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Assemblée nationale COMPTE RENDU ANALYTIQUE OFFICIEL Session ordinaire de 1998-1999 - 80ème jour de séance, 205ème séance 2ème SÉANCE DU MARDI 30 MARS 1999 PRÉSIDENCE DE M. Laurent FABIUS SOMMAIRE : QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 1 KOSOVO 2 ASSISTANCE AUX RÉFUGIÉS DU KOSOVO 3 RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL 4 KOSOVO 4 SOMMET EUROPÉEN DE BERLIN 5 FORMATION PROFESSIONNELLE 6 CIRCULATION DES POIDS LOURDS EN MONTAGNE 6 SITUATION HUMANITAIRE AU KOSOVO 8 PRÉVISIONS DE CROISSANCE ET POLITIQUE ÉCONOMIQUE 8 TAXE ADDITIONNELLE AU DROIT AU BAIL 9 TRAFIC ROUTIER DANS LES ALPES 10 PRÉSOMPTION D'INNOCENCE (suite) 11 EXPLICATIONS DE VOTE 12 MARIAGE, CONCUBINAGE ET LIENS DE SOLIDARITÉ (deuxième lecture) 16 EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ DE M. Jean-Louis DEBRÉ 23 La séance est ouverte à quinze heures. DÉCÈS DE M. Michel CRÉPEAU (Mmes et MM. les députés et membres du Gouvernement se lèvent) M. le Président - Mardi dernier, à cette même heure, dans cet hémicycle qu'il aimait passionnément, le coeur généreux de Michel Crépeau s'est arrêté. Toute la semaine, les médecins de l'hôpital Cochin ont espéré le sauver. Malheureusement, notre collègue s'est éteint ce matin. Il était l'incarnation de la démocratie républicaine et parlementaire. Il s'est battu toute sa vie pour la solidarité et la laïcité, ces valeurs qui rendent l'homme plus grand. Député, maire imaginatif de La Rochelle, militant, président de groupe et ministre, il ne connaissait qu'un arbitre de la vie politique, le suffrage universel. Avocat, radical, humaniste, tolérant, volontiers gouailleur, il a été un esprit libre, un orateur passionné, un homme d'honneur, dans la fidélité à Pierre Mendès France. Sa mort soulève sur tous nos bancs beaucoup d'émotion et de chagrin. Au nom de la représentation nationale je veux dire à sa femme, à ses enfants, à tous ceux qui l'aimaient, ma peine profonde. C'est un parlementaire dans l'âme et un ami souriant de la justice qui s'en va (Mmes et MM. les députés et membres du Gouvernement observent une minute de silence). L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement. M. André Lajoinie - En exprimant le désaccord des communistes aux bombardements de la Yougoslavie, Robert Hue, vendredi dernier, affirmait : "Loin de soulager les souffrances de la population et de faire reculer les possibilités de l'armée de Milosevic de poursuivre la répression des Kosovars, ils aggravaient la situation." Malheureusement, les faits ont confirmé cette analyse : les bombes ont des effets contraires aux objectifs affichés. Elles coalisent ce peuple autour du dictateur Milosevic, renforcent les nationalismes, favorisent l'accroissement des exactions intolérables au Kosovo, et portent en germe des conflits dans toute la région. Quels sont les véritables objectifs de ces bombardements, quand ils s'abattent sur Belgrade au moment même où le Premier ministre russe tente une médiation à la demande des Européens ? N'y a-t-il pas, de la part de l'OTAN, la volonté de ne pas faciliter une issue politique, comme l'attestent aussi les appels à une fuite en avant, avec l'engagement de troupes au sol ? Il est temps pour les Européens de mettre tout leur poids dans la balance afin d'éviter toute dérive. Pour cela, il faut que cesse la répression au Kosovo, que s'arrêtent les bombardements, comme le demande le Parlement italien. En même temps, il faut déployer au Kosovo, en démilitarisant les zones de combat, une force de paix et d'interposition européenne sous l'égide de l'ONU, comme le propose l'ancien commandant de la FORPRONU en Bosnie, le général Cot. Ces dispositions immédiates s'inscriraient dans le cadre d'une conférence européenne ouverte à toutes les parties concernées, sous l'autorité de l'OSCE. Dans ces moments dramatiques pour la paix en Europe, la France ne devrait-elle pas prendre de nouvelles initiatives pour stopper l'engrenage meurtrier en Yougoslavie, et poser les jalons d'une solution durable, qui ne peut être que politique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste) M. Lionel Jospin, Premier ministre - Je m'associe à l'hommage rendu à notre ami Michel Crépeau. Je me suis recueilli auprès de lui ce matin, et nous serons un certain nombre à l'accompagner à sa dernière demeure. Je partage votre émotion à tous, et je ressens une grande peine. Monsieur le député, des soldats français sont engagés dans des opérations militaires. Qu'on approuve ces opérations, comme le fait la majorité ici, ou qu'on les critique, il est logique de s'interroger sur les fins et les moyens de cette action, destinée à apporter une solution au drame du Kosovo. Cette interrogation légitime traverse les bancs et les groupes de cette assemblée. Depuis le débat de vendredi dernier, j'ai, ce matin, proposé à la Conférence des présidents de recevoir l'ensemble des présidents de groupes et des commissions de la défense et des affaires étrangères des deux assemblées, afin de leur donner toutes les informations dont ils ont besoin, et pour nourrir le dialogue politique et civique. Je recevrai aussi, après le Président de la République, les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat. S'il est légitime de s'interroger, s'il est difficile de se former une opinion certaine, unique et catégorique, encore faut-il s'entendre sur quelques vérités simples et assurées. Les exactions serbes et les mouvements de réfugiés au Kosovo ne datent pas d'il y a huit jours. Ils sont une réalité quotidienne de la vie des Kosovars. Ce n'est pas l'intervention de l'OTAN qui a déclenché les hostilités. Au mois d'août 1998, le nombre de réfugiés et de personnes déplacées s'élevait à 400 000. Les exécutions sommaires et les massacres collectifs n'ont pas cessé depuis que, voilà 18 mois, a commencé au Kosovo une crise dont les autorités serbes portent la responsabilité. Les responsables des massacres, de l'élimination ethnique, sont ceux qui les commettent et non ceux qui s'efforcent de les empêcher, même si l'on peut discuter des moyens mis en oeuvre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe DL et du groupe du RPR). Si les frappes aériennes n'avaient pas été entreprises, la répression aurait eu lieu, comme elle a eu lieu déjà hors de toute frappe aérienne. Les auteurs de ces crimes devront personnellement rendre des comptes, comme l'a décidé le Conseil de sécurité dans ses résolutions 1160 et 1207 qui établissent la compétence du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. L'exemple du général Pinochet montre que l'Histoire n'oublie pas les exactions dont ont été victimes des populations innocentes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe UDF et du groupe DL et sur quelques bancs du groupe du RPR). Les opérations aériennes commencées il y a six jours ont pour seul but de casser le dispositif militaire et répressif serbe. Elles visent à détruire les systèmes de commandement et de transmission, et aussi des objectifs liés à la répression sur les populations du Kosovo. Ces actions sont conduites avec détermination, et avec le souci de minimiser les dégâts collatéraux et les risques pris. L'ampleur des départs de population des villages du Kosovo est difficile à évaluer. A la demande pressante de notre pays en particulier, l'Union européenne devrait réunir d'urgence une conférence humanitaire pour aider les pays d'accueil. Mme Bonino s'est rendue sur place aujourd'hui. La France apportera à titre national une assistance à ces pays. Nous travaillons actuellement à évaluer les besoins. Je m'en suis entretenu hier au Mont-Blanc avec M. d'Alema, l'Italie étant particulièrement préoccupée par la situation en Albanie. Oui, nous préférons le dialogue, la paix, l'issue politique, mais comment y parvenir si les dirigeants serbes et M. Milosevic s'y refusent ? On ne nous a pas présenté ici d'alternative (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur de nombreux bancs du groupe UDF, et sur quelques bancs du groupe DL et du groupe du RPR). Nous continuons à appeler M. Milosevic à la raison. Mais s'il persiste dans son refus, il doit savoir, comme l'a rappelé hier soir le Président de la République, que nous ne dévierons pas de notre volonté de casser son appareil militaire et répressif. Quant à la visite à Belgrade de M. Primakov, nous l'évaluerons exactement lorsque ce dernier en aura informé la présidence allemande de l'Union européenne. Nous ne doutons pas que la Russie, membre important du groupe de contact, puisse jouer un rôle très utile dans cette crise. Nous en jugerons le moment venu (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur de nombreux bancs du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe DL et du groupe du RPR). ASSISTANCE AUX RÉFUGIÉS DU KOSOVO M. Michel Voisin - Le groupe UDF tient à réaffirmer à nos soldats engagés au Kosovo la solidarité et la soutien de la nation. En cette conjoncture d'ailleurs, cette solidarité et l'unité nationale sont un devoir auquel nul ne devrait se soustraire ! Bien que les informations soient difficile à vérifier, il apparaît que, loin de modérer l'ardeur répressive des forces serbes, les frappes de l'OTAN ont entraîné une aggravation de la purification ethnique et des exactions : ce seraient près de 150 000 Kosovars qui auraient été contraints de prendre le dur chemin de l'exode ! Ceux qui parviendront à franchir les frontières de leur territoire natal ne verront pas pour autant le terme de leurs malheurs : après avoir tout quitté et, parfois, perdu des êtres chers, ils ne trouveront que peu de réconfort pour panser les plaies infligées par une barbarie d'un autre âge. La communauté internationale se doit de planifier d'urgence l'aide humanitaire dont ils ont grand besoin. Il y aurait en effet un paradoxe à préparer une action armée qui les a indirectement jetés sur les routes sans prévoir les moyens de cette assistance. Quel concours la France entend-elle apporter à cette aide et quelles initiatives prendra-t-elle pour éviter un découplage entre l'action armée internationale et l'intervention humanitaire qu'elle appelle malheureusement en complément ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR) M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - Hier, à Berlin, M. Fischer a avancé le chiffre de 500 000 réfugiés et, de fait, il n'est pas impossible que ce nombre soit bientôt atteint, compte tenu des mouvements observés. A la suite du Pemier ministre, je tiens à souligner que ces déplacements de population ont été déclenchés, non par l'intervention de l'OTAN, mais par les menaces et les exactions dont les Albanais du Kosovo ont été l'objet. D'ailleurs ils ont commencé voici déjà de nombreux mois. Il est vrai cependant qu'ils se sont accélérés au cours des derniers jours et l'Albanie estime déjà à quelque 70 000 le nombre des réfugiés tandis qu'ils seraient 30 000 au Monténégro. Le directeur de la cellule d'urgence va se rendre dès aujourd'hui sur place pour évaluer les besoins. Nous enverrons très probablement un ensemble de dispensaires légers, afin de donner les premiers soins, ainsi que de la nourriture et des véhicules médicalisés. Mme Bonino est déjà sur les lieux car il est clair que l'assistance sera coordonnée par l'Union européenne. Nous comptons en outre mobiliser rapidement des moyens de la protection civile et des moyens médicaux. Je ferai moi-même le déplacement jeudi prochain. Vous voyez donc que la France entend prendre toute sa part de cet effort ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. Pierre Méhaignerie - Nous voici probablement aujourd'hui à neuf mois du passage aux trente-cinq heures et les entreprises ont un urgent besoin de savoir à quoi s'en tenir, de même que les salariés. Or les prévisions de croissance devront être revues à la baisse et les dépenses de Sécurité sociale n'étant pas maîtrisées, le Gouvernement aura du mal à financer le nécessaire allégement des charges sociales pour les salaires proches du SMIC. Est-il déterminé à éviter toute nouvelle taxe ? Quand rendra-t-il son arbitrage ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur plusieurs bancs du groupe DL) Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Les dépenses de Sécurité sociale ne seraient pas maîtrisées, dites-vous ? Nous avons trouvé un déficit de 55 milliards et les comptes seront équilibrés ou peu s'en faut cette année ! (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR) Et ce résultat sera acquis pour la première fois sans que les cotisations soient relevées ni les remboursements diminués ! (Mêmes mouvements ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) S'agissant de la réduction du temps de travail, nous avons bien évidemment pris en compte les besoins des entreprises de main-d'oeuvre : l'aide incitative de 9 000 F par salarié et par an, à laquelle s'ajouteront 1 000 F pour les PME et 4 000 F pour les entreprises de main-d'oeuvre, sera largement supérieure à ce que ces dernières pouvaient attendre de la réduction des charges sociales sur les bas salaires. Pour autant, comme nous l'avons annoncé dans la loi de financement de la Sécurité sociale, nous allons également explorer la piste d'une réforme de ces charges. Mais, comme vous ne l'avez pas fait quand vous avez réduit l'impôt sur le revenu, nous ne nous engagerons dans ce processus que lorsque nous serons assurés de le financer (Interruptions sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). Et c'est pourquoi nous nous sommes ménagé le délai de réflexion nécessaire : nous ne voulons pas que, comme la ristourne dégressive, cette réforme pèse sur les ménages ou aggrave la charge des entreprises. Nous attendons aussi qu'elle soit conforme à nos engagements européens, ce que n'était pas le plan Borotra ! Mais soyez assuré que le Parlement sera saisi de la question dès cette année ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UDF et du groupe DL ; "Hou !" sur les bancs du groupe du RPR) M. Jean-Michel Boucheron - En Bosnie, cinq ans de guerre et de nettoyage ethnique ont fait deux cent mille morts et des centaines de milliers de réfugiés, terrorisés, déracinés. Au cours de négociations interminables, la communauté internationale a été trompée, trahie par le président serbe. Depuis un an, nous assistons au même processus, à la même escalade de la répression, au Kosovo où M. Milosevic applique sa même vieille recette : quand on ne peut déplacer les frontières, on déplace les peuples ! Depuis un an, le groupe de contact essaie en vain d'arrêter cette logique raciste. Les négociations de Rambouillet ont pareillement échoué, alors même que la communauté internationale était parvenue à convaincre les Albanais du Kosovo de rester en Serbie ! Aujourd'hui même, nous avons appris l'assassinat de membres de leur délégation. Une fois de plus, M. Milosevic a mis à profit les négociations pour déployer son dispositif militaire et paramilitaire... L'intervention armée était la seule méthode pour le convaincre qu'il se trouve dans une impasse. Le peuple serbe n'est pas moins un peuple ami, et il est malheureux que nous ne puissions l'informer de la réalité des choses. Monsieur le ministre de la défense, la deuxième phase de l'intervention, destinée à desserrer l'étau, sera-t-elle déclenchée bientôt ? Quelles sont les chances que le Kosovo devienne un espace sécurisé où les communautés coexistent et pour que l'Europe devienne un espace où les conflits se règlent par le vote, dans le respect des minorités ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe RCV) M. Alain Richard, ministre de la défense - Nous devons en effet nous souvenir des événements de Bosnie pour en tirer au moins cette leçon : dans de telles occurrences, c'est la détermination prolongée de la communauté internationale qui peut faire reculer la guerre et redonner aux diverses communautés la possibilité de vivre à nouveau ensemble. Les frappes aériennes en cours ne prennent leur sens qu'à la lumière de la décision prise par l'Alliance à l'automne dernier : les Etats membres ont alors tenu à exercer sur M. Milosevic une pression crédible, fondée sur la résolution 1199 du Conseil de Sécurité visant à la fin des violences et à la reprise de négociations équitables. Le groupe de contact, l'ONU et l'Union européenne assurant le cadre politique, il revenait à l'Alliance d'exercer la nécessaire menace. Mais toutes les tentatives ont échoué. Le processus de Rambouillet fut un essai ultime et courageux, à l'honneur de notre pays et de tous nos partenaires. Il a donc fallu en venir aux frappes, mercredi dernier, la partie serbe opposant un refus buté tout en préparant cyniquement le recours à la violence. Au bout de six jours, la phase I de l'intervention est largement engagée. Les capacités de défense aérienne de la Serbie sont profondément entamées : plus de 50 % de son potentiel était hors d'usage ce matin. Si les choses ont pris tant de temps, c'est que nous avons pris toutes les précautions nécessaires pour préserver la population civile. Les Etats ont néanmoins décidé d'accentuer la pression sur les autorités serbes en mettant en oeuvre la dernière phase, qui traite une gamme plus vaste d'objectifs militaires. C'est ainsi que nous obtiendrons des résultats politiques. Actuellement nous frappons les forces elles-mêmes, en prenant le risque de le faire dans un contexte qui n'est pas sécurisé pour nos pilotes. J'irai les rencontrer demain et les assurerai de votre soutien. Nous savons que nous n'arrêterons pas aussi vite que nous le souhaitons la répression actuelle. Mais la répression à Pristina est-elle plus facile ou plus difficile après la destruction, hier, du quartier général de la police serbe dans cette ville ? Notre objectif est politique, je le répète. Il n'y a pas d'objectif militaire en soi. Toute perspective de ramener les autorités serbes sur le terrain politique et diplomatique doit être examinée. C'est pourquoi nous suivons avec intérêt la démarche russe en cours. Mais ceux qui comptent sur l'irrésolution de nos démocraties pour trouver une solution non conforme à nos valeurs se trompent. Il est de notre devoir de le leur rappeler (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe du RPR) Mme Béatrice Marre - Dans tout autre contexte, le Conseil européen de Berlin des 24 et 25 mars aurait été salué pour ce qu'il est, un pas considérable vers la cohésion et la maturité de l'Europe. Que n'a-t-on entendu sur l'impuissance de l'Union ? Le sommet a montré la volonté des Etats de surmonter les difficultés. Non seulement le casse-tête de l'Agenda 2000 a été résolu avec l'accord sur la PAC, incomplet mais globalement satisfaisant, le rééquilibrage des fonds structurels et la maîtrise des dépenses, mais le Conseil a aussi mis fin à l'incertitude créée par la démission de la Commission en proposant la désignation de M. Romano Prodi. Surtout l'Union européenne a affirmé clairement sa détermination à prendre toute sa part dans le règlement des conflits au Moyen-Orient et au Kosovo. Monsieur le Premier ministre, quel est votre sentiment sur la portée de ce sommet pour le fonctionnement de l'Union et sa place sur la scène internationale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. Lionel Jospin, Premier ministre - Vous me fournissez l'occasion (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL) qui ne s'était pas présentée jusqu'à maintenant... Plusieurs députés RPR - Question téléphonée ! M. le Premier ministre - C'est un téléphone que vous auriez pu décrocher vous-mêmes (Sourires sur les bancs du groupe socialiste). Que le Premier ministre vous rende compte... M. Pierre Lellouche - C'est l'occasion de rendre hommage au Président de la République ! M. le Président - Veuillez laisser le Premier ministre s'exprimer sur cette question importante. M. le Premier ministre - Il me semble en effet que c'est un sujet important. Ce Conseil a été un succès pour l'Union et a montré qu'elle était capable de relancer une dynamique de progrès. J'en tire principalement trois conclusions. D'abord nous avons amorcé la sortie par le haut de la crise de la Commission (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL) en proposant unanimement la nomination de M. Prodi... M. François Goulard - Delors en pire ! M. le Premier ministre - ...avec une procédure permettant au nouveau Parlement issu des élections d'élire une nouvelle Commission. Lors d'un sommet extraordinaire du 14 avril, M. Prodi viendra examiner avec nous les réformes nécessaires dans le fonctionnement de la Commission. Ensuite, le consensus s'est dégagé sans peine sur de grandes questions internationales : action coercitive pour trouver une solution positive au Kosovo, réaffirmation de l'engagement des Européens en faveur d'une solution au Proche-Orient et de la reconnaissance d'un Etat palestinien ; négociation d'un accord de commerce et de coopération avec l'Afrique du Sud, débarrassée de l'apartheid. Surtout, après une longue négociation le Sommet est parvenu à un accord sur l'Agenda 2000. C'est un compromis qui peut satisfaire la France. Nous avons réussi à faire prévaloir notre objectif principal, la stabilité de la dépense à Quinze afin de laisser des marges pour préparer l'élargissement. M. Jean-Louis Debré - Grâce à qui ? M. le Premier ministre - Nous avons écarté les propositions de cofinancement dans l'agriculture ou d'écrêtement des soldes et c'est le PNB qui servira de fondement pour les ressources propres. Enfin nous avons amélioré substantiellement le paquet agricole que M. Glavany avait eu raison de refuser (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL). Nous avons obtenu le report de la réforme des quotas laitiers, des baisses de prix garantis moins fortes et un effort pour le développement rural. Nous avons préservé les intérêts de la France en ce qui concerne les fonds structurels (Mêmes mouvements). Vous finirez de m'approuver, Messieurs, quand je dirai que ce résultat a été obtenu grâce aux efforts des membres du Gouvernement, du Premier ministre, et du chef de la délégation française, le Président de la République (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur certains bancs du groupe RCV). Mme Cécile Helle - Madame la secrétaire d'Etat, vous avez présenté en Conseil des ministres une communication sur la formation professionnelle. Elle était très attendue des personnels et du monde du travail. Il s'agit de relever de multiples défis : articuler les politiques de l'Etat et celles des collectivités et des partenaires sociaux ; faire reculer les inégalités devant la formation professionnelle ; assurer la formation continue dans la perspective de la réduction du temps de travail. Le monde du travail a beaucoup évolué et le système de 1971 ne répond plus qu'imparfaitement aux besoins. Quelle place comptez-vous faire à la négociation sociale et aux décisions législatives pour adapter la formation professionnelle ? Quelle place comptez-vous accorder au service public de la formation professionnelle dans cette réforme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle - J'ai présenté ce dossier au conseil des ministres et je le présenterai demain au conseil de coordination des régions. Mme Aubry et moi-même avons vite compris qu'il fallait vérifier si la loi de 1971, à laquelle je veux associer le nom de Jacques Delors et qui a permis un dialogue social innovant, était toujours adaptée. Actuellement la mobilité est grande. Un salarié sur cinq change d'entreprise ou de métier tous les cinq ans. On sait l'ampleur des inégalités -sujet qui me touche en ma double compétence pour le droit des femmes et pour la formation professionnelle. Une femme employée ou ouvrière dans une PME de moins de 20 salariés éloignée d'un centre de formation a 2,5 % de chances d'y accéder. Un homme cadre d'une entreprise de plus 2000 salariés en a plus de 70 % (Exclamations sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF). La formation professionnelle doit prendre en compte ces inégalités. Nous devons donc améliorer le système de formation professionnelle, par le dialogue social, en poursuivant les deux objectifs de cohésion sociale et d'efficacité économique (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). CIRCULATION DES POIDS LOURDS EN MONTAGNE M. Noël Mamère - Au nom du groupe RCV, très ému par la disparition de son Président, je remercie le Président de l'Assemblée et le Premier ministre des mots qu'ils ont su trouver pour évoquer la mémoire de Michel Crépeau. Après le délai de décence qui s'imposait suite à la catastrophe de Chamonix, nous devons nous interroger sur l'équilibre entre transport par rail et transport par route. Aujourd'hui 88 % des marchandises sont transportés par camion. La SNCF elle-même est l'un des premiers transporteurs routiers ! Le coût externe de ce mode de transport est de 2 000 francs par camion selon une enquête du ministère de l'environnement, et on ne le prend pas en compte. Comme de plus les conditions sociales sont détestables pour les chauffeurs, le camion est à même d'exercer une concurrence déloyale. D'ici une dizaine d'années, 2 000 véhicules par jour emprunteront le tunnel du Somport dans les Pyrénées et nous craignons de nouvelles tragédies, au moins les mêmes problèmes. Dans le tunnel du Mont Blanc, 760 000 camions passent chaque année. Ces six dernières années, il y a eu 25 morts et 250 blessés suite à des accidents de poids lourds sur la rampe de 17 km qui mène au tunnel. Le Gouvernement est-il prêt à accorder une priorité absolue au transport ferroviaire en montagne ? Est-il décidé à appliquer un moratoire à tous les aménagements routiers dans les Pyrénées ? Est-il disposé à ratifier le protocole relatif aux transports de la convention alpine ? Va-t-il promouvoir une fiscalité écologique qui permettrait, par exemple, de revoir le montant de la taxe à l'essieu car quand un camion paie 400 F en France, il paie 31 000 F en Grande-Bretagne ou en Allemagne ? Il faut savoir ce que nous voulons faire en faveur d'un rééquilibrage rail-route. Enfin, M. Gayssot entend-il mettre un terme définitif au projet, qui ne semble pas tout à fait abandonné d'autoroute A51 qui serait destinée au délestage des camions ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV) M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement - C'est, comme vous, avec la plus vive émotion que le Gouvernement considère cette épouvantable catastrophe qui a endeuillé la France et l'Italie. Les pensées et la compassion du pays tout entier vont aux victimes. Tel est le sens de la visite sur place hier du Premier ministre Lionel Jospin, qui avait à ses côtés son homologue italien M. D'Alema. Il a rendu hommage aux victimes, il a exprimé la solidarité du Gouvernement envers les familles, il a salué et félicité les secours, qui ont eux-mêmes été durement éprouvés avec la mort de l'adjudant-chef Georges Tosello. Le problème que vous soulevez est sérieux pour notre pays et M. Gayssot a à coeur de répondre à vos interrogations. Le trafic des poids lourds dans le tunnel du Mont Blanc a augmenté de 25 % ces dix dernières années et celui du tunnel du Fréjus de 83 %. Plus généralement, le problème se pose pour les massifs frontaliers d'Europe. Tous les principaux points de passage sont solidaires, tous enregistrent une hausse de trafic, ("La question !" sur les bancs du groupe du RPR) et les mesures de régulation prises dans un pays ont des répercussions dans les autres. M. Gayssot s'en est entretenu avec ses collègues européens, développer le transport ferroviaire et les transports combinés, implique la constitution d'un véritable réseau européen de fret qui suppose un développement de l'interopérabilité et bien sûr des investissements pour améliorer les infrastructures (Protestations sur les bancs du groupe du RPR). Plusieurs députés RPR - La question ! M. le Secrétaire d'Etat - De façon plus générale, une meilleure répartition modale suppose, à côté du développement de l'offre ferroviaire, des mesures de régulation qui peuvent passer par l'harmonisation fiscale des produits énergétiques et par l'internalisation des coûts externes du transport routier à travers le péage, ainsi que par l'harmonisation par le haut des règles sociales ou des règles de sécurité (Nouvelles protestations sur les bancs du groupe du RPR). Le Gouvernement portera tous ces sujets auprès de l'Union européenne, responsable aujourd'hui des conditions économiques du fonctionnement des transports (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. le Président - Nous en venons à la question du groupe Démocratie libérale, qui me donne l'occasion d'accueillir, conformément aux traditions, un nouveau député, M. Bernard Deflesselles (Les députés du groupe DL se lèvent et applaudissent longuement ; applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). SITUATION HUMANITAIRE AU KOSOVO M. Bernard Deflesselles - La situation humanitaire au Kosovo est aujourd'hui critique. De nombreux massacres ont eu lieu. On assiste à l'exode d'un nombre croissant de Kosovars, chassés par les militaires et par les miliciens de Slobodan Milosevic. Plus de 100 000 réfugiés avaient déjà gagné l'Union européenne au début des frappes de l'OTAN, mercredi dernier. Depuis samedi, plus de 100 000 personnes seraient arrivées en Albanie, au Monténégro et en Macédoine. Près de 70 000 personnes, principalement des femmes et des enfants, sont encore attendues dans ces pays. Les témoignages des réfugiés sur les conditions de cet exode massif illustre l'horreur de la situation qui règne actuellement au Kosovo. Après avoir vu le pillage et la destruction de leur maison, les réfugiés sont rackettés tout le long de leur route vers l'exil. La commissaire européenne à l'aide humanitaire, Mme Emma Bonino, manifestement alarmée par les rapports des ONG qui ont dû quitter la région, doit prochainement se rendre dans les Balkans pour évaluer la situation sur le terrain et coordonner l'action humanitaire de l'Union européenne. Quelles actions le Gouvernement va-t-il entreprendre, seul ou en coopération avec ses partenaires européens, pour tenter de mettre un terme à cet exil forcé et pour rendre plus humaines les conditions de vie extrêmement pénibles auxquels les réfugiés kosovars sont actuellement confrontés (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - Il y a moins d'une heure le porte-parole de l'OTAN a publié les derniers chiffres : Albanie, 150 000 réfugiés ; Macédoine, 52 000 ; Monténégro, 42 000. L'estimation faite hier par Mme Ogata, Haut commissaire aux réfugiés selon laquelle 4 000 réfugiés de plus franchissaient chaque heure les frontières de la Macédoine, du Monténégro ou de l'Albanie est malheureusement vérifiée. Mme Bonino se rendra demain sur le terrain, elle pourra ainsi mettre en oeuvre l'aide européenne pour laquelle déjà les premiers crédits ont été mobilisés. La cellule d'urgence française a bâti un premier programme qui combine apport en nourriture, aide médicale, protection civile, couverture. Son directeur sera sur place dans les heures qui viennent pour évaluer les besoins et, surtout, pour préparer l'arrivée des secours français. La France a demandé qu'une conférence multilatérale destinée à coordonner l'aide humanitaire se réunisse le plus vite possible, afin que l'ensemble des pays européens viennent au secours des réfugiés kosovars (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). PRÉVISIONS DE CROISSANCE ET POLITIQUE ÉCONOMIQUE M. Philippe Briand - Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie mais, puisqu'il est question de chiffres, je ne voudrais pas que Mme Aubry laisse son tempérament certes extraordinaire (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) occulter sa mémoire : en 1993, c'est avec un déficit de 100 milliards que nous avons trouvé la Sécurité sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; huées sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). En 1998, vous avez bénéficié d'une croissance de 3,1 %, qui a démarré dès le deuxième trimestre 1997. Cette croissance, vous l'avez cassée (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) avec des programmes aussi rigides que les 35 heures (Mêmes mouvements), avec 63 milliards d'impôts de plus en 1997-1998 (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; protestations sur les bancs du groupe socialiste). En établissant votre budget 1999, vous avez exagéré le taux d'inflation et surestimé la croissance, au mépris de l'avis des observateurs économiques comme de nos propres prévisions. Après avoir nié à plusieurs reprises ces évidences, vous venez enfin de reconnaître que la croissance ne serait pas conforme à vos déclarations. Il va donc vous falloir réagir et il n'y a que trois pistes. Vous pouvez tout d'abord laisser filer le déficit budgétaire et donc faire payer l'addition par vos successeurs, comme vous l'avez fait en 1992. Vous pouvez ensuite renoncer à une partie des dépenses au risque d'avoir quelques difficultés pour gérer les promesses hasardeuses de Mme Aubry et les contradictions de M. Allègre. Vous pouvez enfin augmenter encore les impôts, en faisant des Français les citoyens les plus imposés d'Europe, eux qui ont déjà subi 4,7 % de prélèvements de plus en 1998 et 3,1 % en 1997. Quel est donc votre choix ? Quoi qu'il en soit, les Français l'ont condamné par avance dimanche, en envoyant siéger parmi nous, au dam de votre majorité composite, notre nouveau collègue Bernard Deflesselles (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL). M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - Comment répondre calmement à un tel tissu de contre-vérités (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). La croissance, que vous prétendez cassée, sera comprise en 1999 entre 2,2 et 2,5 %, soit bien supérieure à celle constatée entre 1993 et 1997 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR). M. Alain Juppé - C'est faux ! M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - Puisque l'on parle de casser la croissance je vous rappelle, Monsieur Juppé, les 129 milliards d'impôts supplémentaires en 1996... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) M. Alain Juppé - C'est faux ! M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - ...ainsi que les deux points de TVA, soit 60 milliards... (Mêmes mouvements) M. le Président - Est-il indispensable de vous comporter comme des potaches ? (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - L'opposition donne des leçons sociales au Gouvernement. Mais qui a supprimé la remise de 42 F de la CSG ? En 1999, la croissance de la France sera supérieure à celle de l'Allemagne, vous ne nous y aviez pas habitués... Enfin, la confiance des ménages dans l'avenir de l'économie française est à son plus haut niveau depuis le début des années 1990. Vous me permettrez de faire davantage confiance aux consommateurs, aux épargnants, qu'à vos allégations. Je crois à la croissance, je crois à la justice sociale et le Gouvernement, vous le verrez d'ici quelques années (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), aura accumulé des preuves assez claires. TAXE ADDITIONNELLE AU DROIT AU BAIL M. Gilbert Meyer - En 1998, la collecte pour la taxe additionnelle était de 3,6 milliards. Le Gouvernement a limité son utilisation par l'ANAH à hauteur de 2,2 milliards. Les propriétaires bailleurs vont payer cette année une deuxième fois pour les neuf premiers mois de 1998. Nous dénonçons cette double imposition car elle est injuste ! Vous ne le contestez d'ailleurs pas puisque vous avez prévu un mécanisme de remboursement, certes très hypothétique. Vous allez donc encaisser deux fois pour la même année 10,2 milliards, dont 2,7 au titre de la taxe additionnelle. Votre démenti quant à la double imposition n'a pas convaincu l'opinion. Cette recette supplémentaire de 2,7 milliards devrait être affectée à l'amélioration du parc locatif privé. Il ne serait pas admissible que l'Etat la confisque à d'autres fins. Elle permettrait, par le biais des aides de l'ANAH, de réhabiliter des dizaines de milliers de logements. Votre réponse, Monsieur le ministre, intéressera non seulement les propriétaires bailleurs mais aussi les artisans (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - Permettez-moi de vous faire observer courtoisement qu'un propriétaire-bailleur qui encaissait un loyer mensuel de deux mille francs par mois a payé en octobre 1998 1 200 F, soit 5 % du loyer encaissé, au titre du droit de bail et de la taxe additionnelle. Il paiera exactement la même somme en décembre 1999. Il ne sera pas mis à contribution deux fois et l'Etat n'encaissera pas la même recette deux fois (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Il n'y a que dans l'hypothèse où un propriétaire cesserait de louer son logement que l'Etat lui rembourserait l'impôt payé pour les neuf mois. Permettez-moi enfin de vous faire observer que mon collègue Louis Besson a dès l'été 1997 affecté au logement social et à l'amélioration de l'habitat des moyens qui lui avaient été retirés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). M. Michel Bouvard - Ma question, à laquelle j'associe mon collègue Michel Meylan, député de Chamonix, s'adressait initialement au Premier ministre mais peut-être un autre membre du Gouvernement pourra-t-il y répondre. Depuis la fermeture du tunnel du Mont-Blanc, consécutive à la tragédie que l'on sait, le trafic du tunnel du Fréjus a crû de façon considérable. Le trafic poids lourds a doublé pour atteindre 500 camions à l'heure. Quels moyens le Gouvernement compte-t-il mettre en place afin que la sécurité y soit assurée jusqu'à la réouverture du tunnel du Mont-Blanc ? Au-delà, c'est le trafic poids lourds qu'il conviendrait de maîtriser dans le massif alpin alors que l'on annonce sa croissance exponentielle dans les dix prochaines années. Où en est le projet de création d'une autoroute ferroviaire entre Lyon et Turin, pour lequel nous avons activement milité, et qui a été élargi au trafic fret ? Le Premier ministre et le Président de la République ont confirmé la poursuite des études, dont les premiers résultats devraient être connus en 2000. Lors de l'examen de la loi sur l'aménagement du territoire, j'ai réclamé, avec Patrick Ollier, que cette infrastructure soit inscrite dans la loi : il y va de la sécurité des usagers et du respect de l'environnement. Le Gouvernement entend-il mettre tout en oeuvre, avec le gouvernement italien, pour que cette autoroute, qui permettrait vraiment de transporter les camions sur les trains à l'instar de ce qui est fait en Suisse, soit enfin construite ? La France et l'Italie ne seraient-elles pas capables de suivre l'exemple de ce petit pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) M. Paecht remplace M. Fabius au fauteuil présidentiel. PRÉSIDENCE DE M. Arthur PAECHT vice-président M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement - Je vous prie d'excuser M. Gayssot, retenu par une obligation internationale (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Le Gouvernement est tout à fait conscient de la nécessité d'une autre politique des transports dans les massifs montagneux, en particulier alpins. La catastrophe du tunnel du Mont-Blanc qui nous endeuille aujourd'hui en a rappelé l'urgence. Lors des sommets franco-italiens de 1997 et 1998, les deux pays ont rappelé leur attachement à la création d'un tunnel ferroviaire entre Lyon et Turin. 350 millions seront consacrés à une nouvelle tranche d'études qui devrait aboutir à des décisions fin 2000. Des actions à plus court terme ont par ailleurs été engagées pour accroître de 60 % la capacité du tunnel du Mont-Cenis : des investissements ainsi que de nouvelles règles d'exploitation seront nécessaires. Pour régler les problèmes immédiats posés par la fermeture du tunnel du Mont-Blanc, M. Gayssot a décidé que le trafic du tunnel du Fréjus, sur lequel se reporte une part importante du trafic poids lourds, serait régulé au péage afin de garantir un espacement suffisant entre les camions et que la circulation des véhicules transportant des matières dangereuses serait restreinte. Il a par ailleurs demandé à la SNCF de mettre en oeuvre sans délai de nouvelles liaisons fret par Modane et Vallorbe. Au-delà de ces mesures immédiates, il faut conduire une politique des transports plus soucieuse à la fois de la sécurité et de l'environnement. Cela passe notamment par le développement du transport ferroviaire et du transport combiné. Tel est bien l'objectif que poursuit le Gouvernement. Ainsi a-t-il augmenté de plus de 50 % les crédits du FITTVN consacrés au transport ferroviaire. Les prochains contrats de plan traduiront cette priorité. La participation de l'Etat aux investissements ferroviaires inscrits dans les contrats de plan sera donc le double de ce qu'elle était auparavant. Le projet de création d'une nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin, qui devra servir au trafic TGV et au trafic fret, n'est pas en veilleuse comme certains ont pu l'écrire. Un programme d'études de 350 millions est en cours, au terme duquel seront prises, fin 2000, des décisions. Que la Suisse ait franchi une nouvelle étape dans la réalisation de ses projets de tunnels ne remet absolument pas en cause les études en cours. Le Gouvernement veillera à ce qu'elles avancent conformément aux objectifs et au calendrier fixés. Seul le développement ambitieux d'une nouvelle offre ferroviaire dans les Alpes permettra de sortir de l'impasse à laquelle conduit la politique du tout-routier. C'est bien en ce sens que le Gouvernement continuera à travailler (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. le Président - Nous avons terminé les questions au Gouvernement. L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble du projet de loi renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes. Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Je tiens tout d'abord à remercier l'Assemblée nationale pour la qualité des débats. Les interventions ont toutes été très riches, précises et constructives. Toutes les questions soulevées par le projet du Gouvernement ont été abordées, et le texte sort amélioré de cette discussion, sur de nombreux points. Je salue le travail remarquable de la commission, sous la houlette de sa présidente Catherine Tasca, et du rapporteur Christine Lazerges qui a, par sa grande connaissance de ces sujets, largement contribué à l'amélioration du texte. Je remercie aussi les députés qui, sur tous les bancs, ont proposé des amendements qui ont enrichi le texte. Les groupes parlementaires étaient unanimes à souhaiter une réforme de notre procédure pénale. Cette unanimité conforte le Gouvernement dans sa volonté de mener à bien la réforme globale de la justice qu'il a engagée. Nous avons eu un débat de fond sur le type de procédure pénale que nous souhaitons pour la France, et nous avons abordé, sans détour, les principes supérieurs qui doivent guider le procès pénal. Le coeur de la discussion a porté sur le choix entre procédure accusatoire et procédure inquisitoire. L'opposition a contesté le choix résolu du Gouvernement de maintenir le juge d'instruction et la procédure inquisitoire. Elle n'a pas été suivie par votre Assemblée et je m'en félicite. Le choix de la procédure accusatoire et donc la suppression du juge d'instruction, auraient conduit à une diminution des garanties apportées à nos concitoyens les plus faibles. Ce choix aboutirait aussi à un affaiblissement de la répression, notamment pour la criminalité organisée et chaque fois qu'un investissement lourd est nécessaire pour permettre la manifestation de la vérité. Les propositions en faveur d'une procédure plus accusatoire étaient souvent inspirées par des critiques à l'égard des magistrats, notamment des juges d'instruction. Je tiens donc à rappeler la confiance du Gouvernement dans la magistrature. Avec ce projet, les juges d'instruction seront renforcés dans leur rôle d'arbitre et protégés des critiques sur l'ambiguïté de leur mission. Grâce à cette réforme et aux moyens nouveaux qui leur sont donnés, ils pourront désormais mieux être à la fois les gardiens des libertés et le fer de lance de la lutte contre la criminalité la plus grave. La présomption d'innocence sort elle aussi renforcée du débat. En effet, le texte donne plus de garanties au cours de la garde à vue ; améliore le statut de témoin assisté ; élargit les droits de la défense tout au long de la procédure ; limite la durée de la détention provisoire ; accélère le jugement des affaires dans lesquelles des personnes sont détenues ; crée un dispositif permettant d'indemniser les personnes qui sont déclarées innocentes par la justice, ouvre des possibilités nouvelles au débat contradictoire par une information équilibrée. C'est dans le domaine des droits des victimes que les améliorations ont été les plus sensibles. Je remarque à ce propos que le souci des victimes a été partagé par l'ensemble des groupes, convergence qui montre bien l'importance du besoin à satisfaire. Des améliorations pourront encore être trouvées au cours de la navette, notamment grâce aux travaux de Marie-Noëlle Lieneman, qui a rendu son rapport au Premier ministre vendredi dernier. Je salue les avancées qui résultent des amendements tant de votre commission que du groupe communiste sur l'information des victimes, et sur leur accueil par les services de police et de gendarmerie. En conclusion, je remercie l'Assemblée pour son soutien à l'action du Gouvernement dans la rénovation de la justice. J'espère que votre vote sera une manifestation supplémentaire de la détermination de la majorité dans ce domaine. Nous aborderons prochainement le texte sur les alternatives aux poursuites, et le texte sur les rapports entre la chancellerie et les parquets. Avec l'adoption par le Congrès de la réforme constitutionnelle, qui permettra le dépôt du projet de loi organique sur le statut des magistrats, nous aurons bientôt tenu nos engagements (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste). Mme Christine Lazerges, rapporteur de la commission des lois - L'Assemblée va se prononcer sur ce projet dont l'objet est double puisqu'il vise à la fois à renforcer la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes. Au terme d'un débat réfléchi, sérieux et consensuel, où chacun a pu apporter sa contribution, nous arrivons à un texte d'équilibre. Merci, Madame la Garde des Sceaux, d'avoir offert à la commission des lois la chance de travailler sur un aussi bon projet et d'avoir soutenu la plupart de nos amendements. Je remercie aussi la coordonatrice du groupe socialiste de ses efforts pour préserver l'équilibre entre les nécessités de la poursuite et la garantie des libertés individuelles. Merci aussi à l'ensemble des députés pour leur participation à un débat qui fait honneur à notre Assemblée. Nous nous acheminons vers une procédure qui n'est ni strictement accusatoire -elle ne l'a d'ailleurs jamais été- ni strictement inquisitoire, mais qui constitue une sorte de mixte. Le respect du contradictoire est affiché d'emblée, dans un beau texte préliminaire que la commission des loi s'est permis d'amender sérieusement et qui énonce plusieurs principes directeurs. Il place la victime au centre du système et favorise le rapprochement de notre procédure pénale avec celle des autres pays européens. A l'initiative de la commission des lois, les dispositions relatives à la garde à vue ont été améliorées. Nous avons ainsi proposé que le Procureur de la République visite régulièrement les locaux de garde à vue, que celle-ci soit limitée aux suspects, que le droit au silence soit mieux affirmé. La visite de l'avocat sera possible dès la première heure, puis à nouveau à la vingtième et à la trente sixième heure. Nos amendements ont tendu aussi à diminuer le nombre de mises en examen et à renforcer le statut de témoin assisté. Nous avons également cherché à conforter les droits des parties et à améliorer les délais, que ce soit pour la détention provisoire ou pour l'audiencement. Dans le souci d'une meilleure organisation de la justice, nous avons amorcé une réforme de la carte judiciaire en proposant qu'il n'y ait plus forcément un juge d'instruction dans chaque TGI. Le projet introduit une figure nouvelle dans le paysage judiciaire : le juge de la détention provisoire, chargé de porter un second regard sur la décision de placement, l'objectif étant que le taux français de mises en détention provisoire rejoigne ceux de nos voisins européens. En matière de communication, nous avons souhaité préserver le secret de l'instruction sans pour autant amoindrir la liberté de la presse. Nous avons donc prévu des communiqués du Parquet et des fenêtres de publicité. Les droits des victimes étaient au coeur de nos préoccupations. Nous souhaitions qu'elles soient mieux informées et mieux entendues à tous les stades de la procédure, qu'elles soient pleinement parties prenantes au procès pénal. Nous avons donc souhaité ouvrir un chapitre relatif à l'indemnisation des victimes des infractions pénales ; nous le nourrirons des conclusions du rapport de Mme Lienemann. La commission des lois entend d'ailleurs bien continuer à travailler sur ce texte de façon à arriver en dernière lecture à une grande loi garantissant à la fois les libertés et les droits des victimes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste). M. André Gerin - La justice se met à nouveau en examen... Nous voici en tout cas face à un texte qui a l'ambition de renforcer les droits et la protection des justiciables mais aussi des victimes. Nous le voterons, conscients que 40 % des détenus sont en attente de jugement. Mais comme je l'ai affirmé d'emblée, je prends le parti des victimes. Tout le monde a en effet le droit de vivre en sécurité, tranquillement. Beaucoup reste à faire pour garantir ce droit essentiel. Avant tout, il faut s'occuper de ceux, souvent d'origine modeste, qui sont confrontés à la violence urbaine et à la délinquance. Nous avons besoin d'une justice plus proche, plus rapide et plus attentive à la situation des victimes. Si nous voulons restaurer la confiance qu'ont en elle les Français, il faut affirmer mieux l'exigence de transparence publique et de moralité, tant dans notre pays qu'à Bruxelles. Les Français attendent une justice de compétence et de sérénité, une justice qui se rende avec équité, avec clarté et dans des délais raisonnables. Les classements sans suite, les verdicts controversés des tribunaux, la durée des procédures sont ressentis comme autant de dénis de justice. Le texte qui nous est soumis contient beaucoup de mesures plutôt positives : présence de l'avocat dès la première heure, instructions raccourcies, rôle des juges d'instruction repensé, mise en détention décidée par le juge du même nom, obligation pour la presse de contribuer à respecter la présomption d'innocence. Nous aurions aimé que la collégialité des magistrats soit la règle. Mais ce souhait se heurte au manque de moyens. C'est bien là que le bât blesse. Il aurait en effet fallu aller beaucoup plus loin pour faire reculer le sentiment d'insécurité, être au service du justiciable et s'occuper mieux des victimes. Nos concitoyens jugeront sur les faits. Ils verront si vraiment les procédures deviennent moins longues et plus efficaces, si le traitement des victimes s'améliore... Une victime bien accueillie contribue activement à une justice sereine. C'est l'objectif du renforcement de la présomption d'innocence. Cela dépendra pour beaucoup aussi des moyens. Des efforts importants ont été engagés depuis deux ans, et il faut rendre hommage au Gouvernement, mais les bonnes intentions peuvent se casser les dents sur les réalités. De véritables réformes de notre vieille procédure inquisitoriale sont nécessaires. Il faut changer d'échelle pour espérer un véritable bouleversement des choix budgétaires de la France. C'est renvoyer du même coup la droite à sa surenchère libérale anglo-saxonne qui tend à mettre en cause le service public (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste). M. Philippe Briand - Et le goulag ? M. André Gerin - Je souhaite que ce projet permette de réconcilier les Français avec leur justice. C'est avec l'espoir de rendre à la justice un peu de sérénité que je confirme notre vote positif (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste). M. Pierre Albertini - Nous avons été conduits à réfléchir sur les principes de notre procédure pénale. Cette réflexion est d'autant plus utile que nous sommes plus attachés aux principes abstraits qu'au respect de libertés très concrètes et que l'influence du code criminel de 1808 n'a pas cessé de se faire sentir. Chacun ici s'est demandé comment assurer l'équilibre entre la présomption d'innocence et l'efficacité de la répression ? De ce point de vue, votre texte est l'un des plus importants de la réforme de la justice engagée par le Président de la République et mise en oeuvre par le Gouvernement. S'agit-il d'une occasion manquée par rapport à l'absolue nécessité de restaurer le crédit de la justice dans l'esprit des Français ? Notre groupe a abordé ce débat avec deux principes simples. Le premier consiste à affirmer plus énergiquement les droits de la défense, d'autant plus que nous avons souhaité renforcé l'indépendance du Parquet, et que nous voulons conserver en même temps le principe de l'opportunité des poursuites. Dans cette perspective, nous avions proposé une présence plus active de l'avocat pendant la garde à vue, l'enregistrement des interrogatoires et l'attribution à une collégialité de la décision de mise en détention provisoire. Ces deux derniers éléments étaient proposés par M. Truche dans son rapport, mais vous les avez rejetés. Le second principe est celui d'une séparation plus claire entre les fonctions d'investigation et celles de jugement. Est ainsi en cause la place du juge d'instruction dans la procédure pénale. Nous ne nous défions pas des hommes, mais la solitude et l'étendue des pouvoirs du juge d'instruction, beaucoup l'ont dit ici, font question. C'est pourquoi nous avons soutenu les amendements de M. Balladur. Vous avez choisi de rester au milieu du gué. Vous conservez au juge d'instruction toute la palette du contrôle judiciaire, mais vous confiez la décision de mise en détention à un nouveau juge qui découvrira le dossier. Nous doutons de l'efficacité de cette procédure. Le 14 octobre 1985, M. Badinter, favorable à la procédure accusatoire, affirmait : "Une seule vraie question se pose : devons-nous conserver un système d'instruction où le juge agit seul, ou passer à une équipe de juges ?" Vote projet comporte des améliorations : reconnaissance des droits des victimes, correctifs homéopathiques apportés à la solitude des juges d'instruction, statut de témoin assisté, caractère plus contradictoire de la procédure. Mais nous continuons à douter de l'efficacité de l'ensemble du dispositif. Vous n'avez pas résisté à la tentation d'encadrer la liberté de communication, en transférant au juge répressif ce qui devrait appartenir naturellement au juge civil. Vous avez quadruplé les amendes, et certains sur les bancs de la majorité ont tenté de surenchérir. Le secret de l'instruction est devenu une fiction, et nous préférerions nous situer dans le cadre d'une liberté d'information plus équitable, et d'une déontologie professionnelle plus marquée. Pour toutes ces raisons, nous voterons contre votre projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). M. Guy Hascoët - Les députés radiaux, MDC et Verts voteront votre texte. Je craignais que ce débat ne subisse une pression médiatique liée aux affaires en cours et ne s'égare. Or il a été de qualité, sur tous les bancs. Le projet fait progresser les droits des victimes, protège mieux le droit à l'image quand existe un risque d'atteinte à la dignité des personnes, fait reculer les excès de la détention provisoire. Cependant, il faudra traiter le problème social du divorce entre la réalité constatée et le discours républicain. Certaines procédures traînent dix ans pour les uns, des comparutions immédiates sont décidées pour les autres. Certaines affaires se soldent par quelques broutilles, alors que pour un vol répétitif à la tire on peut prendre six mois de prison. Comment faire reculer tous les arbitraires dans la justice vécue, et notamment dans les relations entre la police et les jeunes ? Les syndicats de policiers ont eu tort, tout récemment, de s'élever contre une décision de justice, et aussi de donner à penser qu'ils sont prêts à couvrir les excès qui peuvent avoir lieu dans les commissariats. On connaît les difficultés de leur métier, mais ils ont tort de paraître vouloir s'exonérer de la punition quand des violences ont été commises dans les commissariats. Au contraire une police de proximité, une démarche tendant à réconcilier les habitants des quartiers avec les représentants de la République sont le seul moyen d'assurer la paix sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste). M. Philippe Houillon - Le groupe DL est très attaché au principe de la présomption d'innocence, face aux excès de la détention provisoire. En affirmant que la présomption d'innocence était le principe dont toute la procédure pénale devait découler, vous avez suscité une attente, mais qui n'a pas été satisfaite, y compris à l'intérieur de votre majorité. Sous la pression, probablement, des différentes corporations concernées, votre texte est resté au milieu du gué. Sans doute la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue et l'information des personnes mises en garde à vue constituent-elles des progrès appréciables. Cette disposition nous rapproche quelque peu de la situation qui prévaut dans les autres démocraties et amorce un progrès vers la procédure contradictoire, mais il reste encore beaucoup à faire pour améliorer le déroulement de l'interrogatoire et, plus généralement, pour assurer le respect du principe de l'égalité des armes tel que le définit la Convention européenne des droits de l'homme. Quant aux autres dispositions, elles ne traitent que partiellement ou imparfaitement du sujet. Nous regrettons en particulier que les propositions de l'opposition en faveur de systèmes alternatifs n'aient pas été retenues, de même que la plupart des mesures contenues dans le rapport Truche. D'autre part, le nouveau juge de la détention provisoire n'aura d'existence que le jour où la carte judiciaire aura été révisée et, comme il ne sera saisi que si le juge d'instruction décide de ne pas laisser le justiciable en liberté, il risque fort de n'être alors que le juge de la confirmation ! Les dispositions relatives à la presse ne changeront pas grand chose à la confrontation, inévitable, entre présomption d'innocence et droit à l'information. Le secret de l'enquête et de l'instruction n'apparaît plus adapté à une société moderne et les fenêtres de publicité ne seront que des palliatifs face aux exigences des médias, dont le contrepoids ne peut être que la réparation exacte du préjudice subi. Enfin, on peut s'interroger sur l'impact qu'auront les dispositions relatives au statut du témoin assisté, statut auquel les juges d'instruction ne recourent à peu près jamais aujourd'hui. Ce projet part sans doute de bonnes intentions mais il se limite surtout à réaffirmer des principes déjà inscrits dans notre droit positif sans en garantir l'application. Il ne prépare donc pas l'avènement d'une justice moderne et respectueuse de la présomption d'innocence. Aussi le groupe Démocratie libérale ne le votera-t-il pas (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF). Mme Frédérique Bredin - Devant les Français, le Premier ministre s'était engagé à réformer la justice pour la rendre plus proche du justiciable, plus efficace et plus respectueuse des libertés. Après la réforme du Conseil supérieur de la magistrature et avant celle qui assurera l'indépendance du Parquet, le présent projet s'inscrit dans le cadre ainsi tracé. Il est important car il touche aux libertés publiques et concerne le fonctionnement quotidien de la justice. L'une de ses forces, c'est de traiter à la fois de la présomption d'innocence et des droits des victimes, jusqu'ici trop oubliées dans les réformes successives de la procédure pénale. Sur la présomption d'innocence, les progrès sont concrets : présence de l'avocat dès la première heure de la garde à vue, renforcement des droits du témoin assisté, création du juge de la détention qui permettra de séparer les fonctions d'investigation des fonctions juridictionnelles et, surtout, de soumettre à un double examen le placement en détention. Nos débats ont été riches et plusieurs amendements de notre groupe, de la gauche plurielle ou de la commission des lois ont permis de conforter le texte sur des points importants : s'agissant de la garde à vue, qui donne parfois lieu à des humiliations choquantes, nous avons proposé que l'avocat puisse revenir à la vingtième heure, nous avons renforcé les garanties accordées au justiciable et limité la procédure aux seuls suspects. Nous avons enfin prévu un enregistrement dans le cas des mineurs. Pour la détention provisoire, à notre demande, le Gouvernement a accepté d'en limiter la durée maximale à quatre mois pour les délits justiciables d'un emprisonnement de moins de cinq ans, et à douze mois lorsque la peine peut aller de cinq à dix ans. Nous avons prévu une indemnisation automatique en cas de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement. Pour toutes ces raisons et en attendant que la deuxième lecture précise d'autres points, nous voterons bien sûr ce texte car notre combat a toujours été le combat pour la dignité de chaque justiciable, qu'il soit connu ou non, notable ou marginal : un combat qui porte à une conception exigeante de la justice et de la démocratie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV) M. Patrick Devedjian - Il y avait toutes les raisons pour que le groupe RPR vote ce projet (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) : le Président de la République avait pris l'initiative de demander des propositions sur le sujet à une commission et, d'autre part, après l'échec de précédentes réformes, la situation ne cessait de se dégrader : pensons que, chaque année, 2 000 personnes sont reconnues innocentes après avoir été incarcérées et que la France est régulièrement condamnée pour cette raison par la Cour des droits de l'homme. Enfin, et ce n'est pas le moins, les Français s'impatientent dans l'attente d'une réforme. Mais, est-ce parce que le Premier ministre avait totalement omis le souci du Président de la République dans son discours de politique générale ?, ce texte n'est qu'un avorton sans souffle ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe du RPR) En dépit de quelques améliorations symboliques qui nous empêcheront de voter contre ce projet, vous ne vous donnez pas les moyens d'une autre politique : ainsi en ce qui concerne la carte judiciaire qui, depuis deux ans, ne donne lieu qu'à des commissions et à des discours alors que chacun sait ce qu'il faut faire ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) M. Bernard Roman - Scandaleux ! M. Patrick Devedjian - Enfin, l'avocat pourra être présent dès le début de la garde à vue, mais, à l'inverse de ce qui se fait dans le reste de l'Europe, il ne pourra avoir connaissance de la procédure ni assister aux interrogatoires. Sa mission se bornera à apporter un réconfort psychologique ! Quant au juge de la détention provisoire, il restera une collusion avec le juge d'instruction. Vous avez cédé aux pressions de ces derniers, et ils ne vous en sont même pas reconnaissants, si j'en juge par leur communiqué fielleux ! On reprochait au juge d'instruction de pouvoir dire : "Parlez et je vous mets en prison !". Désormais, il pourra dire : "Parlez et je vous laisse en liberté !". Quelle avancée, pour employer votre vocabulaire ! On n'entrouvre la porte d'un débat public sur la mise en détention provisoire que pour la refermer aussitôt. Et que dire des atteintes au droit de la presse ? Le procureur de la République devient un journaliste en robe noire, contrôlant la communication de l'information. Seule au monde, la France ne pourra plus publier certaines images, évocatrices de grandes émotions : la mort de Kennedy, ni l'arrestation de mafiosi, ni le juge Michel assassiné ni Pinochet emmené ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Vous donnez ainsi un caractère pénal au contrôle social que vous aggravez avec constance et les quelques améliorations apportées à la procédure contradictoire ne compensera pas le défaut majeur de ce texte : c'est un projet conservateur, et c'est la droite qui vous le dit ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Après vous, la réforme restera à faire mais elle sera plus difficile parce que vous en compromettez les chances. Nous ne pouvons vous encourager à perpétuer ce gâchis qui n'a d'égal que votre éternelle autosatisfaction ! (Mêmes mouvements) Ce n'est pas une réforme mais un "plan médias". Eh bien, à ce stade, nous nous abstiendrons dans l'espoir que le Sénat obtienne du Gouvernement qu'il protège mieux les libertés individuelles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR) A la majorité de 303 voix contre 108 sur 544 votants et 411 suffrages exprimés, l'ensemble du projet de loi est adopté. La séance, suspendue à 17 heures, est reprise à 17 heures 5.
L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi relative au mariage, au concubinage et aux liens de solidarité. Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Le 17 mars, en supprimant l'article premier de cette proposition, le Sénat a fait un choix clair : il a supprimé purement et simplement le pacte civil de solidarité. Je ne peux l'accepter, et je soutiens sans réserve le dispositif retenu par votre commission, qui apporte des améliorations symboliques et techniques au texte. Le Sénat a dissimulé son refus derrière des arguments techniques. Selon son rapporteur, le texte que vous avez adopté serait source d'insécurité juridique. L'inscription au tribunal d'instance poserait problème ; on ne fixerait pas de date sûre et la publicité ne serait pas prévue ; le contrat n'imposerait aucune obligation réelle, le régime d'indivision serait source de contentieux, les règles de l'attribution préférentielles seraient inadaptées... Je vous épargne la fin de la liste. Mais l'essentiel se révèle lorsque le rapporteur du Sénat affirme qu'il n'y a pas de place dans notre droit par une formule entre le concubinage et le mariage sans remettre en cause le droit personnel et celui de la famille. La majorité sénatoriale avance que le texte est "inamendable, inapplicable, source de difficultés", qu'il est même contraire à la Constitution -en quoi, d'ailleurs ?- puis elle révèle sa vraie motivation : le texte que vous avez voté n'a pas de place dans notre droit. On croit entendre l'argument de la marmite de Plaute : celui qui la réclamait se voit répondre : ta marmite tu ne me l'as pas prêtée, d'ailleurs elle avait un trou et en plus je te l'ai déjà rendue... M. Thierry Mariani - C'est spécieux. Mme la Garde des Sceaux - Je voudrais de nouveau dissiper les arguments de mauvaise foi. D'abord il n'y a pas de confusion avec la famille. Comment croire le Sénat et l'opposition qui clament que le Pacs porte atteinte à la famille et au mariage et réclamer que ce débat soit joint à celui sur l'enfant et la famille ? Il faut choisir ! Combien de fois faudra-t-il répéter que le Pacs, contrat par lequel deux personnes entendent régler leur vie commune, est neutre vis-à-vis de la famille et du mariage ? On veut nous faire croire qu'on porte atteinte aux fondements de notre société pour mieux récuser ce que des millions de personnes sont en droit d'attendre (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). La famille comporte une dimension temporelle, procréatrice ; le pacte civil de solidarité n'interdit ni ne confère aucun des droits attachés à la famille et à la descendance qu'elle inclut. Il est neutre au regard du droit de la filiation, de l'adoption, de la procréation médicalement assistée et de l'autorité parentale : la procréation médicalement assistée reste interdite aux homosexuels comme l'adoption conjointe reste interdite à deux concubins. Il n'influera en rien sur l'exercice de l'autorité parentale qui est subordonné au seul intérêt de l'enfant. Il ne permettra pas de substituer le nom du partenaire à celui porté par l'enfant. Autre idée fausse : il aurait suffi de légiférer au coup par coup. Combien de fois faudra-t-il entendre cette ritournelle ? Il aurait suffi que notre droit social fût aménagé ! Il aurait suffi que notre droit du travail fût révisé. Il aurait suffi que notre droit du logement fût modernisé. Il aurait suffi que notre droit successoral fût modifié. Il aurait suffi que notre droit fiscal fût adapté. Il aurait suffi d'exploiter à fond les possibilités du droit français pour résoudre les problèmes des couples qui ne veulent ou ne peuvent pas se marier ! S'agissant plus particulièrement des couples homosexuels, il aurait suffi de briser la jurisprudence de la Cour de cassation... Pourquoi, si cela paraissait aller de soi, la majorité sénatoriale et la minorité de l'Assemblée nationale ne l'ont-elles pas fait ? M. Dominique Dord - Quelle mauvaise foi ! M. Michel Hunault - Parce que nous sommes la minorité ! Mme la Garde des Sceaux - L'opposition qui n'a jamais proposé de telles mesures éparpillées, le fait aujourd'hui parce qu'elle sent bien qu'elle ne peut pas aller contre les évolutions de la société sans passer pour archaïque... En outre, à supposer que toutes ces mesures aient été adoptées, cela n'aurait plus suffi ! Les couples qui ne peuvent pas ou ne veulent pas se marier ne se contenteraient plus d'une aumône, un droit à congé par ci, une personne à charge ou un allégement fiscal par là. Ils veulent que leur existence juridique soit reconnue par un acte symbolique. Je pense, contrairement au Sénat, qu'il y a place entre la situation de fait que constitue le concubinage et l'institution que représente le mariage, pour un cadre juridique intermédiaire de la vie en commun. M. Bernard Roman - Très bien ! Mme la Garde des Sceaux - Votre commission des lois propose de rétablir le Pacs tout en lui apportant des aménagements techniques et symboliques importants. Je souscris entièrement à sa démarche. Le Pacs est nécessaire parce qu'il met en valeur un mode de vie qui repose sur la solidarité et parce qu'il est un facteur de paix sociale. Il est nécessaire parce qu'il répond à une attente réelle de nos concitoyens comme le révèlent les enquêtes d'opinion. Le Pacs s'adresse à ceux qui, de toute façon, ne se seraient pas mariés, soit qu'ils ne veulent pas, soit qu'ils ne le puissent pas. Ceux qui veulent se marier se marieront, quant aux autres, le législateur leur offre une possibilité supplémentaire. Rien ne les y oblige. Mais s'ils souhaitent mieux organiser leur vie commune et être plus protégés que dans le concubinage, ils peuvent signer un pacte civil de solidarité. Ce pacte est un contrat conclu entre deux personnes de sexe différent ou de même sexe pour organiser leur vie commune. Que les choses soient claires : la déclaration au greffe est sans rapport avec la solennité de la célébration du mariage. En revanche, elle constate que ce jour-là les deux signataires ont voulu s'engager, dans la durée, aux yeux de la société. Parce que le pacte civil de solidarité emporte certains droits subordonnés notamment à une durée déterminée de vie commune comme en matière fiscale, il importe qu'aucune contestation ne puisse être élevée quant à la date de conclusion du pacte, et que soit évitée toute démarche superflue aux intéressés. La déclaration au greffe du tribunal d'instance répond pleinement à cette préoccupation. Destiné à régir les relations du couple lui-même, entre ses membres comme à l'égard des tiers, le pacte civil de solidarité est étranger au droit de la famille auquel il ne porte aucune atteinte. Parce qu'il s'adresse avant tout à des couples qui entendent partager non seulement une communauté de toit mais aussi une communauté de lit, le texte que vous avez voté en première lecture et que votre commission s'apprête à rétablir comporte certaines prohibitions tenant à l'interdiction de l'inceste. Mais aucun contrôle sur les modalités de vie des intéressés ne saurait être opéré sous peine de violation de la vie privée. Il pourra donc y avoir des situations, vraisemblablement limitées, où le pacte civil de solidarité sera conclu entre des personnes que n'unit aucun rapport charnel. Le dispositif proposé est essentiellement pragmatique en ce qu'il recouvre les aspects fondamentaux de la cohabitation. Que les choses soient claires : le pacte civil de solidarité implique une résidence commune. M. Thierry Mariani - C'est nouveau ! Nous l'avions demandé en première lecture. Mme la Garde des Sceaux - Ainsi, seront concernés les actes de la vie courante avec, au premier chef, les dépenses ménagères, le logement, y comprit ce qu'il devient en cas de dissolution du couple, le sort des biens acquis au cours de la vie commune, l'imposition sur le revenu, les modalités d'exercice des congés payés, les affectations géographiques dans la fonction publique, les congés exceptionnels pour événements familiaux. Il n'y a là nulle idéologie. Certes, des aménagements techniques sont possibles et votre commission en a proposé un grand nombre. La navette parlementaire a pour principal intérêt d'améliorer les textes. Mais aucune des dispositions votées par l'Assemblée nationale n'est en son principe critiquable. Aucune ne constitue une faveur sans contrepartie. Si les signataires d'un pacte bénéficient de certains droits économiques et sociaux, ce n'est généralement qu'après une certaine durée de cohabitation, attestant de la réalité de la vie commune et en contrepartie d'obligations en termes de dettes et de solidarité. Aucune disposition du Pacs ne porte atteinte à la famille et au mariage. Certains députés et sénateurs ont prétendu qu'il détournerait un certain nombre de couples, du mariage ! (Au contraire ! sur plusieurs bancs) On fait dire au Pacs ce qu'il ne dit pas pour faire peur. Faudrait-il croire qu'on se marie pour obtenir les avantages sociaux et fiscaux reconnus par la loi et qu'on ne se mariera plus quand une nouvelle loi aura reconnu certains avantages au couple non marié ? M. Yann Galut - C'est leur conception ! Mme la Garde des Sceaux - La famille n'a-t-elle donc aucune valeur morale en soi, aucune signification spirituelle puisque ceux qui s'en font les apologistes doutent qu'elle puisse être attirante lorsqu'elle n'aura plus l'exclusivité de l'imposition commune, de la Sécurité sociale, du droit au bail, des droits de mutation en cas de décès ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) M. Michel Hunault - Pourquoi de telles provocations ? Mme la Garde des Sceaux - Allons donc ! La famille comme le mariage sont des idéaux enracinés et fort heureusement plébiscités par notre société. Et c'est parce que j'ai confiance dans la famille et dans le mariage que je ne crains pas de les affaiblir par une initiative qui est neutre vis à vis de ces deux institutions. M. Daniel Marcovitch - Très bien ! Mme la Garde des Sceaux - Comme le dit Dominique Fernandez dans son livre Le loup et le chien "c'est parce que j'ai cette idée bien plus haute d'un couple uni par des affinités de coeur, d'esprit, de sexe, et par le soin des enfants que je ne vois pas dans le Pacs un rival du mariage, encore moins un rival séduisant. Solution pratique destinée à ceux qui préfèrent une autre formule, il sera même peut-être, pour les concubins hétérosexuels, un premier pas vers le mariage" (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Les améliorations apportées par votre commission sont d'abord techniques. En premier lieu, il est apparu nécessaire de bien préciser que le Pacs est un contrat afin que les juges sachent à quel système juridique global se référer s'il y avait conflit. M. Thierry Mariani - Vous nous l'aviez refusé en première lecture ! Mme la Garde des Sceaux - En deuxième lieu, il est apparu nécessaire de bien distinguer la déclaration de Pacs, enregistrée par le greffier, et la convention que les signataires du Pacs passent entre eux, que le greffier vise et remet à chaque partenaire. Il sera ainsi plus facile aux signataires d'apporter des modifications ultérieures à la convention. En troisième lieu, il vous est apparu nécessaire d'inclure dans la solidarité les dépenses liées au logement compte tenu de l'obligation de résidence commune. En quatrième lieu, il vous a semblé que l'application du régime de l'attribution préférentielle de l'article 832 du code civil était trop large et que la spécificité du régime des exploitations agricoles conduisait à ne pas le rendre applicable en cas de dissolution du Pacs. En cinquième lieu il convenait de préciser que les conséquences de la rupture du Pacs portent exclusivement sur la liquidation des droits et obligations pécuniaires de ses membres, avec la possibilité donnée au juge, s'il est amené à intervenir, d'allouer des dommages et intérêts. Cette disposition me paraît bonne, dans un souci de protection. Enfin vous avez souhaité qu'il soit interdit à un majeur placé sous tutelle de conclure un Pacs. Le Gouvernement souscrit sans réserve à ces aménagements techniques importants. Vous souhaitez, par ailleurs, comme les sénateurs de la gauche plurielle, lever les discriminations qui frappent les concubins homosexuels. Comme l'a remarqué Jean-Pierre Michel, la première lecture au Sénat a eu au moins le mérite de poser la question de la reconnaissance de l'existence des couples homosexuels et la nécessité de leur accorder des droits. Mme Christine Boutin - Enfin, vous les reconnaissez ! Mme la Garde des Sceaux - Car, pour supprimer le Pacs, le Sénat s'est vu contraint de traiter du concubinage tant il sentait qu'il ne pouvait revenir au simple statu quo. Pour supprimer toute discrimination dans une situation de fait, jusqu'ici définie par la jurisprudence comme la cohabitation stable et durable entre deux personnes ayant l'apparence du mariage, et donc entre un homme et une femme, le Sénat a seulement prévu de définir le concubinage comme "le fait pour deux personnes de vivre en couple sans être unies par les liens du mariage". Cette rédaction brillait par ce qu'elle gardait bien de préciser. Elle n'apportait pas grand chose par rapport aux définitions jurisprudentielles et législatives, notamment celle de l'article 340-4 du code civil qui indique que le concubinage implique "à défaut de communauté de vie, des relations stables et durables". Surtout, par sa définition, le Sénat refusait de préciser que le concubinage était possible quel que soit le sexe des partenaires. Un amendement dans ce sens avait été présenté par les sénateurs socialistes et soutenu par une partie de la majorité du Sénat mais il a été rejeté. M. Eric Doligé - C'est qu'il était mauvais ! Mme la Garde des Sceaux - Dès lors la suppression de la discrimination en considération du sexe des partenaires n'a pas été retenue par la Haute assemblée. Vous savez très bien que ce Gouvernement comme les parlementaires de la majorité, ont toujours été opposés à toute discrimination en considération du sexe, dès lors que le mariage et la filiation ne sont pas en cause. Quant au but poursuivi, le Gouvernement est non seulement d'accord mais les partis de la majorité plurielle ont toujours été précurseurs. C'est d'ailleurs le débat sur le Pacs qui a généralisé la prise de conscience du caractère intolérable de ces discriminations. Quant à la forme, la jurisprudence s'appuie pour définir le concubinage sur des critères objectifs -cohabitation, continuité et notoriété des relations- qui sont absents de la définition proposée par le Sénat. C'est la raison pour laquelle je souscris à la définition que vous proposez d'introduire à l'article 515-8 du code civil : "le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple". Il ne s'agit nullement de faire du concubinage un statut puisqu'il s'agit d'un état de fait qui peut se prouver par tout moyen. La jurisprudence et le droit social ont déjà reconnu les droits afférents à ce type d'union. Bien évidemment, la disposition sur la non discrimination entre concubins ne se substitue pas au Pacs, elle s'y ajoute. Seul le Pacs, qui a la force d'un engagement contractuel créant des droits et des obligations, est en mesure de conférer des droits plus étendus que le concubinage, notamment les droits fiscaux et les droits de mutation en cas de décès. La reconnaissance du concubinage homosexuel est une bonne chose : c'est l'aboutissement d'un long processus qui vise à effacer les discriminations. Le 29 avril 1981, le candidat François Mitterrand déclarait que l'homosexualité devait cesser d'être un délit. Robert Badinter la fit disparaître du code pénal. Je tiens à lui en rendre hommage comme à Jean-Pierre Michel qui fit voter en 1985 un amendement qui étendait aux moeurs les lois antiracistes. Au terme de l'examen de ce texte, un ensemble cohérent de dispositions juridiques facilitera la vie de centaines de milliers, peut-être de millions de nos concitoyens. L'union libre est un état de fait entre personnes qui vivent en couple mais ne contractent aucun engagement. Au regard du droit social qui a toujours pris en considération les situations de fait, il ne peut y avoir aucune discrimination entre les couples selon leur orientation sexuelle. Le Pacs est un contrat par lequel un couple qui ne veut ni ne peut se marier, s'engage. La société souhaitant encourager ces modes de vie à deux, les signataires d'un Pacs se verront reconnaître des droits fiscaux et successoraux. Cette reconnaissance est importante aussi sur le plan symbolique. Une France moderne ne peut pas rester à l'égard des évolutions et doit encourager ceux qui s'efforcent de lutter contre la dissolution des liens sociaux. Enfin, le mariage, mode de vie qui assure la plus grande stabilité aux liens entre un homme et une femme et ouvre à la procréation, est la forme d'union que la société prend le plus en considération en lui reconnaissant les droits les plus étendus. La discussion parlementaire engagée depuis le 9 octobre dernier aura eu au moins le mérite de clarifier les enjeux. Dans un premier temps, le Pacs s'est fait une place à côté du mariage en dissipant les ambiguïtés que la mauvaise foi voulait entretenir (Murmures sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Dans un second temps, il s'est fait une place à côté de l'union libre auquel un certain nombre de nos concitoyens ne souhaitent pas renoncer. C'est une bonne chose que nos concitoyens, moins enclins aux préjugés qu'on ne le pense sur certains bancs, l'approuvent, sachant que cela ne fragilise en rien notre attachement à la famille et au mariage (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois - Le nouveau titre de cette proposition de loi aura pu en surprendre plus d'un. C'est celui que lui a donné le Sénat mais soyez rassurés, son titre initial sera bientôt rétabli. M. Eric Doligé - Attendez ! Pas si vite ! M. le Rapporteur - Le Sénat a rejeté le Pacs mais sur le point le plus important, à savoir quelle union sera considérée dans notre droit positif comme un couple, nos deux assemblées sont d'accord. Le Sénat a très clairement dit qu'un couple pouvait être constitué d'un homme et d'une femme, mais aussi de deux hommes ou de deux femmes. Le rapporteur de la proposition de loi, M. Gélard, a expressément indiqué que la Haute assemblée souhaitait donner dans le code civil une définition du concubinage qui permette d'assimiler totalement couples homosexuels et couples hétérosexuels, et ainsi d'inverser la jurisprudence de la Cour de cassation. Je ne puis que l'en féliciter et l'en remercier. Certes, la majorité sénatoriale n'est pas allée au bout de sa logique. Sa frange la plus frileuse -pour ne pas employer d'autres termes- a refusé que soit écrit noir sur blanc ce qui se dégageait des débats, se contentant d'inscrire le concubinage dans la loi, sans préciser qu'il pouvait être le fait de deux personnes homosexuelles, alors que cela allait de soi pour le rapporteur. Très attaché à la navette parlementaire, je considère qu'il faut faire droit à la proposition du Sénat. C'est pourquoi j'ai proposé à la commission d'insérer dans le code civil un chapitre intitulé "Du concubinage". Cela évitera d'ergoter à l'avenir sur la jurisprudence de la Cour de cassation. Mais cela ne résout pas tous les problèmes, loin de là. En effet, le concubinage, situation de fait, ouvre peu de droits. C'est pourquoi j'ai proposé à la commission de rétablir le Pacs et de supprimer les dispositions sénatoriales, dont certaines étaient de pures tautologies et d'autres confuses. La commission propose de maintenir le dispositif adopté en première lecture tout en l'améliorant sur certains points, pour répondre notamment à certaines interrogations juridiques soulevées alors sur ces bancs. Pour ne pas allonger les débats -d'autres s'en chargeront peut-être- je me limiterai aux principaux amendements que vous propose la commission. Afin de lever toute ambiguïté, la loi réaffirmera que le Pacs est bien un contrat régi par les articles 1101 et suivants du code civil. M. Thierry Mariani - Vous étiez contre en première lecture ! M. le Rapporteur - Le Sénat a supprimé la disposition relative aux fratries. La commission ne propose pas de la rétablir. Cela rendra le texte plus lisible. Le Gouvernement a déposé plusieurs amendements qui simplifient le régime d'indivision des biens et en facilitent l'application. La commission s'y rallie. Celle-ci vous propose par ailleurs de supprimer le délai de deux ans exigé pour l'ouverture des nouveaux droits en matière de succession. En première lecture, il avait été décidé qu'il ne serait supprimé que si l'un des partenaires était atteint d'une maladie grave figurant dans la liste du code de la santé publique. Cette disposition était à la limite de la constitutionnalité. Enfin, lorsque le Pacs sera rompu sans accord entre les signataires, la commission propose que le juge, appelé à se prononcer sur les conséquences patrimoniales de cette rupture, statue sans préjudice de la réparation éventuelle des dommages subis. Le Pacs se démarque donc en tous points du mariage : il n'est pas célébré, c'est une convention et non une institution, il peut être conclu par deux personnes de même sexe, il n'implique pas devoir de fidélité... Il diffère du concubinage : il permet de contractualiser la vie commune, il crée des droits et des devoirs... Contrairement à ce qui a été allégué sur certains bancs ici et au Sénat, il n'influe en rien sur le droit de la famille et n'interfère nullement sur les relations parents-enfants. Les signataires d'un Pacs ne pourront pas adopter conjointement et ne pourront recourir à la procréation médicalement assistée que si le couple se compose d'un homme et d'une femme. Le Pacs n'aura aucune incidence non plus sur les règles de l'autorité parentale et de la transmission du nom. Le Pacs n'est pas encore voté définitivement -espérons qu'il le soit le plus tôt possible- mais il est déjà entré dans les moeurs. Il n'est que de voir les mémoires et les thèses universitaires qui lui sont consacrés, les ouvrages, les émissions télévisées et radiophoniques qui en traitent, les films qui l'évoquent comme tout récemment Belle-maman. Pour les notaires aussi, il est devenu réalité : leurs revues spécialisées comportent un exemplaire-type de contrat. Aussi, mes chers collègues, échangeons des arguments juridiques sérieux afin d'améliorer encore le texte mais ne résistons pas trop. Cela serait préjudiciable à votre image même. M. Eric Doligé - Cela suffit ! M. le Rapporteur - Je vous demande donc d'adopter les amendements acceptés par votre commission et le texte ainsi modifié (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste). M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - L'examen par le Sénat de la proposition de loi relative au Pacs aura eu un seul avantage : confirmer que, dans le domaine qui nous intéresse, il est nécessaire de légiférer. Un coup fatal a ainsi été porté à l'un des principaux arguments développés ici par l'opposition en première lecture. Hormis ce constat, qui ne nous évitera pourtant pas trois nouvelles motions de procédure, je regrette de devoir tirer un bilan négatif du travail réalisé par la Haute assemblée, qui n'a pas su réaliser son ambition, à savoir construire une alternative au Pacs. Pour ce faire, j'aurai la pudeur de ne pas reprendre les mots choisis par le rapporteur de la commission des lois du Sénat à propos du Pacs : "indéfendable, inamendable, inapplicable, incorrigible, dangereux, s'inscrivant dans une logique inadaptée et perverse"... Si nos collègues de l'opposition, je pense tout particulièrement à M. Mariani, souhaitent relayer ce jugement à l'occasion de cette deuxième lecture, je les invite à retenir l'idée que le Pacs serait inamendable, ce qui aurait pour conséquence de donner une durée raisonnable à nos présents débats (Sourires sur divers bancs). Je ne m'attarderai pas non plus sur la présentation toute en nuances faite par la majorité sénatoriale du Pacs comme "monstruosité juridique" créée par un législateur qui "n'est plus très sûr de ne pas pouvoir changer un homme en femme" et profitant aux "vieux messieurs de Saint-Germain des Près", dont "l'un ira bricoler pendant que l'autre fera la vaisselle". Cette présentation a du moins le mérite de ne pas trop dissimuler l'appréciation que porte une partie des membres de la Haute assemblée sur des couples qui n'aspirent qu'au respect de leurs choix amoureux. Plus sérieusement, je regrette que le président et le rapporteur de la commission des lois du Sénat aient cru utile de porter un regard extrêmement désobligeant sur le travail préparatoire que Jean-Pierre Michel et moi-même avons conduit. Notre système bicaméral invite en général à plus de retenue... Pour une fois, a-t-on entendu dire, la modernité se serait trouvée au Sénat. Je crains malheureusement que cette première fois ne soit pas encore la bonne. En effet, ce passage au Sénat s'est surtout soldé par une suppression pure et simple du Pacte civil de solidarité et par une définition du concubinage qui s'arrête en chemin et qui, notons le au passage, inquiète les évêques de France dans la mesure où elle est inscrite dans le code civil. En refusant d'adopter l'amendement présenté par les sénateurs du groupe socialiste et soutenu par certains centristes, la majorité sénatoriale a en fait conforté la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui exclut du concubinage les couples homosexuels. Avec le texte dont nous nous saisissons aujourd'hui, le concubinage concerne, plus que jamais et de manière exclusive, un homme et une femme ! Et le rapporteur de la commission des lois du Sénat de préciser : "Si jamais la rédaction que nous allons adopter s'avère trop légère, nous pourrons toujours, intervenir auprès de la Cour de cassation pour exiger que notre texte soit appliqué dans l'esprit qui a été le nôtre." Le législateur ne devrait-il pas avoir plutôt le souci d'exprimer le plus clairement possible sa volonté au moment même où il écrit le droit ? C'est bien dans ce souci en tout cas que nous ajoutons au dispositif concernant le Pacte civil de solidarité une définition du concubinage qui exprime, sans aucune ambiguïté, qu'il s'agit d'une union de fait entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple. Il y a aussi de l'ingénuité dans les déclarations du rapporteur du Sénat lorsqu'il affirme, par ailleurs : "Nous avons tout de même souhaité donner une définition du mariage dans le code civil qui bizarrement n'en contient aucune." L'amendement de suppression que nous vous proposons nous donnera l'occasion de rassurer l'Assemblée sur ce point : depuis le 30 ventôse de l'an XII, nulle bizarrerie n'entache notre code civil en ce domaine, et il n'y a jamais eu le moindre doute sur le fait que seuls une femme et un homme peuvent être unis par les liens du mariage. Par ailleurs, le Sénat n'a pas été jusqu'au bout de sa logique puisqu'il n'a pas attribué aux concubins les droits que nous conférions aux couples non mariés à travers le Pacte civil de solidarité. Le transfert de la qualité d'assuré social ou la continuation du droit au bail ont été ainsi supprimés, alors même qu'ils étaient l'expression d'une solidarité active et qu'ils sont à la base du combat mené depuis huit ans par les initiateurs du Pacs, je pense tout particulièrement à Jan-Paul Pouliquen et à Gérard Bach-Ignasse. Je vous proposerai donc de rétablir le texte que nous avons adopté le 9 décembre dernier, avec quelques ajustements techniques, opportunément suggérés par le professeur Jean Hauser, ou politique -non rétablissement de la disposition sur les fratries, étant entendu qu'un groupe de travail présidé par l'un de nos collègues sera chargé de réfléchir à cette question. Le postulat de base de la majorité sénatoriale est qu'il n'y aurait pas de place dans notre droit, entre le concubinage et le mariage. Même s'il constitue un progrès par rapport à l'affirmation, maintes fois entendue dans cet hémicycle à l'automne dernier, selon laquelle il n'y aurait rien entre l'individu et la famille, je suis frappé par ce blocage à l'égard d'une innovation juridique qui est pourtant seule à même de mettre un terme aux discriminations existantes. Revenons donc au Pacte civil de solidarité, tel que nous l'avons voté, à savoir une proposition de loi qui ne lèse personne, qui ne revient sur aucun droit existant mais qui tend vers une plus grande égalité des droits. Il est encore et toujours nécessaire de rappeler le caractère d'abord républicain de notre démarche, qui vise à créer un cadre global et unifiant pour les couples de sexe différent ou de même sexe. C'est le principe d'universalité des droits qui nous a conduits à rejeter toute dérive communautariste de type anglo-saxon et à ne pas retenir un statut spécifique pour les couples homosexuels. De même, notre tradition de neutralité de l'Etat et de nette séparation entre les sphères privée et publique ne nous autorise toujours pas, juridiquement, à "sexualiser" le Pacs, même si la lecture politique que nous en donnons reste centrée sur l'émergence d'un statut pour les couples non mariés. Le Pacs permet à deux personnes physiques majeures qui le souhaitent d'organiser leur vie commune sur une base contractuelle. Le Pacs est donc un contrat qui prend naturellement place entre l'union instituée qu'est le mariage et l'union libre. Le Pacs, c'est aussi un lien social moderne. Cette dimension ne semble toujours pas perçue par ceux qui, de discussions de salons en dîners en ville, ont trouvé d'autres méthodes pour régler les difficultés qu'ils pourraient rencontrer en vue de transmettre leur patrimoine ou d'assurer à leurs proches des conditions de vie satisfaisantes. Pouvait-on, à partir de l'union de fait qu'est le concubinage, donner certains des droits dont disposent les couples mariés à ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas se marier ? Le Gouvernement a estimé avec nous que cette solution a priori simple et pratique était en fait incertaine et précaire. Une simple déclaration de concubinage ne suffirait pas, par exemple, à ouvrir, de façon incontestable pour l'administration, des droits fiscaux. Par ailleurs, l'union libre ne comporte pas de devoirs réciproques et la rupture ne peut y être formalisée, ce qui rend vulnérable le plus faible du couple. A contrario, le Pacs ouvre des droits en contrepartie de devoirs de nature légale et, à défaut d'accord, le juge statue sur les conséquences patrimoniales de la rupture. C'est bien parce que le Pacs est une proposition plus que jamais raisonnable que la commission des affaires culturelles a donné un avis favorable à l'adoption de l'ensemble de la proposition de loi, sous réserve naturellement des amendements qu'elle a adoptés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois - Nous aurions pu aborder ce débat avec un très mauvais moral puisque la majorité sénatoriale a purement et simplement supprimé le Pacs pour lui substituer un texte hétéroclite aux objectifs peu clairs et qui traite dans le désordre des questions qui sont tout à fait à la marge de notre proposition. Notons ainsi sa prétention à définir le mariage, qui n'en demandait pas tant et qui ne se portait pas si mal ; la surprenante légitimation du concubinage par une chambre qui hier encore ne voulait connaître que le mariage -mais sans doute a-t-elle pensé "tout plutôt que le Pacs" ; enfin, la distribution hasardeuse d'avantages fiscaux tous azimuts à des gens que ne lierait aucun engagement. Nous entamons cependant la deuxième lecture avec confiance car, en quelques mois, le débat a confirmé la légitimité de nos questions, la nécessité de légiférer pour y répondre, l'urgence de reconnaître droit de cité aux homosexuels, enfin la justesse d'un texte qui recueille une très large adhésion de l'opinion. Le Pacs constituera une solution responsable, moderne et digne pour tous les couples qui ne peuvent pas ou ne veulent pas se marier. Ce sera la fierté de notre majorité que d'avoir porté ce projet et il n'est pas interdit d'espérer qu'ici ou là, d'autres parlementaires la rejoignent. Il n'est jamais trop tard pour bien faire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste). EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ DE M. Jean-Louis DEBRÉ M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe RPR une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement. M. Yann Galut - Sur le texte du Sénat, donc ! Mme Nicole Catala - Notre Assemblée a déjà consacré de longues heures au pacte civil de solidarité et je ne suis pas sûre que l'opinion publique en ait retiré l'impression que nous menons ici avec méthode et sérénité le débat approfondi qu'appelle l'évolution de notre société. A l'inverse, nos collègue du Sénat ont mené une réflexion dépassionnée et constructive à laquelle je rends hommage. Car comme le disait M. Mattei en défendant le 9 octobre dernier une première exception d'irrecevabilité, la confrontation démocratique des points de vue est particulièrement nécessaire quand il s'agit de déplacer des repères, d'ouvrir de nouveaux espaces de liberté ou de rappeler la force des interdits. Le Sénat a mené cette confrontation. En revanche, à l'Assemblée, vous ne l'avez pas voulu, et vous avez même tout fait pour l'éviter. Pour contourner les critiques du Conseil d'Etat, vous avez pris le détour de la démarche d'origine parlementaire. C'est en effet un ensemble confus de propositions de lois qui a été présenté, avant que la commission des lois, le 23 septembre, se prononce sur la proposition principale, discutée ensuite en séance publique dès le 9 octobre, soit quinze jours plus tard. Quelle précipitation sur un sujet de société présenté pourtant comme essentiel ! Au reste, cette précipitation va se retourner contre vous et vous conduire à l'échec. En effet le 9 octobre, en raison des réserves éprouvées par une grande partie du groupe socialiste, délibérément absente ce jour-là (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), l'Assemblée a adopté l'exception d'irrecevabilité soutenue par M. Mattei, en dépit d'inadmissibles manoeuvres dilatoires. Vous n'avez cependant pas compris les motifs de l'absentéisme de votre majorité, et vous n'avez pas admis la légitimité de notre position. Le Gouvernement a refusé le verdict de l'Assemblée et a choisi de passer en force en réinscrivant très rapidement la proposition à l'ordre du jour. Voilà un motif d'inconstitutionnalité qui s'ajoute à d'autres. En effet vous avez méconnu les règles impératives de la procédure parlementaire, en l'espèce l'article 84-3 du Règlement qui dispose que "les propositions repoussées par l'Assemblée ne peuvent être reproduites avant un délai d'un an", c'est-à-dire, ici avant le 9 octobre 1999. Or, dès le 13 octobre, cinq propositions furent à nouveau déposées, dont deux par M. Jean-Pierre Michel, qui a au moins le mérite de la continuité. Le lendemain, la commission des lois adopta une nouvelle proposition qu'aucun changement substantiel ne distinguait de celle rejetée le 9 octobre. Les dispositions de l'article 84, 3e alinéa, ont donc été violées. Peut-être m'objectera-t-on que le règlement de l'Assemblée n'a pas en soi de valeur constitutionnelle. Mais il en possède une lorsqu'il met en oeuvre une règle de cette nature. Le Conseil constitutionnel a construit, par ses décisions, une théorie des vices de procédure parlementaire, relative par exemple à l'application de l'article 40 de la Constitution, à l'exercice du droit d'amendement -c'est la célèbre décision du 23 janvier 1987- à l'inobservation de dispositions particulières du Règlement. Lorsqu'il est saisi, le Conseil constitutionnel accepte d'apprécier la régularité de la loi qui lui est déférée au regard du Règlement si celui-ci tend à mettre en oeuvre des règles constitutionnelles. Nous sommes bien aujourd'hui dans ce cas. En effet l'article 84-3 n'est pas autre chose que l'illustration des exigences constitutionnelles du bon fonctionnement des pouvoirs publics, qui implique que le Parlement ne doit pas être encombré par des textes présentés de façon répétitive alors qu'ils ont été repoussés une première fois. Le Conseil constitutionnel ne manquera donc pas de sanctionner le non-respect d'un vote régulièrement émis par l'Assemblée. Se fonder sur le droit dont dispose le Gouvernement de fixer l'ordre du jour constituerait un détournement de procédure, voire un abus de pouvoir. Second motif d'inconstitutionnalité, vous avez refusé de consulter au préalable les assemblées des territoires d'outre-mer, alors que vous y êtes tenue. En effet l'obligation de déclarer le Pacs au greffe aura des incidences sur l'organisation des pouvoirs judiciaires dans les TOM. Ce sont surtout des raisons de fond qui nous conduisent à juger que le texte est inconstitutionnel. Je parle non pas de celui du Sénat, qui n'appelle pas d'observations sur ce point, mais de la proposition adoptée par la commission, qui revient à peu près au texte d'origine. Relevons d'abord la contradiction flagrante qui oppose l'alinéa 10 du préambule de la Constitution de 1946 et le dispositif que vous nous proposez. Cet alinéa dispose que "la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement". La protection juridique, morale et matérielle de la famille est donc une règle constitutionnelle. De fait, la famille dépasse les destins individuels ; elle n'exprime pas seulement le choix de deux personnes de vivre ensemble, et de former ce qu'on appelle, non sans ambiguïté, un couple, elle répond à une exigence majeure de toutes les sociétés humaines, en fournissant le cadre nécessaire à la perpétuation de l'espèce. Il ne s'agit pas de la perpétuation biologique. Si la famille véritable intéresse toute la société, c'est qu'elle assure dans la durée l'éducation de l'enfant, jusqu'à faire de lui un citoyen. Nulle école ne peut jouer ce rôle à sa place. Dans l'éducation, en effet, la famille mêle l'amour et la contrainte. C'est parce qu'il en est ainsi que l'enfant devient un être social. Cette oeuvre de devoir et d'amour, cette maturation s'accomplissant dans la durée -et parfois même dans la douleur- non dans l'instant ! Elles supposent aussi une stabilité que la famille est seule à même de procurer. Or cette loi, si elle était adoptée, conduirait à la multiplication des unions précaires. Dans une enquête publiée en novembre dernier et menée auprès de 4 000 adolescents de 12 à 19 ans, le comité français d'éducation pour la santé a montré que les jeunes élevés dans une famille monoparentale ou recomposée rencontraient des problèmes plus graves et plus nombreux que ceux qui grandissent dans une famille classique. Ces derniers ne sont "que" 3,3 % à faire une tentative de suicide et 1,9 % à avoir subi des violences sexuelles tandis que, pour les premiers, la proportion est respectivement de 8 et de 5,5 % ! M. Bernard Outin - Faut-il interdire le divorce ? Mme Nicole Catala - Pour ce qui est des violences simples, exercées ou subies par les jeunes, le pourcentage est de 5 % dans les familles classiques, et de 11,9 % et de 13,2 % dans les familles monoparentales ou recomposées. La cellule familiale est devenue instable : ne la fragilisons pas davantage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Il y va de l'équilibre des enfants, de leurs socialisation et de leur épanouissement. La puissance publique ne peut se désintéresser d'une considération qui, à elle seule, justifie que la nation assure à la famille les conditions de son développement, conformément au préambule de la Constitution de 1946. M. Henri Plagnol - Bravo ! Mme Nicole Catala - Mais la famille remplit aussi une fonction de solidarité, précieuse en cette époque de mutations parfois tragiques. La famille est en effet le premier cercle où l'on vient en aide à celui qui est malade, qui a perdu son emploi ou qui doit élever seul son enfant, comme aux petits-enfants qui "galèrent" pour achever leurs études ou trouver un premier emploi. Cette entraide, qui va bien au-delà de l'obligation alimentaire, est irremplaçable (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Or, sauf exceptions rarissimes, elle ne se trouve que dans les familles classiques, celles qui sont constituées par le mariage, par la filiation ou par la parenté qui découle du mariage ou de la filiation. En effet, hors ces situations, il n'y a pas solidarité entre les deux familles de personnes qui "vivent ensemble" ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) M. Alain Néri - N'importe quoi ! Mme Nicole Catala - C'est malheureusement la réalité ! A ce titre aussi, la nécessité d'aider et de préserver la famille figure au nombre des principes constitutionnels nécessaires à notre temps. Sans doute le Conseil constitutionnel n'a-t-il pas encore formulé la chose en ces termes ; toutefois, dans sa décision du 13 août 1993, après avoir fait de la liberté matrimoniale un principe de valeur constitutionnelle, il a, en reconnaissant aux étrangers comme aux nationaux le droit de mener une vie familiale normale, exprimé sa conception de la famille : pour lui, le droit au regroupement familial ne peut concerner que le conjoint et l'enfant mineur, non le compagnon ou le concubin, et il a approuvé le législateur d'avoir exclu le regroupement de la famille polygamique, considérant que les conditions d'une vie familiale normale étaient celles qui prévalent aujourd'hui en France, celles que sanctionne le mariage. Le pacte international relatif aux droits civils et politiques, signé à New York et en vigueur en France depuis 1981, va plus loin que le Conseil : son article 23 reconnaît la famille pour "l'élément naturel et fondamental de la société", posant qu'à ce titre elle a droit à la protection de la société et de l'Etat. Il ajoute que tout enfant sans discrimination a droit "de la part de sa famille, de la société et de l'Etat, aux mesures de protection qu'exige sa condition de mineur". M. Jacques Floch - Très bien ! Mme Nicole Catala - Comme celles de la Convention de l'ONU sur les droits de l'enfant, ces dispositions ont force juridique dans notre pays, à tout le moins sur le terrain conventionnel. Mais sur le terrain constitutionnel même, le Conseil constitutionnel a fait un pas dans la même direction, posant dans sa décision du 29 décembre 1998 que les exigences résultant des dispositions des dixième et onzième alinéas du Préambule de 1946 impliquaient que la nation mène une politique de solidarité en faveur de la famille ! La famille a donc bien droit à la protection de la collectivité... M. Daniel Marcovitch - L'individu aussi ! Mme Nicole Catala - A quoi bon, dira-t-on, s'appliquer à démontrer ce point puisque le Pacs ne prétend pas singer la famille, qu'il n'est pas une institution mais un simple contrat et que la procréation n'est pas sa finalité ? Pour une raison simple : parce qu'en raison de son caractère précaire, il contredit l'exigence constitutionnelle de protection de la famille ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) M. Jacques Floch - Très fort ! Mme Nicole Catala - Il privilégie, fiscalement et socialement, le choix de mener une vie commune sans souscrire d'engagement durable, et sans contrainte. Il ne peut donc offrir un cadre favorable à l'accueil d'enfants. Ceux-ci ne sont pas pris en compte dans ce pacte, m'opposerez-vous : mais alors pourquoi consentir tant d'avantages fiscaux et sociaux aux deux partenaires ? N'y a-t-il pas rupture d'égalité avec les couples mariés et avec les concubins ? Et cette multiplication de formules concurrentes du mariage ne va-t-elle pas affaiblir ce dernier ? Nos concitoyens, quoi qu'en dise le Garde des Sceaux, ne risquent-ils pas d'organiser leur vie personnelle en fonction des commodités fiscales que vous allez leur proposer, au détriment de l'intérêt général qui veut des familles stables ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Je ne suis pas seule à le redouter : Mme Théry a exprimé la même crainte lors de son audition... M. Jacques Floch - Ce n'est pas elle qui fait la loi ! Mme Nicole Catala - Elle soulignait que l'évolution actuelle en ce qui concerne la vie privée n'est pas sans danger. M. Daniel Marcovitch - Elle ne décide pas de la constitutionnalité des textes. Mme Nicole Catala - Vous l'avez souvent appelée en renfort de vos idées. Au nom de la liberté, dit-elle, les choix ont été multipliés dans une logique de marché (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Pourtant, elle est intellectuellement assez proche de vous. Or il importait de donner à chaque individu "des repères communs renforçant l'appartenance à l'ensemble républicain". Elle a raison, il est dangereux d'instituer une hiérarchie des couples -avec une première classe, le mariage, une deuxième classe, le pacte civil de solidarité et une troisième classe, l'union libre. Effectivement seule la troisième classe, c'est-à-dire les concubins hétérosexuels... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) M. Alain Néri - Rendez-nous Mme Boutin ! Mme Nicole Catala - Je vois que vous n'êtes pas aptes à mener une analyse juridique et sociologique. C'est ennuyeux quand on prétend faire la loi. Ces concubins hétérosexuels, seuls reconnus par la jurisprudence, risquent d'être les grands perdants de cette réforme. Le concubinage notoire a été traité comme un fait juridique dont découlent un certain nombre de conséquences. Il peut se retourner contre les concubins. Ainsi, si une personne divorcée se place en situation de concubinage notoire, elle perd son droit à pension alimentaire ou son droit au bail. Sur ce dernier point, la proposition de loi est muette. Quelle sera la situation des pacsés dans ces domaines ? Dans d'autres, la différence entre mariés, pacsés et concubins est évidente, au mépris du principe constitutionnel d'égalité. J'en prendrai quelques exemples ("Non !" sur les bancs du groupe socialiste). Mais si, il faut faire du droit, un petit peu. M. Jacques Floch - Nous ne sommes pas ici pour faire du droit, mais pour faire le droit. Mme Nicole Catala - Les couples mariés et les signataires d'un Pacs depuis trois ans seront soumis à l'imposition commune sur le revenu, les concubins à l'imposition séparée. Il y a inégalité ("Oui !" sur les bancs du groupe du RPR). Le concubinage fait perdre la demi-part supplémentaire aux célibataires et divorcés qui élèvent seuls un enfant. Cela ne semble pas être étendu au Pacs. En revanche le concubin hétérosexuel survivant bénéficie de l'assurance-décès s'il était à la charge effective et permanente de l'assuré ; pour le Pacs rien n'est dit. M. Christian Bataille - Ce n'est pas un cours intéressant. Mme Nicole Catala - Pour les donations les concubins n'ont pas d'avantage fiscal, les pacsés bénéficieront de dispositions presque aussi avantageuses que les couples mariés pour les donations entre époux. Un époux ne pourra pas se pacser avec un cousin éloigné ou un arrière-petit-neveu (Rires sur les bancs du groupe socialiste) pour lui transmettre un bien dans des conditions favorables. Mais le célibataire, le riche célibataire ("Ah !" sur les bancs du groupe socialiste) -il y en a peut-être encore- pourra conclure un Pacs avec ce parent éloigné... M. Yves Le Déaut - C'est le Pérou ! Mme Nicole Catala - ...et grâce à l'indivision, lui transmettre la moitié de son patrimoine ("Oh !" sur les bancs du groupe socialiste). Outre une disparité difficilement justifiable, le Pacs va offrir d'immenses possibilités de fraude. Il n'est pas dans le rôle du Conseil constitutionnel de sanctionner la fraude. Peut-il pour autant approuver sans réserve un texte qui va ouvrir un boulevard aux fraudeurs ? Fraude fiscale d'abord, grâce à l'imposition commune et à la transmission du patrimoine dans des conditions infiniment plus favorables que le droit commun. S'y ajouteront des comportements frauduleux lors des successions. M. Thierry Mariani - Absolument. Mme Nicole Catala - Un ascendant brouillé avec ses enfant pourra, grâce au Pacs, leur soustraire la moitié de son patrimoine, y compris la part réservataire. Or le droit à la réserve revêt un caractère constitutionnel. M. Yves Le Déaut - Et l'amour dans tout ça ? Mme Nicole Catala - Fraude aussi lorsque le Pacs sera un moyen d'obtenir un titre de séjour. Après les mariages de complaisance, les Pacs de complaisance seront d'autant plus faciles à établir qu'il n'y a pas domicile commun mais simplement résidence commune... M. Thierry Mariani - Ce sera le Pacs blanc. Mme Nicole Catala - ...Il n'y aura pas de vérification de la régularité de séjour avant le Pacs. Laxiste, ce texte est paradoxalement menaçant pour les libertés individuelles. Patrick Devedjian l'a dit. La déclaration que les homosexuels devront souscrire auprès du greffe du tribunal d'instance sera transcrite au greffe du lieu de naissance des deux partenaires. Ils seront fichés à vie car le Pacs étant opposable aux tiers, ces registres seront consultables leur vie durant. Comme l'a dit Patrick Devedjian, "notre passion du contrôle de la vie sociale nous conduit à soumettre à l'Etat toute vie privée" (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Le Pacs risque de ne pas répondre à l'attente des homosexuels. M. Yann Galut - Bien sûr, les homosexuels sont contre ! Mme Nicole Catala - Je ne suis pas sûre que la majorité des homosexuels soit pour, Monsieur Galut. Beaucoup veulent vivre discrètement... Mme la Présidente de la commission - C'est vous qui leur imposez la discrétion ! Mme Nicole Catala - ...et non être répertoriés à vie. Le Conseil constitutionnel ne manquera donc pas de motifs pour sanctionner cette proposition incohérente, lacunaire, cet objet juridique non identifié. Elle viole l'article 84 du Règlement ; elle multiplie les situations de précarité néfastes pour les enfants, en contradiction avec la protection de la famille mentionnée au 10ème alinéa du Préambule de la Constitution ; elle méconnaît le principe d'égalité, menace les libertés individuelles et la vie privée. Pour toutes ces raisons je vous demander d'adopter l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). M. le Rapporteur - Madame Catala, nous ne sommes plus le 3 novembre 1998 mais en mars 1999. Vous êtes très à cheval sur l'application du Règlement, jusqu'à y chercher un motif d'inconstitutionnalité. Pourtant vous avez pris quelque distance avec ce Règlement. Après cinq minutes d'intervention vous avez déclaré ne trouver aucun motif d'inconstitutionalité dans le texte adopté par le Sénat. Or c'est de celui-là que nous discutons. La Présidence aurait donc pu juger l'Assemblée suffisamment informée... M. Bernard Accoyer - Ne s'est-il donc rien passé en commission ? M. le Rapporteur - Le texte ne respecterait pas la procédure pour les TOM, mais vous savez très bien que le Gouvernement nous propose régulièrement des textes destinés à étendre différents textes aux TOM. Pour le reste, vous avez cherché à démontrer que le Pacs nuit à la famille. Or il n'en est rien. Il ne fait pas non plus perdre le moindre droit aux concubins. A ce propos, que n'avez-vous cité intégralement Irène Théry : elle parle de discrimination à l'égard des concubins qui vivent une situation de fait et elle se satisfait du texte actuel. Vraiment, vous ne nous avez exposé aucun nouveau motif d'inconstitutionnalité et l'Assemblée repoussera, j'en suis sûr, cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Mme la Garde des Sceaux - Mme Catala n'est toujours pas parvenue à démontrer en quoi le Pacs nuit à la famille. Elle s'est insurgée contre la procédure de la proposition de loi. Mais il n'y a vraiment rien là d'inconstitutionnel puisque c'est l'article 39 de la Constitution qui dispose que l'initiative de la loi appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement. Si le Conseil d'Etat rend un avis dans le premier cas, la procédure ne le prévoit pas dans le second. Je ne vois nul besoin d'unifier les procédures. Chaque groupe use du droit de proposition lors des séances prévues à cet effet, nous sommes donc bien aujourd'hui dans le cadre de l'application de la Constitution. Quand vous rappelez par ailleurs qu'une proposition ne peut être présentée à nouveau après avoir été rejetée, vous oubliez de dire "dans les mêmes termes". Or vous savez bien que cette proposition n'est pas identique à la précédente (Rires sur les bancs du groupe du RPR). Par ailleurs, quel que soit le respect que m'inspire le Règlement de l'Assemblée, je doute qu'il s'agisse d'une norme de valeur constitutionnelle. Vous vous opposez à l'extension aux TOM. Mais lisez le texte ! L'article d'extension a été supprimé et le Gouvernement n'a nullement l'intention de le rétablir. Nous savons tous ce que le préambule de la Constitution de 1946 apporte à la famille et ce que la nation lui doit. La famille issue du mariage a votre préférence, elle est même l'objet de vos soins exclusifs. Mais elle dispose d'un statut juridique durable qui ne serait nullement fragilisé par l'adoption d'un texte régissant les relations entre contractants d'un Pacs. Mieux, si cette proposition permet de résorber certaines difficultés que rencontrent les familles hors mariage, on ne peut que s'en réjouir. Que l'Assemblée médite enfin sur la portée de la vision de Mme Catala qui considère qu'il ne saurait y avoir d'avenir pour les enfants qu'au sein d'une famille unie par le mariage. Pour ma part, je ne me sens le courage ni d'interdire le divorce ni d'obliger à se marier avant de concevoir un enfant (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). M. Thierry Mariani - C'est pitoyable ! Mme la Garde des Sceaux - L'argument sur la fraude n'est pas non plus recevable. A la différence de la solution retenue par le Sénat qui ouvre des droits fiscaux aux concubins, le Pacs sera gage de sécurité puisqu'il s'agira d'un contrat, daté, alors que le concubinage n'est qu'une situation de fait. Le Pacs n'est nullement une atteinte aux libertés : il ouvre un choix nouveau à ceux qui ne peuvent ou ne veulent se marier. Les conditions dans lesquelles seront conservées les informations relatives aux contractants seront bien sûr soumises à la CNIL. Naturellement, vous n'avez pu me convaincre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). M. le Président - Nous en venons aux explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité. M. Thierry Mariani - Le calme et l'efficacité de Mme Catala contrastaient singulièrement avec l'agressivité dont ont fait preuve les rapporteurs. Le groupe RPR votera cette exception d'irrecevabilité. M. Yann Galut - Vous êtes contre le Sénat ! M. Thierry Mariani - La suite du débat nous donnera l'occasion de revenir sur les défauts du texte. M. Jacques Floch - Elle aura donc lieu ? M. Thierry Mariani - Vous êtes plus nombreux que la première fois... M. Alain Néri - Et vous, moins nombreux... M. Philippe Briand - Nous sommes un de plus depuis dimanche ! M. Thierry Mariani - Le Gouvernement fait preuve de mépris à l'égard du Parlement et de l'opposition. Le 9 octobre dernier, l'Assemblée avait adopté l'exception d'irrecevabilité défendue par Jean-François Mattei. Il est vrai que le texte d'aujourd'hui n'est pas absolument identique à celui d'alors, mais on en est à la septième version et il est normal qu'il y ait quelques différences. Les 13 et 14 octobre, cinq nouvelles propositions étaient déposées, en tous points identiques à celle que nous avions rejetée quelques jours plus tôt. Le Conseil constitutionnel tranchera, mais il y a bien eu là un coup de force inadmissible, une violation manifeste de notre Règlement. Cette proposition entraîne par ailleurs une rupture flagrante de l'égalité devant les charges publiques : alors qu'ils sont dans la même situation de fait, concubins et pacsés ne jouiront pas des mêmes avantages. Nul doute que le Conseil constitutionnel sanctionnera ces dispositions. L'égalité est aussi rompue entre pacsés hétérosexuels et pacsés homosexuels, ces derniers ne pouvant bénéficier du droit à l'adoption ou à la procréation médicalement assistée. Combien de temps croyez-vous que la communauté homosexuelle l'acceptera, sachant que 45 % des femmes et 36 % des hommes homosexuels désirent avoir un enfant ? Alors que vous vous apprêtez à reconnaître juridiquement et socialement l'homosexualité, justifierez-vous longtemps le refus de reconnaître le droit à l'enfant ? M. Jean-Pierre Michel avait hélas juridiquement raison quand il déclarait avant la première lecture que le vote du Pacs déboucherait à terme sur le droit à l'adoption pour les homosexuels. Les atteintes à la vie privée sont réelles. Les homosexuels s'inquiètent de la publicité qui sera donnée au contrat. Le Pacs est tout, sauf protecteur pour le plus faible. Alors que les mêmes avantages sont consentis aux pacsés et aux mariés, il n'y a pour les premiers aucune obligation de secours et d'assistance. Avez-vous réalisé que vous vous apprêtez à voter l'éclatement de la famille, la précarité des couples, la fraude fiscale ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) Il y avait jusqu'ici deux possibilités : être marié ou célibataire, le concubinage étant reconnu par la Cour de cassation mais n'existant pas en droit. Vous allez créer six possibilités : être marié, être marié et concubin... (Rires sur les bancs du groupe socialiste) Plusieurs députés socialistes - Oh ! M. Yann Galut - Quelle découverte ! Un député RPR - Mitterrand ! M. Thierry Mariani - ...être célibataire, être célibataire et pacsé, être célibataire, pacsé et concubin... M. Daniel Marcovitch - C'est l'Alliance ! M. Thierry Mariani - ...être célibataire et concubin. C'est tout le droit de la famille qui sera bouleversé. Toutes ces raisons justifient amplement l'adoption de cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). M. Jacques Floch - Je m'étonne que Mme Catala ne respecte pas le travail accompli par le Sénat. En effet, si la Haute assemblée a accepté de débattre, c'est qu'elle jugeait la proposition de loi relative au Pacs conforme à la Constitution. Y a-t-il des motifs d'inconstitutionnalité dans le texte, profondément modifié, qui nous revient en deuxième lecture ? Mme Catala a utilisé la motion de procédure pour défendre ses positions, en l'espèce tout à fait honorables sur la famille -le procédé est de bonne guerre, nous l'avons tous utilisé dans l'opposition. Mais le texte du Sénat méritait davantage que du dédain et d'être jugé inapplicable. Mme Catala ose prétendre que M. Larché, éminent juriste, est un mauvais constitutionnaliste, ou bien encore que M. Gélard, professeur agrégé de droit public, commet une erreur sur la Constitution. Il n'y a dans ce texte aucun motif d'inconstitutionnalité. Cette exception d'irrecevabilité ne visait pour l'opposition qu'à se faire entendre contre le texte que nous allons maintenant proposer, et non contre le texte du Sénat. Il est temps de passer aux choses sérieuses et de débattre du texte qui institue le Pacs. C'est un grand texte qui ouvre de nouveaux droits à nos concitoyens et renforce les libertés individuelles. C'est pourquoi je vous demande de repousser cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Dominique Dord - J'admire la naïveté feinte de M. Floch qui fait comme si sa famille politique n'avait jamais utilisé les motions de procédure alors qu'elle était dans l'opposition ! Lorsqu'elle y sera de nouveau... Plusieurs députés RPR, UDF et DL - Bientôt ! M. Dominique Dord - ...elle se souviendra de la manière de le faire. La tâche de Mme Catala n'était pas facile. M. Mattei avait déjà décelé quatre motifs d'inconstitutionnalité ; Mme Boutin, pour sa part, en avait recensé douze lors du deuxième examen du texte. Mme Catala en a pourtant trouvé trois nouveaux qu'elle a exposés avec conviction, sérénité et précision. M. Mariani les a développés, je n'y reviens pas. La réponse du ministre m'a déçu. Point n'était besoin de déformer ou de caricaturer les propos des orateurs de l'opposition. Vous êtes largement majoritaire ce soir dans cet hémicycle. Votre argumentation n'aura que plus de force si vous savez nous respecter. Je demande à l'Assemblée de voter l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). Mme Muguette Jacquaint - En acceptant le concubinage homosexuel comme une union de fait, le Sénat a marqué une évolution dont il faut se réjouir. On aurait donc pu imaginer que la discussion du Pacs en deuxième lecture serait plus sereine sur les bancs de l'opposition. On aurait pu imaginer que la droite sénatoriale et vous ici, chers collègues, adopteriez enfin une démarche positive pour améliorer un dispositif visant au respect de la dignité des personnes, à l'égalité des droits et à la reconnaissance des différences. Il est temps de mettre un terme à une discrimination d'un autre âge liée à l'orientation sexuelle... M. Thierry Mariani - Ce n'est pas le débat ! Mme Muguette Jacquaint - Il est temps d'en finir avec la diabolisation du Pacs sous le fallacieux prétexte qu'il mettrait à mal la famille. Il est temps de légiférer en tenant compte des évolutions de la société au lieu de camper sur des positions qui discréditent le débat et détournent l'opinion du vrai problème. Il est temps de permettre à des couples qui ne peuvent ou ne veulent se marier d'obtenir enfin une protection et des droits. Tel n'est pas votre avis. C'est pourtant celui de deux Français sur trois et de neuf jeunes sur dix. M. Thierry Mariani - Ce sont là des comptes comme à Aubagne ! Mme Muguette Jacquaint - Le groupe communiste soutiendra le texte de la commission qui ouvre des droits aux couples non mariés et reconnaît expressément le couple homosexuel. Comme en première lecture, il votera résolument contre cette exception d'irrecevabilité qui traduit seulement une opposition systématique à tout texte conforme à l'évolution de notre société (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). M. Henri Plagnol - L'exposé de Mme Catala a été parfaitement convaincant pour quiconque l'a écouté avec un minimum de bonne foi. Elle a traité en effet de l'inconstitutionnalité, non pas du texte du Sénat, mais de la proposition de loi relative au Pacs. Je retiendrait trois motifs qu'avait déjà excellemment développés M. Mattei. Le premier a trait à la procédure. Madame le ministre, vous nous avez répété avec beaucoup d'arrogance (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) que le Gouvernement n'avait cessé de persévérer dans la voie ouverte dès le départ par le rapporteur de cette proposition de loi et que ce texte dans sa version initiale restait plus que jamais nécessaire. Comment prétendre dans le même temps que vous l'avez modifié de façon substantielle ? Il vous sera très difficile de le soutenir devant le Conseil constitutionnel. Deuxième motif d'inconstitutionnalité : le non-respect du préambule de la Constitution s'agissant de la protection de la famille. Mme Catala n'a jamais dit que les enfants ne pouvaient s'épanouir qu'au sein d'un couple marié. Elle n'a non plus jamais remis en question le droit des personnes à vivre comme elles l'entendent. Mais la Constitution nous fait obligation de placer la famille au centre de l'organisation sociale. Avec le Pacs, vous faites le contraire ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Vous prétendez légiférer sur les couples sans que cela ait la moindre conséquence sur les familles. C'est impossible, ne serait-ce que parce qu'il faut aborder la question de l'autorité parentale pour les couples avec enfants. Troisième motif d'inconstitutionnalité : le Pacs rendra public des choix de vie privée, ce qui n'est pas sans danger. Mais d'ailleurs qu'est-ce que ce contrat qui peut être répudié unilatéralement ? Pour toutes ces raisons, le groupe Démocratie libérale votera sans hésitation l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée. La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance. RÉUNION D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE M. le Président - J'ai reçu du Premier ministre une lettre m'informant que, conformément à l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, il avait décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière. Prochaine séance ce soir à 21 heures. La séance est levée à 19 heures 10. Le Directeur du service © Assemblée nationale © Assemblée nationale |