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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 64ème jour de séance, 164ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 16 FÉVRIER 1999

PRÉSIDENCE DE M. Yves COCHET

vice-président

          SOMMAIRE :

ÉLECTRICITÉ (suite) 1

La séance est ouverte à vingt et une heures.


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ÉLECTRICITÉ (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.

M. Christian Bataille, rapporteur de la commission de la production - Le 30 mars 1946, France Soir titrait à la une : "La nationalisation de l'électricité est votée". En effet, par 490 voix contre 61, le texte fondateur d'Electricité et Gaz de France devenait la loi du 8 avril 1946 qui devait rester célèbre. Cinquante ans après, nous commémorons l'institution d'un service public de l'électricité.

La loi du 15 juin 1906 l'avait la première reconnu. Mais, du début du siècle à la fin des années trente, alors que la France compte environ deux cents entreprises de production, une centaine pour le transport et plus d'un millier pour la distribution, l'électricité aura accompli une révolution silencieuse qui, d'élément de confort confidentiel, l'a transformé en ressource indispensable à la vie de la nation.

Peu, à cette époque, ont pris conscience de cette révolution, même si le syndicat majoritaire dans les industries électriques, la CGT, réclame, dès avant 1914, la nationalisation de l'électricité. C'est à la Libération que tout bascule. En affirmant que "les grandes sources de la richesse commune (...) seront exploitées à l'avantage de tous", le gouvernement provisoire fixe l'objectif. Le général de Gaulle choisit Marcel Paul pour appliquer ce programme à l'électricité. Celui-ci, ancien employé de la société concessionnaire du réseau de Paris, entré dans la Résistance, rentre alors à peine de captivité. Connaissant bien la situation de l'électricité en France, il veut aller vite. Dès la fin mars, la nationalisation du gaz et de l'électricité est acquise : pour Marcel Paul, elle va de pair avec l'élaboration d'un statut spécifique pour le personnel des industries électrique et gazière. Celui-ci sera à la pointe des avancées sociales de l'après-guerre. Son extension à l'ensemble du personnel sera déterminante pour la mobilité qu'exige le déploiement du servie public sur le territoire. Un pour cent du chiffre d'affaires de l'entreprise sera consacré aux oeuvres sociales et le même pourcentage au remboursement des anciens actionnaires. Les syndicats, quant à eux, se voient confier un rôle important dans de nombreux comités paritaires et une commission nationale supérieure du personnel veille à l'application du statut.

C'est ainsi que commence l'ère moderne pour les industries électriques et que naît EDF. Non que la loi de 1946 ait défini de façon exhaustive les structures et les modes de gestion de l'entreprise publique, qui ont dû être précisés au fil des années, mais elle expose une réponse à l'exigence du respect de l'intérêt général.

Cette réponse, c'est le service public et ses grands principes : obligation de desserte des consommateurs, égalité de traitement à travers la péréquation tarifaire, satisfaction au moindre coût des besoins en électricité et sécurité d'approvisionnement du pays. La loi de 1946 pose des fondations qui sont aujourd'hui encore d'actualité.

A présent, une nouvelle époque se dessine. C'est à partir de 50 ans d'histoire que je caractériserai la personnalité d'EDF et soulignerai sa capacité de réussite.

EDF, c'est d'abord une date : 1946. Ce qui en fait un moment fort est qu'elle appartient à notre histoire collective.

EDF, c'est en second lieu une étonnante capacité de mobilisation.

A peine créée, EDF s'engage dans les grands programmes d'équipement de notre pays. Notre indépendance énergétique, dépassant 50 % dans les années 50, bien que tombée à 22 % au milieu des années 70, remonte à 48 % au début des années 90.

L'effort consacré à l'hydraulique illustre bien l'originalité française en matière de choix énergétiques. Il s'agit à l'époque de rattraper un important retard dû à la crise économique et aux années de guerre, et tout autant de redresser le pays avec ses propres forces. L'énergie hydraulique, à la fois nationale et renouvelable, est tout indiquée. EDF crée rapidement neuf régions d'équipement hydraulique ; l'un de ses premiers grands chantiers est le barrage de Tignes, exploité à partir de 1952, la même année que Bort-les-Orgues. Durant la même période, d'autres grands barrages seront inaugurés : l'Aigle sur la Dordogne, la Girotte ou Roselend dans les Alpes, Ottmarsheim, sur le Rhin... Ces ouvrages, souvent impressionnants, parfois titanesques, symbolisent le renouveau de la France.

L'aventure de l'hydraulique, c'est aussi l'aménagement global de la Durance. Avec le barrage de Serre-Ponçon, qui mesure 650 mètres à la base, EDF innove : la digue de retenue est en effet constituée des propres alluvions du fleuve. Le barrage est mis en exploitation en 1960. Six ans plus tard, se réalise le vieux rêve d'utiliser l'énergie des marées. Sur la Rance, sont installées des turbines spécifiques dites "groupes-bulbes" : c'est une première mondiale, même si l'entreprise doit renoncer à un projet plus ambitieux en baie du Mont-Saint-Michel.

La seconde grande étape de l'histoire de l'électricité dans notre pays est celle de l'équipement nucléaire. Bien que très en pointe dans ce domaine de la recherche avant-guerre, la France doit rattraper à partir de 1945 le retard dû à la guerre. Le Commissariat à l'énergie atomique s'y attelle même s'il s'oriente vers les utilisations militaires, on espère aussi produire de l'énergie domestique à partir de l'atome. Une équipe "récupère" d'ailleurs un peu d'électricité sur l'une des piles de Marcoule, mais la compétitivité de cette méthode paraît encore lointaine. En 1957, on décide pourtant la construction, à Chinon, d'une centre nucléaire de type uranium naturel-graphite-gaz. A la fin des années soixante, il faut choisir entre cette filière et celle à uranium enrichi, plus répandue et plus prometteuse. En 1969, on opte pour cette dernière.

Au tournant des années 70, l'approvisionnement du pays, fondé sur un recours croissant au pétrole importé est fragile. Le sixième Plan décide d'engager un programme de centrales nucléaires à eau pressurisée d'au moins 8 000 mégawatts sur la durée du Plan. Le choc pétrolier de 1973 renforce cette stratégie et le plan Messmer de mars 1974 accélère l'effort en lançant un vaste programme de 13 tranches de 900 mégawatts. Une nouvelle organisation et la standardisation des unités de production favorisent à la fois la recherche de la compétitivité, la fiabilité ainsi que la sûreté des ouvrages. La modernisation du secteur nucléaire conduit à utiliser la seule filière à eau pressurisée (REP) et un seul constructeur : Framatome.

Ainsi dès le début des années 80, la France se trouve en tête des nations industrialisées pour l'électricité d'origine nucléaire. Preuve d'une réelle maîtrise technique, la filière Westinghouse est "francisée" en 1981. Le parc nucléaire d'EDF est en 1992, le deuxième au monde avec 34 réacteurs REP 900 MW, 20 réacteurs REP 1 300 MW et un réacteur de l'ancienne filière graphite-gaz à Bugey, sans mentionner les réacteurs à neutrons rapides.

Ce portrait de l'entreprise publique serait incomplet si je n'évoquais pas la conception scientifique de la gestion économique qui s'y est développée. Dès ses origines, EDF compte dans ses rangs des ingénieurs économistes qui mènent une réflexion originale sur la tarification et le choix des investissements. Dès les années cinquante, la "Note bleue" permet de comparer des équipements de nature différente, premier pas déterminant pour une entreprise qui réalise des ouvrages très coûteux. Ces réflexions se diffusent auprès d'autres organismes publics confrontés au même type de problèmes, et d'abord auprès des planificateurs : Pierre Massé joue un rôle clé dans la vulgarisation de ces méthodes de calcul. Dans le domaine de la tarification, certains ont compris qu'en établissant les prix selon une démarche marginaliste, la rente monopolistique pouvait être entièrement attribuée à la collectivité. La thèse de Marcel Boiteux, recruté en 1949, sur la vente de l'électricité au coût marginal trouve une première application dans le tarif "vert" de 1957. Dès les années soixante, le service public de l'électricité a ainsi constitué sa philosophie, a défini une véritable doctrine économique du service public.

Aujourd'hui, les enjeux se sont déplacés. La protection de l'environnement est apparue comme un objectif majeur, justifiant dès 1982 la signature d'une convention de sept ans avec le ministère compétent ; en 1992, un protocole d'accord prévoit l'enfouissement de 55 000 km de lignes. La désulfuration et la dénitrification des centrales thermiques les plus utilisées sont engagées. Enfin, en 1990, EDF crée un précédent en mettant ses ressources en eau à la disposition des victimes de la sécheresse. Elle est aussi le pionnier que l'on sait dans la promotion du véhicule électrique.

Cependant, à mesure que les usagers de l'électricité se multiplient, les années fastes semblent se raréfier. La tendance à un doublement de la consommation tous les dix ans cesse de se vérifier : dans les années 1980, la croissance de la demande tombe à 3 ou 4 % par an, en raison du ralentissement économique et d'une plus grande efficacité énergétique, mais aussi de l'emploi de l'électronique et de matériaux moins gourmands. C'est alors l'ère de la concurrence : concurrence entre les diverses formes d'énergie, avec un retour en force du gaz, mais aussi concurrence pour le mode de fourniture de l'énergie. La clientèle devient plus exigeante et de nouveaux services lui sont donc proposés : ainsi le contrat "Emeraude" vise à régler le problème des micro-coupures en informatique.

L'entreprise se diversifie également : dans la valorisation des déchets, dans le câble, dans la télésurveillance, dans l'éclairage public... Il lui faut pour cela transformer ses structures : en 1988-89, les directions régionales sont supprimées. Plus spectaculaire est l'essor à l'étranger avec la croissance en 1983 d'EDF-international ; en 1988 est créée une mission Europe, qui permet le développement de nouvelles techniques en Espagne et des prises de participation croisées avec l'Allemagne. Des bureaux de représentation sont inaugurés un peu partout dans le monde. Enfin, l'entreprise s'investit dans l'assistance aux centrales d'Europe de l'Est. Ses capacités d'exportation la placent au premier rang en Europe pour les ventes d'électricité et cette image lui ouvre des marchés, avec la Chine notamment.

Ainsi EDF n'est-elle pas une entreprise des temps révolus, mais bien une entreprise "dans le siècle", traversée par des interrogations, elle est riche des solutions qu'elle tire de son expérience et de l'imagination de ceux qui la composent. C'est dire que la présente réforme n'est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein ! Ce n'est qu'un moment dans la vie de cette grande entreprise publique, un moment comme elle en a déjà connu et comme elle en vivra sans doute encore d'autres.

La gestation de la directive adoptée définitivement le 19 décembre 1996 fut longue. On peut y distinguer quatre phases. De 1987 à 1990, une période de consensus permet la préparation d'un premier train de trois directives : celle du 29 juin 1990 assurant la transparence des prix au consommateur final industriel, et les deux directives "transit-électricité" et "transit-gaz" d'octobre 1990 et de mai 1991. En 1989, la Commission tenta un galop d'essai contre les monopoles nationaux à travers l'"action en manquement" de l'article 169 du Traité. Mais c'est en 1991-1992 qu'elle abattit ce qu'elle considérait comme sa carte maîtresse en tentant de légiférer sur le sujet de façon autonome, par la procédure du traité. Ce faisant, elle cristallise contre elle le mécontentement de tous les Etats attachés à une procédure démocratique d'adoption des directives et ses propositions furent rejetées en 1992.

Ce répit fut mis à profit par la France, qui organisa une contre-attaque contre les thèses déréglementaires de la Commission, notamment contre celle de l'accès des tiers au réseau-ATR. Durant l'année 1993, fut mis au point le modèle dit de l'acheteur unique. En mai 1994, le conseil énergie valida à la fois celui-ci et l'ATR anglo-saxon, comme les deux termes de l'alternative. Entre-temps, le 27 avril, l'arrêt Almedo avait reconnu que le secteur électrique pouvait déroger au droit commun de la concurrence. Ces avancées demeuraient toutefois incertaines puisque, à la mi-1995, la Commission assortit le marché intégré de conditions telles que le modèle de l'acheteur unique était vidé de sa substance.

Ce n'est qu'en 1996 que, les esprits ayant suffisamment mûri, la négociation aboutit : la notion de service public de l'électricité, celles de planification à long terme et de sécurité de l'approvisionnement furent progressivement acceptées. Les divergences franco-allemandes sur l'éligibilité étant levées, le conseil des ministres de l'énergie adopta le 20 juin 1996 une position commune que le Parlement européen ratifia en décembre suivant. Ainsi s'achevait l'une des plus longues négociations qui aient été menées depuis les débuts de la construction européenne.

Je ne puis ici esquiver un débat, sachant que les socialistes sont "attendus" sur la position qu'ils ont adoptée sur cette directive en 1996 et sur celle qui est la leur aujourd'hui. De fait, le 11 décembre 1996, une grande partie des socialistes français du Parlement européen ont voté contre ce texte en dernière lecture. Pourquoi donc en proposer aujourd'hui la transposition ? Je répondrai que la directive est constituée de deux corps de mesures : je distinguerai d'abord le "compromis fondateur", réunissant les références aux missions de service public et à l'intérêt général ; ensuite, de nouveaux principes d'organisation -existence de consommateurs éligibles, ouverture progressive du marché, séparation comptable des facteurs de production, de distribution et de transport... En décembre 1996, il nous a paru que ces deux moitiés ne s'équilibraient pas, que les hypothèques liées aux nouveaux principes d'organisation n'étaient pas toutes levées par les compromis fondateurs. C'est ce qu'expliqua Elisabeth Guigou, alors présidente de la délégation socialiste, disant que celle-ci entendait marquer un coup d'arrêt devant un glissement libéral mais sans pour autant s'enfermer dans une attitude de rejet. Dès lors qu'on prenait en compte le long terme, l'indépendance énergétique et l'harmonisation des règles écologiques, sociales et de sécurité, on pouvait voir dans la directive, non plus un récipient à moitié vide, mais un récipient à moitié plein (Rires sur les bancs du groupe communiste). Il appartient aujourd'hui au Gouvernement et à la nouvelle majorité de transposer la directive en utilisant les marges de modulation existantes : il s'agit d'inverser la donne de 1996 et de promouvoir une législation qui concilie construction européenne et respect d'un demi-siècle de service public de l'électricité. La manière de transposer n'est pas neutre et nous allons tenter de démontrer qu'une directive insatisfaisante peut engendrer un droit plus favorable au service public !

Transcription de la direction en droit français, le texte que nous examinons vise à canaliser et à acclimater à l'originalité française une situation déjà effective compte tenu du caractère concurrentiel de l'activité internationale d'EDF.

Le texte que nous examinons est un projet de service public et pour le service public. Si la gestation et la traduction de cette directive fût si difficile, c'est que chez nous le service public est central. Les électriciens appellent de leurs voeux non pas une notion a minima, comme le service universel pour les télécommunications, mais la notion pleine et entière de service public. La loi de 1946 postulait le service public sans le définir. Nous allons y remédier.

Le projet tend donc à définir un service public de l'électricité moderne qui réponde aux besoins des citoyens.

La première mission de ce service consiste à garantir l'approvisionnement en électricité, en développant les capacités de production pour atteindre les objectifs de la politique énergétique. Cette mission sera mise en oeuvre par la programmation pluriannuelle des investissements.

La deuxième mission concerne le développement et l'exploitation des réseaux qui ont des caractéristiques particulières. Ils doivent être accessibles à tous dans des conditions non discriminatoires.

La fourniture en électricité, c'est la troisième mission, doit être acheminée vers tous les consommateurs sur l'ensemble du territoire national. Cette garantie contribue à la cohésion sociale au moyen de la péréquation géographique des tarifs, et de l'aide aux personnes en situation de précarité. Vis-à-vis des clients éligibles, le service public garantit la continuité et la qualité de la fourniture.

Le revers de ces missions de service public sont des charges spécifiques, non couvertes commercialement. Elles tiennent d'abord aux surcoûts résultant des contrats passés à la suite d'appels d'offres ou des contrats conclus dans le cadre de l'obligation d'achat. Le fonds des charges d'intérêt général de l'électricité, alimenté par un prélèvement au prorata de leur activité, permettra de rétablir l'égalité de traitement entre les producteurs.

D'autre part, l'approvisionnement des clients non éligibles situés dans les zones desservies par les distributeurs non nationalisés, ainsi que l'utilisation des réseaux de distribution par les clients éligibles et les producteurs situés dans ces zones, seront assurés par des tarifs péréqués fixés au niveau national.

La fourniture aux personnes en situation de précarité, dans le cadre de la loi du 29 juillet 1998 contre l'exclusion et de la convention pauvreté-précarité, sera organisée par le biais du fonds de péréquation de l'électricité.

L'énergie n'est pas un bien de consommation comme un autre. Elle requiert une forte implication publique. Pour la production, le maître-mot sera la programmation pluriannuelle des investissements. Elaborée par le ministre chargé de l'énergie, elle fera l'objet d'un rapport au Parlement tous les cinq ans. Le ministre délivrera les autorisations de production. La procédure d'appels d'offres interviendra pour introduire des choix d'énergies primaires ou combler un déficit ponctuel de capacités de production. La Commission de régulation de l'électricité mettra en oeuvre la procédure et donnera un avis au ministre avant que ce dernier désigne les bénéficiaires de l'appel d'offres. Autre moyen de programmation, l'obligation d'achat sera réservée aux installations qui ne pourraient chercher des clients sur le marché en raison de leur petite taille.

La loi est aussi l'occasion d'actualiser le régime de l'intervention des communes et de leurs groupements dans le domaine de la production. Deux articles nouveaux sont insérés à cet effet dans le code général des collectivités territoriales.

Le transport de l'électricité est au coeur du système. Le "gestionnaire du réseau de transport" en a la responsabilité. Il gère les infrastructures du réseau de transport, appelle les installations de production et les sources d'importation, fait face aux situations de congestion. La directive de 1996 n'imposant nullement l'indépendance du GRT par rapport aux activités de production et de distribution, EDF est désignée comme gestionnaire et conserve son caractère d'entreprise intégrée.

Cependant, pour éviter toute discrimination entre le producteur intégré et les producteurs indépendants, l'activité de transport est soumise à la séparation comptable et le tarif d'utilisation du réseau est réglementé.

M. le Président - Veuillez conclure !

M. le Rapporteur - La recherche du moindre coût ainsi que la neutralité lors de la modification des programmes d'appel aux installations imposent au GRT de respecter un ordre de préséance économique sur la base de critères transparents et non discriminatoires.

Le schéma actuel d'organisation de la distribution, qui est de la compétence exclusive des collectivités territoriales, est maintenu. Les droits exclusifs de distribution institués par la loi de 1946 sont conservés à EDF et aux quelque 150 distributeurs non nationalisés.

Le principe d'autonomie des collectivités concédantes doit être concilié avec ceux d'universalité et d'égalité, et donc avec la péréquation des tarifs appliqués aux clients non éligibles.

L'indépendance de gestion applicable au GRT n'est pas imposée aux gestionnaires des réseaux de distribution, dont la responsabilité est plus circonscrite. Cependant, l'activité de distribution est, elle aussi, soumise à la séparation comptable. Enfin, les conditions d'accès des tiers aux réseaux publics de distribution ont été rapprochées de celles qui concernent le réseau public de transport.

L'accomplissement des missions de service public et l'ouverture progressive du marché nécessitent de définir des critères objectifs d'accès aux réseaux publics pour écarter toute discrimination. C'est l'objet de la définition des clients éligibles, c'est-à-dire des 441 gros clients qui auront le choix de leur fournisseur. A cet égard, l'option du projet est claire : il s'agit de limiter l'ouverture du marché de l'électricité au seuil fixé par la directive. Pour 1999, le taux d'ouverture sera d'environ 26 %. Dans ce cadre, il est proposé que soient éligibles les grands consommateurs finaux d'électricité, et notamment les principaux établissements industriels. Le seuil ne sera pas uniforme et rigide, mais modulé pour tenir compte de l'impact différencié qu'aura l'ouverture progressive du marché de l'électricité sur les secteurs économiques.

La qualité d'éligibilité sera également reconnue à d'autres entreprises ou organismes qui ne sont pas eux-mêmes consommateurs finaux d'énergie. C'est le cas de certains producteurs, auxquels il faut permettre de compléter leur offre sous certaines conditions : les principes généraux encadrant l'intervention des collectivités locales dans les secteurs commerciaux ne permettent cependant pas de prévoir la même liberté pour ce qui les concerne ou pour leurs groupements. C'est le cas aussi des organismes de distribution : le respect des principes d'universalité et d'égalité, ainsi que la péréquation tarifaire ne permettent pas de leur étendre l'éligibilité. Mais les distributeurs non nationalisés pourront participer à l'approvisionnement des clients éligibles situés dans leur zone, ce qui leur assure une "éligibilité partielle". Enfin, les entreprises propriétaires ou gestionnaires des réseaux ferroviaires seront éligibles et pourront ainsi fournir de l'énergie aux entreprises de transport, sans préjudice de l'éventuelle éligibilité de ces dernières, dont l'éligibilité sera déterminée en fonction de leur consommation totale d'électricité de traction.

Ayant défini les éligibles, le projet choisit parmi les différentes formules proposées par la directive en ce qui concerne l'accès aux réseaux le système dit de l'"accès réglementé", avec l'instauration d'un tarif d'utilisation des réseaux. L'accès à un réseau de transport ou de distribution donne lieu à l'établissement d'un contrat entre le gestionnaire du réseau et l'utilisateur, précisant les conditions de l'accès et les modalités financières. Ces conditions sont conformes aux tarifs d'utilisation des réseaux publics, aux conditions de raccordement et aux règles d'exploitation des réseaux. La Commission de régulation de l'électricité a connaissance de ces contrats et y exerce son contrôle.

J'en viens à la régulation, donnée cardinale dans le succès de la réforme. La démarche de la France sera jugée sur la crédibilité, c'est-à-dire sur l'authenticité de la concurrence qui va s'établir, laquelle dépend des mécanismes de régulation.

Le régulateur prend la forme d'une Commission de régulation de l'électricité avec des pouvoirs de proposition, de contrôle, d'arbitrage et de sanction. La CRE est une autorité administrative indépendante dont les décisions sont motivées, exécutoires et susceptibles de recours juridictionnel. Dans un souci de bonne administration de la justice, les recours contre ses décisions seront portés devant la Cour d'appel de Paris. Enfin, les domaines de la Commission et du Conseil de la concurrence se recoupant, il est prévu entre ces deux instances des mécanismes permettant de traiter les différends de façon cohérente.

J'en viens à l'élargissement de la spécialité de l'établissement public EDF et aux dispositions d'encouragement à la négociation collective. Ce sont les seules mesures "sociales", de la loi en raison de l'engagement pris de laisser intact le statut des personnels de l'électricité.

L'objet légal d'Electricité de France doit être adapté au nouveau contexte économique et au développement des activités de l'établissement en Europe. EDF pourra exercer, en tant qu'opérateur industriel, des activités qui concourent directement ou indirectement à son objet. Pour réaliser ces objectifs, l'établissement devra adopter des structures et un comportement garantissant une concurrence loyale : d'où une obligation de séparation juridique.

S'agissant des clients éligibles, EDF doit affronter la concurrence "à armes égales". Or, la demande industrielle appelle aujourd'hui une offre globale incluant des prestations techniques ou commerciales complétant la fourniture d'électricité. La commission a précisé ces dispositions. S'agissant des non éligibles, vis-à-vis desquels EDF conservera un monopole, l'établissement pourra promouvoir l'utilisation rationnelle de l'énergie, ce qui répond aux objectifs de la politique énergétique et environnementale, tout en recherchant le moindre coût pour les clients. En revanche, l'interdiction par la loi de 1946 de toute réalisation, entretien d'installations intérieures, vente et location d'appareils utilisateurs d'énergie, est maintenue pour sauvegarder l'activité des entreprises, artisans ou PME du secteur électrique. Votre commission a récrit cet article.

J'en viens aux dispositions sociales du projet de loi, en soulignant que le statut du personnel des industries électriques et gazières s'appliquera à l'ensemble de cette branche, comme le prévoyait déjà la loi de 1946. Il y a donc lieu d'organiser au plus vite la possibilité d'une négociation collective de branche au sein de ces industries.

Ensuite, il est souhaitable d'ouvrir au champ de la négociation collective les mesures prises en exécution du statut du personnel. Le droit doit en effet être modernisé sur ce point si l'on veut qu'il s'applique aisément à l'ensemble des entreprises de la branche. Il y a donc lieu de prévoir l'évolution progressive des règlements d'exécution qui accompagnent le statut national du personnel, sous réserve du respect du statut proprement dit. Pour les nouvelles mesures concernant l'ensemble du personnel des industries électriques et gazières, le mécanisme de droit commun prévu par le futur article est proposé, même si un pouvoir réglementaire spécial est exceptionnellement réservé au ministre chargé de l'énergie.

Un mot des "dispositions diverses et transitoires" que l'on trouve, en fin de texte. Je n'ai toutefois pas l'intention de m'arrêter sur chacune. L'article premier de la loi de 1946 est complété afin de prévoir que les activités de production, d'importation et d'exportation d'électricité, ainsi que l'activité de fourniture d'électricité aux clients éligibles seront désormais exercées dans les conditions déterminées par la nouvelle loi sur l'électricité. Un article nouveau dispose qu'EDF ne peut acheter, notamment dans le cadre de l'obligation d'achat, que l'électricité produite par des installations de production régulièrement établies. Des modifications sont apportées concernant la fonction de directeur général d'Electricité de France ou de Gaz de France ; les événements dont chacun se souvient expliquent cette mesure. Est enfin prévue la représentation des nouveaux opérateurs de la production au sein du Conseil supérieur de l'électricité et du gaz.

M. le Président - Je souhaite que vous en arriviez à votre conclusion.

M. le Rapporteur - J'en viens maintenant aux principaux amendements retenus par votre commission. Le premier relève de la lutte contre l'exclusion, et de la prise en compte des situations de détresse. Une proposition du groupe communiste a été améliorée et retenue pour instituer "le droit à l'électricité". Un autre amendement prévoit que l'obligation d'achat de l'article 10 devrait se situer au plus à 15 mégawatts. Quand au négoce ou "trading", il faut le concevoir comme un complément, une marge de souplesse. La commission a donc proposé de le limiter aux seuls producteurs souhaitant compléter leur offre. Nous avons souhaité par ailleurs préciser le périmètre du GRT, pour confirmer son intégration à EDF.

Un autre problème a retenu notre attention : celui des "coûts échoués". Un amendement vous sera proposé qui ne retient que les "contrats d'appel modulables". Nous avons écarté la prise en compte de Superphénix. Un accord s'est établi pour considérer que l'arrêt de cette installation, qui était devenue un outil de recherche, ne pouvait pas être considéré comme une conséquence de la nouvelle organisation du secteur électrique. Enfin, nous avons précisé l'article qui remodèle les "spécialités" d'Electricité de France.

Ce débat marque une étape pour une industrie nationale qui a conquis la première place au monde. Sa conclusion sera décisive pour notre industrie. Chacun ici prendra ses responsabilités. Ce dont il s'agit, c'est d'adapter notre législation au cadre européen défini par un accord qui a engagé réciproquement tous les pays qui en ont débattu. Il permettra sans aucun doute de communiquer en retour la culture française du service public à toute l'Europe. Nous avons besoin à la fois de la dynamique européenne et d'un service public renforcé ; les deux notions se complètent.

L'électricité française de demain se caractérisera, dans une Europe forte, par un service public réaffirmé (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Louis Dumont, rapporteur pour avis de la commission des finances - A l'initiative du Premier ministre, vous m'avez confié une missions parlementaire sur la transposition de la directive européenne du 19 décembre 1996. Ayant rencontré tous les acteurs, j'ai remis mon rapport en juillet et participé depuis lors à de nombreux colloques sur l'ouverture du marché de l'électricité à la concurrence.

Je suis satisfait que ce projet soit enfin discuté. Nous allons poursuivre la modernisation des secteurs et mettre fin à la monoculture d'EDF en lui offrant un nouveau grand projet.

Quelle que soit l'opinion qu'on porte sur le contenu de la directive, il n'est pas question de revenir sur la parole donnée. Avec ce projet, la France respecte donc l'engagement qu'elle a pris d'engager EDF dans l'espace européen. Rappelons que l'entreprise réalise un chiffre d'affaires de 190 milliards et un excédent commercial de 13 milliards de francs.

Dans quelques jours, la concurrence sur le marché de l'électricité sera effective pour une partie des acteurs économiques puisque la date limite de transposition de la directive en droit interne est le 19 février 1999. Tous les autres pays se sont conformés à la directive. La France le fera avec quelques semaines de retard, et en améliorant ces dispositions de manière à conserver un juste équilibre entre le maintien et même le renforcement du service public et l'ouverture du marché.

La période transitoire qui s'ouvrira le 20 février doit être la plus courte possible, et il faut que le Gouvernement prenne les dispositions propres à éviter tout contentieux. Pour cela, il faut préciser la responsabilité du gestionnaire du transport sur les lignes à très haute tension et le tarif applicable à ce transport.

Le Gouvernement a lancé la concertation depuis plus d'un an. Les conseils économiques et sociaux régionaux, le Conseil économique et social, le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz se sont exprimés ainsi que tous les acteurs et les fédérations de l'énergie, qui ont organisé à la Villette le premier grand colloque sur le sujet.

Ce projet complète la loi de 1946 et traduit la directive en droit français. Après les télécommunications et avant le gaz, un nouveau secteur s'ouvre partiellement à la concurrence. Est-il vraiment abandonné au libéralisme ? Pour se convaincre du contraire, il suffit d'entendre ceux qui, hier au pouvoir, négociaient la directive critiquer le projet, demander moins d'entraves.

M. Franck Borotra - Ne nous faites pas trop parler !

M. le Rapporteur pour avis - Ces appels à une libéralisation complète dans un secteur intimement lié à l'indépendance nationale et à la sécurité ne sont pas raisonnables. Le projet assure au contraire une ouverture maîtrisée du marché dans le respect du service public à la française.

Sur quatre points, la commission des finances vous propose quelques améliorations et éclaircissements.

D'abord le statut du gestionnaire du réseau public de transport doit apporter toutes les garanties de sécurité et de fiabilité et maintenir l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité en poursuivant une optimisation maximale du réseau, par exemple en découplant les flux physiques des flux financiers.

Dans mon rapport, j'évoquais la création d'un deuxième établissement public, distinct dans le groupe EDF, et en charge de cette fonction de gestionnaire. Cette garantie maximum d'indépendance aurait évité tout soupçon à l'égard d'EDF.

Le projet répond pour partie à ces craintes puisque l'activité de gestion du réseau de transport serait confiée à un service autonome de l'entreprise publique avec une séparation comptable stricte. Le SGRT ne serait pas une entité autonome. Mais son directeur doit être totalement indépendant. Aussi, il ne m'apparaît pas opportun que le président d'EDF intervienne dans sa nomination.

Dans le même souci de transparence, la future Commission de régulation devra exercer le contrôle sur le SGRT.

Quel doit-être le périmètre d'intervention du gestionnaire ?

A mon sens, il doit être le plus large possible et inclure la gestion des flux d'énergie ; l'établissement du schéma directeur de développement du réseau ; les activités de construction, d'entretien et de maintenance ; les activités de recherche et de développement associées.

Pour limiter tout contentieux, la loi et les décrets devront préciser clairement la délimitation de ce périmètre à tous les stades d'intervention, y compris à celui des ajustements qui seront inévitables.

Mon deuxième point concerne la régulation.

La récente décision de la Cour de cassation à l'encontre de la Commission des opérations de Bourse rappelle à l'ordre les parlementaires prompts à créer des "autorités" dites indépendantes sans vouloir aller jusqu'au bout de la logique de séparation des fonctions.

M. François Goulard - Très bien !

M. le Rapporteur pour avis - La régulation à la française est perfectible. Certes, la dernière née, l'autorité de régulation des télécommunications, fonctionne plutôt bien -je le dis avec la prudence requise. Mais le politique est toujours réticent à se séparer d'une parcelle de son pouvoir au profit d'une autorité à l'autonomie insolente.

Je suggère au Premier ministre de saisir la commission du Plan du Conseil économique et social. Nous l'avions fait pour la SNCF et finalement nous avons créé RFF. L'avis du CES éclairerait notre débat. Il est évident qu'une même personne physique ou morale ne peut à la fois réglementer, contrôler et sanctionner sous peine d'arbitraire.

La Commission de régulation de l'électricité doit garantir le respect des règles de la concurrence, veiller à l'équilibre du marché ainsi qu'à l'accomplissement des obligations liées au service public de l'électricité. Elle doit assumer une fonction de "juge de paix".

Le projet apporte de nombreuses garanties. La commission des finances propose un amendement qui précise mieux encore ses missions et son champ de compétences.

De même, à l'article 7 selon lequel "l'autorisation d'exploiter est délivrée par le ministre chargé de l'énergie", je vous proposerai un amendement qui ajoute une procédure de déclaration d'intention auprès de la Commission de régulation afin qu'elle puisse s'assurer du bon déroulement de la mise en oeuvre de la programmation pluriannuelle des investissements.

L'indépendance du régulateur dépend aussi largement de sa composition, de son fonctionnement, de ses pouvoirs d'investigation et d'expertise propre. La Commission de régulation doit se voir reconnaître ces pouvoirs par la loi pour éviter tout procès en partialité : la concurrence, certes, mais une concurrence encadrée.

La naissance du marché de l'électricité ne va pas remettre en cause le service public de l'électricité.

Les premiers articles du projet rappellent les missions de ce service public ainsi que les obligations incombant aux acteurs publics ou privés et l'ensemble des usagers, éligibles ou non. L'article 2 donne valeur législative au principe de la péréquation tarifaire, élément essentiel de cohésion de notre territoire.

L'article 5 institue un mécanisme de financement de l'électricité pour les plus démunis. On pourrait aller plus loin en affirmant un véritable "droit à l'électricité" pour tous.

L'existence d'un régulateur indépendant et fort est également un moyen d'ouvrir le réseau tout en respectant le principe d'égalité de traitement. Encore faut-il que les charges financières qui peuvent en découler soient correctement appréhendées. Leur évaluation incombera à la Commission de régulation, qui pourrait aussi se charger, me semble-t-il, du contrôle de la comptabilité des opérateurs -ce serait la conséquence logique de son rôle d'évaluateur des charges de service public.

Par ailleurs, le fonds de péréquation de l'électricité voit sa vocation élargie à l'aide aux personnes en situation de précarité. Si l'augmentation de la dotation à ce dispositif d'aide est vivement souhaitable, je m'interroge sur la pertinence de son inscription dans un fonds de péréquation abondé par les seuls distributeurs. N'aurait-il pas mieux valu l'inscrire dans le fonds de compensation des charges salariales, auquel participent l'ensemble des opérateurs ? Et n'aurait-il pas été naturel que le fonds de péréquation contribue au financement des actions en faveur de l'intégration visuelle des réseaux ? Mais on nous dit que c'est renvoyé à une prochaine loi de finances.

Pour conclure sur ce chapitre, je rappelle que bien souvent les taxes communales et départementales liées à la consommation d'électricité sont affectées au budget général de ces collectivités sans contribuer en rien à l'amélioration du réseau et à son enfouissement. Cela n'est pas acceptable.

L'ouverture à la concurrence conduira-t-elle à une baisse des prix pour les ménages ? EDF s'y est engagée.

Me permettra-t-on de saisir cette occasion pour rappeler aussi que le chauffage électrique dans les logements sociaux, largement décrié, est l'un des éléments qui permettent aux bailleurs sociaux d'équilibrer leurs opérations et de proposer des logements aux loyers compatibles avec des ressources modestes.

J'en viens à la participation des collectivités locales à la nouvelle organisation.

La loi du 8 avril 1946 accorde une large place aux collectivités locales, autorités concédantes des installations de distribution et parfois actionnaires de sociétés locales de distribution. D'ailleurs nous avons tous, dans nos régions -par exemple à Metz ou à Grenoble- l'exemple de sociétés d'économie mixte de régies de distribution.

Le projet de loi ne remet pas en cause cet équilibre. Il réaffirme la qualité d'autorité concédante de la distribution d'électricité aux collectivités locales ou à leurs établissements publics de coopération. Il associe au contrôle du bon accomplissement des missions de service public définies par l'article 2. Il introduit le principe d'une éligibilité partielle des distributeurs. Notons aussi que l'article 11, étend les possibilités d'intervention des communes en matière de production décentralisée d'électricité à destination des clients non éligibles. Cela concerne la production d'électricité ou de vapeur par récupération des déchets urbains, la production hydraulique, la création de nouvelles installations de production pour leurs propres besoins. D'autres ouvertures peuvent être envisagées. En matière de production d'électricité, pourquoi ne pas assimiler les collectivités locales à des autoproducteurs ? Elles pourraient ainsi améliorer le coût d'approvisionnement de leur réseau de distribution et compenser le fait que les distributeurs ne soient pas éligibles.

Autre amélioration possible, l'éligibilité pourrait être étendue aux services des collectivités locales qui présentent un caractère unitaire comme par exemple les réseaux de tramway. Dans le même esprit, les distributeurs non nationalisés et dotés de la personnalité morale devraient avoir la faculté de produire pour leurs clients, qu'ils soient éligibles ou non. Or le projet est sur ce point, bien timide.

Au total, nous n'attendons pas de miracles de la future loi sur l'électricité, mais nous nous rappelons que l'introduction de la concurrence dans le téléphone a eu pour principal effet de diminuer le coût des communications tout en élevant le coût des raccordements, il est vrai.

M. Alain Cacheux - C'est un autre dossier.

M. le Rapporteur pour avis - Quant aux salariés d'EDF, ils n'y perdront pas, au contraire car la négociation d'une convention collective de branche ouvre de nouvelles perspectives sociales. En tout état de cause, le statut du personnel des industries électriques et gazières et le régime des pensions des inactifs ne sont pas modifiés par la loi.

Mais il serait paradoxal que l'une des entreprises les plus importantes du secteur électrique mondial soit inquiète d'être mise en concurrence alors qu'elle a fait la preuve depuis cinquante ans de sa compétence et de son professionnalisme. "Service public" ne saurait être contradictoire avec "performance".

Le vote de cette loi n'est pas seulement opportun, il est indispensable. Pour les consommateurs, les entreprises, les emplois, le développement du pays, il faut moderniser notre organisation électrique. Nous avons les moyens de réussir cette modernisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. André Lajoinie, président de la commission de la production - Le débat d'orientation énergétique du 21 janvier dernier a confirmé que l'électricité ne pouvait être assimilée à un bien ordinaire compte tenu de son caractère vital. Il convient maintenant d'en tirer les conclusions en garantissant un droit à l'électricité pour tous. La commission de la production défendra des amendements en ce sens, l'objectif étant que personne ne puisse plus être privé d'électricité en raison de ses trop faibles ressources. Ces amendements devraient interdire, de fait, les coupures aux plus démunis.

L'affirmation de ce principe appelle le renforcement d'un service public de qualité, assurant l'égal accès de tous au réseau et la péréquation nationale des tarifs. Elle donne une légitimité supplémentaire au caractère public de l'entreprise qui a la charge de le faire appliquer. EDF, premier électricien mondial, sera donc aussi le garant du droit à l'électricité pour tous. D'autres propositions de la commission, visant notamment à créer de nouveaux organismes de démocratisation, à garantir le statut des personnels, à une planification des investissements énergétiques, ne peuvent que renforcer la légitimité de cette grande entreprise publique et lui permettre de mieux jouer son rôle.

L'électricité n'étant pas un bien ordinaire, sa fourniture ne peut être laissée au marché. C'est autour de ces principes, toujours d'actualité, que s'est constitué le système français de production, de transport et de distribution de l'électricité. Son architecture est aujourd'hui en contradiction avec la directive européenne sur "le marché intérieur de l'électricité" qui, d'essence libérale, prône la possibilité pour les gros consommateurs de choisir leur fournisseur, l'abolition du monopole de production et enfin le libre accès au réseau. Mais si les gros consommateurs mettent en concurrence les producteurs, ceux-ci devront réduire leur prix au profit de ces seuls clients, c'est-à-dire au détriment de la masse des usagers. Cette logique d'écrémage est contraire à la conception du service public à la française. La perspective d'une augmentation du nombre d'éligibles, jusqu'en 2003, et la possibilité donnée à l'Union européenne au-delà de cette date, d'imposer de nouvelles ouvertures du marché, ne peuvent qu'accentuer les menaces sur le service public.

Permettez-moi à ce propos une remarque personnelle. La transposition de la directive sur le marché intérieur de l'électricité illustre la grave carence démocratique de la construction européenne actuelle. La représentation nationale ne s'est jamais prononcée sur elle et la voici aujourd'hui sommée de ne délibérer qu'à la marge puisqu'elle ne peut pas porter la moindre appréciation sur ce que les gouvernements précédents ont négocié. Même en cas de non-transposition, la directive serait directement applicable en droit français. Nous n'avons donc le choix qu'entre une adaptation ou une application brutale de son contenu.

Ainsi, la construction européenne telle qu'elle se pratique actuellement impose à la nouvelle majorité d'appliquer des décisions prises par un gouvernement désavoué entre-temps par les électeurs. Ce déni de démocratie est le talon d'Achille de l'Union et justifie fortement une réorientation de la construction européenne. Il en va de l'avenir de celle-ci car la contestation des choix libéraux est de plus en plus forte. Une institution, dont les populations ont le sentiment qu'elle agit contre eux et sans eux, ne peut pas emporter une adhésion durable. Il faut donc profiter de ce que les conditions sont aujourd'hui plus favorables à une réorientation de la construction européenne.

La commission de la production a refusé de s'enfermer dans le dilemme d'une adaptation à la marge ou d'une application brutale de la directive. Elle a donc cherché à minimiser le plus possible les effets négatifs de celle-ci. C'est ainsi qu'elle a défini une tarification spéciale "produit de première nécessité". D'autres propositions tendent à ce que la mise en concurrence ne se fasse pas au détriment des clients non éligibles. Un amendement vise ainsi à ce que les tarifs d'EDF pour les particuliers soient calculés afin d'équilibrer les comptes de l'entreprise. Sans brider le développement de l'opérateur de service public, cet amendement empêchera la course aux bénéfices dans la fourniture d'un bien jugé par tous indispensable.

La commission a par ailleurs estimé que certaines dispositions outrepassaient les exigences de la directive. Rien n'oblige, par exemple, à autoriser le métier de "grossiste en électricité", fournisseur qui n'aurait pas d'autre activité que d'acheter de l'électricité pour la revendre aux clients éligibles ! En segmentant à l'extrême le marché, ces intermédiaires capteraient les bénéfices au détriment des producteurs et feraient prévaloir les considérations de court terme. D'autres amendements tendent à limiter l'entrée des intérêts privés dans l'industrie électrique. J'espère que le Gouvernement les acceptera et que la majorité de notre assemblée les fera siens. Nous donnerions ainsi à la France plus d'atouts pour sauvegarder les bases d'un service public conquis à la Libération et qui a fait les preuves de son efficacité (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. le Président - J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe Démocratie libérale une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91 alinéa 4 du Règlement.

M. François Goulard - L'usage qui était établi dans notre assemblée d'afficher les temps de parole impartis pour la défense des motions de procédure a disparu à la suite de certains événements de l'automne dernier. Je n'ai pas l'intention néanmoins d'abuser de votre attention, comme l'a fait le rapporteur de la commission de la production... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Nous est soumis aujourd'hui un texte de transposition de la directive 96/92 du Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 1996 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l'électricité.

Personne ne doute qu'aucune autre considération que celle de transposer en droit interne cette directive, en particulier son article 27 premier alinéa qui en fait obligation avant le 19 février 1999, n'a conduit le Gouvernement à déposer ce projet de loi. Pourtant, au lieu de le présenter comme tel, vous avez choisi, pour des raisons politiques assez évidentes sur lesquelles nous reviendrons, un titre muet sur la transposition.

Vous remplissez certes l'obligation posée par l'article 27 alinéa 3 de la directive en affichant l'objectif de transposition dans l'exposé des motifs : mais "le projet de loi a pour objet la modernisation et le développement du service public de l'électricité, tout en transposant en droit français la directive..." On transpose donc au passage, par raccroc. L'important est le développement du service public ; la transposition est secondaire. Ce message est ensuite martelé tout au long du projet, qui commence en fanfare avec un titre Ier intitulé : "le service public de l'électricité" auquel sont consacrés les cinq premiers articles.

S'il s'était agi d'un artifice de présentation destiné à sauvegarder la majorité gouvernementale, habillant un projet valable, mettant honnêtement en oeuvre les principes du traité de Rome et fidèle à la lettre comme à l'esprit de la directive "électricité", nous aurions pu feindre d'être dupes. Paris vaut bien une messe et la modernisation d'un grand secteur économique une courbette au dernier parti communiste d'Europe (Rires sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Tel n'est malheureusement pas le cas. Ce n'est pas l'emballage qui est trompeur mais le produit qui est mauvais.

Ce projet de loi, qui ne transpose pas honnêtement la directive du 19 décembre 1996, n'est pas fidèle aux objectifs du traité instituant la Communauté européenne. C'est la raison principale du dépôt de cette exception d'irrecevabilité.

Vous assurez, Monsieur le ministre, qu'il s'inscrit "dans la continuité, notamment de la loi de nationalisation du 8 avril 1946", ce qui est vrai. Comment être fidèle à une loi de nationalisation et ouvrir en même temps un secteur à la concurrence ?

La non-conformité au traité et au droit dérivé est un motif d'irrecevabilité. Notre assemblée n'est pas soumise à cet égard aux limites que le Conseil constitutionnel a lui-même posées à sa compétence, en interprétant strictement l'article 61 de notre Constitution.

En effet, l'article 55 dispose que "les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie". Cette condition de réciprocité n'a pas, au cas présent, la portée qu'elle aurait s'agissant d'un traité autre qu'un traité communautaire, eu égard à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes qui veut qu'un Etat membre ne peut arguer des manquements d'un autre Etat membre pour ne pas respecter ses obligations communautaires.

La conformité de nos lois aux normes communautaires est impérative : le titre XV de notre Constitution se réfère d'ailleurs explicitement aux traités européens. En l'espèce, cette conformité est d'autant plus nécessaire qu'il s'agit de la mise en oeuvre d'un principe fondateur de l'Union européenne : la liberté de la concurrence.

Le droit d'établissement énoncé aux articles 52 et suivants du traité, la liberté de prestation de services énoncée aux articles 59 et suivants ainsi que les articles 85 et 86 relatifs aux règles de la concurrence et à l'abus de position dominante sont largement repris dans les considérants de la directive, notamment le deuxième ainsi rédigé : "l'achèvement d'un marché de l'électricité concurrentiel est un pas important vers l'achèvement du marché intérieur de l'énergie", ainsi que les septième et huitième.

Certes, la directive énonce également des restrictions, notamment dans son cinquième considérant qui prévoit une mise en place progressive du marché intérieur de l'électricité, notamment "pour tenir compte de la diversité actuelle de l'organisation des réseaux électriques".

Il est certes fait référence au principe de subsidiarité affirmé par le traité de Maastricht.

La notion de service public est certes expressément mentionnée dans le treizième considérant qui dit que "pour certains Etats membres, l'imposition d'obligation de service public peut être nécessaire pour assurer la sécurité d'approvisionnement, la protection du consommateur, et la protection de l'environnement que, selon eux, la libre concurrence, à elle seule, ne peut pas nécessairement garantir" -que cette rédaction est distante et restrictive !

Le quatorzième considérant admet certes que la planification à long terme peut être un des moyens de remplir les obligations de service public.

La directive se réfère certes à l'article 90 du traité, relatif aux entreprises auxquelles les Etats membres accordent des droits spéciaux ou exclusifs. Mais la Cour de justice interprète strictement la dérogation aux règles du traité instaurée par le paragraphe II de cet article.

En outre, l'existence dans la directive de toutes ces restrictions autorisées à une libre concurrence intégrale, la possibilité de bénéficier de régimes transitoires, la reconnaissance au nom du principe de subsidiarité de la liberté pour chaque Etat de choisir les solutions les mieux adaptées à sa situation, ne doivent pas faire oublier que l'objet premier est d'instaurer dans le domaine de l'électricité comme dans toutes les activités économiques un régime de libre concurrence. Les exceptions possibles et les restrictions admises ne sont que des modérations temporaires à la stricte application d'un principe qui garde toute sa valeur.

Voilà comment tous nos partenaires européens interprètent et appliquent cette directive, quand ils ne l'ont pas anticipée.

Après l'application de la directive 96/92 et en attendant un nouveau texte annoncé par le considérant 39, il conviendra que la libéralisation du marché européen de l'électricité ait sensiblement progressé.

Or votre projet vise un objectif inverse : préserver au maximum le monopole d'Electricité de France.

Au-delà du fatras des mots, le Gouvernement a exploité toutes les possibilités offertes par la directive de maintenir pour ne pas dire d'accroître la position, sinon monopolistique, du moins outrageusement dominante d'EDF sur le marché de l'électricité.

La concurrence dans la production, obligatoire, est strictement encadrée : la planification intégrale des investissements relève, non d'une autorité indépendante, mais du ministre qui s'appuie sur un bilan établi par le gestionnaire du réseau public de transport, c'est-à-dire EDF elle-même.

L'autorisation d'exploiter est délivrée par le ministre ; l'appel d'offres prévu à l'article 8, optionnel, intervient seulement après avis d'EDF. La délivrance de l'autorisation ministérielle obéit, en vertu de l'article 9, à un nombre si élevé de critères si vagues que l'arbitraire est légalement permis. Le transport est, pour sa part, confié à EDF.

M. Alain Néri - C'est très bien !

M. Francis Goulard - La dissociation des fonctions de production, de transport et de distribution est purement comptable, si bien qu'elle sera parfaitement illusoire.

J'ai d'ailleurs noté avec intérêt que le rapporteur pour avis faisait écho à certaines de nos craintes sur ce point. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Vous avez beau écrire dans votre article 13 que "le service gestionnaire du réseau public de transport est indépendant sur le plan de la gestion des autres activités d'Electricité de France", personne ne peut imaginer, dans une entreprise aussi intégrée qu'EDF, une véritable indépendance des grandes fonctions. D'autre part, aurait-il échappé à votre sagacité que la circulation d'informations que la directive interdit est au contraire rendue obligatoire par la loi française ? Celle-ci impose en effet de communiquer des informations économiques et financières au comité d'entreprise d'EDF, où siègent des salariés des trois fonctions. Mais peut-être envisagez-vous de scinder ce comité en trois ? Dans ce cas, je vous souhaite bien du plaisir avec certains de vos partenaires !

Le monopole de la distribution est, quant à lui, soigneusement préservé. La possibilité d'établir des lignes directes est soumise à autorisation administrative : celle-ci peut être refusée dès lors qu'elle serait "incompatible avec les impératifs d'intérêt général ou avec le bon accomplissement des missions de service public". Autant dire que tout dépendra du bon vouloir de la puissance publique.

La régulation est confiée en apparence à une commission, mais les décisions les plus importantes sont toutes réservées au ministre. A cet égard, ce qu'a proposé le rapporteur pour avis me semble plus novateur et plus rassurant !

Enfin, pour faire bonne mesure, tirant prétexte de l'ouverture à la concurrence, l'article 42 ouvre des champs nouveaux et considérables à l'activité d'EDF, posant d'ailleurs d'autres problèmes juridiques sur lesquels je reviendrai.

Sur tous les points, donc vous êtes allé systématiquement au bout de ce que permettait la directive pour maintenir la position monopolistique d'EDF. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Tous les verrous ont été posés : service minimum pour la concurrence, service maximum pour protéger EDF !

Plusieurs députés socialistes - Eh oui !

M. Alain Néri - Sur ce point, nous sommes d'accord.

M. François Goulard - Les fonctionnaires de votre administration, étant scrupuleux, n'ont à aucun moment ouvertement violé la lettre de la directive. Mais ce projet ne peut pour autant être considéré comme fidèle à l'intention des auteurs de la norme de droit européenne.

Il l'est d'autant moins que la situation française se distingue et se distinguera demain plus encore, de celle des autres Etats membres.

Certes, il est probable que l'article 19 de la directive sera respecté, formellement, mais l'ouverture à la concurrence s'opérera, s'agissant de notre pays, sur un marché presque totalement monopolistique de la production, du transport et de la distribution d'électricité. Or dans aucun autre pays européen, la structure de départ n'est aussi peu ouverte que la nôtre et les textes de transposition de la directive ne sont aussi caricaturalement restrictifs que le vôtre. Au contraire, tous vont beaucoup plus loin que la directive, sur la plupart des chapitres.

Cette particularité française indéfendable, pèsera lourd dans les contentieux dont vos décisions feront immanquablement l'objet devant les instances européennes.

Vous ne pourrez prétendre avoir respecté le traité et la directive alors que nous serons le seul pays dans lequel la concurrence n'a pas de véritable réalité.

En Allemagne, neuf grandes entreprises de production gèrent le réseau interconnecté, distribuant l'électricité aux entreprises régionales et locales, mais aussi à certains clients directs. Il existe d'autre part quelque quatre-vingts entreprises régionales de distribution, qui ont également une activité de production. Enfin 900 entreprises locales, majoritairement des régies municipales -Stadtwerke-, sont distributrices. Rien de commun avec notre organisation totalement centralisée. La loi adoptée l'an passé maintient la position des Stadtwerke, qui ont un statut d'acheteur unique, mais la liberté de production est établie.

Aux Pays-Bas, les fonctions de production, de transport et de distribution sont clairement séparées depuis 1987. La quarantaine de sociétés locales de distribution sont actionnaires de quatre sociétés de production, à leur tour propriétaires de la société gestionnaire du réseau de transport. La concurrence existe pour les clients dont la consommation annuelle dépasse 20 GWh, mais aussi pour les sociétés de distribution, qui peuvent choisir leur fournisseur. En 1998, le Parlement a adopté une loi sensiblement plus libérale que la directive : la production est désormais ouverte sans licence, tout comme la distribution à l'exception de la clientèle captive. Enfin, les Hollandais envisagent d'instaurer des contingentements sur les importations en provenance de pays dans lesquels le marché de l'électricité n'aura pas été libéralisé.

L'Italie, où l'ENEL occupait une place comparable à celle d'EDF, a adopté en 1991 une loi proche de la loi américaine, ce qui a eu pour conséquence une forte croissance de la production indépendante. Celle-ci dépasse d'ores et déjà 20 % de la production nationale. Malgré les vicissitudes gouvernementales, un démantèlement de l'ENEL est sérieusement envisagé.

L'Espagne a adopté en décembre 1996, un nouveau régime, résultant d'un protocole conclu avec les principales compagnies électriques issues de la réforme de 1994. La liberté d'établissement pour les producteurs est instaurée. Un marché de gros, totalement concurrentiel, est mis en place, avec un opérateur de marché, équivalent du "pool" anglais, qui assure la bonne fin des transactions et établit le prix "spot" de l'électricité, et un opérateur de système, qui gère le réseau de transport. L'abaissement du seuil d'éligibilité suit un calendrier sensiblement plus rapide que celui de la directive puisque l'année prochaine, on passera de 20 GWh à 9 GWh.

En Grande-Bretagne, pays pionnier de la dérégulation de l'électricité (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), le président de l'office de régulation a proposé une suppression du pool électrique institué en 1991, au bénéfice de mécanismes de marché plus élaborés, tels ceux créés en Australie, en Argentine ou en Californie. Coexisteraient des marchés à terme, comportant des produits dérivés, généralement à cinq ans, un marché de court terme opérant à 24 heures sur la base d'enchères itératives closes à H - 4, et un marché de dernière minute, pour l'ajustement. L'ensemble serait géré par un opérateur de marché séparé de l'opérateur de réseau ; les acheteurs et gros clients seraient parties prenantes aux enchères.

La voie choisie par la France est donc opposée à celle qu'ont retenue les Etats membres.

Or, tous ces Etats sont au moins aussi conscients que le nôtre, des nécessités de la solidarité nationale. L'électricité y est disponible en tout point du territoire, dans des conditions qui ne paraissent pas créer de drames sociaux.

Ils ont seulement choisi la mobilité, l'innovation et l'efficacité plutôt que le conservatisme.

Plusieurs autres aspects de ce projet appellent des observations du point de vue de la constitutionnalité. Ainsi de l'article 42, relatif à l'objet social d'EDF, et ce, que l'on prenne la rédaction initiale ou celle, pire encore, adoptée par la commission : EDF, soumis à une concurrence nouvelle, devrait pouvoir étendre son activité à des secteurs qui lui étaient jusqu'à présent interdits et, plus précisément, à toutes les prestations liées directement ou indirectement à la fourniture d'électricité !

Du point de vue économique, l'abus de position dominante paraît établi d'emblée : EDF, qui conservera vis-à-vis des consommateurs éligibles une position dominante, aura tous le moyens de fausser les termes de la concurrence avec les prestataires non fournisseurs d'électricité. En effet, son autofinancement est deux fois supérieur au chiffre d'affaires total des entreprises privées présentes sur les marchés qui seraient ouverts à l'entreprise nationale, en vertu de l'article 42. Par ailleurs, le bruit court qu'EDF est candidate au rachat de plusieurs entreprises privées, faisant des offres très supérieures au prix de marché.

J'en reviens cependant au point de vue qui nous intéresse plus particulièrement. Le principe de spécialité garantissant que les établissement public se conforment à leur objet, est inséparable de la notion de catégorie d'établissement public introduite par l'article 34 de notre Constitution.

Sans respect de ce principe de spécialité, quel sens conserverait la notion de catégorie d'établissement public ?

Dans un avis rendu le 7 juillet 1994, le Conseil d'Etat indique que "le principe de spécialité qui s'applique à un établissement public tel qu'EDF et GDF signifie que la personne morale dont la création a été justifiée par la mission qui lui a été confiée, n'a pas de compétence générale au-delà de cette mission. Le principe de spécialité ne s'oppose pas par lui-même à ce qu'un établissement public se livre à d'autres activités économiques à la double condition que ces activités annexes soient le complément normal de sa mission statutaire principale et qu'elles soient à la fois d'intérêt général et directement utiles à l'établissement public."

Le Conseil d'Etat ajoute que "des activités, qui en principe seraient conformes à la spécialité de l'établissement, pourraient cependant être tenues pour incompatibles avec les règles de concurrence si leur mise en oeuvre impliquait un abus de position dominante".

Dans la définition que le Conseil constitutionnel donne, en 1961, de la catégorie d'établissement public, apparaît la notion de "spécialité étroitement comparable", puis, dans une décision de 1979, celle de "spécialité analogue".

Dans la mesure où la spécialité d'EDF devient difficilement cernable, on peut considérer que le critère de "spécialité analogue" n'est plus pertinent. Par conséquent, la notion de catégorie d'établissement public figurant à l'article 34 est vidée de son sens, ce qui n'est pas constitutionnellement acceptable.

En outre, le renvoi par le dernier alinéa de l'article 42 à un décret en Conseil d'Etat pour les modalités d'application pourrait être censuré pour incompétence négative du législateur.

Sur un autre plan, la contradiction entre l'objet du traité, qui est de transposer une directive ouvrant le secteur de l'électricité à la concurrence, et le maintien d'une organisation monopolistique et dirigiste, pourrait avoir des conséquences au regard du principe constitutionnel de liberté d'entreprendre. On ne peut prétendre ouvrir à la concurrence une activité et empêcher en pratique à peu près toute initiative économique dans ce secteur : "donner et retenir ne vaut", dit l'adage bien connu.

Votre projet inflige aussi de multiples entorses au principe d'égalité. Le rôle dévolu à EDF, dans la planification des investissements, dans la gestion du réseau, dans l'appel aux producteurs, crée une inégalité qui nous paraît anticonstitutionnelle.

La définition de l'éligibilité, reposant sur la consommation annuelle du client, est aussi sujette à caution au point de vue du respect du principe d'égalité.

La distinction introduite entre client éligible et client non éligible, à l'article 22, est motivée non par une différence intrinsèque de la situation des clients, mais par la poursuite d'un objectif d'ouverture du marché : "ces seuils sont définis de manière à permettre une ouverture du marché national de l'électricité limitée à la part communautaire moyenne qui définit le degré d'ouverture du marché communautaire, déterminé chaque année par la commission des Communautés européennes". Dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, on peut estimer que ce motif n'est pas recevable.

L'extension, à l'article 43, du statut des agents d'EDF aux entreprises devant intervenir sur le marché de l'électricité est présentée comme devant contribuer à rendre égale la concurrence entre elles et l'entreprise publique. Or, dans la mesure où le statut actuel des agents d'EDF représente un surcoût, estimé par la direction d'EDF à 40 % par rapport aux salaires privés, l'application de ce statut à des entreprises qui ne le connaissent pas aujourd'hui est un obstacle à peu près rédhibitoire pour la plupart. Là encore, le principe d'égalité n'est pas respecté.

Il ne l'est pas non plus vis-à-vis des salariés. En effet, il s'agit d'étendre un statut dérogatoire à des salariés d'entreprises privées, intervenant sur un marché ouvert à la concurrence. Cette introduction dans notre droit du travail d'une situation particulière enfreint la règle de l'égalité devant la loi, alors qu'aucune situation spécifique ne justifie une différence de traitement.

Dans un autre domaine, les pouvoirs dévolus par l'article 33 aux fonctionnaires habilités soulèvent un problème sérieux. Les fonctionnaires pourront accéder, sans véritable limitation, ni contrôle, aux locaux tant du gestionnaire du réseau public que des autres entreprises. Cette disposition paraît contraire à l'inviolabilité du domicile ainsi qu'au respect de la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a précisé à propos des perquisitions destinées à la recherche d'infractions fiscales, que "de telles investigations ne peuvent être conduites que dans le respect de l'article 66 de la Constitution qui confie à l'autorité judiciaire la sauvegarde de la liberté individuelle".

Il a même fixé un véritable régime juridique des visites d'entreprises, qui doivent comporter des "garanties appropriées", placées sous la responsabilité directe d'un magistrat judiciaire. Ces garanties minimales sont les suivantes : droit de visite limité dans le temps et l'espace, inviolabilité du domicile, respect des droits de la défense assuré par la remise d'un procès-verbal à la personne visitée. Enfin, l'autorité judiciaire doit exercer un contrôle effectif sur l'entier déroulement de la visite.

Or, au regard de ces exigences, votre texte est particulièrement indigent. L'accord de la personne visitée n'apparaît à aucun moment, et l'intervention de l'autorité judiciaire est absente. Le fait que les agents soient soumis au secret professionnel ne nous paraît pas un élément de protection suffisant.

Voilà beaucoup de motifs pour justifier cette motion de procédure. Nous pensons ce texte malheureusement exemplaire de ce qu'il ne faut pas faire dans le domaine du droit de la concurrence, notamment au regard du droit européen.

Au-delà, la politique traduite par ce projet est contraire aux intérêts de notre pays, en particulier aux intérêts du consommateur, qui a tout à gagner au développement de la concurrence.

Ainsi en Grande-Bretagne, selon une étude récente du Commissariat français au Plan, depuis le début du mouvement de dérégulation, 75 milliards de francs ont été restitués au consommateur !

Vous appelez à la rescousse la belle notion de service public, mais vous la dévoyez. La fourniture d'électricité est avant tout une affaire économique, qui doit s'organiser de la manière la plus efficace possible. Or le monopole n'est nullement un gage de l'efficacité. Vous inscrivez dans la loi le droit à l'électricité. Chacun admet que notre société ne doit pas laisser une famille sans électricité faute d'argent. Mais le monopole empêche-t-il aujourd'hui les coupures d'électricité, comme celle qui s'est produite il y a quelques jours chez un grand malade qui avait impérativement besoin d'appareils électriques pour sa survie ? L'exclusion, problème social dramatique, appelle des réponses sociales, que nos CCAS fournissent d'ailleurs très largement. Sans doute avons-nous besoin d'électricité pour à peu près toutes nos activités, personnelles ou économiques. Mais nous avons aussi besoin de pain : l'initiative privée nous le procure dans des conditions de continuité et d'égalité tarifaire à faire pâlir d'envie n'importe lequel de nos grands services publics. La main invisible est souvent plus efficace que le service public !

C'est en réalité le monopole qui justifie l'appellation de service public, non l'inverse. Ce qui nous inquiète profondément dans votre politique, c'est le décalage ahurissant entre la France et tous les autres pays développés, en particulier européens. Tous ont intégré les profonds changements qui affectent le monde de l'électricité, comme celui des télécommunications. Les révolutions techniques, la diversification des services ont fait éclater les anciens monopoles. L'innovation appelle la concurrence, qui la stimule et la nourrit ; l'une ne va pas sans l'autre. Le domaine électrique connaît des révolutions techniques. C'est la combustion interne à haute température, qui fait qu'une turbine à gaz de 40 MW produit un kWh à peu près au même coût qu'une centrale électronucléaire de 1 600 MW. C'est la cogénération, méthode économe en énergie, souple et décentralisée. C'est le cycle combiné gaz-chaleur qui atteint aujourd'hui un rendement thermique supérieur à 60 % chose impensable il y a dix ans. C'est aussi la révolution de la commutation avec l'apparition des commutateurs électroniques à haute tension, les Thyristors. Un régime de libre accès généralisé au réseau devient envisageable.

Les évolutions sont aussi considérables du côté de la demande : certaines industries requièrent un courant d'une qualité exceptionnelle quant à la constance de ses caractéristiques, tandis que d'autres utilisateurs y sont indifférents. Il n'y a aucune raison que ces deux catégories de consommateurs paient l'électricité au même prix, car ce n'est pas le même service.

M. José Rossi - Très bien !

M. François Goulard - Cette prise en compte des réalités s'est traduite, dans les pays réputés très libéraux, comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, mais aussi dans d'autres beaucoup moins libéraux, comme la Hollande ou les pays scandinaves, par une dérégulation généralisée. Dans aucun de ces pays, aucun consommateur, si modeste soit-il, n'est privé d'accès à l'électricité. Mais dans tous ces pays, la performance économique d'ensemble s'est améliorée.

Votre politique monopolistique et dirigiste va pénaliser les consommateurs, mais aussi EDF. Celle-ci aspire à se développer et sait qu'elle doit impérativement devenir une entreprise multinationale, multi-énergie et multiservices. Elle sait aussi qu'elle dispose pour le faire d'une fenêtre financière assez étroite : les énormes investissements du programme électro-nucléaire sont derrière nous, tandis que se profilent les charges du démantèlement, sans parler du problème des retraites. Mais pour s'adapter à ce nouvel environnement, EDF a besoin de connaître les conditions d'une réelle concurrence en France. Comment penser d'ailleurs que les autres pays admettront longtemps qu'EDF devienne un acteur économique sur leur territoire alors que la France refuse à leurs propres entreprises d'intervenir chez nous ? C'est une illusion complète. Oui la concurrence est nécessaire à EDF, car une entreprise non stimulée, non confrontée aux réalités d'aujourd'hui sur son propre marché, est vouée à la sclérose et finalement à l'échec.

Non-conformité aux principes de concurrence du traité instituant la communauté européenne ; non-conformité à la directive 96/92 ; infraction au principe de spécialité, au principe d'égalité, à la liberté d'entreprendre : toutes ces failles juridiques de votre projet traduisent sa profonde inadaptation aux réalités économiques actuelles. Vous avez choisi de satisfaire une fraction de votre majorité politique plutôt que de vous attaquer à l'évolution nécessaire d'un secteur important de notre économie : c'est la marque de fabrique, pour ne pas dire le vice originel de votre gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)


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EXPLICATIONS DE VOTE

M. Alain Cacheux - Si je comprends bien M. Goulard, ce projet serait irrecevable parce que non conforme à la directive, laquelle a valeur de traité, donc valeur constitutionnelle. Il a toutefois reconnu au détour d'une phrase que nous respections la lettre de la directive, qui comporte le principe de subsidiarité, donc la possibilité pour les Etats d'adapter le texte pour tenir compte des réalités nationales. En outre M. Goulard devrait être plus prudent quant aux exemples étrangers qu'il cite : il se peut que d'ici à quelques années certains marchés, qui paraissent aujourd'hui plus ouverts, se révèlent encore plus impénétrables que le marché français.

J'ai un peu le sentiment que la vraie motivation de M. Goulard est en fait de critiquer la directive elle-même, parce qu'elle ne respecte pas les canons du libéralisme. Pour les députés socialistes, ce n'est pas parce que nous transposons une directive d'inspiration libérale que nous devenons des libéraux, moins encore des ultra-libéraux ! Il est d'ailleurs un peu paradoxal d'entendre un plaidoyer pour l'ultra-libéralisme alors qu'à Davos, il y a quelques semaines, les tenants même de cette théorie s'interrogeaient sur ses vertus et appelaient à créer des autorités de régulation...

De la concurrence, M. Goulard attend des baisses de prix, au bénéfice du consommateur. Mais voyez les pays qui nous ont précédés dans l'ouverture du marché. Les baisses de prix n'y ont pas été immédiates. Et pour l'essentiel elles étaient dues à des facteurs comme la baisse des produits fossiles, des modifications fiscales, voire -comble pour un libéral- des décisions autoritaires de la puissance publique.

Le marché n'a donc pas les vertus innées que votre dogmatisme lui prête. Il a besoin d'être encadré par une autorité supérieure. Tout ce qui se passe aujourd'hui dans le monde l'illustre. Qu'il y ait une contradiction entre la concurrence sauvage et certains principes du service public, la Cour de Luxembourg elle-même l'a reconnu : son arrêt du 27 avril 1994 affirme que des restrictions à la concurrence peuvent être admises, si elles sont nécessaires pour permettre à l'entreprise de remplir des missions d'intérêt général. Même cela, vous ne l'admettez pas.

Oui, dans ce débat, les députés socialistes défendront le service public, l'entreprise publique et la formidable réussite d'EDF. Et ils défendront les salariés, car nous n'admettons pas que le principal moteur de la concurrence soit la dégradation de leurs conditions de travail et de rémunération. Ainsi nous avons une conception fondamentalement différente de l'évolution du marché de l'électricité. C'est pourquoi les députés socialistes rejetteront l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Gérard Voisin - M. Goulard a brillamment démontré l'inconstitutionnalité de ce projet. Il a montré ses graves conséquences juridiques, économiques, sociales et politiques pour notre pays. Les députés DL auront peut-être l'occasion de revenir sur les défauts de ce projet, mais l'exposé de M. Goulard devrait suffire, tant il les a éclairés.

Nous voterons pour l'exception d'irrecevabilité. Les Français ne méritent pas le sous-voltage que vous proposez. Ce texte est une trop petite lumière pour éclairer la France et l'Europe (Applaudissements sur les bancs du groupe DL).

M. Claude Billard - Nous venons d'entendre un hymne au libéralisme le plus échevelé. Nous avions demandé le report de la discussion et la renégociation de la directive pour de tout autres raisons ! M. Goulard nous propose la loi de la jungle ; les missions de service public et l'égalité de traitement des usagers seraient sacrifiées sur l'autel de la concurrence. Mais la Grande-Bretagne qu'il nous cite en exemple s'apprête justement à revenir sur la dérégulation.

Il y a trois ans nous avons célébré le cinquantenaire de la loi de nationalisation du gaz et de l'électricité. M. Goulard rêve de revanche.

Mais puisque ce projet est en discussion, discutons-en. Pour notre part nous entendons conforter EDF dans ses missions de service public et sauvegarder ses prérogatives dans la mise en oeuvre des choix énergétiques, au nom des principes de progrès, de démocratie et de solidarité qui ont fondé la nationalisation d'EDF. Nous voterons contre l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - Les arguments de M. Goulard ne sont pas convaincants.

D'abord, le Gouvernement a soumis ce texte à l'examen attentif du Conseil d'Etat et suivi intégralement ses observations. Il a aussi consulté la Commission européenne qui n'a pas émis d'objection juridique. Deux principes structurent ce texte, celui de subsidiarité et celui du maintien du service public. Ils sont conformes en tout point à la directive puisqu'on les retrouve aux considérants 11 et 13. Nous sommes dans le droit fil de ce que la France et quelques autres Etats ont obtenu lors de la négociation.

Ni la directive ni le droit national n'obligent à séparer gestion et réseaux de transport. Les obligations de transparence et de non-discrimination imposent rarement une telle séparation juridique. EDF, je le répète, est une entreprise intégrée de production, de transport et de distribution. Le Gouvernement ne le remet pas en cause et propose de désigner EDF comme gestionnaire unique du réseau de transport ; avec pour mission d'exploiter et de développer les infrastructures ainsi que d'assurer l'accès des utilisateurs au réseau. L'Allemagne et le Danemark ont fait le même choix.

Le GRT faisant partie de l'entreprise, un certain nombre de dispositions garantissent sa neutralité. Il est d'abord prévu une séparation comptable des activités de production, de transport et de distribution en application de l'article 14 de la directive, avec contrôle de la CRE afin de vérifier qu'il n'y a pas de subvention croisée. D'autre part, la gestion du GRT est bien individualisée au sein de l'entreprise intégrée comme le demande l'article 7 de la directive. Le directeur du GRT est nommé par le ministre de l'énergie et le GRT a un budget spécifique communiqué pour information à la CRE. Enfin, les agents du GRT sont tenus à la confidentialité conformément à l'article 9 de la directive, sous peine de sanctions pénales. Une Commission de régulation spécialisée sanctionnera les manquements aux règles.

le Gouvernement a décidé de mettre en place un groupe économique d'experts de haut niveau présidé par M. Champsaur, afin de lui faire des propositions concrètes concernant la tarification de l'utilisation des réseaux, l'évaluation des charges d'intérêt général et le contrôle de l'absence de subventions croisées entre clients éligibles et clients non éligibles.

Le monopole de distribution, que M. Borotra avait ardemment défendu lors de la négociation, et les dispositions relatives aux lignes directes sont parfaitement conformes à la directive, en application du principe de subsidiarité.

On ne peut non plus soutenir que le degré d'ouverture du marché qui découle du projet sera à l'origine d'une rupture d'égalité ou est contraire à la directive. Celle-ci impose elle-même un degré minimal d'ouverture mais, au nom de la subsidiarité, reconnaît pleinement les spécificités des secteurs électriques des Etats membres. Le projet se conforme fidèlement à la directive en ce qui concerne les seuils d'éligibilité.

En fait, le degré d'ouverture des marchés nationaux est variable. S'il est de 100 % dans les pays scandinaves, il est proche de celui de la France en Autriche, en Espagne, en Italie et aux Pays-Bas.

M. François Goulard - Pas en Espagne.

M. le Secrétaire d'Etat - Quant à l'Irlande et la Grèce, elles sont "fermées" -selon vos critères- à 100 %.

Dernière raison de repousser l'exception d'irrecevabilité : il n'y a pas, contrairement à ce que dit M. Goulard, contradiction entre d'une part, l'extension du statut du personnel des industries électrique et gazière à l'ensemble de l'industrie électrique, le droit communautaire de l'autre. La directive n'a pas prévu de dispositions sociales particulières, mais il y a fort à parier que, dans le nouveau contexte politique européen, les questions sociales seront désormais au premier rang des préoccupations des gouvernants. Quoi qu'il en soit, dès lors que sont imposées à tous les opérateurs les mêmes conditions d'établissement et de fonctionnement, la définition des modalités d'exercice de l'activité relève de la subsidiarité. Et nous sommes donc parfaitement fondés à rester dans le système de la loi de 1946. La concurrence entre les opérateurs devant être équitable, je ne puis adhérer à la logique qui voudrait que les agents des entreprises issues de monopoles bénéficient de statuts alors que les salariés des nouveaux entrants seraient soumis à des conditions moins favorables. Ce serait une conception étriquée de la justice sociale et une rupture de l'égalité. C'est pourquoi le projet maintient le champ d'application du statut tel que l'a défini la loi de 1946. Mais il prévoit aussi l'introduction de mécanismes de négociation collective, bienvenus dans un système comprenant des acteurs plus nombreux et plus divers.

Pour toutes ces raisons, j'invite l'Assemblée à repousser l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Claude Birraux - Appuyer sur un interrupteur est devenu un geste banal pour chaque Français, mais derrière cette banalité qui n'est plus féerique, se cachent le travail et la technique d'une entreprise qui a su relever les défis technologiques, et devenir l'une des toutes premières entreprises du monde des électriciens. Nous lui devons reconnaissance pour ce travail accompli au service de la nation.

Mais dans l'Europe en construction, le marché de l'électricité doit lui aussi pouvoir bénéficier de la libre circulation, et les consommateurs pouvoir choisir librement leur fournisseur. D'où la directive libéralisant le marché intérieur de l'électricité. L'UDF, parti de l'Europe, est favorable à cette évolution.

Je tiens d'emblée à affirmer ma confiance dans les capacités d'adaptation d'EDF : l'Europe doit devenir son horizon et son marché.

La directive laisse une large part à la subsidiarité puisqu'elle se borne à fixer des seuils minimaux, étalés dans le temps. Elle fixe certes des principes communs, mais n'impose pas de modèle unique pour ce qui est de l'organisation. J'observe cependant que nous sommes quasiment le dernier Etat à la transposer, alors qu'elle s'applique de plein droit le 20 février ! Le peu d'empressement du Gouvernement risque de nous faire passer pour le mauvais élève de la classe, de nous placer en position de faiblesse dans le cas d'un contentieux engagé par un acteur qui nous voudrait du bien et de nous imposer des règles jurisprudentielles.

J'observe aussi que, concernant le degré d'ouverture du marché, le gouvernement a vraiment choisi le minimum syndical ! A cet égard, nous ne supportons guère la comparaison avec l'Allemagne, le Royaume Uni, la Finlande, la Norvège, la Suède ou le Danemark.

Vous avez donc choisi, Monsieur le ministre, d'entrer tardivement et a minima dans le dispositif. Vous vous présentez crispé, craintif, comme si vous n'aviez confiance ni en EDF et son personnel, ni dans le service public, ni dans votre majorité -là, vous n'avez pas tort-, ni enfin dans votre propre capacité à accompagner les évolutions.

Ce projet de loi ne serait-il pas une illustration supplémentaire de la méthode Jospin qui consiste à donner l'illusion du choix ?

L'intitulé même du projet "projet de loi de modernisation et de développement du service public de l'électricité" est impropre. En effet, ce texte n'est ni réellement moderne, puisqu'il occulte bon nombre de questions stratégiques, ni réellement de développement, dans la mesure où il conforte dans les faits le statu quo et la résistance au changement.

D'emblée, vous choisissez la stratégie perdante. En effet, à vouloir différer ou empêcher l'introduction de la concurrence, vous prenez le risque de retarder l'adaptation nécessaire des opérateurs français, principalement EDF, et de réduire leur compétitivité future.

Cette ouverture a minima de marché risque de dégrader l'image de marque d'EDF auprès de ses clients et de limiter ses possibilités de développement hors de nos frontières. En effet, la directive elle-même comporte une clause de sauvegarde qui permet aux Etats dont le marché est très ouvert de se préserver de la concurrence d'Etats dont le marché le serait moins. Opter pour une ouverture minimale dans ces conditions, c'est choisir dès le départ une position de faiblesse. D'autre part quelle sera l'attitude d'un groupe multinational qui sera éligible dans un pays tiers mais pas en France ?

Les maîtres mots qui devraient guider le législateur dans la transposition de la directive sont : transparence, équité et surtout indépendance. De ce point de vue là, le texte laisse beaucoup à désirer.

S'agissant du GRT, je ne comprends pas l'obstination du Gouvernement à choisir le système le plus compliqué, le moins transparent, celui qui alimente la suspicion avant même sa mise en oeuvre. Au point que, pour se prémunir contre cette suspicion, le GRT peut-être tenté de pénaliser l'opérateur français !

Faire du GRT un service placé au sein d'EDF n'est pas satisfaisant car cela ne peut que susciter des doutes sur les décisions qu'il rendra. On ne voit pas, en effet comment le GRT pourrait garantir que les informations confidentielles qui lui sont remises ne circuleront pas. Ce statut hybride est contraire à l'esprit de la directive et à la jurisprudence communautaire qui ne cesse d'imposer une indépendance des autorités de régulation.

Et d'un point de vue juridique, on peut se demander comment se régleront les rapports entre le GRT et les autres services d'EDF. Qui signera les protocoles entre EDF et le GRT ? Ne s'agira-t-il pas de conventions qu'EDF signera elle-même, d'autant que le directeur du GRT sera nommé sur proposition du président d'EDF ?

Je propose pour ma part que le GRT soit confié à une filiale d'EDF, ce qui garantit un périmètre précis, des comptes séparés et transparents, et ce qui évacue les doutes sur le risque de démantèlement patrimonial d'EDF et sur le statut des agents. Son président serait nommé par le ministre, sur proposition de la Commission de régulation de l'électricité, après consultation du président d'EDF. Ce dispositif clair n'introduit pas de révolution mais ne bloque pas non plus la situation.

Quant à la Commission de régulation de l'électricité, elle doit être pourvue de moyens réels d'expertise et de contrôle, d'un pouvoir d'arbitrage et de sanction qui asseoie réellement son autorité. Comme le dit M. Dumont, elle doit devenir "un véritable juge de paix". Il serait donc bon d'élargir ses responsabilités au contrôle des conditions dans lesquelles fonctionnera le marché -décisions relatives à l'octroi des autorisations ou appels d'offres, fixation des tarifs de transport, de secours, traitement des litiges- et dans lesquelles sont remplies les obligations de service public -fixation des charges, obligations d'achat de certaines productions, approbation des tarifs pour clients non éligibles. Il faudrait en outre qu'elle participe au processus de nomination du responsable du GRT.

J'en viens au statut des industries électriques et gazières. Sur ce point, le Gouvernement fait preuve d'un immobilisme provocant. Ses prédécesseurs avaient pourtant eu le courage, eux, de résoudre le problème du statut social à France Télécom.

Est-il utile de rappeler aux nouveaux opérateurs que le statut des IEG, inscrit dans la loi de 1946 qui n'est pas abrogée, s'applique de ce fait, nécessairement à eux ?

Le statut comporte des dispositions internes à EDF, n'ayant pas fait l'objet de dispositions réglementaires. Comment les nouveaux opérateurs pourraient-ils l'admettre ? D'ailleurs, selon M. Dumont, ce statut aurait des bases juridiques incertaines, voire irrégulières notamment au regard des lois Auroux.

Enfin, le système en vigueur induirait un coût salarial supplémentaire de 25 %, ce qu'il serait déraisonnable d'imposer aux nouveaux opérateurs, toujours selon le rapport Dumont.

Alors que ce rapport ouvrait des perspectives de concertation et de négociation et aurait permis une remise à plat transparente puis des évolutions respectueuses des engagements antérieurs, le Gouvernement veut imposer l'élargissement du statut. La concurrence en matière sociale en sera accrue entre les opérateurs prisonniers du statut et ceux qui pourront y échapper, comme opérateurs s'installant hors frontière et alimentant des clients éligibles français, des opérateurs français travaillant en France avec des sous-traitants ou des filiales, ou bien encore les futurs opérateurs entrant dans le champ des exemptions. J'attends avec impatience vos réponses sur tous ces points.

Le texte reconnaît l'éligibilité partielle des distributeurs non nationalisés lorsqu'ils ont un client éligible. Ce dernier lancera un appel d'offres sans se soucier de l'entreprise locale de distribution. Si vous ne maintenez pas un lien contractuel entre eux, l'entreprise ne sera que prestataire d'infrastructure de distribution, au risque, même de disparaître. 2 800 communes dans 40 départements ont pourtant choisi ce mode de distribution, à travers 180 régies et SEM, représentant 7 000 emplois et desservant 3,5 millions d'habitants. J'attends vos explications sur la pratique de l'éligibilité partielle.

De même, sur le principe dit de spécialité, si l'équité commande de permettre à EDF de lutter à armes égales avec ses concurrents pour une offre globale de services, pourquoi ne pas permettre aussi aux régies de proposer des offres globales à leurs clients éligibles ?

Il est équitable en revanche que pour les clients non éligibles, les conseils d'EDF s'arrêtent au compteur afin de ne créer aucune concurrence avec les entreprises privées du secteur.

Quelle idée saugrenue de vouloir faire figurer les coûts de l'arrêt de Superphénix dans les coûts échoués ! Il n'existe en effet aucun lien entre cet arrêt et la mise en oeuvre de la directive. Cela s'apparente donc à de la malhonnêteté intellectuelle. Je vous avais demandé lors du récent débat sur l'énergie, quel bilan avait obtenu le commissaire à la reconversion du site de Creys-Malville en matière d'emploi. Vous ne m'avez pas répondu. Aurai-je plus de chance aujourd'hui ? Je l'ai, pour ma part, qualifié au mieux d'ordonnateur des pompes funèbres.

Le Gouvernement semble résolument opposé à la création d'une Bourse de l'électricité. Une ligne Maginot de plus. En plus de celles qui existent en Grande-Bretagne et dans les pays nordiques, de telles Bourses sont en projet à Amsterdam, à Hanovre, à Zurich...

En refuser, a priori, le principe handicaperait lourdement le principal opérateur européen, EDF.

Devra-t-elle s'expatrier ?

La demande prévisible de consommation d'énergie n'est pas le seul paramètre à prendre en compte dans la loi d'orientation et de planification de l'énergie. Les impératifs de sécurité d'approvisionnement entrent aussi en considération. Quant au renouvellement du parc, en particulier nucléaire, il ne constitue pas une perspective immédiate puisqu'il s'écoulera nécessairement du temps entre l'arrêt de certaines centrales et la mise en service de nouvelles. Il en va de même de l'implantation de l'EPR ou des technologies innovantes comme les piles à combustibles ou la géothermie sur roches chaudes.

"La prévision est difficile, surtout quand elle concerne l'avenir" disait Niels Bohr... (Sourires) Nul ne sait avec certitude comment s'organisera le paysage énergétique européen. Si je conçois que vous rejetiez une dérégulation totale du marché électrique, vos propositions sont en retrait très net sur les propositions Dumont. Vous voyez l'ouverture du marché comme une contrainte imposée et vous vous obstinez à édifier des lignes Maginot, illusoires, pour ne rien changer.

Au contraire de vous, le groupe UDF, qui place l'Europe au fondement de ses engagements politiques, pense que l'ouverture du marché électrique peut être une chance pour notre pays comme pour EDF. Contrairement à vous, nous avons confiance dans la capacité d'EDF de relever le défi, d'avoir de nouvelles ambitions, si on lui donne un cadre approprié et des moyens.

Celui que vous proposez ne prépare pas notre pays à cette compétition ; vous rigidifiez là où il faudrait de la souplesse ; vous n'avez pas confiance en notre capacité de gagner. Pour toutes ces raisons, votre texte n'est pas, en l'état, acceptable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Robert Honde - Nous examinons aujourd'hui un projet de loi attendu qui engage notre pays sur la voie de la modernisation du service public de l'électricité et qui traduit sur le plan juridique nos engagements européens. Les députés radicaux de gauche ont toujours convenu de la nécessité de moderniser les services publics dans le cadre d'une concurrence maîtrisée.

Il s'agit aujourd'hui de transposer en droit interne la directive 96-92 relative à l'électricité, adoptée après dix années de négociations tant le marché qu'il était question d'ouvrir était sensible et les symboles qui s'y attachent forts. Nos concitoyens considèrent aujourd'hui l'électricité comme un bien naturel, au même titre que l'eau.

Je remarque d'ailleurs qu'il n'existe pas de service public de l'eau, ce qui est d'ailleurs regrettable, vu les abus que l'on a constatés, tels que Philippe Séguin lui-même réclamait une nationalisation. Dès lors que quelques opérateurs privés règnent en maîtres, inévitablement l'argent-roi finit par corrompre. Félicitons-nous donc que l'électricité soit restée un service public, conformément au programme du Conseil national de la Résistance. Continuité, universalité, mutabilité et égalité : tels sont les principes de ce service qui ne peuvent être remis en question. Le projet de loi les préserve alors qu'ils ne pourraient être maintenus sans lui, la directive non transposée s'appliquant immédiatement.

C'est d'ailleurs pourquoi les députés radicaux de gauche le voteront, convaincus qu'il renforce le service public au détriment du marché et qu'il permet de conforter EDF dans sa position de leader, tout en l'accompagnant dans ses évolutions. Si ce texte n'était pas adopté, nous serions réduits à attendre qu'une procédure en manquement soit engagée contre la France... et qu'une condamnation inéluctable soit prononcée. Nous n'étions pas au pouvoir lorsque cette directive a été adoptée : il nous faut pourtant aujourd'hui l'assumer et en corriger autant que faire se peut les imperfections.

Certains réclament sa renégociation : nous préférons, nous, que la France respecte sa parole -même si nous aurions adopté une autre démarche que celle du gouvernement français en 1996. Il y va de la crédibilité de notre pays sur la scène européenne.

EDF pâtirait de la non-adoption du projet de loi. Comment pourrait-elle prétendre maintenir et développer son activité sur les marchés étrangers si la France adoptait des mesures protectionnistes ? L'Egypte lui confierait-elle dans ces circonstances la construction de deux centrales pour un montant de 840 millions de dollars ?

EDF sera-t-elle pour autant bradée comme certains le prédisent ? Non, puisque son capital restera à 100 % public.

Quant au statut du personnel, il sera maintenu. Le projet de loi en donne l'assurance et le ministre s'y est engagé.

Félicitons-nous enfin des conditions d'élaboration de ce texte : rarement le Gouvernement nous aura autant associés à sa démarche. La distribution du Livre blanc à 50 000 exemplaires, les saisines du Conseil économique et social, des conseils économiques et sociaux régionaux, du Conseil supérieur de l'électricité et du Conseil de la concurrence ont permis une large concertation avec les partenaires sociaux.

Le Gouvernement propose une ouverture du marché a minima dans des conditions telles qu'EDF pourra parfaitement soutenir la concurrence. Certains craignent qu'EDF, contrainte d'affronter des concurrents privés sur le marché européen, ne soit engagée vers une privatisation : ces craintes sont infondées puisque la structure même de l'entreprise publique, détenue à 100 % par l'Etat, n'est pas modifiée.

Le projet de loi définit précisément les contours d'un service public auquel nous sommes très attachés. Nos collègues de l'opposition qui ne le voteraient pas au motif que la libéralisation n'est pas assez large et qu'EDF en serait pénalisée, pourront-ils être convaincus du bien-fondé de la démarche du Gouvernement ? Je l'espère. Les députés radicaux de gauche, quant à eux, estiment qu'un vote négatif irait contre les intérêts de la France, ainsi mise au ban de l'Europe. Nous ne pouvons accepter que des arguments purement catégoriels guident notre attitude. EDF doit avoir les moyens de s'affirmer sur le marché international et rien ne doit lui interdire de formuler des offres globales quand elle est la seule en Europe à pouvoir le faire. Comme le rapporteur, nous pensons qu'il ne faut pas lui imposer des handicaps rédhibitoires dans la bataille qui se livrera demain. Elle pourra faire face aux impératifs du marché si nous lui donnons les moyens de son développement : tel est l'enjeu ce soir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste)

M. le Secrétaire d'Etat - Très bien !

M. François d'Aubert - Je me demande si le titre de ce projet, "relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité", n'a pas induit certains en erreur ce soir. Notre tâche est plutôt, je pense, de transposer une directive libéralisant le secteur de l'électricité et je ne suis donc pas certain qu'on n'ait pas été, parfois, hors-sujet, en raison de ce titre qui ne correspond ni à l'esprit, ni, comme François Goulard l'a démontré, à la lettre du texte communautaire.

Votre texte a, pour moi, trois caractéristiques essentielles. Il n'est pas très européen car il place la France à part. Il vise fortement à protéger EDF alors que l'ensemble de cette "maison", hormis sans doute la CGT et quelques autres, ne le demandait peut-être pas. Enfin, il sera source de discrimination pour ceux qui ne pourront profiter de la baisse des prix favorisée par l'ouverture à la concurrence : je pense aux PME et aux particuliers.

On a le sentiment que votre gouvernement entre à reculons dans un processus pourtant nécessaire -et qui s'est soldé par des réussites dans les pays étrangers où il a été mené à bien. Evidemment contraintes de donner des garanties à vos alliés de la majorité plurielle, vous avez choisi de transcrire la directive a minima, en abusant du principe -ou de l'alibi- de la subsidiarité. La directive vous le permettait, certes, mais, ce faisant, vous prenez le risque d'isoler la France. En effet, neuf de nos partenaires sur douze ont ouvert leur marché de l'électricité au-delà du seuil communautaire de 25,37 % -ce mois-ci, le taux moyen s'élèvera à 60 %, la proportion atteignant 100 % en Allemagne, en Finlande et en Suède. L'Espagne, contrairement à ce qu'on a dit, va plus vite que nous, beaucoup plus vite, puisqu'elle en est à un cran que nous n'atteindrons que dans trois ans !

Nous en restons donc à l'exception française à l'heure où tous nos partenaires choisissent la libéralisation, non par idéologie, mais parce qu'ainsi le veulent l'efficacité et la recherche du moindre coût. Le mouvement de libéralisation, d'ouverture à la concurrence ne fait qu'accompagner, en effet, les révolutions technologiques à l'oeuvre dans la production et la distribution d'électricité : par exemple les progrès de la commutation. L'époque n'est plus au gigantisme, aux monopoles "naturels" : la production d'électricité, à partir de gaz, en auto-production ou en cogénération, devient de plus en plus compétitive et cela n'est pas lié seulement à la diminution relative du prix du gaz mais aussi, comme je le disais, à l'utilisation de nouvelles techniques, comme celle des micro-turbines. Nous allons vers des outils de production de plus faible taille, mais mieux adaptés aux besoins des consommateurs. Conséquence de ces évolutions technologiques, la concurrence est nécessaire : rien ne sert donc de la freiner pour conserver à tout prix le monopole d'EDF. On ne ferait que se livrer à un abus de droit qui pénaliserait les consommateurs.

Il est vrai que le constat ne suffira pas à convaincre les plus hermétiques à la concurrence. Nous les voyons aujourd'hui resservir les arguments opposés dans les années 1980 à la libéralisation des télécommunications : quand France Télécom aura perdu son monopole, expliquait-on alors, on ne pourra plus téléphoner de certains cantons de l'Ardèche, de la Mayenne ou des Vosges, Monsieur le ministre. On sait ce qu'il en est -grâce à l'évolution technologique. Il en ira de même pour l'électricité. Et s'il est clair qu'il faut assurer un minimum de service public, il ne faut pas confondre ce service public avec le monopole. On peut le garantir par d'autres moyens !

On peut d'ores et déjà constater les effets de l'ouverture du marché : le Royaume-Uni, mais aussi la Scandinavie moins libérale, bénéficient de gains de productivité. L'Allemagne a adopté à la fin de novembre 1997 une loi qui permettra à tous les consommateurs de choisir, à terme, leur fournisseur d'électricité et l'Espagne s'est engagée dans une évolution tout aussi ambitieuse. Dès lors, le maintien de la singularité française est-il en mesure d'améliorer la compétitivité de nos entreprises ? Le prix de l'énergie étant souvent déterminant à cet égard, je pense que non. On peut ainsi redouter des délocalisations, notamment pour les entreprises situées à proximité de nos frontières. Certes, l'électricité est aujourd'hui plus chère en Allemagne et en Belgique, mais qu'en sera-t-il demain ? Au surplus, il faut compter avec le transport de l'électricité. EDF vend aujourd'hui 15 % de sa production, mais peut-elle s'affirmer en Europe si nous refusons la réciprocité ? Fonctionner à barrières fermées tout en expliquant que notre entreprise a besoin de faire des bénéfices à l'étranger risque d'être un exercice délicat !

A lire certaines dispositions de ce projet, on a le sentiment que le Gouvernement cherche à tuer la concurrence dans l'oeuf. Vous prévoyez des autorisations qui ne seront pas exemptes d'arbitraire et votre programmation, ou planification, pluriannuelle des investissements est tout simplement antiéconomique. On pourrait l'admettre s'il ne s'agissait que d'organiser le renouvellement de notre parc nucléaire, mais on peut plutôt craindre une tentative de verrouillage, pour prévenir l'arrivée de nouveaux producteurs sur le marché. Ne limitez-vous pas en effet la concurrence en préservant le "trading", le commerce de l'électricité aux seuls producteurs ?

Vous avez choisi, et la directive l'autorisait, de confier la gestion du réseau public de transport à une holding, ou plutôt à une entreprise intégrée à EDF, alors que sept de nos douze partenaires ont préféré créer une structure ad hoc. Rien ne garantit l'indépendance de cette nouvelle principauté au sein de l'entreprise publique. Certains expliquent que son directeur -nommé en conseil des ministres- voudra prendre ses distances par rapport à EDF pour affirmer sa légitimité mais je crois que ce sera plutôt un autre moyen de faire carrière à l'intérieur du système EDF. Or la neutralité est en l'occurrence indispensable et la formule d'un établissement public aurait été préférable.

Quant à la Commission de régulation, elle ne sera sollicité que pour avis, alors que nous aurions eu besoin d'une véritable agence indépendante, et capable de surveiller la tarification et le prix, d'une agence comparable à ce qu'est l'ART pour les télécommunications.

Enfin, l'extension du statut particulier à tous les concurrents d'EDF est un autre moyen de brider la concurrence, compte tenu des surcoûts qui en résulteront.

Ce texte, en troisième lieu, apparaît discriminatoire. Vous restreignez singulièrement l'étendue et les progrès futurs de l'éligibilité. Ce n'est d'ailleurs que par abus de langage que vous pouvez soutenir qu'elle concernera 400 entreprises : en fait, elle ne touchera que 40 groupes et 400 établissements industriels, ce qui n'est pas tout à fait la même chose !

D'autre part, les PME-PMI sont exclues. Si les grands groupes peuvent bénéficier de baisses de prix, pourquoi pas les petits et les moyens ? Quant aux particuliers, il est à craindre qu'ils doivent payer pour que les gros bénéficient de prix moins élevés.

M. le Secrétaire d'Etat - J'affirme que non !

M. François d'Aubert - Les collectivités locales vont-elles aussi passer à côté de l'ouverture du marché. Elles ne pourront à peu près pas être productrices elles-mêmes, et ce qu'elles produisent, elles devront le vendre, au lieu par exemple de s'en servir pour leurs échanges publics. Au total, votre projet se borne à une transposition vraiment très minime, et n'offre qu'une parodie de liberté. Vous tenez tellement à satisfaire vos alliés du Parti communiste et de la CGT pour lesquels EDF constitue un bastion, que vous oubliez le ressort même de la directive, à savoir une concurrence libre, saine et équilibrée. Prenez garde aussi aux risques d'inconstitutionnalité relevés par François Goulard, et aux possibles recours devant la Cour de justice des communautés européennes.

Pour toutes ces raisons, le groupe DL votera contre le projet (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Alain Cacheux - Le projet est l'aboutissement d'un très long processus.

L'élaboration de la directive européenne, d'abord, a duré plus de dix ans, pour aboutir le 19 décembre 1996, après des phases très contrastées. Ensuite le projet lui-même a été précédé d'une longue phase de concertation dont chacun s'est plu à souligner la qualité, à commencer par ceux qui n'approuvent pas la ligne générale du texte.

Il n'était pas facile, pour les socialistes et pour une majorité plurielle de gauche, de transposer une directive que nous avions combattue, parce qu'elle sacrifiait trop au libéralisme ambiant.

Placés aux responsabilités, nous ne l'aurions pas signée.

Si nous n'avons pas demandé sa renégociation, c'est d'abord pour respecter la signature de la France, c'est ensuite parce qu'il nous paraît plus urgent de combattre l'ultra-libéralisme sur d'autres terrains : celui de la lutte pour l'emploi, de la construction de l'euro, du nécessaire contrepoids à la Banque centrale européenne que doit apporter un pouvoir politique.

Enfin, la directive elle-même prenait en compte une notion du service public qui allait très au-delà de celle de service universel et faisait largement application du principe de subsidiarité. Il faut en donner acte à ses derniers négociateurs, et en particulier à M. Borotra.

Nous avons donc fait nôtre cette maxime : "la directive n'est pas bonne, essayons d'en tirer le maximum", pour le service public et pour l'entreprise publique.

Nous n'en sommes pas pour autant devenus des libéraux ; ne croyons pas au dogme selon lequel toute ouverture des marchés se traduit mécaniquement par la baisse des prix pour le consommateur.

Dans les pays qui ont pratiqué cette ouverture avant nous, les baisses de prix n'ont pas été évidentes les premières années et elles sont souvent dues à d'autres facteurs. De plus, EDF n'a pas attendu l'ouverture pour baisser ses prix depuis de nombreuses années.

Nous appliquons donc la directive a minima.

Nous étions d'autant moins demandeurs d'une modification de l'organisation du secteur de l'électricité qu'EDF apparaît comme une entreprise publique rentable, remplissant largement ses missions de service public, fournissant une électricité de qualité à un prix parmi les plus bas d'Europe.

Cette réussite est due au soutien constant des pouvoirs publics, depuis 25 ans, au programme électro-nucléaire, et aussi à tous les personnels d'EDF. EDF s'est illustrée par sa capacité à mettre en oeuvre, sans incident majeur, le programme électro-nucléaire français, qui favorise notre compétitivité économique et nous place en pointe dans la lutte contre l'effet de serre, comme l'a montré la conférence de Kyoto.

Framatome, la Cogema, Alsthom y ont pris une place importante ; les ingénieurs et les salariés d'EDF une place déterminante.

EDF représente aussi une conception moderne de l'entreprise publique, alliant rentabilité économique et progrès social pour ses salariés et enfin une conception renouvelée du service public et de l'intérêt général, qui va de la péréquation tarifaire à la fourniture pour tous en passant par l'implication dans les dispositifs pauvreté-précarité. Il y a longtemps que les salariés d'EDF ne prennent plus les usagers en otages par des coupures intempestives lors des mouvements sociaux.

EDF a ainsi tous les atouts pour relever le défi de la concurrence, pour faire, selon les termes de son président, de l'Europe son marché domestique.

Les socialistes seront vigilants sur la défense et même le renforcement du service public. Dans une période où tant de nos concitoyens sont exclus l'électricité est devenue un bien de première nécessité.

Ils le seront aussi sur la défense de l'entreprise publique EDF, opérateur historique, dont l'unité est maintenue.

Mais puisqu'on ouvre le marché à la concurrence, il faut donner à EDF les moyens de se battre à armes égales, et notamment de pouvoir présenter aux clients éligibles une offre globale comme ses concurrents.

Si les petites cogénérations doivent être soutenues, il n'y a aucune raison qu'un prix de complaisance subventionne les grosses cogénérations, hautement rentables.

Enfin, nous serons vigilants sur les droits des salariés. Car comment accepter que le moteur principal de la concurrence soit la dégradation des conditions de travail et de rémunération des salariés ?

C'est pourquoi nous approuvons l'obligation faite à tout nouvel entrant sur le marché d'adopter le statut des industries électriques, comme le disposait la loi de 1946. Pourquoi ne pas imaginer une Convention européenne de branche dans ce secteur ?

La large consultation à laquelle vous avez procédé, votre capacité d'écoute, aboutissent à un projet équilibré, propre à maintenir la cohésion sociale de l'entreprise, et à donner à EDF tous les moyens d'affronter victorieusement la concurrence tout en conservant son haut niveau de service public. Les députés socialistes contribueront à enrichir le texte tout en en maintenant l'équilibre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.

Prochaine séance ce mercredi 17 février, à 9 heures.

La séance est levée à 0 heure 40.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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