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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 65ème jour de séance, 165ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 17 FÉVRIER 1999

PRÉSIDENCE DE M. Raymond FORNI

vice-président

          SOMMAIRE :

DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT SUR L'AVENIR DU SECTEUR BANCAIRE ET FINANCIER 1

La séance est ouverte à neuf heures.


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DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT SUR L'AVENIR
DU SECTEUR BANCAIRE ET FINANCIER

L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur l'avenir du secteur bancaire et financier et le débat sur cette déclaration.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Ce débat, organisé à la demande de M. Brard et des membres du groupe communiste, est une heureuse initiative. Vingt mois après l'arrivée de la nouvelle majorité, il est utile de dresser un premier bilan, au moment où de grandes restructurations sont en cours en Europe et en France même.

Nous débattrons dans quelques semaines de l'avenir des caisses d'épargne. En outre, même s'il est encore un peut tôt pour le faire, nous pouvons tirer les premiers enseignements du lancement de l'euro.

Je souhaite que ce débat nous aide à établir, pour parler pompeusement, un contrat de mutation entre le pays et son secteur bancaire, dont l'avenir doit être garanti. Un tel contrat est indispensable, après cette longue période d'immobilisme qu'ont été les années 90. Nous devons dépasser nos vieilles querelles, en particulier l'opposition entre banques AFB et banques mutualistes, car si notre secteur bancaire est différencié, cela n'écarte pas toute possibilité de coopération. Il nous faut parvenir, en somme, à mettre le secteur financier au service de la croissance, de l'emploi et de l'investissement. Il n'y a pour cela qu'une méthode : la concertation. Nous avons aussi besoin d'un calendrier, de sorte que les mutations ne nous soient pas imposées, mais que nous en conservions la maîtrise.

En juin 1997 -je prends cette date au hasard- (Sourires), la situation était tout à fait bloquée. Dans le secteur bancaire privé, peu de choses avaient changé. Dans la sphère publique, beaucoup de dossiers restaient pendants.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances et Didier Migaud, rapporteur général - Tout à fait !

M. le Ministre - Un certain nombre de restructurations devaient pourtant être engagées et un travail d'étude avait déjà été réalisé : je pense aux rapports Lambert et Auberger. Malgré des constats alarmistes, il ne s'est pas passé grand-chose. De la précédente législature, il reste l'abrogation quelque peu subreptice du décret de 1937 sur les horaires d'ouverture des banques -auquel restent toutefois soumises les compagnies d'assurance-, l'inclusion des banques dans le champ de compétence du comité de réglementation comptable et l'utilisation de fonds publics pour venir en aide à certaines entreprises bancaires. Nous parlerons tout à l'heure du Crédit Lyonnais, mais il y a eu d'autres cas d'interventions : le Comptoir des Entrepreneurs et le Crédit Martiniquais, par exemple.

Quelle était la logique de l'Etat actionnaire ? Le secteur public, particulièrement financier, était frappé d'anathème. L'économie administrée était par essence mauvaise et le libéralisme allait tout résoudre -ce qui n'a pas empêché, je l'ai dit, un certain nombre d'interventions publiques en faveur d'établissements privés.

On a commis un contresens en ne distinguant que deux questions : la stratégie de l'entreprise et la propriété du capital. Quand la seule volonté de privatiser tient lieu de stratégie, les résultats sont nécessairement décevants. Prenons le cas de la Caisse Nationale de Prévoyance. Son schéma de réorganisation du capital était prêt depuis 1992, mais la réforme n'a eu lieu qu'en 1998. Tout montrait que cet opérateur avait vocation à rester dans le secteur public, ce qui contrariait la ligne stratégique adoptée. On n'a donc rien fait entre 1992 et juillet 1997, quand ce gouvernement a décidé de maintenir la CNP dans la sphère publique. Son capital a été réorganisé à la satisfaction de tous.

Je pourrais citer d'autres cas de dossiers laissés en attente, y compris devant la Commission de Bruxelles : celui du Crédit Lyonnais, ceux du GAN et du CIC, sans oublier la Société Marseillaise de Crédit.

M. Jean-Jacques Jegou - Allons, Monsieur le ministre !

M. le Ministre - Pour la SMC, la procédure avait été ouverte en novembre 1996, mais rien n'avait été fait en juin 1997. Je reconnais, Monsieur Jegou, que cette société est de taille plus modeste que les autres -encore que, dans le secteur bancaire, toute défaillance peut avoir des conséquences fâcheuses sur l'ensemble du système.

Depuis vingt mois, nous avons agi dans trois directions : renforcement du secteur public, protection des épargnants et de la circulation financière, innovation dans les domaines où c'était nécessaire.

Ne rien faire aurait été catastrophique : cela aurait signifié mettre en danger le secteur financier et ses 500 000 emplois, asphyxier l'investissement et la croissance, renoncer à utiliser le secteur financier dans la lutte pour la solidarité et contre les exclusions.

Il fallait, tout d'abord, sauver le secteur public, en ayant pour critères l'intérêt de l'Etat -donc du contribuable- celui de l'entreprise et celui des salariés. En effet, comme le Premier ministre l'a déjà indiqué à plusieurs reprises, pour ce gouvernement la privatisation n'est jamais un objectif. Parfois, l'évolution est contrainte : il arrive que les autorités européennes considèrent qu'il y a eu distorsion de concurrence en raison d'une recapitalisation publique et qu'en conséquence, il faut mettre l'entreprise sur le marché. Ce fut le cas pour le GAN ou le CIC, qui avaient été fortement recapitalisés à la suite de gestions discutables. De même, pour le Crédit Lyonnais, les plans de sauvetage ont eu pour contrepartie la demande par les autorités bruxelloises d'une mise sur le marché. Certains peuvent considérer que c'est tant mieux, d'autres que c'est bien dommage ; j'ai bien sûr ma propre analyse,...

M. François Goulard - On aimerait la connaître !

M. le Ministre - ...mais en tout été de cause il y a contrainte. Dans d'autres cas, une analyse stratégique conduit à penser qu'il est dans l'intérêt de l'Etat, de l'entreprise et des salariés de procéder à une ouverture du capital ou à une mise sur le marché.

Par exemple, le dossier du GAN et du CIC -filiale du GAN- a donné lieu à une vaste concertation, notamment avec les organisations syndicales, et a été réglé en moins d'un an. Le CIC a été cédé au Crédit Mutuel, le GAN à Groupama, deux structures du secteur mutualiste ; grâce à cette opération, l'Etat a récupéré la vingtaine de milliards qui avait été accordée à ces entreprises sous forme d'aides publiques : au total, donc, l'opération est neutre ; les entreprises ont été sauvées par l'argent public, mais la cession a permis de rembourser l'Etat.

Auparavant, l'opération lancée sur le CIC par la majorité précédente avait dû être interrompue devant la bronca des syndicats et des élus, de toutes tendances...

M. Jean-Louis Dumont - Notamment des maires !

M. le Ministre - En effet. Il n'y avait pas eu de concertation ; nous l'avons donc organisée. Des engagements sociaux ont été pris par les repreneurs, pour le GAN comme pour le CIC, vérifiables par les pouvoirs publics et par les partenaires sociaux. C'est un point très important : il faut faciliter les restructurations, mais il n'y a aucune raison pour qu'elles se fassent au détriment des salariés.

Le cas de la Société Marseillaise de Crédit chagrine M. Jegou... Le sauvetage s'est effectué in extremis, à la suite d'un changement de président qui était pour le moins nécessaire, comme l'a montré l'audit réalisé en 1997. L'opération, lancée le 21 avril, s'est terminée le 12 juin. Le CCF, certes dans des conditions qui ne sont pas faciles, a pris en charge l'avenir de cette banque qui était en déshérence depuis des années.

Pour la Caisse Nationale de Prévoyance, la discussion avec le personnel a elle aussi été fructueuse. La réorganisation du capital autour de la CDC, de La Poste, des caisses d'épargne et des mutuelles, qui s'est terminée en octobre 1998, permet à cette structure de remplir sa mission particulière : il est bon que nous ayons un organisme d'assurances de cette nature dans le secteur public.

S'agissant du Crédit Foncier, le Gouvernement, il faut le reconnaître, a fait l'erreur de vouloir poursuivre la procédure engagée par mon prédécesseur, M. Arthuis. Il s'est en effet révélé impossible de trouver un repreneur dans des conditions respectant l'intérêt de l'Etat, des salariés et de l'entreprise ; l'été dernier, la négociation avec un repreneur américain a échoué sur des questions patrimoniales. Il a donc fallu changer de procédure, ce qui signifiait d'abord clarifier le bilan du Crédit Foncier. Maintenant que c'est fait, de nouvelles candidatures arrivent, notamment celle des caisses d'épargne ; je pense donc que nous parviendrons à une solution heureuse, d'autant que le projet de loi sur l'épargne et la sécurité financière qui vous sera soumis dans quelques semaines, tend à créer des obligations foncières, qui constitueront un instrument particulièrement utile pour le développement du CCF.

Le dossier du Crédit Lyonnais est emblématique mais je ne peux m'y étendre longuement. La première étape a été la remise en place du CDR, qui avait été mal conçu. En prévoyant une défaisance rapide, on a mis le Crédit Lyonnais en situation de dévaloriser considérablement ses actifs : quand un marchand s'installe sur les grands boulevards à Paris et déclare que tout doit être parti dans la journée, il ne vend pas au meilleur prix ; la technique a été celle-là, puisqu'on a dit que tout devait être vendu en deux ans... En outre, la succession de contrôles répétitifs n'a pas empêché, par ailleurs, les interventions politiques. J'ai donc voulu, d'une part, reconnaître au CDR une indépendance dans la gestion de ses actifs, en lui donnant le temps de vendre au mieux. La responsabilisation du CDR ne veut pas dire que l'Etat ne contrôle pas ; une fois par an, il définit la stratégie avec le CDR et celui-ci, ensuite, agit seul, en ayant pour consigne de saisir la justice chaque fois qu'un doute apparaît sur la qualité des dossiers. Le CDR est maintenant sur les rails sous la direction de Raymond Lévy.

Parallèlement, le Crédit Lyonnais, séparé du CDR, a retrouvé une santé dans son activité opérationnelle. Le problème aurait pu venir d'un refus du plan de sauvetage par les autorités bruxelloises ; si une décision en ce sens avait été adoptée, comme on en a parlé en mai dernier, on pouvait arriver à la faillite du Crédit Lyonnais : c'était inconcevable pour une banque de cette taille, mais la menace était réelle car la Commission de Bruxelles était excédée par les lenteurs du gouvernement français. Une négociation a eu lieu et nous sommes arrivés à un accord, respectant les engagements pris par le gouvernement Juppé concernant la mise sur le marché, mais préservant les intérêts de chacun.

Le processus, qui doit se terminer au plus tard le 31 octobre, sera lancé au cours du premier semestre. Ainsi, nous pourrons clore définitivement ce chapitre malheureux de notre histoire financière, dont les responsabilités sont lointaines pour ce qui est des erreurs de gestion, mais plus récentes pour ce qui est du traitement du dossier.

Le réseau des caisses d'épargne occupe, avec ses 30 millions de clients, une place originale dans le système financier français. M. Douyère a fait un rapport sur son avenir et sur les transformations minimales de nature à lui permettre de se développer face à la concurrence, de plus en plus impitoyable, que se livrent des mastodontes de plus en plus gros, tout en conservant son statut spécifique, qui est une particularité de notre pays. Nous aurons l'occasion d'y revenir.

Les grands groupes publics ont donc retrouvé une perspective respectueuse de l'emploi, s'appuyant sur un pôle puissant comprenant la Caisse des dépôts, la CNP, La Poste et les caisses d'épargne. Mais il ne suffit pas de renforcer, il faut aussi protéger, et la solidarité doit concerner l'ensemble du secteur financier : je ne serais pas favorable à ce qu'il y ait des "banques des riches" et des "banques des pauvres".

Concernant la solidarité, nous avons pris quatre mesures. La première consiste à concilier la rémunération satisfaisante de l'épargne populaire et le financement du logement social à des conditions avantageuses...

M. Jean-Jacques Jegou - Ce n'est plus le cas !

M. le Ministre - ...en instituant un taux plancher, égal à celui de l'inflation majoré d'un point, et un taux plafond égal au taux du marché moins un demi-point. Les PAP, dont les mensualités progressives devenaient vite insupportables, ont été réformés de façon à solvabiliser les familles. La loi sur l'exclusion comporte une disposition instituant un véritable droit au compte bancaire - mais nous devrons poursuivre notre réflexion, notamment dans le cadre européen, sur le contenu du service bancaire de base, au-delà de ce droit minimal. Enfin, la réforme de la loi sur le surendettement donnera aux débiteurs de nouvelles garanties, de nouvelles chances et de nouveaux outils pour se sortir de leur situation.

Protéger, c'est aussi lutter contre les nouvelles causes d'insécurité financière, en renforçant les autorités de contrôle, en améliorant les garanties des déposants et en clarifiant les procédures de liquidation afin que les clients n'en pâtissent pas si d'aventure elle devait être prononcée. Le projet que défendra bientôt le Gouvernement va très loin, puisqu'il prévoit, à l'encontre des entreprises mal gérées, des sanctions pouvant aller jusqu'à l'interdiction de verser des dividendes, voire jusqu'à l'expropriation des actionnaires s'il apparaît qu'ils ont agi contrairement à l'intérêt des déposants. Au niveau européen, la France a fait des propositions visant à harmoniser la fiscalité de l'épargne, car il est anormal que certains pays pratiquent des taux d'imposition à ce point faibles qu'ils entraînent des déplacements de capitaux déstabilisants pour leurs voisins. Au niveau international, enfin, la mondialisation économique et financière appelle une nouvelle régulation, pour laquelle la France, c'est d'ailleurs une tradition quel que soit son gouvernement, a émis des propositions novatrices sur lesquelles je ne reviens pas.

Dernier sujet : l'innovation. La finance doit être au service de la croissance et de l'emploi, et non l'inverse. Pour cela, nous devons encourager les investissements à risques, qui sont à l'origine, de nombreux exemples étrangers le montrent, du développement de nouveaux secteurs créateurs d'emplois. Nous avons proposé la création d'un fonds de capital-risque qui a séduit nos partenaires - et même la Banque européenne d'investissement, ce qui est une petite révolution... Vont dans le même sens, celui de la réorientation de l'épargne vers l'investissement créateur d'emploi, la réforme de l'assurance vie et celle de la BDPME, ainsi que le débat que nous avons eu dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale, et que nous reprendrons à l'occasion de l'abrogation de la loi Thomas. Il en va de même de la réforme des marchés financiers contenue dans le DDOEF de l'an dernier, et dont l'objectif était de maintenir la place financière de Paris, tout en encourageant le développement de l'économie sociale.

Quelles sont les perspectives ouvertes par ce vaste mouvement de restructuration du système financier, auquel l'Etat, mais aussi le secteur mutualiste et le secteur bancaire traditionnel ont contribué ? La course à la taille critique est lancée, et nous aurions tort d'essayer de freiner ce mouvement : l'effet de taille et de notoriété est essentiel, s'agissant d'un bien qui circule, comme nul autre, d'un bout à l'autre de la planète. Oui à la concentration, donc, mais à certaines conditions. La première, c'est qu'elle ait un sens industriel : il faut qu'un plus un fasse plus que deux, et il ne servirait à rien de juxtaposer des entités qui n'ont entre elles aucune complémentarité. La seconde, c'est qu'elle ait un sens social : il est exclu de faire payer aux salariés le prix de la restructuration, et les pouvoirs publics ont obtenu, depuis vingt mois, des engagements sociaux précis -et tenus. La troisième, enfin, c'est qu'elle ait un sens national : les entreprises ne sont pas apatrides, et je ne crois nullement indifférent qu'elles aient leur siège social ici ou bien ailleurs...

Ce mouvement de restructuration est évidemment collectif, et tel est le sens du contrat de mutation que nous allons proposer à tous les partenaires du secteur, car ce qui les rapproche est plus important que ce qui les sépare, et la diversité qui fait la force du système ne doit pas devenir sa faiblesse sous l'effet d'oppositions stériles. Il s'agit de construire une maison commune à l'ensemble du secteur financier, avec des règles communes de fonctionnement et une garantie solidaire. Plus qu'ailleurs, nous devons faire rimer efficacité économique et dialogue social. Oui à la rentabilité, car elle seule permet d'investir et de soutenir l'investissement, non à des opérations qui détruiraient ce qui fait la valeur même des entreprises du secteur, c'est-à-dire le service à la clientèle, la sécurité des épargnants et l'innervation du tissu social.

De ce point de vue, il est indispensable que l'AFB parvienne à signer une nouvelle convention collective avant la fin de l'année, afin que le dialogue social reprenne.

Il faut aussi que l'Etat assume ses responsabilités dans le contrat de mutation, en renforçant les entreprises publiques -il l'a déjà fait-, en protégeant les clients -le mouvement est engagé et se poursuivra avant la loi sur l'épargne-, en favorisant l'innovation -ce qui n'a jamais été suffisamment fait.

En mettant l'accent sur l'emploi, la croissance et la solidarité -au sein du système par les garanties mais aussi vis à vis des citoyens notamment en matière de surendettement et de droit au compte-, le secteur financier est bien au centre de la politique du Gouvernement.

Nous sommes aujourd'hui à un tournant. Ce qui devait être fait pour sauver le passé est pratiquement achevé, à l'exception d'un ou deux dossiers. Ce qui doit être fait pour assurer l'avenir a commencé mais demeure largement en gestation. Ce débat est donc bienvenu et j'y vois une bonne utilisation du temps parlementaire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Jean-Jacques Jegou - Il est toujours difficile de monter à la tribune après un orateur tel que vous, Monsieur le ministre. Mais cette fois, nous sommes restés sur notre faim car vous vous êtes livré à un exercice imposé afin de satisfaire une partie de la majorité plurielle, le parti communiste, allant jusqu'à reprendre les propos tenus récemment par M. Bocquet. Mais si ce dernier sera en gros d'accord avec ce que vous avez dit ce matin, il ne le sera certainement pas avec ce que vous faites réellement...

M. Bocquet et le parti communiste sont contre la privatisation du Crédit Lyonnais,...

M. Alain Bocquet - Eh alors !

M. Jean-Jacques Jegou - ...contre la réforme du système bancaire,...

M. Christian Cuvilliez - Pas du tout !

M. Jean-Jacques Jegou - ...contre la réforme des caisses d'épargne, et je pourrais continuer.

M. Alain Bocquet - Nous sommes contre l'argent roi !

M. Jean-Jacques Jegou - On le voit, ses positions n'ont pas grand-chose à voir avec la politique du Gouvernement.

Dans vos reproches contre l'ancienne majorité, vous avez eu la mémoire courte, faisant débuter la vie du système bancaire en 1993. J'essaierai de ne pas tomber dans vos travers même si, en ce qui concerne la Société Marseillaise de Crédit, il me serait aisé de faire observer qu'à l'époque le patron, c'était vous. Au Crédit Lyonnais aussi...

Pour ma part, dans un souci de vérité historique, je ferai débuter mon propos non pas en 1981 mais à la nationalisation du système bancaire par le Conseil national de la Résistance.

M. Christian Cuvilliez - Très bonne mesure !

M. Jean-Jacques Jegou - A la sortie de la guerre, les banques françaises apparaissaient comme un outil majeur de l'économie de la reconstruction. Leur nationalisation par le Conseil national de la Résistance était donc une nécessité. Elles devenaient, de ce fait, un service public. Quand Michel Debré, en 1966, commençant à entrevoir le besoin de libéraliser ce secteur, fit fusionner le CNEP et la BNCI, cela aurait pu marquer le départ d'un nouveau système bancaire. Il n'en a rien été et la BNP qui venait de naître est restée publique.

L'idée aurait pu être généreuse si l'Etat s'était montré bon actionnaire. Hélas, alors que les banques étrangères se dotaient des fonds propres nécessaires à leur développement, les banques françaises étaient privées d'apport de capitaux. Dès les années 1976-1978, cela s'est fait réellement sentir, mais l'Etat a préféré bricoler, par exemple en faisant entrer l'UAP dans la BNP et en augmentant ainsi ses fonds propres sans mettre la main au portefeuille...

En 1981 la nationalisation autoritaire de toutes les banques ayant plus d'un milliard de dépôt a constitué un véritable handicap pour la France. Et l'Etat s'est montré aussi très mauvais gestionnaire. Le Crédit Lyonnais, qui coûtera plus de 120 milliards aux contribuables ; la Société Marseillaise de Crédit, autre véritable catastrophe ; la liste est longue et l'ardoise assez effrayante.

Il aura donc fallu 18 ans et 120 milliards de pertes pour qu'enfin vous privatisiez le Crédit Lyonnais.

Au cours des cinquante années écoulées, le système bancaire est devenu dans l'esprit des Français un véritable service public, géré par des hauts fonctionnaires dans une certaine consanguinité avec le ministère des finances et le Trésor.

Du point de vue social, le secteur bancaire a également subi une autarcie de plus de soixante ans : le décret de 1937, la convention collective de 1952 ont étouffé toute possibilité d'aller de l'avant. C'est l'action courageuse de MM. Barrot et Arthuis, en 1997, qui a débloqué les choses par l'abrogation du décret de 1937.

M. Jean-Pierre Balligand - Arthuis, c'est le Crédit Foncier...

M. Jean-Jacques Jégou - Les tentatives de modernisation du début des années 1990 ont été étouffées dans l'oeuf par le secteur public.

Mais c'est peut-être grâce à cela, et aussi, reconnaissons-le, aux 35 heures de Martine Aubry, que les banques ont dénoncé les conventions.

L'accord que viennent de signer les banques AFB sur les 35 heures est à ce titre exemplaire. Il assure le maintien des salaires, consolide les avantages des salariés, enclenche le mouvement de réduction du temps de travail, favorise l'organisation de la semaine de quatre jours, crée un compte épargne temps. Il est aussi prometteur en terme de création d'emplois. Enfin, ce n'est pas négligeable, il rouvre un dialogue social figé depuis bien trop longtemps.

Bien sûr, il faudra régler la question du statut des salariés-fonctionnaires de la Banque de France, qui ne sont ni dans le privé, ni dans le public.

La fiscalité demande aussi à être modernisée puisque notre système bancaire subit des taxes qui sont de véritables boulets. Ainsi, la taxe sur les salaires, qui remplace la TVA sur les activités bancaires, représente 10 % des salaires, soit 5 milliards pour les seules banques AFB, pour lesquelles, avec la contribution sur les activités financières, le prélèvement total est de 6,2 milliards pour un résultat net de 10 milliards...

Pour, au total, une douzaine de milliards perdus dans le budget de l'Etat, on bloque la création d'emplois. Il faudra bien un jour s'attaquer à ce dossier.

Vous avez évoqué, Monsieur le ministre, les taux administrés. Mais n'est-il pas inquiétant que les organisations HLM aient intérêt à rechercher un financement auprès du secteur privé ?

L'état actuel du secteur bancaire souligne l'importance de sa réorganisation et d'une recentralisation des différentes activités. Notre système bancaire est multiple, voire éparpillé, et il semble commencer à provoquer de lui-même un tremblement de terre. Les banques coopératives et mutualistes sont en pleine évolution, et l'on pourrait évoquer ici la prochaine réforme des caisses d'épargne.

On assiste, d'autre part, à nombre de rachats et de fusions. Ainsi la Banque Populaire rachète Natexis, résultat d'une précédente fusion entre le Crédit National et la BFCE, cependant que la Société Générale fusionne avec Paribas. Se pose, enfin, la question de la concentration des banques françaises. Les dix plus grands établissements ou réseaux contrôlent plus de 80 % des dépôts et plus des deux tiers des crédits à l'économie. Cependant le degré de concentration est faible et aucun établissement, hormis le Crédit Agricole, n'a de part de marché dominante en France.

Nous devons nous féliciter de ces évolutions, qui doivent aboutir à donner la taille critique à un certain nombre de banques et permettre une spécialisation sectorielle indispensable. Notre tissu bancaire devrait reposer sur la coexistence de différents secteurs. Vous avez évoqué cet aspect, Monsieur le ministre, mais avec un à-peu-près qui ne vous ressemble pas. Le premier secteur est la banque nationale, à vocation internationale : c'est la Société Générale-Paribas, mais aussi le Crédit Agricole et la BNP, qui doivent rechercher des partenaires, d'autant que l'euro va provoquer la concurrence d'acteurs solidement établis, suisses, hollandais, allemands et surtout américains. Mais les investissements nécessaires pour parvenir à une taille critique mondiale sont importants, et le retour sur investissement reste souvent lointain.

Le deuxième secteur est celui de la banque nationale, et à vocation européenne ; il s'agit de banques de moins grande taille, partenaires et concurrentes de nos voisines européennes. Le troisième secteur serait celui des banques nationales à réseau local, voire à compétence particulière. C'est tout d'abord le réseau des caisses d'épargne, qui doit être une banque de proximité, moteur de développement local, tout en ayant vocation à passer des accords avec ses partenaires allemands, italiens, espagnols ou portugais. C'est aussi la BDPME, qui doit se recentrer sur le soutien aux PME et sur le capital risque trop peu développé. C'est, enfin, le Crédit Local de France-Dexia, pour le développement des collectivités locales. Pour ces deux derniers secteurs, le plus important sera de gérer les coûts de gestion de leurs réseaux, et de réaliser les investissements nécessaires pour les développer.

Il faut favoriser cette spécialisation. Le renforcement du système bancaire français exige cette restructuration.

Un mot sur la place financière de Paris, qui joue en ce moment son avenir entre la City de Londres et Francfort. En 1996, la transposition de la directive sur les services d'investissement avait modernisé les activités financières de la bourse française ; j'avais eu l'honneur d'être le rapporteur de ce texte. Trois ans après, on peut se demander quel espace occupe la bourse de Paris, entre Francfort et Londres. On pouvait certes douter d'égaler la City, qui jouit de son antériorité et de sa culture. Mais on peut s'étonner de voir Francfort exploser et devenir l'autre plaque tournante de la finance européenne, voire son centre. J'y étais il y a quinze jours : j'ai pu constater l'état d'esprit conquérant et sans complexe de ses dirigeants, véritables hommes d'affaire qui ont su développer des systèmes de négociations et de règlements des obligations, des contrats optionnels, etc. Francfort devient la référence pour l'ensemble des marchés, y compris, à terme, le marché monétaire. La place de Paris devra opérer une rénovation importante.

Dans ce cadre, la banque est un opérateur essentiel. L'offre et la demande de capitaux devenus planétaires ont entraîné le développement d'une activité ayant sa propre logique, ses fluctuations et ses risques, ce qui conduit la banque à s'y adapter avec des techniques de plus en plus sophistiquées. Nous devons prendre conscience de l'urgence, d'autant que l'arrivée de l'euro verra des migrations de capitaux à l'intérieur de l'Europe vers les centres financiers. La Bourse française a besoin d'autonomie, de souplesse, et d'une réforme de la fiscalité pour réduire les inégalités qui la défavorisent par rapport aux autres pays de l'Union. Il y va de sa survie.

Enfin, Monsieur le ministre, vous avez consacré une grande partie de votre intervention au pôle public. Mais celui-ci est double. Il y a tout d'abord la Caisse des dépôts et consignations. L'exception française n'a pas que des mauvais côtés : la France a une chance exceptionnelle, qu'elle doit à Louis XVIII. Celui-ci, pour garantir l'épargne des Français mise à mal lors des conquêtes révolutionnaires et napoléoniennes, a créé la Caisse des dépôts par une loi d'août 1816. Celle-ci a développé dans le secteur concurrentiel des activités financières sophistiquées. Mais elle est aussi, depuis toujours, le bras armé de l'Etat, qui devrait d'ailleurs apprendre à mieux s'en servir, et pas seulement pour rendre service au budget de l'Etat. La Caisse a dû couvrir des opérations hasardeuses que l'Etat ne pouvait réaliser en propre -Crédit Lyonnais, Air France- ou encore, hélas, le Crédit Foncier.

A l'aile gauche de la majorité qui réclame un "grand pôle public", il faut dire la vérité : ce pôle existe déjà. En effet, qui mieux que la Caisse des dépôts peut s'occuper du logement social, de la politique de la Ville, et même du financement d'équipements et d'infrastructures d'intérêt général ?

Malheureusement, à côté de ce pôle public constitué par la Caisse des dépôts, il existe un service public dont il faudra bien définir les contours : La Poste. Celle-ci a pour vocation la distribution du courrier, ce qu'elle fait très bien. Mais elle a pris au fil du temps des positions au sein du secteur bancaire, financier et des assurances.

M. le Président - Il est temps de conclure.

M. Jean-Jacques Jégou - Cette place, La Poste l'a prise à des conditions parfois contestables. Je pense à la mise à disposition de l'Etat des dépôts des chèques postaux, que celui-ci rémunère sur la base des taux des OAT à 10 ans, soit à 4,75 %, taux de l'an passé alors que ce taux était de 3,80 % début février. Je pense aussi à la sur-rémunération du Livret A ; aux avantages fiscaux avec un abattement de 85 % de la taxe professionnelle ; et à certains comportements déloyaux : abus de position dominante, services financiers à la limite de la réglementation bancaire. Nous avons bien là une concurrence déloyale. La Poste ne peut poursuivre ses activités dans ces conditions, sauf à provoquer une surbancarisation de notre pays.

Toutes les fameuses exceptions françaises dont j'ai parlé constituent un véritable handicap pour notre secteur bancaire : il souffre d'un décalage trop important, entre son image toujours présente de secteur public, et la réalité de l'euro. Celui-ci doit être la chance de moderniser notre système bancaire et financier, afin qu'il ne reste plus isolé en Europe et dans le monde (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Christian Cuvilliez - Nous ne pouvons que nous féliciter de ce débat que nous avions demandé. Si le Parlement possède certaines prérogatives en matière budgétaire qui mériteraient d'être étendues, la politique monétaire et la manière dont les banques utilisent l'argent déposé par nos concitoyens restent largement confinées dans le secret, alors que leur activité peut tout à fait s'assimiler à un service public, voire à un pouvoir public de première importance. Ouvrir ce débat à l'échelle de la société constitue un vrai enjeu de citoyenneté.

C'est d'autant plus urgent que la gravité de la crise financière, cependant que s'effectue le passage à l'euro et que la croissance ralentit, notamment en Europe et en France, invite à reconsidérer le rôle des banques et des institutions monétaires nationales, mais aussi européennes et internationales. Alors que grandit l'aspiration à une Europe sociale et que l'Europe en vient à afficher des objectifs d'accès à la formation ou à l'emploi, la priorité demeure à une politique monétaire restrictive et à la déflation sociale. Comment ne pas s'inquiéter de la fragilisation des institutions financières de notre pays, et de leur extraversion, qui a pour corollaire le poids préoccupant des contrôles étrangers ?

C'est la conséquence de la déréglementation et de la privatisation des institutions bancaires et financières, et de la montée en puissance des marchés financiers. Depuis des années les banques sont poussées à délaisser l'intermédiation classique pour devenir les intermédiaires des marchés financiers. Fin 1997 les établissements français de crédit possédaient un portefeuille de titres d'environ 3 525 milliards. L'argent levé par les banques sur les marchés financiers, pour compenser la baisse des dépôts de particuliers consécutive au chômage, a surtout servi aux placements financiers. Les banques françaises résidentes auraient ainsi créé pour 141 milliards de dollars de liquidité au profit des non-résidents, soit près de 10 % de la création mondiale de liquidité de 1987 à 1997. Ces liquidités ont servi à faire de l'argent en Asie, mais aussi à financer l'achat par des résidents étrangers d'obligations et d'actions françaises, renforçant ainsi, de façon préoccupante, le poids de l'actionnariat étranger dans le capital des grands groupes qui sont au coeur de notre système productif.

Les privatisations ont exacerbé l'exigence de rentabilité, entraînant des suppressions d'emplois dans le secteur financier, une sélectivité accrue des prêts, et une concurrence effrénée autour des clients les plus rentables, au mépris des besoins des populations jugées moins solvables, mais aussi bien des PME-PMI. Cette logique financière tend à fragiliser les tissus économiques et les populations.

Faut-il dès lors choisir la fuite en avant, en accélérant les restructurations et concentrations bancaires, en créant des fonds de pension, ou en mobilisant le secteur mutualiste, la Caisse des dépôts, le semi-public ou les caisses d'épargne, dans une logique de rentabilité accrue pour sécuriser et dynamiser la place financière de Paris ? Le projet de réforme du statut des caisses d'épargne, rejeté par tous les syndicats, contredit dans sa forme actuelle la nécessité d'une action plus efficace des caisses pour le logement, l'emploi, l'équipement des collectivités locales, ou pour développer un réseau décentralisé assurant une vraie mission de liaison sociale. Nous sommes également inquiets des conséquences qu'aura pour les DOM la filialisation de l'IEDOM, que ne justifie aucun impératif d'intérêt général.

Comment maintenir le concept de missions d'intérêt général si les marchés financiers continuent de piloter les banques et le crédit, rendant toujours plus impérative la recherche de la rentabilité maximale ? C'est dire l'impasse où l'on s'enfermerait si l'on essayait de préserver le mutualisme ou les organismes d'intérêt général sans avoir la notion claire d'une transformation d'ensemble.

Sur la nécessité de celle-ci, tout le monde s'accorde, mais vraisemblablement sans en avoir la même conception. Or contester la domination des marchés financiers implique de trouver des solutions alternatives, pour le financement des entreprises et de l'économie : il faut réinventer la mission sociale, la mission d'intérêt commun du crédit. Le taux de celui-ci serait en effet d'autant plus bas qu'il correspondrait à des engagements précis des entreprises en termes de créations d'emplois ou de dépenses pour la formation. Il y va de la prospérité des banques, donc de l'emploi dans ce secteur.

C'est dans cette perspective que prend tout son sens le projet de conforter le pôle public et semi-public, à vocation sociale mutualiste ou à but non lucratif, comme outil de lutte contre l'exclusion mais aussi de développement. Les établissements semi-publics, qui ont tant souffert de la casse de leurs outils d'intervention menée par la droite, doivent voir leurs missions reprécisées et recevoir les moyens de se développer. Les salariés ont avancé des propositions crédibles en ce sens. Le coût déjà acquitté par nos concitoyens pour solder les années quatre-vingt justifie pleinement que le Lyonnais demeure propriété de la Nation : on voit mal ce qui empêcherait de renégocier avec Bruxelles un contrat léonin et nous pourrions disposer à partir de là d'un pôle d'impulsion, permettant de sécuriser les coopérations entre les banques en France et en Europe et de constituer un réseau au service de l'emploi et de la formation.

Nous proposons de mettre en place des conférences financières, réunissant syndicats représentatifs, comités d'entreprise, dirigeants d'entreprise et élus afin d'étudier les montages financiers les plus aptes à développer l'emploi stable. Dans toutes les régions devraient être créés des fonds décentralisés, alimentés par la conversion des aides à l'emploi, que l'on consacre actuellement par trop à abaisser les coûts salariaux. Ces fonds serviraient à amorcer le crédit, en coopération avec le pôle public : cela contribuerait à sécuriser les engagements des banques, en favorisant au refinancement par le relais de la Banque de France. Dans le même esprit, ce pôle pourrait aider à des coopérations au bénéfice de tous les habitants de l'Union européenne. Un organisme à but non lucratif tel que la Banque européenne d'investissement se grandirait à développer dans ce cadre l'octroi de prêts bonifiés aux PME-PMI, dès lors qu'elle pourrait elle-même compter sur un refinancement par la Banque centrale européenne. D'où la nécessité de modifier le statut de celle-ci et de renforcer le contrôle du Parlement européen et des parlements nationaux pour mobiliser la politique monétaire en faveur d'une relance orientée vers l'emploi et les équipements d'intérêt général. La réforme des structures ne saurait en effet être définie et appliquée qu'en y associant la représentation nationale et, en tout premier lieu, les groupes de la majorité, mais elle demande aussi l'intervention active des citoyens et des salariés. Le présent débat doit donc en annoncer un autre, à l'échelle du pays. Nous souhaitons donc que le Gouvernement soit à l'écoute, et de l'ensemble de la majorité, et de l'ensemble du mouvement social et citoyen. Il y va du succès de la politique menée depuis juin 1997, auquel notre groupe entend bien contribuer.

Tel est le sens des propositions et réflexions que nous souhaitons voir discutées et, bien sûr, prises en compte. Un premier signe encourageant pourrait consister à décréter un moratoire suffisant pour revoir l'ensemble du projet de réforme des caisses d'épargne. Ce délai permettrait d'organiser la table ronde réclamée par les personnels sur la question du statut et sur celle du pôle financier public.

Nous mesurerons à l'aune de vos réponses, Monsieur le ministre, l'intérêt que vous portez à nos propositions et au débat que vous avez accepté. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

M. Hervé Gaymard - Nous avons trop peu l'habitude de tels débats pour ne pas saluer celui-ci. La loi bancaire de 1984, la loi sur le Crédit Lyonnais de 1995, le projet de loi relatif à l'épargne et à la sécurité financière dans quelques semaines : rares furent en quinze ans les occasions de nous forger une vision globale de la politique à mener dans ce secteur, capital par son importance économique mais également par sa contribution au rayonnement de la nation, grâce au modèle économique que véhiculent les banques.

Or c'est peu dire qu'en quinze ans le paysage s'est complètement modifié : réforme des marchés financiers ; atténuation des distinctions classiques dans les missions des établissements de crédit ; modification du périmètre du secteur public ; internationalisation, concentration ; mise en place de l'euro... Ce débat vient donc à son heure, au moment où se recompose notre paysage bancaire.

Deux questions majeures se posent, Monsieur le ministre, et nous serons attentifs aux réponses que vous y apporterez.

Tout d'abord, le secteur bancaire et financier est une industrie qu'il faut considérer comme telle : industrie qui emploie plus de 400 000 salariés et qui produit une valeur ajoutée importante, une industrie dont chacun sait qu'elle va perdre beaucoup d'emplois et une industrie fragile, en raison de l'insuffisante rentabilité de nos établissements, si on les compare à leurs concurrents étrangers. Le retour sur fonds propres offert à leurs actionnaires est inférieur à 10 %, contre 20 % en Grande-Bretagne et 15 % aux Etats-Unis. Cela se répercute sur leur situation boursière : par exemple, la Lloyds Bank dont les fonds propres sont inférieurs de 10 % à ceux de la BNP bénéficie d'une capitalisation boursière cinq fois plus importante, ce qui explique que nos banques constituent des proies tentantes pour les OPA.

Mais cette industrie est plus qu'une industrie car elle finance l'économie, les ménages et les entreprises, et est un élément essentiel de la puissance d'un pays et de sa capacité de projection extérieure. L'historien de nos institutions, Jean Meyer, a écrit : "Il n'est d'histoire que financière ; le reste suit, du moins la plupart du temps". C'est vrai à l'intérieur, où il s'agit de donner aux entreprises et aux ménages les moyens de mener à bien leurs projets ; c'est vrai à l'extérieur : le réseau de nos banques implantées à l'étranger constitue un levier capital pour notre commerce extérieur.

Au constat de Jean Meyer, fait écho l'interrogation du président Vienot : "Aurons-nous encore des banques françaises dans cinq ou dix ans ?". C'est la deuxième question à laquelle les hommes en charge des affaires publiques doivent s'attaquer, tant la localisation des centres de décision représente un enjeu majeur dans les recompositions en cours.

A ces deux questions étroitement mêlées, quelles doivent être les réponses de l'Etat ? Tel est en définitive le problème qui importe, car nous ne sommes pas ici dans le cadre d'un colloque universitaire : nous devons débattre des moyens de consolider et développer notre industrie financière et, par là, de préserver notre capacité de décider, de promouvoir notre action financière et commerciale extérieure, sans pour autant que l'Etat se substitue aux décideurs privés.

Quel doit être le rôle de l'Etat actionnaire ? Nous ne sommes plus en 1982 et, à l'exception de quelques-uns, chacun reconnaît aujourd'hui le bien-fondé de la position de nos collègues qui se sont battus contre les nationalisations. Chacun a en mémoire les dégâts de l'économie mixte, l'absence de pilotage stratégique de la part de l'Etat, et le coût supporté par le contribuable.

Demeurent deux dossiers sur lesquels nous aimerions être éclairés quant à vos choix : la privatisation du Crédit Lyonnais et l'avenir de la Caisse des dépôts et consignations.

Grâce aux efforts de ses personnels et de ses dirigeants, avec le concours de l'Etat, le Crédit Lyonnais s'est redressé. Le décret de privatisation devrait sans doute être publié prochainement, mais nous aimerions, Monsieur le ministre, être éclairés sur vos intentions. La privatisation ne pourra en effet se faire sans adossement à un autre établissement bancaire ou financière. Depuis l'annonce de la fusion entre la Société Générale et Paribas, le nombre de possibilités s'est restreint : le rapprochement ne pourra donc se faire qu'avec une grande banque à réseau, AFB ou mutualiste, ou avec une banque étrangère. Qu'allez-vous décider ? A l'heure de l'euro, on ne peut écarter d'un revers de main les alliances au sein du continent. Mais où sera le centre de décision si une telle solution était retenue ? Ne faut-il donc pas, en respectant l'exigence de concurrence ouverte, privilégier une solution française ? N'y aurait-il pas en effet quelque paradoxe d'estimer que toutes les banques seraient les bienvenues pour participer à cette privatisation, à l'exception d'une grande banque française ? Cette question doit donc être envisagée sans a priori ni ostracisme, mais il est clair que vous êtes devant une décision délicate, pour ne pas dire un dilemme. Ou bien vous cherchez à préserver un centre de décision français, mais alors il y a une forte probabilité que le rapprochement se fasse avec des réseaux plus concurrents que complémentaires, ce qui poserait la question de l'emploi : il n'est qu'à regarder les rues de nos villes, où se succèdent les enseignes des agences de nos établissements bancaires, pour le comprendre immédiatement.

Ou bien vous privilégiez l'emploi, en recherchant une alliance avec un établissement étranger au prix d'une délocalisation du centre de décision. Dans cette hypothèse, il faut être conscient qu'on peut à terme aboutir aux mêmes conséquences en matière d'emploi, compte tenu de la faible marge des banques françaises par rapport à leurs consoeurs européennes.

Merci donc, Monsieur le ministre, de bien vouloir nous éclairer sur vos intentions.

La seconde question majeure qui concerne l'Etat-actionnaire est l'avenir de la Caisse des dépôts. Notre collègue Jean-Pierre Delalande l'a soulevée à plusieurs reprises.

Avons-nous encore besoin d'un outil financier public ? A cette question, nous répondons oui sans hésiter pour ce qui est de certaines misions d'intérêt général, comme le financement du logement social et de la politique de la ville. Pour le reste, la réponse est moins évidente. Il faut mettre fin à la confusion des genres, même si elle est le fruit de l'histoire. Le développement international de la Caisse des dépôts le montre : il s'agit là d'une activité de marché pure et simple, et cela fait longtemps que ce ne sont plus des administrateurs sortis de l'ENA qui en sont chargés.

Monsieur le ministre, comptez-vous revoir le statut et les missions de la Caisse des dépôts ? Le moment n'est-il pas venu de distinguer des missions d'intérêt général celles qui relèvent du secteur concurrentiel ?

L'Etat a une autre responsabilité : il doit être garant d'un environnement réglementaire et fiscal qui permette aux établissements financiers d'exercer leur activité dans des conditions normales de rentabilité.

Les excellents rapports de Philippe Auberger et du sénateur Alain Lambert ont mis en évidence la nécessité d'harmoniser les conditions d'exercice du métier bancaire et d'améliorer la sécurité financière.

Votre projet va dans le bon sens, mais je regrette que vous n'alliez pas au bout de votre logique.

S'agissant du statut des caisses d'épargne, soyons ambitieux. Tout en prenant en compte la diversité de notre système bancaire, fruit de notre histoire, il faut harmoniser les conditions d'exercice de l'activité bancaire tout en modernisant un réseau qui porte un grand nom et qui pourrait devenir une des plus grandes banques européennes. Dans ces conditions, on peut s'interroger sur le bien-fondé de l'agrément du président par l'Etat.

Il manque quelque chose d'essentiel à votre projet, qui dépasse d'ailleurs la question des caisses d'épargne et concerne la réorganisation de l'intervention publique dans le financement du logement. Certains souhaitent, comme l'intersyndicale du Crédit Foncier, un rapprochement entre cet établissement et les caisses d'épargne. D'autres vont plus loin, prônant l'intégration de la Caisse des dépôts et des caisses d'épargne. Quelles sont vos intentions, Monsieur le ministre ?

Le temps n'est-il pas venu d'harmoniser davantage les modes d'organisation et de représentation de la profession bancaire, au moment où nous assistons à une formidable mutation des métiers de la finance qui rend obsolètes toutes les distinctions qui prévalent depuis des lustres ? N'y avait-il pas un aveu dans cette déclaration d'un dirigeant d'un grand établissement mutualiste estimant, il y a quelques jours : "J'ai besoin d'un véhicule coté pour me développer" ?

Nous sommes à la veille de profondes mutations, dont les fusions et acquisitions actuelles ne sont que les prodromes.

S'agissant de la sécurisation financière, nous saluons la création d'un fonds de garantie, que nous appelions de nos voeux depuis longtemps.

M. Jean-Pierre Balligand - Mais vous n'avez rien fait !

M. Hervé Gaymard - Cependant, ce fonds n'aura pas la capacité de prévenir le risque systémique. Ne faudrait-il pas créer une autorité de place indépendante, dont la compétence s'étendrait à l'ensemble du secteur financier ?

On a fréquemment évoqué la création d'une FDIC à la française. Même si l'expérience américaine n'est pas transposable à l'identique, le moment n'est-il pas venu d'examiner ce dossier ?

Nous savons, enfin, que le développement de notre industrie financière et le rayonnement de la place de Paris sont liés à la rentabilité de nos banques ainsi qu'à la fiscalité des personnes.

Monsieur le ministre, ne pensez-vous pas que les banques françaises sont assujetties à une fiscalité trop lourde ? En particulier, n'envisagez-vous pas de supprimer la taxe sur les salaires, qui pénalise l'emploi dans un secteur où la main-d'oeuvre représente une part très importante des coûts totaux ? La fiscalité a aussi des conséquences sur les personnes, car on constate une fuite importante des cadres de haut niveau et des cadres intermédiaires vers les Pays-Bas et surtout vers Londres.

Que pensez-vous par ailleurs de la tarification des services bancaires ? Chacun sait que sa structure est très différente d'un pays à l'autre, ce qui à l'heure de l'euro ne sera pas sans incidence sur la rentabilité. Etes-vous favorable à la tarification des chèques et à la rémunération des dépôts à vue ? Rémunérer les dépôts ne serait d'ailleurs pas une première, puisque le Trésor Public le fait déjà pour ses agents, sans pour autant tarifer les chèques ! En outre, faut-il continuer à taxer lourdement les opérations en euros, alors qu'il n'y a plus de risque de change ?

Je voudrais, enfin, avoir votre sentiment sur l'avenir de la place financière de Paris. C'est un enjeu politique et économique majeur, et il convient de saluer l'action d'Europlace. Mais le rapprochement entre Londres et Francfort est inquiétant. De 150 000 à 200 000 emplois seraient menacés à terme. Les pouvoirs publics n'ont pas seuls la réponse, mais il leur appartient de créer un environnement juridique et fiscal favorable. Quelle est votre politique dans ce domaine ?

Technique en apparence, ce débat est avant tout politique. Des centaines de milliers d'emplois sont en jeu, mais aussi la vitalité de nos entreprises et une part de notre souveraineté. Comme l'a dit récemment le Président de la République : "La France a la chance de disposer d'un réseau bancaire dense et diversifié. Il doit encore se muscler et se rassembler pour faire face à la concurrence internationale. Il doit aussi cultiver des réseaux de proximité, à l'écoute des chefs d'entreprise et prêts à soutenir leurs projets d'investissement".

L'Etat ne doit pas se mêler de tout. Il n'en a plus les moyens. Après avoir été un acteur myope et malheureux, il doit désormais devenir un stratège et anticiper les évolutions pour favoriser le développement d'une grande industrie financière française (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Raymond Douyère - Le métier de banquier est un métier à risque.

Sans risque économique, les banques n'existeraient pas : les entreprises et les particuliers se feraient crédit entre eux et placeraient leur agent sans intermédiaire. C'est dire l'importance du secteur bancaire, affecté par des mouvements de grande ampleur : la mondialisation, la désintermédiation, la lutte conte l'inflation, le passage d'une économie d'endettement à une économie de fonds propres, l'explosion des marchés financiers, tout cela accéléré par des progrès techniques sans précédent.

Nous sommes obligés de nous interroger sur la reconfiguration de nos structures bancaires. Il n'y a pas aujourd'hui de banque française qui soit à l'abri d'une OPA, à part le groupe qui vient d'être créé par le rapprochement de la Société Générale et de Paribas. Parmi les plus productives, nos banques sont cependant parmi les moins rentables, avec les banques japonaises. Des techniques de pointe, des parts de marché importantes dans certains secteurs où nous figurons au troisième ou au quatrième rang mondial, un service de qualité, mais des tarifs inférieurs à ceux de leurs concurrentes. Les banques françaises sont vulnérables, même si la faiblesse de la tarification fait hésiter les opérateurs étrangers.

Nous assistons à un mouvement mondial -plutôt qu'européen- de reconfiguration. Certes, ce n'est pas forcément en créant des mastodontes qu'on retrouvera la rentabilité.

M. Yves Cochet - Exactement.

M. Raymond Douyère - Mais atteindre une taille critique est devenu obligatoire. La France, à cet égard, est en retard. Sa situation est particulière. Nous avons un secteur AFB et un secteur mutualiste, lui-même très spécifique. Le Crédit Agricole est-il toujours un établissement mutualiste, maintenant qu'il dispose d'un instrument coté ? Enfin, il existe un secteur public important, dont vous avez parlé, Monsieur le ministre : l'Etat a bien fait son travail ; ce Gouvernement a eu raison de protéger la CNP, de s'occuper du Crédit Martiniquais et de la Marseillaise de Crédit, il a réussi à nous sortir de l'imbroglio du Crédit Lyonnais, tout en préservant les acquis sociaux et l'emploi.

M. Christian Cuvilliez - 3 000 licenciements au Lyonnais...

M. Raymond Douyère - Quel peut être le rôle de l'Etat dans la nouvelle configuration qui se dessine ? Il y a dix ans, il aurait pu être le stratège, mais il ne l'a pas fait ; aujourd'hui, il doit simplement accompagner les évolutions. A cet égard, on peut légitimement s'interroger sur le niveau actuel des taux réglementés, notamment celui du Livret A. Par ailleurs, ne pourrait-on lancer l'idée d'un livret d'épargne européen défiscalisé, distribué par l'ensemble des banques européennes, qui pourrait servir au financement des grands travaux européens. Le problème est celui de la rémunération : il me semble qu'on pourrait envisager une taxe Tobin au niveau européen.

M. Yves Cochet - Très bien !

M. Raymond Douyère - L'Etat doit aussi faire en sorte d'éviter les distorsions de concurrence. A cet égard, il doit veiller à ce que l'ensemble des entreprises bancaires assurent le droit au compte, qui est le service bancaire de base.

Par ailleurs, la taxe exceptionnelle sur les activités bancaires ne me semble plus justifiée ; il faudrait prévoir prochainement sa suppression.

Le service public doit demeurer organisé autour de la Caisse des dépôts, qui joue le rôle que nous connaissons ; mais on peut assigner à certains réseaux des missions d'intérêt général : c'est ce que je propose pour les caisses d'épargne, qui pourraient s'intéresser à la micro-économie.

Les différents acteurs du secteur bancaire doivent eux-mêmes s'organiser pour créer en Europe de grands réseaux. Les réseaux mutualistes, caractérisés par un esprit spécifique et où la rémunération des parts sociales est faible, doivent participer à cette restructuration.

M. le Président - Je vous prie de conclure.

M. Raymond Douyère - Quant aux banques AFB, elles doivent poursuivre leur réorganisation en France et au niveau international, afin que la place financière française puisse demain soutenir le développement de notre économie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Marc Laffineur - Ce débat intervient à un moment critique ; la mise en place de l'euro peut constituer une chance pour nos banques, comme elle peut précipiter leur chute. Pour bien parler de l'avenir, penchons-nous d'abord sur le passé.

Note système bancaire est né sous les auspices du Second Empire et dans les premières décennies de la IIIème République. Il fut l'inventeur des vastes réseaux d'agences Avec plus d'un demi siècle d'avance sur leurs concurrentes, les banques françaises se sont lancées dans l'activité internationale, en s'appuyant sur une assiette domestique très puissante ; à la fin du siècle dernier, nos grandes banques étaient installées de Londres à Moscou, de Bombay à Melbourne, du Caire à Anvers, de Bruxelles à Lisbonne et Istambul. A cette époque, seules les banques anglaises avaient également des activités internationales, et encore étaient-elles tournées vers les pays de l'Empire britannique, laissant le continent européen sous la domination de nos banques nationales.

L'entre deux-guerres puis les nationalisations au lendemain de la seconde guerre mondiale n'ont pas modifié ce panorama. Nos banques restaient enviées par les autres pays occidentaux.

Cette époque est aujourd'hui révolue. Les banques françaises restent à un rang mondial honorable, mais présentent des signes de faiblesse.

La dégradation qui s'est opérée depuis cinquante ans tient tout d'abord aux dirigeants placés par l'Etat actionnaire. En effet, la culture des banques n'avait pas été bouleversée par les nationalisations, puisque les dirigeants restaient des banquiers ayant une grande expérience de leur métier ; mais peu à peu, au début des années quatre-vingt, on en est arrivé à nommer systématiquement des dirigeants issus de la haute administration, souvent sans aucune expérience bancaire. L'arrivée de ces non professionnels a été aggravée par leur absence de responsabilité, et l'impossibilité de les sanctionner, d'autant que le contrôle est assuré par des élèves de la même école, parfois de la même promotion...

Cette infiltration des banques par la haute administration trahit une conception nouvelle de ce secteur perçu désormais comme un réel service public. Les bénéfices ont cessé d'être un critère de réussite et l'Etat s'est désintéressé de la rentabilité des banques. Aujourd'hui encore, la productivité des banques françaises et celle de leurs concurrentes européennes sont à peu près similaires ; en revanche, en ce qui concerne les taux de rentabilité, les écarts sont très importants, en moyenne de un à trois par rapport aux autres banques européennes, et de un à quatre par rapport aux banques anglo-saxonnes. L'important bien sûr n'est pas que les banquiers français s'enrichissent davantage que leurs homologues européens, mais que nos banques soient suffisamment puissantes pour n'être pas demain absorbées par des banques étrangères.

La deuxième cause de l'affaiblissement du secteur est à chercher dans des facteurs institutionnels. Il s'agit notamment de la concurrence tronquée qui a longtemps existé entre le réseau mutualiste et le réseau classique, mais aussi de l'encadrement du crédit qui a prévalu entre 1982 et 1985, conduisant à l'absence de toute concurrence au plan intérieur, ou encore d'un décret de 1937, totalement inadapté et beaucoup trop rigide, qui n'a été abrogé qu'en 1997. Enfin, la fixation par l'Etat de taux réglementés fausse le marché de l'épargne et limite les marges de manoeuvre des banques.

Troisième cause malheureusement bien connue : la fiscalité. Nos banques sont soumises à une taxe assise sur leur masse salariale qui représente environ 10 % de celle-ci, et rapporte 10 milliards à l'Etat. Les banques s'acquittent en outre de près de deux milliards de francs au titre d'une contribution financière calculée à partir des frais généraux ; ces deux impôts sont uniques en Europe.

Le poids des prélèvements nuit aux résultats des banques, et décourage les salariés les plus rémunérés en raison de la taxation des hauts revenus. La réponse des sociétés bancaires est bien souvent la délocalisation de certaines de leurs activités, notamment à Londres et à Dublin ; ainsi les effectifs de Paribas à Londres approchent les 2 500 personnes... En cumulant les prélèvements sociaux, les impôts qui touchent les établissements et ceux qui touchent les employés, pour qu'un salarié perçoive 100 de revenu net en France, un établissement bancaire devra verser entre 214 et 426 suivant la tranche de l'impôt sur le revenu à laquelle ce salarié est assujetti ; en Allemagne, les banques ne versent qu'entre 200 et 232, et au Royaume-Uni entre 171 et 201 seulement...

Dans ces conditions, des pistes de réforme s'offrent d'elles-mêmes.

Il faut achever le processus de privatisation. Le ferez-vous ? Il faut favoriser les regroupements entre banques complémentaires, avant même qu'elles se projettent sur la scène européenne. Le ferez-vous ? Il faut surtout mettre fin aux distorsions de concurrence dont souffrent nos établissements, en allégeant les charges sociales et fiscales (Exclamations sur les bancs du groupe communiste), sous peine de voir les cadres s'installer à Londres pour ne laisser en France que des guichets automatiques. Il faut en particulier supprimer la taxe sur les salaires pour défendre l'emploi. Le ferez-vous ? Il faut, enfin, poursuivre la banalisation du statut des établissements mutualistes et repenser le fonctionnement de l'épargne administrée, qui offre à certains réseaux une rente de situation incompatible avec une concurrence loyale et ouverte.

C'est ainsi que la France retrouvera un secteur bancaire compétitif et performant, dont la bonne santé profitera à l'ensemble de l'économie et à l'emploi. C'est ainsi que nos banques susciteront à nouveau l'admiration des autres pays occidentaux (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Michel Suchod - Je commencerai mon propos en disant mon étonnement qu'aient été fort peu recherchées les responsabilités de ceux qui ont le plus contribué à la dérive de notre système bancaire.

M. Yves Cochet - Monsieur Trichet, par exemple ?

M. Michel Suchod - On a accusé la bulle financière et l'Etat-actionnaire, mais ceux qui ont accordé des crédits de complaisance en faisant fi de toute règle déontologique ou prudentielle, a-t-on examiné leur responsabilité, scruté leur patrimoine et celui de leurs proches ? Le contribuable national a bon dos, qui paiera le prix des erreurs, mais aussi des malversations commises.

L'enjeu de notre débat est la réorientation du secteur financier au service de l'économie réelle, après quinze ans de dérive libérale. Les taux d'intérêt restent beaucoup trop élevés (Exclamations sur les bancs du groupe DL) : le taux de pension de la BCE est de 3 %, le taux de base de 6,3 %, soit cinq points et demi de plus que l'inflation ! C'est énorme, et meurtrier pour tous ceux, particuliers ou PME, qui n'ont pas accès au marché financier.

En second lieu, nous avons à relever le défi de la mondialisation. Lorsque les places financières de Londres et de Francfort ont conclu, l'an dernier, un accord, la presse internationale s'est gaussée de ces Français qui préparaient la Coupe du monde tandis qu'Anglais et Allemands scellaient dans leur dos un accord historique. Certes, le poids de l'économie allemande a joué, ainsi que les intérêts de la City, mais avons-nous défendu, en cette affaire, ceux de la maison France, ou simplement nos places dans telle ou telle commission ?

Nous avons besoin de groupes financiers de taille mondiale. Si nous voulons faire du nucléaire en Chine...

M. Yves Cochet - Il ne manquerait plus que cela ! (Sourires)

M. Michel Suchod - ...exporter le TGV en Floride ou en Corée ou aider au développement de RPR -je veux parler, bien sûr de Rhône-Poulenc-Rorer- (Sourires), il nous faut un secteur bancaire puissant. Le Royaume-Uni a amorcé son mouvement de concentration voici dix ans, et nous venons seulement d'accoucher de la fusion, qui n'en est d'ailleurs pas vraiment une, entre Paribas et la Société Générale. C'est le signe de l'échec des privatisations Balladur, des noyaux durs et des participations croisées, du corporatisme endogène fondé sur le copinage entre inspecteurs des finances : les commentateurs ont même dit que Paribas n'avait pu s'allier à la Société Générale qu'à cause de l'âge respectif de leurs dirigeants, et que cette même raison avait empêché l'alliance avec la BNP ou le Crédit Lyonnais !

Reste qu'actuellement, les PME empruntent à des taux qui peuvent atteindre 8 %. Il est urgent de développer des circuits de collecte courts, et ce ne sont pas les grands groupes qui pourront le faire. Les élus tiennent à ce que tout le territoire soit couvert, que le personnel reste en nombre suffisant et à ce que la clientèle modeste soit respectée : songeons que trois millions de personnes, soit 10 % de la population adulte, est interdite de chéquier ! On sort très vite le carton rouge de l'interdiction, mais où est le carton jaune de la suspension ? Il convient aussi de responsabiliser les gestionnaires, qui proposent des crédits inconsidérés à de pauvres gens : le système de faillite personnelle en vigueur en Alsace, par exemple, fait peser une partie des risques sur le créancier qui a entraîné son débiteur à les prendre. On sait, inversement, que le prêt à taux zéro bénéficie surtout aux familles qui gagnent plus de trois fois le SMIC, car il est adossé à des prêts complémentaires que les autres ne peuvent se permettre de souscrire.

La prospérité du secteur dépendra beaucoup de la régulation des mouvements de capitaux. Que dira la France à ce sujet, à la fin de la semaine, à la réunion du G7 financier ? Il faut savoir que les "LTCM" américains, qui ne s'occupent pas, contrairement à ce que signifie ce sigle, de management à long terme, mais de spéculation à court terme, ont 4 milliards de dollars de fonds propres pour 200 milliards de positions, soit 25 % du CAC 40. On a beaucoup reparlé de régulation au moment de la crise asiatique, mais une fois l'alerte passée on a recommencé à ne se soucier de rien. Or les fonds de pension américains demeurent très agressifs : n'ont-ils pas vendu en deux jours les 12 % du capital d'Alcatel qu'ils détenaient ?

M. Jean-Jacques Jegou - C'est ça, le capitalisme populaire !

M. Michel Suchod - Les dirigeants des grandes entreprises sont de plus en plus rémunérés sous forme de stock-options, et cherchent donc à maximiser la valeur des actions plutôt qu'à accroître la rentabilité à long terme. C'est pourquoi je rends hommage au Gouvernement d'avoir écarté la tentation de renforcer encore ce système. En conclusion, la question que nous devons nous poser est de savoir si le système financier finance vraiment l'économie réelle, ou s'il constitue une économie autonome (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe communiste, ainsi que sur de nombreux bancs du groupe socialiste).

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances - Vous avez su résoudre de façon satisfaisante, monsieur le ministre, les délicats dossiers du CIC et du GAN, et je souhaite que vous régliez dans le même esprit de concertation ceux du Crédit Foncier et du Crédit Lyonnais, en cherchant à renforçer l'ensemble de notre système bancaire et en respectant, pour ce faire, trois principes.

Il faut en premier lieu assurer la modernisation de notre secteur financier, pour permettre à la place de Paris de rivaliser avec ses concurrents étrangers et pour assurer le développement de nos grandes entreprises.

Cette modernisation du secteur financier a été menée à partir du milieu des années 80 à un rythme extrêmement rapide -réforme des crédits à taux administrés, levée des contrôles des charges, mise en place d'un grand marché unique des capitaux, etc.

Ce souci d'adaptation est une constante de l'action de la majorité. Dès juin 1997, vous avez, Monsieur le ministre, entrepris de parachever cette modernisation par la refonte de l'appel public à l'épargne, la réforme du marché obligataire et de la titrisation, la création de nouveaux produits de gestion collective. Le projet relatif à l'épargne et à la sécurité financière ira plus loin encore.

Voilà qui contraste avec un prétendu immobilisme de l'Etat et de la majorité. Ce n'est pas la puissance publique qui a eu le plus de mal à s'adapter à un changement des modes de financement de l'économie.

Cette réforme ne s'est pas faite sans mal. Les dérives de l'investissement dans l'immobilier, des banques publiques comme privées, montrent que les mécanismes de contrôle n'ont pas été adaptés assez rapidement. Evitons les polémiques stériles : ce n'est pas la nature de l'actionnariat qui a déterminé l'ampleur de la frénésie spéculative, mais la mauvaise gestion des risques par des responsables de banques publiques et privées. Le projet relatif à la sécurité financière apportera des garanties nouvelles en matière de contrôle prudentiel des établissements de crédit, au bénéfice à la fois des acteurs bancaires et financiers et des clients. Il permettra à l'avenir d'éviter les errements dont a pâti notre économie.

Les établissements de crédit doivent désormais faire face aux défis de la globalisation financière. Les banques françaises sont soumises à la pression concurrentielle des autres intermédiaires financiers non bancaires mais aussi de la finance directe des marchés, qui lamine leurs marges d'intermédiation et amoindrit leur rentabilité.

Comme c'est le cas de toute société cotée, les banques commerciales subissent de plus en plus la pression de leurs actionnaires pour accroître leur rentabilité. La globalisation financière fait émerger une industrie bancaire mondiale, soumise aux normes anglo-saxonnes de gestion, de grandes banques françaises ayant déjà annoncé qu'elles visaient un objectif de rentabilité des fonds propres supérieur à 15 %.

Dans ce contexte, les banques françaises cherchent à nouer des partenariats ou à réaliser des fusions. Si ce mouvement permet de conforter notre système financier et de préserver des emplois, il doit être approfondi, la privatisation du Crédit Lyonnais y contribuera.

Il me paraîtrait cependant très néfaste que l'ensemble du système bancaire et financier s'aligne sur ce modèle unique de banque universelle. La France doit absolument conserver un système bancaire diversifié, protégé en partie de cette course à la rentabilité. Un rendement sur fonds propres de 15 %, sans commune mesure avec l'accroissement de la richesse réelle annuelle, pourrait déboucher sur une contraction de l'offre de financement, donc limiter la croissance et l'emploi qui doivent aussi être au coeur des préoccupations du système. Trop d'exemples récents montrent que de hauts niveaux de rentabilité s'accompagnent de licenciements et de restructurations massives.

Deuxième grand principe : préserver la diversité du système bancaire en pérennisant les réseaux. La force de notre système bancaire coopératif et mutualiste est un atout. Les artisans, les agriculteurs, les ménages modestes, les PME, les collectivités locales doivent pouvoir compter sur un réseau de proximité, attentif à l'environnement local. Le maillage de notre territoire par un système apte à soutenir à la fois de grands groupes industriels et de petites structures créatrices d'emplois répond à notre souci de compétitivité de l'économie française et de développement de l'emploi.

Bien évidemment, ces réseaux doivent utiliser au mieux leurs ressources, ce qui n'exclut donc pas la recherche d'une certaine rentabilité. Mais il n'y a aucune raison pour aligner tous les établissements de crédit sur la même norme de performances, ou pour rapprocher les statuts des banques coopératives et mutualistes de ceux des banques commerciales. Pas plus qu'on ne saurait tolérer de pensée unique, on ne peut accepter le principe de la banque unique. La réforme prochaine des caisses d'épargne témoigne d'ailleurs de notre volonté de renforcer le pôle bancaire coopératif, qui a su se prémunir contre les dérives spéculatives.

Troisième principe : conserver une capacité d'orientation de l'épargne vers des financements d'opérations utiles au développement économique et social du territoire, et veiller à ce que les missions de service public soient assurées.

L'accès au système bancaire pour les ménages les plus modestes, comme pour les très petites entreprises, doit être garanti, sous peine de renforcer l'exclusion. Le développement local, l'accès des habitants en zones rurales à des établissements de proximité, doivent aussi être assurés, notamment par La Poste qui dispose pour cela des meilleurs atouts et de la meilleure implantation.

L'Etat doit conserver les moyens de financer le logement social et de grandes infrastructures. Il faut donc conserver des outils de financement au service de la collectivité. Cela peut passer par l'obligation imposée à certains établissements, comme les caisses d'épargne, de remplir des missions d'intérêt général ou par la propriété publique d'institutions financières spécialisées. Les dérives du passé dans certaines entreprises publiques ne disqualifient pas l'actionnariat de l'Etat mais invitent à repenser les modes de contrôle -et de sélection- des dirigeants.

M. Jean-Pierre Brard - Très bien !

M. le Président de la commission - L'Etat ne doit être ni un simple régulateur du marché, ni un acteur bancaire omnipotent. C'est ainsi que sera assurée la pérennité et la modernisation de notre système bancaire et financier (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances - Je veux saluer à mon tour l'organisation d'un débat très attendu, en particulier par nos collègues du groupe communiste et apparentés.

Affirmer que le secteur bancaire français est à l'heure des mutations n'est guère original. Pourtant, les pouvoirs publics ont longtemps fait preuve d'un immobilisme lourd de conséquences.

Votre prédécesseur, Monsieur le ministre, avait déclaré : "1996 a été l'année des réflexions, 1997 sera celle de l'engagement véritable des réformes". Il n'en a rien été et il a fallu attendre 1998 pour qu'il se passe quelque chose.

L'Etat n'a pas animé la réflexion engagée en 1996. Il s'est contenté d'appeler la place à s'entendre spontanément, comme si l'on pouvait attendre des banquiers que, laissés à eux-mêmes, ils n'appréhendent pas les réformes à l'aune de leurs intérêts particuliers. Bien sûr, nous n'en sommes plus au temps où Vincent Auriol déclarait : "les banques, je les ferme, les banquiers je les enferme" (Sourires). Le dialogue et la concertation sont indispensables. Encore faut-il que l'Etat crée les conditions pour faire prévaloir l'intérêt général et que les élus, les partenaires sociaux, les salariés, les consommateurs jouent un rôle.

En outre, le prétendu débat de 1996 s'est résumé à un échange d'anathèmes et d'invectives : les banques françaises seraient surtaxées, pénalisées par des distorsions de concurrence ; le Livret A serait la cause de tous leurs maux ; les taux administrés seraient trop élevés ; les banques mutualistes seraient favorisées par rapport aux AFB ; les consommateurs feraient preuve d'immaturité en refusant de payer à leur juste prix les services qui leur sont rendus. Quant à la puissance publique, son intervention serait à tout jamais discréditée par les sinistres du Crédit Lyonnais et du Crédit Foncier.

M. François Goulard - Il y a de ça...

M. le Rapporteur général - Tout cela n'est pas entièrement faux, mais il fallait aborder le débat avec la volonté de remettre le secteur bancaire en mouvement, de convaincre ses acteurs de leur intérêt à agir dans le même sens, ce qui exigeait de faire preuve d'un certain pragmatisme.

Nous voulons un secteur bancaire fort, qui soit, comme vous l'avez dit récemment Monsieur le ministre, "au service de la croissance et de l'emploi". Pour cela, prenons les questions dans l'ordre, sans autre a priori que l'intérêt général.

Le Livret A est-il un sujet tabou ? Son existence, oui.

M. Christian Cuvilliez - Très bien !

M. le Rapporteur général - C'est un outil indispensable pour la collecte de l'épargne populaire. C'est un instrument incontournable pour le financement d'un logement social.

M. François Goulard - A des taux supérieurs au marché...

M. le Rapporteur général - En revanche, il doit être possible de débattre du niveau de sa rémunération, ou de son mode de fixation. Des décisions, parfois difficiles mais nécessaires, ont été prises, comme la création d'un comité consultatif des taux réglementés. Il convient d'agir dans le respect des petits épargnants et en veillant à ne pas rendre plus cher le crédit pour le logement social.

Peut-on parler des caisses d'épargne ? Bien sûr ! Notre collègue Raymond Douyère a rédigé un rapport sur leur avenir et nous débattrons bientôt de la réforme des caisses d'épargne.

Les banques mutualistes sont-elles des privilégiées ? Bien sûr que non ! Si elles affichent souvent une rentabilité supérieure, c'est d'abord parce qu'elles ont su faire preuve de prudence alors que d'autres se livraient impudemment et imprudemment à une spéculation immobilière effrénée, à la recherche de l'argent facile et immédiat. Pour autant, en matière de garantie des dépôts, les mutualistes peuvent participer comme les autres banques, à un système collectif qui protège les consommateurs et assure la sécurité de la place. Le projet sur la sécurité financière mettra enfin en place ce fonds de garantie. Notons que les cotisations appelées devraient être en partie déductibles de la contribution des institutions financières tant décriée par les banquiers. Voilà qui montre que l'Etat est prêt à faire des efforts sur une question d'intérêt général.

Est-il interdit de parler de la tarification des services bancaires ? Non. Le rapport de M. Ullmo est désormais public. Il servira de base à la réflexion qui s'amorce. Tout est question d'équilibre : nous ne payons pas nos chèques, le coût réel des services bancaires est controversé, nos dépôts ne sont pas rémunérés. Puisque la monnaie unique semble interdire le statu quo, parlons-en, trouvons de bons équilibres.

La puissance publique doit-elle être bannie du secteur bancaire ? Bien sûr que non ! En tant que force régulatrice, l'Etat doit être présent et plus encore lorsque les marchés financiers s'élargissent.

Certes, les sinistres du Crédit Lyonnais, du Crédit Foncier ou du Comptoir des Entrepreneurs nous ont fait mal et il faut en tirer les leçons. N'oublions pas, tout de même, que des défaillances ont également eu lieu dans le secteur privé, que des banques publiques ou semi-publiques que l'on disait condamnées suscitent aujourd'hui des convoitises, comme le Crédit Foncier, et que les plans de redressement de la précédente majorité ont aggravé les dégâts et coûté à la collectivité quelques dizaines de milliards supplémentaires, comme dans le cas du Crédit Lyonnais.

Le principe même d'une intervention de la puissance publique n'est donc pas en cause : ce n'est pas le procès de l'Etat qui est ouvert, mais celui d'un certain mode de contrôle et de décision, caractérisé par la prétention de quelques fonctionnaires-banquiers qui découvrent leur métier, la passivité de leurs anciens collègues chargés de les contrôler, avant de souvent les rejoindre, et l'absence de directive claire de la part de leur actionnaire. Nous avons ajusté les plans de redressement pour préserver les intérêts des contribuables. Nous avons privatisé quand il le fallait, sans en faire une fin en soi. Nous avons réaffirmé la légitimité d'une présence publique ou semi-publique dans le secteur financier. Qui niera les services que la Caisse des dépôts rend à la collectivité ?

L'Etat peut-il faire davantage pour doter notre système financier des moyens de se développer ? La refonte de l'appel public à l'épargne, la réforme du marché obligataire ou la création de nouveaux produits de gestion collective et des obligations indexées sur l'inflation témoignent de notre volonté d'agir en ce sens. Au total, M. le ministre l'a démontré, en unissant conviction et pragmatisme, il est possible de surmonter les difficultés, de convaincre les différents acteurs d'avancer ensemble et de mettre en place une stratégie globale qui serve la collectivité. Notre politique doit garantir la diversité de notre système bancaire : la pluralité est un atout. Mais le secteur bancaire doit aussi être uni : c'est tout le sens de la "maison commune de la profession bancaire" évoquée fréquemment par M. le ministre. Le secteur bancaire doit être fort. A cet égard, il serait faux de dire que l'activité bancaire ne peut pas être rentable dans notre pays : 1998 a été une bonne année pour les banques. La question des alliances est à l'ordre du jour, je pense bien sûr au Crédit Lyonnais. Il faut préserver des équilibres et surtout veiller à maintenir en France de grands centres de décision. Le secteur bancaire doit être sécurisé : la responsabilité de l'Etat est grande dans ce domaine. Peut-être faudra-t-il renforcer encore la Commission bancaire, qui n'a pas été à la hauteur de sa mission jusqu'à présent. Dans le dossier de la Société Marseillaise de Crédit, par exemple, on découvre des choses surprenantes qui auraient dû alerter davantage le contrôleur. Dans l'immédiat, je me félicite que la mise en place d'un fonds unique de garantie des dépôts s'accompagne d'un renforcement des prérogatives de la Commission bancaire. A terme, nous devrons réfléchir à la façon de mettre en place des instances de contrôle et de régulation européenne. Enfin, le secteur bancaire doit être au service de la collectivité, il doit être un lieu de dialogue social et d'emploi et financer l'activité réelle. Les conditions de cet avenir, nous les créons aujourd'hui, à travers le "contrat de mutation" qu'a évoqué M. le ministre. Des débats comme celui-ci participent à ce mouvement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gilbert Gantier - J'ai écouté avec attention M. le ministre. Les objectifs qu'il propose me semblent bien modestes, compte tenu de la présence traditionnellement excessive de l'Etat dans le secteur bancaire, accrue en 1982 par des nationalisations massives.

La loi bancaire de 1984, la fin de l'encadrement du crédit, les privatisations de 1986 furent certes des avancées, mais la concurrence internationale ne nous permet plus de conserver cette exception bien française. Il faut aujourd'hui débarrasser le secteur bancaire des scories de l'Etat actionnaire. Le Gouvernement se flatte d'avoir libéralisé ce secteur, mais il oublie de dire que c'est contraint et forcé. La mainmise de l'Etat est d'ailleurs encore très forte. La survivance d'un important secteur bancaire public, dans ce pays, c'est de l'étatisation, le poids de l'épargne administrée, la tutelle du Trésor sur les banques nationalisées, celle de la Caisse des dépôts sur les caisses d'épargne, ou encore l'influence du Gouvernement dans la nomination des responsables des banques privées, c'est encore et toujours de l'étatisation ! Les socialistes n'ont pas vraiment voulu libéraliser le secteur bancaire. La politique immobiliste du "ni-ni" a bloqué les évolutions nécessaires. Le rôle de l'Etat est tellement entré dans les moeurs, qu'aujourd'hui encore, le crédit fait pratiquement figure de service public.

M. Christian Cuvilliez - Mais c'est un service public !

M. Gilbert Gantier - Cette étatisation est d'ailleurs un échec. La quasi-faillite du Crédit Lyonnais a été évitée de justesse grâce aux contribuables français, dont chacun aura dû verser 3 000 F pour le sauver. Or la faillite de la plus grande banque publique dépasse les responsabilités individuelles : elle manifeste les défaillances d'un mode de gestion administré. Les avatars de la Société Marseillaise de Crédit, proportionnellement comparables, procèdent des mêmes errements. Une politique de prises de participations tous azimuts, une boulimie partenariale ont conduit à la perte du Lyonnais. Réduite à la portion congrue, la banque devra subir, en plus, une sévère cure d'amaigrissement de son réseau domestique. Aujourd'hui, le Gouvernement nous annonce sa privatisation. Mais celle-ci résulte largement de circonstances qui échappent à votre contrôle, Monsieur le ministre. En effet, c'est la Commission européenne qui l'a exigée en contrepartie du montant vertigineux des aides publiques que l'Etat a versées, en dérogation au droit européen de la concurrence. C'est pourquoi, Monsieur le ministre, les voies que vous proposez pour la banque de demain demeurent insuffisantes. Les banques françaises souffrent de handicaps concurrentiels notoires. D'abord leur nombre, qui ne leur permettra pas de résister à une concurrence internationale de plus en plus sévère. Les postes, les caisses d'épargne, le Crédit Mutuel, le CIC, le CCF, la BNP, le Crédit Lyonnais empêchent, par leur parcellisation, l'émergence d'un pôle bancaire français de taille mondiale. Il en résulte une capitalisation boursière insuffisante. Alors que la BNP ou la Société Générale disposent, chacune, d'environ 16 milliards de dollars de capitalisation boursière, leurs homologues allemandes, néerlandaises ou même espagnoles en ont deux fois plus. A l'heure des grandes fusions-acquisitions qui sévissent dans la banque anglo-saxonne, le secteur bancaire français reste relativement en marge. La fusion entre la Société Générale et Paribas amorce certes un processus salutaire, mais encore bien timide.

L'Etat continue de tenir en tutelle le secteur bancaire. La Caisse des dépôts fait échouer le projet de rapprochement entre les caisses d'épargne et le CIC. L'Etat oppose son veto à certains actionnaires potentiels du Crédit Lyonnais et impose des taux administrés pour l'épargne, dont même le gouverneur de la Banque de France admet qu'ils sont trop élevés par rapport aux taux du marché. Ainsi l'Etat est encore bien présent.

L'euro va également changer la donne du secteur bancaire. Une harmonisation des activités sera nécessaire. La disparité des réseaux, la diversification des métiers bancaires, les dépôts à vue non rémunérés, tout cela devra être revu. Quel poids auront demain les caisses d'épargne, même entrées dans le réseau mutualiste, en face des grandes banques d'affaires anglo-saxonnes ?

Le secteur bancaire a besoin à la fois de se débarrasser définitivement du poids de l'Etat et de se réorganiser en profondeur. Il faudra donc procéder, de gré ou de force, à sa totale libéralisation, seule à même de répondre aux exigences de la concurrence internationale (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Jean-Pierre Brard - La question de l'avenir du secteur bancaire et financier français est fondamentale pour le mode de financement de notre économie. Les mouvements de concentrations et de fusions n'y ont jamais été aussi intenses, et le pôle bancaire français vit une profonde mutation. Force est pourtant de constater le faible intérêt que suscite le débat sur sa faiblesse et les conditions de son avenir. Il est dommageable que les épargnants et petits actionnaires ne soient sollicités que financièrement, et trop rarement pour exprimer leurs opinions. Pourtant, il ne serait pas superflu de demander son avis à cette majorité de petits déposants, réduite au silence, alors qu'elle constitue le fondement d'un système financier français qui ne peut ignorer les turbulences nées de la globalisation économique. Une véritable confrontation d'idées doit avoir lieu, et pas seulement pour définir d'abstraits schémas de fusion entre grands établissements bancaires nationaux européens.

Le débat que nous appelons de nos voeux doit également avoir pour objectif de rappeler aux banques leurs priorités en matière de financement : améliorer la création d'emplois sur l'ensemble du territoire, sans oublier l'outre-mer. Nos établissements bancaires et financiers doivent replacer au centre de leurs préoccupations l'activité de distribution de crédits favorisant l'investissement : aussi paradoxal que cela paraisse aux adeptes de la pensée unique, ou de la pensée atrophiée, cette activité de financement représente, sur le long terme, l'une des opérations les plus rentables pour une banque.

Il est vrai que face aux demandes de financement, le système bancaire français offre une utile variété d'établissements. A côté d'un secteur AFB, exclusivement concurrentiel, coexistent un secteur coopératif et mutualiste et un secteur public et semi-public, dont l'avenir nous préoccupe aujourd'hui.

Les banques AFB sont attachées à des critères de rentabilité élevés, sinon irréalistes, comme l'a souligné le président Bonrepaux. Seuls en effet les descendants des spéculateurs du Second Empire peuvent imaginer possible d'atteindre un taux de rentabilité générale de 15 %, comme l'exigent les actionnaires anglo-saxons, quand l'économie réelle ne progresse au mieux que de 2 à 3 % par an !

A côté de ces banques AFB, les banques de type mutualiste ou coopératif forment ce qu'il et convenu d'appeler le tiers secteur, menant certaines expériences intéressantes -je pense en particulier au Crédit Mutuel et aux banques solidaires. Cette coexistence ne pose pas de problème majeur tant qu'un secteur public et parapublic fort est à même d'accomplir les missions que les autres banques n'assument qu'à contrecoeur.

Je note toutefois que le statut coopératif ne garantit en rien un fonctionnement conforme : ainsi certaine banque "verte" serait bien avisée de choisir clairement son terrain de prédilection au lieu de s'abriter derrière un tel statut pour poursuivre des finalités identiques à celles des banques AFB...

Or l'existence du secteur public et parapublic est aujourd'hui menacée par une politique dépourvue de vision à long terme et qui aboutit au mariage d'activités lucratives et d'intérêt général dont l'incompatibilité, sinon l'antinomie, éclate rapidement. Il serait plus opportun de favoriser l'union ou la coopération entre établissements de nature juridique et de culture plus proches.

Il faut aussi veiller à ne pas saper les structures publiques. Sous couvert de "clarification de l'organisation", se développe actuellement un projet de filialisation de la direction des activités bancaires et financières de la Caisse des dépôts, qui n'est pas de bon augure à cet égard...

Nous sommes d'autant plus enclins à refuser de voir l'épargne populaire et les projets d'économie sociale réduits à la portion congrue que la reprise du Crédit Foncier prend maintenant des contours conformes à ce que nous souhaitions depuis un an. Une alliance entre la Caisse d'épargne et la Caisse des dépôts pour assurer cette prise en charge nous est en effet apparue dès le début de 1998 comme propice à une consolidation du secteur public et parapublic, face à la montée en puissance des multinationales de la finance. Les faits nous donnent raison et nous permettent de reléguer au rang de mauvais souvenir la tentative de rachat du Foncier par la filiale financière de General Motors.

Il apparaît primordial de réfléchir, par conséquent, à un regroupement des acteurs majeurs de la banque publique et parapublique, au sein d'une "Grande financière d'intérêt général" qui servirait de levier économique aux politiques gouvernementales. Cette Financière réunirait, outre le Foncier, les caisses d'épargne, La Poste, la Caisse des dépôts -en tant que maître d'oeuvre, mais aussi, cela surprendra peut-être, le Crédit Lyonnais. En outre, la Banque de France, la CEPME, le CFCE, le Comptoir des Entrepreneurs, la Caisse française de développement, la COFACE, le Crédit local de France et l'IEDOM la compléteraient idéalement, chacun en fonction de son identité propre, pour contribuer à financer la lutte pour la croissance, pour l'emploi, pour la cohésion sociale et la solidarité (Exclamations sur les bancs du groupe DL).

M. François Goulard - Les sovkhozes contre les kolkhozes !

M. Jean-Pierre Brard - Abandonnez donc ces provocations idéologiques  Mais vous avez tant de mal à trouver vos marques qu'il vous faut faire diversion : ce n'est plus le pluralisme dans vos rangs, mais la Samaritaine politique ! (Sourires)

Quant à la présence du Crédit Lyonnais dans ce regroupement, elle se justifie par le montant qu'auront à débourser les contribuables -plus d'une centaine de millions.

La mise en place d'un tel conglomérat répondrait à la recomposition rapide du paysage financier. A l'heure où la nouvelle entité Société Générale-Paribas devient la quatrième banque mondiale, il nous faut pouvoir rivaliser avec les acteurs issus des fusions à grande échelle pour maintenir sur notre territoire des centres de décision véritablement nationaux. Dans cette perspective, la réforme des caisses d'épargne peut nous servir de marchepied, pourvu que nous sachions préciser les missions de ces établissements.

En effet, s'il existe un établissement à vocation populaire, c'est bien l'Ecureuil. La réforme devrait donc être l'occasion de redéfinir le périmètre de l'intérêt général, selon des modalités énoncées voici quelques mois par la Commission, mais avec le souci de la transparence et de la démocratie et avec la volonté de développer la coopération avec les Sparkassen allemands ainsi qu'avec les caisses d'épargne italiennes et espagnoles. Or, dans sa rédaction actuelle, le projet du Gouvernement ferait prendre aux caisses d'épargne des risques inacceptables.

Il va sans dire que les normes de rentabilité fixées par les investisseurs privés aux banques du secteur commercial ne peuvent s'imposer au secteur public et parapublic que nous souhaitons. Pour nous, la priorité doit aller au financement d'équipements durables : construction et modernisation des hôpitaux et des universités, aménagements routiers, transports publics, amélioration et protection de l'environnement. D'autre part, il semble acquis que ce pôle financier public et semi-public trouvera son assise dans une option européenne affirmée, dans la satisfaction des besoins des plus modestes, dans le financement de l'aménagement du territoire, de l'emploi et du développement. Et les travaux pratiques vont commencer sans tarder, Monsieur le ministre : dès que nous nous pencherons vers l'avenir des caisses d'épargne ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

Mme Chantal Robin-Rodrigo - L'un des premiers employeurs du pays, assurant un maillage serré du territoire, le secteur bancaire doit avoir deux préoccupations primordiales : la croissance et l'emploi.

La croissance : la priorité donnée par le Gouvernement à l'emploi, avec les emplois-jeunes et la réduction du temps de travail, commence à porter ses fruits. La chômage recule, 390 000 emplois ont été créés ; la consommation a augmenté, de même que l'investissement des entreprises, qui bénéficient de la réforme de la taxe professionnelle.

Avec la mise en place de l'euro, notre pays est contraint d'adapter sa législation et sa réglementation pour permettre à notre système bancaire d'affronter la concurrence européenne et mondiale. Il ne saurait en effet y avoir de développement économique sans un système bancaire fort.

Les réformes sont nécessaires et urgentes : la rentabilité de nos banques est inférieure à celles des banques anglaises et allemandes et le secteur est trop faiblement concentré : nous comptons une dizaine de groupes importants, contre trois ou quatre seulement chez nos voisins.

L'Etat doit préserver le secteur public financier en conciliant intérêt national, développement européen et, surtout, emploi. Avant toute privatisation, il doit tenir compte des missions de service public que les établissements bancaires doivent remplir. Si l'euro rend indispensable une harmonisation fiscale à l'échelle de l'Union, cette harmonisation doit favoriser le travail plutôt que le capital. Il faut, par conséquent, poursuivre le rééquilibrage entre fiscalité du travail et fiscalité du capital amorcé dans la loi de finances : cela s'impose au nom de l'égalité et pour constituer un modèle européen de société solidaire.

A cet égard, le projet portant réforme du statut des caisses d'épargne nous apparaît comme un bon projet. Ces établissements occupent dans notre paysage bancaire une place originale et précieuse : avec près de 30 millions de clients, 4 220 agences, 39 000 salariés, avec un produit tel que le Livret A détenu par près de 46 millions de Français, elles remplissent le rôle des banques de proximité, protègent l'épargne populaire et contribuent à financer le logement social. Ces atouts doivent être préservés. Le statut coopératif qui leur sera accordé les sortira de leur isolement et leur permettra de rejoindre des groupes compétitifs tout en gardant leur spécificité. D'autre part, l'affectation du produit de leur cession au fonds de réserve pour les retraites aidera à sauver notre régime par répartition.

Cette restructuration du service public bancaire peut s'appuyer sur la Caisse des dépôts et consignation, la Caisse Nationale de Prévoyance, La Poste et les caisses d'épargne.

Les réformes en cours, bien engagées par le Gouvernement, ne peuvent se poursuivre que si elles renforcent la solidarité dans notre pays. Je reprendrai votre expression, Monsieur le ministre : il ne doit pas y avoir une banque des pauvres et une banque des riches. C'est pourquoi il faudrait réaménager les prêts d'accession à la propriété, dont il faut réduire les taux et supprimer la progressivité. Ces prêts ont en effet été attribués à des personnes aux revenus modestes, qu'il faut aider à conserver leur patrimoine en réduisant leurs charges mensuelles.

De même, il convient de réaffirmer le droit à l'ouverture d'un compte bancaire, imposer l'allégement des frais fixes et réduire les taux applicables aux découverts. Si notre système bancaire doit rester rentable, un service public bancaire doit être assuré au bénéfice des petits épargnants, à qui on continue de facturer des services minimaux. Il faudra veiller à protéger le consommateur. La réforme du système bancaire ne doit pas se traduire par des hausses tarifaires.

Les banques devront aussi se montrer moins frileuses à l'égard des jeunes créateurs d'entreprise. Il faut orienter l'épargne vers l'investissement dans les PME.

Dans un environnement concurrentiel et en pleine mutation, les banques françaises doivent être compétitives. Les regroupements, comme celui de la Société Générale et de Paribas, les y aideront. Cependant, la constitution de mastodontes ne suffit pas à garantir l'avenir. Il faudra préserver l'emploi et veiller à ce que notre système financier encourage l'innovation et la prise de risques. La réforme de notre organisation financière ne doit pas se faire au détriment des citoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Alain Rodet - Le secteur public est présent dans la sphère des banques affiliées à l'AFB comme dans celui des institutions financières et a même des ramifications dans le réseau des banques mutualistes et coopératives. Il est directement intéressé par l'activité financière de La Poste et de la CNP et doit se montrer attentif aux décisions de la Caisse des dépôts.

Les réformes juridiques et fiscales, la loi bancaire de 1984, l'apparition au début des années 80 de taux d'intérêt réels positifs, la fin de l'encadrement du crédit, les privatisations bancaires, la crise boursière de 1987, la crise monétaire de 1993, la monnaie unique et la transposition des directives européennes ont considérablement modifié les perspectives de ce secteur.

La "financiarisation" débridée de l'économie met à mal les particularités françaises dans le domaine bancaire, en même temps que le gonflement déraisonnable des transactions, résultat de la déréglementation, donne l'avantage aux décisions de court terme. Les spécialistes appellent overshooting ce phénomène : les capitaux réagissent sans délai aux évolutions des taux d'intérêt, alors que les ajustements commerciaux obéissent à des cycles bien plus longs. Il paraît que même les gnomes de Davos commencent à s'en rendre compte.

Mais dénoncer l'horreur qui résulte d'une telle volatilité ne suffit pas à garantir l'avenir du secteur public financier, qui a montré ses faiblesses et sa rigidité. Il doit préférer la stratégie du mouvement à celle du bunker.

Comme l'a déclaré récemment le président du conseil italien, M. D'Alema, "il faut savoir remettre en cause ses certitudes pour garder sa raison d'être". C'était reprendre la phrase d'un personnage du Guépard de Visconti, pour qui "il faut que tout change pour que rien ne change".

Ne diabolisons pas les directives européennes, dont la transposition a provoqué l'ire des ultra-libéraux regroupés au sein d'European Capital Markets Institute, pour qui ces textes créent des obstacles insurmontables à la libéralisation de l'économie.

Certains parlementaires, et je pense en particulier au sénateur Marini, ont profité des débats occasionnés par la transposition de ces directives pour pousser les feux de l'ultra-libéralisme en matière financière.

En réalité, le secteur public financier ne peut fonctionner au service de l'économie réelle que s'il fait évoluer ses méthodes et ses structures. S'il réussit sa mutation, il sera capable d'aider ceux qui veulent mettre fin aux privilèges dont jouissent les places de Londres et de Luxembourg.

Notre pays a besoin d'un service public moderne et efficace. Le rôle de la Caisse des dépôts et consignations doit être réaffirmé, après que le DDOEF de 1996 a porté atteinte à cette institution. Il faut aussi renforcer les structures des caisses d'épargne, qui doivent demeurer adossées à la Caisse des dépôts et pouvoir nouer des alliances en Europe avec des réseaux comparables. Quant au Crédit Foncier, cet établissement original qui a failli disparaître, il doit pouvoir s'intégrer au réseau des caisses d'épargne.

La monnaie unique et le nouveau régime des changes qui en résulte va créer une nouvelle donne, qui profitera à notre système public de crédit pourvu qu'il choisisse la bonne stratégie. Notre futur débat sur les caisses d'épargne l'y aidera.

Le secteur public ne doit pas s'inquiéter des spectaculaires opérations de fusion qui viennent d'intervenir dans le privé. Le rapprochement de la Société Générale et de Paribas aurait-il été possible trois mois plus tôt, en octobre 1998, quand la capitalisation boursière de la Société générale a chuté de 30 % en quelques jours ?

Le secteur public a encore un avenir, s'il fait appel à des visionnaires lucides et à des gestionnaires avisés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. François Goulard - Nous connaissons tous les raisons qui sont à l'origine de ce débat, qui expliquent la teneur de vos propos, Monsieur le ministre. Des propos pour le moins curieux, et même stupéfiants (M. le ministre s'étonne).

Vous nous dites que la privatisation n'est pas un but en soi et que vous ne privatisez qu'au cas par cas...

Mme Nicole Bricq - Au moins, nous réussissons nos privatisations !

M. Jean-Pierre Balligand - Ça change du gouvernement Juppé !

M. François Goulard - Il faut être aveugle pour ne pas voir cette accumulation de catastrophes financières, plus ou moins importantes, que nous devons au secteur public : le Crédit Lyonnais bien sûr, mais aussi la Société Marseillaise de Crédit, le Comptoir des Entrepreneurs, la Banque Hervet, le CIC, le CEPME...

Votre argument est que les groupes privés, eux aussi, ont commis des erreurs. Mais ce sont leurs actionnaires qui en ont payé les conséquences et non les contribuables.

La privatisation, qui ne constitue certes pas un but en soi, est nécessaire et urgente. L'activité financière, parce qu'elle est à haut risque, implique une discipline rigoureuse. Or l'Etat, actionnaire inattentif, voire irresponsable, a généralement nommé des dirigeants incompétents (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Les responsables des établissements publics de crédit n'ont jamais travaillé aux guichets (Exclamations sur les bancs du groupe communiste). Evitons que les petits marquis et les grands barons de l'administration prennent le commandement de nos grandes entreprises bancaires.

Il faut donc privatiser ce qui reste du secteur public et mettre fin à cet anachronisme que constitue le financement du logement social, qui se fait aujourd'hui à des taux supérieurs à ceux du marché !

Les caisses d'épargne ont fait le choix d'un statut mutualiste et vous avez raison d'entériner cette décision. Cependant, les entreprises mutualistes ont tendance aujourd'hui à se banaliser. Surtout, la tutelle de la Caisse des dépôts risque de se traduire par un funeste cumul de responsabilités, comparable à celui qui a existé entre la direction du Trésor et les banques nationalisées.

Il faut que les caisse d'épargne vivent leur vie, sans être soumises à l'influence d'une administration. Elles doivent être dirigées par des personnes issues de leurs rangs.

M. Jean-Pierre Brard - Une nomenklatura !

M. François Goulard - Monsieur Brard, écoutez-moi plus attentivement : je plaide en faveur de la promotion interne du personnel.

Il faudra aussi privatiser cet organisme inutile et anachronique qu'est la Caisse des dépôts et consignations (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Tels sont les voeux modestes, mais empreints, je crois, d'un réalisme issu de l'expérience, que je voulais émettre ce matin (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et sur plusieurs bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Yves Cochet - Ma question principale est la suivante : Bercy ne poursuit-il pas patiemment la transformation du capitalisme français en capitalisme anglo-saxon ?

L'une des étapes fut l'autorisation donnée l'an dernier aux entreprises de racheter leurs actions. Pourquoi les entreprises détruisent-elles ainsi du capital ? Pour augmenter leur taux de profit, parce que les fonds de pension exigent du 15 à 20 % net... Cette transformation de ce qu'on appelait jadis le"capitalisme monopoliste d'Etat" en capitalisme purement financier est une volonté de vieillards : avec cette économie de rentiers, on atteint le stade gâteux du capitalisme.

Une autre étape consiste aujourd'hui à faire passer vers le privé l'épargne publique, avec la privatisation partielle ou totale de la CNP, du CIC, de la Banque Hervet, du Crédit Foncier, du Crédit Lyonnais, une fois ces banques recapitalisées à coup de dizaines de milliards par les contribuables... Avouez, Monsieur le ministre, que c'est difficile à avaler !

Avec l'entrée en vigueur du cinquième protocole de l'OMC, que notre assemblée a ratifié sans états d'âme il y a trois semaines, l'heure est à la libéralisation des services financiers, qui représentent la bagatelle planétaire de 30 000 milliards de dollars... C'est dans ce contexte d'extrême dérégulation que s'inscrivent les récentes fusions dans les secteurs des banques et des assurances. Parallèlement, l'entrée en vigueur du système euro conduit les banques à compenser une partie de ce qu'elles perdent sur les opérations de change par un engagement accru sur les marchés financiers.

En toile de fond, l'"insécurité financière", ainsi nommée par les porte-parole officiels du sommet de Davos, n'est que le revers de l'extrême volatibilité des marchés financiers. A chacun son insécurité : les opérateurs financiers d'un côté, les petits épargnants, hélas, de l'autre !

L'évolution du système bancaire et financier français, dans ce contexte, présente de nombreux risques.

Risques sociaux, tout d'abord. L'absorption d'UAP par AXA en 1996 s'est traduire par 3 000 suppressions d'emplois ; aujourd'hui, des menaces pèsent sur des dizaines de milliers d'emplois dans les grandes banques.

Risques, ensuite, de démantèlement des missions d'intérêt général des caisses d'épargne et des établissements de la Banque de France.

Un projet de loi va nous être soumis sur les caisses d'épargne, visant à les doter d'un statut coopératif et à transformer les structures du groupe ; je ne reviens pas sur les excellentes remarques faites sur ce sujet par Augustin Bonrepaux et Jean-Pierre Brard. Je crains que ce texte remette en cause le caractère non lucratif des caisses d'épargne et s'inscrive dans le contexte libéral que je viens de brosser. On ne peut pas, Monsieur le ministre, tout à la fois prôner la sécurité financière et s'en remettre aux aléas des marchés quant à l'avenir des secteurs semi-publics financiers... Les restructurations bancaires font peser une menace sur les 80 000 emplois directs du secteur semi-public, voire sur des dizaines de milliers d'emplois induits par le soutien à l'économie -à travers le financement des PME, celui du logement social et du secteur public local, la collecte de l'épargne populaire ou les missions monétaires et fiduciaires.

De même, les missions d'intérêt général de la Banque de France sont en question, tout particulièrement en matière de surendettement : certes, les décrets d'application de la loi de 1998 sur le surendettement sont enfin parus, mais il faut dégager des moyens suffisants et durables ; affecter à cette missions des emplois-jeunes, c'est substituer des emplois précaires à des emplois statutaires.

Là encore, deux discours contradictoires coexistent : d'un côté, celui que nous tenons ici sur la lutte contre les exclusions ou les garanties sociales ; de l'autre, celui des institutions financières. L'arrogance du dernier communiqué de la Banque de France, en date du 9 février, que j'invite tous mes collègues à lire, m'amène à m'interroger sur la place laissée au politique dans le domaine qui nous occupe.

Je conclus par quelques questions. A quand des directives européennes et des lois sur l'épargne éthique, sur la sécurité financière des citoyens et des PME, sur la structuration des banques coopératives ? A quand un débat sérieux sur le contrôle des marchés financiers et la taxation des mouvements spéculatifs ? J'approuve la proposition faite tout à l'heure par M. Douyère d'une taxe Tobin à l'échelle européenne. Sur tous ces sujets, il faut répondre aux attentes de nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Balligand - La mise en place de l'euro devrait nous conduire à porter un nouveau regard sur le paysage bancaire français et européen. En effet, comme vient de le souligner la Banque centrale européenne, l'euro va agir comme un catalyseur des tendances passées ; il va accentuer la concurrence entre les établissements de crédit, fragiliser les banques moyennes et renforcer la tendance aux fusions.

Pour autant, nous ne devons pas céder à l'amnésie en ce qui concerne les accidents financiers, qui, depuis 1997, ont engendré un climat d'incertitude.

C'est dans ce double contexte que nous devons réfléchir à un code de bonne conduite et aux moyens de constituer, aux niveaux français et européen, des pôles de stabilité bancaire, à même d'assurer dans les meilleures conditions le financement de la croissance.

Nous devons, tout d'abord, préserver la multiplicité des modèles de banque. Un pôle concurrentiel fort est nécessaire ; à cet égard, je me réjouis que les banques françaises prennent enfin des initiatives de fusion, car l'euro y oblige : si elles ne le faisaient pas, nous laisserions le champ libre aux anglo-saxons.

Il nous faut aussi préserver un pôle mutualiste et coopératif ; et enfin, l'ensemble des établissements bancaires européens offrant des services d'intérêt général, il faudra que nous parvenions un jour à définir un statut d'entreprise publique financière, valable sur l'ensemble de la zone euro.

Puisque nous ne savons pas à l'avance quel sera le résultat de l'intensification de la concurrence bancaire en Europe, il faut poser quelques principes.

Le premier : rechercher des partenariats pertinents et stables. Même si on a trop tardé à organiser des rapprochements, il ne faudrait pas se lancer dans des opérations précipitées, uniquement motivées par la recherche de la taille critique européenne. Il faut privilégier la complémentarité des métiers, par exemple en alliant des banques de réseaux avec des banques d'affaires ; mais il faut aussi éviter les chevauchements de métiers. A cet égard, je ne saurais critiquer ce qui s'est fait pour le CIC et pour le GAN.

M. le Président - Vous avez épuisé votre temps de parole...

M. Jean-Pierre Balligand - Encore quelques mots. Le deuxième principe est la fixation de taux de rentabilité des fonds propres raisonnables. Pour le secteur privé, on peut admettre des taux très élevés ; ailleurs, il faut éviter une dérive.

M. Philippe Auberger - On en reparlera pour les caisses d'épargne...

M. Jean-Pierre Balligand - Il faut donc, par exemple à la Caisse des dépôts, identifier ce qui relève réellement du secteur concurrentiel ; une meilleure transparence est nécessaire, y compris pour la commission de surveillance, que je représente ici.

Je voudrais rappeler que le quinquennat de M. Philippe Lagayette à la tête de la direction générale a rapporté à l'Etat 154 milliards de francs.... C'est plus que la totalité des privatisations -145 milliards. Il existe un secteur public qui joue dans le secteur concurrentiel et fait des analyses de risques !

Troisième principe : celui d'une véritable solidarité de place entre établissements, indépendamment de leur statut d'origine.

Quatrième principe : le secteur privé doit être associé aux pertes des établissements bancaires, afin qu'elles ne soient pas socialisées en totalité, comme ce fut le cas au Japon, où le Trésor public a dû débourser 170 milliards de dollars et nationaliser deux banques au passage - mais on n'entend guère les libéraux sur ce sujet...

Cinquième et dernier principe : l'élargissement de l'emploi des fonds collectés. Sur 1 200 milliards de francs d'épargne administrée, le livret A en capte 700, et son taux de liquidité n'est que de 38 %. Bruxelles a donné son feu vert, pour peu qu'il s'agisse d'investissements d'intérêt public, à une diversification, qui pourrait donc bénéficier, entre autres, aux transports collectifs urbains en site propre. La décision n'est toujours pas prise, mais l'économie française et les collectivités locales ont besoin de ces disponibilités supplémentaires (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Le débat est clos.

M. le Ministre - Je remercie l'ensemble des participants à ce débat, qui ont eu à coeur d'insister -pour s'en plaindre ou s'en féliciter, ce qui me donne à penser que la politique du Gouvernement est somme toute équilibrée - sur le fait que le secteur financier français a beaucoup évolué en deux ans.

Je suis d'accord avec M. Jegou pour dire que la place de Paris doit jouer un rôle important. Londres et Francfort ont pris, sinon une longueur d'avance, du moins un départ anticipé, car il semble que les difficultés techniques soient plus grandes que prévu... Paris risque-t-il d'être tenu à l'écart ? Je ne le crois pas, et j'ai plutôt confiance dans les initiatives prises par la profession au niveau européen, car c'est à elle, je le rappelle, qu'incombe la responsabilité de ce mouvement de regroupement. Je serais même tenté de taquiner M. Jegou en lui faisant observer que ses références historiques -1936, 1945, 1981, 1997- sont les moments où la gauche était au pouvoir... (Sourires)

M. Cuvilliez a porté le débat sur le terrain des placements financiers. S'il s'agit de dire qu'il n'y a pas d'intérêt pour la collectivité à ce que l'argent tourne sans arrêt et ne s'investisse nulle part, je suis tout à fait d'accord, mais l'argent finit toujours, après avoir virevolté je ne sais combien de fois, par s'investir quelque part, sans quoi il n'y aurait pas de rendement. On peut essayer de limiter les effets déstabilisateurs des mouvements de capitaux, mais il ne faut pas condamner les placements financiers en eux-mêmes, car c'est aussi l'épargne des particuliers.

Les taux bonifiés posent un problème délicat. Ils permettent d'emprunter moins cher, mais la différence est payée, en fin de compte, par quelqu'un, et ce quelqu'un, c'est soit le prêteur, c'est-à-dire l'épargnant, soit l'Etat, c'est-à-dire le contribuable, y compris le smicard qui paie la TVA, et qui finance donc de cette façon l'avantage dont bénéficie l'entrepreneur qui investit. Les choses ne sont donc pas simples.

S'agissant des caisses d'épargne, je dois souligner que c'est la première fois qu'une loi énonce leurs missions d'intérêt général, lesquelles justifient notamment la non-banalisation du Livret A, le dividende social, l'affectation d'une part du capital au fonds de réserve des retraites, sans parler des financements privilégiés qu'elles apportent.

Pour ce qui est, enfin, de l'IEDOM, la concertation est lancée. Son intégration pure et simple à la Banque de France aurait l'inconvénient, par rapport à sa transformation en filiale de celle-ci, de lui faire perdre sa spécificité, et donc la justification de la participation des élus. En tout état de cause, le statut des personnels sera préservé.

M. Gaymard a posé la question du rôle d'actionnaire de l'Etat. Ce rôle est clairement défini, et l'Etat l'a joué lorsqu'il y a été contraint - plutôt mieux, me semble-t-il, que ne l'aurait fait un actionnaire privé. L'orateur a critiqué l'économie mixte et l'implication de l'Etat, mais sa critique, certes plus modérée que celle de M. Goulard, est largement infondée : dans le secteur bancaire comme dans les autres, en France comme à l'étranger, il y a des exemples de bonne et de mauvaise gestion dans le privé comme dans le public. N'oublions pas que le réseau américain des caisses d'épargne, dont la faillite a coûté deux points de PIB aux Etats-Unis, était privé ! Et n'oublions pas non plus les grands succès industriels remportés par France Télécom ou par l'Aérospatiale...

Faut-il, dans le choix des futurs actionnaires du Crédit Lyonnais privatisé, privilégier une banque française par rapport à une banque étrangère ? J'appelle l'attention de chacun sur les contraintes qui s'exercent sur nous du fait, comme l'a gentiment rappelé M. Gantier, de la Commission européenne ? La privatisation doit être "ouverte, transparente et non discriminatoire", ce qui signifie qu'il n'est pas question de privilégier les candidats français, même si l'on peut espérer, compte tenu des liens traditionnels entre le Crédit Lyonnais et certains groupes français, que c'est une solution de ce type qui finira par prévaloir.

Je ne voudrais pas qu'un concurrent puisse engager un recours contre la privatisation. La nationalité ne sera donc pas privilégiée, je m'en porte garant. En revanche, l'accent sera mis sur les liens déjà existants entre des entreprises et la banque.

Il est clair que la Caisse des dépôts doit évoluer, en particulier, M. Balligand l'a souligné, quant à ses missions d'intérêt général. Mais je n'ai pas encore été saisi des résultats de la réflexion engagée par la direction générale.

Nous aurons l'occasion de reparler longuement des caisses d'épargne. Dès lors que le Gouvernement n'a pas pour objectif de bouleverser le réseau, il paraît légitime qu'il se prononce sur le choix du président. C'est une contrepartie légitime aux missions d'intérêt général et à l'avantage de la distribution des livrets A.

Sur la tarification des services bancaires, je ne saurais préjuger des résultats de la concertation engagée.

Pour les opérations en euros, le problème tient surtout au fait que les Français utilisent plus les chèques que les autres. Je ne peux donc que les inviter à ce servir plutôt de leur carte bancaire à l'étranger.

L'idée, avancée par M Douyère, d'un livret d'épargne défiscalisé pour toute l'Europe me paraît bonne, mais il est difficile de la faire accepter par nos partenaires car ceux qui ont une fiscalité de l'épargne qui rapporte ont du mal à y renoncer et ceux qui n'en ont pas ne voient pas l'intérêt de la mesure. Cela nous éviterait toutefois d'avoir sans cesse à défendre notre situation particulière.

La taxe Tobin fonctionne très bien sur le papier, mais dans la réalité, il est impossible pour un Etat seul ou même pour un groupe d'Etats de la mettre en oeuvre isolément.

Par ailleurs, soit elle rapporte beaucoup d'argent, ce qui signifie qu'elle ne freine en rien les flux de capitaux, soit elle ne rapport rien et l'on ne peut utiliser son produit à tous les usages prévus. Que pensent ses défenseurs de cette contradiction ?

Bien sûr, Monsieur Laffineur, il faut poursuivre l'opération du Crédit Lyonnais.

Le Gouvernement est prêt à aider, dans le respect des règles européennes, aux regroupements d'opérateurs français, comme entre la Société Générale et Paribas. Nous avons besoin de petites banques mais aussi de mastodontes comme celui-ci ou le Crédit Agricole. Sans doute en faudrait-il un troisième.

Pour la majorité, le Livret A doit continuer d'exister avec un taux spécifique. Pour vous, les taux administrés n'ont plus de raison d'être.

M. Jean-Pierre Brard - Nous le dirons à ses électeurs... (Sourires)

M. le Ministre - C'est une divergence fondamentale et le débat devrait être porté devant les Français.

Je préférerais moi aussi, Monsieur Suchod, que les taux d'intérêt soient plus faibles. Mais les taux européens sont déjà plus faibles qu'aux Etats-Unis, où l'investissement va fort. Pour les baisser encore, il faut des structures budgétaires assainies et mieux tenues. Moins l'Etat a besoin de financer son déficit, plus les taux peuvent baisser.

En effet, il faut demander des comptes à ceux qui sont à l'origine des dérapages. Pour le Crédit Lyonnais, la justice est saisie. Mon ministère lui fournit tous les éléments demandés. Nous avons ainsi donné un avis favorable à la saisine de la Cour de discipline budgétaire. Pour le GAN, nous avons demandé que la justice soit également saisie, de même que pour le CDR, à chaque fois qu'il y a un doute sur une opération. Le dernier DDOEF permet aux agents des Finances d'apporteur leur compétence au ministère de la justice.

Au prochain G7, la France plaidera, avec l'Allemagne et l'Italie, en faveur d'un système de régulation international, seul à même de protéger les épargnants français dans un système financier globalisé.

Je suis d'accord avec le président Bonrepaux sur la nécessité de préserver la diversité de notre système financier, en particulier ce réseau de proximité que constituent en effet La Poste, mais aussi l'Ecureuil et le Crédit Agricole. Le système financier c'est la grande finance internationale, mais aussi l'agence bancaire du coin de la rue.

Il faut faire la distinction entre propriété du capital et décisions des dirigeants qui peuvent être bonnes ou mauvaises aussi bien dans le public que dans le privé.

Tout en rappelant les avantages du Livret A vous avez, Monsieur le rapporteur général, laissé la porte ouverte à la discussion sur le niveau de rémunération. Vous l'avez dit, cette question n'est pas taboue, surtout en période de faible inflation et de faibles taux.

Je vous remercie d'avoir souligné que la contribution au Fonds de garantie sera déductible de celle sur les activités financières, ce qui devrait satisfaire tout le monde.

Vous avez aussi souligné avec force combien le secteur financier avait bougé depuis 20 mois, nul ne peut prétendre le contraire.

M. Gantier m'a rappelé que la privatisation du Lyonnais était imposée par Bruxelles.

Je juge quelque peu contradictoire, dans sa logique libérale, de réclamer sans cesse "moins d'étatisation" et de demander que l'Etat intervienne plus pour aider la restructuration du secteur.

Nous savons tous que sans intervention de l'Etat il ne saurait y avoir de grand secteur financier.

Monsieur Bard, vous avez voulu ce débat. Il vous a permis de souligner le rôle du pôle public, et je suis d'accord : la Caisse des dépôts, la CNC, les BDPME, les caisses d'épargne sont déjà et doivent être mieux encore un indispensable pôle public d'épargne et de financement. Vous avez raison également de dire que la réforme des caisses d'épargne doit être l'occasion de redéfinir l'intérêt général. N'oublions pas toutefois le problème des fonds propres. J'accorde que, quand il y a des missions d'intérêt général, la notion de rentabilité n'est pas de même nature que quand il n'y en a pas. Mais il faut une certaine rentabilité à ces institutions pour qu'elles aient des fonds propres ; sans quoi elles risquent d'être déstabilisées et incapables de participer aux investissements. C'était une faiblesse de notre système que la forte sous-capitalisation. Faisons donc une différence légitime entre les structures qui ont une mission d'intérêt général et celles qui n'en ont pas ; mais n'allons pas jusqu'à dire -et d'ailleurs vous ne le dites pas- que les premières pourraient s'écarter de toute contrainte de rentabilité.

J'ai apprécié les propos de Mme Robin-Rodrigo sur le service public, le surendettement, le droit au compte, son soutien à la politique générale du Gouvernement et la coloration générale de son intervention en faveur des plus défavorisés, de ceux qui sont les plus étrangers au monde de la finance.

Je partage le sentiment de M. Rodet que le secteur public n'a pas à être complexé face aux restructurations du privé. Nous avons la capacité d'avancer et le rôle pivot de la Caisse des dépôts va dans ce sens.

M. Goulard a tenu un propos un peu emporté, dans un débat globalement courtois. Que le Gouvernement privatise quand il y est obligé ou quand il a de bonnes raisons de le faire, je ne vois pas ce qu'il y a là de critiquable. C'est assurément mieux que de privatiser sans raisons ! N'ayons pas la privatisation pour tout bréviaire, la lutte contre l'étatisation pour tout horizon. Il y a autre chose à faire, dans le domaine financier, que de se trémousser sur sa chaise en criant "privatisation, privatisation, privatisation"... D'autre part, si des erreurs sont commises dans un établissement privé, ce sont les actionnaires qui paient. Dans le public, il n'est pas scandaleux que ce soient des fonds d'Etat. Ce qui est scandaleux, ce sont les cas où le privé fait des erreurs et où les fonds publics doivent payer. Il y en a des exemples, contre lesquels je n'ai pas entendu M. Goulard s'élever, comme ceux du Crédit Martiniquais ou de la Compagnie du BTP.

M. Goulard veut des dirigeants compétents et qui soient du métier ; j'en suis bien d'accord. M. Inchauspé, qui est un expert, pourra lui dire qu'à la Société Marseillaise de Crédit le dernier directeur, mis en place par la précédente majorité, était un banquier. Il ne s'en retrouve pas moins devant les tribunaux, et sa gestion n'a pas été des meilleures. Il est vrai qu'il était secrétaire général du groupement RPR-Banque (Sourires sur les bancs du groupe socialiste), mais je ne crois pas qu'il y ait un lien de cause à effet. Je retiens simplement que même les professionnels ne sont pas toujours à la hauteur.

Monsieur Cochet, il y a un point de votre argumentation que je n'ai pas bien suivi. Quand les entreprises peuvent racheter leurs actions, vous dites que cela permet d'augmenter le taux de rentabilité. Pourtant, après ce rachat, il y a moins d'actions en circulation, alors que la valeur de l'entreprise n'a pas changé. Chaque action vaut donc davantage, et par conséquent son taux de rentabilité diminue.

M. Jean-Pierre Brard - C'est très marxiste !

M. le Ministre - Vous vous inquiétez des caisses d'épargne, que vous ne souhaitez pas confier aux aléas du marché. Vous avez raison. Mais le système des parts de coopérateurs est une vieille tradition ouvrière. Sa mise en place permettra aux caisses d'épargne de se développer, tout en évitant la dérive vers une banalisation que nul ne souhaite.

Vous appelez, enfin, les directives européennes sur l'épargne éthique. Sont-ce les directives qui doivent être éthiques, ou l'épargne ? (Sourires) Dans le premier cas, notre débat d'aujourd'hui va dans ce sens. Dans le second, c'est un vaste débat, que je renvoie à plus tard.

Le code de bonne conduite que souhaite M. Balligand au niveau européen avance, même si l'on est encore loin du compte. La contribution française sur la surveillance des opérations financières est un des éléments qui ont fait progresser ce débat. Celui-ci est compliqué, et on ne peut promettre des résultats prochains. Mais nous obtiendrons, je le crois, que des éléments de transparence et de régulation soient peu à peu mis en place. Je partage volontiers l'analyse de M. Balligand sur les trois modèles qui doivent coexister : un pôle concurrentiel fort, un pôle public, un secteur chargé de missions d'intérêt général. Cela n'empêche pas la maison commune, mais cela permet de distinguer les fonctions ; même dans la maison commune, la diversité doit demeurer. Je suis, enfin, ouvert au débat sur l'extension des missions remplies par les fonds d'épargne.

Je suis conscient de n'avoir pas répondu à tout, faute de temps. Je remercie tous les parlementaires qui ont participé à ce débat. Celui-ci a permis, au-delà de quelques figures de style obligées, de constater que les positions des parlementaires, sur les grandes orientations à tenir, étaient assez proches les unes des autres, et de celles du Gouvernement. J'ai été frappé de constater que, dans l'opposition comme dans la majorité, les grandes lignes de notre politique financière n'étaient pas contestées. Je suis donc très satisfait, et reconnaissant à l'Assemblée d'avoir organisé ce débat (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 13 heures 10.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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