix, Monsieur le ministre, vous pénalisez les EPCI, en particulier ceux qui opteront pour la TPU mais qui ne seront pas des communautés d'agglomération.

Le rapporteur a d'ailleurs bien senti le caractère discriminatoire de cette disposition puisqu'il a fait adopter un amendement portant à 150 F la DGF des communautés de communes ayant opté pour la TPU.

J'entends bien que ce projet a vocation à favoriser la coopération intercommunale en milieu urbain, mais il ne faut pas pour autant pénaliser le milieu rural.

J'observe par ailleurs que rien n'est fait pour favoriser cette coopération en Ile-de-France, maquis urbain où il y a peu de coupures naturelles, où les départements sont eux-mêmes des aires artificielles et récentes, où le concept de ville-centre est peu opérant...

Mme Nicole Bricq - Cela dépend.

M. Francis Delattre - Vous ne pouvez nier que la région parisienne soit une juxtaposition de villes moyennes. Après Paris, qui a 2 millions d'habitants, la ville la plus grande est Boulogne, qui en compte 100 000. Il sera donc difficile de dégager des zones de coopération. Une forte volonté politique sera en tout cas nécessaire pour cela.

Ce projet impose un seuil de 50 000 habitants, autour d'une ville-centre de 15 000 habitants, pour la création d'une communauté d'agglomération...

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois - C'est la réalité qui impose ces seuils.

M. Francis Delattre - C'est trop rigide, comme chaque fois que l'on légifère depuis un bureau.

Autre disposition assez choquante : le rôle dévolu au préfet dans l'initiative de la création des communautés d'agglomération. Il me paraît peu conforme aux incantations décentralisatrices entendues un peu partout. Certes, le préfet ne peut pas forcer les communes à adhérer à la communauté d'agglomération dont il aura dessiné le périmètre, mais face à des communes rétives, il pourra invoquer le principe de la continuité territoriale et faire pression. Surtout, l'absence de réponse de la commune concernée vaudrait acceptation tacite, ce qui n'est pas conforme à notre tradition juridique.

Le groupe Démocratie Libérale considère le développement de la coopération intercommunale comme une nécessité mais pense que celui-ci exigerait préalablement une mise à plat de notre organisation territoriale et une clarification des compétences respectives des différents niveaux. Or ce projet crée une nouvelle structure qui, dotée d'une fiscalité propre et, un jour sans doute, d'élus au suffrage direct, apparaît forcément comme un niveau supplémentaire d'administration territoriale et, fût-elle justifiée par les réalités du terrain, elle ajoutera donc à la confusion de l'ensemble.

Il nous paraît urgent de remédier à l'archaïsme des "quatre vieilles" et de réfléchir à un impôt communal reposant sur des bases claires et correspondant tout aussi clairement à des services rendus. De même faudrait-il réfléchir, dans le même esprit, à un impôt de coopération intercommunale, à un impôt départemental et à un impôt régional.

Dans l'attente de cette remise à plat, le groupe Démocratie Libérale proposera de supprimer les mécanismes par trop contraignants du projet afin de redonner pleine valeur à l'initiative qui a toujours prévalu dans ce domaine.

Reste le problème politique suivant : on ne peut pas donner des attributions importantes et des moyens fiscaux puissants à une structure non élue. Mais, d'un autre côté, on ne peut pas déposséder les communes ou les départements de leur rôle et de leur représentativité.

Ce projet, au lieu de faire des choix, cultive les ambiguïtés déjà latentes de la coopération intercommunale. Le vote du groupe Démocratie Libérale dépendra donc du sort que vous réserverez à ses amendements (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Jacky Darne - Je me posais au départ deux questions : faut-il une nouvelle loi sur l'intercommunalité ? Celle-ci va-t-elle améliorer les choses ? Après avoir passé quelques heures sur le présent projet, je suis en mesure d'y répondre.

Les arguments plaidant en faveur d'une nouvelle loi sont bien connus. Premier type d'argument : notre organisation territoriale est inutilement compliquée et coûteuse. Il y a trop de niveaux de décisions, communes, départements, régions et structures intermédiaires ; il faudrait, disent certains, en supprimer au moins deux. Il y a trop de communes, il faudrait, à l'instar des Allemands, diviser leur nombre par trois afin qu'elles aient la taille suffisante pour investir, s'équiper...

Deuxième type d'argument : cette organisation est un frein à la mise en oeuvre de politiques de développement économique et social efficaces. Du fait de leurs faibles possibilités d'investissement et de l'éclatement des centres de décision, les collectivités locales ne sont pas de bons interlocuteurs pour les groupes industriels, commerciaux ou de services.

Troisième série d'arguments : l'enchevêtrement des compétences, l'empilement des financements et le manque de transparence des modes de fonctionnement ne favorisent pas la compréhension du citoyen et l'identification claire des responsabilités de chacun. La démocratie y perd.

Quatrième série : les relations entre l'Etat et les collectivités locales sont confuses, changeantes, peu sûres. Les impôts locaux sont assis sur des bases trop étroites ou contestées. Les réformes fiscales se font, certes, mais de façon partielle ou trop lente. Il en résulte que le financement des collectivités locales dépend de plus en plus de l'Etat, mais, les textes étant changeants, les dotations sont incertaines.

Il faut donc une loi, même si la population se montre attachée aux communes. L'intercommunalité est conçue comme un prolongement de celle-ci, et c'est pourquoi son fonctionnement n'est pas critiqué du point de vue de la démocratie : le conseil général et le conseil régional, en dépit de leur élection au suffrage universel direct, sont moins connus que le groupement de communes.

Certes, nous disposons déjà de nombreux outils : la TPU existe, les districts ont 40 ans et ont donné de bons résultats, plusieurs textes ont été adoptés depuis 1982, dont il ne faudrait pas passer par pertes et profits tous les apports. Il reste que, tout bien pesé, cette loi est indispensable, principalement pour deux raisons.

D'une part, le risque majeur de la société française est l'éclatement urbain, par la formation de ghettos, la séparation croissante des riches et des pauvres ; pour reconstituer de vraies villes, il faut une politique d'agglomération. Sans être un aboutissement, cette loi est une étape nécessaire.

D'autre part, l'intercommunalité est nécessaire au développement économique ; à cet égard, la TPU permettra d'éviter la concurrence entre communes.

Cette loi, j'en suis certain, marquera une étape décisive dans notre construction institutionnelle.

Mme la Présidente de la commission des lois - C'est évident.

M. Jacky Darne - Pour autant, il ne s'agit pas d'un bouleversement. Mieux vaut agir ainsi ; peut-être, lorsque des articulations nouvelles se seront mises en place entre agglomération, département et région, le constat s'imposera-t-il que l'un des échelons est de trop, mais le fruit sera alors mûr, ce qui n'est pas tout à fait le cas aujourd'hui.

On peut regrouper les dispositions de ce texte autour de quatre thèmes : le périmètre, les compétences, la démocratie, la fiscalité.

C'est un grand progrès de poser comme principe général l'existence de trois niveaux : communautés de communes jusqu'à 50 000 habitants, communautés d'agglomération de 50 000 à 500 000 et communautés urbaines au-delà. Il n'y a pas, cependant, de rigidité absolue, car il faut tenir compte de ce qui existe.

On affirme constamment la nécessité de respecter l'autonomie communale, et en même temps celle d'assurer une solidarité entre communes riches et communes pauvres ; à cet égard, le projet assure un certain équilibre, grâce à l'intervention du préfet et à la règle de la majorité des deux tiers. Je souhaite cependant, s'agissant du périmètre, qu'on introduise un peu plus de souplesse, car ce qui est vrai un jour ne l'est plus dix ou vingt ans plus tard.

S'agissant des compétences, font partie des compétences obligatoires ce qui est essentiel pour construire une agglomération, à savoir l'économique et le social. Concernant les services fonctionnels, les équipements culturels et sportifs, il est normal de laisser aux communes une possibilité de choix. Nous proposerons par amendements une souplesse un peu plus grande ; cependant il faut des contraintes : si la loi n'en impose aucune, comme semble le souhaiter M. Perben, à quoi bon légiférer ? En l'absence de compétences obligatoires, les groupements ne seraient que des "pompes à sous"...

Troisième point : la démocratie, dont le premier aspect est la transparence.

Actuellement, c'est incontestable, elle fait un peu défaut. A cet égard, le projet contient quelques dispositions essentielles : le conseil municipal pourra débattre, entendre les délégués et le président du groupement, les délégués devront être des conseillers municipaux.

M. Michel Crépeau - C'est le minimum...

M. Jacky Darne - La désignation des délégués suscite beaucoup plus de débats. Certains réclament un suffrage universel direct, d'autres, comme M. Crépeau, s'y opposent avec véhémence ; pour ma part, je considère que l'objectif doit être celui-là si les groupements ont des budgets qui dépassent largement celui des communes. C'est le cas de la Communauté urbaine de Lyon, dont les dépenses atteignent 5 000 F par habitant...

M. Michel Crépeau - Créez une collectivité locale !

M. Jacky Darne - Il reste qu'il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs et qu'aujourd'hui, les compétences ne sont pas partout telles qu'elles justifient un suffrage universel direct.

M. le Président - Votre temps de parole est écoulé...

M. Jacky Darne - Je conclus donc. La moindre des choses serait, au moment des élections municipales, de préciser sur le bulletin de vote qui siégerait dans le groupement.

M. Michel Crépeau - Je suis d'accord !

M. Jacky Darne - Je compte sur mes collègues pour parler des dispositions fiscales, que je n'ai pas le temps d'aborder. Ce texte est bon, mais je suis sûr qu'à l'issue de ce débat il sera encore meilleur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - Je demande à chacun de se souvenir qu'une minute fait soixante secondes...

M. Gilles Carrez - Ce projet va dans la bonne direction. Il favorise, en la simplifiant, l'intercommunalité, et va permettre de réduire les disparités de ressources fiscales. Vous avez fait vôtres, Monsieur le ministre, les principales orientations du projet de Dominique Perben, et l'on ne peut que s'en féliciter.

Cependant, à la différence du texte de M. Perben, le vôtre semble, au moins dans la forme, opposer le monde rural et le monde urbain, pour privilégier le second. Vous devriez accepter les amendements du groupe RPR tendant à atténuer cette différenciation.

Mme Nicole Bricq - Les nôtres sont meilleurs !

M. Gilles Carrez - Seconde différence avec le projet Perben : vous faites pour l'Ile-de-France une entorse au principe de la coopération intercommunale librement consentie. Cela paraît d'autant plus inexplicable que votre projet a fait l'objet d'une très large concertation pour le reste. A l'heure qu'il est, nous ne connaissons même pas la liste des communes concernées : le comité d'élus chargé de répartir les crédits du fonds de solidarité, comité dont je suis membre, n'a été ni informé ni convoqué ! J'espère que votre sens du dialogue nous poussera à retirer du projet ce point, qui aurait mieux sa place dans la loi de finances. Nous ne divergeons pas, en effet, sur l'objectif, mais sur la méthode qui nous semble préjudiciable à la fin poursuivie.

En matière fiscale, ce projet vise à favoriser la mise en commun de la taxe professionnelle. Cependant, les communautés d'agglomération, les communautés urbaines à TPU et les communautés de communes à TPU ou à taxe de zone permettront-elles de répartir réellement mieux cet impôt ? L'état des lieux n'incite guère à l'optimisme. Très peu de regroupements ont fait jusqu'ici le choix de la TPU, hormis les SAN auxquels il a été imposé. De fait, partager volontairement la taxe professionnelle suppose beaucoup de grandeur d'âme et un grand sens de l'idéal républicain. Mais, d'autre part, la répartition de cette manne est de plus en plus inégale. On peut même parler d'une double inégalité. Inégalité, d'abord, des ménages devant l'impôt local : un ménage qui habite une commune où les entreprises sont nombreuses a des chances d'acquitter moins d'impôts qu'ailleurs. Inégalité, ensuite, quant à la qualité et à la diversité des services publics locaux : celle-ci aggrave les risques d'exclusion. Au surplus, comme vous l'avez relevé, Monsieur le ministre, ces inégalités se creusent rapidement car elles ont un caractère cumulatif. Dans la région parisienne par exemple, 80 % des demandes de bureaux ne concernent qu'une douzaine de communes -celles où les bases de taxe professionnelle par habitant sont déjà de 5 à 10 fois supérieures à la moyenne.

La taxe professionnelle d'agglomération ne peut donc qu'être un progrès. Il n'en reste pas moins des interrogations. En premier lieu, l'étatisation de cette taxe amorcée par M. Strauss-Kahn ne va-t-elle pas freiner les regroupements à TPU ? La réponse est pour moi incertaine. Cette réforme laisse subsister les deux tiers les plus dynamiques de la taxe mais rien ne nous garantit que la suppression de la part salaire n'annonce pas une disparition totale de la taxe professionnelle. D'autre part, les regroupements qui ont engagé des dépenses importantes en vue d'attirer des entreprises se trouvent lésés par la suppression de la part salaire et ils alimentent la critique contre votre projet, soutenant que Bercy l'a vidé de sa substance...

Par ailleurs, les communes les plus riches en taxe professionnelle ne resteront-elles pas à l'écart des regroupements, sauf à ne se marier qu'entre elles ? La tentation serait alors grande de recourir à un peu de contrainte, d'autant que les clivages ne sont pas politiques en la matière, mais plutôt fonction du produit de la taxe professionnelle et des charges. Pourtant, je pense que vous avez eu raison, à ce stade, d'en rester au principe du volontariat et à la seule incitation. Simplement, si les blocages subsistent, il faudra bien un jour faire une entorse à la sacro-sainte règle de la coopération librement consentie, comme tous nos voisins européens l'ont fait à un moment ou à un autre. D'autre part, peut-être n'auriez-vous pas dû interdire les enclaves : les manoeuvres d'encerclement ont des vertus pédagogiques !

Votre ambition de ne consentir à la TPU que 40 % du territoire aggloméré et seulement 25 % en région parisienne, apparaît bien limitée. Ce manque d'audace est-il lié au principe du volontariat ou a-t-il une explication financière ? Quoi qu'il en soit, dans la mesure où nous ne pourrons pas instaurer la TPU sur une grande partie du territoire aggloméré, la péréquation restera nécessaire. Or la réforme faite par Bercy a eu pour effet de vider le fonds de péréquation de la taxe professionnelle : l'Etat a confisqué la cotisation minimale et la cotisation nationale de péréquation et il fait financer le pacte de croissance et de solidarité par ce fonds. De surcroît, votre projet risque de réduire les fonds départementaux de péréquation... La plus grande vigilance s'impose donc.

Nous sommes inquiets, en général, sur le financement de l'intercommunalité et de la solidarité. Le Gouvernement n'aurait-il pas préparé une bombe à retardement ? Sachant qu'il ne pourra financer avec 500 millions les 250 F par habitant de la DGF des communautés d'agglomération, il prévoit de recourir aux fonds de la dotation de compensation de la taxe professionnelle. Or celle-ci a d'ores et déjà baissé de 23 % pour les communes pauvres et on ne pourra donc y faire appel. Je suis persuadé que, d'ici à deux ou trois ans, le financement de l'intercommunalité ne pourra plus être assuré.

De ce fait, les communautés de communes, qui ne perçoivent que 104 F par habitant en moyenne, ne pourront qu'être choquées par les 250 F perçus par les communautés d'agglomération. La DGF est totalement à bout de souffle : l'an prochain, la régularisation sera négative, c'est-à-dire que l'Etat reprendra 1 milliard. Comment dans ces conditions espérer accroître la dotation destinée aux communautés de communes et aux districts ? Je vous conjure par conséquent de plaider pour un abondement supplémentaire.

Nous approuvons le recours à la fiscalité mixte : il garantira les communautés d'agglomération contre l'évolution erratique des ressources de taxe professionnelle. Il faut toutefois éviter les dérapages fiscaux : au lieu de gonfler les frais généraux, l'intercommunalité devrait favoriser les économies d'échelle. Aussi avez-vous raison d'encadrer strictement le recours à la fiscalité ménages. Prenez simplement garde à votre majorité qui a la hausse d'impôt facile ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) De même en ce qui concerne la déliaison des taux à la baisse...

Quelques points en apparence techniques peuvent avoir une grande importance : ainsi votre décision de moraliser le calcul du coefficient d'intégration fiscale. Vous excluez de ce calcul les transferts mais prenez garde : cela risque de conduire à des bouleversements. Ne pourrait-on se contenter de sortir du calcul les seuls transferts de contingents ?

D'autre part, le potentiel fiscal vous paraît-il l'instrument le mieux adapté quand le Gouvernement a renvoyé aux calendes la révision des valeurs locatives ? Il serait plus intelligent de ne considérer que le potentiel de taxe professionnelle, qui a le mérite d'être actualisé tous les ans.

Comme M. Perben, j'approuve l'essentiel des dispositions d'ordre institutionnel.

Après les ordonnances de 1959 et la loi de 1992, ce projet devrait marquer une nouvelle étape de l'intercommunalité. Mais si celle-ci fonctionne comme nous l'espérons tous, se posera inévitablement la question de l'élection au suffrage direct des conseillers communautaires. Vous avez raison de ne pas l'aborder aujourd'hui, mais nous devons nous préparer à y répondre, très certainement pour les élections municipales de 2007.

Je souhaite, enfin, que vous soyez ouvert aux propositions raisonnables que vous fera le groupe RPR dans la discussion des articles : de votre attitude dépendra notre position (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 45.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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