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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 77ème jour de séance, 198ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 24 MARS 1999

PRÉSIDENCE DE M. Laurent FABIUS

          SOMMAIRE :

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 1

    DÉROULEMENT DE L'ÉLECTION LÉGISLATIVE PARTIELLE À AUBAGNE 1

    INTERVENTION MILITAIRE AU KOSOVO 2

    GRÈVE DE LA POSTE EN GUADELOUPE 4

    FINANCEMENT DU LOGEMENT SOCIAL 4

    INTERVENTION CONTRE LA SERBIE 5

    BAISSE DES IMPÔTS 6

    RÉMUNÉRATION DES ENSEIGNANTS 7

    AVENIR DE RFO 7

    FUSION D'ALSTHOM ET D'ABB 8

    NIVEAU DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES 8

    PRÉVENTION DES EXPULSIONS 9

PRÉSOMPTION D'INNOCENCE (suite) 11

PRÉSOMPTION D'INNOCENCE (suite) 15

    ARTICLE PREMIER 25

    APRÈS L'ARTICLE PREMIER 30

La séance est ouverte à quinze heures.


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RÉUNION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS

M. le Président - Le Gouvernement m'a fait connaître son intention de faire une déclaration suivie d'un débat sur la situation en Yougoslavie. Pour préparer ce débat, la Conférence des présidents se réunira immédiatement à l'issue de la séance des questions au Gouvernement.


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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

DÉROULEMENT DE L'ÉLECTION LÉGISLATIVE PARTIELLE À AUBAGNE

M. Jean-François Mattei - Dimanche dernier s'est déroulé le premier tour de l'élection législative partielle dans la circonscription d'Aubagne-La Ciotat dans les Bouches-du-Rhône. Compte tenu du climat détestable, suite à l'annulation par le Conseil constitutionnel du scrutin précédent pour fraudes organisées, le préfet a rappelé expressément à tous les maires de la circonscription les termes de l'arrêté ministériel qui interdit aux électeurs n'étant pas en possession d'une pièce d'identité valide de prendre part au scrutin. Ces prescriptions ont été suivies par tous les maires à l'exception d'un seul, celui d'Aubagne, par ailleurs candidat député suppléant (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Dans cette commune, plusieurs centaines d'électeurs ont donc pu voter alors que leur pièce d'identité était périmée, et cela de propos délibéré des présidents de bureaux de vote. Cette conduite est surprenante mais elle n'est pas cachée puisque dès le lendemain, le premier adjoint d'Aubagne expliquait devant la commission de contrôle qu'il avait lui-même autorisé de tels votes.

Le président du tribunal de grande instance a confirmé les faits : il a pu constater lui-même que dans 22 bureaux sur 28 de tels agissements s'étaient produits mais il a fait observer qu'il ne disposait pas de pouvoirs de police. Le premier adjoint a en outre indiqué que le processus serait probablement amplifié au second tour et que ces votes irréguliers pourraient fonder un recours en annulation.

Monsieur le ministre de l'intérieur, nous souhaitons un scrutin sincère, un scrutin loyal, un scrutin dont le résultat sera incontestable. Quels moyens entendez-vous mettre en oeuvre dimanche prochain pour qu'Aubagne cesse d'être une commune de non-droit ? (Murmures sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Il en va de la démocratie, il en va de la responsabilité de l'Etat (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - Le problème ne se pose pas qu'à Aubagne. L'article L. 62 du code électoral prévoit qu'à son entrée dans la salle de scrutin, l'électeur fasse constater son identité suivant les règles et usages établis et avant de procéder au vote. Ce constat se fait par tout moyen, sauf dans les communes de plus de 5 000 habitants dans lesquelles les électeurs doivent présenter, en même temps que la carte électorale, un titre d'identité. Cet article prévoit en outre que la liste des titres valables est établie par arrêté.

Jusqu'à l'année dernière, certains de ces titres ne comportaient pas la photographie de l'électeur.

L'attention de mes prédécesseurs et de moi-même a été appelée à de nombreuses reprises, notamment par les questions écrites de MM. Raoult, Bourg-Broc, Delnatte, sur la nécessité d'un meilleur contrôle pour lutter contre la fraude électorale. Par ailleurs la carte nationale d'identité étant devenue gratuite, tout citoyen peut désormais obtenir, sans obstacle financier, une pièce d'identité faisant foi.

C'est la raison pour laquelle, le Gouvernement s'est rallié à la demande des nombreux parlementaires en faveur de la révision de l'arrêté de 1976.

Désormais sont seuls admis les titres d'identité avec photo, mais la liste reste relativement large puisqu'elle comporte, outre la carte nationale d'identité et le passeport, le permis de conduire, la carte d'invalidité civile ou militaire, la carte d'identité de fonctionnaire, la carte d'identité ou carte de circulation militaire, le permis de chasser, les titres de réduction SNCF avec photographie, les titres de séjour pour les ressortissants de l'Union européenne. Ces titres doivent être en cours de validité.

Depuis le 1er janvier 1999, la nouvelle liste est entrée en vigueur et s'est appliquée sans difficulté à toutes les élections partielles qui ont concerné les communes de plus de 5 000 habitants.

C'est à l'occasion de l'élection à l'Assemblée territoriale de Corse (Murmures sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR) que l'arrêté du 24 septembre 1998 a semblé posé un problème à certains électeurs, M. Rossi m'a d'ailleurs écrit à ce propos.

Le Gouvernement est bien conscient que deux problèmes se posent. Le premier a trait à la délivrance des titres. Nous venons donc d'autoriser les préfectures confrontées à des situations d'engorgement de leurs services à recruter des personnels de renfort. Le second problème tient à la situation de quelques personnes, votant dans des communes de plus de 5 000 habitants et dépourvues de toute pièce d'identité en cours de validité, qui n'auraient pas fait la démarche de demander une carte nationale d'identité.

Ces électeurs sont peu nombreux, il s'agit souvent de personnes âgées. Le problème peut se poser, à Aubagne comme ailleurs. J'ai donc demandé à mes services d'étudier la possibilité que l'ancienne carte d'identité puisse faire foi, pendant un certain temps -5 ou 10 ans- sous réserve de pouvoir produire un récépissé de demande d'une nouvelle carte.

Telle est la direction dans laquelle je m'oriente, compte tenu d'incidents regrettables mais qu'il convient de ne pas gonfler à des fins électoralistes (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et plusieurs bancs du groupe communiste ; protestations sur quelques bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

INTERVENTION MILITAIRE AU KOSOVO

M. Guy-Michel Chauveau - Le blocage des négociations de Rambouillet et de Paris a ouvert la porte à une intervention militaire aérienne des forces de l'OTAN. La déclaration, cette nuit, du secrétaire général, suite à l'attitude du président Milosevic, a confirmé le recours aux frappes aériennes contre la République yougoslave.

Hier soir, également, le Président de la République décidait la participation des forces françaises aux actions militaires, engageant ainsi nos forces, nos moyens matériels et l'image de la France. C'est un événement politique et militaire de la plus haute importance.

Comme il l'avait annoncé hier, le Premier ministre a décidé de venir devant la représentation nationale. C'était une demande du Parlement, et plus particulièrement du groupe socialiste. Nous souhaitons, bien sûr, que ce débat ait lieu le plus rapidement possible.

Monsieur le ministre, dans l'attente de ce débat indispensable, quels éléments pouvez-vous nous apporter, à cette heure, sur les modalités d'intervention de l'OTAN et sur les conditions de participation de nos forces ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Alain Richard, ministre de la défense - Nous nous trouvons dans une situation qui exige de chacun de nous le plus grand esprit de responsabilité. La France détient dans le monde une audience liée à la clarté de ses positions politiques, et à la détermination qu'elle met à agir, les armes à la main si c'est indispensable, dans les crises où sont en jeu les principes qu'elle défend.

Dans les événements graves du Kosovo, les autorités françaises, le Président de la République et le Gouvernement ont exprimé ce que sont nos objectifs, le Premier ministre en a redit hier les grandes lignes : nous voulons construire la paix dans cette région, donner des droits collectifs à la communauté kosovare, sans enclencher un processus de partage ethnique dans le sud-est de l'Europe.

La communauté internationale a fixé des options simples, justes et équilibrées auxquelles nous avons beaucoup contribué : la réalisation d'une autonomie réelle du Kosovo à l'intérieur de la Fédération de Yougoslavie, avec l'arrêt de toute action des forces de sécurité affectant la population civile. Ces choix sont ceux de tous...

M. Robert Pandraud - Non !

M. Alain Richard, ministre de la défense - ...du groupe de contact, avec les quatre pays européens, des Etats-Unis et de la Russie, de l'Union européenne tout entière, qui a démontré sa cohésion. C'est aussi la décision des Nations Unies qui dans les résolutions des 23 septembre et 24 octobre 1998 ont conféré leur légitimité au dispositif de surveillance mis en place par le groupe de contact.

Au cours de la négociation conduite avec beaucoup de ténacité par la co-présidence française et britannique, ces principes admis par tous ont abouti à un règlement d'ensemble. Surmontant ses réticences et des divisions, la délégation représentative de l'ensemble des mouvements kosovars a apporté son adhésion à ce règlement qui pourtant ne satisfait pas toutes leurs revendications. Au contraire M. Milosevic, avec acharnement, a refusé d'entrer dans cette discussion alors que le texte proposé maintient ce qui est pourtant son premier but, l'intégrité de la Yougoslavie.

Pendant toute cette période de discussions, nous avons vu monter la tension, et les affrontements avec une accumulation de moyens offensifs puissants de l'armée yougoslave, qui fait redouter la recrudescence de massacres au sein de cette communauté de 2 millions de femmes et d'hommes que nous ne pouvons abandonner à la répression violente.

Comme le Premier ministre vous l'a indiqué hier, nous devons donc tirer toutes les conséquences de cette situation. Conformément aux accords qui ont été préparés au sein de l'Alliance atlantique, les Européens -en plein accord entre eux- et les Américains vont engager une action militaire visant exclusivement les capacités militaires de la Yougoslavie, et cela dans le but d'amener les dirigeants de cet Etat à reprendre la négociation autour des principes adoptés par la communauté internationale. Nous devons espérer que M. Milosevic fera enfin le choix de la paix et du compromis.

Vous avez insisté sur la nécessaire ouverture du débat de ces questions majeures devant le Parlement. Le Premier ministre, qui a déjà présenté les orientations des autorités françaises hier, doit se consacrer aujourd'hui et demain au sommet de l'Union européenne où il travaille aux côtés du Président de la République et en compagnie du ministre des affaires étrangères à l'adoption de décisions communautaires essentielles pour notre avenir. Il vient de me faire savoir que dès vendredi à 15 heures il présentera au Parlement une déclaration qui sera suivie d'un débat.

Parallèlement, le ministre des affaires étrangères et moi-même nous tiendrons à la disposition des commissions compétentes pour fournir tous les éléments de réflexion aux parlementaires, au moment qui leur paraîtra le plus adapté.

Notre démocratie traverse une crise internationale majeure. Les buts que nous poursuivons, les moyens que nous emploierons, chacun les connaît dans la clarté. Dans ces circonstances exigeantes, nous savons pouvoir compter sur la clairvoyance et sur la détermination de la représentation nationale toute entière (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, plusieurs bancs du groupe communiste, plusieurs bancs du groupe RCV, quelques bancs du groupe du RPR et quelques bancs du groupe UDF).

GRÈVE DE LA POSTE EN GUADELOUPE

M. Léo Andy - Je veux d'abord présenter en notre nom à tous tous nos voeux de prompt rétablissement à notre collègue Michel Crépeau (Applaudissements sur tous les bancs).

J'en viens à ma question. Depuis un mois, le service de La Poste en Guadeloupe est paralysé par une grève générale. Le personnel réclame des moyens adaptés au fonctionnement efficace du service public. Il relève notamment le manque de guichets spécialisés, à l'origine de longues files d'attente, le manque de véhicules pour une distribution convenable du courrier, la faiblesse des effectifs, qui justifierait immédiatement la création de 40 postes.

Les négociations n'ont pas abouti jusqu'ici. Cette grève pénalise bien sûr les activités économiques de l'île, mais surtout les usagers les plus défavorisés. La Poste est la banque des plus vulnérables, retraités et handicapés. Quelles mesures envisagez-vous pour rétablir le fonctionnement du service public dans de bonnes conditions ?

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - Depuis le 8 mars un mouvement de grève dirigé par les organisations syndicales représentatives affecte 50 % du personnel ; il réclame notamment l'amélioration du service au guichet et la limitation de la durée d'attente. Mais toutes les dispositions ont été prises avec l'accord des organisations syndicales pour garantir le versement des allocations sociales et en particulier du RMI début mars. Des négociations constructives sont en cours et la Poste a fait des propositions concernant l'emploi et l'achat de véhicules. Conformément à son contrat d'objectifs et de progrès, la Poste doit assurer un service public identique dans toutes les régions. Bien entendu, la convention qu'elle a signée avec l'Etat dans le cadre de la politique de la ville s'applique aux DOM.

La Poste veut aboutir rapidement dans les négociations. Déjà le 17 février dernier un accord avait été signé sur la réduction et l'aménagement du temps de travail. Je ne doute pas que les organisations syndicales partagent cette volonté d'aboutir rapidement (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste).

FINANCEMENT DU LOGEMENT SOCIAL

M. Alain Cacheux - Le rapport de la fondation Abbé Pierre sur le mal logement, publié la semaine dernière, souligne le développement abusif des hébergements d'urgence et le risque de ne plus recourir qu'aux associations et surtout le manque de construction de logements sociaux. En 1998 moins de 50 000 PLA et PLA-TS ont été financés alors que les crédits inscrits au budget permettaient d'en financer réellement 80 000.

La fondation évoque l'attentisme des collectivités locales. Mais les raisons sont aussi financières. Les organismes endettés ne parviennent pas à renégocier leur dette auprès de la Caisse des dépôts et on leur propose des taux de 4,3 % qui sont trop élevés, avec une durée d'amortissement insuffisante. En outre le financement complémentaire par le 1 % est peu intéressant. Toutes les mesures positives qui ont été prises ne suffisant pas, qu'envisage le Gouvernement pour relancer la politique de logement social locatif ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement - Le rapport annuel de la fondation Abbé Pierre est un document de référence. Il met effectivement en garde contre le développement abusif de solutions d'hébergement provisoires. Le Gouvernement a mis en place et fait financer des produits nouveaux comme les PLA d'intégration, qui bénéficient d'une durée de 32 ans, du taux de TVA à 5,5 % et de subventions de 80 000 F par logement. Sur 10 000 logements financés au budget 1998, 3 000 ont été réalisés. Nous en sommes d'accord, il faut faire un nouvel effort pour adapter l'offre.

Le rapport souligne aussi la sollicitation excessive du monde associatif. Il faut en effet que tous ceux qui ont des responsabilités les assument, les associations intervenant en complément du service social public.

Comment relancer la construction de logements sociaux ? Le Gouvernement a déjà apporté une bouffée d'oxygène aux organismes HLM en diminuant la TVA sur les travaux de réhabilitation. Il a rétabli l'aide à la pierre pour 35 000 des 80 000 PLA financés au budget. Il a été étendu aux opérations d'acquisition-amélioration l'exonération pendant 15 ans de taxe foncière sur le bâti. Ces mesures n'ont pas encore produit tous les effets attendus.

Vous avez mentionné le 1 % logement. Les organismes collecteurs ont conclu en août dernier un accord avec le Gouvernement et rétabli une aide qui pourrait être de 5 milliards en 1999 pour le seul secteur locatif public.

Pour conclure (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF) reste collectivement qu'il y a trop de communes attentistes, ce qui n'est pas acceptable en particulier de celles qui ont peu ou pas de logements locatifs sociaux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). C'est le cas d'Annecy-le-Vieux, dont le député-maire semble s'impatienter. Un effort est indispensable et j'aimerais qu'il se mobilise en ce sens (Même mouvement). C'est la condition de la mixité et de l'insertion sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et sur plusieurs bancs du groupe communiste).

INTERVENTION CONTRE LA SERBIE

M. Alain Bocquet - Souvenons-nous de Sarajevo : c'est des Balkans qu'est parti le premier conflit mondial. Pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, ce pays européen risque d'être bombardé sans que le Conseil de sécurité de l'ONU n'ait eu à se prononcer, en violation de la charte des Nations-Unies. Nous avons salué les efforts déployés par la France en faveur d'une solution politique à ce conflit insupportable dans l'ex-Yougoslavie. A l'évidence le pouvoir en place à Belgrade porte une lourde responsabilité dans le développement dramatique de la situation au Kosovo.

Nous sommes favorables à toute initiative de nature à faire reculer au Kosovo et dans toute l'ex-Yougoslavie les nationalismes qui conduisent à la haine et à la guerre. La conférence de Rambouillet a permis des progrès. Les dirigeants américains veulent, avec l'OTAN, s'ériger en gendarmes de l'Europe et du monde. C'est dangereux et inadmissible. Ce n'est pas en ajoutant la guerre à la guerre qu'on créera les conditions de la paix. Comme l'a indiqué hier le Premier ministre, la France s'apprête à utiliser les frappes militaires au côté de l'OTAN. Nous désapprouvons totalement ce choix. C'est mettre le doigt dans un engrenage dont nul ne peut dire où il conduit, mais dont on sait déjà qu'il va coûter des vies humaines.

Peut-on imaginer que la France de Jaurès participe à une action armée alors qu'il existe à Belgrade et à Pristina des forces opposées au nationalisme et ouvertes au dialogue ? La France et l'Europe gagneraient à faire entendre un message qui ouvrirait une perspective de dialogue et de coopération et donnerait aux forces de paix l'occasion de se faire entendre de leurs compatriotes. L'Europe et la France en particulier devraient agir pour que se tienne une conférence de tous les pays du continent sous l'égide de l'OSCE.

En aucun cas les forces françaises ne sauraient être engagées dans un conflit sur la seule décision du Président de la République et du Premier ministre. Je me félicite qu'on ait annoncé un débat à l'Assemblée. Mais je crains que vendredi il ne soit trop tard. C'est de toute urgence que nous devons décider et voter (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur certains bancs du groupe RCV ; huées sur les bancs du groupe du RPR).

M. Alain Richard, ministre de la défense - Aux yeux des autorités françaises, l'ONU s'est prononcée. Les résolutions 1199 et 1203 prises au titre du chapitre VII de la Charte ont prévu les moyens d'obtenir l'arrêt immédiat de toute action des forces de sécurité affectant la population civile au Kosovo et le retrait des unités de sécurité utilisées pour la répression contre les populations.

L'action militaire a donc pour base juridique ces résolutions adoptées sans opposition par le Conseil de sécurité ("C'est faux !" sur les bancs du groupe communiste).

Certes le recours à la force dans une situation de conflit complexe comporte des dangers et inconvénients graves. Mais ayons aussi la lucidité de reconnaître que la violence est déjà à l'oeuvre au Kosovo avec son cortège d'atrocités et que le seul choix possible, c'est d'agir pour la contenir et de refuser la primauté de la force brute sur le droit des gens (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Nous borner à des déclarations alors que nous avons les moyens d'agir, ce serait céder à la tactique de M. Milosevic qui, comme en Bosnie il y a quelques années, espère maintenir sa domination brutale grâce à notre manque de détermination. Ne répétons pas ces moments de démission collective qui ont préparé les drames de l'histoire européenne (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Dans cette affaire difficile, il faut se réjouir que les Européens aient pris leurs responsabilités et agi de concert.

Le Président de la République, chef des armées, a donné son accord pour une action aérienne ciblée, dirigée contre les moyens de répression mis en place par le pouvoir serbe et visant au rétablissement de la paix dans l'équité, conformément au cadre défini par la communauté internationale.

Il n'appartient qu'au président Milosevic de rendre inutile l'emploi de la force en souscrivant à un règlement politique que chacun reconnaît équitable. Si nos soldats doivent entrer en action, en assumant les risques du combat, ce sera au service de principes et de valeurs qui sont ceux de notre République. Nous devons assumer cette responsabilité avec le sentiment d'accomplir notre mission (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

BAISSE DES IMPÔTS

M. Philippe Auberger - En présentant la loi de finances pour 1998, le Gouvernement avait annoncé une baisse de 0,2 % des prélèvements obligatoires. Or la semaine dernière, le ministre de l'économie et des finances a déclaré qu'il y aurait non pas baisse, mais au mieux stabilisation des prélèvements obligatoires en 1998. Le Gouvernement confirme-t-il cette affirmation, et donc le fait que ses engagements ne seront pas tenus ?

Deuxième question, la majoration exceptionnelle de l'impôt sur les sociétés votée en 1997 devait être supprimée au plus tard en l'an 2000. Or on entend dire que le Gouvernement s'interroge à ce propos. Respectera-t-il son engagement ?

Troisième question (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste), à l'automne dernier le Gouvernement avait affirmé qu'il avait la volonté d'abaisser la TVA, mais que la réglementation européenne l'en empêchait (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Or la Commission de Bruxelles a établi un projet de directive permettant des baisses ciblées de TVA notamment pour les travaux et services à domicile et pour la restauration. Quand entendez-vous appliquer ce projet de directive ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Dernière question (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), le Gouvernement s'était engagé à introduire dans la loi de finances la révision des bases locatives sur lesquelles est assise la fiscalité locale. Or cela n'a pas été fait et on parle de repousser cette réforme à l'an 2000. Quand allez-vous appliquer votre engagement sur ce point ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - M. Strauss-Kahn étant à Berlin et M. Sautter au Sénat, ils m'ont chargé de vous répondre.

Les évaluations précises concernant l'évolution des prélèvements obligatoires seront connues dans quelques jours. On sait déjà que le montant acquitté par les entreprises et les ménages ne sera pas plus élevé que prévu dans les comptes joints à la loi de finances pour 1998 (Protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

L'élément nouveau, c'est l'évolution nominale moins forte que prévu de la richesse nationale, due au fait que l'inflation a été réduite par notre politique économique. De ce fait, le dénominateur du rapport est plus faible, avec les conséquences que vous indiquiez. Mais c'est le résultat d'une meilleure maîtrise de l'inflation (Exclamations et rires sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

Non seulement les Français n'ont pas payé plus d'impôts et de cotisations que prévu, mais grâce à la baisse de l'inflation, les ménages ont bénéficié d'un gain de 3,8 % de leur pouvoir d'chat (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Et la proportion des prélèvements obligatoires, qui avait baissé de 0,8 % sous la gauche de 1987 à 1992 et augmenté de 2,4 % quand vous étiez au gouvernement de 1993 à 1997 (Exclamations sur divers bancs), va se stabiliser en 1998.

Quant à l'évolution de l'impôt sur les sociétés et de la TVA, le Gouvernement fera connaître ses options dans le cadre de la préparation de la loi de finances, comme il est normal et vous aurez à en discuter. En tout cas nous ferons certainement mieux que vous, qui avez augmenté de 90 milliards en deux ans la TVA prélevée sur les Français (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

RÉMUNÉRATION DES ENSEIGNANTS

M. Philippe Briand - Mine de rien, vous avez augmenté les prélèvements de 63 milliards à votre arrivée, il ne faut pas être amnésique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR ; protestations sur les bancs du groupe socialiste). D'ailleurs le Gouvernement semble fâché avec les chiffres. Ainsi, Monsieur le ministre de l'éducation nationale, dimanche soir, au lendemain de la manifestation des enseignants contre la réforme des lycées, vous avez reconnu qu'il y avait eu quiproquo sur la rémunération des heures supplémentaires et annoncé que le pouvoir d'achat des enseignants serait rétabli.

Comment allez-vous faire pour revenir sur le principe du décret du 30 juillet 1998 abaissant de 17 % le taux de rémunération des heures supplémentaires annuelles ?

Et comment allez-vous désormais financer vos nombreux emplois-jeunes ? Le 21 octobre dernier, vous nous expliquiez en effet que la baisse du taux des heures supplémentaires des professeurs des classes préparatoires étant une mesure de solidarité, vous n'entendiez pas modifier votre attitude.

Quelle sera demain votre véritable détermination en la matière ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie - D'abord je vous précise que je n'ai pas augmenté de 63 milliards les prélèvements de quiconque... (Sourires et exclamations sur divers bancs)

La régulation des heures supplémentaires -elles étaient payées sur 42 semaines alors que 36 seulement sont travaillées- me paraît une mesure juste et d'ailleurs aucun des députés présents au débat budgétaire ne m'a fait une observation à ce sujet (Protestations sur les bancs du groupe du RPR).

Cette mesure a été mal comprise. Je ferai donc en sorte que, tout en respectant la rigueur comptable, des dispositions soient prises qui ne choqueront pas ceux qui l'ont été ("Qu'est-ce que cela veut dire ?" sur les bancs du groupe du RPR).

Quant aux modalités techniques, permettez-moi d'y réfléchir encore un peu (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

AVENIR DE RFO

M. Anicet Turinay - Le projet de loi relatif au secteur audiovisuel public, dont la discussion a été ajournée en décembre dernier, prévoyait le regroupement de France 2, France 3, la Cinquième, la Sept-Arte et peut-être RFO.

Je vous rappelle que RFO, chaîne de radio et de télévision de l'outre-mer, répond à des impératifs propres à ces départements et développe aujourd'hui une politique de proximité, à la grande satisfaction des populations, ce qui n'était pas le cas à l'époque de l'ORTF.

Aussi je souhaiterais savoir comment vous comptez préserver les spécificités de l'outre-mer dans la holding que vous préconisez. Et au cas où RFO ne ferait pas partie de cette holding, quels moyens lui donneriez-vous pour assurer ses missions de service public ?

Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication - Dans la réforme ambitieuse que le Gouvernement prépare pour le service public audiovisuel... (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF)

Plusieurs députés RPR - C'est l'Arlésienne !

Mme la Ministre - ...RFO a toute sa place. Dans le souci de la continuité territoriale, le projet de loi respecte ses spécificités -service de proximité, en particulier. Nous avons inscrit dès 1999 10 millions de mesures nouvelles en sa faveur afin de développer ses programmes et de lui assurer une meilleure diffusion internationale.

A la demande de son nouveau président, nous avons décidé de procéder à un audit qui nous renseignera très précisément sur la situation de la chaîne et sur les moyens dont elle a besoin. Nous nous engageons donc à soutenir son développement matériel et sa production.

Mais nous n'avons pas voulu inscrire d'emblée RFO dans la future holding, car nous souhaitons que la représentation nationale -en particulier les députés des DOM-TOM- se prononce sur ce point, de même que sur toute la logique de développement de l'audiovisuel public dans les départements d'outre-mer (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

FUSION D'ALSTHOM ET D'ABB

Mme Gilberte Marin-Moskovitz - Hier, le groupe français Alsthom a annoncé simultanément sa fusion avec le groupe helvético-suédois ABB et la vente à General Electric de son activité "turbines à gaz de grande puissance". Cette annonce brutale a suscité une vive émotion à Belfort, premier site de production du groupe. Plus de 5 000 salariés sont en effet concernés.

Si dans le communiqué de presse transmis par ABB et Alsthom, il est beaucoup question de gains de productivité et d'économies d'échelle, le sort des salariés n'est, lui, à aucun moment évoqué. Il y a pourtant lieu de s'interroger puisque la nouvelle société sera de statut néerlandais et aura son siège à Bruxelles.

Cette nouvelle étape de la course à la concentration financière risque d'avoir de lourdes conséquences sur l'emploi à Belfort. J'aimerais donc avoir l'avis du Gouvernement sur cette fusion, à la fois en termes de politique industrielle et de recherche, d'indépendance nationale, enfin d'emploi et de cohésion sociale. Et puisqu'il paraît que fusion et vente seront soumises aux dispositions légales et à l'approbation des autorités compétentes, quel sera le rôle de l'Etat dans cette affaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste)

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - Alstom et ABB viennent en effet de décider la création d'une société commune, détenue pour moitié par chacun d'eux. Elle regroupera les pôles de production d'énergie des deux groupes et sera dirigée par un Français, l'actuel directeur général d'Alstom.

Avec 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires et 54 000 personnes employées, cette société européenne prendra la première place -devant le géant américain General Electric- sur un marché très concurrentiel.

Parallèlement, Alstom et General Electric mettent fin à leur accord de licence portant sur les turbines à gaz. ABB dispose en effet dans ce domaine d'une technologie très performante. General Electric reprendra donc à 100 % EGT, actuelle filiale d'Alstom qui fabrique des turbines à gaz à Belfort et à Essen.

Dans cette affaire, le Gouvernement entend faire prévaloir une logique industrielle sur une logique de concentration financière. Cette logique industrielle tient compte des investissements, de la répartition géographique des marchés, de la recherche et du développement.

Le Gouvernement soumettra, le moment venu, l'ensemble de ces décisions aux autorités de la concurrence.

Enfin, il sera très attentif aux conséquences sociales de l'opération. Je serai donc très exigeant vis-à-vis d'Alstom en ce qui concerne les investissements et l'évolution de l'emploi à Belfort (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). Dans la concertation avec les élus de cette région, nous veillerons à garantir l'avenir de l'implantation d'Alstom à Belfort (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

NIVEAU DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES

M. Charles de Courson - Le groupe UDF estime qu'il faut profiter de la croissance économique pour baisser les prélèvements obligatoires, comme l'ont fait la quasi-totalité des pays développés. Et si entre 1993 et 1997, Monsieur le secrétaire d'Etat à l'industrie, le taux des prélèvements obligatoires a augmenté de deux points, ce fut pour combler le déficit colossal -6,2 % du PIB en avril 1993- laissé par vos amis (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur de nombreux bancs du groupe du RPR).

Le 9 septembre 1998, le Gouvernement a déclaré devant la commission des finances que le niveau des prélèvements obligatoires baisserait de 0,2 points en 1999 comme en 1998. Or le ministre des finances a avoué le 17 mars, fort discrètement, devant un club de réflexion qu'en réalité le taux de ces prélèvements avait atteint 46,1 % du PIB en 1998 -donc, qu'il n'avait pas baissé- et qu'il se situait 0,2 point au-dessus des prévisions. Ce phénomène va se poursuivre en 1999 et d'ailleurs plus personne ne croit à une croissance de 4 % en valeur. Il n'y aura donc pas de baisse des prélèvements obligatoires en 1999.

Je voudrais donc poser trois questions précises, auxquelles j'attends des réponses précises plutôt qu'une réponse de petit comptable comme celle que vous avez faite tout à l'heure (Interruptions et claquements de pupitres sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

Premièrement, le taux des prélèvements obligatoires a-t-il oui ou non baissé en 1998 ? ("Non" sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR) Baissera-t-il, oui non, en 1999 ? Enfin, compte tenu du ralentissement économique, le Gouvernement a-t-il définitivement renoncé à toute perspective de baisse desdits prélèvements ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR)

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - Je vous remercie sincèrement du ton sur lequel vous m'interrogez car je pense que l'Assemblée nationale estimera avec moi que la profession de comptable est tout à fait honorable ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Quand j'ai parlé tout à l'heure de l'augmentation de la TVA -90 milliards en deux ans- j'ai omis de mentionner la hausse de 30 milliards opérée par ailleurs et qui porte à 120 milliards l'augmentation des prélèvements à laquelle a procédé le gouvernement Juppé ! Je vous remercie de me permettre de réparer cette omission (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

En second lieu, je voudrais vous dire que les indices qualitatifs de différents secteurs sont bons à partir du mois de mars et, d'après l'ensemble des économistes et des instituts de conjoncture, seront encore meilleurs au deuxième trimestre et à la fin de l'année. Les prévisions associées aux comptes de la loi de finances seront donc tenues.

Enfin, vous omettez à votre tour un point très important, à savoir le fait que ce Gouvernement a décidé de supprimer en cinq ans la base salariale de la taxe professionnelle, ce qui donnera une nouvelle impulsion à l'emploi, au développement et à la croissance des entreprises. Je peux donc vous rassurer totalement quant à l'évolution des prélèvements obligatoires : elle sera telle que prévue dans les comptes de la loi de finances (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

PRÉVENTION DES EXPULSIONS

M. Gilbert Biessy - La loi relative à la lutte contre les exclusions que nous avons votée en juillet dernier comporte un dispositif de prévention des expulsions, lequel constitue une avancée très importante.

Mais la date fatidique du 15 mars étant atteinte, le recours aux expulsions est à nouveau possible. Ne faut-il donc pas rappeler aux préfets le volet logement de cette loi afin qu'il s'assurent de son respect avant tout recours à la force publique ? Plus généralement, que compte faire le Gouvernement pour s'assurer que la loi est effectivement appliquée ?

Le groupe communiste avait proposé qu'aucune expulsion ne puisse être imposée à des locataires de bonne foi sans qu'il leur soit fait une offre appropriée de relogement. Malheureusement, cette disposition a été cassée par le Conseil constitutionnel. Quelles mesures le Gouvernement compte-t-il donc prendre pour offrir un relogement aux personnels expulsées, conformément au souhait exprimé par la représentation nationale et par les associations oeuvrant pour le droit au logement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste)

M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement - Vous posez une question qui correspond à une très forte préoccupation.

Jusqu'à la loi du 29 juillet 1998, la saisine des préfets intervenait en fin de parcours, après que tout avait été tenté. On constatait que les propriétaires étaient exaspérés tandis que les familles étaient traumatisées par la perspective d'une intervention des forces de l'ordre. La loi a changé cette logique. Désormais, la saisine du préfet se fera en amont, un délai de deux mois étant ouvert lors de l'assignation du locataire devant la juridiction : sous l'autorité du préfet, tous les services sociaux seront alors mobilisés, les intéressés seront entendus, et des solutions devront être trouvées chaque fois que leur impécuniosité sera de bonne foi. Le juge sera ainsi en mesure d'apprécier en toute connaissance de cause, et l'expulsion deviendra une sanction pour les situations anormales. De la sorte, le nombre des jugements d'expulsion devrait beaucoup diminuer -et aussi l'effort supporté par le ministère de l'intérieur.

Les moyens de la prévention étant renforcés, nous attendons que le défi soit relevé. Le ministre de l'intérieur réunira les préfets après-demain, et il a eu l'obligeance de m'associer à cette réunion pour que j'explique les nouvelles données. J'espère qu'un changement fondamental se manifestera dès les mois à venir, il s'agit là de la dignité humaine (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

La séance, suspendue à 16 heures 5, est reprise à 16 heures 25.

PRÉSIDENCE de M. François D'AUBERT
vice-président


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RAPPELS AU RÈGLEMENT

M. Louis Mermaz - Mon Rappel au Règlement se fonde sur les articles 58 et 132.

Le Premier ministre s'exprimera vendredi après-midi devant l'Assemblée nationale sur le drame du Kosovo et l'engagement possible des forces françaises. Quelle interprétation le Président de la République et le Premier ministre donnent-ils à l'article 35 de la Constitution : "La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement" ?

Slobodan Milosevic, l'homme de la purification ethnique, est condamnable au plus haut point sur le plan humain comme sur le plan politique et tout doit être fait pour éviter un nouveau drame. Il n'en reste pas moins que si des soldats français doivent être engagés, le Parlement doit pouvoir jouer son rôle.

M. Jacques Myard - Il a raison.

M. Robert Pandraud - Avant d'exposer mon propre Rappel au Règlement, je tiens à dire que je suis pleinement d'accord avec M. Mermaz.

Nous convenons tous que le contrôle du Parlement sur l'action de l'administration et du Gouvernement doit être renforcé. Dans ce cadre, les commissions d'enquête parlementaire jouent un rôle essentiel, même si la durée de leur mandat est limitée à six mois et si elles n'ont pas le droit d'empiéter sur les affaires judiciaires.

Lors de la création de la commission d'enquête sur le régime de sécurité sociale étudiant, nous avions demandé au ministre concerné quelle était la portée exacte des procédures judiciaires engagées à l'encontre d'une certaine mutuelle d'étudiants, afin que la commission connaisse son champ réel de compétence. Or, nous n'avons toujours reçu aucune réponse. Peut-être n'y a-t-il pas de fax à la Chancellerie ? Peut-être les Parquets ont-ils déjà, de manière unilatérale, pris leur indépendance en refusant de répondre aux demandes d'un ministre ?

Madame le Garde des Sceaux, pourriez-vous rappeler au ministre concerné que cette réponse est urgente, notamment pour que la commission d'enquête puisse travailler sérieusement dans le laps de temps qui lui est imparti ? Où est la difficulté, sinon à surmonter les lenteurs habituelles de l'administration ?

Par ailleurs, Mme Aubry nous avait alors indiqué que le rapport demandé à l'IGAS serait prêt d'ici deux à trois semaines. Or, ce rapport n'est toujours pas terminé. Les ministres se font-ils encore obéir de leur administration ? Ne peuvent-ils leur rappeler que les demandes du Parlement sont prioritaires ? C'est dare-dare que les fonctionnaires devraient se mettre à la tâche, sans plus se complaire dans un farniente qui peut laisser supposer des complicités.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Je vais à la fois rassurer M. Pandraud et rectifier certaines inexactitudes.

Je pense comme lui que les commissions d'enquête devraient jouer un plus grand rôle : ce serait l'un des moyens d'éviter une excessive pénalisation de notre vie politique.

La commission d'enquête sur le régime de sécurité sociale étudiant s'est réunie pour la première fois le 16 mars dernier. Quatre jours avant, le 12 mars, un contact a eu lieu entre mon cabinet et la commission des lois afin d'éviter que pouvoir législatif et pouvoir judiciaire n'empiètent l'un sur l'autre. La commission visait expressément les procédures judiciaires éventuelles à l'encontre de la MNEF. Il a été demandé en second lieu que la Chancellerie établisse une note technique et juridique sur les rapports entre la procédure judiciaire et les investigations de la commission d'enquête, afin d'éviter toute interférence, conformément aux dispositions de l'article 141 du Règlement de l'Assemblée nationale.

Le 22 mars, un second contact a eu lieu avec mon cabinet afin de préciser ces demandes et d'établir un calendrier pour les réponses, sur la qualité et la précision desquelles la commission se montrait particulièrement exigeante, allant ainsi bien au-delà de la demande de renseignement formelle qui peut être adressée à la Chancellerie.

Le même jour la direction des affaires criminelles et des grâces était saisie de ces deux demandes. Il n'est pas étonnant que, deux jours plus tard, la commission n'ait pas encore reçu de réponse...

Ni le ministère de la justice ni moi-même n'avons jamais manifesté la moindre réticence à fournir les éléments d'information demandés par des commissions. Afin d'éviter toute confusion entre les travaux de la commission parlementaire et les enquêtes judiciaires en cours sur la MNEF, il est nécessaire que la commission soit informée avec précision sur les enquêtes judiciaires relatives aux organismes ayant eu à gérer le régime étudiant.

Saisie par le Président de l'Assemblée nationale le 20 octobre 1998 de la demande de la création d'une commission d'enquête sur la gestion de la MNEF, j'ai signé la réponse le 27 octobre. Il n'y a donc aucun retard.


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PRÉSOMPTION D'INNOCENCE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

M. le Président - Hier soir, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

M. Arnaud Montebourg - La tâche qui nous incombe est délicate : tenter de corriger les graves défauts de l'appareil judiciaire tout en ne compromettant pas les exigences de l'action répressive.

Le Gouvernement aurait pu tenter de tout rebâtir sur une autre base. Nous disposions de très nombreux travaux pour le faire, dont l'excellent rapport de Mme Delmas-Marty. C'eût été toutefois une grave erreur.

Alors que nous tentons, à vos côtés Madame le Garde des Sceaux, de renforcer les bases d'une institution judiciaire sinistrée, laissée à l'abandon pendant des décennies (Murmures sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), alors que vous placez des moyens considérables pour organiser avec méthode le rattrapage du temps perdu, alors que nous veillons à reconstruire le crédit d'une justice dans laquelle les victimes comme les prévenus ont perdu confiance, prendre le risque d'engager une remise en cause générale et refondatrice, gâcherait les efforts engagés, déstabiliserait l'appareil judiciaire, l'affaiblirait avec certitude.

On conservera donc le juge d'instruction si décrié, mais si nécessaire dans sa forme inquisitoriale. On le conservera car il est une garantie d'impartialité dans la direction de l'enquête.

Et ceux qui dans un accès fiévreux de libéralisme sauvage (Rires sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) prônent le cantonnement du juge d'instruction dans des fonctions d'arbitre, veulent en vérité confier le travail d'enquête au Parquet et à la police, avec les risques d'arbitraire, de manipulation et d'influence auxquels la faible indépendance à l'égard du pouvoir exécutif peut conduire.

Qui pourra d'ailleurs résister à ce travail d'accusation, si ce n'est ceux qui disposent d'une armada d'avocats et des moyens de les rémunérer ?

Lorsque M. Balladur vous dit curieusement que "du passé vous n'avez pas osé faire table rase, Madame le Garde des Sceaux", sa révolution à lui, dans l'ordre judiciaire est ultralibérale et programme la mort tant désirée et tant espérée par la classe dirigeante en difficulté avec la justice, du juge d'instruction indépendant et libre.

Cette idée est d'ailleurs en cohérence totale avec le refus de l'indépendance du Parquet, que reprennent à cette tribune les partisans de M. Balladur, le Président de la République s'acharnant d'ailleurs à refuser de mettre en oeuvre la réforme et s'opposant à l'inscription à l'ordre du jour du Congrès d'un texte qui apporte des garanties statutaires au Parquet.

"Brisons les chaînes et les menottes que nous passent les juges d'instruction, conservons les moyens politiques de contrôler les enquêtes", nous disent l'opposition et son chef. Il ne leur reste plus qu'à faire croire que tout cela est révolutionnaire, en espérant qu'il y aura bien un socialiste pour mordre à l'hameçon... Eh bien, il n'y en aura pas, car nous savons quelle révolution libérale vous préparez, celle de l'impunité judiciaire de la classe dirigeante, le retour de la justice de classe des romans de Balzac sous la Monarchie de Juillet... (Murmures sur les bancs du groupe du RPR)

Lorsque ses orateurs nous disent hier "Sautez donc le pas, vous n'allez pas assez loin", point besoin d'être grand clerc, pour voir que l'opposition, désormais peuplée de présumés innocents, ne supporte plus d'avoir à défiler dans les cabinets d'instruction (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Et voici que s'avancent ici ses avocats pour promouvoir en douceur la fin des affaires. Les batteries d'amendements déposés en sont la preuve, qu'ils concernent la réforme de la prescription d'abus de biens sociaux, l'impossibilité de vérifier le contenu des dénonciations anonymes, la suppression de la mise en examen.

L'opposition parlementaire règle ses comptes avec les juges et, jetant son masque, veut la fin des affaires. Elle ne l'aura pas ! Nous ne chanterons pas l'Internationale avec vous Monsieur Balladur (Sourires). Nous défendrons bec et ongles le juge d'instruction.

Mais si nous garderons notre juge d'instruction, il lui faudra accepter des contre-pouvoirs. Là où il y a pouvoir, le débat, la discussion critique et contradictoire doivent être organisés.

Tel est le sens des inflexions significatives apportées par ce texte et par les amendements de la commission : l'évolution raisonnable et tant attendue du statut de la garde à vue, dispositions relatives au témoin assisté évitant ces mises en examen qui ne seraient ni strictement nécessaires ni justifiées.

Les magistrats instructeurs dont nous défendons et protégeons le travail ne doivent pas voir dans le juge de la détention une quelconque menace à l'égard de leur action mais un moyen de s'épargner les critiques et, en vérité, de renforcer le crédit dans le déroulement des enquêtes qu'ils dirigent.

Combien d'innocents injustement poursuivis auraient voulu un juge de la détention ! Je pense, en particulier, rendant hommage à son courage, à Christine Villemin, dont la justice a déclaré l'innocence, reconnaissant douze ans plus tard l'absence totale de charges, après l'avoir incarcérée alors qu'elle était enceinte. Je sais, pour avoir été à ses côtés, combien elle aurait aimé, elle qui fut inexplicablement accusée par une institution judiciaire prise de délire, éviter de se trouver dans un face à face, solitaire et torturant, avec son juge, au moment décisif. Et combien d'autres juges ont regretté de ne pouvoir compter sur l'expérience d'un autre juge que vous proposez d'instituer.

Vous avez souhaité l'appeler le juge de la détention. Il rappelle le juge délégué de 1993, dont j'ai vu la capacité à corriger la copie d'autres juges, à apporter des nuances et éviter les excès ou les erreurs. Celui-ci ira bien au-delà.

C'est l'une des avancées les plus importantes de ce texte qui emporte notre enthousiasme. Il y en a beaucoup d'autres. C'est pour cela et parce qu'il fait progresser notre idéal que nous le soutiendrons avec force (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Christine Boutin - Le fonctionnement de la justice, comme celui de nos institutions, fait l'objet de nombreuses critiques légitimes de nos concitoyens, qui témoignent de moins en moins de confiance à l'égard des conditions dans lesquelles les juges ou les hommes politiques prennent des décisions. Ils souhaitent avant tout que l'on remédie aux dysfonctionnements quotidiens de notre justice, notamment à sa lenteur.

Ce projet apporte certaines réponses aux lacunes actuelles de la loi. La présence de l'avocat dès la première heure de la garde à vue est un réel progrès dans le sens du respect des droits de la défense. De même, l'extension du mécanisme du témoin assisté pourrait permettre d'éviter des mises en examen inutiles. Par ailleurs, le système de la fenêtre de publicité paraît refléter un bon équilibre entre la nécessité de respecter le principe fondamental du secret de l'instruction et celle d'éviter que des soupçons pèsent sur une personne faisant l'objet d'une instruction. Enfin, la limitation des conditions de placement en détention provisoire, le renforcement du droit à être jugé dans un délai raisonnable et l'amélioration de l'indemnisation des détentions injustifiées me paraissent également bienvenues. Toutefois, ces quelques améliorations me semblent insuffisantes pour assurer un meilleur respect de la présomption d'innocence.

Ainsi, un certain nombre de questions restent sans réponse. Les modalités de l'intervention de l'avocat dès la première heure semblent un peu imprécises. Quel est l'intérêt de la présence d'un avocat qui n'a pas accès au dossier de celui dont il est censé assurer la défense ? Il ne faudrait pas que sa présence soit uniquement symbolique. Si notre souci est le respect du principe contradictoire, la présence de l'avocat ne devrait-elle pas être rendue possible tout au long de la procédure ?

La commission Truche avait proposé d'enregistrer l'interrogatoire. Elle n'a pas été suivie, malgré l'accueil favorable des syndicats de policiers. Pourquoi ?

En ce qui concerne la détention provisoire la plus forte atteinte à la présomption d'innocence, il ne suffit pas d'en limiter l'application à des infractions punies d'une peine minimale et de l'indemniser quand elle est injustifiée, il faudrait en limiter la durée. Je suis favorable aux amendements en ce sens. Comment expliquer qu'une personne ayant passé deux ans en détention provisoire soit en fait non coupable ?

Je ne pense pas que la création d'un juge supplémentaire soit une véritable solution. Cela ne va-t-il pas compliquer inutilement la procédure ? Le juge sera-t-il véritablement en mesure de prendre une décision indépendante et motivée ? N'aura-t-il pas tendance à s'en remettre au juge d'instruction ? Ou au contraire, dans un prétendu souci d'équilibre ne va-t-il pas ruiner les efforts de celui-ci ?

Je m'interroge par ailleurs sur le meilleur respect de la présomption d'innocence. Disposons-nous des moyens nécessaires, ne serait-ce que pour améliorer l'indemnisation des détentions injustifiées ? Dans ce cadre, comment le préjudice moral sera-t-il évalué ? Appartiendra-t-il à la personne relaxée ou jugée non coupable d'apporter les preuves de ce préjudice ou existera-t-il un barème ?

J'en viens aux dispositions concernant la presse. Il existe déjà une législation et des règles déontologiques visant à protéger les personnes. Une application stricte et une plus grande sensibilisation des journalistes et des magistrats permettraient sans doute d'éviter de nombreuses dérives. Néanmoins, certaines dispositions du projet me paraissent intéressantes, notamment la possibilité pour le Procureur de la République d'exercer le droit de réponse à la demande d'une personne mise en examen ainsi que le système des fenêtres de publicité. Mais nous devrions aussi réfléchir à la disproportion entre la publicité médiatique autour d'une mise en examen et le silence lorsque cette personne est déclarée non coupable. La simple annonce d'une mise en examen, avec ou sans photo, a de graves conséquences sur la réputation d'une personne qu'elle soit ou non une personnalité politique. Des soupçons demeurent toujours. Or cette personne n'aura pas de moyens pour faire connaître son innocence. Dans quel cadre aborderons-nous ce problème de la preuve de l'innocence après le jugement ?

Le non-respect de la présomption d'innocence est dénoncé depuis longtemps dans notre pays. Si ce projet apporte quelques améliorations, la mentalité de notre société fait encore obstacle à un renforcement du principe de la procédure contradictoire. Dès qu'une enquête commence, nous avons des soupçons. Le bon sens populaire veut qu'il n'y ait pas de fumée sans feu. Or, les rumeurs peuvent être trompeuses. Vraiment, ce texte manque d'audace (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Jean-Pierre Michel - Ce texte est bon ; il s'inscrit dans le droit existant. J'aurais préféré que l'on passe à la procédure accusatoire. Mais je me range à vos arguments. Elle est pour les riches.

Reste que notre procédure inquisitoire présente de graves défauts. Elle recherche à tout prix l'aveu. D'où le secret et les pressions psychologiques, voire physiques.

Le texte essaye de porter remède à ces dysfonctionnements. Mais il ne va pas assez loin. Beaucoup s'insurgent contre la présence de l'avocat pendant la garde à vue. Les mêmes ou leurs prédécesseurs n'avaient pas fait grand chose pour qu'il puisse pénétrer dans le cabinet du juge d'instruction. Comme en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Espagne l'avocat doit être présent pendant toute la garde à vue et les interrogatoires doivent être enregistrés ("Très bien !" sur les bancs du groupe UDF), les enregistrements devenant des pièces de procédure. Certes la réforme ne se fera pas d'un coup. Mais les amendements de Mme le rapporteur ou les miens vont dans ce sens.

La détention provisoire est souvent utilisée comme moyen de chantage par le juge d'instruction. Je trouve donc bon qu'elle soit de la responsabilité d'un juge de la détention. Mais il faut aussi limiter le nombre et la durée de ces mises en détention, et seules des mesures objectives drastiques peuvent y contribuer -or celles que nous prenons depuis 20 ans sont de pures déclarations de principe.

Quant au secret, je suis partisan depuis toujours d'une instruction publique ("Très bien !" sur les bancs du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe du RPR). Cela règlerait les problèmes que posent les relations entre la presse et la justice. En 1978, Alain Peyrefitte, alors Garde des Sceaux, a dû retirer un projet qui allait dans ce sens et qui était équilibré.

Sur ce point vous ouvrez des fenêtres. Je préfèrerais qu'on ouvre la porte. En tout cas, que ces fenêtres ne soient pas des meurtrières. J'ai déposé un amendement pour que le président de la chambre de mise en détention ne puisse se retrancher derrière des formules toutes faites pour s'opposer à ce que l'audience soit publique.

Ce texte va dans le bon sens. Ecoutez les parlementaires qui vous proposent d'aller plus loin. Ils connaissent les réalités et savent qu'il faut concilier les principes de la liberté individuelle et l'efficacité de la répression. C'est sans démagogie qu'ils vous font ces propositions -ce ne sont d'ailleurs pas exactement les mêmes que ceux qui en 1993 s'étaient empressés de supprimer le juge délégué (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. Edouard Balladur - Toute société cherche un équilibre entre les nécessités de l'ordre et les exigences de la liberté. Dans notre conception, largement partagée, la fin ultime de la justice est d'assurer la liberté et la protection des citoyens. Or notre système judiciaire, s'il garantit mieux l'indépendance des juges, ne garantit que de manière imparfaite la liberté de chacun. C'est que notre pays, tiraillé entre l'ordre et la liberté a plus de mal que d'autres à les concilier. Tous les gouvernements de la Vème République ont essayé de remédier à cette situation -avec une volonté inégale, il est vrai. Aucun n'y est parvenu totalement. Depuis la loi de 1970 qui a transformé la détention préventive en détention provisoire, pas moins de neuf lois ont modifié la procédure pénale.

Pourtant, les garanties données au citoyen sont insuffisantes. Sur 51 000 personnes emprisonnées, 15 000 sont en détention provisoire. Est-ce toujours justifié ? Non, puisque sur les 60 000 personnes mises en examen chaque année 8 000 bénéficient d'un non-lieu. Et les atteintes irréparables à la réputation de personnes présumées innocentes se multiplient. L'instauration de la mise en examen n'y a rien changé. Nos concitoyens ont le sentiment que leurs libertés ne sont pas assez respectées et que leur dignité est malmenée. Usage de menottes, fouille au corps, emprisonnement à la veille d'un procès d'assises, toutes ces mesures doivent-elle être appliquées dans tous les cas ? La détention provisoire est-elle toujours nécessaire à l'enquête ? Surtout, à quoi sert vraiment la mise en examen, symbole de la procédure inquisitoriale dont notre pays, celui des droits de l'homme, a pratiquement le monopole ? Elle garantit les droits de la défense. Mais elle permet surtout au juge de manier l'arme de la détention provisoire sans que cette décision de mise en examen puisse être contestée publiquement et contradictoirement devant une juridiction collégiale.

Tels sont les défauts les plus manifestes de notre procédure pénale. J'ai le regret de dire que ce projet ne les fait pas tous disparaître.

Certes et il faut se réjouir que le juge d'instruction soit dessaisi du pouvoir de placer une personne en détention, et que des mesures techniques concernant la détention provisoire protègent mieux la présomption d'innocence. Mais notre droit déjà complexe et même confus n'y gagne pas en clarté. Surtout je regrette que le Gouvernement ne s'attaque pas de front à une procédure pénale inquisitoriale opaque et qui ne respecte pas suffisamment les libertés. Inutile de raccommoder. Le moment est venu de changer radicalement de système (Approbation sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Ce changement doit répondre à quelques principes simples. D'abord toute personne entendue par un juge même comme témoin doit pouvoir accéder au dossier et bénéficier dès la première heure de l'assistance d'un avocat.

En second lieu, toute personne entendue par un juge a le devoir de répondre à ses questions mais ne peut être tenue de témoigner contre elle-même.

Troisième principe, la mise en examen est supprimée. Nul ne peut être placé en détention provisoire sans avoir été au préalable mis en accusation.

M. Henri Plagnol - Très bien !

M. Edouard Balladur - La décision de mise en accusation est prise par le juge d'instruction mais doit pouvoir être contestée devant une juridiction collégiale, le tribunal de la liberté ("Très bien !" sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Ensuite toute décision limitative ou privative de liberté ne peut être prise que par ce tribunal, avec appel possible devant la chambre d'accusation.

Enfin tribunal de la liberté et chambre d'accusation doivent statuer selon une procédure contradictoire et publique.

Ces principes obéissent à une nécessité, celle de substituer une procédure contradictoire et transparente à des pratiques opaques et inexorables. Faute de les adopter, c'est-à-dire d'adopter les amendements des trois groupes de l'opposition, la réforme ne serait pas suffisante à mes yeux : ce serait un simple ravaudage.

La mise en examen par le seul juge d'instruction sans recours possible doit être supprimée ; l'accès au dossier et l'assistance d'un avocat doivent être garantis par un nouveau statut du témoin ; la mise en accusation décidée par le juge d'instruction, seule susceptible d'entraîner une détention provisoire, doit pouvoir être contestée devant une juridiction collégiale en audience publique. Telle est la réforme que nous proposons. Il faut mieux assurer la présomption d'innocence. Des exemples étrangers montrent qu'on peut y parvenir sans nuire à l'efficacité dans la recherche d'une infraction.

L'occasion nous est offerte de procéder à une réforme de société et de définir un nouvel équilibre entre ordre et liberté, plus respectueux des droits de la personne. Ce serait une réforme de liberté et elle ne porterait aucune atteinte à la sécurité.

Enfin ce pourrait être une réforme qui nous rassemble sur tous les bancs car nous avons en commun une conception exigeante de la liberté. Je souhaite donc qu'au-delà des clivages politiques du moment, la représentation nationale ait l'audace du changement et de la liberté. (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)


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MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

Au cours de la Conférence des présidents qui vient de se tenir, l'ordre du jour de l'Assemblée a été ainsi modifié :

VENDREDI 26 MARS, à 11 heures :

Déclaration du Gouvernement sur la situation au Kosovo, suivie d'un débat sur cette déclaration.


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PRÉSOMPTION D'INNOCENCE (suite)

M. Jacques Floch - Ce projet constitue l'un des principaux chapitres de la réforme nécessaire de notre justice.

De tels sujets ne laissent indifférents personne, car, chaque année, un Français sur trois a, de près ou de loin, à faire à la justice. Il découvre un système qui peut lui assurer protection et défense, il découvre souvent des femmes et des hommes de grande qualité qui font leur travail avec conscience, savoir-faire et esprit d'équilibre. Mais il peut rencontrer aussi la distorsion du droit, l'abus de procédures, l'erreur, la faute, l'irresponsabilité, et au détour d'une information médiatisée, sa vie peut basculer.

Votre texte redit avec force que toute personne, tant qu'elle n'a pas été jugée, est présumée innocente. C'est le grand article de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui est ici réaffirmé.

Mais lorsque cet article fut écrit en 1789 la médiatisation n'existait pas. Aujourd'hui la moindre information circule en temps réel dans le monde entier et elle est reprise, souvent sans contrôle parce que c'est matériellement impossible, par tous les grands supports médiatiques et par tous les nouveaux moyens de communication tels qu'Internet.

C'est pour cela que je vous trouve, que je nous trouve, ensemble, bien présomptueux d'essayer de tenter de mettre un frein aux excès.

D'autant plus que la liberté de la presse, au sens large ne doit subir aucune restriction. Tout peut être dit, tout peut être écrit, tout peut être montré. Dans une démocratie, la moindre atteinte à ce droit est perçue comme contradictoire avec un principe élémentaire. Seules les dictatures en sont capables pour un temps, mais en règle générale elles meurent ou disparaissent du fait de leur atteinte à cette liberté essentielle.

Victor Hugo, le 11 septembre 1848, disait que "la censure et la confiscation (des journaux) sont deux abus monstrueux... le principe de la liberté de la presse n'est pas moins sacré que le principe du suffrage universel..." Propos que tous les démocrates gardent en mémoire parce qu'ils font partie de leur culture.

Alors, doit-on légiférer ?

Oui, mais sans espérer que cette nouvelle législation améliore considérablement la situation. Mon pessimisme vient du fait que l'information est une marchandise qui se vend, s'achète, s'échange, se donne rarement. L'information a des supports divers qui tous appartiennent à des commerçants dont l'objectif est de rentabiliser leurs investissements. Il n'est pas neutre que dans notre pays, la plupart des grands supports appartiennent aux responsables de grands groupes économiques. Or, malgré l'indépendance annoncée des rédactions, on ne peut pas s'empêcher de penser "qui paie, commande".

Même les supports indépendants peuvent être à la merci d'une information non vérifiée, d'un écrit non authentifié, d'une enquête bâclée, voire d'une méchanceté gratuite.

Aucun journal n'est à l'abri de tels défauts. J'ai vu y succomber Le Monde, Le Figaro, Libération, pour ne citer que les plus grands. Ils savent, aussi bien que d'autres, se tromper, mentir et surtout s'empêcher, pour des raisons obscures, d'apporter démentis ou corrections.

Même chose pour les hebdomadaires. Le Canard Enchaîné, dont on dit qu'il est craint par les politiques peut lui aussi se tromper, de bonne ou de mauvaise foi. Certes, il dispose d'une rubrique spéciale où il tente de corriger ses erreurs. Mais parfois on a l'impression qu'il fait cela pour ajouter, comme disent les peintres en bâtiment, une deuxième couche. Le Point, l'Événement, le Nouvel Observateur, savent aussi ne pas faire dans la dentelle et là, il faut être un lecteur très attentif pour découvrir le mea culpa.

J'insiste sur tout cela, parce que j'éprouve un certain plaisir à le faire... Dans la région nantaise, nous disposons de deux grands journaux, l'un qui appartient provisoirement au groupe Hersant dont on connaît l'orientation politique -au moins on sait à qui on a à faire ! L'autre journal, c'est le grand Ouest-France, qui ne va pas tarder à racheter le précédent, Presse-Océan, de sorte qu'une espèce de pensée unique risque de régner sur l'Ouest de la France.

M. Michel Hunault - C'est un mauvais procès !

M. Jacques Floch - Mais au moins la rédaction de Ouest France a-t-elle mis en place un code de déontologie qui apparaît comme un réel progrès pour la protection des citoyens. Les journalistes savent éviter le spectaculaire et le non-vérifiable. C'est suffisamment rare pour le dire.

Je pourrais parler aussi de la radio, dont il est impossible d'assurer qu'elle préserve la réputation des personnes présumées innocentes. Nul ne sait quel usage fera le citoyen des informations entendues. Seuls la capacité professionnelle des journalistes et le respect de leur métier peuvent mettre un frein aux excès.

C'est évidement bien pire avec l'image télévisée et quand l'image est "bichonnée", le summum est atteint. Cela est arrivé à toutes les chaînes !

La privatisation n'a rien arrangé. Mais comme le contrôle public n'avait pas été à la hauteur, je me demande si la loi peut faire quelque chose. Car qu'est-ce qu'une amende de 100 000 F pour une chaîne de télévision d'audience nationale ?

Compte tenu de l'universalité de l'image, on peut difficilement imaginer que la loi ou le règlement puissent empêcher des diffusions délictueuses.

Je ne crois donc pas à la possibilité d'instituer un contrôle efficient. En revanche, parce que je suis optimiste en matière d'évolution de la société, je crois que le débat entre tous les acteurs peut faire émerger des règles admises par tous, afin d'éviter que des vies soient brisées.

Madame la Garde des Sceaux, vous avez bien fait de vouloir débattre de ce sujet difficile et de nous proposer des avancées pour que la présomption d'innocence soit renforcée. Encore faudrait-il qu'elle soit valable pour tout le monde ! Des affaires récentes montrent qu'il est extrêmement facile de faire fi de cette notion essentielle du droit, car le secret de l'instruction n'existe pas. Aucune enquête n'est confidentielle, on arrive même à connaître les états d'âme de certains juges avant qu'ils aient prononcé leur sentence. L'important est évidemment que le bon peuple sache ce qu'il doit savoir...

Etant incorrigible, je fais confiance à ce grand service que doit être la justice, dont l'essentiel de nos libertés dépend. Mais ma confiance serait encore plus forte si ceux dont la fonction est de dire le droit étaient responsables personnellement de leurs décisions. Car, comment peut-on dormir tranquille lorsque l'on a commis une erreur judiciaire ?

Enfin, vous avez particulièrement bien fait de proposer le renforcement du droit des victimes. L'on ne fera jamais assez pour tous ceux qui ont été victimes d'une atteinte à leurs droits, à leur image, à leur intégrité physique, à leurs biens, à leurs proches.

Voilà Madame la Garde des Sceaux, les quelques réflexions qu'à l'occasion de ce débat je voulais faire. Plusieurs de vos prédécesseurs avaient tenté une telle approche, aucun n'avait été aussi loin que vous. Mais avec un peu de bonne volonté, de savoir-faire, de compréhension, notre débat nous conduira certainement à un texte de progrès (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Marc Reymann - Ce projet renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes interpelle chacun d'entre nous, élus et simples citoyens.

Selon la presse nationale, ce projet serait sans audace et ses dispositions risquent de ne pas profiter de façon équitable à tous les prévenus.

Ce serait également un projet purement idéologique. L'association professionnelle des magistrats le qualifie "d'extravagant" et d"incohérent". La presse invoque la sacro-sainte liberté d'expression, qui serait muselée, nous privant de toute une littérature, particulièrement abondante pour les affaires en cours.

L'Union syndicale des magistrats estime que ce n'est qu'une réapparition du juge délégué créé en 1993 et qui a vite montré ses limites.

Enfin, le projet serait susceptible de léser les victimes, "intimidées" par la présence de l'avocat de la personne mise en examen lors des interrogatoires.

L'intervention de l'avocat dès la première heure de la garde à vue est une mesure de bon sens que j'approuve entièrement, de même que les exceptions à cette règle pour certaines infractions présentant une complexité et une gravité particulière.

L'institution d'un juge de la détention provisoire est une garantie supplémentaire, quand on connaît les ravages causés par une détention. Bien sûr, les moyens matériels devront suivre. Vous avez déjà, dans ce domaine, donné des preuves de volonté. Il serait souhaitable que cette politique se poursuive.

Aujourd'hui, plus de 50 000 personnes sont placées en détention avant d'être jugées. La France, dans ce domaine, détient un record peu enviable.

La détention provisoire doit rester exceptionnelle, sa durée maximale limitée. Telle est la philosophie de ce texte que j'approuve sans réserve.

L'indemnisation des détentions provisoires injustifiées sera améliorée, même si dans la plupart des cas le dommage moral causé est irréparable. Autre élément positif : l'institution d'un calendrier prévisionnel notifié au début de la procédure par le juge d'instruction.

Quant aux dispositions relatives à la communication, il est normal qu'elles suscitent des débats compte tenu de la force des médias dans notre société. Mais l'opposition des journalistes me semble tout a fait justifiée s'agissant de l'amendement de Mme Bredin qui tend à décourager la presse d'évoquer une affaire en cours. A tort ou à raison, il est interprété comme un moyen de protéger les personnalités connues. Quoi qu'il en soit, son retrait devrait apaiser le débat.

Un des reproches qui est adressé à ce projet a trait à sa faible portée puisqu'il n'intéresse que 10 % des affaires en cours et ne s'attaque guère au problème des comparutions immédiates, alors qu'elles génèrent au moins la moitié des détentions provisoires. "Plus d'égards pour les cols blancs que pour les voleurs de poules. Le texte ignore la comparution immédiate", tel est le titre d'un article récent de Libération. Je souhaite vivement que le texte soit amélioré sur ce point.

Le chantier de la réforme de la justice est difficile car il faut vaincre les corporatismes à tous les niveaux. Ce texte fait progresser les choses en tenant compte de l'attente des Français d'une justice plus humaine et plus efficace (Applaudissements sur quelques bancs du groupe du RPR).

M. Gérard Gouzes - Il est classique de dire que le code de procédure pénale permet de mesurer la conception qu'un pays se fait de la démocratie. De fait, le débat sur la procédure pénale est un débat sur les libertés publiques. La présomption d'innocence et la façon dont elle est protégée deviennent dans ce contexte le premier des principes de la liberté.

Si une présomption légale dispense de toute preuve celui qui en bénéficie, on comprend que la présomption d'innocence, posée par l'article IX de la Déclaration des droits de l'homme, ait renforcé le lien déjà admis par le droit pénal antérieur entre la faute et la responsabilité et que tout accusé étant présumé innocent jusqu'au moment où le jugement définitif constate sa culpabilité, elle oblige à relaxer au bénéfice du doute ceux contre qui la preuve n'a pas été intégralement rapportée.

Ce principe est déjà reconnu dans notre droit positif. Rappelons à ce propos que la réforme de 1993 a bien été gravé dans le code de procédure pénale par la gauche.

Mais il vous a paru indispensable, Madame la Garde des Sceaux, de le réaffirmer pour conforter quatre autres principes qui en découlent : le respect d'un délai raisonnable, le bénéfice des droits de la défense dans une procédure contradictoire, une utilisation contrôlée par l'autorité judiciaire et limitée au strict nécessaire des mesures de contraintes telles que détention provisoire, la réparation des atteintes injustifiées portées à la réputation d'un innocent à concilier avec la liberté d'expression et le droit à l'information.

Qui peut nier, en effet, la lenteur scandaleuse de certaines procédures ? Mais qui ne voit que le souci de l'efficacité et de la rapidité fait souvent fi des droits les plus élémentaires de la défense ? Qui ne mesure le drame que peut vivre un innocent injustement détenu ? Enfin, comment concilier le droit à l'expression et celui de tout citoyen à protéger son honneur et sa réputation ?

Je vois une raison supplémentaire de bien ancrer ce principe sacré de la présomption 'innocence dans l'application de plus en plus fréquente de la maxime "res ipsa loquitur" -la chose parle d'elle-même- qui conduit, de palier en palier, à la présomption de culpabilité dans tous les cas où la victime demanderesse établit qu'elle n'est pas intervenue comme acteur ou coauteur du dommage. Il me paraît en effet dangereux de chercher dans la procédure accusatoire anglo-saxonne les solutions à nos dysfonctionnements. La réforme italienne de ces dernières années est l'exemple parfait de l'échec d'un modèle plaqué sans souci de la réalité culturelle d'un pays.

Malgré toutes les lois qui se sont succédé de 1933 à nos jours en vue de réduire la mise en détention provisoire, celle-ci n'a cessé de devenir la règle. Et la durée des procédures d'instruction a augmenté de façon inquiétante. En 1996, une instruction durait en moyenne de 16 à 17 mois, contre 12 en 1992. Il paraîtrait que les informations judiciaires prennent maintenant un mois de plus chaque année, allongement qui constitue une violation de plus en plus flagrante du principe du délai raisonnable posé par la Convention européenne.

En 1970, le Parlement a créé le contrôle judiciaire, mais ce substitut à la détention a été utilisé moins pour éviter de placer en détention des individus qui, sans lui, l'auraient été que pour surveiller, en milieu libre, des individus qui auraient été, sans lui, laissés en liberté complète... Et tous les efforts du législateur pour limiter dans le temps la détention provisoire ont été rendus largement vains par le recours systématique à ce qui était conçu comme un exception. De même, la loi de 1984, qui organisait le débat contradictoire avant la mise en détention, est devenue une caricature dans laquelle le juge d'instruction et le procureur, unis d'intérêt, préjugeaient largement de la culpabilité du "présumé innocent". Depuis, nous avons tout imaginé... Je pense notamment à la loi du 10 décembre 1985, qui prévoyait trois juges. Voilà où nous conduisent les errements d'une pensée qui croit résoudre les difficultés en plaquant sur notre système inquisitoire des pans entiers de procédure accusatoire. Mais nous ne sommes pas là pour nous délivrer des brevets de défenseurs des Droits de l'homme. Là comme ailleurs, le fondamentalisme et l'intégrisme n'ont qu'une vocation et qu'une seule issue : la persécution par la surenchère, le martyre par l'immolation.

La surenchère sur ce texte n'est pas de mise. Celui-ci constitue en effet une avancée notable que nous devons soutenir sans oublier ni les victimes ni la recherche de la vérité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Michel Hunault - Alors qu'il est de tradition qu'un Garde des Sceaux s'abstienne d'évoquer une affaire en cours, vous avez, Madame, fait référence à l'horrible crime de Boulogne-sur-Mer à propos des détentions provisoires prolongées. Je voudrais pour ma part rappeler que, lors de l'examen du projet sur les crimes sexuels, vous vous étiez personnellement opposée à des amendements venant de nos rangs qui tendaient à remettre en cause l'automaticité des remises de peine et des libérations anticipées pour les criminels sexuels. Dans l'affaire de Boulogne-sur-Mer, les personnes en cause avaient été condamnées à des peines de 15 à 20 ans de réclusion, mais n'en ont purgé que sept...

J'en reviens à ce projet, qui tente de concilier des impératifs a priori contraires : le respect des libertés fondamentales -ce qui implique de mieux protéger la présomption d'innocence- et l'efficacité de la répression, tout en renforçant les droits des victimes.

Qu'il s'agisse de la garde à vue, du statut de témoin assisté, de la manière de traiter la personne innocente ou encore du placement en détention provisoire, ce projet contient des avancées réelles, même s'il ne marque pas de véritable rupture.

J'évoquerai tout d'abord la meilleure prise en compte, dans le titre II, des droits des victimes, qui ont trop longtemps été absentes du procès pénal.

Nous avons vu récemment, à l'occasion du procès devant la cour de justice de la République, combien pouvait être vécu cruellement un procès dans lequel les victimes n'ont pu s'exprimer, ni même se constituer partie civile.

La victime doit trouver sa place dans le procès pénal et l'action en sa faveur doit être renforcée à toutes les phases de la procédure. J'approuve donc particulièrement l'article 28 qui, pour la première fois consacre le rôle des associations d'aides aux victimes, ainsi que les articles 29, 30 et 31 qui simplifient certaines procédures de façon à faciliter l'accès de la partie civile au procès pénal.

J'en reviens à la présomption d'innocence.

Dans un état de droit comme le nôtre, tout ce qui tend à préserver le présumé innocent impose un encadrement juridique structuré : une garde à vue mieux contrôlée, les droits des parties renforcés, une détention provisoire moins fréquente, des délais de procédure et de détention provisoire plus raisonnables. Ces principes sont réaffirmés dans ce texte et c'est tant mieux.

Reste à s'interroger sur les moyens dont vous disposerez pour l'appliquer. A ce propos, je salue la proposition de M. Donnedieu de Vabres tendant à faire mieux respecter les lois de programmations.

L'intervention de l'avocat dès la première heure de garde à vue est une bonne disposition mais, au-delà, ce sont les droits des personnes placées en garde à vue qu'il faut mieux protéger en même temps qu'il convient de dénoncer certaines pratiques humiliantes -gardes à vue dans des endroits inappropriés, menottes, fouilles au corps...

Que par ailleurs, le Gouvernement veuille donner un nouvel élan au statut de témoin assisté, je m'en félicite, mais le projet ne va pas assez loin. Je salue donc la proposition d'Edouard Balladur de supprimer la mise en examen.

M. Arnaud Montebourg - La mise en examen de qui ?

M. Michel Hunault - La détention provisoire, dont Mme Bredin et M. Touret ont parlé hier avec émotion, est utilisée souvent comme moyen de pression. Constituant un véritable préjugement, elle a fait dénoncer la France par la Cour européenne de droits de l'homme en raison de la durée excessive dans notre pays.

Quelques mots sur le secret de l'instruction. Je serais personnellement assez favorable à sa suppression, car il est souvent perçu comme un moyen d'étouffer les affaires. La presse saura bien, avec ses règles déontologiques, apprécier l'opportunité de traiter telle ou telle affaire et respecter la personne.

Enfin je voudrais soulever le "délicat" problème de la prescription des délits financiers...

M. Arnaud Montebourg - Nous y voilà ! C'est le seul sujet qui vous passionne.

M. Patrick Devedjian - Fouquier-Tinville !

M. Michel Hunault - ...on pourrait légiférer dans la sérénité, en décidant que le texte voté ne s'appliquera que pour l'avenir.

J'ai été le rapporteur d'un texte difficile, à l'unanimité voté par les deux assemblées, celui qui permet de lutter contre le blanchiment de l'argent sale. Je suis intervenu au Conseil de l'Europe sur la nécessité d'adopter la convention pénale internationale et j'ai déposé une proposition pour réformer les modes des marchés publics. On ne peut donc m'accuser de penser à tel ou tel dossier !

M. Arnaud Montebourg - Vive l'amnistie !

M. Michel Hunault - Gardez votre sang-froid ! Ce projet de loi présente donc des avancées réelles, mais je souhaite que le Gouvernement soit attentif aux amendements. Notre démocratie, pays des droits de l'homme, a des progrès à faire dans le respect des droits essentiels de l'individu présumé innocent tant que non jugé. Ce projet est examiné sur le fond d'une actualité de passion. Puisse-t-il cependant s'améliorer au cours de la discussion, et contribuer à mieux préserver la dignité de l'individu (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Christophe Caresche - Voici un texte sur la présomption d'innocence qui s'inscrit dans le cadre de la réforme de la justice voulue par le Gouvernement, mais aussi par le Président de la République. Il revêt à mon sens une importance particulière, car la présomption d'innocence est un principe essentiel de l'Etat de droit, trop souvent méconnu voire bafoué.

Le projet contient des avancées importantes, reconnues sur tous les bancs, même s'il fait l'objet de certaines critiques.

M. Pierre Albertini - Peut mieux faire !

M. Christophe Caresche - L'opposition nous dit certes qu'il faut aller plus loin. Pourtant, chaque fois qu'elle a eu l'occasion "d'aller plus loin", ces dernières années, elle ne l'a pas fait.

M. Gérard Gouzes - Elle a fait marche arrière !

M. Christophe Caresche - Le texte d'aujourd'hui relève de la même inspiration que la loi votée en janvier 1993, qui contenait toute une série de dispositions visant à renforcer la présomption d'innocence, telle la présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue, ou la collégialité. Or, ces dispositions ont été abrogées dès juillet 1993 par le gouvernement de M. Balladur.

M. Arnaud Montebourg - On s'en souvient !

M. Christophe Caresche - M. Philippe Houillon, qui nous a dit hier que ce projet "n'était pas à la hauteur de la bande-annonce", était en 1996 rapporteur de la commission des lois, mais tous ses amendements ont été refusés par le Gouvernement. Il aura au moins la satisfaction de les voir repris dans le présent projet de loi.

Ainsi la droite est-elle libérale lorsqu'elle est dans l'opposition et conservatrice dans la majorité ! ("Très bien !" sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

Au reste, on peut s'interroger sur la sincérité de cette conversion, quand on lit un document du RPR de décembre 1998, qui résume ses principales propositions en matière de sécurité.

M. Gérard Gouzes - C'est Devedjian !

M. Christophe Caresche - Je n'y ai vu aucune référence à la présomption d'innocence, aucune dénonciation du recours abusif à la détention provisoire. Mais j'y ai lu que, "malgré la fermeté qu'il affiche dans ses discours récents, le Gouvernement ne lutte pas contre l'impunité régnante et continue de traiter les coupables comme des victimes". A propos du Royaume-Uni, je n'y ai pas vu l'éloge de l'habeas corpus, mais la satisfaction de voir que les réponses apportées par le nouveau gouvernement britannique n'aient rien à envier, pour leur sévérité, à celles des gouvernements conservateurs.

Quand on lit cela, quand on écoute certaines questions au Gouvernement, on a des doutes sur votre engagement dans cette discussion. Mais vous pouvez les lever. Hier, M. Houillon a considéré qu'il n'était pas acceptable que l'avocat n'intervienne qu'à la 36ème et à la 72ème heure de garde à vue, considérant qu'il n'y a pas de raison objective d'instituer une présomption d'innocence à deux vitesses". Le RPR va-t-il lancer une grande campagne d'information pour expliquer aux Français la position de M. Houillon ?

M. Robert Pandraud - Il n'est pas RPR !

M. Christophe Caresche - La position de la droite dans ce débat me paraît purement conjoncturelle. Vous ressentez sans doute, après les débats sur le PACS, et la parité, la nécessité de porter un message de liberté. Peut-être aussi n'êtes-vous pas en accord avec le Président de la République sur le sens à donner à la réforme de la justice ? Nous savons que beaucoup d'entre vous sont hostiles à l'indépendance du parquet.

M. Michel Hunault - C'est vrai.

M. Christophe Caresche - Or, cette orientation a été définie par le Président de la République à la suite du rapport Truche. Les positions de la droite ne sont donc pas dénuées d'ambiguïté ou d'arrière-pensées. Pour ce qui nous concerne, nous soutenons le projet parce qu'il est à la fois ambitieux et équilibré, et qu'il correspond aux nécessités d'une justice soucieuse des libertés individuelles (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Guy Hascoët - Nous soutenons l'ensemble de la réforme engagée, et nous considérons que ce texte apporte des progrès décisifs, en ce qui concerne notamment le droit des victimes et le statut de témoin assisté. J'espère qu'il permettra de réduire les abus de la détention provisoire.

Il faut s'efforcer d'empêcher que les exigences de l'audimat n'entraîne des pressions sur la justice. Pourquoi ne sanctionne-t-on pas tel reportage-bidon sur les ventes d'armes en banlieue ? Comment ne pas s'indigner que le photographe qui a pris hier un cliché de Michel Crépeau, ait trouvé aujourd'hui un média pour le publier ? Mais je crains que ce débat ne soit étouffé à cause de l'ambiance actuelle.

A vrai dire, il faudrait aller au bout de la logique, et protéger les libertés de tout le monde.

Quiconque a fréquenté les tribunaux ordinaires aura constaté que la justice n'est pas également sévère selon l'âge, ou selon la capacité de se défendre des prévenus. Il ne faudrait pas que le sentiment se répande qu'il y a d'un côté des devoirs et de l'autre des passe-droits. Pour réconcilier les citoyens et la justice, il faut supprimer le plus possible l'arbitraire.

De ce point de vue, j'ai été un peu surpris de certains débats en commission. A propos de la garde à vue, nos voisins européens ne sont pas irresponsables : pourquoi ne pas mettre fin à l'exception française ? Et si nous renforçons la présomption d'innocence, qu'avons-nous besoin de cette comparution immédiate qui entraîne des jugements prononcés dans la confusion et la précipitation ? On ne peut se satisfaire qu'il y ait une justice pour ceux qui savent se défendre, et une autre qui broie ses victimes. Cela mérite une réflexion, et nos amendements répondent à ce souci. Enfin, je ne comprends pas qu'on refuse le droit au silence si on ne permet pas d'avoir accès à un avocat dès le début de la garde à vue.

Ce n'est pas ainsi que l'on fera disparaître certaines situations qui nous valent parfois une réprobation internationale. Souhaitons-nous vraiment garantir le respect de la dignité de chacun ou acceptons-nous de laisser se perpétuer des enclaves d'arbitraire dans notre République ?

La paix sociale et la réconciliation de tous les citoyens avec les règles républicaines exigent de ne pas laisser s'accentuer le divorce entre la jeunesse, la police et la justice. Ne rêvons certes pas que les soldats du roi embrassent la foule de la cour des miracles ! Mais n'envoyons pas les archers face à ceux qui défendent le droit d'asile ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et plusieurs bancs du groupe socialiste)

M. Jacques Myard - La justice est la pierre angulaire de toute société. Les Français placent d'ailleurs depuis fort longtemps l'exigence de justice avant celle de liberté. Or, leurs sentiments à l'égard de la justice de leur pays sont aujourd'hui très mêlés.

Vous avez l'ambition, par le biais de ce projet de loi relatif à la présomption d'innocence, de réconcilier nos concitoyens avec leur justice. Malheureusement, vos moyens ne sont pas à la hauteur de vos objectifs.

En matière de procédure pénale, la présence de l'avocat dès la première heure de la garde à vue et la création de juges de la détention peuvent garantir un meilleur respect des libertés individuelles... à certaines conditions -que je préciserai. Mais plusieurs autres dispositions du projet contribueront à rendre la situation encore plus confuse qu'aujourd'hui.

Les parties pourront en cours d'instruction demander au juge de procéder à tout acte qu'elles jugent nécessaire à la manifestation de la vérité. Les manoeuvres dilatoires risquent ainsi de se multiplier, retardant d'autant le jugement.

Les avocats des parties pourront poser directement des questions aux témoins, au risque de les déstabiliser mais aussi de personnaliser le procès pénal.

Les procédures seront accélérées afin que chaque justiciable puisse être jugé dans un délai raisonnable. Ainsi le procureur pourra-t-il, après un délai de huit mois, saisir le président du tribunal qui autorisera ou non la poursuite de l'enquête. Mais c'est confondre les rôles respectifs du procureur et des magistrats du siège. C'est également prendre le juge d'instruction pour Madame Soleil que de lui demander de notifier un calendrier prévisionnel en début de procédure.

On confond le rôle des avocats et celui du procureur en proposant que ce dernier puisse exercer le droit de réponse prévu notamment dans la loi sur la liberté de la presse, à la demande d'une personne mise en cause à l'occasion d'une procédure pénale.

Plus grave encore, l'exécution provisoire de référé en matière de presse sera limitée, si ses conséquences sont excessives. Imaginez, Madame le Garde des Sceaux, qu'un ouvrage vous traîne dans la boue. Sa saisie en référé pourra vous être refusée au motif qu'elle mettrait en péril l'entreprise de l'imprimeur.

Quant aux fenêtres de publicité réservées au Parquet, elles suscitent chez moi une grande réticence car elles risquent d'entraîner les magistrats sur une pente médiatique.

On le voit, ce projet a été élaboré à la hâte et ne répond pas à la situation. Pour réconcilier les Français avec la justice, il ne suffit pas de modifier quelques règles de procédure. Le mal est plus profond. Il faudrait lutter contre la pénalisation excessive de notre société. Un manquement à une règle du droit administratif est devenu délit pénal !

M. Arnaud Montebourg - Vous avez voté cette mesure.

M. Jacques Myard - Non, elle date de 1992. Le tableau Natinf de la Chancellerie recense 15 000 infractions contre 9 000 il y a quelques années. Il faudrait dépénaliser certaines d'entre elles et cesser de rechercher toujours non pas seulement un responsable mais aussi un coupable. Avec le code pénal actuel, la moitié de la population française pourrait être sous les verrous.

Enfin, ce projet ne répond pas à la situation. D'une part il fait l'impasse sur les moyens financiers. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 6 000 magistrats en 1914, 6 300 en 1999 ! Les futurs juges de la détention seront débordés et risquent de ne faire qu'entériner les décisions des juges d'instruction.

D'autre part, ce projet ne dit mot des hommes, ce qui est pourtant essentiel lorsqu'il s'agit de rendre la justice. Aujourd'hui, certains magistrats poursuivent d'abord un combat politique, conduisant le justiciable à penser qu'il est jugé selon l'appartenance politique de celui qui le juge. Il faut ramener la sérénité dans la justice et rappeler aux magistrats leur devoir de réserve.

Le chantier de la justice est immense : votre projet est loin de s'y attaquer vraiment (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

Mme la Garde des Sceaux - Je remercie les orateurs qui ont souligné sur tous les bancs, y compris de l'opposition, que ce projet comportait des avancées comme l'amélioration des conditions de la garde à vue ou de la détention provisoire.

La réforme que nous propose le Gouvernement s'adresse à tous les citoyens : elle doit pouvoir s'appliquer à tous les justiciables, qu'ils soient riches ou pauvres, puissants ou M. Mme Tout-le-monde, connus ou inconnus. C'est d'ailleurs pourquoi nous avons privilégié les mesures relatives à la garde à vue et à la détention provisoire qui concernent davantage M. Mme Tout-le-Monde que la mise en examen par exemple. En effet, celle-ci pour eux reste le plus souvent secrète et ne donne lieu à aucun commentaire quand elle gêne au contraire les personnes plus connues ou plus puissantes, portant atteinte à leur réputation.

J'ai lu avec grande attention l'article que M. Balladur a publié dans Le Monde ces jours derniers et écouté ses interventions à la radio et dans cet hémicycle. J'y ai attaché d'autant plus d'importance qu'il n'est pas homme à s'exprimer avant d'avoir réfléchi.

Je ne pense pas, contrairement à lui, qu'il convenait de mettre l'accent sur la mise en examen qui n'est pas la mesure susceptible de concerner le plus grand nombre. Il est en outre assez paradoxal -on peut certes toujours se repentir- de proposer aujourd'hui une grande réforme de la procédure pénale alors que rien n'a été fait entre 1993 et 1997. Le gouvernement de l'époque disposait déjà du rapport Delmas-Marty : il n'en a rien fait ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste). Certes, une réforme du CSM a été engagée, qui a constitué un premier pas important. Mais elle n'a pas été menée à son terme, les garanties accordées aux magistrats du siège n'ayant pas été étendues aux magistrats du Parquet. La réforme du CSM que propose ce gouvernement qui apporte une solution au problème, en application d'ailleurs des recommandations du rapport Truche, est dans l'attente de son approbation par le Congrès.

Par ailleurs, la loi d'août 1993 a supprimé le juge délégué institué par une majorité de gauche afin de contrôler le placement en détention provisoire. Cette même loi a aussi supprimé la présence de l'avocat dès la première heure de la garde à vue qui devait entrer en application le 1er janvier 1994 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Il est très important de confier le contrôle de la détention provisoire à un magistrat spécifique et je répondrai précisément à Mme Boutin sur ce point.

Faut-il confier la mise en accusation à un autre juge que le juge d'instruction ? Ce serait dépouiller ce dernier de ses prérogatives, le réduisant à n'être qu'un "super officier de police judiciaire". Ce serait laisser le mis en examen seul face à l'accusation et supprimer le contrôle juridictionnel de l'enquête.

M. Mermaz a abordé la question des comparutions immédiates, comme d'ailleurs MM. Hunault et Reymann. Le projet concerne directement cette procédure puisqu'il renforce les droits des parties à l'audience, et améliore les droits des gardés à vue, toutes dispositions qui valent pour la comparution immédiate.

J'ai bien entendu, Monsieur Gerin, votre plaidoyer très argumenté en faveur de la collégialité. Qui ne voudrait pas de la collégialité ? Mais je sais trop que les échecs des réformes précédentes sont dus à la pénurie de magistrats pour m'engager aujourd'hui dans cette voie. Rien n'interdit de l'envisager pour l'avenir, mais déjà, deux c'est mieux qu'un...

Je suis comme vous très attachée à l'amélioration du sort des victimes. Le Gouvernement compte sur le rapport que Mme Lienemann remettra dans les prochains jours au Premier ministre pour enrichir le débat.

Parmi de nombreux sujets, Frédérique Bredin a évoqué la situation des détenus. La diminution du nombre de détentions provisoires permettra de fait de désengorger les maisons d'arrêt. D'importants efforts ont été réalisés depuis deux ans. Cinq millions ont été dégagés pour qu'une trousse minimale soit remise aux plus démunis, à l'entrée comme à la sortie. Dans les établissements encore concernés, on est passé de deux à trois douches par semaine. Deux milliards d'investissement sont consacrés à la construction de six nouveaux établissements. Les centres de peines aménagées permettent de séparer prévenus, condamnés à de courtes peines et en instance de sortie d'une part, condamnés à de plus longues peines d'autre part.

Presque tous les orateurs se sont émus des conditions faites aux personnes en détention provisoire, d'autant que mille d'entre elles sur 15 000 seront reconnues non coupables. C'est beaucoup trop et quand bien même il n'y en aurait qu'une, ce serait encore trop.

Je salue à ce propos l'évolution spectaculaire, par rapport au débat sur la proposition de M. Tourret, des députés de l'opposition. M. Warsmann annonçait gravement que cela ferait sortir 11 000 personnes de prison. M. Mariani s'inquiétait de ce laxisme. Je n'aurais pas la cruauté d'en citer d'autres.

M. Arnaud Montebourg - Si, soyez cruelle ! (Sourires)

M. Patrick Devedjian - Notre évolution est moindre que celle du Gouvernement sur les privatisations...

Mme la Garde des Sceaux - Ne vous mettez pas en colère.

M. Alain Tourret - Je les ai convaincus, j'en suis fier...

Mme la Garde des Sceaux - Souvent homme varie, surtout dans l'opposition...

M. Gérard Gouzes - Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis !

M. Patrick Devedjian - Vous devez être très intelligent...

Mme la Garde des Sceaux - MM. Tourret et Hunault ont évoqué le délai de prescription. Que les choses soient claires : non seulement je ne vous propose en rien de réduire le délai de prescription pour l'abus de bien social, mais je serai résolument hostile à toute proposition à ce propos, d'où qu'elle vienne.

M. Arnaud Montebourg - Nous aussi !

Mme la Garde des Sceaux - La réforme du droit économique que M. Tourret appelle de ses voeux est engagée. Nous avons entrepris celle des tribunaux de commerce dont la traduction législative vous sera soumise, je l'espère, au cours du deuxième trimestre. Nous poursuivons aussi la réflexion sur la réforme de la grande loi sur les sociétés de 1966.

En ce qui concerne la lutte contre la corruption, si des changements étaient proposés par le Gouvernement, ce serait dans le sens d'une plus grande sévérité (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

Mme Boutin doute que l'action du juge de la détention puisse être efficace. Pourquoi un tel procès d'intention ? La seule réforme menée jusqu'ici en la matière, celle par laquelle M. Badinter, en décembre 1985, a institué le débat contradictoire devant le juge d'instruction, a permis de ramener de 50 à 40 % le taux de détention provisoire. A ce propos, M. Balladur a cité le bon chiffre : 55 000, dont 15 000 détentions provisoires proprement dites et le reste en attente de recours ou de décisions de justice.

La réforme que je vous propose a le grand mérite de pouvoir être appliquée car j'en ai les moyens. M. Myard a rappelé que le nombre de magistrats était passé de 6 000 en 1914 à 6 300 actuellement, mais sur ces 300 créations en 85 ans, 210 sont dues à ce Gouvernement depuis deux ans. Ce n'est pas un si mauvais début...

M. Jacques Floch - Très bien !

Mme la Garde des Sceaux - Sur la carte judiciaire, M. Devedjian s'est montré excessif et inutilement agressif. A mon arrivée au ministère, j'ai trouvé un décret hâtivement préparé par mon prédécesseur et qui prévoyait la création d'un nouveau tribunal de commerce à Montélimar alors que rien ne la justifiait et que M. Toubon se prévalait d'une réflexion d'ensemble sur la carte judiciaire. J'ai évidemment stoppé cette création et je l'ai expliqué aux élus.

Si j'ai engagé la réforme de la carte des tribunaux de commerce, ce n'est pas pour différer celle des autres tribunaux mais en raison des abus dénoncés par votre commission d'enquête qui montrait que trop de proximité conduit à la promiscuité. Cette réforme sera achevée à la fin de l'année. D'ores et déjà six cours d'appels ont été étudiées et des propositions ont été faites.

Si j'ai décidé, avant la refonte globale de la carte judiciaire, de transformer le TGI de Bressuire en chambre détachée du TGI de Niort, c'est parce qu'un projet de rénovation allait engager des sommes très importantes et que je refusais un tel gaspillage alors que nous savions qu'une restructuration était à faire. Il y a ceux qui parlent et ceux qui agissent ! Je continuerai à agir.

Je remercie Jean-Pierre Michel d'avoir dit très simplement qu'après avoir été longtemps partisan de la procédure accusatoire, il se ralliait au choix que nous faisons ensemble, Gouvernement et majorité, de garder notre procédure et le juge d'instruction. Il a toutefois critiqué le secret de l'instruction, au motif qu'il permettait toutes les pressions et qu'il ne rompait pas avec la religion de l'aveu.

Mais pour rompre avec la religion de l'aveu, nous avons déjà la réforme de la garde à vue et le contrôle de la détention provisoire.

Surtout, l'article 11 du code de procédure pénale concerne le secret de l'enquête et de l'instruction. Ce secret a pour fondement les nécessités de l'enquête.

D'ailleurs, un ouvrage de M. Spencer que je conseille à chacun montre que, y compris en Grande-Bretagne, la recherche des preuves est absolument secrète. Il faut bien différencier cette fonction d'investigation et les fonctions juridictionnelles qui, elles, doivent être publiques. C'est pourquoi on ne peut supprimer le secret, mais permettre qu'il y ait des débats contradictoires à des moments précis de la procédure juridictionnelle.

Je pense que ce projet devrait conduire à un travail mieux coordonné entre policiers et magistrats, et qu'ils s'appuient plus sur des expertises et investigations techniques pour ne plus sacrifier à cette religion de l'aveu encore trop présente.

Je remercie Mme Catala qui, en souhaitant des améliorations pour la dignité des personnes -nous serons attentifs sur ce point- partage le choix du Gouvernement de conserver la procédure inquisitoire.

Finalement quelle est la ligne de partage ? Ceux qui demandent à améliorer le texte sont tentés par la procédure accusatoire à l'anglo-saxonne. Je n'y suis pas favorable. J'ai pris soin de m'informer aux Etats-Unis, et surtout au Royaume-Uni, temple de l'habeas corpus et de la liberté individuelle. J'y ai vu des praticiens, des policiers, autant que des ministres et des universitaires. J'y ai entendu qu'on créait des Crown prosecutors, des procureurs indépendants ; que la police faisait ce qu'elle voulait avec très peu de contrôle juridictionnel. A la Cour européenne des droits de l'homme, c'est du Royaume-Uni que viennent les recours les plus nombreux contre des atteintes à la liberté individuelle en raison de l'inflation du contentieux. La justice britannique correspond de plus en plus à ce qu'en disait Lord Chancellor au XIXème siècle : "chez nous, tout le monde peut avoir accès à la justice comme tout le monde peut avoir accès au Ritz". La procédure accusatoire, séduisante à première vue, est bonne pour les riches qui peuvent s'offrir certains avocats, pas pour les autres.

Je remercie M. Montebourg, Caresche et Gouzes d'avoir décrit avec talent les avantages de notre système et les inconvénients de l'autre.

Bien entendu, comme M. Balladur, je souhaite que nous puissions nous rassembler. Je pense que mes propositions sont de nature à rassembler le plus grand monde. Cette réforme a été commandée par le Président de la République. Elle résulte du rapport de la commission Truche, dont le Président de la République a souligné l'intérêt. Notre réforme est la mise en oeuvre du rapport Truche...

M. Patrick Devedjian - Non. Vous abandonnez ce qui concerne la responsabilité.

Mme la Garde des Sceaux - Sur les 15 propositions de ce rapport concernant la procédure pénale et les questions de presse...

M. Patrick Devedjian - Vous abandonnez la séparation.

Mme la Garde des Sceaux - Il n'y en a que trois que je ne retiens pas. Il s'agit de l'enregistrement en garde à vue. J'y reviendrai. Je suis réticente car je doute qu'on puisse le faire dans de bonnes conditions. Je refuse que l'on interdise de citer le nom de personnes mises en cause, car ce serait une atteinte grave à la liberté de la presse.

Enfin, je refuse de modifier l'article 9-1 du code civil car il existe suffisamment de procédures de référé pour réagir rapidement à une atteinte intolérable à la réputation d'une personne.

Tout le reste des propositions...

M. Patrick Devedjian - Faux.

Mme la Garde des Sceaux - ...est pris dans le rapport Truche, dans ses quinze -ou vingt peut-être- propositions.

S'il y a une différence, c'est que le mandat donné en 1996 par le Président de la République portait sur deux axes, la présomption d'innocence et l'indépendance du Parquet. Nous avons ajouté la justice de proximité, car le fonctionnement de la justice au quotidien importe avant tout. Sur ce point on ne dira jamais assez l'importance de la loi du 18 décembre 1998 sur l'accès au droit, avec les maisons de la Justice, les centres départementaux d'aide juridique, la possibilité de transaction, le décret sur la procédure civile -on ne l'a pas oubliée, M. Albertini ! Si nous avons été infidèles au rapport Truche, c'est en lui ajoutant ce volet essentiel.

Encore faut-il appliquer la réforme. M. Devedjian me reprochait de ne rien avoir proposé sur la responsabilité des magistrats et la commission de recours des citoyens. Ces dispositions doivent figurer dans l'un des deux projets de loi organique qui doivent suivre le projet de loi constitutionnelle sur le Conseil supérieur de la magistrature.

M. Arnaud Montebourg - Que fait M. Chirac ?

Mme la Garde des Sceaux - Tant que le Congrès ne l'aura pas approuvée je ne peux pas envoyer au Conseil d'Etat les deux projets de loi organique nécessaires pour compléter cette réforme. Plus vite le Congrès sera réuni, plus vite on pourra achever cette réforme globale qui n'est pas un ravaudage mais va bien plus loin que tout ce qui a été fait ces dernières années -y compris de 1993 à 1997 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. le Président - En application de l'article 91, alinéa 9 du Règlement, j'appelle les articles du projet dans le texte du Gouvernement.

ARTICLE PREMIER

M. Claude Goasguen - Cet article est déclaratif. Mais je dois dire d'abord que les propos du ministre nous ont profondément déçus. Elle n'a pas répondu à nos questions précises. J'espère qu'au cours du débat elle répondra au moins sur la modernisation de l'ordonnance de mise en examen.

Ses réponses étaient finalement d'un conservatisme consternant. Nous attendions un débat contradictoire. Elle a fermé la porte. Le texte, malgré quelques aménagements qui vont dans le bon sens, sera donc loin de la philosophie initiale du rapport Truche, pour une réforme moderne de la justice. Je le regrette et certains dans la majorité le regrettent aussi.

M. Guy Hascoët - Cet article définit le principe fondamental du respect des droits de la défense et de la personne. Mais l'affirmer ne suffit pas. Il faut l'appliquer, sans exception ici ou là. Je souhaiterais plus d'éléments d'appréciation à ce sujet.

M. PIerre Albertini - Nous étions unanimes sur l'intérêt pédagogique de rappeler certains principes en tête du code de procédure pénale. Cela dit, cette proclamation de principes pose quand mêmes quelques questions.

La première est celle de l'effectivité : il ne faut pas tomber dans le piège de la fascination des mots. Sommes-nous en état de passer de la proclamation au respect réel de ces principes ? J'en doute.

Deuxième point, cette déclaration est incomplète : n'y est pas cité le principe de l'indépendance et de l'impartialité des tribunaux, posé à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Elle ne contient rien non plus sur le caractère collégial de toute décision privative de liberté. Même si nous ne sommes pas matériellement en état de le réaliser dès maintenant, c'est un terme vers lequel il faut aller.

Enfin vous parlez d'équilibre des droits des parties : mais dans l'instruction, c'est le juge d'instruction qui continue à diriger.

Nous avions proposé, avec M. Balladur, de changer de logique, non par esprit d'imitation béat de l'étranger -il n'y a pas de procédure idéale-, mais parce que nous sommes au bout de la logique appliquée depuis deux siècles et qu'elle n'est plus amendable qu'à la marge. Nous proposons de passer à un système affirmant le caractère complètement contradictoire de la procédure. On nous objecte que c'est un système "libéral", favorisant les riches. Mais l'inégalité existe déjà dans notre procédure. La politique est toujours le choix entre deux risques : entre le risque de quelques abus et la logique défectueuse de notre système, nous pensons qu'il faut franchir le pas et passer à une procédure totalement contradictoire.

M. Jérôme Lambert - L'article 1 réaffirme une conception du procès pénal fondée sur la déclaration des droits de l'homme et la convention du Conseil de l'Europe. Il convient, en effet, de rappeler de manière solennelle des droits fondamentaux tels que la présomption d'innocence, le respect des droits de la défense, la proportionnalité des contraintes pesant sur les personnes suspectées ou poursuivies, le droit à une procédure dans un délai raisonnable, la nécessité de prévenir, réprimer et éventuellement réparer les atteintes à la réputation de personnes, mais aussi la garantie des droits de victimes au cours de toute la procédure pénale.

Ce sont là des principes que personne ne pourra contester. Encore faut-il qu'il en soit fait bon usage.

La présomption d'innocence ne peut empêcher la suspicion publique quand des noms, des visages, sont connus comme étant mêlés à des affaires pénales. Présomption judiciaire contre suspicion publique, sans doute faudra-t-il encore beaucoup de chemin pour que le citoyen prenne pleinement conscience de la nécessité de l'une pour éviter les débordements de l'autre.

Les droits de la défense sont aussi, au regard de la loi, les mêmes pour tous, mais, là aussi, la réalité prend parfois un autre chemin.

Le principe du contradictoire est lui aussi rappelé, mais notre droit préserve, et c'est une bonne chose, le système inquisitoire, qui est le nôtre. Certains auraient préféré que notre juge d'instruction se transforme en procureur, portant l'accusation, face à une défense renforcée. Ce système anglo-saxon n'évite pas les excès ni les erreurs judiciaires, nous en avons vu récemment quelques illustrations.

Le projet entend établir un meilleur équilibre entre l'efficacité de l'enquête et les droits des parties. Les droits de la défense sont renforcés mais dans des conditions qui ne compromettent pas l'efficacité des investigations et la nécessité d'une juste répression.

Plusieurs dispositions permettront dans le texte de répondre au souci d'imposer des délais raisonnables aux procédures. Il n'est pas normal que certains attendent en prison pendant plusieurs mois des résultats d'analyse ADN. Ce principe permettra donc de considérables améliorations dans le traitement des affaires.

Est aussi affirmé un équilibre entre la liberté d'expression et le respect de la présomption d'innocence. Cet équilibre peut paraître générer des contradictions mais la situation dans ce domaine me paraît relativement satisfaisante par rapport à d'autres pays. Notre presse n'est pas parfaite, notre justice non plus, nos responsables politiques pas davantage, et plus généralement notre société est loin de nous satisfaire... mais notre souci n'est pas de tout détruire, mais d'apporter des améliorations et de répondre aux problèmes qui surviennent. Les principes qui sont affirmés à l'article 1 participent à cette volonté constructive.

Il en est ainsi du droit des victimes, avec la consécration du rôle fondamental des associations d'aide aux victimes et la simplification des dispositions permettant aux victimes de se porter parties civiles et de demander des dommages et intérêts.

Cet article 1 doit permettre à nos concitoyens de renforcer leur confiance dans la justice -une justice plus transparente, plus rapide et plus soucieuse de la protection de personnes.

Voilà ce qui motive, Madame la ministre, mon adhésion aux grands principes affirmés dans cet article 1.

M. Alain Tourret - Faire une déclaration dans un article préliminaire est louable, mais peut-être dangereux. Louable parce qu'il est important de rappeler certains principes. Mais comment ces principes généraux vont-ils être interprêtés par la jurisprudence ? Nous allons vers la situation qui amène le Conseil constitutionnel à interpréter la déclaration de 1946. Un nouvel état de droit va se créer, mais au coup par coup.

Peut-être aurait-il mieux valu simplement rappeler la Déclaration des droits de l'homme et la Convention européenne des droits de l'homme, dont s'inspire largement cet article. N'aurait-on pu insister davantage sur les principes les plus importants, à savoir la présomption d'innocence et l'indemnisation des victimes ? Aucune mention n'est faite de la dignité des personnes, alors que nous avons tous souligné les graves atteintes à la dignité qui se produisent pendant la garde à vue et la détention : on aurait pu faire progresser la jurisprudence en employant ce terme.

Enfin il serait bon de rappeler que le rôle de l'instruction est d'instruire à charge et à décharge : dans les faits elle se fait le plus souvent à charge.

M. Gérard Gouzes - Nous voici au début du texte, ce qui nous conduit à énoncer certains grands principes, mais je voudrais que l'on ne perde pas de vue pour autant le terrain, car on ne fait pas de bonnes lois seulement avec de bons sentiments. Il ne suffit par exemple pas d'écrire dans la loi que le magistrat instruit à charge et à décharge, pour que tout magistrat instructeur le fasse vraiment.

M. Alain Tourret - Cela va tout de même mieux en le disant !

M. Gérard Gouzes - Depuis 1933, le législateur n'a cessé de vouloir diminuer le recours à la détention provisoire, mais dans la pratique celle-ci n'en est pas moins devenue la règle ! Et elle ne sera jamais l'exception si l'on ne part pas du terrain.

Il ne servira à rien d'élever les seuils ou de contraindre le juge d'instruction à multiplier les actes de procédure, si l'on n'a pas avant tout le souci de la pratique. On risque plutôt d'amener certains juges à surqualifier les faits, pour mieux disqualifier après enquête, à accélérer les mises en examen inutiles, à prolonger l'instruction et donc la détention provisoire. Nous aurons alors plutôt affaibli la présomption d'innocence.

Il faut que ce texte équilibré soit applicable. Enumérer les grands principes, très bien, mais encore faut-il que l'on puisse les concrétiser.

M. Alain Tourret - Avec vous, on n'aurait jamais eu la Déclaration de 1789 !

M. Robert Pandraud - L'amendement 279 de Mme Catala substitue à la formule "recherche de la manifestation de la vérité", celle, plus concise, de :"recherche de la vérité".

Mme Christine Lazerges, rapporteur de la commission des lois - Le code de procédure pénale se réfère plusieurs fois à la "manifestation de la vérité". C'est donc cette expression que nous avons retenue, par souci d'homogénéité.

Mme la Garde des Sceaux - Je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée.

L'amendement 279, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme le Rapporteur - L'article préliminaire du code de procédure pénale me paraît tout à fait fondamental et je suis désolée que certains de nos collègues ne voient pas l'intérêt d'un énoncé des principes. S'il en était ainsi, nous pourrions nous passer de la Déclaration des droits de l'homme, de la Convention européenne et d'autres textes internationaux, qui nous servent bel et bien de guides.

On qualifie souvent le code de procédure pénale de "code des innocents". Cet article préliminaire leur livre en quelque sorte les règles du jeu. Les principes directeurs qui y sont énoncés constitueront pour eux autant de balises. L'objectif n'est pas d'être exhaustif mais d'aboutir à la rédaction la plus claire et la plus accessible, conformément à la vocation pédagogique de cet article. Tel est l'objet de l'amendement 72 de la commission.

M. Albertini m'a interpellée sur l'impartialité et l'équilibre des droits des parties, notions qui sont rappelées dans cet amendement : "la procédure pénale doit être juste et équitable, respecter le principe du contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties." Je voudrais par ailleurs dire à M. Tourret que nous n'avons pas oublié la dignité : elle fait l'objet d'un amendement ultérieur.

Mme la Garde des Sceaux - Cet article qui récapitule les principes directeurs de la procédure pénale a un intérêt pédagogique mais aussi une portée juridique certaine puisqu'il servira de guide aux juridictions quand elles auront à interpréter d'autres dispositions du code.

Je me félicite des améliorations apportées par la commission des lois mais je regrette que la rédaction retenue par elle ne retienne pas les dispositions initiales concernant la protection de la réputation des personnes poursuivies. Peut-être pourra-t-on revoir la question au cours de la navette. En attendant, le Gouvernement s'en remet à la sagesse de l'Assemblée.

Mme Frédérique Bredin - Un archaïsme terrifiant fait qu'en France, pays des droits de l'homme, il n'est actuellement pas possible de faire appel du jugement prononcé par une cour d'assises. Difficile dans ces conditions de donner des leçons au monde entier...

Pourtant, plusieurs cas récents -celui d'Omar Raddad, de Deperrois- ont montré qu'il subsiste parfois, après le jugement, un doute suffisant pour souhaiter un deuxième examen. Mais celui-ci n'est pas possible. L'Assemblée avait bien adopté en première lecture un texte qui reprenait une proposition de la commission Deniau et qui installait un double degré de juridiction pour les cours d'assises. Mais ce système aurait coûté extrêmement cher. Il existe une solution plus simple et moins coûteuse : l'appel tournant.

Quoi qu'il en soit, on ne peut accepter que perdure une situation qui constitue une violation flagrante des droits de l'homme. Un projet comme celui-ci doit comporter une référence au double degré de juridiction. Il s'agit là d'une réforme très attendue.

M. Alain Tourret - Il est écrit ici que "toute personne condamnée a le droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction." Cela signifie-t-il qu'une personne condamnée par une cour d'assises pourrait attaquer l'Etat pour faute lourde -et donc demander des dommages-intérêts- dès lors que celui-ci n'aurait pas organisé un double degré de juridiction ? Ou qu'elle pourrait former un recours devant une juridiction française ou européenne afin de faire annuler une décision qui serait forcément insatisfaisante dans la mesure où elle ne permettrait pas de saisir une autre cour d'assises ? Précisons bien les choses car les juristes vont s'interroger.

M. Pierre Albertini - Comment en effet interpréter cette phrase en l'état actuel du droit ?

Certains d'entre nous ont insisté sur l'idée que les principes devaient avant tout être appliqués. Je crois en effet qu'il serait coupable de notre part de placer délibérément une déclaration que l'état actuel du droit rendrait inapplicable.

Comme Mme Bredin, je crois qu'en attendant l'instauration d'un double degré de juridiction pour les assises, la meilleure solution réside dans un appel tournant.

Enfin, Madame le rapporteur, je n'ai pas trouvé dans cet amendement de référence à la notion de "tribunal indépendant et impartial" et je le regrette.

M. Patrick Devedjian - La rédaction proposée par Mme Lazerges me paraît de très bonne qualité.

En ce qui concerne la question de M. Tourret, mon sous-amendement 233 écarte la difficulté, puisqu'il reprend la formulation du protocole no 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, laquelle a été incorporée dans le droit français.

Mme le Rapporteur - La notion de tribunal impartial est moins précise que celle de séparation du jugement et de l'action publique. La France avait été poursuivie à Strasbourg précisément parce que le juge pour enfant, pouvait instruire, ce qui allait contre cette séparation.

Quant à la juridiction supérieure, il restera encore le problème du tribunal de police lorsque nous aurons créé une possibilité d'appel pour les décisions des cours d'assises. La formule retenue est en conformité avec nos principes directeurs.

M. le Président - Nous en arrivons aux sous-amendements.

M. Patrick Devedjian - Le sous-amendement 229 vise à permettre le juge unique si les parties en sont d'accord.

Mme le Rapporteur - La commission des lois l'a repoussé, mais il n'est pas stupide (Rires).

Mme la Garde des Sceaux - Sagesse.

Le sous-amendement 229, mis aux voix, est adopté.

M. Patrick Devedjian - Le sous-amendement 230 remplace "veille à" par "assure", car il n'est meilleur veilleur qui ne s'endorme.

Mme le Rapporteur - L'autorité judiciaire veille à ce que soit assuré... (Rires). Elle n'assure pas directement, ce sont des associations qui s'en chargent le plus souvent. Contre le sous-amendement.

Mme la Garde des Sceaux - Sagesse

Le sous-amendement 230, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Devedjian - Le sous-amendement 231 rédige ainsi le début du sixième alinéa "Dès son arrestation, elle a le droit d'être informée..."

Il s'agit de se mettre en règle avec l'article 6.3 de la CESDH : "Tout accusé a droit notamment à être informé dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui". Le plus court délai, c'est dès l'arrestation.

Mme le Rapporteur - Qui dit arrestation ne dit pas qu'il y ait déjà des charges réelles. Restons-en au plus court délai. Ne poussons pas à inventer des charges !

Mme la Garde des Sceaux - Contre.

Cela ne serait pas compatible avec les règles sur la garde à vue.

M. Jacques Floch - Des suspects peuvent ne pas avoir été arrêtés ; ils ont cependant le droit d'être informés.

M. Patrick Devedjian - Si je ne suis pas arrêté, je me moque d'être suspecté !

Le sous-amendement 231, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Michel - Le sous-amendement 290 de M. Lang complète ainsi le 4ème alinéa du IV : "Elles ne doivent en aucun cas porter atteinte à la dignité" -cela est conforme à l'article 3 de la Convention européenne.

Le sous-amendement 290, accepté par la Commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Patrick Devedjian - Le sous-amendement 232 ajoute, à l'avant-dernier alinéa, "et sur le fondement de preuves loyalement obtenues".

Mme le Rapporteur - Cela relève plutôt de la morale que de la procédure pénale !

M. Robert Pandraud - Ca ne mange pas de pain.

Mme la Garde des Sceaux - Sagesse.

M. Alain Tourret - Je trouve, moi, que c'est un amendement très intéressant.

M. Gérard Gouzes - Oui, mais ne va-t-il pas poser des problèmes au regard de la notion d'intime conviction ?

Mme Frédérique Bredin - L'intime conviction doit se fonder sur des preuves apportées loyalement !

M. Arnaud Montebourg - Il existe déjà à ce sujet une jurisprudence rigoureuse de la Cour de cassation, pour les écoutes téléphoniques notamment. Je crains qu'avec ce sous-amendement, on ne descende un étage en-dessous des principes, même si l'intention n'est pas mauvaise.

Le sous-amendement 232, mis aux voix, est adopté.

M. Patrick Devedjian - Le sous-amendement 233 précise que "toute personne déclarée coupable d'une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation". Je n'ai fait que reprendre ici le protocole no 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, il n'y a donc pas d'incompatibilité avec notre droit.

Mme le Rapporteur - La Cour de cassation n'est pas une juridiction supérieure. Contre l'amendement.

Mme la Garde des Sceaux - Je suis du même avis que Christine Lazerges. La rédaction proposée par M. Devedjian poserait des problèmes pour les tribunaux de police.

Je suis bien entendu favorable à une réforme des cours d'assises mais il nous faut trouver les moyens de la mener à bien de manière moins coûteuse en magistrats que ne l'avait proposée mon prédécesseur. J'ai demandé à mes services d'examiner les différentes possibilités parmi lesquelles un système tournant. Cette étude est à la disposition de tous les parlementaires intéressés. Enfin, convenons que nous avons aussi d'autres priorités. En dépit des créations de postes que j'ai obtenues, les retards à combler sont immenses. Les réformes en cours doivent également être financées. Cela étant, je suis prête, une fois que nous aurons trouvé les moyens d'une réforme moins coûteuse, à soumettre cette dernière au Parlement avant la fin de la législature.

Le sous-amendement 233, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 72 modifié, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - Les amendements 1, 280, 209, 2, 305 rectifié, 3, 281, 210, 4 et 282 tombent.

M. Guy Hascoët - Le projet de loi réaffirme que la présomption d'innocence constitue un principe cardinal de la procédure pénale dans un Etat de droit. Or, il n'en tire pas toutes les conséquences puisqu'il ne prévoit pas de supprimer la comparution immédiate, procédure qui méconnaît pourtant la présomption d'innocence et les droits de la défense.

Telle que définie par l'article 394 du code de procédure pénale, la convocation par procès-verbal peut être justifiée par la nécessité de juger rapidement des affaires ne présentant pas de difficultés majeures. Le délai de jugement est compris entre les dix jours et les deux mois qui suivent la décision du procureur de la République d'utiliser cette procédure.

Ces délais sont très brefs. Pour que les droits de la défense puissent être exercés, il faut que les avocats des prévenus travaillent avec célérité. Il n'est pas certain par ailleurs que les moyens de l'aide judiciaire soient suffisants pour assurer effectivement la défense de tous les prévenus. Enfin, comment dans ces conditions la justice pourrait-elle être rendue sereinement ?

Si l'on ne remet pas en question ce type de procédures, le sentiment déjà ressenti sur le terrain d'une justice à deux vitesses grandira, et ce quelles que soient les réformes par ailleurs engagées. Et nous le paierons sur le plan social. C'est pourquoi nous proposons par notre amendement 301 de supprimer purement et simplement les procédures de comparution immédiate et de convocation par procès-verbal.

Mme le Rapporteur - Ce projet, comme y a insisté tout à l'heure la ministre, s'adresse à tous les justiciables, riches ou pauvres, connus ou inconnus, grands trafiquants de drogue ou voleurs à la tire.

La comparution immédiate, si elle n'est pas exempte d'inconvénients, présente aussi l'avantage de traiter en temps réel certaines infractions, ce qui est particulièrement important pour les mineurs notamment. Ce projet de loi, qui encadre la garde à vue, et limite la détention provisoire, efface les aspects les plus négatifs de la comparution immédiate. Nous demandons notamment, par des amendements, que les seuils de peines encourues en-dessous desquels il n'est pas possible de placer en détention provisoire soient les mêmes en comparution immédiate -hors cas de flagrant délit- et dans le cadre d'une procédure avec instruction.

Enfin, nous ne pourrions pas réformer ainsi à la sauvette, au détour du présent projet de loi, les procédures rapides qui ont tout de même leur utilité. Une telle réforme mériterait un projet de loi à part entière. Faisons plutôt pour l'heure confiance à nos magistrats qui se donnent beaucoup de mal pour traiter plus rapidement quantité de petites affaires.

Mme la Garde des Sceaux - Le Gouvernement ne peut pas être favorable à la suppression de la comparution immédiate. Elle évite l'atteinte à la présomption d'innocence qui eut découler de l'ouverture d'une information et du délai écoulé entre le début des poursuites et la condamnation définitive. Elle constitue avec les procédures de convocation par officier de police judiciaire, par procès-verbal et les procédures d'alternatives aux poursuites, un moyen de mieux traiter en temps réel les infractions, ce qui est nécessaire pour lutter contre l'insécurité mais aussi le sentiment d'insécurité.

La commission Truche avait d'ailleurs estimé que cette procédure était satisfaisante. Celle-ci n'en doit pas moins être encadrée et plusieurs dispositions du projet de loi y concourent comme la présence de l'avocat dès la première heure, l'indemnisation des personnes placées en détention provisoire de manière abusive.

Par ailleurs, le renforcement du contrôle de la police judiciaire par les autorités judiciaires, figurant dans le projet de loi relatif à l'action publique qui vous sera soumis d'ici à l'été, apportera également des garanties.

L'amélioration de la procédure de comparution immédiate me paraît résider plutôt dans la pratique judiciaire, notamment dans le recours plus fréquent à des enquêtes sociales rapides.

Pour toutes ces raisons, je ne suis pas favorable à l'amendement de M. Hascoët.

M. Guy Hascoët - Comment expliquer à des jeunes qu'il est deux lois dans notre République ? Comment leur expliquer que les débordements des manifestations lycéennes soient sanctionnés, et non ceux des manifestations d'agriculteurs ?

Dans les quartiers difficiles, la moindre étincelle entre des jeunes qui n'aiment pas la police et des policiers qui n'aiment pas ou plus ces jeunes devient prétexte à échauffourée qui conduit inévitablement à des interpellations. Mais que vaut la parole de ces jeunes interpellés face à celle d'officiers assermentés ? Et que faire quand par ailleurs d'éventuels témoins ont peur de témoigner ? Comment quelqu'un qui ne connaît rien à la machine judiciaire peut-il se défendre en 48 heures ? La conséquence est que tout un quartier finit par être solidaire de ses hors-la-loi.

Alors qu'il faudrait pacifier les relations entre jeunes et policiers dans ces quartiers, la comparution immédiate aboutit au contraire.

L'amendement 301, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article premier modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ARTICLE PREMIER

M. Patrick Devedjian - L'amendement 283 est défendu.

L'amendement 283, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Devedjian - L'amendement 284 est défendu.

Mme le Rapporteur - Cet amendement ne règle pas la question du point de départ de la garde à vue, fixé par un décret de 1903 et surtout la jurisprudence. Il est inutile.

Mme la Garde des Sceaux - Même avis défavorable.

L'amendement 284, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Devedjian - Je défends l'amendement 267 de M. Balladur. Avec l'empilement des trois statuts de simple témoin, de témoin assisté et de mis en examen, le mis en examen risque d'être encore moins qu'aujourd'hui, où il l'est déjà fort peu, présumé innocent.

M. Balladur propose donc de généraliser le concept de témoin assisté. Ce dernier ira peut-être devant le tribunal, mais ce n'est pas certain et dès lors la présomption d'innocence sera automatique.

Dans le cas d'une mise en détention, le juge devra rendre une ordonnance de mise en accusation qui sera examinée par un tribunal de la liberté ne comprenant pas le juge d'instruction, conformément à ce que préconisent les rapports Delmas-Marty et Truche, appréciant la nature de la charge et statuant en audience publique.

Etre mis en prison, que ce soit par une condamnation ou au cours de l'instruction, est toujours infamant. Cette décision doit donc être prise avec les mêmes garanties pour la défense : collégialité, tribunal, audience publique.

Avec cet amendement, votre projet évoluerait quelque peu vers le système accusatoire, il offrirait plus de garanties pour la présomption d'innocence. Toutefois nous n'allons pas entièrement vers le système accusatoire puisque nous ne supprimons pas le juge d'instruction.

M. Arnaud Montebourg - Ca vous dérange...

M. Patrick Devedjian - Mais le juge d'instruction n'est guère qu'un officier public monté en grade. Le code d'instruction criminelle de 1808 la place dans le chapitre sur la police. Et vous connaissez sans doute la démonstration de M. Badinter, soutenant en fait la philosophie de cet amendement. Le juge d'instruction est Maigret -c'est-à-dire un super policier- et le juge de la détention est Salomon. Il ne peut tenir les deux rôles à la fois.

Mme le Rapporteur - En fait cet amendement n'est pas très éloigné de ce que le projet propose : un témoin assisté qui peut le rester jusqu'à la fin de l'instruction, un acte de mise en examen n'étant nécessaire qu'au moment de la clôture si les charges n'ont pas été suffisantes avant.

Si la détention provisoire est nécessaire, il y aura mise en examen, c'est le cas aussi dans votre système qui en outre passe alors à l'expression "mise en accusation", plus lourde à porter car que restera-t-il dans ce cas de la présomption d'innocence ?

La seule différence tient au fait que pour vous, lorsqu'il y aura mise en examen, la chambre des libertés, collégiale, statuera. Mais alors dites-nous clairement que vous demandez la collégialité, pas que vous voulez supprimer la mise en examen ! Pour notre part, nous souhaitons vivement que ne soient mises en examen que des personnes sur lesquelles pèsent des charges fortes nécessitant un contrôle judiciaire ou la détention provisoire.

Mme la Garde des Sceaux - Le projet favorise clairement la procédure de témoin assisté afin de limiter les mises en examen abusives. Il modifie très profondément le régime de la détention provisoire afin qu'elle devienne vraiment exceptionnelle.

L'amendement poursuit, semble-t-il, les mêmes objectifs mais il me semble irréaliste car je ne crois pas que c'est uniquement en qualifiant de témoin une personne qui peut tellement être mise en cause qu'elle pourrait être mise en détention provisoire, que vous protégerez davantage la présomption d'innocence. La transformation de l'inculpé en mis en examen a certes été un progrès, mais limité. Changer de terme quand la situation varie peu n'a guère d'effet.

Mme Frédérique Bredin - Nous nous sommes interrogés sur l'idée d'une mise en examen motivée susceptible d'appel et nous avons considéré qu'il pourrait s'agir d'un pré-jugement incompatible avec la défense de la présomption d'innocence.

Le texte a le mérite de revaloriser le statut de témoin assisté et d'inciter le juge à user de cette possibilité, donc de rendre la mise en examen plus rare puisqu'elle ne serait justifiée qu'en cas de détention provisoire ou de contrôle judiciaire et interviendrait donc plus tard dans la procédure. Nous verrons bien ce que cela donnera dans la pratique.

Le risque avec le système proposé par les auteurs de l'amendement est d'aggraver la présomption de culpabilité car le témoin assisté deviendra très vite un mis en examen aux yeux de tous. Quant au mis en accusation, il sera véritablement pré-jugé et se trouvera en situation fort délicate à l'audience car déjà marqué par le vocabulaire.

M. Pierre Albertini - Nous avons un objectif commun, au-delà des nuances sémantiques, mieux garantir la présomption d'innocence. Mais vous le faites, malgré les échecs antérieurs, en tentant de généraliser le recours à la notion de témoin assisté. Pour notre part, nous voulons que l'on utilise vraiment cette disposition et que l'on réduise considérablement le nombre des mis en examen au profit des témoins assistés.

Il y a toujours un pré-jugement dans l'opinion, ce qui importe c'est le moment où il se produit. Si c'est dès l'origine, comme aujourd'hui dans la mise en examen, c'est catastrophique car les garanties offertes à la défense sont insuffisantes et la personne est déjà condamnée aux yeux de tous.

Nous proposons que la mise en accusation soit prononcée par un tribunal de la liberté, donc une juridiction très différente de la formation d'investigation. Vous dites avoir repris toutes les propositions du rapport Truche. Mais vous n'avez pas repris la notion de collégialité puisque le juge de la détention provisoire est unique.

Nous proposons une séparation plus radicale entre investigation et jugement, et une garantie supplémentaire avec le tribunal de la liberté. Dans tous les cas il y aura pré-jugement. Mais avec la procédure que nous proposons, le dommage à la réputation sera moindre.

M. Philippe Houillon - Nous poursuivons le même objectif, mais là où vous faites un pari, nous proposons une vraie garantie.

En pratique, le juge d'instruction décide de la mise en examen quand il n'a pas encore pu instruire à charge et à décharge. Un temps assez long s'écoule avant le renvoi à l'action publique, pendant lequel on porte atteinte à la présomption d'innocence.

C'est bien pour cela d'ailleurs que vous cherchez à retarder le plus possible la mise en examen. Quant au statut de témoin assisté, il existe déjà. Seulement les juges d'instruction n'y recourent pas. Votre pari, c'est qu'ils l'utilisent plus. Notre amendement, lui, offre une garantie et protège mieux le droit de la défense car c'est après instruction à charge et à décharge que le juge d'instruction décide de la mise en accusation.

Mme le Rapporteur - Monsieur Houillon, vous comparez à juste titre l'amendement et le droit positif. Mais si l'on compare votre amendement à ce que prévoit le projet, je ne vous suis plus. Car la procédure de témoin assisté est radicalement transformée. Au fond, il n'y a guère de différence entre les solutions que nous proposons. Ce qui nous sépare surtout, c'est la collégialité ou le juge unique.

Mme la Garde des Sceaux - C'est la collégialité et aussi ce terme de tribunal de la liberté.

Tous les juges sont juges de la liberté. Je préfère donc parler de juge de la détention provisoire. Par ailleurs, avec cet amendement, une personne qui se considérerait comme témoin sera, de façon soudaine, mise en accusation. Le premier droit est de savoir que l'on est poursuivi pour préparer sa défense, selon l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans votre dispositif, tout témoin peut être poursuivi.

M. Patrick Devedjian - Le reproche vaut tout autant pour votre témoin assisté qui peut aussi in fine se retrouver devant le tribunal.

Mme la Garde des Sceaux - Non, quand il y a mise en examen, on le dit.

M. Patrick Devedjian - Dans notre dispositif également on le dit : l'ordonnance de mise en accusation vaut ordonnance de renvoi. Un certain nombre de personnes mises en examen bénéficient d'un non-lieu. Il y en a eu 1 800 l'an dernier. La procédure que nous proposons l'éviterait.

L'amendement 267, mis aux voix, n'est pas adopté.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu ce soir à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 55.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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