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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 65ème jour de séance, 166ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 17 FÉVRIER 1999

PRÉSIDENCE DE M. Raymond FORNI

vice-président

          SOMMAIRE :

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 1

    STATISTIQUES DU CHÔMAGE 1

    DÉFICIT DE LA BRANCHE MALADIE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE 2

    LOI SUR LES 35 HEURES 3

    SOINS PALLIATIFS ET EUTHANASIE 4

    FISCALITÉ DES ASSOCIATIONS 5

    RÉDUCTION DE LA DURÉE DU TRAVAIL 6

    NOUVELLE-CALÉDONIE 6

    OPÉRATIONS VILLE-VIE-VACANCES 7

    SUPPRESSION DU TRIBUNAL DE BRESSUIRE 7

    FUSION ENTRE AÉROSPATIALE ET MATRA 8

    PATHOLOGIES DU TRAVAIL 9

ELECTRICITÉ (suite) 9

La séance est ouverte à quinze heures.


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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

STATISTIQUES DU CHÔMAGE

M. Patrick Devedjian - Il y a quelques semaines, le Gouvernement annonçait, avec le manque de modestie qui le caractérise souvent, une victoire sur le chômage, proclamant une baisse de 151 200 du nombre des chômeurs en 1998. Or l'UNEDIC et un grand journal du soir font apparaître que c'est là une présentation tronquée. Elle l'est, en effet, puisqu'elle porte uniquement sur la catégorie 1. Si le Gouvernement avait tenu compte, comme il l'aurait dû, des 7 autres catégories, il serait apparu qu'en réalité, loin d'avoir diminué, le nombre des chômeurs s'est accru de 20 100 en 1998 (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Ne me dites pas, Madame la ministre, que vous avez utilisé la même méthode de comptage que le gouvernement précédent : ce n'est pas sur elle que porte ma contestation, mais sur une présentation partielle et partiale. En 1998, le Gouvernement a déjà vigoureusement nettoyé les listes de chômeurs, et retranché de la sorte 100 000 des inscrits à l'ANPE. Il a aussi créé une catégorie d'emplois subventionnés et précaires pour nos jeunes. Lui fallait-il, en plus, faire une présentation partielle et partiale des chiffres du chômage pour nous faire croire à une baisse alors même que c'est d'une hausse qu'il aurait fallu parler ? Madame la ministre, nous voulons la vérité sur les statistiques du chômage (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF).

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Monsieur Devedjian, pas vous, pas ça ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF) Les chiffres retenus sont ceux de la catégorie 1, définie par M. Barrot. Pour ma part, j'ai, dès mon arrivée, rétabli le système "1 + 7" que vous aviez supprimé parce que je voulais, précisément, mieux connaître les chiffres du chômage. Mais, dans les huit catégories que vous avez citées figurent aussi des hommes et des femmes qui travaillent et qui, sachant qu'ils seront licenciés dans trois ou six mois, s'inscrivent à l'ANPE pour retrouver un emploi au plus vite ; devrait-on compter pour des chômeurs des gens qui travaillent ?

Plus sérieusement -car j'entends bien répondre sérieusement à une question qui n'était pas sérieuse- (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), je vous invite à vous reporter à des statistiques irréfutables, celles du BIT, celles que retiennent tous les grands pays industrialisés et aussi l'Union européenne. Et que disent-elles ? Que le nombre des chômeurs a baissé de 270 000 en France depuis juin 1997 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV), alors même que la population active a augmenté de 240 000 personnes en France, ce dont je me réjouis ; ce n'est pas le cas chez nos voisins italiens et allemands en particulier. Ces chiffres expliquent pourquoi le BIT considère la France comme l'un des pays où le chômage a le plus baissé en 1998. Ils aident aussi les Français à se rendre compte qu'une politique volontariste de lutte contre le chômage porte ses fruits (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

DÉFICIT DE LA BRANCHE MALADIE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

M. Bernard Accoyer - Ma question s'adressant également à Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, je ne manquerai pas de lui faire remarquer que sa réponse à mon collègue Patrick Devedjian, aussi surprenante dans la forme que dans le fond, ne vise qu'à masquer l'échec de la politique qu'elle a mise en place et qui se traduira, à terme, par de nombreux futurs jeunes chômeurs (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

Vous affirmiez il y a quelques mois, Madame la ministre, que le déficit de la branche maladie de la Sécurité sociale serait contenu en 1999. Les chiffres de la CNAM démentent vos affirmations et traduisent une erreur d'évaluation d'autant plus grave que vous avez fourni à la branche maladie des recettes exceptionnelles en surtaxant les revenus de l'épargne. Dans quelques semaines seulement, les hausses de crédit votées ici même pour 1999 ne suffiront plus. Pourtant, tous les besoins demeurent. Les recettes prévues dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 étaient, d'emblée, surestimées de façon totalement déraisonnable.

Dans ces conditions, l'inquiétude ne cesse de grandir, à mesure que se renforcent ces rumeurs selon lesquelles vous envisageriez une dévalorisation des actes médicaux, la baisse des remboursements et même la création d'un nouveau taux de remboursement -à 10 %. Aussi, Madame la ministre, maintenez-vous vos affirmations selon lesquelles la branche maladie serait équilibrée en 1999 ? Etes-vous prête à renoncer, devant la représentation nationale, à la dévalorisation des actes médicaux et à la réduction du montant des remboursements ?

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Il est vrai que l'objectif prévu qui était, je le rappelle, un déficit de 13,3 milliards, ne sera pas respecté, et je le regrette. Les prévisions seront dépassées de 2 milliards. Dans un passé récent, les dépenses de médecine de ville ont augmenté de 9 milliards de plus que ce qui était prévu. Fort heureusement, nous disposions, en effet, de recettes supplémentaires et nous avons, fort heureusement aussi, réalisé des économies supplémentaires, et modifié l'assiette des cotisations, si bien que la CSG a fait entrer 2,6 milliards de plus que ce qui était prévu dans les caisses de l'assurance maladie (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Je vous rappelle que M. Juppé avait annoncé, en 1996, un déficit de 16 milliards qui a finalement été de 55 milliards (Huées sur les bancs du groupe socialiste), et pour 1997, un excédent de 11 milliards, alors que les comptes ont fait apparaître un déficit de 33 milliards... (Mêmes mouvements) D'une différence de 44 milliards entre prévisions et réalités, nous passons à 2 milliards : je déplore ce dérapage, mais je rappelle que le Gouvernement a défini et mis en oeuvre une politique de réforme structurelle. C'est ainsi que 70 % des médecins sont désormais informatisés et que la formation continue se met en place. L'hôpital a respecté ses objectifs. Et sachez, vous qui avez mené une politique contre les médecins (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), qu'un accord a été signé avec l'industrie pharmaceutique qui permettra à la branche maladie d'économiser de 500 millions à 1 milliard. La politique du médicament ainsi mise au point joue à la fois sur les prix et sur les taux et vise à ce que soit rémunérée à sa juste valeur le service rendu, indépendamment des relations qui peuvent lier médecins et laboratoires (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Il s'agit donc de soigner mieux, moins cher, à des prix qui correspondent aux prix constatés sur le marché international, en particulier en développant les prescriptions des produits génériques.

Le problème est difficile, mais des outils ont été mis en place pour le résoudre. C'est ce qui explique que d'un déficit de 55 milliards on soit passé à un déficit de 15 milliards. C'est ce qui explique aussi que la politique de réforme structurelle sera maintenue (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et sur plusieurs bancs du groupe communiste).

LOI SUR LES 35 HEURES

M. José Rossi - Nous ne sommes pas les seuls, Madame la ministre, à dire des choses qui vous déplaisent : voyez la une de ce journal du matin, qui explique qu'à peine plus de 2 000 accords sur les 35 heures ont été signés, à peine 21 000 emplois créés, que le secteur privé ne suit pas, que les salariés sont inquiets... La loi sur les 35 heures est un échec économique, certes, mais aussi social.

Mme Odette Grzegrzulka - Faux !

M. José Rossi - L'échec économique est patent. Moins de 25 000 emplois auront été créés ou sauvegardés pour un coût prohibitif d'au moins 100 000 F par emploi, supporté par les contribuables. Dans le même temps, combien auront disparu ou n'auront pas été créés du fait du niveau excessif des charges ? Vous n'en dites mot. En huit mois, seulement deux mille accords, couvrant moins de 400 000 salariés, ont été signés. Vous êtes d'ailleurs contrainte de faire pression sur le secteur public pour améliorer vos statistiques. Madame la ministre, nous sommes loin de vos promesses et de celles de M. Jospin : pure illusion que votre objectif de créer 600 000 emplois en deux ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

Mme Odette Grzegrzulka - La question !

M. José Rossi - Plus grave encore, la loi sur les 35 heures est un échec social. Le groupe Démocratie Libérale a le premier pressenti qu'elle signerait une régression sociale. La démonstration n'est plus à faire aujourd'hui : gel, ou pis encore parfois, baisse des salaires, retour des pointeuses... (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Voilà le triste résultat de votre acharnement idéologique !

Madame la ministre, ne vous obstinez pas ! Il est encore temps de renoncer à votre projet autoritaire de généralisation des 35 heures par la voie législative. Le bilan de la première loi comme la prise en compte du risque social qui s'annonce vous y invitent. Si vous le faites, il sera à votre honneur d'avoir permis aux Français de se réconcilier avec leur entreprise et leur travail (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Qui a un jour pensé que la réduction du temps de travail était facile.

Plusieurs députés RPR, UDF et DL - Vous !

Mme la Ministre de l'emploi et de la solidarité - Non, pas nous ! Qui a jamais pensé qu'il était possible de négocier en un jour dans une entreprise l'utilisation optimale des équipements, les conditions de la compétitivité et de l'adaptation aux marchés, les conditions de travail des salariés, l'articulation entre vie familiale et vie professionnelle ?

Plusieurs députés RPR, UDF et DL - Toujours vous !

Mme la Ministre de l'emploi et de la solidarité - Six mois après le vote de la loi, 25 000 emplois ont été sauvés, plus de 2 000 accords ont été signés -140 l'ont encore été la semaine dernière qui permettront la création de 400 emplois (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Messieurs, la contradiction permanente dans laquelle vous vous cantonnez parce que vous n'avez rien à proposer en matière d'emploi finira par lasser (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe communiste).

Nous avons choisi d'explorer toutes les pistes possibles pour lutter contre le chômage. L'année dernière, à la même époque, vous prédisiez que les emplois-jeunes seraient un échec : 150 000 étaient créés dès novembre et le chômage des jeunes a diminué de 15 % (Mêmes mouvements). Il y a quelques mois, vous prétendiez que les entreprises seraient mises à bas du fait des 35 heures. Comme celles-ci y trouvent en définitive leur compte, vous prétendez aujourd'hui que les salariés vont y perdre. Mais savez-vous que dans 91 % des entreprises, l'ensemble des syndicats signe ces accords ? Comment pourriez-vous savoir mieux qu'eux ce qui est bon pour les salariés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe communiste) Pour ma part, je leur fais confiance et sans doute est-ce là aussi ce qui nous différencie. Nous pensons, nous, que l'Etat doit montrer la voie et qu'il appartient aux acteurs de terrain, chefs d'entreprise et organisations syndicales, d'avancer concrètement. C'est une autre façon de faire de la politique et de mettre en mouvement la société (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe communiste).

SOINS PALLIATIFS ET EUTHANASIE

M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat à la santé. En juillet dernier, une infirmière de l'hôpital de Mantes et il y a quelques jours une infirmière de Nice ont été mises en examen pour avoir aidé des malades à mourir et sont justiciables de ce fait des assises.

Que faire face à des patients incurables qui souffrent au point de vouloir disparaître ? Il faut bien sûr développer les soins palliatifs, prendre en charge efficacement la douleur et accompagner les patients en fin de vie de façon qu'ils puissent s'éteindre de façon digne et sereine. La France connaît pourtant en ce domaine un retard considérable. 41 départements ne disposent toujours pas d'unités spécialisées ni d'équipes mobiles de soins palliatifs. Vous avez annoncé, en septembre dernier, un plan de développement de ces soins. Où en est sa mise en oeuvre ?

Cela étant, même avec ce plan, il restera toujours, hélas, le cas de certains patients dont les soins palliatifs ne parviennent plus à soulager les souffrances et qui demandent qu'on mette fin à leurs jours. L'euthanasie est toujours un échec et un drame. Le rôle des médecins et des infirmières est bien de préserver la vie, non de l'abréger. Doivent-ils pour autant refuser aux malades en phase terminale le droit de disposer eux-mêmes de leur destin et de mourir dans la dignité ? Que commandent alors la compassion et le véritable respect d'autrui ? Bien qu'interdite en droit, l'euthanasie active, mais surtout passive, est pratiquée dans certains services hospitaliers, malheureusement dans le non-dit, c'est-à-dire le non-droit. Le débat sur l'euthanasie doit sortir enfin de la clandestinité : la seule loi en ce domaine ne peut plus être celle du silence. Pourquoi ne pas l'ouvrir au grand jour au Parlement, lieu naturel des grands débats de société ? Le Gouvernement accepte-t-il d'inscrire un tel débat à l'ordre du jour de l'Assemblée afin que la représentation nationale puisse engager en conscience une réflexion de fond sur un sujet difficile et douloureux qui préoccupe beaucoup de Français, comme l'ont montré les Etats généraux de la santé ? La démocratie ne peut rester muette sur une question aussi essentielle : elle exige, au contraire, clarté, transparence et libre débat (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste, du groupe communiste et quelques bancs du groupe DL).

M. le Président - Il m'était difficile de vous interrompre sur un tel sujet mais la réponse devra être brève.

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - Notre pays ne compte pas assez d'unités de soins palliatifs et d'équipes mobiles spécialisées. J'ai promis de les doubler et demandé aux ARH de m'adresser leurs propositions pour le 15 février. Les réponses me parviennent : six équipes sont d'ores et déjà en place en Lorraine, deux en Corse... Je vous communiquerai le bilan définitif dès que possible. Dès cette année nous doublerons le nombre d'équipes grâce aux 150 millions votés à cette fin. 50 millions supplémentaires seront affectés aux équipes de ville qui associent bénévoles, psychologues, infirmières et médecins pour intervenir au domicile du malade.

La seconde partie de votre question est beaucoup plus délicate. Nous avons déjà débattu de l'euthanasie à l'occasion de l'examen des projets de loi sur la bioéthique. Il aura fallu deux majorités pour, de façon sereine, trouver une solution. Nous ne sommes pas hostiles à un débat au Parlement mais nous souhaiterions d'abord qu'il s'engage à travers tout le pays, ce qui ne devrait d'ailleurs pas être difficile puisque soins palliatifs et euthanasie sont les sujets les plus souvent abordés lors des réunions des états généraux de la santé. Comme vous le savez, s'opposent sur ce sujet grave des conceptions idéologiques mais aussi l'expérience et la mémoire douloureuse de chacun.

Le bilan de l'expérience des Pays-Bas, seul pays à avoir, non pas dépénalisé l'euthanasie, mais abordé la question de manière différente, n'est pas satisfaisant. La question est délicate. Je souhaite donc un débat serein. Avant qu'il se tienne, j'aimerais convier les responsables des groupes politiques de l'Assemblée nationale et du Sénat à une réunion de travail sur le sujet au ministère de la santé. Je leur écrirai dès demain en ce sens.

Les mentalités et la culture médicale évoluent dans notre pays. Les soins palliatifs ne sont plus une discipline refusée par les médecins ; les hôpitaux sont prêts à accueillir les équipes mobiles. Mais il ne faudrait surtout pas réserver des lits aux mourants. C'est l'ensemble du personnel médical qui doit être capable de prendre en charge le douloureux problème de la fin de vie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

FISCALITÉ DES ASSOCIATIONS

M. Didier Migaud - La circulaire relative à la fiscalité des associations parue le 15 septembre dernier a apporté des éclaircissements bienvenus, qui étaient nécessaires après les nombreux contentieux engagés et les redressements pratiqués à l'encontre d'associations de bonne foi. Malheureusement, ce texte qui dispose que les associations à but non lucratif sont exonérées d'impôts commerciaux est parfois mal interprété et suscite encore beaucoup d'inquiétudes parmi les associations, de toute taille.

De quel délai disposeront-elles pour se conformer aux dispositions de la circulaire ? Une franchise d'impôt est-elle prévue pour les activités commerciales des petites associations ou des petits clubs sportifs ? Comment s'articulent les fonctions de bénévole et de dirigeant ? Qu'est-ce qui relève exactement des activités commerciales ?

Un groupe de suivi a été mis en place. Pouvez-vous, Monsieur le secrétaire d'Etat au budget, faire le point sur ses travaux ? Tous les bénévoles du monde associatif, qui accomplissent un travail remarquable, ont besoin d'être encouragés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - Il y a une semaine, votre collègue, M. Fousseret, se faisait lui aussi l'interprète des difficultés que pose cette circulaire aux associations. Je l'avais assuré que j'étais prêt à examiner la situation. Une réunion de travail s'est donc tenue hier. Quelles en sont les principales conclusions ?

L'instruction fiscale du 15 septembre dernier a marqué un progrès très important car elle a éloigné de l'immense majorité des associations de bénévoles la menace de contrôles fiscaux.

Des difficultés demeurent cependant. D'abord, de nombreuses associations se sont adressées aux services fiscaux pour faire connaître leur situation. Plus de 4 000 demandes ont été ainsi présentées, et comme chaque cas doit être examiné individuellement, l'administration aura beaucoup de mal à répondre à toutes les associations d'ici au 1er avril. Aussi faudra-t-il songer à un délai supplémentaire.

En second lieu, les petites associations exercent souvent des activités accessoires, par exemple ventes en buvette (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), de formations, de vêtements sportifs. En droit, même pour ces activités marginales, l'association devrait tenir une comptabilité et faire une déclaration. Ne pas taxer les activités marchandes accessoires des petites associations est donc une question qui se pose.

Enfin, les grandes associations ont souvent à leur tête des dirigeants à plein temps rémunérés, alors qu'ils devraient, en principe, être bénévoles. Un groupe de travail devrait nous permettre de résoudre ce problème.

Le Gouvernement, qui est à l'écoute du Parlement et des associations, va proposer à bref délai des solutions à ces difficultés.

Il importe en effet que le secteur associatif, qui compte 1,3 million de salariés et 7 millions de bénévoles, puisse exercer pleinement son rôle en toute sécurité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

RÉDUCTION DE LA DURÉE DU TRAVAIL

M. Gérard Terrier - Sur l'effet de la loi relative aux 35 heures, on entend des contradictions invraisemblables (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Certains parlent d'un échec économique et social.

Plusieurs députés RPR, UDF, DL - Oui !

M. Gérard Terrier - La question de M. Rossi en était l'illustration. A croire que l'intérêt national est secondaire pour eux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Pourtant des accords de branches, très importants, ont été conclus. Celui qui vient d'être signé à La Poste est remarquable, puisque, pour la première fois, ce service public cessera de perdre des emplois, et que des emplois précaires seront transformés en contrats à durée indéterminée sans concours de l'Etat.

Pouvez-vous dresser un bilan de la loi à ce jour ? Qu'augure-t-il de la seconde loi, qui devrait faire progresser davantage encore la lutte pour l'emploi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Laissons parler les faits. Un mouvement de négociation sans précédent s'est engagé sur la durée du travail : près de 40 accords de branches, couvrant environ 6 millions de salariés, 2 020 accords d'entreprises permettant de créer 24 000 emplois. Au total, depuis le 10 octobre, 37 000 emplois ont été créés ou sauvegardés par le passage aux 35 heures (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

La réduction du temps de travail soumet les entreprises à des exigences complexes, à la fois économiques et sociales. Les organisations syndicales et les chefs d'entreprise, dont la moitié a signé ou négocié des accords, ont besoin de temps pour aboutir.

Les mêmes qui prétendaient que la loi entraînerait les entreprises au bord du gouffre reconnaissent qu'elle permet plus de souplesse et plus de compétitivité. Tant mieux si nos entreprises profitent de ces conditions nouvelles.

Les accords signés créent 8 % d'emplois supplémentaires, alors que la loi en prévoyait 6 %. On nous disait que le dispositif ne convenait pas aux petites entreprises. Or, aujourd'hui, 40 % des accords ont été signés par des entreprises de moins de 20 salariés. Autre contradiction : on nous accuse de faire signer les grandes entreprises nationales dont on nous reprochait il y a quelques semaines qu'elles ne signent pas.

L'accord de La Poste est excellent : 20 000 recrutements d'ici la fin 2000, des jeunes en apprentissage et en alternance, élargissement du travail à temps partiel pour les salariés qui le souhaitent, et meilleur service offert aux usagers (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La réduction de la durée du travail fait reculer la précarité et crée une solidarité nouvelle entre les travailleurs et les chômeurs (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Nous poursuivrons dans cette voie avec les entreprises et les syndicats, dont nous pouvons compter sur le réalisme et la maturité pour trouver des accords gagnants-gagnants. La France y gagnera, elle, en compétitivité et en emplois (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

NOUVELLE-CALÉDONIE

M. René Dosière - Le Parlement a adopté à l'unanimité les deux projets relatifs à la Nouvelle-Calédonie. Les accords de Nouméa, signés par le Premier ministre le 5 mai, trouvent ainsi leur traduction politique. Simultanément, nous apprenons qu'un accord a été conclu sur le nickel calédonien, novateur et complexe, puisqu'on a même parlé, à tort, de privatisation d'Eramet.

Qu'en est-il de cet accord ? Quelles en seront les conséquences sur la construction d'une deuxième usine de traitement du nickel calédonien dans la province nord ? Quelle sera la place des salariés dans les nouvelles instances dirigeantes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer - Monsieur le rapporteur des projets relatifs à la Nouvelle-Calédonie, l'adoption des deux lois laisse espérer que les Calédoniens pourront voter en mai.

Le Gouvernement a souhaité accompagner l'évolution politique d'une émancipation économique. Il y a un an, l'accord de Bercy a permis le transfert des massifs miniers pour la construction d'une usine au Nord. La société SLN, détenue à 90 % par Eramet, est la principale force économique du territoire. L'Etat a souhaité que les intérêts calédoniens entrent dans le capital de SLN, et aussi d'Eramet. L'accord intervenu permettra ainsi de transférer 30 % du capital de la SLN à une structure publique formée par les provinces, qui entrera à hauteur de 8 % dans le capital d'Eramet. Ainsi les Calédoniens seront associés à l'évolution de la principale richesse économique du pays.

Transfert de compétences politiques et pouvoirs économiques donnés aux élus locaux correspondent à la volonté commune d'aller vers une Nouvelle-Calédonie qui trace son destin dans le partage du pouvoir et des responsabilités (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

OPÉRATIONS VILLE-VIE-VACANCES

Mme Sylvie Andrieux - En 1982, l'Etat avait mis en place des dispositifs anti-étés chauds, qui sont devenus ville-vie-vacances, avec les mêmes objectifs : donner les moyens aux jeunes en difficulté d'accéder à toutes les formes de loisirs. Il semble que parfois les populations les plus en difficulté aient été un peu oubliées.

Ce matin, vous avez fait en conseil des ministres une communication sur la relance des opérations ville-vie-vacances. Comment se traduira-t-elle concrètement en 1999 ? Comment prendrez-vous en compte les questions posées parfois en période de vacances sur les sites touristiques ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville - Le dispositif ville-vie-vacances est un outil à la fois de justice et de prévention. Il devrait permettre de faire partir l'été prochain 1 million de jeunes en vacances. Il devrait aussi permettre aux élus d'agir efficacement afin que l'été soit plus calme dans certains quartiers. Pour que les partenaires puissent élaborer des projets de qualité, le Gouvernement, dès la fin de janvier, a adressé aux préfets une circulaire destinée à mettre en route le dispositif, avec les sommes correspondantes dont pourront disposer les départements.

Nous avons donné cinq mois supplémentaires à l'ensemble des partenaires -départements, villes associations- pour monter ces projets et s'adresser réellement aux jeunes qui ne pourraient pas partir dans le cadre d'un dispositif traditionnel -je pense en particulier aux filles.

Afin d'éviter des difficultés dans les villes d'accueil, nous avons mis au point, en association avec l'AMF, les règles du jeu. Nous essayons notamment d'organiser un lien entre ville de départ et ville d'accueil et nous avons prévu de renforcer les équipes d'accompagnement en embauchant, dans les villes d'accueil, des éducateurs. Le but est à la fois d'éviter des crises et de permettre à ces jeunes de 13 à 18 ans de découvrir les vacances (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

SUPPRESSION DU TRIBUNAL DE BRESSUIRE

M. Dominique Paillé - Quand vous êtes arrivée au poste que vous occupez actuellement, Madame la garde des sceaux, vous avez présenté la réforme de la carte judiciaire comme l'un de vos objectifs. Une telle réforme peut certainement améliorer le fonctionnement de la justice mais elle requiert concertation, dialogue et transparence. Or, à l'évidence, telle n'est pas la méthode que vous avez choisie. Vous venez en effet de rayer d'un trait de plume le tribunal de grande instance de Bressuire, où vous aviez déjà suspendu les travaux en cours. Cette réponse cinglante apportée aux personnels et magistrats qui étaient en grève jusqu'à la semaine dernière a évidemment suscité beaucoup d'émoi dans la population concernée, qui est d'environ 200 000 habitants, soit un ressort trois fois plus important que le tribunal de Marmande (Sourires).

Ce que demande cette population, c'est simplement d'être traitée avec la même considération que l'ensemble du territoire national. D'où ma question : allez-vous surseoir à votre décision et réexaminer le cas de Bressuire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR)

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Je vous ai déjà répondu par écrit à ce sujet mais cela ne me gène pas de vous répéter les choses oralement (Murmures sur les bancs du groupe socialiste).

Le délégué national à la carte judiciaire s'est rendu à plusieurs reprises dans le département des Deux-Sèvres et a procédé à une concertation très large, de même que le préfet. Toutes les décisions que je prends ont été précédées, croyez-le bien, des concertations nécessaires.

Si j'ai suspendu les travaux programmés, c'est qu'il me semblait normal d'attendre de savoir à quoi s'en tenir sur la carte judiciaire. Je ne veux pas gaspiller les deniers des contribuables ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe DL) J'ai donc souhaité que la rénovation des tribunaux de Niort et de Bressuire se fasse dans le cadre d'un projet d'ensemble.

J'ai, d'autre part, décidé d'unifier la justice commerciale du département des Deux-Sèvres, qui était rendue à la fois par le tribunal de commerce de Niort et par une chambre spécialisée du TGI de Bressuire. La compétence commerciale du tribunal de Bressuire sera donc transférée à Niort. Mais une présence judiciaire forte sera maintenue à Bressuire puisqu'une chambre détachée du TGI de Niort y sera chargée des affaires civiles et pénales (Murmures sur de nombreux bancs). Cette chambre détachée bénéficiera d'un greffe annexe. Et, bien entendu, le tribunal d'instance de Bressuire sera maintenu. Cette nouvelle organisation est plus rationnelle.

Sur le plan immobilier, la situation va s'améliorer et à Niort et à Bressuire (Bruit). Les magistrats et fonctionnaires qui depuis des années travaillaient, à Bressuire, dans du préfabriqué bénéficieront enfin de locaux en dur. En attendant, des locaux seront loués afin qu'ils puissent travailler de façon décente (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

FUSION ENTRE AÉROSPATIALE ET MATRA

Mme Jacqueline Fraysse - Le décret relatif au transfert vers le privé de la majorité du capital d'Aérospatiale est paru et la presse se fait largement l'écho de cette "belle" opération qui permet à Matra d'acquérir 33 % du nouvel ensemble pour seulement 1 à 2 milliards de francs. La mise en Bourse suivra... C'est le dernier épisode d'une série de restructurations visant à constituer une société européenne capable de rivaliser avec les géants américains.

Les députés communistes ne contestent pas la nécessité d'évoluer vers l'échelon européen, mais ils déplorent l'absence flagrante de débat démocratique (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR). D'ailleurs, tous les syndicats s'en plaignent.

L'absence de débat est d'autant plus regrettable qu'il n'y a pas de réponse unique aux défis à relever dans ce secteur. Les orientations actuelles sont lourdes de menaces, en particulier pour l'emploi. D'où ma question : quand un véritable débat associant les salariés, les citoyens et leurs représentants élus aura-t-il lieu concernant l'avenir de la filière aéronautique et spatiale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Je suis heureux que l'orientation consistant à essayer d'aller vers une société aéronautique européenne recueille votre approbation (Rires sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). Elle implique que l'industrie française -qui est au coeur de l'industrie européenne, à la fois pour l'aéronautique et dans les domaines de l'espace et de l'électronique de défense- se renforce. C'est un projet industriel de grande ampleur qui prendra du temps.

Vous avez dit qu'il s'agissait d'une belle opération pour le capital privé. Permettez-moi de corriger cette affirmation. Il s'agit d'une fusion entre Aérospatiale et Matra, la première pesant à peu près deux fois plus lourd que la seconde, soit environ un rapport 66 %-33 %. Mais comme Matra n'arrive pas tout à fait à ces 33 %, elle paiera 2 milliards pour faire le compte. Elle n'obtient donc pas un tiers du nouvel ensemble pour 2 milliards, mais obtient un tiers parce qu'elle apporte un tiers. Elle devra d'ailleurs payer plutôt 3 milliards que 2 milliards, car la participation de l'Aérospatiale à Thomson a été soustraite de l'opération. Quoi qu'il en soit, c'est la commission des participations et transferts qui appréciera cet équilibre.

S'agissant du débat démocratique, il faut distinguer celui qui concerne les salariés et celui qui concerne la représentation nationale. Le premier est éminemment souhaitable mais au moment où un accord se noue, il n'est pas possible d'associer à la discussion d'autres que les deux actionnaires, à savoir l'Etat et Matra, sans quoi il y a risque de délit d'initié -ou du moins risque d'en être accusé. Par contre, dès que l'accord préalable a été tracé, il faut que les salariés soient mêlés à la discussion, et ils le seront.

Le débat au Parlement est également souhaitable et, de même qu'a eu lieu ce matin, à la demande communiste, un débat sur l'orientation de notre politique financière, un débat pourra se tenir sur l'avenir de l'aéronautique. M. Alain Richard, M. Jean-Claude Gayssot (Sourires sur les bancs du groupe du RPR) et moi-même, tous trois concernés directement par le sujet, y sommes prêts (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

PATHOLOGIES DU TRAVAIL

M. Georges Hage - Réunis à Strasbourg en juin dernier, les médecins du travail ont constaté que l'aménagement du temps de travail provoquait de nouvelles pathologies : aux risques physiques croissants s'ajoutent désormais les troubles mentaux et psychiques.

Ce constat se vérifie chez Renault, entreprise détenue pourtant à 40 % par l'Etat. En témoignent, dans l'usine de Douai, le nombre d'accidents enregistrés en 1998, sept fois plus que ceux réellement déclarés, et les 21 salariés décédés par cancers, maladies cardio-vasculaires et suicides.

Madame la ministre du travail, vous ne pouvez ignorer cette courbe tragique, non plus que, sous la férule avisée de Monsieur Schweitzer, l'ascension sans précédent de la courbe des profits. Renault entend battre tous les records !

Si l'on cherche à y baisser la moyenne d'âge, c'est pour remplacer quatre salariés par de la chair fraîche ("Oh !" sur les bancs du groupe du RPR).

A Douai, le journal d'entreprise affirme sentencieusement que la loi des 35 heures ne nuira pas à la production si on consent un effort de productivité. Veut-on supprimer les pauses, le lavage des mains et autres commodités ? Ou encore chasser le malade ?

"Caves de Lille, on meurt sous vos plafonds de pierres", écrivait il y a 150 ans Victor Hugo dans les Châtiments. Que n'ai-je son verbe pour dénoncer la mort sur les chaînes de Schweitzer !

Mais ce dernier n'est pas unique en son genre dans le monde capitaliste.

Vous qui avez en charge le travail et la santé, ne pensez-vous pas qu'une commission d'enquête et des mesures appropriées s'imposent, afin de mettre fin à cette malédiction du travail ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe du RPR)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Je suis d'autant plus sensible à votre citation de Victor Hugo qu'elle porte sur les morts de Lille... (Sourires)

Depuis la publication, par la CGT, des chiffres dont vous avez fait état, l'Inspection du travail et la CNAM ont fait une enquête sur les accidents du travail à Renault-Douai et sur les incidents portés au registre de l'infirmerie de l'entreprise. En outre, une étude épidémiologique a été confiée à la médecine du travail et au CHU de Lille. Nous examinons, enfin, l'ensemble des cas de maladie professionnelle. Dans l'attente de ces résultats, le CHSCT s'est saisi de la question, et c'est une bonne chose.

Les accidents du travail et les atteintes à la santé physique et mentale des travailleurs sont au coeur de l'action du Ministère de l'emploi et de l'Inspection du travail. Je réunirai le 25 février le Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels, et je rappellerai à ses membres que les deux priorités de l'action des pouvoirs publics en 1999 sont le contrôle de la sécurité et celui des conditions de travail dans l'entreprise.

Si les accidents du travail sont mieux reconnus et mieux réparés, il ne faut pas perdre de vue que l'espérance de vie est très variable selon les catégories socio-professionnelles. La couverture-maladie universelle, qui permettra de développer la prévention dans toutes les catégories sociales, constituera à cet égard un progrès considérable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe communiste).

M. le Président - Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 15 sous la présidence de M. Paecht.

PRÉSIDENCE DE M. Arthur PAECHT

vice-président


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SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

M. le Président - M. le Président du Conseil constitutionnel m'informe que le Conseil constitutionnel a été saisi, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, par M. le Premier ministre, de la loi relative à la Nouvelle-Calédonie en vue de l'examen de la conformité de ce texte à la Constitution.


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ELECTRICITÉ (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.

M. Franck Borotra - J'ai écouté hier avec attention, Monsieur le ministre, vos deux interventions ainsi que celle du rapporteur. Je vous l'ai dit : je n'ai pas d'a priori sur ce texte, pas d'opposition de principe aux objectifs que vous avez définis. Et pourtant je ne peux pas vous suivre.

Vous avez donné hier la clef de votre attitude, en disant qu'il fallait "faire une lecture politique de ce texte" -et même, avez-vous ajouté, en roulant des yeux implorants vers le Parti communiste (Sourires), une lecture "progressiste". Là est votre erreur ! Vous l'avez d'ailleurs confirmé en déclarant à l'AFP que le Gouvernement "acceptera tous les amendements lourds du Parti communiste". Tout s'éclaire : cette "lecture progressiste" est en fait une lecture conservatoire, voire conservatrice. Vous aviez déjà sacrifié Superphénix, hors de toute justification rationnelle, à l'une des composantes de votre majorité plurielle : maintenant vous allez réduire les effets de la directive électricité pour en satisfaire une autre.

Vous le savez, je ne suis pas un ultralibéral. Je ne crois pas, pour l'électricité, aux seules vertus du marché. Je me suis battu pour une directive, durement négociée, qui prévoie une ouverture limitée du marché, sans autre engagement pour l'avenir. Mais il est vital qu'EDF évolue, se transforme, s'adapte, même si cette évolution doit se faire par étapes et sans provocations excessives. La transcription que vous avez opérée respecte l'apparence d'une ouverture du marché. Mais, pour des raisons politiques, vous vous êtes évertué, article après article, à vider de son contenu cette ouverture, pourtant volontairement limitée. C'est une chose d'inscrire dans un texte la libéralisation du marché. C'en est une autre de mettre en oeuvre ses modalités d'exécution, et cela, vous ne le faites pas. Vous vous êtes livré à un exercice difficile, mais qui risque en outre d'être dangereux : satisfaire à la fois l'ultra-libérale Commission de Bruxelles et l'ultra-conservatrice CGT...

Ma deuxième remarque préalable s'adresse à notre rapporteur Christian Bataille, à qui je veux dire amicalement que je ne souhaite pas que, comme le Premier ministre, il récrive l'histoire à sa façon. La gestion du dossier de l'électricité jusqu'en 1993 a été calamiteuse. Si M. Desama avait donné un coup de frein au prurit de déréglementation générale de la Commission, la France en 1993 était isolée, sous le coup de plaintes en instance de jugement, sans solution et sans stratégie. Une majorité de pays poussaient à une dérégulation accélérée. Il a fallu rompre ce front ; faire reconnaître pour la première fois le bien-fondé du service public ; faire accepter -c'était aussi la première fois- le principe d'un double système en Europe, avec l'ATR et la déréglementation d'un côté, mais de l'autre l'acheteur unique et la reconnaissance d'un opérateur public majeur. Il a fallu faire admettre enfin, pour une première étape, une libéralisation volontairement limitée du marché, contre l'avis de la plupart de nos partenaires. Si nous avions suivi la pente sur laquelle vos amis avaient engagé ce dossier, c'est la déréglementation totale qui était au bout du chemin !

Je ne peux éviter non plus de me rappeler les déclarations enflammées et péremptoires de l'opposition que vous étiez à l'époque contre les résultats de cette négociation. Je n'aurai pas la cruauté de les rappeler, pour ne pas saper ce qui reste de l'autorité de notre rapporteur (Sourires). Mais quand j'entends des socialistes dire "nous, nous n'aurions pas signé", je préfère en rire...

Quant aux communistes, qui souhaitent une renégociation, je leur dirai que celle-ci est bien sûr possible, contrairement à ce qu'a affirmé le ministre. Alain Juppé, alors ministre des affaires étrangères, a bien montré dans l'affaire du GATT, que vous aviez embourbée comme on sait, qu'on pouvait renégocier. Mais dans le cas présent, Monsieur Billard, une renégociation serait tragique pour notre pays. Compte tenu des décisions prises dans les autres pays de l'Union, il existe en effet aujourd'hui une majorité qualifiée pour une libéralisation plus importante que celle prévue dans la directive.

J'en viens au vif du sujet. Et je dois ici exprimer mon désaccord avec le président Bocquet quand il dit qu'il n'y a pas urgence à délibérer. Vous avez pris un risque sérieux, Monsieur le ministre, en transcrivant la directive avec retard. Il y a vingt mois que vous êtes au pouvoir ! Certes ce temps a dû passer plus vite pour vous que pour moi (Sourires). Mais si la directive n'est pas transcrite le 19 février 1999, la jurisprudence du Conseil d'Etat est claire : en l'absence de transposition, la directive est directement applicable, et le droit interne doit être écarté au profit du droit communautaire. Dès le 19 février, un client éligible pourra conclure un contrat avec un producteur indépendant. Selon Maître Delelis, spécialiste des contentieux de la déréglementation, ce consommateur pourrait se prévaloir de la directive devant une juridiction française, engager la responsabilité matérielle de l'Etat s'il ne peut mettre en vigueur le contrat, et saisir la commission de recours sur le fondement de l'article 169 du traité de Rome -laquelle commission peut saisir la Cour de justice européenne. Il y a là une source potentielle de contentieux importants.

D'autre part, votre transcription de la directive est restrictive et rabougrie. Elle est semée d'embûches pour décourager les nouveaux opérateurs, ce qui n'est pas dans l'esprit de la directive. Elle isole à nouveau la France, sans constituer la moindre garantie du maintien dans l'avenir de notre organisation du marché. Vous risquez de devoir demain concéder plus qu'il ne faudrait, pour faire oublier votre frilosité d'aujourd'hui.

La plupart des pays européens ont choisi d'emblée une très large ouverture de leur marché. Le taux moyen d'ouverture sera de 60 % en 1999. Après la Grande-Bretagne, les pays nordiques, l'Allemagne, l'Espagne à l'horizon 2007 ont choisi la libéralisation complète. Mais presque tous les pays ont retenu une organisation de la production et de la distribution autour de multiples opérateurs. Il y aura ainsi neuf producteurs au Danemark, quatre aux Pays-Bas, huit gros en Suède, quatre-vingt dix compagnies en Allemagne, sept en Espagne. Quant à la distribution, le nombre des opérateurs varie de plusieurs centaines -Allemagne, Danemark, Suède, Finlande- à trente-trois aux Pays-Bas, douze au Royaume-Uni, sept en Espagne et quatre au Portugal.

La Belgique était proche de nous dans cette négociation, et nous a soutenus sur le thème d'une ouverture limitée. Mais elle n'a pas voulu se prévaloir du délai supplémentaire d'un an qui lui avait été accordé pour transposer la directive, afin de ne pas nuire à la compétitivité de ses entreprises. Elle a choisi une entité juridique distincte pour le gestionnaire du réseau, l'accès réglementé des tiers au réseau, une autorité de régulation pour la partie libéralisée du marché, un taux d'ouverture supérieur à ce qu'impose la directive. Quant à la production, elle a retenu pour les installations nouvelles une procédure d'autorisation sur proposition de l'instance de régulation, avec un système de financement pour encourager l'usage des énergies renouvelables. Bref, un projet ambitieux, qui concilie la volonté du gouvernement belge de garder un vrai contrôle sur l'évolution du marché et une vraie et équitable ouverture de celui-ci.

La critique principale qu'appelle votre transcription, c'est que vous avez choisi une stratégie de statu quo, pour des raisons politiques. Contrairement à certains dans l'opposition, je ne suis pas favorable, dans cette phase de mise en place, à aller au-delà des obligations de la directive. Rien que la directive, mais toute la directive ("Très bien !" sur les bancs du groupe du RPR). Mais vous proposez une transcription a minima, semée d'obstacles pour décourager l'exercice de la concurrence, pourtant limitée, comme si votre principal souci était de ne pas provoquer la CGT. C'est un choix indéfendable au regard de l'émergence nécessaire du marché, de la transformation indispensable d'EDF, et des entreprises françaises. Le prix de l'électricité est pour elles un facteur de compétitivité, qui joue dans leurs choix d'implantation. Or le prix de vente de l'électricité en France n'est pas le plus bas d'Europe : pour la fourniture à l'industrie, si le courant est plus cher en Allemagne et en Italie, son prix est voisin du nôtre en Espagne, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni et inférieur en Grèce et dans les pays nordiques. Une entreprise française de dimension mondiale consomme chaque année 2 000 mégawatts et le coût de l'électricité représente plus de la moitié de ses coûts de production ; M. le ministre le reconnaîtra aisément. Cette entreprise paye le kilowatt 24,34 centimes en France, 19 centimes aux Pays-Bas et 16 centimes au Texas. C'est dire l'intérêt d'organiser la concurrence ! Nos prix ne sont, il faut le savoir, que dans la moyenne des prix européens.

La loi, qui devrait anticiper l'évolution inéluctable du marché, ne le pourra pas, car votre transcription est frileuse, ambiguë et imprécise. Mon désaccord ne porte donc pas sur le principe, mais sur les modalités retenues car, dans le cas qui nous occupe, les modalités sont plus importantes que le principe.

L'esprit de la directive demande une véritable autonomie du gestionnaire de réseau. Nous avons fait une proposition en ce sens -vous n'en voulez pas. Mais vous serez obligé d'y venir ! Les Belges, qui poursuivent un objectif voisin du nôtre, ont bien compris, eux, qu'il ne peut y avoir exercice véritable de la concurrence sans autonomie complète de l'opérateur de réseau.

Se pose encore la question de l'autorité de régulation. Comme vous n'avez pas confiance en l'administration, vous créez une nouvelle instance. Je ne partage pas votre point de vue, mais je le comprends. Encore faudrait-il que l'autorité de régulation soit le passage obligé de toute l'information et des procédures de contrôle, de sanction et de décision. Or vous avez choisi de définir une commission de régulation de l'électricité -CRE- "en creux", sans lui donner les pouvoirs nécessaires, pour ne pas déplaire à EDF.

De fait, vous passez votre temps à tenter de ne pas déplaire : à Bruxelles, au Parti communiste, à la CGT, aux Verts, à EDF... Un vrai Père Noël !

Il aurait fallu, aussi, définir de manière stricte et non discriminatoire les charges identifiées et évaluées de service public, en tenant compte davantage des opérateurs qui disposent de droits exclusifs. Ce n'est pas le cas et le texte que vous proposez serait, s'il était voté en l'état, source permanente de contentieux.

Vous avez par ailleurs retenu la procédure d'autorisation comme règle pour les capacités nouvelles alors qu'il aurait fallu privilégier l'appel d'offres, tant pour les installations soumises à l'article 10 que pour les producteurs ayant un contrat avec un client éligible. La solution que vous avez choisie pourrait se concevoir si l'autorité de régulation avait des pouvoirs renforcés pour assurer les conditions d'une concurrence réelle ; on a vu que ce n'est pas le cas.

De surcroît, le projet de loi freine de manière incompréhensible le développement de productions décentralisées et d'énergies renouvelables. Et parce que l'ouverture à la concurrence sera très limitée, il aurait fallu être plus prudent que vous ne l'êtes dans la remise en cause du principe de spécialité. Si, comme nous en sommes d'accord, le statu quo doit prévaloir pour les clients non éligibles, il faut instituer un contrôle très strict des conditions de la diversification pour les clients éligibles, afin d'éviter des distorsions de concurrence.

Vous l'aurez constaté, les divergences sont profondes entre nos deux approches et je tiens votre projet pour une usine à gaz (Rires sur les bancs du groupe communiste) -sans production d'électricité... Il multiplie commissions, comités et conseils au point qu'il vous faudra le Palais des Congrès pour réunir toutes ces instances... Quant à l'extension du statut des industries électriques et gazières aux opérateurs "entrants", c'est un frein injustifié à l'arrivée de nouveaux opérateurs. Cette mesure sera d'ailleurs inapplicable, car l'électricité se joue des frontières, et nos concurrents européens ne se soumettront pas à de telles règles. Le croire, ce serait penser, comme Bergson, qu"il vaut mieux rêver sa vie que la vivre" !

Que dire, encore, de la prise en compte de Superphénix dans les coûts échoués, alors que cette installation a été fermée pour des considérations strictement politiciennes (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF) que chacun connaît : il s'agissait d'une concession faite à l'une des composantes de votre majorité. Cette charge doit être intégralement supportée par l'Etat.

Avec ce texte, le Gouvernement prend des risques considérables. Risques pour l'Etat lui-même car, en dépit des fortes assurances que vous avez prodiguées, la compatibilité avec la loi de 1946 reste à vérifier, tant pour le rôle du service national de la distribution que pour le statut des entreprises électriques et gazières, qui devra évoluer. Faut-il, encore, rappeler, à ce sujet, les dispositions de l'article 8.3 de la directive sur la priorité à accorder aux énergies renouvelables, ou celles de l'article 2.20 relatives aux procédures à suivre pour les installations nouvelles ? Vous avez, certes, le visa de la Commission, mais rien n'est dit de l'interprétation qui prévaudra en cas de contentieux. Je m'en voudrais encore de ne pas rappeler la jurisprudence de la Cour de justice des communautés relative à la répartition des charges induites par les missions d'intérêt économique général : on peut s'attendre à la contestation permanente de la nature des charges retenues à ce titre, et qui peuvent être considérées comme des entraves à l'arrivée de nouveaux producteurs.

Ce gouvernement fait aussi courir des risques à EDF, risque de procès d'intention et risque, une fois encore, de procédures contentieuses, risque, aussi, de voir limiter son développement dans les pays de l'Union si la réciprocité ne paraît pas garantie, risque, enfin, de retarder la nécessaire évolution de cette grande entreprise vers l'adaptation à la concurrence.

J'ajoute que la transcription retenue n'est même pas une garantie pour le nucléaire, ce qui est un comble. A cet égard, l'information selon laquelle l'Etat envisagerait d'échanger les actions de Framatome détenues par Alcatel contre ses actions Thomson, constitue, si elle est fondée, une nouvelle tragique pour Framatome, qui serait renationalisée de fait alors qu'elle a besoin d'un partenaire industriel et besoin, aussi, de s'introduire en Bourse.

Vous faites, enfin, courir un risque aux entreprises consommatrices d'électricité. Celle-ci est un élément déterminant des coûts de revient, pouvant en représenter jusqu'à 25 % dans l'industrie chimique, sidérurgique ou papetière. La concurrence, qui pousserait à la baisse des prix ainsi qu'à leur transparence, favoriserait donc la compétitivité des entreprises.

Pour toutes ces raisons, vous avez fait un mauvais choix en saisissant l'occasion de cette transposition pour préserver le statu quo... dans la droite ligne de ce qui fut fait en 1946, nous avez-vous dit, d'ailleurs. Mais depuis lors le marché à changé. Il fallait au contraire libérer EDF, lui permettre de devenir une véritable entreprise, tout en restant détenue à 100 % par l'Etat. Vous souhaitez qu'EDF demeure première sur un marché protégé. Je souhaite, moi, qu'EDF soit première sur le marché européen concurrentiel ("Très bien !" sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Monsieur le ministre, permettez-moi de vous rappeler pour conclure ce propos du général de Gaulle : "La politique la plus coûteuse est de faire petit" (Vifs applaudissements sur les mêmes bancs).

M. Jean-Pierre Brard - Vous n'avez pas attendu le chant du coq pour vous renier !

M. Claude Billard - Il nous faut donc aujourd'hui transposer en droit interne la directive européenne du 19 décembre 1996 créant un marché intérieur de l'électricité ouvert à la concurrence. Cette directive, d'inspiration ultra-libérale, fut adoptée sous un gouvernement de droite contre l'avis des forces politiques de l'actuelle majorité.

L'obligation qui nous est faite de la transposer illustre bien une construction européenne antidémocratique héritée du passé, qu'il convient aujourd'hui de penser différemment. Au nom de quels intérêts, au nom de quelle conception de l'Europe devrions-nous accepter de modifier, radicalement et dans l'urgence, un domaine aussi stratégique que celui de l'électricité, besoin vital pour nos concitoyens.

Cette directive ne fait que traduire concrètement les dispositions de l'article 7 A de l'Acte unique adopté en 1985 qui mettait fin à l'exemption d'obligation de concurrence dont bénéficiaient les secteurs de l'énergie, des transports et des télécommunications.

En introduisant ainsi la logique du marché dans ces secteurs, on transforme l'électricité, bien de première nécessité, en marchandise comme une autre. Le marché, par nature, ne vise que le court terme. Or cette directive favorise précisément les investissements à court terme, les gros consommateurs et les groupes industriels uniquement motivés par les profits financiers.

Ne faire confiance qu'au marché et à la concurrence serait dévastateur puisqu'ils ne permettent de prendre en compte ni la sécurité d'approvisionnement, ni la rareté des ressources énergétiques, ni la protection de l'environnement et le sort des générations futures.

C'est la nécessité de rationaliser qui justifie un monopole dans ce secteur pour éviter les surcoûts d'investissement, les gâchis techniques, les risques industriels et écologiques. C'est ce qui avait motivé en 1945 la nationalisation des entreprises privées d'électricité. Leur retour n'irait pas dans le sens de l'histoire. Il ne servirait pas non plus l'intérêt général.

Le projet de loi vise à adapter le système électrique français à la logique néfaste et dangereuse de cette directive -qui devrait, selon nous, être renégociée-, au motif purement idéologique d'instaurer la concurrence en livrant le secteur énergétique aux marchés financiers, il s'attaque à la nationalisation et aux monopoles publics qui ont pourtant dans notre pays fait la preuve de leur efficacité économique et sociale.

A cet égard, l'intitulé du projet de loi est trompeur car ce qui est bel et bien menacé, c'est précisément le service public et ses possibilités de développement et de modernisation.

Avec la concurrence à la production prendrait fin le monopole d'EDF. Toute entreprise qui aurait obtenu l'autorisation du ministère de l'industrie pourrait produire de l'électricité. Dès le 20 février, 400 grandes entreprises éligibles représentant 26 % de la consommation française auraient le droit de choisir leurs fournisseurs. En février 2000, elles seraient 800 et 3 000 en février 2003, représentant alors 33 % de notre consommation. Une deuxième libéralisation, conformément aux dispositions de l'article 26 de la directive, pourrait suivre en 2006. Enfin, l'accès des tiers au réseau existant serait organisé.

L'importance de l'enjeu n'échappe à personne. EDF n'est pas n'importe quelle entreprise, ni par son histoire, ni par sa mission, ni par son poids et son potentiel : 120 000 salariés, des dizaines de millions d'usagers, 190 milliards de chiffre d'affaires, près de 6 milliards de bénéfice. La remise en question du statut d'entreprise nationale et des missions de service public de ce fleuron mondialement connu ne trouve à nos yeux aucune justification.

Le dispositif proposé est dangereux. Non pour EDF elle-même qui, premier électricien mondial, pourra encore se développer, notamment à l'étranger, mais pour le service public auquel ses usagers sont pourtant légitimement attachés.

Entre les producteurs privés et EDF s'engagera inévitablement une guerre des prix. Les usagers domestiques et les petites et moyennes entreprises resteront "captifs" d'EDF qui, pour ne pas perdre trop de marchés devra baisser ses prix pour les gros consommateurs et en reporter le coût sur la collectivité en réduisant notamment la qualité du service rendu. C'est ce qui s'est passé en Grande-Bretagne. Les dispositions de votre projet de loi pour contrer ces effets pervers sont très insuffisantes.

En outre, contrairement aux intentions affichées, le projet de loi va au-delà de ce qu'exige la directive.

Ainsi, les seuils retenus sont supérieurs au minimum d'éligibilité fixé par la directive. Le texte prévoit des seuils modulés qui provoqueraient une instabilité et, à terme, une extension de l'éligibilité.

De plus, celle-ci est accordée aux producteurs et aux "traders" alors que la directive ne l'exige pas. Aucune limitation dans le temps n'est non plus prévue dans les contrats avec les éligibles, au détriment de la planification et des coûts de production d'EDF.

Les critères de la directive qui permettent de limiter et de contrôler l'ouverture de la production à la concurrence ne sont que partiellement utilisés.

Ce texte de transcription ne conforte pas la place de la filière nucléaire dans le système électrique français comme il eût été possible de le faire en s'appuyant sur la loi de 1946. Il aurait fallu préciser aussi que l'hydraulique, au-delà de 8 mégawatts, doit rester l'affaire d'EDF et que le charbon français peut et doit être utilisé pour produire de l'électricité.

Le projet de loi propose de maintenir l'obligation d'achat par EDF des kWh provenant des énergies renouvelables, des déchets et de la chaleur alors que la directive ne l'exige pas. Il ne faudrait pourtant pas renouveler la "convention cogénération". Des ponts d'or ont été ainsi offerts aux cogénérateurs. Le prix de l'électricité payé par EDF varie entre 30 été 45 centimes quand son coût de production moyen n'est que de 20 centimes. Dans le même temps, EDF arrête ses propres centrales thermiques et supprime des emplois. Cette niche tarifaire lui coûte aujourd'hui 3,7 milliards de francs par an. Les obligations d'achat de ce type doivent être limitées aux prototypes, au plus aux pré-séries.

Enfin, ce texte incite à développer la production décentralisée, ce qui rendrait encore plus difficile la maîtrise de la politique énergétique nationale, sans permettre aucune économie de réseau puisque celui-ci doit de toute façon exister pour assurer le secours. Cette disposition ouvre la porte aux grands groupes de services, autrefois exclus du secteur électrique, et favorise les producteurs indépendants. Dans le même temps, EDF n'investit pas assez, abandonnant le terrain au secteur privé.

Notre rapporteur Christian Bataille souligne dans son rapport l'enjeu que constitue la modernisation et le développement du service public. Nous attendions des mesures concrètes en faveur d'un service public de qualité, plus solidaire, notamment des plus démunis. Cela était possible sans contrevenir à la directive.

Ainsi, rien n'interdit de facturer l'électricité au coût de revient pour les clients non éligibles, la séparation comptable le permet même. En ce qui concerne la fourniture d'électricité aux familles en situation difficile, les dispositions proposées vont dans le bon sens mais manquent d'ambition : il faudra les préciser.

Bien que la directive soit muette à ce sujet, il est bon de prévoir que l'actuel statut du personnel des industries électrique et gazière sera étendu aux nouveaux opérateurs et continuera de s'appliquer à l'ensemble de la branche. Nous exprimons toutefois de fortes réserves sur les possibilités de le modifier, par des accords collectifs signés par des organisations syndicales minoritaires ou par des décisions d'autorité.

Enfin, le texte est très incomplet, s'agissant de la participation des usagers et des salariés. La démocratie directe devrait pourtant irriguer le service public au niveau local, régional, national. Le service public de l'électricité doit être rendu aux usagers et à la nation : il faut le rendre plus proche et donner aux représentants des usagers et des salariés de vrais pouvoirs.

Nous sommes donc très critiques sur ce projet de loi. Ceci étant, nous estimons possible qu'il soit modifié dans le sens que nous souhaitons. C'est pourquoi nous avons déposé de nombreux amendements. Certains d'entre eux ont été retenus par la commission. Il s'agit de mesures en faveur des plus démunis, qui bénéficieront d'une tarification spéciale, de la démocratisation du service public avec la création d'observatoires régionaux et d'un observatoire, comme l'a indiqué M. Borotra.

M. Franck Borotra - Pas dans le même sens !

M. Claude Billard - Il s'agit encore de restreindre la pratique du trading aux seuls producteurs, de limiter les obligations d'achat, d'améliorer les dispositions statutaires applicables aux salariés.

Voilà nos appréciations, nos critiques et nos propositions. C'est à l'issue du débat et des votes, et en fonction de l'attention que le Gouvernement aura portée à nos propositions que nous nous déterminerons sur un projet qui, en l'état, ne saurait recueillir notre approbation (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Pierre Micaux - A la différence du récent projet relatif à l'aménagement du territoire, celui-ci a été sérieusement étudié. Vous n'êtes pas trop mal entouré.

Mais l'intitulé "Modernisation et extension du service public de l'électricité" prête à interrogation. Que nous le voulions ou non, il y aura dès vendredi des consommateurs éligibles, 25 % cette année, puis 35 %, alors que la moyenne européenne s'élève à 60 %, et que le taux atteint 100 % en Allemagne. Les hostilités sont déjà enclenchées. Ainsi Usinor a transféré sa centrale électrique à l'Air liquide au détriment d'EDF. Ford lance un appel d'offres dans toute l'Europe pour tous ses sites. Le coup est parti ! Le trading va arriver plus vite qu'on ne croit. Des bourses énergétiques existent déjà. Ce mouvement s'inscrit dans le cadre de la mondialisation que nous sommes nombreux à déplorer.

Reste que la directive a été élaborée et mise au point par treize pays socialistes sur quinze. Le projet est cosigné par le Premier ministre, le ministre de l'économie et vous-même. Or vous ne vous réclamez pas de la sphère libérale. Vous appartenez à la majorité plurielle. J'en déduis que ce projet est hypocrite, et Molière y reconnaîtrait son Tartufe. Il est également frileux, et ne prépare pas aux nécessités de demain. Nous allons voir apparaître un service public à deux vitesses, l'une pour les clients éligibles, l'autre pour les clients captifs. Nous avons donc du souci à nous faire pour l'aménagement du territoire ! Les PME, les artisans, les petits usagers feront les frais de la disparité de traitement. Vous ne prévoyez pas le renouvellement du parc nucléaire avant 2017. La recherche sur le réacteur de génération future est en panne. J'approuve que les 12 milliards correspondant à la fermeture de Superphénix soient ristournés "sur le dos" des producteurs privés, mais, pour faire plaisir à Mme Voynet que vous aimez plus que moi, vous n'envisagez pas le redémarrage du surgénérateur. C'est grave, au titre de la recherche et de la protection de l'environnement. J'aurais apprécié que vous augmentiez dans l'avenir le nombre de centrales chargées en mox. M. Galley, qui s'y connaît mieux que personne, opine du chef. En 1998, pour la première fois, la France a dû importer de l'électricité, en particulier de Grande-Bretagne.

Je ne suis pas surpris que votre projet présente des caractères technocratiques. EDF sera seule gestionnaire du réseau de transport. Je n'apprécierais pas que vous refusiez la création d'une filiale pour gérer le transport. Mais j'ai l'impression que vous avez peur de la concurrence. Pour satisfaire à l'impératif de transparence, nous exigeons une séparation comptable réelle, alors que vous renvoyez sans cesse à des décrets. Si ce n'est pas de la technocratie... On voit comment, en Champagne-Ardenne et à Reims en particulier, le système des subventions croisées en vient à mettre en péril le secteur de l'artisanat. Tout est affaire de régulation pour conjuguer service public et concurrence. Par précaution, vous imposez le statut des salariés d'EDF-GDF à toute la branche. Ce n'est pas concevable ! Vous introduisez de l'Etat dans les entreprises, avec la retraite, les 32 heures payées 37, les 35 heures payées 39, le 1 % du chiffre d'affaires pour les oeuvres sociales, les fameuses 200 primes. Il n'y en a que 200 à EDF ! Le salarié qui obtiendra la 201ème méritera une prime de plus !

Tout cela va à l'encontre de l'intérêt d'EDF, qui va entrer dans l'univers de la concurrence, et qui doit en recevoir les moyens. Mais peut-être, pour certains, vaut-il mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron. Tant pis pour moi !

S'agissant de la distribution, il est bon d'avoir confirmé le pouvoir des collectivités locales et des distributeurs non nationalisés. La production décentralisée est encouragée pour les clients non éligibles. Vous avez compris les nécessités de la décentralisation. Les tarifs d'achat de la cogénération restent à préciser. Avec beaucoup de bicarbonate et tous nos amendements, peut-être parviendrai-je, au bout du compte, à digérer votre projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Yann Galut - Nous sommes en train d'examiner un projet dont le titre est faussé. Le libéralisme serait-il synonyme de modernisation ? Non.

Je reste persuadé que la régulation par le marché n'est ni saine ni adaptée à la distribution d'un produit de première nécessité, qui participe du respect de la dignité et de la citoyenneté des individus.

La question du mode de régulation est donc centrale, et ce d'autant plus que les décisions rendues par l'autorité de régulation auront une forte incidence sur le fonctionnement d'EDF.

A cet égard, l'exemple de l'Autorité de régulation des télécommunications est édifiant. Censée être "indépendante", cet aréopage de technocrates a été systématiquement défavorable à France Télécom afin de favoriser les grands opérateurs privés ! ("Très bien !" sur les bancs du groupe communiste) On comprend que les fanatiques de la déréglementation soient partisans d'une solution semblable pour l'électricité !

L'organisation du "marché intérieur de l'électricité" ne doit pas précéder la définition d'une politique énergétique communautaire, pour l'heure inexistante. Il est clair que la politique énergétique est une responsabilité éminente de l'Etat, notamment parce qu'elle repose sur des considérations de long terme que le marché est incapable de prendre en compte. Nous devrions donc exclure toute régulation technocratique émanant de personnes autoproclamées indépendantes ("Très bien !" sur les bancs du groupe communiste).

Assurer l'indépendance énergétique de la France et la sécurité de son approvisionnement en électricité indépendamment des aléas du marché, tout en permettant un développement respectueux de l'environnement et en privilégiant les sources d'énergies renouvelables, tels doivent être les grands axes de notre politique énergétique. Dans ce domaine comme dans d'autres, le marché ne doit pas imposer ses choix. Car il n'y aura pas de développement durable et de sauvegarde de l'intérêt général si ce ne sont pas les autorités politiques qui font les choix énergétiques.

A l'heure où les acteurs énergétiques vont se multiplier, nous devons nous interroger sur l'avenir du service public de l'électricité. Comment l'assurer dans un marché concurrentiel ? Ce projet de loi, qui ouvre le marché, ne prend pas suffisamment en compte les exigences de développement, de rénovation et de démocratisation du service public de l'électricité. Et quelles garanties avons-nous que les grands principes du service public, facteurs de cohésion sociale, seront respectés ? Quand la France connaît actuellement 400 000 coupures pour insolvabilité, il est légitime de s'inquiéter de la réalité du droit à l'énergie.

Ce projet de loi risque de favoriser les intérêts privés plus que l'intérêt général. Disant cela, je reste fidèle à la position des députés socialistes en 1996 qui dénonçaient à propos de cette directive "un reniement du service public, en particulier dans son principe d'égalité de traitement".

Oui, il faut préserver notre service public de l'électricité, qui est apprécié par 93 % de la population, assure l'indépendance énergétique de la France, fait rentrer des devises et assure la péréquation tarifaire.

Cette directive est l'application concrète de l'Europe ultra-libérale que nous refusons. Pourquoi la dérégulation l'emporterait-elle une fois de plus sur l'intérêt général ? Pourquoi entériner une nouvelle avancée du libéralisme vers son objectif ultime : libérer l'économie de toute intervention politique des citoyens et de toute réglementation sociale ? Plus de citoyens, plus de responsables politiques, bref, personne pour faire prévaloir l'intérêt général sur celui des plus riches !

Quant 13 pays sur 15 sont dirigés par une majorité socialiste ou sociale-démocrate, je ne comprends pas, Monsieur le ministre, qu'il ne soit pas possible de renégocier une directive libérale voulue par la droite en 1996 mais que les socialistes européens ont toujours combattue ("Très bien !" sur les bancs du groupe communiste).

Beaucoup de parlementaires sont sensibles à ces arguments, mais ils pensent qu'il sera toujours temps de construire l'Europe sociale. Pourtant, le libéralisme ne nous a pas habitués aux miracles sociaux.

Il est donc temps d'inverser la tendance à privilégier les grosses entreprises au détriment des hommes. Le traité d'Amsterdam n'a pas permis de le faire. Profitons donc de l'occasion qui nous est aujourd'hui offerte. Autant dire, Monsieur le ministre, que je resterai particulièrement vigilant, dans la discussion qui commence, aux réponses que vous apporterez concernant l'avenir de notre service public de l'électricité (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Jean Proriol - Deux certitudes pour commencer : la transposition de la directive européenne du 19 décembre 1996 en droit français est incontournable ; mais dans deux jours, nous aurons dépassé la date limite.

Reste à s'interroger sur le contenu de cette transposition. Pour les tenants de la loi de 1946, texte sacré à leurs yeux, le projet de loi va trop loin. Pour ceux d'entre nous qui sont plus européens et plus libéraux, il est trop restrictif. Entre ces deux voies, Monsieur le ministre, vous avez choisi le plus petit dénominateur commun et opté pour l'ouverture minimum à la concurrence : un jour ou l'autre, pourtant, il faudra ouvrir davantage. Pourquoi ce retard ? Pourquoi le choix de cette voie étroite ?

La réponse est simple : parce que la majorité plurielle est fortement divisée sur ce dossier et que vous cherchez depuis plus d'un an un accord. Les manoeuvres ont fleuri, tantôt ouvertes comme le rapport confié à notre collègue Jean-Louis Dumont, tantôt discrètes, avec le parti communiste, les Verts, voire la CGT, syndicat dominant à EDF. Ces manoeuvres n'ont pas réussi à cette heure et toute l'habileté du rapporteur n'a pas empêché le vote négatif des communistes en commission.

A mes yeux, ce projet organise une véritable course d'obstacles pour les investisseurs potentiels.

En effet, contrairement à la plupart des pays de l'Union européenne qui ont choisi d'emblée d'ouvrir plus largement que ne l'exigeait la directive, vous vous êtes offert le luxe du "service minimum" juste pour ne pas mettre la France en infraction !

Autre originalité : l'absence des mots "marchés", "concurrence", et "Europe", alors qu'il s'agit de la directive communautaire du marché de l'électricité !

La France est le seul pays de l'Union avec le Portugal à maintenir une planification électrique, relevant du ministre de l'énergie. En outre, l'administration se voit accorder de nouveaux pouvoirs en matière d'autorisations et d'appels d'offres, tandis que le texte interdit aux municipalités de s'approvisionner librement.

Quant aux gages d'une saine concurrence, ils sont aléatoires. En effet, CRE et GRT sont loin d'être des autorités indépendantes. Par ailleurs, l'extension du statut particulier des agents d'EDF-GDF à l'ensemble des concurrents éventuels paraît difficilement compatible avec les règles de la concurrence. Enfin, l'autonomie de gestion d'EDF est sérieusement encadrée, en particulier pour les investissements.

Bilan des opérations, le maintien de la singularité française va se payer très cher : la compétitivité des entreprises sera entravée, le pouvoir d'attraction du territoire français pour les investissements internationaux se réduira, le tout au détriment de la baisse des prix du kWh, évidemment !

Or qu'attendent nos compatriotes parfois les plus démunis, qui ont choisi le chauffage électrique ou qui se le sont vu imposer dans nos 2 millions d'HLM ? Un coût du kWh moins élevé, comme ils ont obtenu un téléphone moins cher avec la transformation de France Télécom.

Des problèmes plus particuliers se posent pour les collectivités locales.

Tout d'abord, pour financer les investissements. A cet égard, les dotations du Fonds d'amortissement des charges d'électrification sont absolument essentielles et le Gouvernement a donc été bien "éclairé" de renoncer à son idée de suppression.

Le projet de loi doit renforcer les moyens des autorités concédantes de la distribution locale d'électricité. La large place que lui faisait la loi de 1946 est maintenue : tant mieux. En revanche, les collectivités locales n'ont pas été autorisées à être des autoproducteurs.

Le projet devrait aussi investir les autorités concédantes de moyens de contrôle et de sanctions efficaces, afin que l'ouverture à la concurrence ne se fasse pas au détriment des petits et moyens consommateurs.

En conclusion, je dirai qu'EDF n'avait pas plus à craindre que France Télécom de la transposition d'une directive européenne. Opérateur mondial dominant et reconnu, elle avait même tout à gagner, au niveau international, d'une compétition ouverte et réciproque.

Le Gouvernement a fait un autre choix, politique, afin de concilier les composantes de sa majorité décidément trop plurielle. Ce choix risque d'être à la source de bien des contentieux, internes mais aussi européens.

Ce texte n'est pas social, il n'est fait ni pour les petits consommateurs, ni pour les PME, qui ne seront jamais éligibles à des tarifs préférentiels. Après les "400 familles" de jadis, nous allons avoir les "400 gros clients" !

Nous ne pourrons le voter en l'état, et nous laissons au Gouvernement et à sa majorité ce pain baladeur de plutonium à l'air libre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

M. Pierre Ducout - Chacun de nous a une vision différente, et complémentaire, du rôle de l'électricité, du service public, de l'entreprise EDF. Les besoins ont grandement évolué depuis 1946, et EDF a su s'y adapter tout en améliorant sa compétitivité, grâce à la compétence et à la motivation de son personnel, entretenues par une politique active de formation et de promotion interne. Elle est le symbole de la réussite des entreprises publiques, et l'on peut se demander en quoi des entreprises privées, tendant à l'oligopole qui plus est, rempliraient la même mission dans de meilleurs conditions. Le système en vigueur pour l'eau et l'assainissement ne peut certainement servir de modèle pour l'électricité.

La France est néanmoins un cas isolé dans une Europe où l'intervention de l'Etat est traditionnellement moins forte. Si nous avons désapprouvé, en son temps, la directive sur l'électricité adoptée en décembre 1996, force est de considérer aujourd'hui qu'il ne serait pas de notre intérêt de tenter de la renégocier : mieux vaut utiliser au maximum toutes les souplesses qu'elle comporte, et qui nous permettent notamment de définir les exigences du service public, de programmer sur une base pluriannuelle nos investissements de production, de conserver une entreprise publique intégrée, de maintenir le statut du personnel et d'ouvrir a minima la part des clients éligibles. Je constate avec satisfaction que les organisations syndicales sont parvenues aux mêmes conclusions. Au demeurant, une forme de concurrence existe déjà, puisque les industriels -et les particuliers pour le chauffage- ont déjà le choix entre plusieurs sources d'énergie.

Ce projet de loi a fait l'objet d'une concertation très large et très complète. Le groupe d'études et la mission d'information de l'Assemblée sur l'énergie ont entendu, en liaison avec le rapporteur, des représentants des entreprises, des syndicats, des collectivités et de la Commission européenne. Elle a retenu de nombreux amendements, émanant de toutes les sensibilités, qui rendent le texte plus clair.

Le service public a pour objectifs la sécurité d'approvisionnement, l'indépendance énergétique, la protection de l'environnement, la recherche du meilleur coût, l'égalité de traitement et le droit à l'énergie pour tous. Déjà, EDF garantit aux clients démunis une puissance minimale d'un kilowatt-heure, et même de trois pour les familles chauffées à l'électricité. La fixation du minimum fera l'objet d'un décret, mais ce point devra être encore approfondi.

Il est créé un Fonds des charges d'intérêt général de l'électricité. Nous proposons qu'il prenne en compte les surcoûts liés à la recherche, au développement et à la programmation pluriannuelle, même si nous comprenons que les industriels produisant leur propre électricité s'inquiètent du poids de leur cotisation à ce fonds.

La programmation pluriannuelle des investissements de production sera de la responsabilité de l'Etat, sous le contrôle du Parlement, qui votera des lois d'orientation. Cette programmation sera-t-elle quinquennale ou triennale ? Nous sommes pour cette dernière solution. Elle devra tenir compte des impératifs de prix, de sécurité, d'indépendance, de maîtrise de la consommation, de diversification des sources, d'aménagement du territoire, ainsi que des engagements pris à Kyoto sur l'effet de serre. Le principe de précaution commande de construire rapidement un réacteur EPR de nouvelle génération, même si la demande à court terme ne l'impose pas. C'est le sens d'un de nos amendements à l'article 6.

Il est essentiel, à nos yeux, que le gestionnaire du réseau de transport exerce son activité au sein d'EDF. Quant à la commission de régulation de l'électricité, son rôle est défini de façon satisfaisante par un amendement du rapporteur ; elle ne doit pas interférer avec les prérogatives du Gouvernement. Les collectivités locales pourront négocier les contrats de concession, donner leur avis sur les réorganisations fonctionnelles d'EDF et peser en faveur de la présence du service public dans les zones ou quartiers sensibles.

Un autre amendement du rapporteur définit le rôle et la place d'EDF, en se référant au principe de spécialité. L'entreprise conservera son caractère intégré, pourra proposer une offre globale aux clients éligibles et donner des conseils aux autres, aura toute latitude d'action au niveau international. Elle devra disposer de tous les atouts pour faire face à la concurrence, assurer une veille technologique permanente, mener une politique de prises de participation active. Pour ce faire, le dynamisme du personnel et le consensus social sont essentiels, et l'accord sur les 35 heures est de bon augure.

Restent plusieurs points sur lesquels nous devrons rester vigilants. L'impératif de compétitivité ne risque-t-il pas de signifier une moindre qualité de service dans les zones rurales peu peuplées ? Le trading n'est-il pas susceptible de nuire aux unités existantes en France ? Il ne faut pas non plus que la durée des contrats de fournitures soit trop courte, et c'est pourquoi la commission a retenu trois ans, à l'initiative de M. Billard.

Ce sont bien la modernisation et le développement du service public qui sont à l'ordre du jour. Nous comprenons l'inquiétude légitime des personnels d'EDF, et rendons hommage à leur qualité comme à leur culture d'entreprise. Qu'ils sachent que nous leur garantissons le maintien intégral de leur statut, et que nous donnons à cette entreprise publique dont nous sommes fiers les moyens de devenir le premier énergéticien d'Europe et l'un des premiers du monde (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Robert Galley - La loi de nationalisation du 8 avril 1946 a permis à notre pays de consacrer une part notable des ressources de la nation à reconstruire un outil de production et un réseau de distribution ravagés par la guerre. C'était une bonne loi. A la fin des années soixante, la consommation nationale d'électricité doublait tous les huit ans, l'indépendance énergétique du pays était tombée au-dessous de 30 %, et le gouffre du déficit extérieur se creusait, menaçant la stabilité du franc. La commission Péon a pris alors l'heureuse initiative de lancer un programme de réacteurs à eau légère, permettant le lancement, quelques années plus tard, en plein choc pétrolier, du plan Messmer, au succès duquel les efforts des industriels français comme des personnels d'EDF ont apporté une contribution décisive.

Pauvre en énergies fossiles, la France dispose aujourd'hui, grâce au nucléaire, de l'équivalent de 90 millions de tonnes de pétrole brut, sans compter les devises rapportées par nos exportations : sait-on que nous avons fourni au Royaume-Uni, en 1997, près de 6 % de sa consommation d'électricité ? Autre fait indiscutable : le prix du kilowatt-heure français est l'un des moins chers d'Europe dans le secteur résidentiel et le moins cher, Grèce mise à part, dans le secteur industriel. C'est un atout essentiel pour la compétitivité de notre économie.

Mais la France est partie intégrante de l'Europe et ne peut concevoir son destin en-dehors de cette Europe, des Quinze aujourd'hui, des Dix-Huit ou des Vingt demain. De ce grand marché, nous tirons tous les jours des avantages considérables : nous devons en accepter les règles. La France s'est ainsi engagée à libéraliser son marché de l'électricité, au nom du principe de concurrence, fondateur de la Communauté. La date prévue pour la transcription de la directive est le 19 février : c'est après-demain. il est bien tard, Monsieur le ministre.

Dans sa nature et sa formulation, du reste, cette directive diffère profondément du projet initial de la Commission. Il a fallu toute la volonté du gouvernement Juppé, toute la pugnacité et l'habileté de Franck Borotra pour transformer le contenu de la directive (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Sans lui nous n'aurions jamais obtenu de nos partenaires qu'ils reconnaissent à l'électricité une vocation de service public, notion dont beaucoup d'entre eux sont fort éloignés. Sans lui le principe de subsidiarité, sur lequel reposent la plupart des articles de ce projet, n'aurait certes pas été affirmé pour donner corps à l'exception française. A quoi j'ajouterai la possibilité pour le secteur de l'électricité d'instaurer un régime de concurrence progressif et maîtrisé.

Or votre projet s'éloigne délibérément de l'objet premier de la directive, qui est d'instaurer un régime de libre concurrence. Article après article, vous avez utilisé toutes les possibilités offertes pour éviter, dans la réalité, d'ouvrir la concurrence. Et je suis moins sûr que vous, Monsieur le ministre, que vos habiles dispositions pour sauvegarder le monopole d'EDF seront approuvées par la Commission et les autorités juridiques, et que votre texte ne crée pas de nombreuses possibilités de contentieux, notamment pour abus de position dominante. Considérons le problème des tarifs auxquels EDF doit acheter l'électricité des producteurs indépendants. En commission, le président Roussely nous a sèchement répondu qu'il n'avait pas à subventionner les concurrents. Soit ; mais alors il faut que l'organisme qui fixera les tarifs soit complètement indépendant ; il faut aussi que l'organe de régulation ait les pleins pouvoirs et ne soit pas une filiale déguisée d'EDF...

Quand on ouvre à la concurrence, il faut certes s'entourer de garanties contre une dégradation du service public. Le maintien de l'autorité de l'Etat sur la programmation pluriannuelle des investissements de production est une bonne chose. Cela permettra notamment une diversification des sources d'énergie, souhaitable pour permettre à nos entreprises d'avoir une référence sur le sol national, et qui aidera EDF à se placer sur les marchés étrangers. Il faut aussi que l'organe de régulation ait pleins pouvoirs pour s'assurer que la séparation comptable est rigoureuse, et les subventions croisées impossibles ; ce n'est pas ce qui me paraît résulter de votre texte. Comme l'a dit M. Dumont, la commission de régulation doit avoir des moyens d'expertise et de contrôle, mais aussi, grâce à son indépendance, un réel pouvoir d'arbitrage et de sanction. Le débat sur les amendements permettra de préciser ce point.

Autre point important : l'article 43 étend le statut des agents de l'EDF aux entreprises qui interviendront sur le marché de l'électricité. C'est dans votre esprit une mesure destinée à rendre la concurrence égale. Or EDF admet que le statut représente un surcoût de 40 % par rapport aux salaires privés. Cette seule disposition peut faire obstacle à l'installation de concurrents. Ceux-ci s'installeront plutôt de l'autre côté de nos frontières, d'où ils viendront concurrencer EDF dans des conditions autrement redoutables...

Alors je m'interroge. Pourquoi tant de craintes, de restrictions, d'obstacles à la libéralisation ? Nous savons pourtant tous qu'EDF a un prix de revient inférieur à ses concurrents. Pourquoi avoir peur de l'avenir ? Dans quelques années nos centrales, toujours en pleine activité, seront amorties, ce qui permettra des baisses de tarifs. Pourquoi prendre le risque de mesures de rétorsion, quand nos voisins prendront la mesure des obstacles que nous leur opposons ?

Nous avons confiance dans la formidable capacité d'EDF de partir à la conquête du monde, pour donner du travail à nos entreprises et un avenir à notre jeunesse. Ce n'est pas en luttant pied à pied pour maintenir le monopole que nous y arriverons.

Votre texte est trop éloigné de l'esprit de la directive. Ayant travaillé à Marcoule, dans la première centrale nucléaire, au milieu des années 50, je mesure le chemin parcouru. Mettons toutes les chances du côté de notre grande entreprise nationale, pour qu'on dise dans dix ou quinze ans que nous avons bien travaillé pour sa prospérité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Jean-Claude Sandrier - Comme le disait Henri Guaino, ancien délégué général au Plan, "si l'Etat choisit d'exercer certaines activités, c'est qu'il a considéré moralement qu'elles devaient s'adresser au citoyen plutôt qu'au consommateur". Comment ne pas souligner que le service public d'EDF et de GDF est plébiscité par l'opinion, pour sa performance, mais aussi pour son rôle social et l'égalité qu'il assure ? Oui, refonder le service public de l'électricité, en France et en Europe, en tenant compte d'exigences nouvelles, notamment de partage des coûts et de respect de l'environnement, telle est bien la volonté des députés communistes. Mais nous devons y ajouter un contrôle accru par les citoyens et un rôle de lutte contre l'exclusion et la précarité, en mettant en place une tranche sociale gratuite pour les plus défavorisés qui s'ajoute à l'aide envisagée par la direction d'EDF.

C'est pourquoi le chemin où nous engage la transposition de la directive nous inquiète. Quand on ouvre les segments rentables à la concurrence, cela se répercute sur les comptes de l'entreprise : à terme, c'est la péréquation tarifaire qui éclate. En 1995, inaugurant un équipement public à Bourges, François Mitterrand évoquait les dégâts causés des deux côtés de l'Atlantique par le désengagement de l'Etat et le démantèlement du service public, facteurs d'exclusion, de pauvreté, de fracture sociale. Ce que la directive tente d'imposer, c'est la mise en oeuvre de la fameuse notion de service universel, qui est au service public ce que le RMI est au salariat. L'exemple d'un pays-phare du libéralisme, souvent évoqué ici, est probant. En 1990, Mme Thatcher démantelait le système électrique, nationalisé en 1947. Quel est le bilan ? Certes, les tarifs ont diminué, de 15 % en dix ans, et très inégalement. Pendant ce temps les tarifs du service public français baissaient de 20 %, et dans le respect de l'égalité ! On ne change pas une équipe qui gagne, Monsieur Galley. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

En Grande-Bretagne les effectifs ont diminué de 40 %, le service aux usagers s'est dégradé, et le Gouvernement a dû plusieurs fois subventionner le secteur. Bien sûr il n'y a pas eu que des perdants : les clients éligibles ont été bénéficiaires, et eux seuls.

Comme le disait un conseiller d'Etat lors d'un colloque sur l'énergie en septembre dernier, le discours bruxellois se réduit à ce syllogisme : la loi c'est le marché, or le service public est hors du marché, donc le service public est hors-la-loi... Ce qui a conduit à des choix dictés par les tenants du libéralisme, qui n'ont d'autre horizon que les dividendes des actionnaires. Contrairement aux grands groupes financiers qui gangrènent l'activité économique, le service public place l'homme et le citoyen avant toute autre considération. C'est cela qu'il faut préserver. C'est dans cet esprit que les députés communistes aborderont ce débat, qui conditionnera leur vote final. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

M. Christian Martin - La directive européenne nous a fait prendre conscience du fait que l'industrie de l'électricité a deux composantes.

La première est la fourniture proprement dite de l'électricité, qui est une activité de production et de commercialisation ; c'est à elle que s'applique l'ouverture à la concurrence.

La seconde est l'acheminement de l'électricité par les réseaux, qui est une activité de monopole naturel, au coeur même du service public. L'ouverture à la concurrence ne porte pas sur les réseaux, mais elle les concerne indirectement. Mon intervention portera essentiellement sur ces réseaux, c'est-à-dire sur le service public, et plus particulièrement sur le service public intéressant les petits et les moyens consommateurs, les plus nombreux.

Le sujet concerne au plus haut point les collectivités locales. J'insiste en effet sur le caractère local de ce service public. Bien sûr, hormis quelques régies, la distribution est exécutée par une entreprise nationale, EDF. Mais l'autorité organisatrice est une collectivité locale. Les réseaux à moyenne ou basse tension appartiennent aux collectivités locales. Leur longueur totale est de 1 260 000 kilomètres, soit 90 % de la longueur globale des réseaux électriques en France. Les autres lignes sont à haute ou très haute tension ; elles constituent le réseau de transport, propriété d'EDF.

Les attributions des collectivités concédantes doivent être renforcées pour que la distribution d'électricité reste un véritable service public. Or les sujets d'inquiétudes des élus ne manquent pas.

Tout d'abord, le prix de l'électricité a baissé en France, comme dans d'autres pays européens. Mais la future organisation électrique favorisera-t-elle aussi le développement de la qualité ? On peut en douter. Dans un contexte de forte concurrence, quel sera le meilleur moyen, pour EDF, de gagner des parts de marché et d'accroître ses résultats financiers : réduire les prix ou améliorer la qualité ? Le risque est grand, si la loi est mal faite, que la qualité ne progresse plus -si elle ne régresse pas- sur une grande partie du territoire national, à savoir certaines banlieues et les zones rurales jugées non rentables. En conséquence, le nombre de nos concitoyens mécontents du service public s'accroîtra.

Pour que la qualité continue de s'adapter à l'évolution des besoins, pour que ne soient délaissés aucun secteur géographique, aucun segment de clientèle, la future loi doit attribuer aux collectivités concédantes des moyens de contrôle et de sanction réels. Le projet de loi va dans ce sens, mais parfois de manière encore trop timide. Il doit être amélioré. J'espère qu'un des décrets prévus à l'article 17 ira dans ce sens ; je souhaite surtout qu'EDF n'attende pas la publication de ce décret pour accepter, dans des avenants aux contrats locaux de concession, des mesures propres à améliorer la qualité.

J'en viens à la sécurité, question à laquelle les élus locaux sont très sensibles. Les agents qu'ils mandatent en leur qualité d'autorités concédantes, effectuent le contrôle technique des réseaux et dans ce cadre, détectent et signalent à EDF les lignes vétustes et les conducteurs mal isolés, et ces problèmes sont rapidement résolus. En sera-t-il toujours de même lorsque la recherche de la rentabilité conduira EDF à réduire encore ses coûts ? La culture technique d'EDF pourrait laisser place à une logique essentiellement financière. On peut donc craindre que, sans contre-pouvoir public local suffisant, EDF ne soit tenté de réduire investissements et opérations de maintenance.

Pour assurer un niveau de sécurité satisfaisant, il est donc crucial que la loi attribue aux collectivités concédantes des moyens d'intervention nouveaux en cas de manquement d'EDF, dans le même esprit que celui qui doit prévaloir pour la qualité. Cela nous renvoie aussi à l'article 17.

Je terminerai par la régulation, problème délicat. La solution envisagée d'une régulation multiforme et décentralisée, partagée entre les ministres, les collectivités concédantes, le conseil de la concurrence et la commission de régulation, me semble bonne. Toutefois, l'articulation entre niveau national et niveau local de la régulation ne laisse pas d'inquiéter. Je crains en particulier que les articles 17 et 35 ne conduisent à une centralisation excessive. Je le répète : la distribution aux petits et moyens consommateurs doit demeurer un service collectif de proximité et la recentralisation n'est plus de mise. Les élus locaux doivent continuer à avoir de réels pouvoirs sur ces questions et je souhaiterais être rassuré sur ce point. Les décrets prévus à l'article 17 ne devraient être pris que si les collectivités concédantes n'arrivaient pas à s'entendre avec EDF dans le cadre d'avenants aux contrats de concession dans un délai raisonnable. D'autre part, la commission de régulation ne doit pas décider, à la place des collectivités concédantes, des règles locales du service public pour les lignes basse et moyenne tensions, pour les questions relatives à l'environnement ou à la participation financière des demandeurs d'extensions à basse tension.

Je dirai en conclusion mon désaccord sur ce que j'estime être le non-respect de règles de bon sens : il est impératif qu'EDF, le gestionnaire du réseau de transport demeure indépendant. Le projet, en l'état, ne le prévoit pas. Le voter sans le modifier sur ce point serait rendre un mauvais service à cet établissement.

M. Jacques Desallangre - La transposition de cette directive marque un nouveau pas dans la construction d'une Europe libérale qui tend à soumettre à la concurrence tous les biens marchands quelle que soit leur importance stratégique ou sociale. Les différents partis de l'actuelle majorité avaient d'ailleurs vigoureusement critiqué la conception consumériste et libérale du texte lors de son adoption.

Pour justifier de sa volonté d'ouvrir à la concurrence le marché de l'électricité, la Commission européenne a fait prévaloir deux principes.

Le premier est que l'énergie, et plus particulièrement l'électricité, serait un bien comme les autres et devrait de ce fait être soumise à la libre circulation des marchandises. Ce présupposé est à mes yeux contestable sinon inacceptable.

La norme générale devient celle du marché et toute exception est conditionnée et limitée. C'est sur ces soubassements et en fonction d'une interprétation strictement juridique de la Commission qu'ont eu lieu les négociations.

Or ce postulat me semble erroné. En effet, l'électricité et l'énergie en général ne sont pas des biens comme les autres. Notre commission et son rapporteur ont fort bien démontré que l'électricité est un bien de première nécessité sans substitution possible et aussi un bien stratégique qui conditionne notre indépendance. Elle aurait donc dû être exclue du champ d'application des traités européens et de la réalisation du marché intérieur.

L'autre axiome sur lequel est fondée la directive est tout aussi contestable et relève de la croyance plus que de l'observation. L'Europe telle que nous la construisons considère la concurrence comme un objectif en soi, objectif qui permet d'obtenir systématiquement l'optimum économique. Avec une telle perception, on dévalorise le citoyen pour ne plus se préoccuper que du consommateur. D'autre part et contrairement aux théories libérales, la concurrence n'induit pas automatiquement une baisse des prix et les études menées dans le secteur énergétique révèlent des tendances contradictoires avec des hausses parfois importantes et des baisses qui, quand elles existent, sont le plus souvent imputables à une chute conjoncturelle des prix des combustibles fossiles.

De plus, l'observation d'autres secteurs ouverts à la concurrence, comme celui de l'eau, prouve que la soumission au marché et la création d'oligopoles ne suscitent pas systématiquement des baisses de prix. Enfin, la situation française fournit un excellent contre-exemple à ces théories libérales puisque notre système de production et de distribution monopolistique et réglementé nous a permis d'obtenir des prix parmi les plus bas tout en préservant notre sécurité d'approvisionnement.

On aura compris que la concurrence ne fait pas partie des valeurs fondamentales pour lesquelles je combats (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

Nous devons reconnaître que le projet de loi vise à conserver une relative maîtrise de la politique énergétique et à préserver le service public. Il n'est pas satisfaisant pour autant car, bien que n'ayant ouvert le marché qu'a minima, il est contraint d'instituer un régime juridique qui peut s'avérer fort dommageable pour le service public.

Les députés du Mouvement des Citoyens ont en conséquence déposé un certain nombre d'amendements qui visent au renforcement du service public et à la préservation de la programmation pluriannuelle des investissements. Des précisions seront nécessaires afin que nous puissions déterminer notre vote qui sera guidé par une conception pragmatique mais aussi par notre attachement au service public et à l'indépendance énergétique de la France.

Le précédent directeur d'EDF admettait que l'ouverture au marché même a minima porterait de fait atteinte à la péréquation des prix. En effet, la concurrence entre producteurs ne portera que sur les clients éligibles les plus rentables, faisant ainsi fondre les marges bénéficiaires. Or la péréquation des prix repose précisément sur la solidarité des usagers rentables au profit des usagers non rentables. La crainte de voir le principe de péréquation affaibli est corroborée par l'exemple de France Télécom qui, face à la concurrence, augmente le prix de l'abonnement afin de devenir plus compétitif pour les communications. Je crains des comportements analogues dans le secteur de l'électricité.

Le projet de loi laisse supposer que les tarifs aux clients non éligibles seront désormais soumis à une péréquation géographique. Est-ce à dire que la compensation ne se fera que sur des zones relativement restreintes et homogènes ? Ce serait la négation du principe de la péréquation qui ne peut s'entendre que dans le cadre national. Les députés du MDC ont donc déposé un amendement visant à corriger cette imprécision qui ruinerait le principe fondamental d'égalité d'accès des usagers au service public ainsi que l'objectif de cohésion sociale.

Le projet de loi ne répond pas de manière satisfaisante à l'impératif de sûreté. Même si le Parlement et le ministre chargé de l'énergie arrêtent la programmation pluriannuelle des investissements, laisser parallèlement se créer un marché totalement autonome de l'électricité est dangereux : les productions à moindre coût risquent de l'emporter même si elles sont contraires à l'intérêt général et peu respectueuses de l'environnement. Il ne faudrait pas non plus laisser ce marché aux mains des groupes financiers ayant pour seul objectif d'engranger des profits. Nous avons donc déposé des amendements visant à réduire les risques de spéculation -je pense tout particulièrement au trading- et à renforcer le rôle du Gouvernement et du Parlement dans la détermination de la politique énergétique.

Ce projet de loi influera aussi sur l'aménagement du territoire. La tarification du transport de l'électricité déterminera largement l'implantation des nouveaux sites de production. Si les prix sont établis en fonction du volume et de la distance, les nouveaux producteurs s'installeront à proximité des clients éligibles afin de réduire les coûts. La concentration industrielle qui s'ensuivra renforcera la désertification des régions les plus défavorisées. Inversement si le prix ne tient pas compte de la distance, le dumping social sera favorisé.

Les écueils sont donc nombreux et votre tâche, Monsieur le ministre, est délicate. Votre texte parvient à transposer la directive sans céder à toutes les exigences de Bruxelles, ce qui vous vaut d'ailleurs les critiques de nos collègues libéraux. Il n'en reste pas moins que cette transposition tend le redoutable piège de la libéralisation et de la déréglementation. Les députés du MDC, refusant la politique du pire, s'efforceront donc d'améliorer un texte qui conservera néanmoins l'inspiration libérale qu'ils réprouvent (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe communiste).

M. Claude Gatignol - Ce texte manque toujours de clarté, en dépit des travaux approfondis des deux commissions. Pourtant, rarement un texte aura suscité autant d'espoirs... La déception risque donc demain d'être à l'avenant.

Les gros clients vont bénéficier du nouveau marché de l'électricité, et il faut s'en féliciter. Nos entreprises ont besoin d'électricité à prix compétitif, d'autant qu'en France cette énergie, issue à 80 % du nucléaire et à 15 % de l'hydraulique, est particulièrement propre. Mais comment viser la compétitivité européenne tout en maintenant, voire en renforçant, les contraintes qui pèsent sur EDF et celles qui, demain, pèseront sur les nouveaux producteurs ? Les entreprises ne peuvent se développer et créer des emplois que si elles ne croulent pas sous des charges excessives. Dans le cas contraire, elles risquent de se délocaliser... en l'espèce juste de l'autre côté de la frontière.

Le texte comporte de nombreux freins à l'innovation. Certes, il est normal de ne pas modifier brutalement le statut cinquantenaire des personnels d'EDF. Mais pourquoi vouloir imposer ce statut à d'autres entreprises qui n'ont ni son histoire, ni son rang, envié, de premier électricien d'Europe, voire du monde ? Le Gouvernement a-t-il, par facilité, accepté un texte susceptible d'être voté sans recourir au 49-3 mais qui, après bien des compromis avec la majorité plurielle, s'apparente plutôt à un 46 bis ?

Deuxième point : les clients non éligibles, usagers domestiques et petites entreprises. Le prix du kilowatt-heure ne baissera pas pour eux et ils risquent fort d'en être très déçus. Rien ne garantit dans votre texte qu'ils ne seront pas au contraire pénalisés.

D'autres questions demeurent sans réponse. Qu'adviendra-t-il des petits producteurs qui vendent aujourd'hui à EDF l'électricité de leurs microcentrales ? Quel avenir pour les installations de cogénération qui existent dans de nombreux immeubles ? Cette technique intéressante ne subira-t-elle pas un coup d'arrêt ? Enfin, comment envisage-t-on de régler demain le marché instantané de l'électricité tout en respectant la règle de réciprocité entre Etats membres de l'Union ? Les négociations sur ce point doivent être poursuivies au niveau européen.

Il faudra donc sérieusement amender ce texte qui ne fait qu'entrouvrir, a minima, le secteur à la concurrence. J'espère que de nouveaux textes européens, dès l'année prochaine peut-être, permettront la modernisation et le développement attendus du service public de l'électricité. Il y va de l'avenir du secteur industriel électrique français et d'EDF elle-même, qui en sera le fer de lance (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Yvon Montané - Pour la plupart de nos concitoyens, électricité et EDF sont synonymes. Il est donc souhaitable, dans leur intérêt, de préserver le service public de l'électricité auquel ils sont attachés.

Mais, liés par nos engagements européens, nous devons aussi intégrer EDF dans le cadre des directives communautaires et lui permettre de préparer, dans les meilleures conditions, l'avenir. Le Gouvernement a saisi l'occasion de moderniser et développer le service public de l'électricité en même temps.

Nulle crainte n'est de mise pour l'avenir. EDF, premier électricien du monde, a prouvé qu'elle était techniquement la meilleure entreprise dans son domaine, capable d'affronter la concurrence victorieusement. Nous pouvons être fiers de sa réussite nationale et internationale comme du partenariat qu'elle a su instaurer avec les collectivités locales. Celles-ci, partenaires et pas seulement clientes d'EDF, sont les actrices de l'équipement du territoire en matière d'électricité. Ce sont elles qui ont amené la lumière, au meilleur coût dans nos campagnes et bourgs, puis la force et maintenant l'énergie, partout sur le territoire, à la demande et dans le respect des contraintes d'environnement et des règles de sécurité.

Si EDF remplit ces mission sur 95 % du territoire national, les 5 % restant étant desservis par des distributeurs non nationalisés, les régies, l'autorité organisatrice est la collectivité locale, le plus souvent un grand syndicat intercommunal.

Les communes possèdent la très grande majorité des réseaux moyenne et basse tension, les lignes haute tension appartenant à EDF.

J'appelle donc l'attention sur le rôle que jouent et doivent continuer à jouer les collectivités locales et, à travers elles, des milliers d'élus locaux. Au sein notamment des comités de syndicats d'électricité, ils contribuent avec discrétion et efficacité à la bonne marche du service public de distribution de l'électricité.

M. Patrice Martin-Lalande - Très bien !

M. Yvon Montané - Il faut renforcer ce pouvoir démocratique local.

Les syndicats d'électrification, autorités concédantes du réseau public d'électricité, travaillent en étroit partenariat avec EDF, concessionnaire unique depuis 1946, ce qui permet d'ailleurs d'assurer une péréquation tarifaire sur l'ensemble du territoire et l'égalité de traitement entre tous les usagers.

La loi du 15 juin 1906 a instauré le pouvoir concédant des communes et fait de la concession le principal mode de gestion de ce service public. La concession est matérialisée par une convention entre l'autorité concédante et le concessionnaire et un cahier des charges fixant les droits et obligations des deux parties. EDF verse, en contrepartie des dépenses supportées par l'autorité concédante, une redevance qui sert au financement de cette dernière mais surtout à ses investissements. Les syndicats d'électricité doivent, pour leur part, contrôler la bonne exécution du contrat par EDF, notamment vérifier que celui-ci respecte bien les engagements prévus au contrat.

L'article 8 du cahier des charges prévoit que les syndicats d'électricité et EDF réalisent des investissements communs afin d'améliorer l'intégration des ouvrages électriques dans l'environnement. 200 millions par an sont affectés sur tout le territoire national, notamment à l'enfouissement des réseaux.

Enfin, les syndicats d'électricité sont les représentants des usagers. Interlocuteurs privilégiés d'EDF, ils s'assurent que le service qu'elle rend aux usagers est le meilleur au meilleur prix.

Le rôle des syndicats d'électricité ne se limite pas à cela. La loi de nationalisation a maintenu aux collectivités locales leurs prérogatives de maître d'ouvrage. La loi du 31 décembre 1936 a ainsi créé le Fonds d'amortissement des charges d'électrification, destiné à financer les travaux d'électricité en zone rurale. En 1998, l'enveloppe du FACE représentait 3 milliards de francs d'investissement.

Ainsi, la modernisation et le développement du service public de l'électricité en France ne sont possibles qu'avec la participation active des collectivités locales et de leurs élus.

C'est pourquoi je me félicite que le projet ait inscrit le rôle des collectivités concédantes dans le code général des collectivités territoriales. Le FACE reste un instrument financier exemplaire de cohésion entre territoires et le garant de l'équipement en milieu rural. C'est indispensable car les besoins électriques en France sont encore très importants. Rien que pour le département du Gers, typiquement rural, une étude a estimé que les besoins du département du Gers pour 1995-1999 étaient de l'ordre de 300 millions, car la demande est évolutive en quantité et surtout en qualité.

Il est donc nécessaire de conserver aux responsables locaux des instruments propres à améliorer la qualité du service public, au moment où la logique de marché va tendre à s'imposer de plus en plus aux opérateurs sous la pression de la concurrence. Dans cet esprit, le projet de loi doit permettre l'adaptation de la régulation à la réalité locale ; promouvoir la production décentralisée, et plus particulièrement d'énergies renouvelables ; enfin, conforter le rôle que les collectivités concédantes jouent au sein de l'organisation du service public de l'électricité. Ces collectivités ont montré leur utilité et leur efficacité.

Je vous remercie d'avoir pris en compte l'essentiel de ces préoccupations, et d'accepter les amendements que nous proposerons pour les garantir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Franck Borotra - Et les nôtres aussi !

M. Patrice Martin-Lalande - Oui, l'énergie n'est pas un bien de consommation tout à fait comme un autre ; oui, EDF et l'industrie électrique sont une chance pour la France. Aussi faut-il se réjouir que la directive porte la marque des négociations serrées menées par Franck Borotra et le gouvernement Juppé pour faire adopter dans un texte européen la notion française de service public. La directive est donc un compromis réussi permettant de concilier l'efficacité économique et la régulation institutionnelle. En application du principe de subsidiarité, elle offre aux Etats membres, dans de nombreux domaines, des possibilités de choix. De ce fait, nous ne procédons pas à la simple formalité de transposition d'une directive. Le projet comporte des avancées, comme l'inscription du principe de péréquation financière, l'aide aux personnes en situation de précarité, la réaffirmation de la compétence des pouvoirs publics pour définir la programmation des équipements de production. Cependant, à rebours de l'esprit de la directive, le projet hérisse d'obstacles inutiles le chemin de la France vers un marché libre et régulé de l'électricité. La commission de régulation est marginalisée, privée de tout contrôle sérieux sur les tarifs et les abus de position dominante. Le gestionnaire du réseau ne bénéficie pas de l'indépendance nécessaire. La possibilité d'une bourse de l'électricité est tout simplement absente.

En revanche, certaines dispositions vont aboutir à figer le marché de l'électricité dans une position aux antipodes d'une concurrence libre et loyale. Ainsi, les nouveaux entrants seront pénalisés, alors qu'EDF sera dans certains cas favorisé au-delà du nécessaire.

Au nom d'une vision périmée et doctrinaire de l'Etat omnipotent, la gauche s'apprête à entrer à reculons dans le grand marché européen. Outre les contentieux qu'EDF va s'attirer, l'opérateur public retardera la mue nécessaire qu'a fini par réaliser France Télécom. Riverain, comme Maurice Leroy, de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux, je ressens pour EDF le besoin d'un grand projet de développement international, et non pas le remède illusoire d'un repli frileux. Nous faisons confiance à EDF pour confirmer qu'elle est la meilleure entreprise d'électricité du monde.

En raison des atermoiements du gouvernement socialiste, ni les entreprises françaises, ni le consommateur-citoyen-contribuable ne sortiront gagnants.

Conscient des enjeux, le groupe RPR avait décidé d'adopter une attitude de critique constructive. Mais nos amendements ayant été rejetés en commission, mes amis et moi ne voterons pas un texte qui impose le surplace et qui fait prendre un grave retard à EDF, alors que nous pourrions être les meilleurs (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jean-Pierre Brard - Aujourd'hui, compte tenu des règles de l'Union européenne qui s'appliquent même lorsque nous les avons combattues, il nous faut tenter d'en tirer le meilleur parti possible.

Lorsqu'un bien comme l'électricité est vital pour la nation, la question de la démocratisation se pose. Les usagers ont vocation à être entendus, y compris les collectivités territoriales. L'accès à tous de l'électricité suppose une homogénéité tarifaire absolue sur l'ensemble du territoire. Pour être effectif, le droit à l'électricité requiert l'exercice de la solidarité nationale. Aussi convient-il de garantir un quota de fourniture gratuite à chaque foyer dans sa résidence principale.

M. Goulard nous a assené hier que la France serait en retard sur ses partenaires européens faute d'une transcription suffisamment libérale de la directive.

M. Pierre Lellouche - Il a raison.

M. Jean-Pierre Brard - A force de répéter que vous avez raison, vous finissez sans doute par vous en convaincre, oubliant le coup de pied aux fesses bien mérité que les électeurs vous ont donné en juin 1997.

Plusieurs députés RPR - Et vous, vous oubliez 1993 ?

M. Jean-Pierre Brard - Vous faites de la préhistoire !

M. le Président - Allons, Monsieur Brard, reprenez votre propos.

M. Jean-Pierre Brard - En bon libéral qu'il est, M. Goulard n'a apparemment pas imaginé une seconde que la France pouvait au contraire, par sa conception du service public, détenir la vision d'avenir. Ce qui est plus étonnant, c'est de voir à quel point le club des bigots de la déréglementation et de la libre concurrence se diversifie : voici en effet que MM. Proriol et Martin-Lalande, par exemple, le rejoignent. Mais une chose est sûre : ce club est nettement ancré à droite.

Nous pensons quant à nous que l'harmonisation doit se faire, certes, mais par le haut. Ne suivons donc pas l'exemple de la Grande-Bretagne, où le consommateur a été totalement oublié au profit d'une mise en concurrence des opérateurs, d'ailleurs largement factice ! La concurrence pousse naturellement à des investissements à court terme dictés par la recherche d'une rentabilité élevée. L'Etat a, lui, la responsabilité d'orienter les investissements vers le long terme et d'empêcher les coups spéculatifs qui nous réserveraient des réveils douloureux comme celui que connaît aujourd'hui la Grande-Bretagne. L'ouverture dont nous discutons ne doit pas vider de sens la notion de service public, avec tout ce qu'elle a d'essentiel pour la cohésion sociale. L'utilisateur doit être placé au centre des missions de service public, qu'il s'agisse de ses attentes, de ses besoins ou de ses droits fondamentaux -droit à l'énergie, à un environnement de qualité.

Sur nombre de ces points, le Gouvernement a manifesté une certaine écoute. J'espère que le débat permettra de la concrétiser.

Car l'alternative est claire, et je remercie d'ailleurs nos collègues de droite de l'avoir clarifiée : ou bien nous améliorons le projet, ou bien la directive s'appliquera brutalement -comme semble le souhaiter l'opposition. A nous donc d'amender le projet de façon à ce qu'il ne soit pas un premier coin enfoncé pour démanteler le service public, à nous d'exploiter le délai supplémentaire et la ligne de défense qu'il nous offre pour obtenir que notre conception du service public de l'électricité s'étende à l'ensemble de l'Union européenne. Pour cela, je fais confiance à l'engagement des forces progressistes et du mouvement social (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Pierre Lellouche - Quel conservateur !

M. Jean-Pierre Brard - C'est vous qui êtes un expert en conservatisme !

M. Pierre Lellouche - Même Gazprom a été privatisé !

M. Léonce Deprez - Je voudrais tout d'abord saluer le rôle décisif qu'a joué Franck Borotra dans la négociation et la signature de la directive européenne ("Très bien !" sur les bancs du groupe du RPR).

La première idée que je veux développer, c'est la nécessité de reconnaître la complémentarité entre les diverses sources d'énergie électrique en dehors d'EDF, vis-à-vis d'EDF et au sein même d'EDF. Pensons par exemple aux 77 milliards de kW/h d'origine hydraulique qui représentent 13 % de la production globale d'EDF. Il nous faut défendre les entreprises d'électicité associées au service public. La production autonome, celle qui n'a pas été nationalisée en 1946 et qui a une puissance installée en dessous de 8 000 kW/h, est assurée par 1 200 entreprises, dont 20 % seulement sont attachés à de grands groupes. Les 1 200 producteurs emploient directement 5 000 personnes et indirectement 20 à 30 000. Disséminés sur le territoire, ils contribuent à faire vivre les communes par leur taxe professionnelle. Ce projet leur assure des possibilités de maintien par un encouragement au développement des énergies renouvelables, par des obligations d'achat pour EDF et par une politique tarifaire incitative. Encore faut-il qu'on ne remette pas en cause l'article 10 sur les obligations d'achat, ni les contrats déjà signés avec EDF.

Ma deuxième idée est qu'il faut que le transport d'énergie soit lisible dans les comptes. Prenons l'exemple d'une société productrice d'aluminium implantée près de la frontière belge. Supposons que le prix du courant fourni par EDF en provenance de la centrale de Gravelines ne lui convienne plus. Supposons également que les Anglais installent en Belgique une usine, avec le gaz de la Mer du Nord. Si l'usine d'aluminium achète son électricité en Belgique, il lui faudra payer un "péage" au gestionnaire du réseau de transport. Il importe que ce coût de transport soit, selon la directive européenne, "transparent, objectif et non discriminatoire". Le risque, c'est qu'EDF, gestionnaire technique du réseau de transport, intègre dans le prix du transport des charges liées à la production.

La solution proposée dans le projet est la création d'un organisme de régulation. Mais celui-ci aura trois membres sur six nommés par le Gouvernement lui-même...

Ma troisième idée est que le développement de la cogénération constitue l'objectif à atteindre à la veille du prochain siècle. La cogénération, c'est la production d'électricité à partir de la chaleur utilisée par les industries mais dont une partie est perdue dans l'air en vapeur, elle permet de produire de l'électricité avec des rendements élevés. Le développement de la cogénération a été très soutenu par EDF, à l'origine, pour les heures de pointe.

Cela étant, l'énergie éolienne n'est pas non plus à négliger. Comme il s'agit d'une énergie propre, j'ai été de ceux qui ont soutenu des projets d'implantation sur le littoral du Nord et du Pas-de-Calais.

Les centrales hydroélectriques sont aussi à sauvegarder, d'une part, parce qu'elles sont très disséminées sur le territoire, de l'autre, parce qu'elles évitent elles aussi de faire appel, aux heures de pointe d'hiver, à des sources d'énergie à prix de revient très élevé telle que l'énergie thermique.

En conclusion, je dirai que l'article 90 du traité de Rome donne à chaque pays le pouvoir absolu de maintenir son service public. EDF s'est beaucoup appuyée sur cet article, mais il faut aujourd'hui avoir la lucidité d'évoquer la lourdeur du système étatique français. On risque de freiner EDF en voulant maintenir cette entreprise sous la tutelle excessive de l'Etat. A cet égard, le dernier signal donné n'est pas très encourageant : je veux parler des 35 heures. Nous devons progressivement libérer cette grande entreprise qu'est EDF et lui donner les moyens de s'ouvrir fortement sur l'extérieur. C'est ainsi qu'on assurera son avenir (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Jean-Pierre Kucheida - L'objectif de ce projet est ambitieux et généreux. Ambitieux, car il s'agit, tout en s'inscrivant dans la continuité de la grande loi de 1946, de moderniser le service public de l'électricité. Généreux car il vise, par l'introduction d'éléments de concurrence, à faire bénéficier les entreprises françaises de plus de compétitivité. L'emploi en profitera aussi.

Mais il ne faut pas oublier que le service public doit être au service de tous les consommateurs et ce, sur l'ensemble du territoire national ; et qu'il contribue ainsi à la cohésion sociale de la nation, en même temps qu'à la mise en oeuvre de politiques nationales telles que la lutte contre l'exclusion -sans parler évidemment de la politique de l'énergie.

Le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz, consulté en mai 1998, a considéré qu'il devait, de lui-même, donner son avis sur les questions posées par le document de concertation, et en particulier sur la régulation et sur les questions statutaires et sociales. Il rappelle son ferme attachement à la notion de service public et à ses conséquences, met en garde contre la tentation du "dumping social", souligne que le principe de subsidiarité devra s'appliquer pleinement et que les opérateurs publics devront lutter à armes égales avec leurs futurs concurrents, et plaide pour que soit conforté le rôle des collectivités locales et de leurs groupements, notamment au regard de la qualité du service public et de l'aménagement du territoire.

La directive a été adoptée sous le gouvernement Juppé, M. Borotra étant ministre de l'industrie. Je félicite l'actuel gouvernement d'avoir fait preuve de célérité, car le délai fixé pour sa transposition expire le 19 février, c'est-à-dire après-demain. L'heure est grave, et tout retard aurait ou pourrait avoir des conséquences incalculables pour notre entreprise nationale.

La réforme proposée ne doit pas bouleverser un secteur dont les Français sont fiers, comme d'un symbole de notre service public. Notre objectif est de mener à bien sa modernisation, sans privatisation. Il n'est donc pas question d'aller au-delà du niveau minimal d'ouverture permis, ni de modifier le statut d'EDF.

Le Conseil supérieur, considérant que la directive reconnaissait la légitimité des obligations de service public, a émis un avis positif sur le projet, au vu de l'avancement des discussions dont il fait l'objet, et demandé le renforcement des missions de service public, ce qui suppose l'existence d'un opérateur public fort. Il souhaite être représenté au sein de la commission de régulation de l'électricité et émet le voeu que le citoyen-consommateur bénéficie, au même titre que les entreprises, de la baisse des tarifs.

Oui, nous sommes fiers d'EDF et de ce qu'elle a apporté au pays depuis 53 ans. Faisons en sorte que l'élargissement de ses missions s'accompagne des évolutions nécessaires, et qu'elle puisse s'appuyer sur un personnel rassuré et conforté dans son statut pour asseoir sa place de numéro un mondial, au service des consommateurs français et du monde qui s'ouvre à elle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Michel Meylan - La modernisation des services publics est un enjeu majeur. Dans le domaine de l'énergie comme dans les autres, nous ne résoudrons pas les problèmes de demain avec les solutions du passé. Il nous faut inventer de nouveaux modes de gestion. Or notre pays, non content d'être l'un des derniers à adapter sa législation à l'ouverture à la concurrence européenne, le fait en renforçant encore l'étatisation, en accordant à l'administration de nouveaux pouvoirs exorbitants, en faisant peser des contraintes supplémentaires sur la compétitivité des entreprises.

Le projet confie l'encadrement et le contrôle des missions de service public à une commission de régulation qui est loin de disposer des mêmes garanties d'indépendance que l'Autorité de régulation des télécommunications. Le Gouvernement fixera lui-même, en outre, la tarification de l'utilisation des réseaux, les surcoûts imputables aux missions de service public et la programmation des investissements de production. L'ouverture à la concurrence est dévoyée au profit de l'économie administrée.

M. Pierre Lellouche - C'est vrai !

M. Michel Meylan - La France se montre ainsi réticente à ouvrir vraiment son marché. Dans les faits, cette ouverture ne concernera que quelque 400 grandes entreprises, et les petits consommateurs, PME ou particuliers, ne pourront bénéficier des avantages de la concurrence.

L'Etat est incapable, en outre, de sortir de sa logique jacobine pour reconnaître le rôle et les initiatives des acteurs locaux. La possibilité, pour les collectivités locales, de créer des régies ou d'étendre celles qui existent est exclue. Quant aux régies qui ont des clients éligibles, elles pourraient même voir leur champ d'intervention se restreindre progressivement, faute de devenir éligibles elles-mêmes. Je souhaite, pour ma part, que les collectivités organisatrices de la distribution publique d'électricité ne soient plus contraintes de recourir à EDF. Si les possibilités des communes en matière de production décentralisée sont élargies, le maintien d'un seuil fixé par décret limite la portée de cette mesure. Enfin, l'absence de référence au Fonds d'amortissement des charges d'électrification laisse craindre une réduction du rôle et des moyens des collectivités concédantes ; la création d'une redevance de concession pourrait être une alternative intéressante.

Le projet favorise EDF de façon exorbitante en supprimant sa spécialisation et en maintenant son monopole sur les clients non éligibles. Les articles 43 et 44, qui imposent aux entreprises entrant sur le marché de l'électricité, instaurent des rigidités archaïques, incompatibles avec un environnement mondial de plus en plus concurrentiel. Les consommateurs et les contribuables, déjà obligés de financer l'accord sur les 35 heures à EDF, en ont assez de payer pour des entreprises publiques qui bénéficient de privilèges exorbitants et vivent hors des contraintes économiques.

Je regrette, enfin, que la dimension environnementale soit insuffisamment prise en compte. En particulier, les efforts importants consentis par les collectivités locales, depuis des années, pour améliorer l'esthétique des réseaux, risquent d'être réduits à néant par la possibilité offerte aux clients éligibles de construire des ouvrages hors de toute contrainte légale.

Mon vote sur l'ensemble du projet dépendra des améliorations qui auront pu lui être apportées (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Christian Cuvilliez - A la demande de notre groupe, l'Assemblée a débattu le 21 janvier de la politique énergétique de la France, et nous nous réjouissons que le secrétaire d'Etat se soit déclaré, ce jour-là, attentif aux recherches menées en vue de la réalisation d'un nouveau réacteur EPR, lequel en est, précisait-il, "au stade de l'avant-projet détaillé".

La conception de ce réacteur franco-allemand tire les leçons du passé en matière de sécurité.

M. Pierre Lellouche - Dites-le à Mme Voynet !

M. Christian Cuvilliez - Ce projet intervient alors que des pays d'Asie comme la Chine, la Corée ou Taïwan font appel à nos compétences. Les investissements n'étant rentables qu'à long terme, c'est aujourd'hui qu'il nous faut prendre certaines décisions pour renouveler, voire développer notre parc à l'horizon 2010.

M. Christian Bataille, rapporteur de la commission de la production - Très juste !

M. Christian Cuvilliez - Or cette perspective paraît difficilement compatible avec l'ouverture à la concurrence que nous impose la directive. Dès cette année, si le projet de loi est voté, les clients éligibles, qui représentent le quart de la consommation, pourront se tourner vers un autre fournisseur qu'EDF, et l'on peut craindre, en l'absence de garanties suffisantes, que ces 400 grandes entreprises ne fassent intervenir dans leur choix des considérations liées à leur position de concurrent, réel ou potentiel, d'EDF.

Le prix de revient du kilowatt-heure nucléaire est bon marché : 17 centimes seulement. Or on nous dit que l'ouverture à la concurrence aura pour effet d'abaisser le prix de revient des combustibles fossiles. En effet, le coût du kWh produit par les centrales à cycles combinés à gaz se rapprochera probablement de celui du nucléaire français ; mais il est directement lié au prix du gaz naturel, fortement dépendant des fluctuations politico-économiques et donc susceptible à tout moment de forte augmentation. L'état anémique du marché des hydrocarbures est en outre un facteur de déséquilibre mondial et pénalise profondément les pays producteurs, ce qui n'est pas conforme à la politique que souhaite la France dans les rapports Nord-Sud. Il y a donc là un risque de dépendance énergétique pour notre pays.

Ma troisième remarque concerne la recherche et le développement. Votre projet arrive au moment où de fortes contraintes budgétaires pèsent sur le CEA. Son budget civil fait apparaître, si l'on compare la colonne ressource à celles des dépenses, une impasse de 300 millions. Or vous avez écarté l'abandon du nucléaire. Cette position impliquerait que des moyens budgétaires soient attribués au CEA, et que des commandes soient passées. La concomitance entre le présent projet et l'insuffisance des moyens du CEA laisse planer un doute sur l'avenir de la filière nucléaire.

Plusieurs députés RPR - Il a raison !

M. le Rapporteur - C'est juste.

M. Christian Cuvilliez - Autre problème : depuis deux décennies, le rythme d'évolution de la consommation d'électricité est égal à 1,2 fois celui du PIB. Si ce rythme s'établit à 3 % par an comme il est raisonnable de le supposer, la consommation aura doublé en 20 ans. Dans cette hypothèse, EDF ne pourra assumer que 50 % des besoins, au vu du niveau d'investissement et du déclassement de certaines tranches existantes dû au vieillissement ; sauf à prendre dès maintenant les décisions que j'indiquais. En fait, le plan pluriannuel d'investissement prévu dans la loi est placé sous l'hypothèque de l'ouverture à la concurrence, le complément pouvant être fourni par la production privée avec des conséquences sur les prix et leur éventuelle flambée. En quoi ce projet nous garantit-il de ne pas remettre en cause les projets et les situations que je viens d'évoquer ? De ne pas déstabiliser soudainement et durablement EDF, replaçant la France dans le conformisme ambiant des logiques de marché ?

M. Robert Galley - Mettez les Verts à la porte, et cela ira mieux !

M. Christian Cuvilliez - Ces réflexions traduisent l'inquiétude des personnels et des usagers. Elles ont motivé notre demande de renégociation de la directive. Elles pèsent sur notre opinion comme un couvercle. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et M. le rapporteur)

M. Christian Kert - Un mot tout d'abord pour réagir à un propos de notre collègue Brard, qui nous donne des leçons en rappelant que nous avons reçu quelques coups de pied de l'électorat. Mais ces coups de pied ont cette singularité que chacun les reçoit à son tour. La sagesse voudrait donc que M. Brard se prépare à recevoir le prochain...

La France n'a pas de chance avec les transpositions de directives européennes. La directive Télévision sans frontières n'est toujours pas transcrite, et la Commission en a saisi la Cour de justice. Avec le présent texte, nous n'en sommes pas là, mais il était grand temps.

Espérons que les autorités européennes se contenteront d'une première lecture à l'Assemblée avec déclaration d'urgence pour ne pas introduire une nouvelle procédure à l'encontre de la France, car il est clair que cette loi ne sera pas applicable avant des mois.

A ce regret, s'ajoute celui d'une ouverture a minima du marché intérieur. Le titre même du projet l'indique, puisqu'il mentionne seulement le service public de l'électricité. Le Gouvernement a choisi une interprétation minimaliste : la majorité plurielle a ses exigences. Mais la France prend des risques inutiles. La dérégulation se poursuit dans les Etats voisins, où les concurrents d'EDF prennent de l'avance. Pourtant EDF a des atouts indéniables, et il serait regrettable que sa situation de monopole freine son développement à l'international et son adaptation à la concurrence. Dans ces deux domaines des retards ont été pris, et il est probable que les producteurs privés sauront proposer aux clients éligibles des offres commerciales globales et des offres de services.

Pour ce qui est du transport, l'ouverture du marché à l'électricité n'est possible que si le réseau est ouvert sans discrimination, et sa gestion clairement dissociée de la production. Tel sera le rôle du GRT. Mais il risque de ne pas être assez autonome par rapport à EDF, même si les amendements de la commission sur la nomination de son directeur peuvent sembler renforcer son indépendance. Le respect de la confidentialité des informations commercialement sensibles sera également un élément déterminant.

La péréquation tarifaire dont vous avez dit, Monsieur le ministre, qu'elle est le principe des principes, permet aux clients de n'importe quelle région de France, qu'elles qu'en soient les difficultés géographiques ou climatiques, de payer le même prix qu'ailleurs. C'est sûrement un principe du service public de l'électricité qui mérite d'être transposé à l'ensemble de la production électrique concurrentielle.

Un mot sur les chances de la complémentarité entre service public et concurrents privés. Dans ma région PACA, la SNET exploite une centrale thermique à Gardanne-Meyreuil, sur un site dont je partage la représentation avec M. Meï. Elle est paralysée par certains syndicats, accrochés à un site minier au charbon trop cher et de qualité trop moyenne. Elle pourrait pourtant être un appui productif important pour EDF dans ce secteur, qui d'ailleurs aurait bien besoin que soit réalisée la ligne à haute tension reliant Boutre à Caros.

La centrale de Gardanne Meyreuil s'est vu octroyer, dans le cadre du pacte charbonnier signé par l'un de vos prédécesseurs, un rôle pilote dans la réalisation d'un pôle de reconversion du bassin minier de Provence. La souplesse du statut du personnel de cette centrale n'est probablement pas pour rien dans le succès de cette formule. Encore faut-il que ce succès ne soit pas obéré par le blocage dû à un petit nombre d'irréductibles, qui pourraient relire, comme vous, Marcel Paul en 1946 : d'abord penser aux consommateurs !

La question du statut du personnel est certainement la plus franco-française de ce débat. L'extension du statut du personnel d'EDF aux nouveaux entrants n'est pas économiquement viable, car il représente un surcoût de plus de 40 % sur les rémunérations et sur les charges sociales. Une remise à plat s'impose, tout en laissant l'application du statut actuel aux personnels qui en bénéficiaient à la date de transposition de la directive.

Je suivrai pour conclure l'avis de mon collègue Birraux : ce débat aurait pu être l'occasion de faire évoluer positivement EDF, et de lui permettre de devenir une grande multinationale au lieu de rester une forteresse française (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Pascal Terrasse - Parce que l'énergie est un besoin vital pour les familles, parce que les tarifs de l'électricité en France sont parmi les plus compétitifs d'Europe, parce que l'entreprise publique EDF est un symbole de notre service public, nous devons agir avec prudence afin de ne pas bouleverser un secteur dont les Français sont majoritairement satisfaits. S'il nous faut le réformer, c'est d'abord pour nous conformer à une directive européenne, négociée par l'ancienne majorité et adoptée par le Parlement européen contre l'avis du Parti socialiste. Lionel Jospin, alors candidat aux législatives de 1997, a d'ailleurs écrit que "cette directive inspire aux socialistes la plus grande méfiance en ce qu'elle représente un risque pour le service public". Il n'est plus temps de débattre de son opportunité.

Reste à veiller à ce que sa transposition ne soit pas la simple application mécanique d'une décision d'inspiration libérale.

Le projet du Gouvernement a su globalement exploiter les marges de manoeuvre existantes. Souhaitons cependant que la discussion parlementaire permette de lever un certain nombre d'inquiétudes et de réserves. Nous devrons veiller au respect de certains principes : péréquation tarifaire, égale couverture du territoire, garantie de la sûreté d'alimentation, maintien des dispositifs spécifiques en faveur des plus défavorisés. Nous devrons redéfinir clairement les compétences et les pouvoirs en matière de concurrence et de contrôle de la sûreté des installations. Nous devrons enfin réaffirmer les compétences de l'Etat en matière de politique énergétique, dans le souci de préserver les intérêts nationaux.

Il faut tout d'abord s'assurer que la mise en concurrence du marché des clients dits "éligibles" n'ait pas de répercutions directes sur le secteur non éligible, concernant la péréquation tarifaire et la couverture du territoire. La future organisation électrique française doit intégrer les préoccupations d'aménagement du territoire, notamment pour les zones les plus défavorisées et les plus éloignées. La concurrence entre opérateurs privés, favorables aux clients les plus rémunérateurs, ne doit pas contraindre EDF à délaisser les clients les moins rentables. De ce point de vue, les récents événements météorologiques survenus en Drôme et en Ardèche ont montré à quel point les impératifs de péréquation et de couverture uniforme du territoire peuvent se révéler coûteux pour EDF. Il revient à l'Etat, garant du service public, de compenser ce surcoût pour garantir ainsi un service de première nécessité, accessible à tous, en tous points du territoire.

En second lieu, nous devons examiner de près la répartition des compétences et des pouvoirs entre le Gouvernement, le Parlement et la future autorité de régulation. Cette dernière devra être en mesure de veiller au respect de la concurrence. Ce qui implique l'extension du statut national des industries électriques et gazières à l'ensemble des opérateurs économiques qui interviendront dans ce secteur.

De son côté, EDF devra s'engager à ne pas utiliser sa position dominante sur le marché des clients non éligibles pour concurrencer de façon déloyale les PME et les artisans.

Enfin, les récents incidents survenus au centre nucléaire de Cruas-Meysse doivent nous rappeler que la recherche de compétitivité et de production au plus bas prix, conséquence inéluctable de l'ouverture à la concurrence, ne doit pas se traduire par un allégement des coûts de maintenance, un recours massif à la sous-traitance ou toutes autres mesures qui iraient à l'encontre de la sûreté des installations et de la sécurité publique. La valorisation économique du court terme ne doit pas l'emporter sur l'intérêt général, les exigences de sûreté et de préservation de l'environnement.

La troisième exigence de cette réforme sera de veiller à ce que la politique énergétique de la France reste de la compétence de l'Etat, avec un rôle renforcé du Parlement.

Quels que soient les efforts qui pourront être accomplis pour économiser l'énergie, les experts s'accordent à reconnaître que le développement économique s'accompagnera de besoins énergétiques accrus. Cela impose des décisions d'investissements rapides et cruciaux pour ne pas compromettre l'économie et l'indépendance énergétique de notre pays.

Faut-il privilégier le court terme en favorisant des sources énergétiques alternatives incapables de subvenir à nos besoins futurs ou faut-il privilégier une vision à long terme, ce qui implique le renouvellement de notre parc nucléaire ? S'il est difficile, comme le rappelle souvent notre collègue Christian Bataille, d'établir une distinction pertinente entre les "bonnes" et les "mauvaises" énergies, l'industrie nucléaire française paraît aujourd'hui offrir les meilleures garanties.

En effet, en l'état actuel de nos connaissances, les sources d'énergie alternatives ou renouvelables ne peuvent intervenir qu'à titre complémentaire. Pour souhaitable, et dans certains cas nécessaire, que soit cette diversification, ces types d'énergie ne sont pas encore de nature à remplacer intégralement le nucléaire. En effet, l'énergie éolienne demande des conditions de production particulière et la cogénération thermique à gaz ne s'adapte qu'à un contexte urbain, rejette des gaz à effet de serre et se révèle coûteuse. L'électricité nucléaire reste donc l'élément pivot du paysage énergétique français et la future loi doit permettre d'anticiper son développement. La nécessité de renouveler le parc nucléaire à l'horizon 2010 impose des décisions rapides, notamment pour ce qui concerne l'avenir des réacteurs de type EPR et la mise en place d'une véritable politique de recherche dans le domaine de la gestion des déchets (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Pierre Lellouche - A quelque chose malheur est bon... Cette fois, c'est le dépôt tardif d'un projet de loi qui met en évidence, au moment où s'ouvre la campagne pour les élections européennes, les contradictions fondamentales qui traversent le parti socialiste et la majorité dite plurielle lorsque l'on parle de construction européenne. Cette contradiction est flagrante : quoi de commun entre la démarche annoncée en vue des élections de juin et le discours tenu à votre électorat, discours extraordinairement conservateur et frileux, à rebours de l'adhésion affichée en faveur de la libéralisation des marchés et de l'ouverture des frontières ? Quoi de commun entre le discours de politique générale, puissamment idéologique -et c'est son droit- de M. Jospin, et la pratique gouvernementale depuis 20 mois ? N'a-t-on pas assisté à un flot continu de privatisations, d'Air France au Crédit Lyonnais, ce qui allait exactement à l'inverse de ce qui avait été annoncé ?

Mais il se trouve que, dans le cas d'EDF, bastion syndical, le Gouvernement est confronté à un vrai problème, ce qui le contraint à mener une bataille d'arrière-garde, qui le conduit à rédiger un projet qui a tout d'une ligne Maginot juridique. Le fait est qu'il n'était pas aisé de surmonter toutes les contradictions politiques que l'on sait : un parti communiste qui ne veut pas voir EDF changer et les Verts fondamentalement hostiles au nucléaire, acquis gaulliste. Et c'est ainsi que le Gouvernement, obligé de transposer cette directive en droit interne pour honorer la signature de la France, se trouve en désaccord avec les composantes de sa majorité et, pour composer, présente à l'Assemblée ce qu'il faut bien qualifier de véritable capharnaüm juridique. M. Borotra s'est déjà employé à le démontrer, il s'attachera à le faire à nouveau lors de l'examen des amendements. Je ne saurais cependant passer sous silence l'inclusion, en tous points abusive, du surcoût imposé par l'arrêt de l'exploitation de Superphénix, modeste concession de 35 milliards faite à Mme Voynet. Et surtout ignorer le surcoût lié au passage aux 35 heures -heureusement, les contribuables sont là... Dois-je revenir sur l'opacité de la tarification, sur l'absence d'autonomie du gestionnaire du réseau, sur l'absence de pouvoirs réels octroyés à l'autorité de régulation ?

De toute évidence, ce dispositif ne tiendra pas : il sera descendu en plein vol par les tribunaux français et européens et il sera source de contentieux permanent pour EDF. Il aura pour effet, s'il est voté en l'état, que nos concurrents s'installeront à nos frontières et que les clients français importants s'approvisionneront chez eux. C'est ce qui s'est passé pour les transports aériens, et c'est ce qui se serait passé pour France Télécom si M. Fillon n'avait pas eu le courage d'engager la privatisation de ce qui n'était alors qu'une division du ministère des Postes ! Privatisation à laquelle vous vous opposiez absolument à l'époque, et dont vous vous gargarisez à présent !

En bref, le projet ne peut conduire qu'à des délocalisations ou à des achats à l'étranger... et les grands oubliés sont, une fois encore, les contribuables. Vous aviez pourtant l'occasion de faire oeuvre de modernité, de faire votre propre France Télécom... Au lieu de cela, vous fabriquez un nouveau Gazprom, sur le modèle soviétique, en oubliant que même Gazprom a été privatisé... (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures15.

La séance est levée à 19 heures 40.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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