Accueil > Archives de la XIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (1998-1999)

Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 68ème jour de séance, 176ème séance

3ème SÉANCE DU MERCREDI 3 MARS 1999

PRÉSIDENCE DE M. Patrick OLLIER

vice-président

          SOMMAIRE :

CUMUL DES MANDATS -deuxième lecture- (discussion générale commune) (suite) 1

    ARTICLE PREMIER 11

    ARTICLE PREMIER bis 11

    ARTICLE PREMIER ter 11

    ART. 2 11

    APRÈS L'ART. 2 13

    ART. 2 bis 14

    ART. 2 ter 14

    ART. 2 quater 14

    ART. 2 quinquies 14

    ART. 2 sexies 15

    ART. 2 septies 15

    ART. 2 octies 15

    ART. 2 decies 15

    ART. 3 16

    ART. 4 16

    ART. 4 bis 16

    APRÈS L'ART. 4 bis 17

La séance est ouverte à vingt et une heures.


Top Of Page

CUMUL DES MANDATS -deuxième lecture-
(discussion générale commune) (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi organique relatif aux incompatibilités entre mandats électoraux et du projet de loi relatif aux incompatibilités entre mandats électoraux et fonctions électives.

Mme Frédérique Bredin - Hasard du calendrier parlementaire, nous examinons en deuxième lecture ces textes à la veille du débat au Sénat, également en deuxième lecture, sur la parité.

Or ces textes poursuivent les mêmes objectifs : moderniser la vie politique, modifier les pratiques pour les rendre plus conformes aux besoins d'une société moderne qui exige plus de démocratie, donc des contre-pouvoirs efficaces.

Oui, il faut aujourd'hui ouvrir la vie politique, éviter les concentrations excessives, accueillir de nouveaux élus, notamment des jeunes et des femmes, jusqu'ici exclus. Parmi les députés, 14 seulement ont moins de 35 ans, et on ne compte que 60 femmes. La moyenne d'âge des sénateurs est de 63 ans. Ils refusent d'abaisser l'éligibilité à 18 ans. Il n'y a que 19 femmes sur 361 sénateurs.

La modernisation doit nous permettre de définir les critères d'une nouvelle citoyenneté, d'un pouvoir moins centralisé, afin que chacun puisse se sentir proche de celui ou de celle qui le représente.

Ces deux réformes emblématiques vont donner une bouffée d'oxygène à notre démocratie et combattre la dangereuse crise de confiance qu'elle connaît.

Le droit de vote des femmes a été bloqué pendant 25 ans par le Sénat. Il a fallu une ordonnance pour l'instituer. Aujourd'hui, c'est la présence des femmes dans la vie politique qu'il refuse, vidant de son sens le projet du Gouvernement.

Même chose pour le cumul des mandats. Les formations de droite, faisant alliance au moins sur ce point...

M. François Goulard - C'est notre affaire !

Mme Frédérique Bredin - ...ont refusé toute évolution. Ce Sénat a dépecé le texte, rendant notre discussion assez simple : il n'y a rien à dire d'un texte dont il ne reste rien...

M. François Goulard - Caricature !

Mme Frédérique Bredin - Pourtant nous espérons que l'opinion publique, qui veut ces réformes, entraînera une prise de conscience jusque chez les plus conservateurs de nos collègues et permettra de surmonter les blocages. Les citoyens réussiront, avec nous, à convaincre ceux qui s'accrochent aux situations acquises et aux pratiques du passé de l'urgence d'une réforme, de la nécessité d'ouvrir le grand chantier de la citoyenneté et de la vie démocratique.

En ce qui concerne la parité, on entend dire que, dans sa grande sagesse, le Sénat reviendrait en arrière et accepterait le texte proposé par le Gouvernement. Souhaitons qu'il se ressaisisse de même sur le cumul des mandats.

Ce texte n'est que la première étape d'une réforme plus vaste, d'une modernisation de notre vie politique et de nos institutions, qui passe aussi par les projets sur la décentralisation, par le statut de l'élu, par la revalorisation du Parlement.

En limitant le cumul, nous essayons de mettre fin à l'une de ces exceptions françaises que l'on ne peut défendre car elles nuisent au fonctionnement de notre démocratie. L'exception d'abord d'une culture trop centralisatrice pour être vraiment démocratique. Notre pays a multiplié les échelons de décision tout en concentrant les pouvoirs en quelques mains. Paradoxe, le cumul est presque une obligation, une condition d'efficacité pour un élu.

L'exception, c'est aussi celle d'une démocratie qui se satisfait de mythes plus que de réalités. Il y a le mythe de l'élu local, forcément bénévole, qui accomplit sa tâche en plus de son activité professionnelle. Assez d'hypocrisie ! Regardons la réalité des responsabilités -notamment pénales- d'un maire et créons les conditions pour qu'il puisse exercer sa fonction à plein temps. Avant même que soit élaboré le statut de l'élu, nous nous réjouissons que le Gouvernement ait accepté notre amendement revalorisant les indemnités des maires. Bien sûr, nous nous étonnons que le Sénat ait refusé ce pas en avant.

Autre mythe, celui du député-maire ou du député-président de conseil général qui peut accomplir à la fois ses multiples tâches et un travail législatif de plus en plus complexe...

M. Yves Nicolin - N'êtes-vous pas maire ?

Mme Frédérique Bredin - Non, je ne le suis plus.

Voilà qui souligne une autre de nos exceptions, la faiblesse du Parlement, l'indifférence qu'il suscite. C'est très préoccupant car une démocratie ne peut vivre sans un vrai contre-pouvoir parlementaire. Or nous ne disposons ni d'un pouvoir législatif réel ni d'un pouvoir de contrôle suffisant.

C'est en cela que la limitation du cumul est un passage obligé. Un Parlement sans pouvoir n'a pas besoin de parlementaires à plein temps, mais des parlementaires trop occupés par ailleurs ne peuvent demander des pouvoirs plus importants. L'étape ultérieure devra donc bien être la revalorisation du Parlement.

Notre démocratie ne saurait se satisfaire d'un parlement handicapé devant un exécutif prééminent.

M. Pierre Albertini - Et bicéphale...

Mme Frédérique Bredin - Les Français, qui ressentent avec force l'archaïsme, le dysfonctionnement de nos pratiques et le déséquilibre de nos institutions, soutiennent notre réforme. Peut-être sauront-ils vaincre les réticences. Ils sont 62 % à préférer que leur maire ne soit pas parlementaire, 69 % à être hostiles au cumul maire-député et 74 % -ironie des choses- au cumul maire-sénateur.

Et s'ils avaient compris les faiblesses de notre système politique, s'ils rêvaient discrètement de pratiques différentes, s'ils étaient lassés du soutien sans réserve de la droite à la modernisation de la vie politique, à la seule condition qu'elle n'advienne jamais...

Prenez garde à ne pas vous endormir sur vos prés carrés : le pays risque un jour de vous réveiller brutalement ou, pire, de vous laisser dormir mais de vivre sans vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. François Goulard - Cette question aurait pu être traitée sans passion tant il est vrai que les positions sont loin d'être uniformes au sein de nos groupes. Certains dans l'opposition -minoritaires, certes- ne sont pas hostiles au principe de votre loi organique, tandis que nombre de vos amis politiques, eux-mêmes en situation de cumul, souhaiteraient échapper aux rigueurs de ce texte. Mais le Gouvernement a tenu à politiser ce débat en opposant soi-disant modernes et prétendus anciens. Surtout, il a saisi l'occasion de cette discussion pour instruire un procès contre le Sénat, dont le tort principal est de ne pas accepter sa politique ! De cette manoeuvre, nous ne serons pas dupes !

Et je m'en tiendrai donc, pour ma part, aux éléments objectifs de ce dossier. La loi actuelle était-elle ou non suffisante ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Personnellement, je pense que certaines des incompatibilités que vous voulez poser sont de bon sens : ainsi entre le mandat parlementaire et les fonctions de membre du Conseil de la politique monétaire de la Banque de France ou du directoire de la BCE, ou encore de membre de la Commission européenne, de juge au tribunal de commerce, de membre d'un cabinet ministériel ou de cabinet du Président de la République... La portée de ces dispositions est toutefois relativement restreinte du point de vue politique.

En revanche, il me semble beaucoup plus critiquable de rendre incompatible avec un mandat électif la qualité de membre du bureau d'une chambre consulaire ou d'une chambre d'agriculture, celles-ci étant des viviers qui préparent aux responsabilités politiques.

Mais la disposition qui prête le plus à contestation est l'incompatibilité entre un mandat parlementaire et les fonctions de maire, de président de conseil général ou régional et de président d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre. Le rapporteur tente de la justifier en invoquant l'exigence de disponibilité et le risque de conflits d'intérêts. Je n'écarterai pas d'emblée le premier argument : à exercer trop de mandats, on n'en exerce bien aucun. Mais j'estime que la loi en vigueur suffit à bannir les excès en la matière. Beaucoup d'entre nous, siégeant sur tous les bancs, font la démonstration qu'on peut à la fois diriger une collectivité et remplir son mandat parlementaire avec conscience et efficacité. En outre, le cumul restreint que vous souhaitez ne garantirait pas ipso facto une assiduité accrue dans les assemblées : M. Tron l'a excellemment montré.

Quant à l'argument du conflit d'intérêts, il n'apparaît guère sérieux. Mais s'il l'était, il vous faudrait aller jusqu'au bout de votre logique et interdire à tout parlementaire d'exercer quelque mandat local que ce soit.

A ce propos, Monsieur le ministre, nous n'avons pas apprécié que vous opposiez tout à l'heure les parlementaires sans mandat local, qui seraient animés par le souci de l'intérêt général, et d'autres qui ne seraient que les porte-parole de leur collectivité.

Mais plusieurs raisons solides militent pour le maintien du régime actuel. La France est un pays où la décentralisation reste inachevée : dès lors, pour des élus locaux, l'exercice d'un mandat national est le moyen d'accéder plus facilement aux centres de décision. D'autre part, Madame Bredin, si l'opinion se montre hostile au cumul des mandats dans les sondages, les électeurs se montrent enclins à élire député ou sénateur leur maire ou leur président de conseil général, allant jusqu'à les plébisciter. Nous sommes portés, quant à nous, à nous fier à la pertinence de leur choix, plutôt qu'à restreindre celui-ci par la loi.

Au reste, si le cumul des mandats est une particularité française, les pays où il n'est pas de pratique courante n'ont pas eu recours à la loi pour le limiter : c'est l'usage qui a tranché. Ainsi en Allemagne et en Grande-Bretagne.

Plus généralement, nous avons le souci de maintenir le lien le plus étroit possible entre l'élu national et sa circonscription. En rompant ce lien, nous craignons pour tout dire qu'on ne prépare le passage au scrutin proportionnel. Pour nous, il y a deux conceptions de la démocratie : celle qui privilégie le lien entre l'élu et l'électeur et celle qui privilégie le parti (Protestations sur les bancs du groupe communiste). L'invocation de la modernité ne doit pas être un prétexte pour changer le mode de scrutin, dans le but inavoué de favoriser votre camp ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Enfin, nous ne pouvons que dénoncer les attaques portées contre le Sénat. Ayant une vocation naturelle à parler au nom des collectivités territoriales, la Haute Assemblée avait le droit d'exprimer son opposition à votre texte (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Il est donc choquant que le Premier ministre lui reproche d'être, par construction, toujours dans le même camp politique.

M. Bernard Roman, rapporteur de la commission des lois - Il est vrai !

M. François Goulard - Sous le général de Gaulle, il était dans l'opposition !

M. le Rapporteur - Dans l'opposition de droite !

M. François Goulard - En tout état de cause, il eût été souhaitable que vous écoutiez ses suggestions, par exemple lorsqu'il proposait de distinguer entre communes de moins et de plus de 3 500 habitants. Pour notre part, c'est le texte qu'il a adopté qui recueille notre assentiment (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Michel Crépeau - Je ne pense sincèrement pas être un homme de droite ni un conservateur. Je me suis au contraire toujours battu pour le changement et pour la modernité. Il m'est même arrivé d'essuyer des plâtres et je continuerai à le faire : c'est un signe de jeunesse ! Pourtant, je ne parviens pas à comprendre ce qu'une interdiction trop large du cumul des mandats aurait à voir avec la modernité !

Si l'on veut moderniser la vie politique française, n'a-t-on pas assez à faire avec le gouvernement des juges, avec le gouvernement des médias, avec le gouvernement des sondages, avec celui des multinationales ou celui des bureaux ? La législature n'y suffira pas, mais quel champ d'action !

M. Georges Tron - Très bien !

M. Michel Crépeau - Il fallait empêcher qu'on ne soit à la fois maire, conseiller général, député, conseiller régional, etc. Mais cela a été fait. Une deuxième réforme reste à faire. Quant à la vôtre, Monsieur le ministre, je ne la rejette pas dans sa totalité : il est vrai qu'avec la planification et la décentralisation, on ne peut être maire d'une ville chef-lieu en même temps que président d'un conseil régional, par exemple -on détiendrait automatiquement la majorité dans tous les tours de table financiers, pour toutes les décisions. Il est très bien aussi d'interdire le cumul d'un mandat de député national et de député européen. Mais pourquoi prendre dans son collimateur les députés-maires ou les députés-présidents de structure intercommunale ? Je vois d'autant moins le rapport avec la modernité que je suis allé consulter le Barodet -vous le voyez, j'ai de bonnes lectures et j'aurais même fait un excellent ministre de l'intérieur, car j'ai des fiches ! Au bas de circulaires envoyées lors des dernières élections, j'ai lu des paroles historiques. Je tairai les noms, car il y a là des ministres et des amis, mais l'un, élu du canton de Sochaux-Grand-Charmont, assurait qu'une fois doté d'une dimension nationale, il pourrait peser de tout son poids pour assurer un meilleur avenir au pays de Montbéliard. Plus à l'Ouest, le maire de X, conseillère régionale de Bretagne, s'engageait à servir sa région avec les députés de gauche défenseurs de la décentralisation... (Rires) Mais alors ? Ne sommes-nous pas devant un exemple patent de "faites ce que je dis, mais pas ce que je fais" ?

Pour nous, la modernité, ce n'est pas cela ! L'exception française c'est que, depuis Philippe Le Bel, les sénéchaux, Colbert et maintenant l'ENA, s'est installée une légitimité du savoir venant "du haut". C'est cette légitimité-là qui doit être corrigée par la légitimité populaire, acquise à l'écoute du terrain. Vous nous avez parlé de sondages, Madame Bredin ; mais si vos amis ont été élus, c'est qu'ils sont maires !

Vous savez pertinemment, Monsieur le ministre, que votre texte ne sera pas accepté par le Sénat, vous savez que votre réforme n'aboutira pas. Vous êtes donc en train de faire une opération politique en vous servant de la Haute Assemblée ; c'est de bonne guerre, mais pourquoi nous obliger à nous coucher si tard ? (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

M. Pierre Albertini - Après ce plaidoyer tout de bon sens et d'expérience, ma tâche sera redoutable ! Je m'en tiendrai donc, de la manière la moins polémique possible, à tenter de comprendre la décantation intervenue au cours des derniers mois. Je puis vous dire, d'emblée, où se place l'UDF dans ce débat : elle est exactement à mi-chemin entre la position du Sénat, que je trouve trop restrictive, et celle, trop dogmatique et de surcroît contradictoire, qu'a adoptée le Gouvernement.

C'est que toute réflexion sur un tel sujet ne peut être que générale, et en aucun cas déconnectée des systèmes administratif et politique en vigueur dans notre pays. Quels sont, en fait, les objectifs que poursuit cette réforme ? Chacun s'accordera à reconnaître qu'il faudrait des élus plus disponibles, plus efficaces, plus représentatifs -ce qui paraît particulièrement ardu si l'on observe la sur-représentation de certaines professions dans l'hémicycle-, et qu'il faudrait aussi que les institutions locales et nationales fonctionnement de la manière la plus démocratique possible. Vos projets le permettent-ils ?

Il faut, pour se faire une idée, répondre à trois questions essentielles, la première portant sur le rôle assigné au Parlement et sur l'équilibre de nos institutions. Les députés seront-ils plus présents, plus pugnaces et plus assidus s'ils n'exercent pour tout mandat qu'un mandat parlementaire ? La réponse est probablement "non", car la fonction de contrôle assignée au Parlement a été terriblement bridée par la Constitution de 1958, dont l'architecture est bonne par ailleurs, mais qui entendait combattre certaines pratiques aberrantes de la IVème République. Le pendule a balancé trop fort... La solution n'est donc pas celle que vous préconisez : elle passe par le toilettage de la Constitution, par l'indispensable révision de l'ordonnance de janvier 1959 et par l'extension, impérative, des missions de contrôle confiées au Parlement, missions qu'il doit, pour l'heure, littéralement quémander à un gouvernement dont la prudence, en la matière, s'apparente à de la frilosité. Nous sommes très loin, en vérité, de la démocratie vivante que Mme Bredin appelle de ses voeux !

La deuxième question est celle de la décentralisation. c'est la grandeur de Gaston Defferre de l'avoir instituée, mais elle est restée au milieu du gué : la répartition exacte des compétences n'est toujours pas faite, les ressources fiscales s'empilent au lieu d'être précisément différenciées, ce qui déresponsabilise les élus et il y a, manifestement, un échelon en trop dans notre dispositif administratif. Il faudra donc réouvrir ce dossier, et l'on voit qu'il s'agit de tout autre chose que de réglementer plus sévèrement le cumul des mandats : qu'un élu n'exerce qu'un seul mandat, et le fonctionnement administratif du pays s'en trouverait amélioré ? Permettez-moi d'en douter !

La troisième question a trait aux conditions d'exercice des mandats et des fonctions électives. Je ne parle pas uniquement des indemnités -bien qu'elles aident considérablement les élus- mais de l'accès à la formation, de la disponibilité, de l'assistance juridique que le corps préfectoral, quelle que soit sa bonne volonté, est dans l'incapacité de leur apporter. Je parle, surtout, de la responsabilité et, plus précisément, de l'excès de responsabilité pénale qu'il leur faut endosser, et dont nous finirons par mourir si nous n'y prenons garde. La vraie responsabilité est civile et non pénale ! Il faut en finir avec cette inflation d'amendes et de peines de prison qui tourne à la caricature ! Le point est atteint où être maire c'est être responsable de tout, quels que soient les moyens dont vous disposez à ce titre, et aussi infimes soient-ils !

Nous avons proposé la constitution d'un groupe de réflexion appelé à se pencher sur l'excès de responsabilité pénale qui finit par paralyser les élus tant l'inquiétude et le "ras-le-bol" ne cessent de croître. Il y aura, certes, des candidats aux prochaines élections municipales ; mais quelles seront leurs motivations ? (Approbations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

Le groupe UDF approuve un très grand nombre des mesures contenues dans le texte. J'ai moi-même présenté des amendements visant à rendre le dispositif plus sévère, et qui ont été adoptés. Cependant, la position du Gouvernement est à la fois dogmatique et contradictoire. Dogmatique parce que, de toute évidence, vous n'avez pas recherché un accord, pourtant indispensable, avec le Sénat : vous campez sur vos positions originelles et, plutôt que de contribuer à faire progresser ce dossier, vous préférez désigner à l'opinion publique le Sénat comme votre opposant. Pour notre part, nous approuvons toutes les incompatibilités qui évitent les conflits d'intérêt, mais nous plaidons, avec la plus grande vigueur, pour  une exception en faveur des maires. Pourquoi casser ce qui fonctionne ? Pourquoi les empêcher d'être aussi parlementaires, alors qu'ils sont les piliers de la démocratie locale, les meilleurs défenseurs de la République, le contrepoids indispensable à la technocratie ?

Votre position, enfin, est contradictoire, en ce que vous admettez que l'on puisse, en même temps, être député et vice-président du conseil régional d'une grande région mais que vous ne tolérez point que l'on soit à la fois sénateur et maire d'une petite ville. Où est la cohérence ?

En conséquence, nous attendrons. Si vous persistez dans vos certitudes, si vous continuez de désigner le Sénat comme votre adversaire sans rechercher aucun compromis, nous voterons contre ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Jacques Brunhes - Nous abordons la deuxième lecture de ces textes dans le même état d'esprit que lors de la première. Nous voterons les projets de réduction de cumul des mandats dans le texte voté alors par l'Assemblée, et rétabli par notre commission des lois, en nous plaçant du point de vue de l'efficacité de nos institutions et de notre démocratie. Une limitation bien déterminée du cumul peut favoriser cet objectif et contribuer à rendre plus nombreux les acteurs et les actrices de la démocratie représentative. Elle peut contribuer à la modernisation de notre vie politique et revivifier notre démocratie.

Cela dit, une telle réforme ne saurait être la pierre angulaire d'une rénovation du travail parlementaire. Elle n'est pas, loin s'en faut, "la mère de toutes les réformes institutionnelles" comme je l'ai entendu en commission des lois. Elle n'est pas non plus "l'étape décisive de la modernisation de nos institutions", car elle ne s'attaque pas de front à la question essentielle. Certes, on nous dit qu'on ne peut pas tout réformer en même temps, que c'est un premier pas. Mais notre groupe persiste à penser que la crise profonde de nos institutions nécessite avant tout un rééquilibrage des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif, et une réévaluation profonde du rôle du Parlement et de l'Assemblée nationale élue au suffrage universel direct, qui est aujourd'hui entièrement corsetée.

La crise de la politique dont on parle tant ne vient-elle pas de cette impuissance du législateur, bloqué par l'article 40 ou l'article 49-3, à qui on interdit de toucher à plus d'un millième du budget, malgré des semaines de débats ?

Voilà ce qu'il fallait changer. Et la commission Vedel nous avait ouvert la voie ! Mais le Gouvernement a préféré des réformes parcellaires et pointillistes, qui ne peuvent conduire qu'à des réponses de circonstance qui trouveront rapidement leur limite.

Pas plus que la session unique, le non-cumul des mandats ne résoudra l'obsédant problème de l'absentéisme parlementaire.

M. Georges Tron - Evidemment !

M. Jacques Brunhes - Une démocratisation réellement citoyenne doit s'appuyer sur la volonté des Français de participer aux affaires qui les concernent à tous les niveaux : élaboration, décision et contrôle. La démocratie doit être représentative, mais non en représentation, et ce n'est pas parce qu'un maire ne pourrait être député que la démocratie progresserait automatiquement.

Le cumul des mandats est certes un frein à l'approfondissement de la vie publique, mais il n'est pas le seul. Au reste, il répond à des motivations complexes : depuis quatre décennies, il est dû largement à l'affaiblissement du rôle du député, que les élus ont compensé par l'exercice d'autres mandats -c'est particulièrement vrai pour le député-maire.

Par ailleurs, est-il juste de se borner aux mandats exécutifs ? La notion de cumul tient-elle bien compte des multiples responsabilités qu'un élu peut exercer, présidence de grandes associations nationales, sans parler de la poursuite d'une activité professionnelle privée parfois difficile à interrompre. Le texte n'aborde pas cette question, bien réelle pourtant. Voyez l'exemple de cet élu du Nord-Pas-de-Calais, qui est à la fois président du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, maire de Dunkerque,...

M. René Mangin - Qui est-ce donc ?

M. Jacques Brunhes - ...président de la communauté urbaine de Dunkerque, président de l'Union nationale des organismes d'HLM, président du centre national de la fonction publique territoriale, président du conseil national de l'habitat, vice-président de l'association des maires de France, président de la commission des villes de cette association, président de l'observatoire des télécommunications,...

M. Georges Tron - Ce n'est pas possible !

M. Jacques Brunhes - ...président en alternance du forum pour la gestion des villes -et j'en oublie sans doute.

Un député socialiste - Il n'est plus député !

M. Jacques Brunhes - Or, dans ce cas, si les trois premiers mandats sont réduits à un du fait de la nouvelle loi, rien ne sera changé pour le reste. Cet élu pourra conserver une douzaine de mandats, et on veut interdire à un député d'être maire d'une ville de moins de 10 000 habitants !

S'il y a des non-cumuls qui vont de soi, tels que parlementaire et président de conseil régional ou général, le lien entre le mandat de parlementaire et celui de maire est d'une autre nature. Il touche à une originalité de la France qui a ignoré pendant mille ans les villes-Etats, qu'ont connues l'Allemagne, l'Italie ou la Belgique.

Sur ce point des opinions diverses se sont exprimées dans notre groupe, ce qui n'empêchera pas son vote unanime sur le projet.

M. François Goulard - Le centralisme démocratique !

M. Jacques Brunhes - Revaloriser le mandat parlementaire appelle une réforme du statut de l'élu et du mode de scrutin. La composition sociale de l'Assemblée et du Sénat montre que le Parlement n'est pas représentatif de la France dans sa diversité sociologique. Le droit acquis, à juste titre, dans la fonction publique de retrouver son poste sans hiatus de déroulement de carrière doit être appliqué à tous les salariés du secteur privé, la compensation étant prise en charge non par l'entreprise mais par la collectivité.

Il y a aussi le problème de la responsabilité pénale systématique des élus qui dissuade les candidatures aux fonctions municipales. Il est donc indispensable que cette législature ne s'achève pas sans l'adoption d'une réforme du statut de l'élu -mais je crains que ces mesures pointillistes, Madame Bredin, ne nous y conduisent pas. Le scrutin uninominal à deux tours -"ce scrutin de gladiateur" disait Jaurès- est une des sources du cumul des mandats. Le corollaire électoral de la limitation du cumul serait ainsi le scrutin proportionnel sous une forme à déterminer pour toutes les élections.

Enfin, on ne peut pas envisager une exception sénatoriale comme il a été proposé en commission. Ce type de marchandage politicien -je te donne le cumul sénateur-maire, tu me laisses réformer le mode d'élection du Sénat- a quelque chose de scandaleux (M. Georges Tron approuve). Je regrette qu'il ait été proposé sur des bancs de la majorité. Cela frise d'ailleurs l'absurde puisque une exception sénatoriale ne serait pas constitutionnelle.

Les députés communistes voteront ces deux projets de loi, parce qu'ils approuvent la démarche gouvernementale.

La limitation du cumul des mandats peut contribuer à améliorer l'exercice de la démocratie. Elle est nécessaire, mais non suffisante. Elle peut même n'être qu'une adaptation fonctionnelle sans efficacité réelle.

Vous me permettrez, enfin, de regretter que vous n'ayez pas su engager un véritable débat de fond sur le fonctionnement de nos institutions et le nécessaire rééquilibrage en faveur du Parlement.

Les Français souhaitent certes que leurs députés puissent se consacrer pleinement à leurs mandats, mais ils souhaitent surtout qu'ils puissent infléchir les orientations politiques conformément à leurs préoccupations (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Yves Nicolin - Le cumul des mandats est-il l'abomination de notre vie politique, qu'il faudrait absolument prohiber, ou faut-il seulement le limiter, comme je le pense ? Nul ne conteste que les lois de 1985 ne soient devenues inadaptées, et la modernisation voulue par le Président de la République vise à y remédier. Mais il ne faudrait pas que ce soit l'occasion de mettre une fois de plus à l'index les élus politiques, ces affreux cumulards plus intéressés par les indemnités que soucieux de l'intérêt général.

La mode n'est certes pas à la politique, il suffit de constater les taux colossaux d'abstention pour s'en convaincre, mais nous aurions tort de céder à la démagogie de l'anticumul absolu. Il est vrai que le cumul contribue à la concentration de la classe politique et à des abus de position dominante, mais ce projet est un projet de circonstance, qui fait l'impasse sur les raisons du phénomène.

S'engager en politique est loin d'être une décision facile à prendre, ne serait-ce qu'en raison de l'insécurité inhérente à tout mandat. Le cumul procure une base de repli et une assurance antichômage pour ceux des professionnels de la politique qui ne sont pas protégés par le statut de la fonction publique, d'où la composition de notre assemblée : 41 % d'entre nous, et même 55 % dans la partie gauche de l'hémicycle, sont assurés de retrouver leur poste en cas de défaite. L'encadrement strict du cumul aurait donc dû s'accompagner de l'instauration d'un véritable statut de l'élu, lui garantissant une aide à la reconversion, une allocation de fin de mandat ou la réintégration dans l'emploi antérieur, comme au Danemark, en Espagne ou au Portugal.

Si l'on ne peut qu'approuver la limitation du cumul dans le cas d'exécutifs municipaux importants, pourquoi le texte initial du Gouvernement n'a-t-il pas étendu ce principe aux structures intercommunales, dont les responsables gèrent souvent des budgets bien supérieurs à ceux de simples communes ? Le seuil de 20 000 habitants me paraît pertinent dans l'un et l'autre cas, et je défendrai un amendement en ce sens.

Comment, par ailleurs, passer sous silence le fait que le responsable d'une commune a pour interlocuteurs, lorsqu'il recherche des financements pour ses projets, la structure intercommunale, le département, la région, l'Etat, l'Europe ? S'il part à la conquête d'un autre mandat, c'est donc dans le but légitime de renforcer la position de sa commune dans l'âpre négociation d'aides financières indispensables. Ce cumul est à la fois source de conflits d'intérêts et de ruptures d'égalité entre les citoyens, d'où la nécessité d'approfondir la décentralisation et de clarifier les financements croisés, question dont le texte ne dit mot.

Enfin, je considère, comme la plupart de mes collègues, que nul ne peut valablement légiférer et contrôler l'exécutif sans avoir les pieds solidement enracinés dans le terroir dont il est l'élu. Une rupture totale du lien entre le local et le national serait dont une grave erreur : ne transformons pas l'élu national en un technocrate élu, qui n'aura de contact avec ses électeurs qu'une fois tous les cinq ans.

Si j'approuve les objectifs poursuivis, je regrette l'inadaptation des moyens employés, ainsi que l'incohérence et les lacunes du dispositif, qui le rendent hypocrite et démagogique. C'est pourquoi il ne peut qu'être rejeté.

MM. François Goulard et Roger Lestas - Très bien !

M. Michel Suchod - J'avais eu la faiblesse, en première lecture, de m'en remettre à la sagesse du Sénat (Sourires). Celui-ci, loin d'en faire preuve, a au contraire donné des signes d'une rigidité délibérée, qui laisse peu d'espoir de voir l'entreprise aboutir dans un délai rapproché.

M. Brunhes a lu tout à l'heure le long inventaire des responsabilités cumulées par l'un de nos anciens collègues. On aurait pu y ajouter, naguère, la présidence d'un conseil régional, celle d'un conseil général, ainsi qu'un mandat parlementaire, voire un poste ministériel ! C'était avant la loi de 1985, que nous avons adoptée dans l'urgence, à la veille des élections de 1986, et dont est issu l'équilibre actuel : deux mandats au plus, voire trois s'il s'agit de la mairie d'une petite commune. Le Gouvernement nous propose de faire plusieurs pas importants, avec lesquels nous pouvons être d'accord : deux mandats maximum dans tous les cas, pas de cumul de deux fonctions exécutives ni d'une fonction exécutive avec une responsabilité ministérielle - mais il faut se garder, sur ce point, de toute hypocrisie : l'épouse d'un de vos collègues, Monsieur le ministre, me confiait récemment que la liste des responsabilités de celui-ci, en tant que premier adjoint, ressemblait à l'annuaire du téléphone... (Sourires)

Est-il sage d'aller au-delà ? Je ne le crois pas, car la détention d'un mandat local permet aux parlementaires de nourrir le débat dans l'hémicycle, et l'interdire ferait courir au Parlement le grave risque de perdre un certain nombre de personnalités essentielles. Le débat que nous venons d'avoir sur le traité d'Amsterdam s'est déroulé en présence du maire de Lyon, du maire de Paris, du maire de Toulouse, du maire de Bordeaux, du maire de Nantes et d'un certain nombre de présidents de conseils régionaux, dont un ancien président de la République. Quel mandat choisiront-ils s'ils y sont contraints ? Il y a fort à parier qu'ils suivront l'exemple de M. Rufenacht ou de M. Malvy, lequel était pourtant fort attaché à l'Assemblée, pour avoir été ministre des relations avec le Parlement et président de groupe. En outre, et inversement, le départ de ces grands personnages aura pour effet de donner naissance à un "parlementarisme fonctionnarisé", incarné par de bons spécialistes de chaque sujet, auxquels il manquera néanmoins une vision d'ensemble et un talent d'orateur républicain.

Il y aurait également quelque incohérence à interdire au maire d'une petite commune d'être également député, mais non au président d'un établissement public de coopération intercommunale regroupant plusieurs centaines de milliers d'habitants.

Bref, puisque nous ne sommes pas encore près d'aboutir, prenons notre temps, prolongeons le débat d'idées et peaufinons encore nos arguments et notre dispositif !

MM. René Dutin et Gérard Saumade - Très bien !

M. Alain Ferry - J'approuve le principe d'une limitation du cumul des mandats, car l'attente de l'opinion est réelle. Mes réserves portent sur la cohérence des deux projets de loi soumis à notre examen.

Le champ d'application de la limitation du cumul fait problème. J'avais proposé, dès avril 1994, d'y inclure les fonctions exécutives des structures intercommunales, et je me réjouis donc que l'Assemblée ait adopté un amendement en ce sens en première lecture. Je suis favorable au cumul d'un mandat national avec un seul mandat local, fût-il exécutif. Est-il normal, par ailleurs, de viser la seule fonction de maire et non celle de conseiller général ou régional, qui ne peut être déléguée ?

Je redoute, par ailleurs, les conséquences prévisibles des dispositions proposées. Pour un élu local qui a pour interlocuteurs les services de l'Etat, détenir un second mandat est un atout indiscutable. L'empêcher risque de renforcer le poids de l'administration face aux élus. Pour que l'interdiction du cumul prenne tout son sens, il faut la compléter par la poursuite de la décentralisation, notamment sur le plan financier. L'interdiction du cumul des mandats correspond à la logique d'un Etat fédéral, dont nous sommes loin.

Les parlementaires seront-ils de meilleurs législateurs si l'on interdit le cumul ? Rien ne le garantit. Ils ne pèseront pas davantage sur l'élaboration de la règle de droit si leurs prérogatives ne sont pas renforcées.

Or le Gouvernement n'a aucun projet en ce sens. Il renforcera encore son contrôle sur sa majorité parlementaire, n'ayant même plus à composer avec des élus auxquels un profond enracinement local confère une certaine autonomie.

En outre, la réforme envisagée peut aboutir à l'instauration du scrutin proportionnel intégral pour les législatives. Le député ne devra alors plus rien à ses électeurs, mais tout à l'appareil de son parti. Est-ce là le but recherché ? Nos concitoyens, de plus en plus éloignés de l'échelon où sont prises les décisions, risquent de se désintéresser encore davantage de la chose publique.

Par ailleurs, cette réforme découragera encore davantage les salariés du secteur privé de briguer un mandat de député, puisqu'elle les prive de la possibilité de continuer à être maire s'ils perdent leur mandat national.

Enfin, ce projet ne fixe aucune limite d'âge pour les candidats. Hervé Morin propose par voie d'amendement de l'instaurer à 72 ans. J'appuie d'autant plus volontiers cette proposition que je l'ai faite moi-même en première lecture et dans une proposition de loi dès 1994.

La difficulté de légiférer sur le cumul des mandats tient aux attentes contradictoires des Français qui exigent de leurs parlementaires d'être à la fois de purs législateurs et de "super-conseillers généraux". Ce qui leur est insupportable, c'est le soupçon d'enrichissement personnel injustifié que permettrait le cumul des mandats. C'est pourquoi je propose à nouveau qu'un parlementaire exerçant une fonction locale ne puisse recevoir d'indemnité supérieure à son indemnité d'élu national. Ce serait un moyen à la fois simple et efficace de mesurer la motivation des élus pour leurs fonctions.

En l'absence d'une telle disposition, ces deux projets ne sont que des textes d'affichage qui ne règlent rien au fond mais auront permis de se donner bonne conscience (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Christian Paul - Ce projet, comme celui relatif à la parité, contribuera à la modernisation de la démocratie. Le cumul des mandats est un sujet sensible dans la mesure où nous sommes à la fois juge et partie.

L'attente est forte dans l'opinion comme dans les partis politiques, y compris de droite, où le cumul des mandats tient à l'écart des responsabilités des personnes d'expérience et de valeur.

Chacun convient, cela étant, qu'il faut faire entendre au Parlement les préoccupations quotidiennes des Français, telles que les partagent les élus locaux. Et le texte adopté en première lecture ne prive en rien les parlementaires d'un lien fort avec le pays puisqu'il sera toujours possible de siéger au Parlement et d'exercer un mandat local.

Je déplore les clivages que révèle ce débat car il fut d'autres moments de notre histoire où les avancées de la démocratie politique furent portées dans un même élan et avec plus d'enthousiasme, par l'ensemble des forces politiques républicaines.

M. le Rapporteur - Très juste !

M. Christian Paul - Le premier clivage est entre ceux qui défendent ce projet et le voteront, et ceux qui s'y opposent et ne le voteront pas (Rires sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), clivage entre ceux qui agissent et ceux qui se contentent d'un discours-alibi, réclamant à grands cris le changement mais opposant leur inertie à toute réforme.

Le deuxième clivage se creuse entre l'Assemblée nationale, sa majorité, et le Sénat. S'il serait malsain pour nos institutions que la critique du Sénat soit au menu quotidien de notre Assemblée, comment ne pas souligner ce qui, jour après jour, s'apparente à une confiscation de la volonté générale ? Comment ne pas dénoncer, sur le cumul comme sur la parité, l'étonnant aveuglement du Sénat ?

La troisième ligne de partage est entre ceux qui plaident pour le statu quo institutionnel et ceux qui estiment nécessaire d'approfondir la décentralisation et de rénover le Parlement.

Ce projet répond à ces exigences. Que ceux qui le trouvent insuffisant ou incomplet, l'amendent. C'est un pas significatif. Il fixe un cap et nous ne sommes qu'au début du chemin.

Je ne prendrai pas le pari que le Sénat modifiera sa position initiale. Il la confirmera probablement, prenant d'ailleurs ainsi une étonnante responsabilité.

Les élus locaux verront, dans ce cas, leurs fonctions électives limitées à deux mandats, alors que l'on pourra durablement rester parlementaire, maire et conseiller général. Les sénateurs seraient-ils tentés par une forme d'auto-amnistie ? Je sens là comme un étrange parfum d'amnistie sénatoriale...

Il conviendra de poursuivre le débat devant les Français. Le verrou sénatorial n'est pas tolérable : toutes les solutions permettant de le faire sauter devront être explorées. Le référendum sera peut-être la seule voie pour mener à bien cette réforme. En attendant ce jour, il est de notre rôle de réaffirmer notre volonté de conduire cette réforme le plus loin possible par un vote en tous points conforme à celui qui a réuni une majorité claire en première lecture. Comment éviter que la démocratie ne soit confisquée ? Comment bâtir une démocratie moderne et ouverte ? Tel est le sens de notre engagement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Rapporteur - Pour éviter toute ambiguïté, je tiens à souligner que ce texte ne cherche pas à faire la guerre aux "cumulards" mais au cumul. Il n'est pas question de faire le procès du passé mais d'ouvrir des perspectives pour l'avenir.

Deux questions ont été évoquées qui appellent une réflexion approfondie de notre Assemblée et du Gouvernement. Tout d'abord, celle du statut de l'élu. Nous en avions discuté en première lecture et avions commencé de revaloriser l'indemnité des maires, assurément les élus qui en avaient le plus besoin. Il nous faudra avancer concrètement dans cette voie et prendre en compte toutes les dimensions du statut de l'élu, comme l'ont souligné MM. Albertini et Brunhes. Deuxième question : la responsabilité pénale des élus qui en effet devient insupportable et risque d'avoir des effets pervers sur le fonctionnement de nos institutions.

Pour ce qui est de la liberté de choix des électeurs, que MM. Tron et Goulard voient menacée, elle est d'abord contrainte par les candidats qui lui sont proposés. Un électeur de droite préférera toujours voter pour un candidat de droite, fût-il cumulard, que pour un candidat de gauche non cumulard (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Ayant exercé douze ans des responsabilités au niveau départemental dans mon parti, j'ai fabriqué, bien malgré moi, des dizaines de cumulard. En effet, tant qu'il ne sera pas interdit par la loi, le cumul sera inéluctable : le meilleur candidat à la députation dans une circonscription est toujours le maire de la commune la plus importante. C'est cette logique que nous voulons casser.

Plusieurs d'entre vous ont souligné l'intérêt que des maires ou autres élus locaux participent, en tant que parlementaires, au débat sur la taxe professionnelle, la taxe d'habitation, les polices municipales ou l'intercommunalité. Mais ce projet de loi ne vise pas à faire des députés ou des sénateurs des "extra-terrestres". Il vise à interdire l'exercice simultané de deux fonctions impossibles à remplir ensemble. Cela n'empêchera pas un maire de devenir ensuite parlementaire et de mettre toute l'expérience acquise au service de l'élaboration de la loi.

A M. Crépeau, je dirai que tant que le cumul est légal, il est pratiquement obligatoire et c'est bien pourquoi il faut l'interdire.

On a beaucoup parlé de rupture avec le terrain local. Mais il n'y aura pas rupture si l'on est capable d'exercer sa mission politique dans des responsabilités successives. Vive l'ouverture, vive la respiration du monde politique !

Il n'y aura pas non plus rupture avec le terrain dès lors que, comme le ministre s'y est engagé, le mode de scrutin demeure le même, c'est-à-dire lié à la circonscription. Il n'y aura pas rupture si l'on ne s'inscrit pas dans la logique du mandat unique, si un parlementaire peut être conseiller municipal, général, régional ou même adjoint ou vice-président.

Je vous entends, Messieurs de l'opposition, faire l'éloge de la limitation du cumul, dire que plusieurs de nos propositions vous agréent, voire prendre vos distances avec le vote du Sénat. Mais finalement, parce qu'un ou deux aspects ne vous conviennent pas, ce sera non, définitivement. Regardant ces magnifiques projets, vous me faites penser à ce que dit, dans Le dernier métro, l'un des héros à Catherine Deneuve : "Vous êtes belle, vous regarder est une souffrance"... (Sourires sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Que chacun assume ses responsabilités et marque sa volonté d'avancer vu son archaïsme. Au moment du vote, ce sera l'une ou l'autre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La discussion générale commune est close.


Top Of Page

PROJET DE LOI ORGANIQUE SUR LE CUMUL DES MANDATS

M. le Président - En application de l'article 91, alinéa 9, du Règlement, j'appelle maintenant dans le texte du Sénat les articles du projet de loi organique sur lesquels les deux assemblées n'ont pu parvenir à un texte identique.

ARTICLE PREMIER

M. le Rapporteur - Comme beaucoup d'amendements, le 8 vise au retour au texte adopté par l'Assemblée en première lecture. Ici, il s'agit d'éviter qu'un contentieux n'empêche un élu au Parlement européen de participer aux travaux de l'Assemblée ou du Sénat, ce qui pourrait faire basculer une majorité.

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - Favorable.

L'amendement 8, mis aux voix, est adopté.

L'article premier ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

ARTICLE PREMIER bis

M. le Rapporteur - L'amendement 9 est de retour au texte de l'Assemblée. Il est proposé de renforcer le régime des incompatibilités professionnelles en l'étendant aux fonctions de membre du Conseil de la politique monétaire de la Banque de France.

M. le Ministre - Sagesse.

L'amendement 9, mis aux voix, est adopté et l'article premier bis est ainsi rétabli.

ARTICLE PREMIER ter

M. le Rapporteur - L'amendement 10 est encore de retour. Cette fois l'incompatibilité vise les fonctions de juge des tribunaux de commerce.

M. le Ministre - Sagesse, pour les raisons que j'ai expliquées.

L'amendement 10, mis aux voix, est adopté et l'article premier ter est ainsi rétabli.

ART. 2

M. Olivier de Chazeaux - M. le rapporteur a qualifié cet article de central. Comment ne pas regretter que soit oublié le cumul d'une fonction ministérielle avec une fonction exécutive locale ? Quelle est dès lors la crédibilité de ce projet ?

Un des objectifs recherchés est de rendre les élus plus disponibles en allégeant, a dit Mme Bredin qui est une experte, la charge de travail induite par le cumul. Mais la charge sera-t-elle vraiment allégée pour un député par ailleurs vice-président d'un conseil régional aussi important que celui du Nord-Pas-de-Calais ou de l'Ile-de-France ? Sera-t-elle allégée pour un maire exerçant de telles fonctions ? Peut-être faudrait-il être plus restrictif encore en prévoyant un homme-un mandat. Cela aurait le mérite de la cohérence.

Autre objectif poursuivi : remédier à la crise de confiance envers les élus. Mais que pense un citoyen qui apprend que le ministre de l'économie et des finances est premier adjoint d'une commune, avec délégation générale, et que c'est lui qui présente ses voeux au personnel communal ? Que pense-t-il de ce député, premier adjoint, président du district d'une commune importante, conseiller régional, et qui ne cesse de vanter les vertus de la limitation du cumul ? Que pense-t-il de ce premier secrétaire d'un parti politique important, qui sera candidat à une échéance prochaine et qui ne sait quoi répondre à une question sur le cumul ?

M. le Rapporteur - M. Séguin ? M. Bayrou ?

M. Olivier de Chazeaux - Contrairement à d'autres candidats, M. Séguin a été parfaitement clair : il siégera à Strasbourg !

Tout cela donne un sentiment de tartufferie.

Dans sa sagesse, le Sénat a posé clairement les choses et limité à deux mandats, parlementaire et fonction exécutive locale.

Un peu de sagesse, un peu de cohérence, un peu de clarté. Que penser de ces élus socialistes qui s'apprêtent à voter cette réforme tout en espérant que le Sénat y résistera ?

M. le Rapporteur - Oui, cet article est central en ce qu'il fixe les incompatibilités entre un mandat de député et les fonctions électives de président d'un conseil régional, président du conseil exécutif de Corse, président d'un conseil général, maire, président d'un établissement public de coopération intercommunale doté d'une fiscalité propre.

M. de Chazeaux aurait préféré voir au coeur du projet les incompatibilités pour les ministres. Ce qui a été fait en la matière par le gouvernement de Lionel Jospin est sans précédent sous la Vème République.

M. Olivier de Chazeaux - Quelle hypocrisie !

M. le Rapporteur - Vous avez la possibilité de faire de même pour les parlementaires, qu'attendez-vous ?

M. Pierre Albertini - Par l'amendement 6 corrigé, l'UDF demande qu'on fasse une exception en faveur des seuls maires, et cela quelle que soit la taille de leur commune. En effet, par une sorte d'exception française, les communes sont dans notre pays le cadre même de la démocratie locale, le lieu où l'on fait l'apprentissage de la citoyenneté. Aucune des autres collectivités territoriales n'offre un espace de liberté et de responsabilité comparable : chez nous, la citoyenneté est à la fois locale et nationale, mais non départementale ou régionale.

En outre, le maire, sans avoir -loin s'en faut- tous les éléments de réponse, a l'expérience directe de tous les problèmes qui se posent à la société française : problèmes d'emploi, de sécurité, de cassure sociale, de solidarité entre générations. Hormis le préfet, il n'est aucune autre autorité administrative à laquelle on demande autant ! Ce pilier de la République, selon l'expression que j'ai déjà employée, mérite l'exception que nous demandons pour lui. Si, dans dix ou quinze ans, la décentralisation ayant progressé et notre paysage administratif ayant changé, cette exception ne se justifie plus, elle tombera d'elle-même, sans qu'il soit besoin d'une loi mais, en attendant, les carences de notre organisation la justifient.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé cet amendement car il revient à supprimer l'essentiel d'une réforme destinée à assurer la disponibilité des élus et à éviter les conflits d'intérêts. Ce dernier point surtout exige qu'on coupe le lien entre la fonction législative et les fonctions exécutives locales.

M. le Ministre - L'amendement 6 corrigé détruirait en effet le socle de la réforme. Quant au 11, je n'y suis pas totalement favorable pour les raisons que j'ai exposées en première lecture : comprendre la présidence d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dans la liste des fonctions incompatibles avec l'exercice d'un mandat de député risque d'entraver le développement de l'intercommunalité dans ses formes les plus modernes. Je m'en remets par conséquent à la sagesse de l'Assemblée.

M. Georges Tron - J'observe, Monsieur le rapporteur, que votre amendement reprend bien la rédaction de l'article L.O. 541 et édicte les interdictions en partant du mandat de député.

Par ailleurs, trop de nos questions restent pendantes. Ainsi, contestez-vous qu'un parlementaire qui préside un exécutif local soit en position de mieux remplir sa mission de législateur ? Pour nous, il ne fait pas de doute que son expérience de responsable local le sert quand il a à examiner des textes relatifs à la fiscalité locale ou à l'intercommunalité, par exemple.

D'autre part, ce projet porte en lui un grave risque pour l'avenir financier des collectivités. En effet, le jour où, sur ces bancs, ne siégeront plus de maires ni de présidents de conseils généraux et régionaux, il n'y aura plus personne pour alerter le Gouvernement sur la situation difficile des collectivités ou sur le danger de certains transferts. C'est une deuxième raison de notre hostilité à l'amendement 11.

M. Jacques Brunhes - Ce projet vise à rendre nos institutions plus efficaces en permettant aux parlementaires d'être plus disponibles pour légiférer. Or, Monsieur le ministre, vous venez de tenir un propos bien surprenant : selon vous, le président d'un EPCI à fiscalité propre devrait pouvoir être en même temps député ! Mais certains de ces établissements publics représentent 600 000 personnes : je ne comprends pas qu'on ne leur applique pas ce qu'on appliquera aux maires de communes de 500 habitants (Murmures d'approbation sur les bancs du groupe UDF).

D'autre part, je souhaiterais que vous ne laissiez pas sans réponse les questions que j'ai posées tout à l'heure, notamment à propos du Sénat.

M. François Goulard - Je défendrai en même temps mes sous-amendements 47 à 50, qui sont des propositions de repli.

J'ai bien compris que le Gouvernement et la majorité ne lâcheraient pas sur cette question des incompatibilités avec le mandat parlementaire. Mais, s'il est une fonction qui mériterait une exception, c'est bien celle de maire. A tout le moins, un esprit non prévenu devrait admettre qu'en dessous d'un seuil, que j'ai fixé à 100 000 habitants dans le sous-amendement 48, l'argument de la disponibilité ne joue plus.

Pour tenter de concilier le point de vue de M. Brunhes et celui du ministre sur le cas des EPCI, je propose de même de fixer un seuil dans le sous-amendement 49.

Enfin, en toute objectivité, la fonction de conseiller municipal d'une ville de moins de 3 500 habitants est moins prenante que celle de conseiller de Paris : d'où le sous-amendement 50.

M. le Rapporteur - Avis défavorable à titre personnel, la commission n'ayant pas examiné ces sous-amendements.

Je crois devoir signaler à l'Assemblée que seules 35 communes sur les 36 500 de ce pays comptent plus de 100 000 habitants. L'article ne s'appliquerait donc qu'à 35 maires au plus, si l'on suivait M. Goulard !

M. le Ministre - Le Gouvernement est défavorable également aux sous-amendements 47 et 48 qui visent à supprimer l'incompatibilité entre les fonctions de député et de maire. Il s'oppose de même au 50. Pour le 49, qui vise à limiter l'incompatibilité entre le mandat de parlementaire et la présidence d'un EPCI au cas des établissements de plus de 20 000 habitants, il s'en remettra à la sagesse de l'Assemblée, compte tenu de la position que j'ai exposée tout à l'heure.

Monsieur Brunhes, si l'on veut développer l'intercommunalité, il ne faut pas l'enserrer dans un carcan réglementaire. C'est pourquoi le Gouvernement a choisi une autre voie.

Les sous-amendements 47, 48, 19 et 50, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L'amendement 11, mis aux voix, est adopté, et l'article 2 est ainsi rédigé.

M. le Président - Les amendements 6 corrigé et 1 tombent.

APRÈS L'ART. 2

M. François Goulard - L'amendement 29 est défendu.

L'amendement 29, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. François Goulard - L'amendement 37 vise à rétablir l'égalité des citoyens dans l'exercice des mandats électifs. On sait que les fonctionnaires ont un avantage considérable puisque le risque professionnel qu'ils courent en cas de non-réélection est infiniment moindre que celui auquel s'exposent les autres citoyens. La question est évoquée de manière récurrente, et on ne lui connaît pas de solution facile. L'amendement propose de faire cesser l'avantage conféré, en la matière, aux fonctionnaires de la catégorie A, dits fonctionnaires d'autorité, dont le retour dans la fonction publique, au terme d'un mandat électif, pose des problèmes particuliers, leur appartenance politique ayant été clairement affichée. On comprend que puisse alors peser sur eux une suspicion de partialité s'ils exercent leur fonction dans un tribunal ou au Conseil d'Etat par exemple.

Cela étant, la question mériterait un long débat, et je mesure le caractère symbolique de l'amendement.

M. le Président - Je constate que les amendements 30 et 34 sont défendus.

M. le Rapporteur - La commission les a repoussés, ainsi que l'amendement 37, sur lequel je souhaite revenir. M. Goulard a raison : le problème est réel, et il faut lui trouver une solution. Mais je ne pense pas qu'il soit de bonne méthode de choisir une voie médiane en tirant vers le bas le statut des fonctionnaires détachés. Mieux vaudrait s'efforcer d'améliorer le statut des élus en général, pour leur permettre à tous de mieux servir la République.

M. Georges Tron - C'est l'inverse de la méthode que vous avez retenue pour l'ensemble du texte !

M. le Rapporteur - Aucunement ! Quant à la seconde raison avancée, je la conteste : je ne pense pas que le retour à la fonction publique, au terme de l'exercice d'un mandat, empêche quiconque d'exercer correctement sa charge. Si tel était le cas, cela signifierait que les fonctionnaires ne pourraient plus ni se porter candidats aux élections, ni exercer quelque mission que ce soit, y compris au sein des associations, où nombre d'entre eux sont pourtant remarquablement actifs. L'administration compte aujourd'hui une multitude d'anciens élus qui exercent pleinement leurs fonctions.

M. le Ministre - Le Gouvernement exprime un avis défavorable sur les trois amendements.

M. François Goulard - Je comprends les arguments de M. le rapporteur, que je remercie de sa réponse, aussi peu polémique que l'était mon intervention. Je regrette que les salariés du secteur privé ne peuvent avoir une garantie statutaire, ne serait-ce que parce que l'entreprise pour laquelle ils travaillaient avant d'être élus peut très bien avoir disparu lorsque leur mandat s'achève. Pour le reste, j'entends vos raisons, mais il n'en reste pas moins vrai que pour leurs collègues leurs opinions politiques sont désormais connues.

Je reconnais que ce débat est d'une ampleur qui dépasse le cadre de la présente discussion.

M. Georges Tron - Je partage le souci exprimé par M. le rapporteur de "tirer vers le haut" plutôt que vers le bas. Mais, dans ce cas, pourquoi toujours interdire ? Pourquoi ne pas appliquer la même philosophie à l'ensemble du texte ?

L'amendement 37, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que les amendements 30 et 34.

ART. 2 bis

M. le Rapporteur - La commission entend, avec l'amendement 12, rétablir le texte de l'Assemblée et affirmer clairement la séparation du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, suivant en cela une proposition de M. Albertini.

M. le Ministre - Est-ce bien nécessaire ? Le cas s'est vu, certes, qu'un membre de cabinet ministériel ou du cabinet du Président de la République soit élu député. Mais je ne veux pas intervenir dans le règlement de la vie parlementaire et je m'en remets donc à la sagesse de l'Assemblée.

M. Pierre Albertini - L'incompatibilité a été décidée pour les directeurs de cabinet des présidents de collectivités locales ; la cohérence impose d'aligner les dispositions concernant tous les intéressés, dans un sens ou dans l'autre : soit en la supprimant pour tous, soit en l'étendant à tous.

L'amendement 12, mis aux voix, est adopté et l'article 2 bis est ainsi rétabli.

ART. 2 ter

M. le Rapporteur - L'amendement 13 de la commission propose le retour au texte adopté par l'Assemblée. Il déclare incompatible le mandat de député avec celui de membre du directoire de la Banque centrale européenne et de membre de la Commission européenne.

M. le Ministre - Avis défavorable.

L'amendement 13 mis aux voix, est adopté et l'article 2 ter est ainsi rétabli.

ART. 2 quater

M. le Rapporteur - L'amendement 14 rétablit ainsi l'article :

"Un même parlementaire ne peut cependant se voir confier plus de deux missions durant la même législature".

M. le Ministre - Sagesse. Est-il absolument nécessaire de réglementer cela ?

M. Georges Tron - Pourquoi toujours réglementer ? Certes, deux missions, c'est long, mais il peut y avoir des exceptions. Pourquoi poser un carcan ?

Mme Frédérique Bredin - Nous avons retenu deux critères : la disponibilité, la confusion d'intérêts. Or deux missions, c'est un an d'absence du Parlement.

L'amendement 14, mis aux voix, est adopté et l'article 2 quater est ainsi rétabli.

ART. 2 quinquies

M. le Rapporteur - L'amendement 15 rétablit ainsi l'article : "Est incompatible avec le mandat de député la fonction de membre du bureau d'une chambre consulaire ou d'une chambre d'agriculture".

M. le Ministre - Sagesse. Le Conseil constitutionnel a considéré, dans une décision récente, que tous les membres d'une chambre de commerce, et pas seulement les membres du bureau, exerçaient une fonction incompatible avec un mandat parlementaire.

M. François Goulard - Le sous-amendement 46, auquel s'associe mon collègue Tron, limite l'incompatibilité au président. Les membres du bureau ne sont pas si occupés qu'ils ne puissent être parlementaires. Quant au conflit d'intérêts, je ne le vois pas, car ils défendent les intérêts d'une profession, non des intérêts particuliers. En outre, ce sont souvent des gens qui ont manifesté un intérêt pour la chose publique. Cet amendement nous paraît contre nature. Quant à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, elle concerne le président d'une assemblée permanente, non le modeste membre d'un bureau.

M. Pierre Albertini - Le sous-amendement 52 est identique. J'observe que l'amendement 15 ne mentionne pas les chambres de métiers, pourquoi cette distinction ? Par ailleurs, les organismes concernés sont très nombreux, et la disposition pourrait toucher beaucoup de monde.

M. le Rapporteur - La commission n'a pas examiné les sous-amendements. Mais la décision du Conseil constitutionnel était claire, et son exposé des motifs montrait bien qu'il en faisait une application extensive à tous ceux qui peuvent être considérés comme administrateurs. Je souhaite donc le rejet des sous-amendements.

M. Pierre Albertini - Et les chambres de métiers ?

M. le Ministre - Sagesse pour les sous-amendements.

M. le Rapporteur - Les chambres consulaires, cela englobe les chambres de métiers.

M. Jacques Brunhes - M. le ministre a parlé d'une jurisprudence du Conseil constitutionnel qui va plus loin que l'amendement 15. Ne faudrait-il pas rédiger celui-ci de façon plus extensive, dans ces conditions ?

M. François Goulard - On fait dire n'importe quoi au Conseil constitutionnel.

M. Christian Estrosi - Cet amendement a de quoi surprendre. Le bénévolat est chose rare dans le domaine économique, pourquoi s'en priver ? Par ailleurs, il est étrange d'énoncer une telle interdiction, mais de ne pas l'appliquer aux cadres de chambres consulaires, qui ont une responsabilité parfois plus importante que le président.

Mme Frédérique Bredin - Ce dernier argument n'est pas pertinent. C'est comme si vous vouliez interdire à un administrateur de l'Assemblée d'être maire !

Je propose qu'on en reste au texte voté en première lecture, qui concerne le président et les membres du bureau. Si la jurisprudence du Conseil constitutionnel se révélait plus rigoureuse, on reverrait cet article.

M. le Rapporteur - Le Conseil constitutionnel, se référant à l'article L.O. 145 du code électoral, a considéré que les chambres de commerce, instituées par décret en Conseil d'Etat, étaient assimilables à des établissements publics nationaux. La fonction d'administrateur correspond, selon la commission, à celle de membre du bureau : viser le seul président serait insuffisant, l'ensemble des membres du conseil d'administration excessif.

Les sous-amendements 46 et 52, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L'amendement 15, mis aux voix, est adopté, et l'article 2 quinquies ainsi rétabli.

ART. 2 sexies

M. le Rapporteur - L'amendement 16 rétablit le texte de l'Assemblée nationale, qui rend incompatible avec la fonction parlementaire toute fonction d'état-major dans une société faisant publiquement appel à l'épargne, même si son objet n'est pas exclusivement financier.

M. le Ministre - Sagesse.

L'amendement 16, mis aux voix, est adopté, et l'article 2 sexies ainsi rétabli.

ART. 2 septies

M. le Rapporteur - L'amendement 17 rétablit le texte de l'Assemblée nationale.

M. le Ministre - Sagesse.

L'amendement 17, mis aux voix, est adopté, et l'article 2 septies ainsi rétabli.

ART. 2 octies

M. le Rapporteur - L'amendement 18 rétablit le texte de l'Assemblée nationale.

M. le Ministre - Sagesse.

L'amendement 18, mis aux voix, est adopté, et l'article 2 octies ainsi rétabli.

ART. 2 decies

M. Pierre Albertini - L'amendement 35 corrigé de M. Morin est défendu, ce qui ne signifie pas que je le défends... (Sourires)

Mme Frédérique Bredin - L'amendement 19, que la commission a adopté, rétablit le texte de l'Assemblée nationale, qui définit les conditions dans lesquelles les avocats élus au Parlement peuvent continuer d'exercer leur profession. Il est plus restrictif que les dispositions actuelles, mais moins que l'amendement de M. Morin, qui établit une interdiction totale.

M. le Ministre - Sagesse.

M. Georges Tron - Pour montrer que les clivages traditionnels peuvent être dépassés, je combattrai l'amendement 35 corrigé plus que l'amendement 19. Il participe en effet d'une logique inquiétante, qui tend à interdire à tout parlementaire de se livrer, hors de l'hémicycle, à quelque activité que ce soit, si bien qu'il n'y aura bientôt plus que des fonctionnaires !

Mme Frédérique Bredin - L'amendement de la commission se borne à éviter les conflits d'intérêt, tout en maintenant aux avocats, comme aux autres professions libérales, la possibilité d'exercer leur métier, afin qu'ils puissent y revenir, à l'instar des fonctionnaires, après la fin de leur mandat.

L'amendement 35 corrigé, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 19, mis aux voix, est adopté, et l'article 2 decies ainsi rétabli.

ART. 3

M. le Rapporteur - L'amendement 20 est de coordination.

L'amendement 20, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 21 rétablit le texte de l'Assemblée nationale, qui prévoit la publication au Journal officiel des déclarations d'activité rédigées par les parlementaires au début de leur mandat.

L'amendement 21, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté, de même que l'article 3 ainsi modifié.

ART. 4

M. le Rapporteur - L'amendement 22 rétablit le texte de l'Assemblée nationale, qui règle les conditions dans lesquelles les élus doivent se conformer à la législation en cas de cumul.

M. François Goulard - Le sous-amendement 51 tend à laisser à l'élu le choix du mandat qu'il abandonne.

M. le Rapporteur - Avis défavorable, car cela encouragerait la pratique de la "locomotive".

Le sous-amendement 51, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 22, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté, et l'article 4 est ainsi rédigé.

ART. 4 bis

M. Philippe Vuilque - L'amendement 23 de la commission et l'amendement 31 rétablissent le texte de l'Assemblée nationale, qui abaisse à 18 ans l'âge de l'éligibilité au Sénat. Nous avons été surpris, et même consternés, de certaines réactions à son adoption en première lecture, et en particulier de celle de M. Séguin, qui n'a pas hésité à le qualifier de "ridicule" et d'"accablant". Ce qui est accablant, en vérité, c'est le conservatisme de M. Séguin ! Et que dire des fariboles de la majorité conservatrice du Sénat, dont un membre a évoqué sans rire le risque de voir des sénateurs lycéens manifester dans les rues ?

M. le Ministre - Sagesse.

M. Georges Tron - La sagesse est précisément l'attribut de la Haute Assemblée, et nous avons la chance d'avoir une seconde chambre pour freiner les excès de M. Vuilque. Depuis le début de la soirée, nous ne cessons d'entendre la majorité s'en prendre avec véhémence au Sénat, qui a le tort, à ses yeux, de ne pas partager ses opinions. Il y a tout de même un minimum de respect à avoir envers ceux qui ne sont pas du même avis que soi !

Faut-il abaisser l'âge d'éligibilité des sénateurs ? La question mérite d'être posée et vaut mieux que les quelques traits caricaturaux auxquels vous l'avez réduite. En tout état de cause, elle devra être examinée dans le cadre d'un débat plus large sur l'âge de la majorité d'une manière générale. M. le ministre sait que cette question est sensible dans certaines banlieues.

M. Philippe Vuilque - Je ne comprends pas votre réaction. Il s'agit d'un simple constat : le Sénat depuis trente ans s'est opposé à toutes les réformes visant à moderniser la vie politique.

M. Georges Tron - Pas du tout !

M. Philippe Vuilque - Il vient encore de dénaturer ce texte sur le cumul des mandats. Je ne comprends pas pourquoi cet amendement vous gêne.

M. Georges Tron - Ce n'est pas votre amendement qui nous gêne, mais votre ton.

M. Pierre Albertini - L'affaire est trop sérieuse pour être ainsi traitée à la légère (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Ne peut-on être à la fois sérieux et d'un avis différent du vôtre ?

On peut parfaitement débattre de l'âge d'éligibilité des sénateurs mais la vocation complémentaire du Sénat par rapport à l'Assemblée nationale tient depuis la Constitution de 1875 à l'âge d'éligibilité plus élevé des sénateurs et à leur élection indirecte. Ces caractéristiques ont été reprises dans la Constitution de 1959. Il n'est pas acceptable de modifier cet équilibre au détour d'un texte sur le cumul des mandats par le biais d'un amendement qui y est totalement étranger. Nous voterons donc contre cet amendement.

M. le Rapporteur - Revenons au débat sans nous emporter. Cet amendement, repris de la première lecture, suscite votre scepticisme : il constitue pourtant un formidable appel en direction des jeunes qui ont tendance à se désintéresser de la politique (M. Estrosi rit). Si 18 ans est l'âge de tous les devoirs, pourquoi ne serait-il pas aussi celui de tous les droits ?

Il fut un temps où les sénateurs étaient nommés à vie. Ne le regrettons pas. Neuf ans, c'est déjà long pour un mandat.

S'agissant de l'âge d'éligibilité, le Sénat a refusé notre proposition en octobre dernier et souhaité son maintien à 35 ans... avant, deux mois plus tard, d'adopter une proposition de loi émanant entre autres de son Président, et ramenant cet âge à 23 ans. Le Sénat supportait sans doute mal l'idée que les sénateurs soient plus sages que le Président de la République puisque ce dernier peut être élu dès l'âge de 23 ans (Sourires).

Les amendements identiques 23 et 31, mis aux voix, sont adoptés et l'article 4 bis est ainsi rétabli.

APRÈS L'ART. 4 bis

M. le Rapporteur - L'amendement 38 vise à rétablir à 18 ans l'âge d'éligibilité dans toutes les assemblées d'outre-mer.

M. le Ministre - Sagesse.

L'amendement 38, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - Les articles 4 ter, 4 quater et 4 quinquies ont été supprimés par le Sénat.

L'article 5, mis aux voix, est adopté.

La suite du débat est renvoyée à une prochaine séance.

Prochaine séance, demain jeudi 4 mars, à 9 heures 30.

La séance est levée à 23 heures 55.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


© Assemblée nationale