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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 83ème jour de séance, 211ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 6 AVRIL 1999

PRÉSIDENCE DE M. Laurent FABIUS

          SOMMAIRE :

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT (suite) 7

    CONSÉQUENCES DU RAPPROCHEMENT ENTRE LES ENTREPRISES RENAULT ET NISSAN 7

    MODALITÉS D'ATTRIBUTION DE LA PRIME D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE 7

    VIOLENCE ET SPORT EN SEINE-SAINT-DENIS 8

    IMPORTATION DE VIANDE BOVINE AMÉRICAINE 8

COUR PÉNALE INTERNATIONALE 11

    ARTICLE UNIQUE 29

La séance est ouverte à quinze heures.


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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

KOSOVO

M. le Président - Compte tenu de la gravité de l'actualité, et comme il nous est arrivé en quelques occasions dans le passé, nous avons décidé de donner la parole à un orateur par groupe sur les problèmes du Kosovo, après quoi M. le Premier ministre répondra globalement à ces orateurs. Ensuite, en fonction du temps qui restera, je donnerai la parole à des orateurs sur d'autres questions.

M. Jack Lang - Monsieur le Premier ministre, au treizième jour des opérations militaires, l'Assemblée nationale souhaite connaître votre appréciation sur la situation militaire, politique, diplomatique et humanitaire. Chacun peut constater la résolution exemplaire dont vous faites preuve avec le Président de la République. La stratégie choisie par la France et ses alliés a le soutien de mon groupe et d'une large majorité de la commission que j'ai l'honneur de présider. Elle n'a d'autre but que de mettre en échec la politique de nettoyage ethnique engagée depuis dix ans déjà par M. Milosevic, et de permettre aux Kosovars de revenir sur leur territoire et d'y vivre en paix. Notre unique ambition est donc de servir le droit et la justice.

A cet égard il serait bon qu'en permanence notre action soit reliée à sa perspective politique et à un espoir de sortie de crise. Comment réagissez-vous, tout d'abord, au plan qu'a proposé le président de notre commission de la défense, et qui tend à obtenir, notamment avec l'aide de la Russie, la création d'une zone humanitaire protégée sur le territoire du Kosovo ? Sur le front humanitaire on attend de la France et de l'Europe une même détermination. Je rappelle à ceux qui ont la mémoire courte que Milosevic a organisé méthodiquement et cruellement l'exil de centaines de milliers de Kosovars : femmes enlevées, vieillards brûlés dans leurs maisons, réfugiés battus, volés... Pensons aussi à l'Albanie et à la Macédoine, confrontées à ce séisme humanitaire. Une question se pose depuis quelques heures, à la suite de la proposition avancée par la présidence allemande de l'Union européenne et quelques autres pays : faut-il organiser l'expatriation de réfugiés kosovars vers des pays occidentaux, au risque de faire involontairement le jeu de Milosevic ? Ou devons-nous concentrer nos moyens et nos efforts vers une action humanitaire sur place, pour mettre fin le plus vite possible au calvaire des réfugiés ?

Si nous voulons les arracher à la mort et à la souffrance, nous devons donner la priorité absolue à leur sauvegarde sur place. Au-delà de cette action immédiate, beaucoup souhaitent toutefois que la France ne ferme pas ses portes aux Kosovars qui demanderaient l'asile territorial ou le statut de réfugié. Nous sommes déjà, dans cet hémicycle, un certain nombre d'élus locaux à avoir pris des dispositions en ce sens. Dans quelles conditions juridiques et matérielles l'accueil des Kosovars pourrait-il être facilité dans notre pays ?

Pouvez-vous enfin nous dire, plus généralement, ce que les autorités françaises ont décidé d'entreprendre pour améliorer les conditions de vie des Kosovars jetés sur les routes de l'exode : quels moyens seront mis à la disposition des organismes humanitaires, combien d'hôpitaux, de dispensaires, de centres d'hébergement pour les enfants, d'installations sanitaires seront mis en place dans les prochains jours ?

Enfin notre action sur place sera d'autant plus efficace qu'elle s'intégrera dans un vrai plan de reconstruction économique de pays comme l'Albanie et la Macédoine, qui se sentiront dès lors parties prenantes de ce combat humanitaire. Quelles sont les propositions concrètes de la France et de l'Union européenne en direction de ces deux pays, pour que la charge qui leur échoit ne compromette pas leur développement économique ? Sur ce point on attend de la France un comportement exemplaire, et nous comptons beaucoup sur vous (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. René André - De retour des Balkans, où j'accompagnais M. le ministre de la coopération, je souhaite rendre un hommage, apporter un témoignage et poser une question. Rendre hommage, tout d'abord, à notre armée qui, à Skopje, dans un environnement défavorable, fait face d'une manière admirable aux urgences auxquelles elle est confrontée, et tout d'abord celle d'apporter les premiers secours aux réfugiés.

Je souhaite ensuite apporter un témoignage. Avec le ministre de la coopération, j'ai visité plusieurs camps en Albanie, et celui de Blace, poste-frontière macédonien. Les images en resteront à jamais gravées dans ma mémoire. Ce qui nous a d'abord frappés, c'est ce train, arrêté au fond de la vallée, et qui rappelle irrésistiblement ceux qui transportaient les déportés. C'est ensuite le bruit de fond, la rumeur qui s'élève de cette vallée, et qui fait penser à celle d'un camp de concentration, où rien ne serait organisé, où des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards, entourés de quelques militaires, sont abandonnés sans secours. Je n'oublierai jamais l'image de ces vingt mille personnes rassemblées dans la vallée, au-delà de laquelle, dit-on, la file de réfugiés s'étend sur quinze kilomètres en territoire yougoslave... Je n'oublierai pas la détresse dans les regards, mais aussi l'extrême dignité de ces personnes déportées.

Ma question est simple. Que va faire, que fait la France pour apporter à ces personnes une aide immédiate ? Que fera-t-elle pour leur permettre au plus vite de rentrer chez elles ? Comment atteindra-t-elle ce but dans le respect des fragiles équilibres de cette région ? En leur permettant de rentrer chez elles, car c'est à quoi elles aspirent, c'est ainsi que nous infligerions le plus sûr démenti à la volonté d'épuration ethnique de Milosevic (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL et sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Ce débat est nécessaire, car notre peuple et notre armée ont besoin de clarté. La France est confrontée à un triple devoir. Le premier est un devoir immédiat d'action humanitaire sur place, là où sont les réfugiés, pour leur garantir le droit à la vie. Quelles sont les actions et le calendrier par lesquels, Monsieur le Premier ministre, vous comptez répondre à cet objectif immédiat ?

Notre deuxième devoir est de garantir le droit des Kosovars à revenir au Kosovo, ce qui veut dire intervenir dans le cadre des Nations Unies pour faire du Kosovo une zone de sécurité protégée. Ce qui soulève trois questions : où en sont sur ce point les discussions à l'ONU ? La Chine et la Russie peuvent-elles refuser la création d'une telle zone ? Une fois la décision prise, quel serait le calendrier pour l'action militaire ? Se contenter d'accueillir les réfugiés dans nos pays, c'est assurer une victoire politique inacceptable à Milosevic.

Notre troisième devoir est d'unité politique, tant au plan gouvernemental qu'européen. L'heure n'est pas à la philosophie, mais à l'unité d'action. Quand obtiendrez-nous une position européenne claire et forte pour cette nouvelle étape ? Car c'est sur les épaules de l'Europe, c'est-à-dire de nos soldats, et non des Américains, que reposera la responsabilité des actions à venir. Sur ces points, envisagez-vous un nouveau débat d'ensemble qui nous réunisse tous, au-delà des réunions prévues des commissions ? Celles-ci permettent certes des échanges approfondis, mais cette clarté qu'attendent l'opinion et nos militaires est bien le premier soutien que nous leur devons (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Denis Jacquat - Deux semaines après le déclenchement des frappes aériennes, il apparaît nettement que la France et ses partenaires de l'OTAN ont commis une erreur d'appréciation. Tout le monde savait que Milosevic avait concentré depuis plusieurs semaines des troupes à la frontière du Kosovo, et qu'il n'attendait que le prétexte des frappes de l'OTAN pour agir à grande échelle. Aujourd'hui, la communauté internationale doit faire face à un péril humanitaire que l'Europe n'avait plus connu depuis la deuxième guerre mondiale. Comment expliquez-vous l'absence d'anticipation pour venir en aide aux milliers de réfugiés jetés sur les routes ? Comment expliquer que la communauté internationale ait mis près de deux semaines pour mobiliser une logistique humanitaire appropriée ?

Faute d'avoir anticipé la catastrophe humanitaire, la France ne peut pas fermer les yeux devant les conditions de vie inhumaines des réfugiés Kosovars.

Le Gouvernement va-t-il demander aux autorités macédoniennes de lever les blocages administratifs qui retardent l'acheminement de l'aide ? Il est inacceptable que le matériel, les médicaments, la nourriture restent bloqués à l'aéroport de Skopje. Comment le Gouvernement compte-t-il venir en aide aux personnes les plus fragiles, qui ne peuvent pas actuellement être soignées sur place ? La France a une obligation morale d'accueillir provisoirement ces personnes. Notre pays doit être digne de sa tradition dans ce domaine (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR et sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. Alain Bocquet - Les témoignages de ce qui se passe dans les Balkans sont de plus en plus insoutenables : des gens qu'on chasse, qu'on brutalise, qu'on tue... Rien n'a servi d'ajouter la guerre à la guerre, la haine à la haine ! Il faut arrêter cette escalade meurtrière et folle.

Aucun signal ne doit encourager le dictateur Milosevic dans son oeuvre destructrice qui vise à vider le Kosovo de sa population. Les bombardements de l'OTAN sont pour lui un alibi de taille.

L'urgence humanitaire s'impose, la France doit être au premier rang de la solidarité pour ces centaines de milliers d'êtres humains qui vivent un calvaire. On ne peut pas accepter le principe de déportations organisées, mais il faut aider les réfugiés, écouter les organisations humanitaires et faciliter leur mission.

La position de la France va devenir intenable si elle continue de s'engager dans la logique de guerre. D'autant que les véritables mobiles apparaissent de plus en plus clairement. L'OTAN, commandité par les dirigeants américains, installe un foyer de guerre durable en Europe dans la région des Balkans (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Il est grand temps de s'affranchir de cette tutelle cynique et dangereuse (Mêmes mouvements).

L'engagement massif de troupes au sol ne manquerait pas d'exacerber tous les nationalismes et toutes les instabilités pour des décennies.

Il est normal que s'expriment des opinions très diverses. Quand la situation est aussi grave, il n'est pas de mise de sombrer dans la médiocrité politicienne franco-française. Le respect mutuel s'impose. Nous sommes attachés de toutes nos fibres aux idéaux de paix (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). En même temps, nous avons une trop grande idée des valeurs humaines pour nous laisser aller à la polémique (Mêmes mouvements).

Devant cette situation très complexe, nous voulons aider à trouver une issue politique, pacifique et humaine au conflit.

Il est plus que jamais urgent de créer les conditions permettant de déployer une force européenne d'interposition sous l'égide de l'ONU.

Notre pays peut demander une réunion rapide du Conseil de sécurité et proposer une résolution créant une zone humanitaire protégée sur l'ensemble du Kosovo, assortie de l'arrêt des frappes aériennes et du désarmement des belligérants, permettant ainsi le retour des réfugiés.

Une conférence européenne sur les Balkans réunissant, sous l'égide de l'OSCE, l'ensemble des Etats et parties concernés, pourrait alors être mise sur pied. De très nombreuses voix s'expriment partout dans ce sens.

Le temps presse. Si la fuite en avant devait prévaloir, cela serait très dangereux pour l'avenir.

La France, en coopération avec ses partenaires européens, doit relancer ces démarches pour favoriser une issue durable, qui ne peut être que politique.

Quelles initiatives entend prendre le Gouvernement dans cette perspective ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et quelques bancs du groupe socialiste)

M. Jean Pontier - La France est en guerre, et les députés radicaux de gauche soutiennent sans ambiguïté le Gouvernement dans cette période difficile. La guerre n'a pas d'autre objectif que d'anéantir le dictateur Milosevic qui s'est engagé dans une épuration ethnique cyniquement programmée depuis des mois. Cet homme sanguinaire ne reculera devant rien. Aucun sacrifice humain ne l'arrêtera.

La semaine dernière, le Gouvernement a fait une déclaration devant nous. La procédure quelque peu solennelle d'aujourd'hui montre que la représentation nationale doit être régulièrement informée par le Gouvernement. Aussi le groupe RCV souhaite que l'Assemblée puisse être réunie au cours des deux semaines à venir, malgré les vacances parlementaires. Personne ne comprendrait que les députés soient en congé durant cet événement.

Les députés radicaux de gauche se reconnaissent tout à fait dans les décisions prises ces jours derniers par la France de ne pas participer à l'accueil en masse des réfugiés qui, si cruellement traités soient-ils, doivent être aidés et accompagnés à regagner leur territoire.

Cependant, face à certaines situations dramatiques, la France doit prendre toutes les initiatives pour des actions fortes en faveur des plus menacés dans leur vie, qui, eux, doivent être accueillis.

Sur le plan militaire, tout le monde craint que l'on n'en arrive inéluctablement à une intervention des forces terrestres de l'OTAN. Existe-t-il d'autres solutions, par exemple l'envoi de casques bleus d'interposition pour organiser, encadrer et organiser dans la sécurité le retour de populations déportées comme aux plus sombres heures de notre histoire récente ? Cette guerre peut-elle se limiter à la seule destruction des infrastructures sur lesquelles s'appuie Milosevic ? Pouvons-nous envisager de négocier à nouveau avec ce sinistre personnage ?

L'heure est grave, et pour la première fois depuis longtemps la France est en guerre au coeur de l'Europe. Ce conflit risque de destabiliser la construction européenne. Que compte faire la France pour parvenir à la constitution d'une armée européenne qui nous fait cruellement défaut ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe UDF)

M. le Président - Je vais examiner avec les présidents de groupe comment faire pour être le mieux informés pendant les deux prochaines semaines.

M. Lionel Jospin, Premier ministre - J'apprécie comme un geste symbolique et utile votre décision de poser ensemble vos questions. Chacun l'a fait à sa manière, même si j'ai relevé de fortes convergences.

Cela me permet, comme je m'y étais engagé, de continuer à informer le Parlement de l'évolution de la situation au Kosovo.

Je recevrai demain les présidents des commissions de la défense et des affaires étrangères et les présidents de groupe des deux assemblées. Les ministres des affaires étrangères et de la défense s'expriment aujourd'hui devant les commissions. Pour les deux semaines prochaines, le Gouvernement est à la disposition de la représentation nationale pour examiner les moyens de poursuivre le dialogue et l'échange.

Notre engagement, aux côtés de nos alliés, dans des opérations militaires, vise, depuis le début à "casser" l'appareil militaire et répressif serbe, et à imposer une issue politique et diplomatique que M. Milosevic refuse obstinément depuis des mois.

Nous nous y employons en frappant par des moyens aériens des objectifs bien sélectionnés. Et nous veillons à strictement contrôler, au niveau politique, le Président de la République et moi-même, les phases des opérations et la nature des cibles.

Certains disent que ce processus est lent. Il l'est, c'est vrai, face aux souffrances. Mais, au-delà des aléas météorologiques, nous avons eu le souci de limiter au maximum les pertes civiles et les risques pris par nos pilotes. Dans les prochains jours, la destruction des forces de répression ainsi que des centres névralgiques qui les soutiennent sera poursuivie.

Les engagements héliportés de notre allié américain, qui devraient survenir prochainement, s'inscrivent dans une logique d'intensification et de diversification de l'action militaire. Il s'agit là, sans changer le cadre général de notre action, de contrer par de nouveaux moyens les forces militaires et paramilitaires serbes en action au Kosovo. Nous y sommes résolus.

De quoi s'agit-il en effet ?

Les autorités serbes, depuis l'arrivée au pouvoir de M. Milosevic, n'ont jamais accepté que les Kosovars soient pleinement citoyens de la République fédérale de Yougoslavie ; elles n'ont jamais accepté le retour à un statut d'autonomie qu'elles avaient elles-mêmes supprimé en 1989. Par la répression policière et l'intimidation politique, M. Milosevic a fait des Kosovars des citoyens de seconde zone dans leur propre pays et, par là même, a poussé à un mouvement continu des Kosovars vers l'extérieur du pays.

Face à cette situation, les pays du groupe de contact, dont la Russie, ont constamment recherché une issue politique. Dès la fin des discussions de Rambouillet et avant même que les négociateurs ne se retrouvent à Paris, le pouvoir serbe a remilitarisé la région. Son objectif est de vider le Kosovo de toute sa population non serbe. Ses forces militaires et paramilitaires, ses milices recourent à toutes les formes de violence : déportations massives, arrestations arbitraires, exécutions sommaires, destruction systématique des villages, du cadastre et de l'état-civil.

Ces violations massives et volontaires des droits de l'homme, ces pratiques d'un autre âge qui nous renvoient aux pires heures de l'histoire de l'Europe, justifient à elles seules que tout soit mis en oeuvre pour les arrêter.

Les auteurs de ces crimes contre l'humanité doivent savoir qu'ils n'échapperont pas à la justice internationale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur de nombreux bancs du groupe RCV ; applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et sur plusieurs bancs du groupe du RPR). Le tribunal pénal international a déjà engagé des procédures en application des résolutions du Conseil de sécurité. Ceci s'inscrit dans le développement constant de la justice pénale internationale, dont une nouvelle étape sera franchie dans votre hémicycle, aujourd'hui même, avec l'examen de la révision constitutionnelle nécessaire à l'établissement d'une Cour pénale internationale à compétence générale.

C'est au nom des valeurs de liberté, de démocratie et de respect du droit, qui depuis cinquante ans assurent à nos peuples la paix et la stabilité, et auxquelles adhèrent désormais tous les pays d'Europe à l'exception du régime de M. Milosevic, que nous intervenons aujourd'hui.

Il faut que les forces politiques serbes et le peuple serbe lui-même qui dans le passé ont revendiqué ces valeurs, prennent conscience qu'en soutenant un tel régime, ils mènent leur pays à une impasse.

J'en viens maintenant à l'immense drame humain que représentent la déportation et l'exode des populations du Kosovo, et qui appelle une puissante réaction sur le plan humanitaire.

Nous devons montrer une solidarité sans faille à ceux qui ont fui la terreur et ont trouvé refuge dans les pays voisins. Vous le savez, la communauté internationale se mobilise, et tout particulièrement la France. Aujourd'hui, des centaines de volontaires civils et de soldats de nos forces armées acheminent et distribuent des produits de première nécessité, dans des conditions difficiles, en Albanie et en Macédoine. Ils participent également à la prise en charge sanitaire et à l'installation provisoire de ces centaines de milliers d'hommes et de femmes.

Je ne pense pas que nous pouvions ouvertement anticiper le risque de ce désastre humanitaire, car c'eût été indiquer à M. Milosevic qu'il pouvait lâcher ses sbires et ses troupes, puisque nous serions là pour accueillir les victimes. A tous les hommes et les femmes, civils et militaires, qui les assistent sur le terrain, je veux rendre hommage au nom de la France.

Le Gouvernement français a mis en oeuvre, dès la semaine dernière, un premier plan d'urgence, qui a notamment permis d'organiser un pont aérien entre Istres, Tirana et Skopje. Nos forces armées ont été les premières à assurer la dépose par hélicoptères, à Kukës, de produits de première urgence. Elles sont renforcées dès aujourd'hui par des unités de sécurité civile. Aujourd'hui, j'ai décidé de tripler le montant de notre aide, en la portant à 225 millions de francs. Ces fonds devraient permettre, en étroite liaison avec nos partenaires de l'Union européenne et de l'Alliance comme avec les agences compétentes de l'ONU, notamment le HCR, d'organiser et de sécuriser des lieux d'accueil et de vie décents pour les réfugiés de Macédoine et du nord de l'Albanie, ainsi que de soutenir les efforts du HCR et du Comité international de la Croix-Rouge en Bosnie et au Monténégro.

A cela, nous ajouterons une première aide économique d'urgence pour soulager ces deux pays, qui payent un lourd tribut en recevant sur leur sol ces réfugiés. Nous soutiendrons également les efforts multilatéraux en leur faveur, tant dans le cadre du FMI, en ce qui concerne la dette, que de la Banque mondiale, en ce qui concerne la reconstruction.

Au-delà de cet effort essentiel de solidarité à l'égard de ces hommes et de ces femmes martyrisés, au-delà de notre devoir de protection, nous devons leur assurer un droit au retour dans leurs régions d'origine. C'est là d'ailleurs un enjeu fondamental de la confrontation qui se déroule aujourd'hui. Mme Ogata, Mme Bonino, Médecins sans frontières, Médecins du monde, le président de l'Albanie partagent cette vision, et nous sommes attentifs au problème particulier qui se pose à la Macédoine.

Avant que ce droit puisse être assuré, notre pays est naturellement disponible pour accueillir temporairement sur son sol un certain nombre de ces personnes déplacées ("Très bien !" sur de nombreux bancs). Mais il souhaite que ces mouvements de réfugiés s'effectuent sur la base du volontariat et sans que les familles soient séparées, conformément au droit humanitaire international. N'ajoutons pas un transfert contraint à la déportation (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur plusieurs bancs du groupe RCV et du groupe UDF ; quelques applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe du RPR et du groupe DL).

En outre, nous sommes prêts à conduire une action particulière en faveur des blessés et des personnes malades ou handicapées. Nous sommes prêts également, en liaison avec les associations, à favoriser les conditions d'un accueil en France par des familles qui le souhaiteraient. Comme je l'ai déjà dit dimanche soir au terme d'une réunion de travail à Matignon -mais il semble que cela n'ait pas été repris- nous pourrons accueillir, utilisant pour cela l'asile territorial institué par le Parlement il y a quelques mois sur la proposition du Gouvernement (Murmures sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), des réfugiés qui en feraient la demande.

Si la France ne saurait accepter la politique du fait accompli de M. Milosevic, elle se tient au premier rang de l'action humanitaire et entend rester fidèle à sa tradition d'accueil.

Je voudrais maintenant évoquer les perspectives politiques et diplomatiques qui, quelles que soient les difficultés, restent présentes à notre esprit.

Notre objectif n'est pas de détruire, d'occuper ou de démembrer la Serbie ; il n'est pas de faire la guerre au peuple serbe. Tout en continuant les opérations militaires que M. Milosevic nous impose, nous restons persuadés qu'une solution politique au conflit est souhaitable.

Les frappes peuvent s'arrêter, dès que les conditions suivantes seront remplies : fin de la répression contre les populations civiles au Kosovo, retrait des forces militaires et paramilitaires serbes, retour des réfugiés, acceptation de négociations. Arrêter unilatéralement les frappes sans que ces conditions soient remplies reviendrait à accepter celles de M. Milosevic et à sacrifier le sort des Kosovars.

Mais la poursuite des frappes, inévitable aujourd'hui, ne doit pas nous interdire la recherche de solutions politiques et diplomatiques. Je sais que c'est une conviction que partage le Président de la République. A cette fin, il est essentiel que tous ceux qui croient comme nous à la primauté du droit et aux valeurs démocratiques puissent être associés à la recherche de la paix pour le Kosovo.

C'est pourquoi, au-delà des importantes rencontres qui doivent préparer le moment, que j'espère proche, où les alliés et la Russie, partenaire à mes yeux déterminant, retravailleront ensemble à une solution politique, je suis convaincu que l'Organisation des Nations Unies devra jouer son rôle (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe RCV et du groupe communiste).

Au moment où a été décidée la participation de la France aux opérations militaires, nous nous sommes référés aux résolutions et aux exigences du Conseil de sécurité. C'est aux Nations Unies et au Conseil de sécurité, avec l'appui des organisations régionales, que devrait revenir la responsabilité première de la mise en oeuvre des solutions qui auront été définies.

L'ONU devrait à mon sens coordonner les opérations de soutien aux réfugiés, puis assurer le retour de ceux-ci une fois la paix revenue. Elle devrait aussi garantir leur sécurité dans un Kosovo autonome et conférer sa légitimité à la force multinationale qu'il faudra vraisemblablement déployer à cette fin. Cela sera le point ultime d'un processus qu'il faudra engager dès que possible et auquel il faut travailler dès maintenant.

Notre détermination ne doit pas fléchir, mais elle doit être tendue vers une paix respectueuse de la pensée humaine et du droit (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur plusieurs bancs du groupe RCV et du groupe UDF, et sur quelques bancs du groupe du RPR et du groupe DL ; M. Brard applaudit également).


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SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE ÉTRANGÈRE

M. le Président - Je suis heureux de souhaiter, en votre nom, la bienvenue à une délégation parlementaire conduite par M. Georges Rawiri, président du Sénat du Gabon.

(Mesdames et Messieurs les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent).


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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT (suite)

CONSÉQUENCES DU RAPPROCHEMENT ENTRE LES ENTREPRISES RENAULT ET NISSAN

M. Paul Dhaille - On sait que Renault vient de prendre une participation majoritaire dans la société Nissan. Alors que, pendant des années, les tenants du libéralisme ne juraient que par le modèle japonais, on assiste là à un spectaculaire renversement de tendance : par un étonnant retournement de tendance, c'est une entreprise du pays des 35 heures qui rachète un de ses concurrents japonais ! Il n'empêche que des inquiétudes demeurent. Renault a-t-elle les moyens financiers de faire face au considérable endettement de Nissan ? Les gammes et les réseaux de vente des deux constructeurs sont-ils parfaitement complémentaires ? Quel sera l'impact de ce rapprochement sur l'emploi et les conditions de travail des salariés de Renault ?

Quel est, sur toutes ces questions, l'avis du secrétaire d'Etat à l'industrie ?

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - L'accord qui vient d'être conclu fera du nouveau groupe le quatrième constructeur mondial d'automobiles, avec une capacité de production de cinq millions de véhicules. Cette nouvelle expérience, qui fait suite au succès de l'ouverture du capital d'Air France et de France Télécom, montre la réussite des entreprises dont l'Etat est l'actionnaire principal.

La complémentarité des deux sociétés est réelle et il n'existe pas de doublons qui obligeraient à une restructuration industrielle en France. L'Etat a donné son aval à un accord qui n'est pas seulement financier mais qui offre des perspectives réelles de croissance. Des risques, il y en a, certes, mais comme pour tout projet industriel, et ils sont connus, assumés et maîtrisés par la direction de Renault.

Dans le même temps, un accord d'entreprise vient d'être signé par plusieurs syndicats de Renault -la CFDT, FO et la CGC notamment-, qui représente une avancée significative sur la réduction du temps de travail et qui prévoit 6 000 embauches nouvelles dans l'entreprise. Direction et salariés peuvent être félicités pour les remarquables résultats qu'ils ont obtenus.

MODALITÉS D'ATTRIBUTION DE LA PRIME D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

M. Philippe Duron - La prime d'aménagement du territoire est devenue l'un des principaux leviers de l'aménagement du territoire, et 467 millions ont été attribués à ce titre en 1998, ce qui a contribué au maintien ou à la création de plus de 15 000 emplois. Mais la Commission européenne a procédé à une révision des règles d'attribution qui suscite l'inquiétude de nombreux élus. Les nouveaux critères conduiront en effet à l'exclusion de nombreux secteurs de notre territoire, devenus inéligibles alors même qu'il s'agit de régions en pleine reconversion -telles que le bassin d'emploi de Caen- ou de zones rurales très peu peuplées, comme l'Ariège ou le Massif central.

Madame la ministre de l'aménagement du territoire, pouvez-vous nous rassurer en nous faisant connaître les orientations retenues par le Gouvernement ? Pouvez-vous nous dire quel sera l'avenir de la "mini-PAT" dont le principe avait été arrêté, et qui doit bénéficier aux PME et aux PMI ? Comment, enfin, le Gouvernement compte-t-il agir pour éviter que les difficultés de certaines régions sinistrées ne s'aggravent pas ?

M. Philippe Vasseur - Peut-être aurons-nous enfin une réponse à une question que nous posons depuis deux ans !

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - La Commission européenne a en effet procédé à la révision des critères d'attribution d'une prime qu'elle a du mal à assumer, décidant que la proportion de la population couverte devrait passer de 40 à 34 %, que le zonage devrait être homogène -ce qui lui permettra de juger de la validité des critères statistiques retenus- et qu'une zone isolée compterait pour 100 000 habitants, la population réelle fût-elle moindre.

Vous avez compris que nous avons donc tout intérêt à retenir des critères d'attribution objectifs, et c'est à quoi la DATAR s'est employée, soumettant plusieurs scénarios à l'avis du CIADT. Celui-ci s'est prononcé en faveur d'une politique de "discrimination positive" en privilégiant les critères suivants : revenu moyen de la région considérée inférieur à la moyenne nationale ; taux de chômage supérieur au taux national, solde migratoire négatif. Nous avons souhaité que la nouvelle carte soit fondée sur des critères objectifs et transparents, ce qui n'a pas été le cas pour la précédente (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF). Il faudrait également réformer les modalités du zonage, qui n'ont qu'une efficacité relative.

Quant aux conditions d'attribution de la "mini-PAT", elles seront assouplies : 10 millions de revenus, au lieu de 20 jusqu'à présent, 15 emplois au lieu de 20 : voilà qui devrait aider à l'éligibilité des PME.

Il n'est pas certain que la PAT soit le meilleur outil d'aménagement du territoire, sujet auquel le Gouvernement travaille sans effets de manche.

M. Philippe Vasseur - C'est le déménagement de territoire !

VIOLENCE ET SPORT EN SEINE-SAINT-DENIS

M. Robert Pandraud - Alors que la coupe du monde de football avait donné un grand espoir, celui de l'intégration réussie, on assiste hélas dans mon département à la montée d'une violence que je dénonce depuis des années. L'activité croissante de bandes de voyous conjuguée aux lacunes de l'encadrement des jeunes a conduit à la suspension de tous les matchs de football amateur en Seine-Saint-Denis.

M. Jean-Pierre Brard - Ce n'est pas exact.

M. Robert Pandraud - Une nouvelle fois, les joueurs qui n'ont rien à se reprocher et les bénévoles au service des clubs sont sacrifiés, et ce département devient la Cendrillon de la France. Qu'il soit aussi le mieux pourvu en ministres de votre Gouvernement n'apporte qu'une piètre consolation au vu de vos résultats ! Le maillot jaune va ici de pair avec la lanterne rouge !

Que comptez-vous faire, Madame la ministre, pour que les jeunes habitants de Seine-Saint-Denis puissent se considérer comme des Français à part entière ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports - Les incidents sont certes de plus en plus nombreux sur les stades, notamment lors des matchs de football amateur, mais ce mal qui reflète l'état de la société ne sévit pas qu'en Seine-Saint-Denis. Il faut comprendre la décision prise par le district comme un appel au secours, les bénévoles n'en peuvent plus. Nous avons réagi au plus vite et, dès demain, toutes les parties intéressées seront réunies au ministère et nous élaborerons de conserve des mesures précises.

Une législation existe, en particulier la loi de 1993 contre la violence dans les stades, renforcée en mars 1998 à l'approche de la coupe du monde ; elle ne suffit pas. Il faut en outre développer la prévention, ce qui suppose un recrutement d'éducateurs. Nous allons proposer à la FFF de lancer avec elle un plan afin d'encadrer correctement les 7 000 rencontres qui se déroulent chaque week-end en Ile-de-France. Enfin, j'ai proposé à de nombreux sportifs et anciens sportifs de renom d'être présents dès le week-end prochain dans les stades pour lancer un appel pour que cesse cette insupportable violence (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

IMPORTATION DE VIANDE BOVINE AMÉRICAINE

M. André Angot - Depuis dix ans, en raison des risques de cancers et de troubles hormonaux, l'utilisation des hormones de croissance pour la production de viande bovine a été interdite dans les élevages français et européens. En revanche, cette utilisation est systématique aux Etats-Unis et, en conséquence, l'Union européenne interdit depuis dix ans l'importation de viande bovine américaine. En représailles, les Etats-Unis ont annoncé le 22 mars dernier des sanctions commerciales contre des produits européens dont le roquefort, les truffes, le foie gras, les eaux minérales, les tomates, les fruits en conserve, les motocyclettes. Ils ont saisi l'Organisation mondiale du commerce qui exige que les pays européens lèvent leur embargo à partir du 13 mai prochain. Faute de réaction on trouvera donc la viande aux hormones américaine en restauration collective, en particulier dans les cantines scolaires, à un moment où l'on parle beaucoup de sécurité alimentaire...

Déjà le Gouvernement ne s'est pas opposé à la levée de l'embargo sur la viande bovine anglaise, bien que l'académie de médecine craigne beaucoup la transmission à l'homme de la maladie de la vache folle, encore très fréquente en Grande-Bretagne, où elle a déjà tué 30 personnes et où de nombreuses autres sont contaminées. Va-t-il en plus céder à la pression américaine alors que l'interdiction des hormones dans les élevages français a été dictée par un souci de protection de la santé publique ?

En acceptant l'importation de viande bovine américaine après celle de la viande britannique, il prend le risque de provoquer une très forte méfiance des consommateurs et de destabiliser toute la filière bovine française comme lors de la crise du veau aux hormones, en 1989, ou de celle de la vache folle en 1996.

Le Gouvernement est-il certain, par de telles décisions, de ne faire courir aucun risque à la santé des Français ? Et s'il estime que les hormones dans la viande n'ont pas d'incidence sur la santé publique, va-t-il autoriser l'usage des hormones comme facteur de croissance dans les troupeaux français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Il faut distinguer les hormones de croissance de l'ESB. Je vous indique toutefois que l'embargo sur les viandes britanniques n'a pas été levé, que la France a demandé des contrôles supplémentaires, et que la décision prise par une majorité du Conseil des ministres de l'agriculture ne sera appliquée que progressivement.

Pour le boeuf aux hormones, il est vrai que les Etats-Unis exercent une pression sur l'Union européenne mais cette dernière, unanime, n'a pas cédé. Les études scientifiques demandées par la Commission sont en cours. Dans l'attente des résultats, l'Europe refuse l'introduction de boeuf aux hormones sans garanties pour les consommateurs (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).


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ÉLOGE FUNÈBRE DE MICHEL PÉRICARD

(Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent)

M. le Président - Etait-ce la résultante d'un parcours atypique qui, sans attendre la vieillesse, lui avait offert l'expérience et imposé la souffrance ? Etait-ce l'effet des législatures successives qui l'avaient vu combattre avec la même ardeur sur les bancs de la majorité et sur ceux de l'opposition ? Où n'était-ce pas tout cela à la fois et le mélange de sérénité et de recul que symbolisait son visage couronné de cheveux blancs drus encadrant un regard volontiers ironique et souriant ? En tout cas, la réalité est celle-ci : Michel Péricard, qui nous a quittés le 2 février dernier, était d'un bord à l'autre de l'hémicycle entouré d'un respect mérité. Journaliste, gaulliste, parlementaire, élu local, il fut chacun des quatre et les quatre à la fois.

Grand professionnel de l'audiovisuel et spécialiste de la communication, au journal télévisé, à Cinq colonnes à la une, il avait pris rang, parmi les créateurs de l'ORTF. C'est d'ailleurs d'abord dans les étranges lucarnes que les Français apprirent à le connaître en suivant une émission d'une grande modernité de ton et de contenu, qui bien avant que la notion n'en soit connue, s'était mise au service de l'environnement. Faisant de l'écologie sans que le concept en soit encore défini, il dénonçait, révélait, cherchait à empêcher que la France fut défigurée. Produisant aussi l'Heure de Vérité ou retrouvant, en 1975, le quai Kennedy à la direction de l'information de Radio France, il était à la fois gaulliste et journaliste, journaliste et gaulliste. Cela ne lui valut pas que des amis. L'alliance d'un métier et d'un engagement était pour lui complémentarité et non contradiction. Tout naturellement lorsque l'Assemblée nationale institua en 1992 une commission d'enquête sur les perspectives de la presse et de l'audiovisuel et qu'il fût décidé que la présidence en reviendrait à l'opposition, ce fut lui qui fut choisi. Apaiser les passions, diriger la discussion entre ses collègues, les professionnels et les meilleurs spécialistes, il y parvint et quand, en 1993, il fut élu à la tête de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, ce fut, là aussi, naturel. Sa vie durant, en observateur ou en acteur, Michel Péricard a ainsi parcouru tout le paysage audiovisuel. Il y était dans son jardin.

Militant, Michel Péricard l'était dans la fidélité au général de Gaulle, et dans l'attachement à Jacques Chirac. Ce n'était pas un de ces barons météoriques que la proximité d'un grand personnage aurait muni d'une circonscription et d'un mandat. Dès sa jeunesse estudiantine, à l'UNEF avec son ami Bernard Pons, Michel Péricard avait fait de la politique. Par la suite, comprenant le caractère inéluctable de l'indépendance de l'Algérie, il s'était opposé à l'extrême-droite et à l'OAS. Gaulliste trempé dans l'acier populaire de la Libération et de 1958, il croyait à la participation, à la grandeur, à l'indépendance. L'ancien scout, le jeune homme qui dès 1947 allait à la rencontre des plus démunis d'un quartier délaissé de sa commune, fit ses premières armes à la jeunesse et aux sports dans le cabinet de François Missoffe, puis avec Yves Guéna, à l'information et aux PTT, ainsi qu'à l'agriculture avec Bernard Pons.

Elu local, il revendiquait ce statut à la tête de sa ville, Saint-Germain-en-Laye, tout autant que s'il avait été le représentant d'une collectivité rurale. Il était né dans cette ville, l'aimait et, la gérant depuis 1959, avait fini par faire corps avec elle. C'était sa passion et une partie de sa raison d'être. Bien sûr il y avait chez cet homme épris de modernité le désir que sa cité, berceau du Roi Soleil, vive avec son siècle. L'ancien président de la mission câble faisait découvrir au visiteur la salle des délibérations de sa mairie qu'il avait dotée des techniques les plus récentes de la communication. Il agissait en permanence pour le cadre de vie et la protection d'un centre piétonnier, la forêt, le patrimoine architectural. Humanité et proximité. Là étaient ses priorités et ses succès.

Je me souviens d'un reportage, il y a peu, le montrant au volant d'une voiture électrique, notant là une imperfection de signalisation, faisant ici la morale à un imprudent en skate-board, réfléchissant à un aménagement urbain. On retrouvait le sens de l'intérêt général qui lui avait fait rénover l'ensemble des écoles primaires de sa circonscription, multiplier les crèches ou, sans prévenir, régulièrement visiter les malades de l'hôpital. De cette sollicitude, chacun savait l'authenticité et, par ce jour d'hiver où nous l'avons accompagné une dernière fois, j'ai senti l'émotion de la population qui s'était rassemblée en masse autour de l'église pour lui dire adieu malgré le froid. Michel Péricard avait émis, récemment, l'idée que cette fonction municipale, dans laquelle il avait été largement confirmé en 1995, serait la dernière charge publique qu'il assumerait. Il l'a occupée jusqu'à la fin.

Parlementaire chevronné, chacun ici mesurait combien il l'était, en particulier son groupe qui lui avait confié sa présidence à un moment déterminant. De 1995 à 1997, Michel Péricard à la tête de la plus importante formation parlementaire de la majorité, fit preuve, avec sa voix au timbre et au débit si particulière, de virtuosité réglementaire et de sagacité politique. Il confia un jour avec humour que ce poste envié lui permettait de se "faire engueuler en une seule journée par le Président de la République, le Premier ministre, le président de l'Assemblée et 260 députés", ce qui est commun à plusieurs de ceux qui ont rempli cette fonction. Il n'en perdait ni sa lucidité, ni sa simplicité. Ceux qui l'observaient et, alors à la tête du groupe socialiste, j'en étais, ceux qui l'entouraient et l'assistaient, les administrateurs et fonctionnaires de notre maison aussi, conservent le souvenir de ces moments où, prenant la parole en conférence des présidents ou en arpentant son bureau, il dressait avec esprit de synthèse un tableau des situations, indiquant les chausse-trappes à éviter, les coups à prendre et, parfois, à rendre. C'était un homme politique qui utilisait des arguments politiques au service d'une conviction politique. Sans concession sur le fond, mais toujours avec une grande courtoisie d'expression.

Il existe évidemment une dimension humaine fondamentale dans les responsabilités parlementaires : Michel Péricard, fils d'un homme exceptionnel, héros de la grande guerre, ne l'oubliait jamais. Même si, de temps à autre, parti dans une colère, il vitupérait les inconscients, les paresseux et autres incompétents, même si son humour pouvait être cinglant, il était surtout connu pour sa bienveillance, pour la manière presque sentimentale et familiale de conduire son groupe. Enfant d'une nombreuse famille, dixième de sa fratrie, très attaché à celle-ci, la tendresse du grand frère l'emportait toujours sur la rudesse du décideur.

Le soin qu'il mit à accueillir les jeunes députés, vainqueurs de 1993, mais gamins pour le suffrage universel, frappa chacun. Il leur rappela les règles essentielles : une question courte, un propos précis, une parole sans papier. Il faisait confiance à ses collaborateurs, adoptant volontiers un point de vue quand on le lui avait expliqué et qu'il lui semblait juste, pour s'en faire ensuite le défenseur ardent. Il ne portait pas d'armure contre la maladie, il n'en avait pas non plus pour le protéger des attaques ou des critiques. Ses proches savent qu'il en était atteint, ému ou bouleversé. Dans la transparence et l'honnêteté, nous étions sa vie et il la vivait au premier degré.

Michel Péricard savait sa santé chancelante. Certaines épreuves avaient failli lui être fatales. Il lui arrivait de plaisanter -je l'avais fait avec lui- pour conjurer le sort ou rassurer ses amis sur son teint pâle ou sur son souffle court, sur la douleur aussi, avec laquelle il s'était fait habitude de vivre. Il ne se plaignait pas. Il ne se ménageait pas, soulignant que le mandat des citoyens, la vie politique et le débat public étaient ses seules préoccupations et que "pour le reste adviendrait ce qui devait advenir". C'est ainsi qu'il avait encore accepté la charge lourde de vice-président de notre assemblée. Quelques jours avant sa disparition, comme un défi ou une prémonition, il avait choisi, pour l'anthologie de poésie que nous réunissions, le texte où Charles Aznavour chante "le temps trop court", "le temps d'un jour", "le temps d'aimer et de disparaître". J'ai reçu ce texte avec émotion. Nous le conservons comme un signe.

La mort l'a surpris ainsi, courageux, désintéressé, ne voyant dans ses fonctions que l'occasion de servir. Parce qu'il exprimait un modèle d'homme politique dont l'époque, souvent à tort, ne veut plus reconnaître l'élévation et le sens des responsabilités, parce que nous pensons à la douleur des siens, au chagrin de ses amis, parce que sa voix si particulière ne s'élèvera plus dans l'hémicycle, parce que nous voulions lui rendre hommage devant son épouse, sa famille et ses proches, Michel Péricard, figure forte de notre Assemblée, nous manque profondément (Mmes et MM. les députés et membres du Gouvernement observent une minute de silence).

M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement - Le Gouvernement tient à s'associer à l'éloge funèbre de M. Michel Péricard. C'est à l'ouverture de l'une de nos conférences des présidents que nous avons tous été informés de sa disparition brutale et notre émotion unanime a témoigné de la considération que chacun lui portait dans cette assemblée.

Tour à tour président de commission, président de groupe, vice-président de l'Assemblée, son expérience était très large. En tant que ministre des relations avec le Parlement j'écoutais avec attention les remarques toujours très courtoise qu'il formulait sur nos travaux.

Mais pour beaucoup de gens de ma génération, Michel Péricard restera aussi, et peut-être d'abord, un homme de la télévision, et j'allais dire de l'ORTF. Il a participé aux grandes émissions de cette télévision de service public en collaborant à Cinq colonnes à la une ou en créant et produisant la France défigurée. Il avait eu l'intuition de la place que prendraient dans notre vie publique les questions d'environnement et avait su mobiliser l'outil considérable de la télévision au service de cette cause -je ne sais pas si ce serait si facile aujourd'hui...

Sa fidélité à la télévision et à la communication, comme sa fidélité à l'environnement sont les deux constantes de son activité parlementaire : de 1978 à 1997 ses interventions dans ces deux domaines sont très nombreuses.

Mais Michel Péricard était aussi un homme de fidélité à ses engagements. Dès sa jeunesse il avait choisi de participer à la vie publique, notamment au travers du syndicalisme étudiant puisqu'il fut vice-président de l'UNEF. Journaliste, puis collaborateur de François Missoffe, Yves Guéna et Bernard Pons, directeur au sein de l'ORTF, conseiller municipal, puis adjoint au maire de Saint-Germain-en-Laye, c'est en 1977 qu'il choisit définitivement la vie publique en demeurant maire de sa ville natale, à laquelle il était très attaché.

Toute sa vie durant il fut fidèle aux idéaux tracés par le général de Gaulle, dans lesquels il retrouvait "une certaine idée de la France".

A sa famille, à ses compagnons du Rassemblement pour la République, à ses amis, nombreux sur tous les bancs de cet hémicycle, je veux dire combien le Gouvernement tient à s'associer à l'hommage qui est aujourd'hui rendu à Michel Péricard.

M. le Président - La séance est suspendue.

La séance, suspendue à 16 heures 20, est reprise à 16 heures 40 sous la présidence de M. Paecht.

PRÉSIDENCE DE M. Arthur PAECHT

vice-président


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COUR PÉNALE INTERNATIONALE

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle insérant au titre VI de la Constitution un article 53-2 et relatif à la Cour pénale internationale.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Les droits de l'homme ne sont pas pour notre pays de vagues règles morales, issues d'un droit naturel qui n'aurait rien à voir avec l'histoire réelle. Ils sont au contraire un ensemble de règles de droit contraignantes et vivantes, sur lesquelles les nations civilisées ont pu se mettre d'accord. Comme le disait Grotius, quand tant d'hommes instruits et sages de diverses nations, les Juifs, les Grecs, les Romains, soutiennent que les mêmes principes sont vrais et certains, il faut bien que ce soit l'expression du consentement général de l'humanité civilisée. Les droits de l'homme ont ainsi la double dimension de l'histoire et de l'universalité. Leur contenu peut évoluer, gagner en efficacité, s'adapter au monde moderne, aux progrès de la technique et de la science, ils n'en restent pas moins universels et indivisibles.

Mais cette universalité, cette indivisibilité n'auraient pas de sens si les violations les plus graves restaient impunies. Comment donner aux droits de l'homme tout leur sens si l'humanité reste à la merci de la barbarie ? Comment préserver notre bien le plus précieux, si nous ne trouvons pas, juridiquement et politiquement, les moyens de prévenir et de réprimer le génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre ?

On a certes pu croire, comme l'espéraient certains philosophes du XVIIème et du XVIIIème siècles, que les nations, à mesure qu'elles se civilisent, commercent, échangent des idées et des informations, cesseraient de se haïr et de se faire la guerre. Le XXème siècle a démenti ces espoirs, en produisant les plus effroyables cauchemars. Il a été le siècle de l'Holocauste, de la destruction de millions d'hommes et de femmes pour la seule raison qu'ils étaient juifs.

M. François Goulard - Et aussi celui du Goulag.

Mme la Garde des Sceaux - Si la fin de la guerre froide a permis à quelques-uns de croire à la fin de l'histoire, celle-ci se rappelle à nous tous les jours, et ces jours-ci au coeur de l'Europe qui tente, avec ses alliés, de mettre fin aux massacres et aux déportations de populations civiles innocentes. Les crimes contre l'humanité n'ont pas disparu, ni le génocide, ni les crimes de guerre ! A peine sortis des enfers de Vuckovar, de Srebrenica ou du Rwanda, nous voilà plongés dans le drame du Kosovo.

Nous savons qu'à la guerre succèdera la paix, car la communauté humaine est condamnée à cohabiter, qu'elle le souhaite ou non. Mais il n'y aura pas de paix sans justice. Comment renaître si les bourreaux courent toujours ? Comment rire à nouveau si les responsables de vos tortures dînent à la table voisine de la vôtre ? Sans justice, pas d'apaisement pour les victimes des crimes les plus horribles.

Dans ce combat pour la paix et la justice, le renforcement de la justice pénale internationale apparaît, non certes comme une solution miracle, ni comme l'aboutissement d'un processus, mais comme un préalable nécessaire au réveil des consciences, à la consécration de la primauté absolue des droits universels des êtres humains. Tel est le sens de la convention adoptée à Rome le 17 juillet 1998. Signée dès le lendemain par notre pays, cette convention porte statut d'une Cour pénale internationale ; la France ne pourra y adhérer qu'en modifiant préalablement sa Constitution. Avant d'aborder le contenu du projet de révision constitutionnelle, quelques mots sur cette nouvelle juridiction internationale.

De ses origines, il n'est pas nécessaire de vous entretenir longuement. C'est le souci de ne pas laisser impunis les grands criminels nazis et japonais qui conduisit à la mise en place des tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo. Innovation formidable : pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, les auteurs des crimes les plus odieux allaient être jugés par des juridictions vraiment internationales, qui appliqueraient, non le droit de tel ou tel Etat, mais des règles définies internationalement. De Nuremberg à la Cour pénale internationale, en passant par la création des deux tribunaux pénaux internationaux, pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, le chemin qui nous a menés de la prise de conscience politique à la réalisation juridique fut long et incertain.

Mais il ne fut jamais abandonné, notamment par les juristes français les plus éminents, qui, de Henri Donnedieu de Vabres à Pierre Truche et Robert Badinter, marquèrent de leur empreinte l'évolution de la pensée juridique internationale.

De cette histoire est née la nécessité de mettre en place une juridiction pénale internationale permanente, c'est-à-dire constituée avant les faits dont elle serait amenée à connaître, et qui limiterait sa compétence matérielle aux crimes portant atteinte à la conscience de l'humanité ou à la paix mondiale.

Quatre crimes seulement sont considérés comme les plus graves parmi les plus graves : génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et crimes d'agression. Ceux-là menacent les fondements mêmes de la société internationale et révoltent profondément la conscience humaine.

Bien entendu, d'autres crimes sont odieux et inacceptables, comme le terrorisme international ou la criminalité organisée transfrontière. Mais si les quatres que j'ai cités ont été retenus, c'est pour éviter de les banaliser.

Il n'était pas pensable de confier à une Cour mondiale le soin de juger à la fois le trafic de stupéfiants et le génocide, sous peine de gommer l'horreur de ce dernier.

S'agissant des crimes de guerre, l'article 124 du statut permet à un Etat partie de décliner la compétence de la Cour, pour une période de 7 ans. C'est cette disposition transitoire, adoptée à l'initiative de la France, qui a permis un accord général.

Il fallait éviter que les dispositions relatives à ces crimes puissent faire l'objet de plaintes abusives, ou teintées d'arrière pensées politiques. Les quelques pays dont le nôtre, qui déploient à l'étranger des personnels civils et militaires au service de la paix, au prix d'un lourd tribut humain, ne doivent pas être découragés dans leur action. En outre, nous devons à nos personnels toute protection contre les mises en cause personnelles injustifiées.

Qui seront les justiciables de la Cour pénale internationale ? Contrairement au tribunal de Nuremberg, la Cour pénale internationale n'est pas censée limiter son action aux "plus grands criminels", mais on est en droit d'espérer qu'elle ne s'occupera pas seulement des plus insignifiants. Son procureur aura les moyens de poursuivre ceux que le droit international appelle les "planificateurs";

La compétence de la Cour pénale internationale s'exercera sans aucune discrimination et la "qualité officielle" d'un accusé ne sera pas une cause exonératoire de responsabilité. Ce principe est clairement édicté par l'article 27 du statut.

Surtout, la plus grande innovation du statut de Rome consiste à reconnaître enfin certains droits aux victimes. Les dispositions relatives à l'accès des victimes à la procédure internationale et à la réparation de leur préjudice sont encore modestes, mais elles n'en demeurent pas moins révolutionnaires, car elles permettent enfin de placer l'individu au coeur de la justice internationale.

Comme un agent corrosif, le droit pénal fait sauter les verrous traditionnels du droit international : on pourra désormais, devant une juridiction internationale, connaître de la responsabilité pénale individuelle, mais aussi civile sous certaines conditions. C'est une innovation humaine fondamentale. Les victimes vont cesser d'être une grande cause abstraite, pour devenir des parties au procès pénal international. Le voile étatique pourra ainsi se déchirer et atteindre, au-delà de l'Etat, la personne physique auteur du crime et la sanctionner.

Ce combat que la France a mené sans relâche au cours des négociations sera poursuivi jusqu'à la mise en place effective de la Cour.

S'agissant de la procédure, soulignons d'abord que la création d'une Cour pénale internationale ne doit pas conduire les Etats souverains à s'abstenir de poursuivre eux-mêmes les criminels contre l'humanité, bien au contraire. La convention de Rome possède une valeur préventive et incitative à laquelle le principe de "complémentarité" donne toute sa force.

La juridiction internationale ne viendra suppléer les systèmes nationaux de justice pénale que lorsqu'ils n'auront pas pu, ou pas voulu, connaître eux-mêmes des crimes relevant de la compétence de la Cour, qui apparaît comme une garantie collective contre l'impunité des auteurs des crimes les plus graves. Pour pallier les insuffisances des Etats défaillants, ou malveillants, il faut que les procédures applicables devant la Cour pénale internationale soient à la fois efficaces, respectueuses des droits de l'homme, et représentatives de la diversité des cultures juridiques dans le monde. Le statut de Rome répond à ces trois objectifs.

La Cour pourra être saisie aisément, soit par un Etat partie, soit par le Conseil de sécurité, soit par le Procureur lui-même qui, destinataire d'une plainte pourra ouvrir une enquête après en avoir obtenu l'autorisation auprès de la Chambre préliminaire, composée de trois juges de la Cour.

Une fois saisi, le Procureur déterminera lui-même si une enquête est nécessaire, puis si des poursuites sont justifiées. Les Etats seront tenus de répondre à ses demandes d'assistance, et de lui remettre les personnes contre lesquelles des charges suffisantes ont été réunies.

Toutes les garanties procédurales relatives au respect des droits de l'homme figurent dans le statut de la Cour.

Les droits des personnes "soupçonnées", ou "accusées", sont définis avec précision par la convention de Rome. De la présomption d'innocence au droit de ne pas témoigner contre soi-même, les négociateurs de ce texte n'en ont oublié aucun.

Le trait principal de la procédure est son caractère mixte : à dominante accusatoire, elle laisse une place non négligeable à l'intervention des juges, en particulier dans la phase préalable au procès, la Chambre préliminaire étant chargée d'assurer une sorte de contrôle juridictionnel de l'activité du Procureur. Juge de la détention provisoire, chargée d'aider les personnes mises en cause à rassembler des éléments de preuve, elle est garante du principe de l'égalité des armes.

Ses pouvoirs sont encore plus étendus lorsque les éléments à charge réunis par le Procureur sont de nature à justifier la tenue d'un procès. C'est en effet la Chambre préliminaire qui contrôle le caractère sérieux des charges, en organisant une audience contradictoire.

Il est à l'honneur de la France d'avoir proposé et obtenu la création de cette Chambre préliminaire, qui permet de rééquilibrer la phase préalable au procès et d'éviter que des personnes soient mises en accusation sans que le caractère sérieux des charges réunies à leur encontre ait pu être vérifié par un organe juridictionnel.

Nous sommes en présence d'un traité d'une grande importance, qui enrichit l'ordre juridique international dans un domaine essentiel à la défense de la dignité humaine, et dont le contenu répond, nous venons de le voir, aux préoccupations de notre pays.

Mais je ne voudrais pas terminer cette présentation du statut de la Cour pénale sans appeler votre attention sur quelques questions que soulève l'avènement de la justice pénale internationale.

Il s'agit d'une évolution nécessaire, car la raison d'Etat ne saurait justifier les crimes contre l'humanité.

M. Michel Hunault - Très bien !

Mme la Garde des Sceaux - Mais il importe aussi de ne pas judiciariser toute la vie internationale, de bien délimiter la responsabilité politique, qui peut être mise en jeu dans le cadre des mécanismes démocratiques lorsqu'ils existent, et la responsabilité pénale. C'est pourquoi notre pays a souhaité, avec d'autres, affirmer le rôle du Conseil de sécurité des Nations Unies, afin de laisser ouvert le champ de la négociation diplomatique pour mettre fin à une guerre ou à une agression. C'est aussi pourquoi la France conditionne les poursuites pour crimes d'agression, lorsqu'il sera défini, à la décision du Conseil de sécurité.

De surcroît, pour ne pas laisser à une seule personne la décision d'engager des poursuites, la France a insisté sur l'importance d'un équilibre interne dans le fonctionnement de la Cour en permettant à la chambre préliminaire d'exercer un contrôle sur l'activité du Procureur.

Ces précisions apportées, je redis la volonté du Gouvernement de ratifier dans les meilleurs délais la convention de Rome, afin que la Cour pénale internationale voie le jour dès que possible. La France a signé la convention le lendemain de son adoption, et nous aimerions que tous les pays qui ont voté en faveur de ce texte -ils étaient 120- fassent de même très rapidement.

La ratification de ce traité, qui marque l'attachement de la France aux valeurs fondamentales que la Cour pénale internationale contribuera à défendre, demande au préalable que notre Constitution soit modifiée, tant il est vrai que le statut de Rome change certaines données traditionnelles du droit français.

Le Conseil constitutionnel a été saisi conjointement par le Président de la République et le Premier ministre de la question de savoir si l'autorisation de ratifier le traité devait être précédée d'une révision de la Constitution.

Pour répondre à cette question, le Conseil constitutionnel a confronté le traité à trois séries de normes d'égale valeur constitutionnelle : les dispositions mêmes de la Constitution de 1958 ; les principes de rang constitutionnel en matière de droit pénal et de procédure pénale ; le respect des conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

Par sa décision du 22 janvier 1999, il a estimé conforme le traité qui lui était soumis, à l'exception de certaines de ses stipulations. Avant de détailler les points qui ont fait l'objet de déclarations d'inconstitutionnalité, je crois important d'appeler votre attention sur le fait que ces déclarations ne traduisent aucune espèce de réserve à l'encontre du traité lui-même.

En effet, le Conseil constitutionnel a tenu à réaffirmer que le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que, sur le fondement du Préambule de la Constitution de 1946, la France puisse conclure des engagements internationaux en vue de favoriser la paix et la sécurité du monde et d'assurer le respect des principes généraux du droit public international. Aucune disposition de notre loi fondamentale ne s'oppose à ce que la France puisse signer et ratifier un traité qui prévoit en particulier la création d'une juridiction internationale permanente destinée à protéger les droits fondamentaux de la personne humaine en sanctionnant les atteintes les plus graves qui leur seraient portées, et compétente pour juger les responsables de crimes d'une exceptionnelle gravité.

Une telle prise de position montre bien que notre pays est ouvert au droit international, comme le confirme le fait que le Préambule de 1946 énonce que la République, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit international.

Celles-ci portent d'autant moins atteinte à la souveraineté nationale que le 15e alinéa du même Préambule dit clairement que sous réserve de réciprocité la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix. Or, tel est bien le but de l'institution de la Cour pénale internationale.

A cet égard, la décision du Conseil constitutionnel est extrêmement importante quand elle affirme qu'eu égard à l'objet de la convention de Rome, la clause de réciprocité n'a pas lieu de s'appliquer, car le fait que d'autres Etats parties ne respecteraient pas les obligations qui leur incombent ne saurait être un motif pour exonérer la France des siennes, pour s'abstenir de sanctionner les crimes les plus odieux.

Si la haute juridiction marque ainsi l'adhésion de la France au système du droit international, elle a souligné en revanche comme elle l'avait déjà fait dans ses décisions sur les traités de Maastricht et d'Amsterdam, que si les engagements internationaux de la France contiennent une clause contraire à la Constitution et mettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté, l'autorisation de les ratifier appelle une révision constitutionnelle préalable.

Or, comme le relève la décision du Conseil, qui rejoint assez largement l'avis rendu le 29 février 1996 par le Conseil d'Etat, le traité portant statut de la Cour pénale internationale est incompatible avec la Constitution sur trois points.

L'article 27 du statut, qui rendent justiciables de la Cour pénale internationale tous les ressortissants des Etats parties, sans que la qualité officielle de chef d'Etat ou de Gouvernement ou de membre d'un gouvernement ou d'un parlement puisse être prise en compte, est contraire aux régimes particuliers de responsabilité institués par les articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution.

En deuxième lieu, la compétence de la Cour pénale internationale à l'égard de la France affecte les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale dans deux hypothèses : loi d'amnistie et règles nationales de prescriptions.

En effet, malgré le vote par le Parlement national d'une loi d'amnistie, la Cour pénale pourrait se reconnaître compétence pour juger certaines personnes qui en ont bénéficié, si elle estimait que cette loi avait pour but réel de les faire échapper aux poursuites. Dans un Etat de droit, cette hypothèse est bien entendu exceptionnelle, et la Cour pénale aura toujours la possibilité de prendre en compte, sur le fondement de l'article 20 du statut, les lois d'amnistie régulièrement votées.

D'autre part, comme les crimes définis par le statut sont imprescriptibles au terme de l'article 29, la Cour pourrait se reconnaître compétente malgré l'application normale des règles de droit interne en matière de prescription. L'obstacle ainsi mis à la volonté du législateur français, même s'il est très hypothétique, est donc constitutif d'une atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

Enfin, bien que les pouvoirs que le Procureur de la Cour pénale tient de l'article 99 soient exclusifs de tout recours à la contrainte, le Conseil constitutionnel a jugé qu'il pouvait également porter atteinte aux conditions essentielles de l'exercice de la souveraineté nationale. Je souligne que c'est précisément cette absence de mesure de contrainte qui avait conduit la haute juridiction à ne pas voir de transfert de souveraineté dans les pouvoirs accordés aux agents chargés des poursuites transfrontalières, dans le cadre de la convention d'application de l'accord de Schengen. Mais elle a sans doute jugé que la possibilité donnée au Procureur de recueillir, directement sur le territoire de l'Etat, des dépositions de témoins, ainsi que d'inspecter des sites ou des lieux publics, était trop vague au regard de la règle qui veut que les autorités judiciaires françaises sont seules compétentes pour accomplir les actes demandés par une autorité étrangère au titre de l'entraide judiciaire.

Les conséquences de cette décision ont été tirées par le Président de la République et le Gouvernement qui ont estimé que les obstacles de nature constitutionnelle, au demeurant très limités, devaient être surmontés afin que le Parlement puisse autoriser la ratification du statut de la Cour pénale internationale et que le Président de la République puisse déposer les instruments de ratification.

C'est la raison pour laquelle il vous est proposé de compléter le titre VI de la Constitution, relatif aux traités et accords internationaux, par un article 53-2 nouveau, disposant que : "la République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998". Ainsi, par une formule générale qui permet de répondre à l'ensemble des motifs d'inconstitutionnalité relevés par le Conseil constitutionnel, le Parlement pourra autoriser la ratification de la Cour pénale internationale.

Par cette révision constitutionnelle, la France montre qu'elle est déterminée à faire aboutir la mise en place de la Cour pénale internationale permanente et qu'elle fera tout ce qui est en son pouvoir pour que 60 Etats au moins ratifient la convention de Rome condition nécessaire de son entrée en vigueur.

Parce qu'il porte atteinte à la nature humaine et aux fondements même de la communauté internationale, le crime contre l'humanité doit être poursuivi et sanctionné, et appelle une réponse forte et coordonnée des systèmes nationaux et internationaux de justice pénale.

L'histoire nous enseigne qu'il ne faut jamais baisser la garde : que de difficultés pour juger des dictateurs tels que Pinochet ou les dirigeants khmers rouges, lorsque les Etats eux-mêmes renoncent à leur compétence. Ni le crime contre l'humanité ni le génocide ne peuvent pourtant rester impunis. Si la Cour pénale internationale existait, au moins pourrait-elle être saisie dans le cadre de ses compétences, et pour des faits postérieurs à sa mise en place, d'exactions qui ont profondément heurté la conscience humaine.

Lorsque la Cour pénale existera, elle sera, par son existence même, une menace pour tous les dictateurs sanguinaires. L'existence du tribunal d'Arusha nous donne l'espoir de voir juger un jour les responsables du génocide rwandais. L'existence du tribunal de La Haye nous donne l'espoir de voir juger, un jour, les criminels qui ont agi en Bosnie, en Croatie et en Serbie, de voir juger Milosevic pour le martyre qu'il inflige aux femmes, aux enfants, aux hommes, à toute la population du Kosovo (Applaudissements).

Avec la convention de Rome, après tant d'années d'attentes et d'espoirs déçus, nous avons franchi le cap du possible et du probable, pour entrer dans une phase moins théorique, moins illusoire, où l'on s'efforcera enfin de concevoir différemment la place de la justice pénale internationale dans la résolution des conflits les plus graves. Nous sommes ainsi passés de la conception à la construction.

Il nous faudra beaucoup de patience et de prudence, un peu d'abnégation parfois et, surtout, de la constance. Vous qui avez entendu le Premier ministre exprimer sa volonté de voir punis les crimes contre l'humanité, volonté dont je suis certaine qu'elle est partagée sur tous les bancs, vous pouvez compter sur le Gouvernement auquel j'appartiens pour exercer cette constance (Applaudissements).

M. Alain Vidalies, rapporteur de la commission des lois - "Conscient que tous les peuples sont unis par des liens étroits et que leurs cultures forment un patrimoine commun, ayant à l'esprit qu'au cours de ce siècle, des millions d'enfants, de femmes et d'hommes ont été victimes d'atrocités qui défient l'imagination et heurtent profondément la conscience humaine, déterminé à ses fins et dans l'intérêt des générations présentes et futures à créer une Cour pénale internationale permanente"... Ces quelques lignes sont extraites du préambule du traité signé à Rome, le 18 juillet 1998, et c'est une coïncidence tragique qu'au moment même où nous débattons, il se commet à chaque instant des crimes qui, demain, relèveront de la Cour pénale internationale.

La création de cette Cour est l'aboutissement d'un long cheminement. Au lendemain de la première guerre mondiale, déjà l'ampleur des massacres conduit les puissances alliées à s'engager en faveur de l'institution d'une juridiction chargée de châtier les responsables. Ainsi, dans son article 227, le traité de Versailles dispose que Guillaume II doit être déféré à un tribunal spécial pour "offense suprême contre la morale internationale et l'autorité sacrée des traités". L'horreur de la deuxième guerre mondiale et la gravité des crimes commis sont à l'origine de la création des tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo, dont les statuts définissent trois catégories d'infractions : les crimes contre la paix, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité.

L'idée de la création d'une Cour pénale internationale permanente apparaît dans l'article 10 de la convention du 9 décembre 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide et c'est par une résolution du 4 décembre 1989 que l'assemblée générale des Nations Unies demande à la commission du droit international d'étudier à nouveau cette question.

Ce projet n'avait pas abouti lorsque l'opinion publique internationale, devant la gravité et l'ampleur des crimes commis dans l'ex-Yougoslavie et au Rwanda, exigea qu'une solution soit trouvée pour poursuivre et sanctionner leurs auteurs.

L'institution de tribunaux ad hoc pour juger les crimes commis dans l'ex-Yougoslavie et au Rwanda, est intervenue à l'initiative du Conseil de sécurité, qui agissait dans le cadre du chapitre 7 de la charte des Nations Unies relative au maintien de la paix et de la sécurité internationale. Le Conseil de sécurité peut en effet créer, en vertu de l'article 29 de la charte : "les organes subsidiaires qu'il juge nécessaires à l'exercice de ses fonctions" et décider, en vertu de l'article 41, "les mesures n'impliquant pas l'emploi de la force armée pour donner effet à ses décisions".

Les tribunaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda exercent leurs compétences sans le consentement des Etats concernés. Ils disposent d'un pouvoir d'auto-saisine et de désaisissement des autorités judiciaires nationales et ils adoptent leur règlement de procédure, sans que les Etats n'interviennent. L'organisation et les principes qui les régissent ont largement inspiré le traité signé à Rome, le 18 juillet 1998, portant création d'une Cour pénale internationale, traité, qui entrera en vigueur après que 60 Etats l'auront ratifié.

La Cour aura compétence pour juger les crimes de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre.

Les crimes de génocide sont définis comme les "actes commis dans l'intention de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux". Les crimes contre l'humanité sont consacrés comme des infractions autonomes commises en dehors de tout conflit armé, et une liste non-exhaustive en est donnée. Quant aux crimes de guerre, ils sont définis comme "tous actes attentatoires aux principales conventions du droit international humanitaire, commis au cours d'un conflit armé international".

Le traité précise l'organisation de la Cour, dont le Règlement de procédure et de preuve, en cours de discussion, devra être adopté par l'Assemblée des Etats parties, à la majorité des deux-tiers de ses membres.

La Cour pénale internationale peut être saisie par un Etat partie à la convention ou par le Conseil de sécurité. En outre, le Procureur peut prendre lui-même l'initiative d'engager une enquête, après autorisation de la chambre préliminaire.

Le statut pose le principe fondamental de la complémentarité de la compétence de la Cour et de celle des juridictions pénales nationales. La complémentarité doit être distinguée de la subsidiarité, principe qui veut qu'une institution n'intervienne que si d'autres ne l'ont pas fait. Les juridictions internes ne sont donc pas dépourvues de compétences pour ces mêmes crimes. Mais si les Etats conservent la responsabilité principale dans les jugements des personnes, la Cour, au titre de la complémentarité, a capacité à pallier leurs carences.

Ce dispositif respectueux du consentement des Etats disparaît lorsque la Cour est saisie par le Conseil de sécurité, au titre du maintien de la paix et de la sécurité internationale. Dans ce cas, le Conseil de sécurité pourra imposer à un Etat non membre la juridiction de la Cour. Il pourra même contraindre les Etats à renoncer à leurs compétences au bénéfice de la juridiction de la Cour.

Le statut de la Cour dispose que les crimes relevant de sa compétence ne se prescrivent pas, et que les règles nationales en matière de prescription ou d'amnistie ne lui sont pas opposables. Il précise aussi que la qualité officielle, notamment celle de chef de l'Etat ou de membre du Gouvernement ou du Parlement, n'exonère pas de la responsabilité pénale.

L'objectif du traité est clairement de surmonter les obstacles que le principe même de la souveraineté nationale opposait à la répression des crimes les plus atroces. Il est donc tout à fait naturel que le Conseil constitutionnel ait pu constater qu'il portait atteinte aux conditions essentielles de l'exercice de la souveraineté, puisque c'est en quelque sorte le but poursuivi !

Dans sa décision du 22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel a considéré que l'autorisation de ratifier le traité exigeait une révision préalable de la Constitution. Il a retenu que l'article 27 du statut méconnaît les régimes particuliers de responsabilités prévus par les articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution, relatifs aux régimes particuliers de responsabilité des membres du Parlement, du Président de la République et des membres du Gouvernement.

Le Conseil constitutionnel a également considéré que le fait que la Cour pénale internationale puisse être valablement saisie, lorsque le crime commis a été amnistié ou prescrit selon la loi française, était une atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale. Le projet de loi constitutionnelle ne répond pas, point par point, aux objections du Conseil constitutionnel, mais propose d'inscrire dans la Constitution une formule générale, qui deviendrait l'article 53-2, ainsi rédigé : "La République peut reconnaître les juridictions de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998."

Le choix de cette formule générale ne peut qu'être approuvé car il était pratiquement impossible de répondre point par point, notamment pour les cas d'inconstitutionnalité qui ne sont pas relevés par référence à des articles précis de la Constitution.

Il convient toutefois de préciser que cette formule générale, en faisant référence au traité signé le 18 juillet 1998, ne couvre que les cas d'inconstitutionnalité soulevés dans la décision du 22 janvier 1999. C'est dire que toute modification du traité signé à Rome, le 18 juillet 1998, demandera une nouvelle révision constitutionnelle.

Le traité de Rome ne marque pas l'émergence d'une autorité judiciaire internationale indépendante. Il est, au contraire, profondément marqué par la procédure diplomatique préalable à son adoption. Comment ne pas relever la singularité de l'article 111-10, qui permet aux Etats signataires de se soustraire à la compétence de la Cour, pendant une période de sept ans, pour les crimes de guerre ? Comment ne pas s'étonner que, parmi les sept pays qui ont refusé de signer le Traité, figurent les Etats-Unis, la Chine, l'Inde, Israël ? Comment ne pas s'interroger sur la réalité de la mise en oeuvre des mesures coercitives ordonnées par la Cour alors que l'expérience du tribunal sur l'ex-Yougoslavie en révèle toute la difficulté ? Comment, enfin, accepter l'idée même d'un droit de retrait pour les Etats parties au traité ?

Mais toutes ces réserves, dont l'expression est légitime, ne peuvent faire oublier l'essentiel, et notamment la possibilité donnée au Conseil de sécurité d'imposer la compétence de la Cour à tout Etat, même non partie au traité.

Elles ne peuvent non plus faire oublier qu'il ne s'agit plus d'une justice des vainqueurs qui recherchent la juste peine pour les vaincus, mais d'un droit pénal international qui définit les crimes les plus graves et met en oeuvre une institution permanente chargée de les réprimer, au nom de la défense des valeurs communes à toute la communauté humaine.

Elles ne peuvent faire oublier, enfin, que la protection tirée du principe de la souveraineté nationale disparaît devant la responsabilité pénale individuelle consacrée par le traité, quelles que soient les fonctions exercées par les auteurs des crimes.

Il ne s'agit donc pas seulement de ratifier un traité, mais d'abord, et peut-être surtout, d'engager fortement la France dans un processus de civilisation, d'humanisation. Le Conseil constitutionnel a lui-même marqué le caractère singulier de cet engagement en relevant que le principe de réciprocité prévu à l'article 55 de la Constitution, n'a pas lieu de s'appliquer. Autrement dit, la France s'engage sans préalable et sans exiger de contrepartie.

Souhaitons que, demain, la pratique traduise cette démarche fidèle aux principes universels des droits de l'homme et qu'après Pinochet et Karadzic, tous les dictateurs prennent conscience que l'histoire les rattrapera et qu'ils auront affaire à des juges.

C'est dans cet esprit que votre commission des lois vous invite à voter, sans modifications, le projet de loi constitutionnelle.

M. Guy Hascoët - Je suis toujours un peu surpris que certains soient tentés d'opposer l'universalité des droits de la personne humaine aux droits des Etats, qu'ils soient démocratiques ou non. Les Etats démocratiques ont en commun un certain nombre de valeurs, ils ont inscrit le respect des droits de l'homme au coeur de leur Constitution.

Au nom du racisme, du colonialisme, de motivations révolutionnaires, des intérêts des blocs, sous couvert de bonne conscience ou du droit du plus fort, les droits de l'homme, les droits des peuples, en particulier à disposer d'eux-mêmes, ont été sans cesse bafoués dans l'histoire.

Pour nous, entre un droit supranational et le libre arbitre des Etats-nations qu'il remettait en cause, l'histoire a tranché. Avec la disparition des blocs, nous sommes entrés dans une période nouvelle où les Etats, soumis à de nouvelles obligations, peuvent enfin accepter, après tant d'années d'atermoiements, la création de la Cour pénale internationale, où ils peuvent accepter de lui confier la tâche de faire respecter un certain nombre de valeurs dès lors qu'elles sont niées par tel régime, par tel dictateur.

Nous abordons ce débat au moment même où, au coeur de l'Europe, des exactions sont commises. Il y a, à créer une telle Cour, nous en sommes conscients, un risque de banaliser le mal, à accepter l'idée que la Cour intervient parce que la prévention politique a échoué. Mais le risque n'est-il pas plus grand encore, si la Cour n'était pas créée, que certains se sentent à l'abri, qu'ils revendiquent l'impunité ? Des bourreaux comme Mladic, Karadzic, Arkan doivent savoir qu'ils ont rendez-vous avec l'histoire pour les crimes qu'ils ont déjà commis.

On a pu se demander si la CPI n'interviendrait pas trop tard après les crimes mais, vous l'avez dit, Madame la ministre, ces derniers sont imprescriptibles.

Désormais, quelles que soient les situations et le poids politique des pays impliqués, une justice internationale pourra se prononcer et sanctionner les manquements aux règles fondamentales de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Quand les politiques auront échoué, quand ils n'auront pas su prévenir les drames, ils délégueront à la Cour le pouvoir de juger les criminels de guerre.

Et si certains redoutent que la CPI aille à l'encontre des habitudes et des droits des Etats-nations, nous, nous faisons le choix à la fois de réaffirmer le rôle du politique et de faire peser une épée de Damoclès sur la tête de tous les criminels. Sans hésitation et sans naïveté, nous prenons le risque d'une cour imparfaite plutôt que celui de l'impunité. Quand les droits fondamentaux de la personne ne sont pas respectés, ni la non-ingérence ni le droit de chaque Etat à disposer de son territoire et de ses habitants ne sont plus opposables au droit international.

Les Verts, ils l'ont écrit au Premier ministre, ne souhaitent pas que la France ait recours à l'article 124, même pour une période transitoire de sept ans. Il faudrait d'ailleurs nous dire précisément lesquels de nos ressortissants pourraient être en difficulté au cours de cette période. Surtout, nous pensons que notre pays, qui a su montrer la voie en la matière, ne doit en aucune manière adresser aux autres pays un signal négatif mais au contraire faire connaître à tous que reconnaître les prérogatives et les compétences de la Cour suppose que l'on accepte soi-même d'être l'objet de recours.

Mme Marie-Hélène Aubert - Très bien !

M. François Goulard - Comment aborder les questions de la sanction des crimes contre l'humanité, des crimes d'agression, dans la sérénité que confère la distance avec l'événement alors que se commettent en ce moment même, au Kosovo, de tels crimes ? L'actualité éclaire notre débat d'une lumière trop crue et les discussions sur la décision de l'Alliance d'intervenir militairement au Kosovo rejoignent celles sur la mise en oeuvre d'un droit pénal international. Toutes se résument en une question : y a-t-il un droit supérieur à la loi des Etats et qui s'impose à eux ? Et, pour ceux qui répondent oui, comment le mettre en oeuvre ?

Pour nous libéraux, dans cette affaire, comme dans toutes celles qui concernent les hommes, par principe les Etats, s'ils font largement le droit, n'ont pas tous les droits. Ils doivent en particulier respecter les droits de l'homme. A défaut, l'intervention de la communauté internationale est légitime. Si le régime yougoslave était démocratique, M. Milosevic aurait peut-être une majorité de ses compatriotes pour approuver ses exactions. Celles-ci n'en demeureraient pas moins infâmes et appelleraient des sanctions.

L'éclairage de principes, ici la primauté absolue du droit, dissipe souvent les brumes des circonstances. Encore faut-il que le droit puisse être appliqué. On a souvent cité Pascal : "La justice sans force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite, parce qu'il y a souvent des méchants, la force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste". Aujourd'hui, pour les affaires internationales, concilier force et justice est, au moins partiellement, possible.

Jusqu'à la fin des années 80 et la chute hautement symbolique du mur de Berlin, le monde bipolaire empêchait la mise en oeuvre du droit sur le plan international. Aujourd'hui, l'effondrement du monde communiste, à l'exception notable de la Chine, donne sur la scène mondiale la primauté à des Etats respectant les droits de l'homme.

Sans doute faut-il se garder d'angélisme et ne pas exclure des considérations d'intérêts ou de puissance dans le comportement des Etats les uns à l'égard des autres.

Mais il est incontestablement plus facile aujourd'hui d'envisager une action concertée des nations en vue du respect du droit. L'intervention de l'Alliance au Kosovo en est une illustration. On peut regretter que l'ONU n'ait pas joué un rôle plus déterminant dans le déclenchement de cette intervention : mais c'est dû à la composition du Conseil de sécurité, qui remonte à une période où le réalisme commandait de rassembler les puissances sans lesquelles il était inconcevable d'entreprendre quoi que ce soit. Aujourd'hui on peut rêver d'un Conseil de sécurité idéal, dans lequel seules auraient leur place les puissances admettant la supériorité du droit.

Mais faute de disposer d'un tel organisme plus adapté au monde actuel, nous devons, au nom du pragmatisme et de l'efficacité, accepter l'imperfection procédurale qui a présidé à l'intervention au Kosovo.

Des actions de police internationale sont à la fois légitimes et possibles. Elles sont indissociables de l'existence d'une véritable justice pénale internationale. Comment penser que des crimes perpétrés sous nos yeux puissent rester impunis alors que nous avons désormais la possibilité de les soumettre à un jugement et "d'accompagner la justice par la force" ?

Le droit pénal international, balbutiant, imparfait, limité jusqu'alors à des périodes exceptionnelles où il était surtout le droit des vainqueurs, doit s'affirmer. Dans l'histoire moderne, c'est à la suite des guerres mondiales que s'est instaurée l'idée d'une sanction des crimes commis pendant le conflit. Le traité de Versailles de 1919 comportait un chapitre relatif aux sanctions mais on a préféré laisser l'Allemagne juger elle-même ses criminels de guerre, ce qu'elle fit en les laissant s'enfuir. L'empereur Guillaume II est mort tranquillement en Hollande en 1941...

Après l'épouvante de la IIème guerre mondiale, le tribunal de Nuremberg a contribué à définir les incriminations du droit pénal international. Comme l'a dit la philosophe Hannah Arendt : "les mesures prises à l'encontre d'un crime sans précédent ne sont valables que si elles constituent des précédents dignes de figurer dans un futur code pénal international". C'est tout le sens des efforts actuels pour créer une cour pénale internationale.

Depuis Nuremberg et Tokyo, deux résolutions des Nations Unies ont créé respectivement le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie en 1993 et le tribunal pénal international pour le Rwanda en 1994.

Mais le traité signé à Rome le 17 juillet 1998 présente des traits différents : il ne résulte pas de décisions de l'ONU, mais d'un accord entre 120 Etats et sa compétence est générale.

Sans doute ce traité est-il imparfait. Sans doute la possibilité donnée à un Etat signataire de ne pas reconnaître la compétence de la Cour, en ce qui le concerne, pour les crimes de guerre, et de se soustraire pendant sept ans à sa juridiction est-elle frustrante. Sans doute la compétence de la Cour n'est-elle pas universelle puisqu'il faut une saisine du Conseil de sécurité pour l'étendre aux Etats non signataires. Sans doute est-il dommage que figurent parmi ces derniers des pays comme les Etats-Unis, l'Inde ou Israël.

Mais malgré ces limites, le principe même de la création de la Cour pénale internationale est une étape décisive dans la constitution du droit pénal international.

C'est pourquoi le groupe Démocratie libérale ne peut qu'appeler à la ratification rapide du traité. C'est ce qu'a fait Alain Madelin l'an dernier en déposant symboliquement une proposition de loi de ratification.

Le préalable à cette ratification est la révision constitutionnelle puisque, saisi par le Premier ministre et le Président de la République, le Conseil constitutionnel l'a jugé nécessaire, le traité portant atteinte à des conditions d'exercice de la souveraineté nationale.

Mais le Conseil constitutionnel a aussi précisé que le respect de la souveraineté nationale ne faisait pas obstacle à la conclusion d'engagements internationaux en vue d'assurer le respect des principes généraux du droit public international, ni à la création d'une juridiction permanente sanctionnant les atteintes les plus graves aux droits de l'homme. Les obligations nées de tels engagements, a-t-il ajouté, s'imposent à chaque Etat-partie indépendamment de leur exécution par les autres Etats-parties et la condition de réciprocité mentionnée à l'article 55 de la Constitution n'a donc pas lieu de s'appliquer. Autrement dit, notre juge constitutionnel reconnaît qu'il existe un droit supérieur à celui des Etats.

La formule retenue pour la révision est incontestablement la plus simple et la plus rapide.

En votant ce projet, nous franchissons une première étape d'un long processus, celui de la construction d'un véritable droit pénal international et à l'affirmation de la suprématie du droit (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Louis Mermaz - Ce projet vise à rendre notre Constitution compatible avec le traité signé à Rome le 18 juillet 1998 instituant une Cour pénale internationale permanente.

Le drame du Kosovo donne à cette démarche un éclairage tout particulier.

Cette cour sera chargée de réprimer les génocides, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et les crimes d'agression. Elle pourra donc instruire contre des individus présumés coupables, à condition que les pays où ils auraient commis ces crimes, ou leur propre pays aient adhéré au traité.

Interrogé par le Président de la République et le Premier ministre, le Conseil constitutionnel a jugé nécessaire, par une décision du 22 janvier dernier, de procéder d'abord à une révision de la Constitution.

En effet, s'il estime que le traité respecte les principes fondamentaux de notre droit, trois de ses points sont contraires à la souveraineté nationale telle qu'elle est définie par notre Constitution : la non-prise en compte de certaines immunités, la caducité éventuelle de nos lois d'amnistie et de nos règles de prescription, la possibilité pour le Procureur général près la Cour pénale internationale de mener des investigations sur le territoire national.

Ces abandons de souveraineté sont-ils justifiés par de réelles avancées du droit international ? Le fait d'être favorable à la présente révision n'interdit pas de se poser quelques questions.

On connaît les précédents ; l'idée de mettre en place une Cour internationale remonte à fort longtemps : le traité de Versailles l'a envisagé, la SDN a essayé de le faire sans succès, des tribunaux militaires internationaux ont jugé des crimes particulièrement atroces à Tokyo et à Nuremberg. Enfin la création d'un tribunal international fut envisagée après la deuxième guerre mondiale, et d'ailleurs inscrite dans la convention du 9 décembre 1948 relative aux crimes de génocide. Mais la guerre froide bloque le processus pendant quarante-cinq ans. C'est donc en 1993, pour l'ex-Yougoslavie, et en 1994 pour le Rwanda que la communauté internationale a institué des tribunaux ad hoc, sur la base du chapitre VII de la charte des Nations Unies. Ces tribunaux fonctionnant sans le consentement des Etats, par un mécanisme d'autosaisine, étaient le résultat d'une demande croissante de l'opinion, s'opposant au dogme onusien de la non-ingérence.

Les avancées qu'apporte le présent traité sont très importantes. C'est la création d'une juridiction permanente et indépendante, qui agit selon les principes de subsidiarité et de complémentarité en cas de carence de la part d'un Etat. La responsabilité des individus est engagée clairement, et ils ne sont pas exonérés quand ils ont agi sur ordre. Le processus pourra, en cas de carence, s'autosaisir sous le contrôle d'une chambre préliminaire, s'il n'est pas saisi par le Conseil de sécurité, ou sur plainte d'un Etat ou d'une victime, ou encore sur la base des informations fournies par une ONG. Les victimes, point capital, pourront se faire entendre et accéder à la procédure.

La coopération entre la Cour et les Etats-parties est bien encadrée. Une échelle des peines est prévue, allant jusqu'à l'emprisonnement à perpétuité. Enfin la Cour pourra punir des coupables qui échapperaient à la justice en raison de la faiblesse de l'Etat national, comme au Cambodge, ou de sa défaillance, comme au Chili.

Ainsi, à l'heure où se développe impétueusement la mondialisation politique et économique, avec ses aspects positifs et négatifs, nous devrions assister à une certaine mondialisation de la justice, qui prémunirait l'humanité contre l'impunité des criminels. Mais nous n'en sommes pas encore là, et la Cour que prévoit le traité de Rome subira certaines limitations.

Première limitation : un criminel de guerre ne pourra être inquiété que si son pays, ou celui où les crimes ont été commis, a adhéré au traité. Un Russe pourra être poursuivi pour des bombardements de civils à Grozny, puisque la Russie a signé. Mais Saddam Hussein, ne l'ayant pas fait, ne pourrait l'être s'il reprenait ses exactions contre les Kurdes ou les Chiites. Même chose pour Milosevic, qui est passible en revanche du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. Deuxième limitation : le Conseil de sécurité, qui peut saisir la Cour, risque d'être paralysé par le veto d'un Etat-membre, surtout s'il n'a pas signé le traité, comme les Etats-Unis ou la Chine. Troisième limitation : l'autosaisine de la Cour peut être rendue immédiatement inopérante, si le Conseil de sécurité leur interdit d'engager ou de poursuivre une procédure pendant un délai de douze mois, renouvelable sans limitation.

Pourquoi ces limitations ? Pourquoi ces absences au moment de la signature ? L'Inde n'est pas signataire, parce qu'elle aurait voulu que le recours à l'arme nucléaire soit considéré comme crime de guerre. Pourquoi pas ? Mais d'autres pays manquent à l'appel : Soudan, Iran, Birmanie, Quatar, Libye, Turquie, Chine, Etats-Unis... Les Etats africains ou latino-américains, victimes d'exactions tragiques, ont été en revanche nombreux à signer. Sur 160 pays réunis à Rome, 120 ont signé, dont les Quinze de l'Union européenne. Le traité entrera en vigueur quand soixante pays l'auront ratifié.

Pourquoi les Etats-Unis, qui ont joué un rôle décisif dans les deux guerres mondiales dans le camp de la liberté, gendarme du monde auto-désigné ou réclamé comme tel par de nombreux pays, n'ont-ils pas signé ? Il faut se demander aussi pourquoi le Gouvernement français a joué un rôle actif dans l'adoption d'une disposition qui permet à un Etat-partie de refuser, pendant sept ans après l'entrée en vigueur du traité, la compétence de la Cour pour les crimes de guerre commis par ses ressortissants ou sur son territoire. Cette disposition transitoire risque au demeurant de ne pas l'être, car elle ne sera pas tenue pour caduque au bout de sept ans, mais devra donc être réexaminée lors d'une conférence de révision du traité. Or les crimes de guerre sont les plus fréquents, et leurs sanction risque d'être souvent renvoyée à un futur lointain. La diplomatie française a souligné que cette disposition avait rendu possible l'adhésion de la Russie et permis à la conférence d'aboutir. Reste ce refus des Etats-Unis, qui avaient d'abord pesé dans le sens du compromis français. Il est d'autant plus inquiétant que l'ambassadeur américain chargé des crimes de guerre, M. Scheffer, jugeait le 22 octobre que les défauts du traité le rendaient "inacceptable". Les Etats-Unis ont voté contre pour n'avoir pu obtenir que la Cour, pour exercer sa juridiction, ait besoin de l'aval du Conseil de sécurité. Il n'existe, ajoutait l'ambassadeur, aucune perspective pour que les Etats-Unis signent le traité dans un avenir proche ; et il conjecturait que, sans leur soutien, l'efficacité de la Cour serait fort amoindrie.

Les lacunes du traité, l'absence de certaines signatures montrent le chemin qui nous reste à parcourir pour que la Cour pénale internationale remplisse pleinement son rôle dissuasif en permettant de châtier les auteurs des plus graves crimes contre l'humanité. La justice internationale doit devenir l'affaire de tous, et d'abord des Etats les plus puissants, qui devraient être exemplaires. Sinon nous connaîtrons au plan international, comme trop souvent dans les Etats, une justice à deux vitesses, différente pour les riches et les pauvres.

Pour faire progresser la défense de la paix et des droits de l'homme, il faut compter sur la prise de conscience croissante des opinions et sur la volonté des Etats démocratiques ; félicitons-nous à cet égard de l'adhésion des Quinze. C'est dans cet esprit qu'il faut conduire la révision constitutionnelle, puis la ratification du traité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Jean-Luc Warsmann - Un individu accusé d'avoir tué une autre personne est poursuivi par les juges de son pays, sauf si le système judiciaire de ce dernier est en état de carence. Un individu accusé d'avoir tué ou fait tuer des dizaines ou des centaines de personnes dans le cadre de génocides ou de crimes de guerre court aujourd'hui peu de risques d'avoir à répondre de ses actes. Cette impunité des crimes internationaux les plus graves est désormais reconnue comme inacceptable. Il a fallu deux générations pour passer des décisions de 1948 à celles de 1998. En 1948, c'était l'adoption par l'ONU de la convention sur la prévention et la répression des crimes de génocide. En 1998, c'est la conférence de Rome et le traité créant la Cour pénale internationale. Je tiens à affirmer d'emblée le soutien résolu du groupe RPR au projet de révision constitutionnelle proposé, au nom du Président de la République, par le Premier ministre et le Gouvernement.

La création de la Cour pénale internationale peut s'appuyer sur l'acquis des dernières décennies. Mais sa réussite demandera une grande attention et une attention de chaque instant. Elle pourra s'appuyer sur cet acquis que constitue l'émergence de principes reconnus comme s'appliquant à tous les Etats. On peut faire remonter cette émergence aux tribunaux de Tokyo et de Nuremberg créés pour sanctionner les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité commis pendant la deuxième guerre mondiale. Le tribunal de Nuremberg, chargé de poursuivre les grands criminels de guerre, a eu à connaître du cas de vingt-et-un accusés, et prononcé douze condamnations à mort. Mais son rôle ne peut se mesurer de façon quantitative : c'est sa portée symbolique qui est immense. Il a permis la naissance d'un nouveau droit qui s'impose à tous les Etats. Dans un arrêt de 1951, la Cour internationale de justice affirmait que les principes de base de la convention de 1948 étaient reconnus par les nations civilisées comme obligeant les Etats, même en-dehors de tout lien conventionnel. L'idée va s'imposer qu'il faut une répression internationale des crimes les plus graves.

La cour pénale internationale pourra s'appuyer sur cet acquis, mais aussi sur celui des deux tribunaux ad hoc créés par le Conseil de sécurité, en 1993 pour la Yougoslavie et en 1994 pour le Rwanda. Leur constitution reposait sur l'article 29 de la charte de l'ONU, qui permet au Conseil de créer des organes subsidiaires. Il sera important de dresser le bilan de ces deux tribunaux. Leur première qualité aura été la rapidité de la mise en oeuvre, alors qu'entre la signature d'un traité et son entrée en vigueur il s'écoule des années. Les infractions retenues par ces tribunaux relèvent du droit coutumier général, et leur force réside dans leur primauté sur les juridictions nationales. Ils peuvent en effet connaître d'une personne qui a déjà comparu devant les juges nationaux, si la partialité de ces derniers est reconnue. Mais ces tribunaux ont manifesté des limites, liées pour l'essentiel à la difficulté d'appréhender les accusés.

Difficulté d'abord juridique : le premier qui fut arrêté était entré en RFA avec le flux des réfugiés bosniaques ; les Allemands, qui l'avaient appréhendé, ont dû modifier leur droit pénal pour pouvoir l'extrader.

Mais les principaux obstacles ne sont pas juridiques. Un premier handicap réside dans l'insuffisante volonté politique des Etats de donner consistance au tribunal international. Un autre est matériel : la charge de travail des quatorze juges du tribunal pour l'ex-Yougoslavie excède leurs possibilités. Alors, s'appuyant sur ces expériences, le traité de Rome tend à créer une Cour pénale internationale.

Cette Cour ne peut être saisie que de certains types de crimes. Elle est composée de 18 juges élus et donc indépendants ; quel progrès depuis la justice des vainqueurs à Nuremberg ou à Tokyo ! Mais la procédure limite strictement la possibilité d'auto-saisine du Procureur, qui doit recevoir l'autorisation de la Chambre préliminaire, et limite aussi les possibilités de révision.

A toutes ces limites s'ajouteront certains handicaps pour que cette Cour soit réellement dissuasive. Le premier est le principe de complémentarité, dont les effets sont cependant limités par le recours possible au Conseil de sécurité.

Surtout, et c'est le principal défi, cette CPI devra acquérir une légitimité. Quelques jours avant la conférence de Rome, Mme Louise Arbour, procureur du tribunal international pour l'ex-Yougoslavie, a déclaré : "Une cour faible ne parviendra jamais à se doter de la légitimité sans laquelle aucune cour ne peut fonctionner. Ce serait un immense pas en arrière si le Conseil de sécurité devait renvoyer des affaires similaires à celles qui se sont produites dans l'ex-Yougoslavie et au Rwanda à une institution moins bien armée que les deux tribunaux ad hoc".

Cette déclaration donne la mesure du chemin à parcourir.

Pour l'heure, ce projet de révision constitutionnelle apporte la réponse la plus logique aux différents moyens soulevés par le Conseil constitutionnel, qui a affirmé du reste que l'esprit général du traité est conforme à notre Constitution.

Ce soir, après un vote que j'espère le plus large possible, nous ne serons pas quittes pour autant. Nous aurons simplement franchi une étape dans la lente construction d'un état de droit international, pour que les criminels internationaux ne demeurent plus impunis, que les soldats de l'ONU, parmi lesquels nombre de Français, voient leur action prolongée par une CPI, que les victimes soient écoutées, et leur mémoire préservée. Sachons rester mobilisés, afin que cette CPI acquière toute sa légitimité et que nous avancions dans l'édification d'un ordre international (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. François Asensi - Génocide, holocauste, apartheid, colonialisme, goulag, épuration ethnique, voilà les tragédies de notre siècle où se sont mêlées modernité et barbarie.

Avec la chute du mur de Berlin, et la prise de conscience de l'universalité des droits de l'homme, la question de la barbarie et l'exigence de la justice touchent l'humanité tout entière.

"Les droits de l'homme demeurent l'horizon moral de notre temps", a dit justement Robert Badinter. Aujourd'hui, nous ne pouvons plus accepter qu'une région qui réprime dans le sang ses opposants bénéfice d'une légitimité internationale au nom de la souveraineté nationale. Nous ne pouvons plus accepter le traitement de faveur accordé à certains pays, à certaines tyrannies, parce qu'ils sont nos alliés. Les droits de l'homme ne doivent pas suivre les frontières de la géostratégie.

Les peuples et les opinions publiques ne se satisfont plus de paroles ou de demi-mesures. Cambodgiens, Kurdes, Kosovars, même détresse humaine, mêmes droits, même combat.

Ce besoin de justice universel doit se retrouver dans la création d'une juridiction internationale indépendante des Etats, aux procédures claires, qui ne s'arroge pas le droit de régenter la justice planétaire selon le gré de quelques super-puissances.

La constitution de tribunaux ad hoc sur l'ex-Yougoslavie et le Rwanda représente un indéniable progrès, mais ils ont montré leurs limites, principalement en raison du décalage entre le moment où les crimes sont perpétrés et celui de leur jugement.

L'installation de la CPI est une autre avancée, qui donne suite à une idée ancienne. En effet, dès 1950, l'ONU avait créé un comité chargé de rédiger le projet de statut de la future Cour internationale. Il a fallu attendre 50 ans pour qu'il se concrétise, dans un texte ambigu selon certains.

Les statuts de la Cour résultent d'un compromis, largement imposé par la France, entre une vision moraliste, attachée à une juridiction totalement indépendante des Etats signataires, et une vision réaliste, favorable à des pouvoirs restreints exercés sous le contrôle des nations.

Ces compromis restreignent considérablement le rôle de cette Cour. Les ONG françaises, des défenseurs des droits de l'homme, ont attribué cette dérobade à la France, qui a suggéré un compromis sur le crime de guerre. Peut-on s'accommoder de compromis en matière de justice universelle, et en particulier de crimes de guerre ? La CPI sera chargée de juger des crimes dont la définition est ambiguë. Ainsi le crime d'agression ne sera défini et donc la cour compétente à son sujet, que sept ans après l'entrée en vigueur du traité. Pour les crimes de guerre, les Etats-membres possèdent la faculté de suspendre unilatéralement pendant sept ans la compétence de la Cour. Cette clause confère une immunité quasi totale aux auteurs de crimes de guerre commis pendant cette période.

Le mode de saisine de la Cour est tout aussi contestable. Elle pourra être saisie par un Etat signataire, le Conseil de sécurité ou le procureur. Cependant, ce dernier devra obtenir l'autorisation d'une "chambre préliminaire" dont les membres sont élus par l'assemblée des Etats. Diplomatie et justice ne peuvent se superposer.

La saisine de la Cour met au premier plan le Conseil de sécurité, qui peut enjoindre à un Etat d'accepter la juridiction de la Cour et engager des poursuites à l'encontre de personnes qui ne relèvent pas d'Etats signataires. Enfin, il disposera du pouvoir de suspendre une instruction ou un procès pendant un an, renouvelable indéfiniment.

Cette prépondérance du Conseil de sécurité risque de consacrer l'alignement de la Cour sur les exigences de la raison d'Etat, que vous avez, Madame, récusées avec raison. Que penser du rôle dévolu à un organisme, résurgence des temps de guerre froide, qui aujourd'hui sert parfois plus des intérêts nationaux de grandes puissances que le bien commun de l'humanité.

Il ne faut donc pas séparer organisation de la Cour pénale internationale et rénovation démocratique des institutions internationales, et d'abord de l'ONU.

Une autre limite tient à l'étendue de la compétence de la CPI à l'égard des criminels.

En effet, comment accepter que seuls puissent être jugés les ressortissants d'un Etat signataire ? Ainsi, les auteurs des crimes perpétrés au Kosovo jouissent d'une totale impunité tant que la Fédération yougoslave n'aura pas signé la convention de Rome. Il est vrai qu'existe le tribunal international pour l'ex-Yougoslavie.

En outre, la Cour ne pourra engager de poursuites que si les Etats concernés renoncent ou ne sont pas en mesure de le faire. Si le Chili voulait poursuivre Pinochet, la CPI ne pourrait pas juger l'ancien dictateur, puisque les Etats sont toujours compétents pour juger eux-mêmes les criminels. Enfin, la CPI n'aura pas de compétence rétroactive, et de nombreux criminels resteront ainsi impunis.

Depuis 50 ans que nous attendons la formation d'une Cour internationale, nous ne devons pas manquer cette chance. Nous devrons cependant veiller à l'indépendance de la Cour par rapport à la politique des Etats et du Conseil de sécurité.

Malgré toutes ces limites évoquées, sept Etats, dont la Chine et les Etats-Unis, ont voté contre. Les Etats-Unis souhaitaient que les membres du Conseil de sécurité disposent d'un droit de veto. Comment cette grande démocratie peut-elle s'exonérer de la justice universelle ?

Souhaitons que la CPI, une fois installée, féconde une dynamique lui permettant de dépasser ses limites originelles, d'autant que les opinions publiques ne se satisferont pas de simples effets d'annonces.

Les députés communistes voteront le projet (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. d'Aubert remplace M. Paecht au fauteuil de la présidence

PRÉSIDENCE DE M. François d'AUBERT

vice-président

M. Arthur Paecht - J'aborde, à titre personnel, ce débat avec des sentiments mitigés, voire contradictoires.

Le premier est celui d'une grande déception, sans doute particulière à ceux de ma génération. Après la révélation des atrocités nazies, j'ai été de ceux qui furent convaincus qu'ils ne verraient jamais plus de crimes contre l'humanité, du moins en Europe occidentale et de ceux qui ont milité pour que notre conception des droits de l'homme s'étende progressivement à l'ensemble des continents. Aussi, lorsque s'étalaient dans nos journaux les récits des nombreux génocides survenus en Asie, en Afrique ou ailleurs, étions-nous convaincus que l'Europe démocratique en voie de construction ne courait aucun risque de voir de telles atrocités se reproduire sur son territoire ou même à proximité. L'actualité nous prouve, hélas, le contraire !

Mais mon second sentiment, nonobstant l'actualité, est plus optimiste, car la notion même de crime international, de crime contre l'humanité s'est progressivement imposée jusqu'à conduire, il y a un an, 120 Etats à signer à Rome le traité prévoyant la création d'une Cour pénale internationale. Certes, ce traité n'est pas parfait mais nous n'avons pas la possibilité de le modifier. Aussi il convient seulement d'examiner si nous devons rendre sa ratification possible ou non.

Deux questions se posent d'emblée. Comment établir un nouvel ordre international qui ne soit pas un désordre juridique international ? Comment assurer partout dans le monde les droits de l'homme et garantir l'égale souveraineté des Etats ? La Cour pénale internationale répond à cette double nécessité. C'est pourquoi le groupe UDF approuve la réforme constitutionnelle nécessaire à la ratification du traité.

Les hasards tragiques de l'histoire ont voulu que l'Assemblée nationale en débatte au moment où l'Europe fait tonner ses armes pour mettre fin aux exactions et aux déplacements massifs de populations planifiés, décidés et exécutés par la Serbie au Kosovo.

Une justice pénale internationale voit donc le jour. L'innovation est triple : la permanence de la Cour, son universalité puisque 120 Etats sur 160 ont approuvé sa création et sa complémentarité avec la justice pénale des Etats.

Conformément aux propositions françaises, la nouvelle Cour ne soumet pas le maintien de la paix dans le monde à une instance judiciaire. Le Conseil de sécurité de l'ONU conserve son rôle essentiel : le règlement des crises internationales par la voie diplomatique ou par le recours légitime à la force. Par ailleurs, si la sécurité mondiale et des impératifs politiques l'exigeaient, il posséderait la faculté de suspendre l'instruction menée par la Cour à l'endroit de présumés criminels.

Ce traité vise donc à établir la politique internationale sur la morale universelle des droits de l'homme. Mais il ne fait pas dépendre, de manière idéaliste, la paix du monde des jugements de cette Cour. Le maintien de la paix appartient aux Etats et à l'ONU ; la répression des crimes contre l'humanité est un devoir des Etats, mais quand les justices nationales ne peuvent jouer leur rôle, alors intervient la Cour.

Depuis les atrocités commises au Rwanda et en ex-Yougoslavie, l'opinion publique internationale a tenté d'imposer la création d'une institution judiciaire internationale chargée de juger les responsables de crimes contre l'humanité, de crimes de guerre et de génocides.

L'idée d'une cour internationale est née dans les années cinquante. Après le procès de Nuremberg, une commission de droit international fut en effet instituée pour codifier les principes de Nuremberg et préparer un statut de Cour pénale internationale. La guerre froide empêcha ce projet d'être mené à bien.

La conférence qui s'est tenue à Rome du 15 juin au 18 juillet 1998 a adopté le statut de cette Cour, sur la base d'un projet étudié depuis 1990. L'orientation générale de ce texte est conforme aux préoccupations que la France est parvenue à imposer aux cours des négociations. Ainsi, il stipule : la compétence de la Cour pour la violation massive des droits de l'homme ; la nature du justiciable -les chefs militaires et civils étant tenus pour responsables des crimes de leurs subordonnés- ; l'absence de procès par contumace, l'absence de peine de mort, la représentation ou la participation des victimes qui auront droit à réparation.

Enfin, ce traité prend en considération les nécessités liées à la stabilité intérieure des Etats : ils pourront en effet restreindre leur coopération pour des raisons de sécurité nationale.

Grâce à ce traité, l'ordre international pourra être fondé sur les droits de l'homme. Nous pouvons parler d'une véritable révolution diplomatique dans la mesure où le droit comprend deux éléments nouveaux : d'une part, il est mis fin à l'impunité des responsables des crimes, en particulier des chefs d'Etat ou de gouvernement puisque l'article 27 du statut écarte expressément leur irresponsabilité ; d'autre part, la barbarie est considérée comme une atteinte à la paix, à la sécurité et au bien-être du monde, ce qui ressort clairement du préambule au statut.

Les rôles respectifs de la Cour, des Etats et du Conseil de sécurité de l'ONU me permettent de qualifier cette nouvelle institution internationale : ce n'est pas un pouvoir judiciaire indépendant ; ce n'est pas non plus un contre-pouvoir vis-à-vis des Etats -son statut est ainsi en net recul par rapport au TPI pour l'ex-Yougoslavie ; c'est donc une forme inédite de coopération pénale internationale, qui respecte l'intégrité de la souveraineté judiciaire des Etats.

La Cour ne pourra pas fonctionner, en effet, sans l'appui du Conseil de sécurité ni, plus généralement, sans l'accord de l'Etat sur le territoire duquel les faits criminels se sont produits. Le succès ou l'échec de la Cour dépend donc de la bonne volonté des Etats. Mais au moment où la communauté internationale, depuis plusieurs années et à plusieurs reprises, témoigne de son exaspération à l'égard des dictateurs de tous bords, pourquoi serions-nous pessimistes sur la bonne volonté des Etats ?

Quant au Conseil de sécurité, il peut soustraire un cas à la compétence de la Cour pendant un an, renouvelable indéfiniment, en suspendant l'instruction, mais seulement si ce cas relève du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Le gel de l'activité de la Cour peut s'avérer parfois nécessaire pour qu'elle n'interfère pas avec les priorités du maintien de la paix. La Cour est donc privée de la possibilité de gêner l'activité du Conseil de sécurité.

Pour qu'elle soit saisie, il faudra aussi que les juridictions internes n'aient pu statuer en raison de l'incapacité ou de l'impossibilité d'agir. Quant au champ de compétence, il apparaît qu'elle ne s'occupera que du "noyau dur" des infractions internationales. Par ailleurs, elle n'exercera sa juridiction qu'à l'égard des faits postérieurs à l'entrée en vigueur du statut. Enfin, l'article 124 autorise les Etats parties à suspendre unilatéralement, pendant sept ans, l'application du statut aux crimes de guerre commis par leurs ressortissants ou sur leur territoire. Ce délai est une étape préalable à l'instauration de ce nouvel ordre mondial ; il n'est peut-être pas satisfaisant et, à titre personnel, j'y suis hostile. Mais il était nécessaire pour obtenir la signature d'une large majorité des Etats, car l'universalité du traité est et demeure la condition du bon fonctionnement de la Cour.

Le domaine de compétence, défini à l'article 5, ne comprend que les quatre catégories de crimes en rapport avec le maintien de la paix et la sécurité internationale. Le génocide, défini dans la convention de 1948 sur le génocide, peut être commis en temps de paix comme en temps de guerre. Les crimes contre l'humanité "meurtre, extermination, esclavage, déportation ou transfert forcé de population, torture, viol, grossesse ou stérilisation forcée, disparition, apartheid, persécution pour appartenance politique, raciale, nationale, ethnique, culturelle, religieuse ou sexuelle, commis sciemment à grande échelle ou de façon systématique contre toute population civile" peuvent également être perpétrés en temps de paix comme en temps de guerre.

Les crimes de guerre, définis comme violations des conventions de Genève de 1949, peuvent être perpétrés lors de conflits internes armés comme lors de conflits internationaux. Le crime d'agression fait actuellement défaut en droit international et ne sera défini qu'après un amendement au statut. Sont écartés, hélas, la torture, le terrorisme et le trafic de stupéfiants mais nous avons bien compris, Madame la Garde des sceaux, les raisons de cette limitation.

Les modalités de saisine sont au nombre de trois. Le Conseil de sécurité peut saisir le procureur sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Les Etats-parties peuvent saisir la Cour ; ils peuvent aussi saisir le Procureur d'une demande d'ouverture d'information destinée à faciliter l'identification des auteurs.

Le Procureur peut ouvrir une enquête de sa propre initiative à condition d'y être autorisé par la chambre préliminaire, le rôle de la chambre limitant le principe d'auto-saisine de la Cour.

Ainsi que je l'ai indiqué, nous approuvons l'esprit et les dispositions de ce traité et nous tenons à souligner le rôle décisif des membres du Conseil de sécurité. Leur éminente responsabilité leur fait un devoir de savoir concilier la raison d'Etat avec la morale des droits de l'homme, les nécessités de la politique étrangère avec la protection des droits sacrés de la personne humaine. Mais, sans aucun doute, un autre débat se profile à l'horizon : celui de la composition du Conseil de sécurité, du nombre des membres permanents et surtout de l'exercice du droit de veto tel que nous le connaissons aujourd'hui.

La France a été la première à inventer et à pratiquer la raison d'Etat, pour le meilleur et pour le pire. Elle a aussi été la première à révéler l'universalité des droits de l'homme. Aujourd'hui et demain, conformément à son histoire, à son idéal et à ses intérêts, elle doit trouver les moyens de concilier ces deux principes. La Cour pénale internationale est certainement l'un de ces moyens (Applaudissements sur divers bancs)

Mme Annette Peulvast-Bergeal - Le texte que nous examinons prend une signification particulière au regard de l'actualité dramatique que nous vivons depuis le début de l'intervention des forces de l'OTAN dans l'ex-Yougoslavie. Nous devons, comme l'indique très justement l'exposé des motifs de ce projet, contribuer à faire avancer la construction d'un ordre juridique international qui sera le gardien de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation, et contribuera ainsi au maintien de la paix.

Au cours de ce siècle, nous avons connu deux guerres mondiales, sans compter les nombreuses exactions et massacres commis depuis dans le monde. Ces populations qui connaissent la guerre, la peur, les déportations, les tortures et les exécutions, ces femmes, ces hommes, ces enfants nous appellent à un travail quotidien de protection, de vigilance, de rigueur et de mémoire, afin d'assurer la primauté du droit.

La pierre angulaire du maintien de la paix et de la sécurité internationale est l'ONU. Peu de temps après la seconde guerre mondiale, son assemblée générale avait évoqué la nécessité de créer une Cour de justice internationale permanente. Les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo avaient marqué la première concrétisation de cette volonté. Une étape ultérieure fut l'instauration de tribunaux pénaux internationaux ad hoc, suite au conflit dans l'ex-Yougoslavie et au génocide rwandais. La signature par 120 pays, à Rome, le 18 juillet dernier, du projet de statut de la Cour pénale internationale a marqué une prise de conscience dans la nécessité d'une réponse internationale.

Alors que nous venons de célébrer le cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, la création d'une haute instance répressive de l'ordre juridique international ne peut que contribuer à améliorer le respect des droits de l'homme et satisfaire le besoin de justice des peuples opprimés en condamnant l'impunité qui heurte les consciences de tous et de chacun.

Réviser notre Constitution avant de ratifier ce traité, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, est dans la logique des choses puisque "la sauvegarde de la dignité de la personne humaine est un principe de valeur constitutionnelle". La formulation choisie est générale mais c'est certainement la plus appropriée dans ce contexte. Comme pour tout engagement international, il s'agit de concilier le respect de notre souveraineté nationale, et notre place dans l'ordre juridique international. Or, les négociations qui ont abouti à la conférence de Rome ont permis de mieux prendre en compte la souveraineté nationale.

Il est vrai que, comme à chaque fois que l'on progresse dans l'élaboration de l'ordre international, on touche à la souveraineté des Etats. Cela peut difficilement être évité. Mais même si chaque Etat doit préserver ses prérogatives, il n'est pas supportable que le principe de souveraineté puisse favoriser l'impunité pour des criminels notoires. Un régime qui commet des exactions pourra donc, désormais, être amené à répondre de ses actes devant la Cour pénale internationale, laquelle pourra être saisie par deux instances : un Etat signataire ou le Conseil de sécurité des Nations-Unies. Ainsi, on peut espérer que les crimes contre l'humanité ne resteront plus impunis, ce qui était intolérable. Mais la tâche sera délicate. En effet, comment trouver les sanctions les plus justes pour des auteurs de génocides, de crimes contre l'humanité ou de crimes de guerre ? La sanction n'apparaîtra jamais à la mesure des crimes commis. Cependant, pouvoir juger, demander des comptes, entendre des explications et condamner tout cela représente une grande avancée, notamment pour des victimes, dont le droit est enfin reconnu.

Certes les compétences de la Cour pénale internationale seront regrettablement limitées. Beaucoup de dispositions sont restrictives et des ambiguïtés demeurent. Les lois d'impunité subsisteront dans certains Etats, offensant la justice et la dignité des victimes. Mais nous disposerons cependant d'une nouvelle arme juridique coercitive d'une portée considérable. La création de tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda avait montré la nécessité de créer une instance permanente, pour contribuer à la paix et à la sécurité internationale, et nous avons su tirer les leçons des dysfonctionnements constatés. Nous avons aussi pu mesurer la nécessité d'une plus grande rapidité des jugements, rapidité qui peut contribuer au rétablissement de la paix. On peut penser que ce tribunal aura un effet dissuasif et préventif par sa seule existence, puisque, désormais, les criminels auront rendez-vous avec la justice internationale. La France a toujours soutenu activement le projet de la Cour pénale internationale. Pour notre part, nous sommes très favorables à la ratification rapide de ce traité. La volonté affirmée par les plus hautes instances françaises d'élargir le champ de la justice, renforce la position de la France, leader en matière de défense des droits de l'homme et des libertés, conformément à son histoire et à sa vision politique et humaniste (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Richard Cazenave - Nous aurions tort de minorer ce que nous sommes en train d'accomplir car la communauté internationale souhaitait depuis bien longtemps qu'un tribunal pénal permanent vit le jour. Il nous faut donc nous concentrer sur ce que la nouvelle Cour nous apporte.

Nous avons vu, après l'installation des tribunaux ad hoc pour le Rwanda et l'ex-Yougoslavie, que les délais d'installation constituent un élément décisif de la crédibilité de la communauté internationale. Rappelons-nous, à ce sujet, que les nouvelles autorités rwandaises avaient fait de la création du tribunal pénal international une exigence première, estimant impossible le rétablissement de la démocratie avant que les criminels n'aient été jugés. La lenteur de la procédure n'a pas été, à l'époque, à la hauteur des attentes.

Il en va de même pour la Cour pénale internationale : de la rapidité de son installation dépendra son efficacité, puisque tous les apprentis dictateurs doivent en inférer que c'en est fini de l'impunité. A cet égard, c'est un progrès considérable que de compter 120 pays signataires, 120 pays qui, ce faisant, acceptent que la Cour pénale internationale se réunisse sans que le Conseil de sécurité en ait décidé.

Comme l'a rappelé M. Paecht, il nous faut faire progresser le respect des droits de la personne. Or, la volonté affirmée dans ce traité de redire l'universalité des droits de l'homme est obérée par l'absence de certains signataires. Celle des Etats-Unis, en particulier, choque, car on aimerait qu'ils admettent que les principes qu'ils s'attachent à faire respecter s'appliquent, en effet, à tous. La portée du texte en est réduite d'autant, puisqu'il semble défendre une vision fragmentaire, sinon obstinément occidentale, de l'universalité des droits de l'homme. Des efforts diplomatiques devront donc être déployés pour faire comprendre à nos puissants alliés la portée symbolique de leur signature en bas d'un tel traité.

Ce texte affirme aussi le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et, à cet égard, l'absence de certains signataires est révélatrice. Pourtant, reconnaître ce droit, n'est-ce pas faire preuve de maturité démocratique ? Il nous faudra nous battre encore pour faire progresser ces valeurs.

On notera que ceux qui s'opposent à la ratification du traité usent d'arguments parfois contradictoires. Ils disent préférer que les Etats jugent eux-mêmes leurs ressortissants criminels, ignorant délibérément que jamais les peuples ne pourront, dans ces conditions, juger des dirigeants qui se seront mis à l'abri de toutes poursuites. Ils disent aussi craindre l'application du principe de subsidiarité, pourtant strictement encadré par l'article 20. Ils déplorent qu'il s'agisse d'un texte de compromis comme si autre chose était possible en droit international. Ils s'élèvent aussi contre ce qu'ils perçoivent comme un abandon de souveraineté et disent redouter des mises en accusation abusives, notamment dans le cadre d'opérations de maintien de la paix : pensent-ils donc que les Etats démocratiques sont incapables de se prémunir contre de telles dérives ?

Tous ces arguments doivent être balayés, et nous devons nous réjouir de disposer d'un nouvel outil de justice au service des droits de la personne et destiné à prévenir les actes de barbarie. Les auteurs de tels actes doivent comprendre que le temps de l'impunité est révolu et qu'aucun répit ne leur sera accordé, jamais. Une nouvelle force de dissuasion est née, et nous devons nous en réjouir. Le pas accompli aujourd'hui n'est pas insuffisant, il est essentiel, et je suis heureux que, par les voix du Président de la République et du Gouvernement, la France, conformément à sa vocation, soit des pays qui montrent le chemin (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

La discussion générale est close.

Mme la Garde des Sceaux - Je vous remercie, Monsieur le rapporteur, d'avoir apporté votre appui à ce texte, et je remercie les orateurs de tous les groupes, qui ont approuvé le principe d'une révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité signé à Rome. Cette unanimité est une excellente chose, car elle marque la volonté qu'a la France de voir s'installer la CPI.

Messieurs Hascoët, Goulard, Mermaz, Asensi et Paecht ont exprimé des réserves sur l'article 124, qui permet à un Etat signataire de refuser pendant sept ans la mise en oeuvre de l'article 12. Je rappelle qu'il s'agit d'une disposition optionnelle et transitoire, qui a permis d'obtenir un accord général sur le statut de la Cour. La définition des crimes de guerre est en effet telle que des plaintes pouvaient être assez facilement dirigées contre des dirigeants de pays démocratiques en visant des opérations menées dans le cadre du maintien de la paix. Des garanties existent certes et j'ai appelé à ce sujet le rôle de la Chambre préliminaire, mais la preuve de leur efficacité devra être faite.

C'est ce qui explique cette disposition transitoire. Si, par ailleurs, des citoyens français se rendaient coupables de crimes de guerre, ils seraient, de toute façon, jugés par des tribunaux français. L'article 124 n'y change rien. La CPI est complémentaire des tribunaux nationaux et l'usage de l'article 124 ne viserait donc qu'à écarter les plaintes manifestement infondées.

A propos de l'Irak, M. Mermaz a évoqué une possible impunité de M. Saddam Hussein. Mais même les ressortissants d'Etats qui ne sont pas parties à la convention pourront, en vertu de l'article 13, être déférés devant la Cour par le Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies.

M. Louis Mermaz - Sauf si un membre permanent oppose son véto.

Mme la Garde des Sceaux - Je suis persuadée que le Conseil veillerait à ce que de tels décalages ne puissent se produire.

M. le Président - En application de l'article 91, alinéa 9, du Règlement, j'appelle l'article unique du projet dans le texte du Gouvernement.

ARTICLE UNIQUE

M. Jacques Myard - Le traité signé à Rome le 18 juillet 1998 et instituant la CPI est de première importance. Après le pacte Briand-Kellog, après les travaux de la SDN et de l'ONU sur le concept d'agression, après les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, après les tribunaux pénaux internationaux sur la Yougoslavie et sur le Rwanda, on assiste à une prise de conscience de la communauté internationale. Ainsi va-t-on marcher vers le règne du droit fondant, au-delà des nations, des races, des ethnies, des religions, des inégalités de développement, un ordre mondial respectueux des droits de l'homme et de la dignité humaine. La CPI s'inscrit dans ce mouvement et on ne peut que regretter la faible participation à ce débat.

L'objectif de la CPI est de réconcilier paix et justice, en poursuivant les crimes les plus odieux qui heurtent profondément la conscience humaine. Mais entre les objectifs des nations les plus civilisées et la situation du monde, il y a parfois, hélas, un décalage qui commande de respecter le principe de réalité sauf à tomber dans l'utopie, qui aboutit souvent au désastre. A ce titre, le projet de CPI pose plus de questions qu'il n'en résout.

Il est tout d'abord contraire à notre Constitution, le Conseil constitutionnel l'a amplement démontré ; d'une part, parce qu'est justiciable de la Cour toute personne quelle que soit son rang, y compris le Chef de l'Etat, ce qui est contraire à l'immunité que nous reconnaissons au Président de la République ; d'autre part, parce que l'amnistie votée par ce Parlement serait sans valeur face aux mandats de la Cour ; enfin parce que le Procureur peut enquêter seul sur notre territoire.

Autant de raisons de se montrer circonspect face à une remise en cause de notre souveraineté.

Pour certains nous ne risquons rien car nous sommes, nous Français, de respectueux et ardents défenseurs des droits de l'homme et que nous ne pourrions donc en aucun cas être accusés de crime de génocide, de crime contre l'humanité, de crime de guerre, voire d'acte d'agression. Est-ce aussi simple ? Une frappe atomique ne peut-elle pas être qualifiée de crime contre l'humanité ou de crime de guerre ? Ceux qui veulent bannir tout usage des armes atomiques l'affirment contre nos experts et ceux de nos alliés. C'est donc la crédibilité de notre dissuasion nucléaire qui est en jeu.

Quant aux crimes de guerre, définis à l'article 8, tellement de cas sont visés qu'il sera bien rare qu'une accusation de ce type ne puisse pas être portée contre nos troupes, même lorsqu'elles sont engagées dans des actions de maintien de la paix décidées par le Conseil de sécurité. Peut-on d'un coeur léger renvoyer la balle aux militaires en leur enjoignant de toujours faire la guerre sans dommage aucun pour les populations civiles, comme le commande l'article 8 ? La possibilité de soustraire les crimes de guerre à la compétence de la Cour est limitée dans le temps par l'article 124. Tout cela est fondé sur l'utopie de la guerre propre qui, malheureusement, n'existe pas.

Il nous faut aussi nous interroger sur les mécanismes de la future CPI, au-delà des apparences formelles d'un texte presque parfait, qui institue une justice indépendante avec de réels pouvoirs.

Mais qui peut dire aujourd'hui que, dans l'éventualité d'un conflit, les bons, les démocrates, les défenseurs des droits de l'homme l'emporteront toujours sur les méchants et sur les assassins ? Les vaincus seront-ils toujours les méchants ? L'histoire impose un peu de prudence...

Le statut de la CPI ne donne aucune garantie que sa justice ne dérivera pas vers une justice politique où les Etats règleront leurs basses querelles en mettant en action les possibilités d'accusation et de condamnation offertes par la Cour. Le Procureur et la Chambre préliminaire pourront enclencher les poursuites avec des pouvoirs supranationaux. A-t-on la garantie que ces organismes seront formés de magistrats hors du commun, inspirés uniquement par le droit et la justice ? Qui sera le procureur ? Un Kenneth Star ? Il n'y a aucune garantie car les dix-huit magistrats de la Cour et le Procureur seront élus à la majorité des deux tiers par les Etats-parties. Or, qui peut affirmer que, demain, ces Etats seront des démocraties respectueuses des droits de l'homme et qu'ils choisiront des magistrats, non des exécuteurs de basses oeuvres ? Hitler et Staline avaient eux aussi leur juges...

Qui peut dire que demain cette justice ne poursuivra pas la vengeance ?

Quant à la possibilité pour le Conseil de sécurité de bloquer le mécanisme de la CPI, elle est illusoire, M. Mermaz vient de le rappeler, tant les cas d'unanimité des cinq puissances du Conseil de sécurité ayant droit de veto sont l'exception.

L'histoire récente de la Cour internationale de justice dont une majorité de juges ont trop souvent défendu des thèses politiques au mépris du droit international, devrait nous ouvrir les yeux !

Voilà pourquoi je n'approuverai pas ce texte, mais, partageant avec vous ce besoin de justice, je m'abstiendrai.

L'article unique du projet, mis aux voix, est adopté.


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COMMISSION MIXTE PARITAIRE

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant de sa décision de provoquer la réunion d'une CMP sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire.

Prochaine séance, ce soir à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 10.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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