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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 87ème jour de séance, 220ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 27 AVRIL 1999

PRÉSIDENCE DE M. Raymond FORNI

vice-président

          SOMMAIRE :

COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE (suite) 1

    EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 4

    QUESTION PRÉALABLE 14

La séance est ouverte à vingt et une heures quinze.


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COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle.

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur de la commission des affaires culturelles pour les titres préliminaires, Ier, II, III et V - Selon le Préambule de la Constitution, la nation garantit à tous la protection de la santé. Entre le droit proclamé et l'exercice réel de ce droit, l'écart est grand. Le projet de couverture maladie universelle a pour premier objectif de le résorber. Il s'agit de lutter contre une des inégalités les plus graves, l'inégalité devant la santé et donc devant la vie. Cet objectif est, me semble-t-il, partagé sur tous les bancs. Dès lors je comprends mal les motions d'irrecevabilité. Si l'on est d'accord sur les principes, qu'on accepte au moins de débattre des modalités. J'ai peur que l'opposition ne manque l'occasion de clore un siècle de législation sociale par cette grande loi de solidarité.

Mme la ministre a exposé le dispositif. Je rappelle simplement que la couverture de base est différente de l'assurance maladie universelle dont l'opposition a beaucoup parlé mais qui est restée au niveau du discours. C'est qu'il aurait fallu au préalable harmoniser les régimes d'assurance maladie et mettre en cause leur autonomie à laquelle les partenaires sociaux sont très attachés. L'extension de la CMU est plus pertinente. Elle repose sur trois principes, l'universalité, l'immédiateté du droit et sa continuité. On dissocie paiement de la cotisation et obtention d'un droit sauf -c'est un amendement- en cas de mauvaise foi. Cette extension concerne 800 000 personnes, dont 150 000 n'avaient aucun droit et 550 000 n'en avaient que par l'assurance personnelle. Il aura fallu un demi-siècle pour achever un processus d'extension que souhaitaient déjà les fondateurs de la Sécurité sociale en 1945. Son extension à tous les résidents réguliers fait, je crois, l'objet d'un large accord et mériterait un vote unanime.

Mais avoir la "Sécu" de base ne suffit pas pour se soigner. Reste le ticket modérateur -qui n'a jamais rien modéré- et qui provoque l'exclusion. Faute de régime complémentaire, 15 % de la population ne peut en fait profiter du régime de base.

Pour assurer des soins à tous, il fallait donc étendre la couverture complémentaire. Malgré des efforts notamment des mutualités, les régimes complémentaires maladie ne l'ont pas fait eux-mêmes. L'extension de cette CMU complémentaire profite à six millions de personnes, soit par délégation au régime général, soit par adhésion à un régime complémentaire.

Cette extension de la couverture maladie complémentaire a soulevé trois questions sur le seuil, le partenariat et le lien avec la maîtrise des dépenses de santé.

Je m'étonne qu'on découvre aujourd'hui le problème du seuil. Il y a déjà 95 seuils départementaux pour l'accès à l'aide médicale. Si cela pose un vrai problème, pourquoi ne l'a-t-on pas soulevé à ce propos ? Ce projet, donc, n'innove pas ; il ne fait qu'instaurer un barème national, ce qui paraît pleinement justifié : l'affaire de la PSD a montré que nos concitoyens veulent être traités de la même manière, où qu'ils habitent, et considèrent les différences comme des discriminations. Il est donc quelque peu absurde de parler d'étatisation.

La moyenne actuelle des seuils départementaux est de 2 900 F par mois ; une revalorisation est prévue puisque le seuil envisagé est de 3 500 F pour une personne seule -d'où l'extension du nombre de bénéficiaires.

Il y aura certainement un débat sur le relèvement de ce seuil -relèvement qui n'en supprimerait pas les effets... En outre, il serait peut-être dangereux de fixer un seuil national de pauvreté, applicable à la quasi-totalité des droits sociaux, et sur lequel s'appuierait un système social à deux niveaux (Interruptions sur les bancs du groupe communiste). La commission préfère trois autres pistes. La première, ouverte par le projet, est de conserver aux personnes qui ont adhéré à un régime complémentaire et qui franchissent le seuil le bénéfice de leur couverture à cotisation réduite. La deuxième est d'étendre le tiers payant -qui est automatique en-dessous du seuil- au-dessus de celui-ci, en liaison avec la maîtrise des dépenses de santé, et donc avec le système de médecins référents. La troisième est de créer un fonds d'accompagnement à la couverture complémentaire financé par les régimes complémentaires. En effet, ceux-ci revendiquent le monopole de la couverture complémentaire ; ils ne peuvent pas, dans le même temps, refuser d'en assurer la généralisation. Déjà, des régimes complémentaires de retraite se sont, par étapes, étendus à l'ensemble de la population.

On pourra par ailleurs pour corriger les effets de seuil faire appel aux fonds sociaux de la CNAM.

M. le Président - Vous avez déjà dépassé votre temps de parole...

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur - Je serai donc bref sur les autres points.

La commission souhaite que se développe un partenariat ; le projet n'instaure pas une concurrence entre régime de base et régimes complémentaires, pas plus qu'il n'instaure une sécurité sociale privée, mais il est souhaitable que tout le monde puisse dire "j'ai ma Sécurité sociale et j'ai ma complémentaire".

Par ailleurs, il convient de lier extension de la couverture maladie et maîtrise des dépenses de santé : il faut mieux maîtriser pour mieux rembourser. C'est l'objectif de l'article 23.

Enfin, le projet apporte une première réponse à une autre forme d'exclusion de l'accès aux soins que l'exclusion par l'argent, la sélection des risques. Celle-ci n'est pas prohibée par le code de l'assurance et le code de la mutualité ; le projet l'interdit pour les bénéficiaires de la CMU et prohibe l'utilisation des tests génétiques pour les couvertures complémentaires.

Cette garantie d'universalité, tant pour les personnes que pour les soins, justifie l'avis favorable de la commission sur ce projet. Il n'y aura pas de plus belle manière de saluer le 1er janvier 2000 que d'en faire la date d'application d'une grande loi de solidarité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Il serait souhaitable que chacun respecte son temps de parole, d'autant que les trois motions de procédure et la discussion des quelque 400 amendements risquent de favoriser la répétition de certains arguments.

M. Alfred Recours, rapporteur de la commission des affaires culturelles pour le titre IV sur la modernisation sanitaire et sociale - Tout est dans tout, et réciproquement... (Rires et applaudissements sur divers bancs) Bien sûr, on peut se demander où est la cohérence entre la CMU et le titre IV ; mais en cherchant bien...

M. Maxime Gremetz - ...je n'ai pas trouvé !

M. Alfred Recours, rapporteur - ...on constate qu'il y a une cohérence. Qui peut prétendre par exemple que l'article 32, qui élargit les possibilités de dépistage du VIH, ne concerne pas la CMU ? Personne !

Néanmoins, Madame la ministre, je vous lance un appel à DMOS...

J'interviendrai sur chacun des articles du titre IV ; je me contente donc pour le moment de souligner que la commission a adopté des amendements qui permettront de proposer, au fil des différentes lectures, sur des sujets aussi importants que le statut des infirmiers du secteur psychiatrique, les médecins à diplôme étranger, la déontologie...

Je n'ai pas souhaité que notre débat sur la CMU soit pollué par une trop longue discussion de type DMOS.

Je veux, enfin, saluer le travail remarquable de M. Jean-Claude Boulard. La commission a bien travaillé. Nous reviendrons, en première comme en deuxième lecture, sur certains sujets qui, sans avoir l'importance de la CMU, concernent différentes catégories de personnes qui jouent un rôle dans notre système sanitaire et social.

Je conclurai comme j'ai commencé : tout est dans tout, et réciproquement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste ; rires sur divers bancs).

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Parler d'un texte qui concerne six millions de personnes impose certes une certaine retenue, mais on ne peut le faire qu'avec beaucoup de force. Comme l'a dit M. Jackie Mamou, président de Médecins du monde, ce projet est "fondamental".

Nous savons tous que l'accès aux soins est inéquitable et que la situation s'aggrave chaque année.

Ce texte répond à une exigence posée par le préambule de la Constitution de 1946. Il vise à remédier au relatif échec de l'assurance personnelle et à mettre fin à l'hétérogénéité des règles de l'aide médicale. Il s'inscrit dans le prolongement du projet contre les exclusions, qu'il s'agisse des programmes régionaux pour l'accès à la prévention et aux soins ou des permanences d'accès aux soins.

J'ai en mémoire les propos tenus il y a quelques années par Jacques Barrot et Xavier Emmanuelli. Ce qu'ils disaient, nous le faisons.

Le mot "universel" a une charge formidable. Il implique l'existence d'une véritable volonté collective ainsi que d'un souci de simplification. La complexité, en effet, se retourne toujours contre les plus démunis. A cet égard, Madame la ministre, j'appelle votre attention sur l'accord qui vient d'être signé avec la CNAM : qu'il s'agisse du tiers payant ou de ce qu'on appelle le "panier des biens et services", évitons de construire des systèmes trop complexes.

A propos du titre IV, et même si j'ai apprécié la subtilité dialectique de M. Recours, je dois reconnaître que nous n'étions pas favorables à l'introduction d'un bout de DMOS dans ce texte. Nous l'avons dit clairement. Cependant, le Gouvernement ne pouvait inscrire rapidement un DMOS à notre ordre du jour : nécessité faisant projet de loi, nous avons accepté la tenue d'un débat limité à quelques mesures d'urgence. Comme l'a déjà demandé M. Recours, il faudra que nous examinions prochainement un DMOS.

Au cours des dernières campagnes électorales, on a employé des expressions fortes : "lutte contre les exclusions", "réduction de la fracture sociale"... La CMU s'inscrit dans cette perspective. A cet égard, je veux souligner la cohérence de l'ensemble des projets que nous a soumis le Gouvernement. Priorité est donnée à l'emploi. Le programme TRACE aidera les plus exclus à revenir à une situation d'emploi. Enfin, un effort est engagé pour garantir l'égalité des droits, pour le logement comme pour l'énergie, l'eau et, enfin, la santé.

La création de la CMU s'inscrit aussi dans la volonté de définir une nouvelle politique de la santé, reposant sur le tiers payant, la mise en réseau et la prévention. Comme il nous a été dit au cours des auditions, les inégalités d'accès à la prévention sont encore plus grandes que les inégalités d'accès aux soins.

Il nous faudra aussi développer les capacités d'accueil. Un effort supplémentaire va en effet être demandé au personnel des CPAM, qui doit pouvoir être appuyé par le milieu associatif et les CCAS. Nous en revenons au débat sur le titre premier de la loi contre les exclusions : la complémentarité est indispensable.

J'ai noté certaines inquiétudes, réelles ou feintes. Certains parlent d'étatisation, d'autres de politique d'assistance, d'autres encore redoutent qu'on fasse entrer le loup dans la bergerie. Mais toutes ces argumentations se retournent contre ceux qui les tiennent. Il s'agit de créer une émulation entre les caisses de la Sécurité sociale et les organismes d'assurance complémentaire. Je ne vois pas ce que cela peut avoir de gênant. L'accord signé avec la CNAM nous montre au contraire tous les avantages d'une telle émulation. Ne jouons donc pas à nous faire peur.

Nous avons eu en commission un débat légitime sur le problème du seuil. Je n'ai pas souhaité qu'il soit réglé par l'article 40, estimant qu'il s'agissait d'un débat politique de fond. Je remercie, à cet égard, Mme la ministre d'avoir joué le jeu et de nous avoir clairement fait connaître sa conception du seuil.

Certes, tout seuil pose des problèmes. Mais ne perdons pas de vue l'objectif de ce projet, qui est d'aider les citoyens à sortir des situations à risques et à exercer leurs droits dans toute leur plénitude. C'est à cela que doivent concourir les organismes d'assurance complémentaire, en liaison avec les collectivités locales. Il faut raisonner de manière dynamique et non statique. Admettre que le dispositif, une fois pour toutes, s'adresse à six millions de personnes, ce serait en accepter d'avance l'échec. Les amendements proposés par votre rapporteur, M. Boulard, et adoptés par la commission, s'inscrivent dans cette dynamique et visent bien à favoriser le retour du citoyen dans tous ses droits.

Certains ont qualifié ce projet d'historique. Il poursuit en tout cas le travail politique commencé avec d'autres textes. Car, en bons artisans, nous mettons et remettons l'ouvrage sur le métier avec la conviction que nos sociétés avancées ne doivent pas payer d'un élargissement des zones d'exclusion leur capacité croissante de produire des richesses. Lutter contre l'exclusion suppose de la volonté politique. Nous l'avons (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe RPR une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91 alinéa 4 du Règlement.

M. Bernard Accoyer - Qui ne souhaite lever l'obstacle que représente l'argent dans l'accès aux soins ? Personne. Pourtant, la plupart des acteurs médico-sociaux sont réservés, voire hostiles à ce projet de loi. C'est que, si l'objectif affiché est généreux et consensuel, les moyens choisis pour l'atteindre marquent le début d'un processus de mutation, d'un délitement de notre système d'assurance maladie.

Après un demi-siècle d'existence, l'assurance maladie ne remplit plus de façon satisfaisante ses missions et trop de nos concitoyens en souffrent.

Il n'y a rien de surprenant à ce que cette branche essentielle de la sécurité sociale dont la place et les dépenses sont aujourd'hui sans commune mesure avec celles d'il y a 50 ans, se trouve en situation précaire. Et c'était précisément pour la sauver que le gouvernement d'Alain Juppé et les ordonnances du 24 avril 1996 avaient engagé une réforme refondatrice et courageuse (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste).

M. Alfred Recours, rapporteur - Et puis M. Chirac a décidé de dissoudre !

M. Bernard Accoyer - Malheureusement pour l'institution, le gouvernement socialiste l'a arrêtée dès son arrivée. Cet arrêt a été désastreux car il a brisé la mutation qui s'avérait indispensable. Le retour de la croissance a ensuite temporairement masqué, grâce à des recettes imprévues, la dégradation de la situation. Après 18 mois d'immobilisme, le Gouvernement a tout de même pris la mesure de la situation mais il n'en a pas moins définitivement mis de côté la réforme la plus pressante, celle de l'hospitalisation, vidé la réforme de sa logique contractuelle au profit d'un dirigisme étatique, administratif et financier.

Si l'accès aux soins est devenu difficile pour une partie croissante de la population, c'est parce que le remboursement par la Sécurité sociale des soins ambulatoires n'atteint même plus 55 %, alors que nous enregistrons le plus haut niveau de cotisation en Europe. La "Couverture Maladie Universelle" prétend résoudre ce problème. En réalité, ce projet crée de nouvelles inégalités ainsi qu'un recul dans 29 départements (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Et à terme il remet en cause la Sécurité sociale elle-même tant il tourne le dos aux réformes structurelles nécessaires.

La réforme structurelle voulue par le gouvernement Juppé avait pour but de conforter l'institution, en distinguant contractuellement le rôle des pouvoirs publics et des caisses, d'améliorer le remboursement, de rendre le système de soins plus efficient, et d'offrir à tous des conditions équivalentes d'accès aux soins.

L'"Assurance Maladie Universelle" que prévoyait la réforme de 1996 visait l'harmonisation des régimes.

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur - Il n'y avait rien dans ce dossier !

M. Bernard Accoyer - Elle était porteuse de rationalisation et d'équité. Une "Aide Personnalisée Maladie" aurait apporté à chacun une couverture complémentaire de droit commun, sans effet de seuil et dans le respect de la dignité des personnes.

M. Alfred Recours, rapporteur - Pour 150 000 personnes seulement !

M. Bernard Accoyer - Une loi de ratification des ordonnances aurait permis de corriger les dispositions qui, hélas, divisaient les partenaires médico-sociaux. Elle aurait permis aussi l'instauration progressive de l'"Assurance Maladie Universelle" et de l'"Aide personnalisée maladie".

Avec le présent projet, le Gouvernement fait un tout autre choix. Il engage sournoisement l'assurance maladie, et toute la protection sociale, sur une autre voie : l'abandon des réformes de structure et à terme, l'instauration d'une sécurité sociale à deux vitesses.

C'est pour cela que l'opposition le considère comme irrecevable.

D'abord, son titre est trompeur "Couverture maladie universelle".

Cela laisse croire en effet que toute la population sera totalement couverte contre le risque maladie, dans les mêmes conditions et selon les mêmes prestations de cette couverture. Or tel ne sera pas le cas. Le dispositif central du projet exclut même 90 % de la population !

Les réformes structurelles de 1996 prévoyaient, elles, la création d'une assurance maladie vraiment universelle car tous les Français et résidents réguliers y auraient été affiliés et auraient été couverts dans les mêmes conditions par le régime obligatoire.

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur - C'est bien le cas ici.

M. Bernard Accoyer - Mais ouvrir le chantier périlleux de l'harmonisation des régimes et chercher à mettre un terme aux injustices et aux gaspillages nécessite du courage. Or, pour les responsables de la gauche, harmoniser les régimes, tant pour la vieillesse que pour la maladie, est tabou.

D'ailleurs, les premières protestations contre l'idée lancée en 1995 d'une harmonisation sont venues de la gauche et voyez aujourd'hui ses pitoyables et coupables atermoiements, en particulier face aux scandaleuses distorsions existant entre les régimes spéciaux de retraite et le régime général (Rires sur les bancs du groupe socialiste).

M. Alain Barrau - Vous souriez vous-même de vos excès !

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur - M. Juppé n'a-t-il pas calé face aux cheminots ?

M. Bernard Accoyer - S'il est exact que le présent projet instaure, comme l'aurait fait l'AMU, une affiliation automatique au régime général maladie...

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur - Ah, vous le reconnaissez tout de même !

M. Bernard Accoyer - ...sous le seul critère de la régularité et de la stabilité de la résidence en France, soit en fait trois mois de présence sur le territoire national, cette disposition concerne tout au plus entre 120 et 150 000 personnes. Nous l'approuvons.

Mais ce texte procède surtout à une recentralisation de l'aide médicale. Cette compétence jusqu'à présent exercée par les conseils généraux et les communes sera désormais confiée aux préfets, qui la délégueront aux directeurs des caisses primaires d'assurance maladie.

L'honnêteté intellectuelle voudrait donc que le titre du projet contienne l'idée d'"Aide Médicale gratuite nationale". Mais alors la ressemblance frappante de la CMU avec le MEDICAID américain apparaîtrait trop nettement.

Cette ressemblance nous conduit à l'essentiel du texte : l'instauration progressive d'un système à deux vitesses, incompatible avec les principes fondateurs de la Sécurité sociale.

Plusieurs dispositions méconnaissent le principe d'égalité des droits à la protection de la santé, posé par le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.

La rupture de ce principe d'égalité est manifeste puisque les prestations ne sont pas prises en compte de la même manière pour les bénéficiaires de la CMU et pour tous les autres dans des situations similaires.

L'instauration de "prix spécifiques" pour certains actes ou biens médicaux pose problème car, soit ces prestations et ces biens sont d'une qualité différente, soit il s'agit d'une rupture d'égalité entre assurés sur le prix des prestations.

A cette inégalité face aux cotisations et au niveau des prestations, s'ajoute l'inégalité de la couverture. En effet, la prise en charge à 100 % en tiers payant de toutes les prestations pour les bénéficiaires de la CMU et la prise en charge illimitée du forfait journalier hospitalier introduisent une forte distorsion par rapport au reste de la population qui ne dispose que d'une couverture de base à 74 %, et même à 55 % pour les dépenses de soins ambulatoires, alors qu'elle doit aussi supporter le forfait journalier.

Ce texte contrevient à deux autres principes fondamentaux de la Sécurité sociale.

Tout d'abord au principe contributif de l'assurance maladie obligatoire et complémentaire.

Le dispositif de l'aide médicale gratuite prévoyait avec l'assurance personnelle qu'une collectivité ou une institution se substitue éventuellement au cotisant à faibles revenus. Or l'assurance personnelle est supprimée à l'article 2, l'article premier ayant posé le principe de la gratuité de la couverture complémentaire pour les bénéficiaires du dispositif et l'article 3 exonérant de cotisations ces personnes à faibles revenus. Comme, d'autre part, les articles 9 à 13 organisent le remplacement des cotisations par des transferts financiers indépendants des personnes prises en charge, le principe contributif de l'assurance maladie n'est plus respecté.

Quant à la mise sous condition de ressources des prestations maladie, elle méconnaît le principe qui veut que le remboursement de tous les assurés et de leurs ayants droit s'effectue selon leurs besoins, et non selon leurs revenus. Car le seuil institué pour l'ouverture du droit à la CMU équivaut bien à une mise sous condition de ressources des prestations maladie. En dessous de ce seuil, le remboursement se fait à 100 % et la dispense d'avance de frais est totale. Au-dessus, le remboursement est bien moindre et il n'y a pas de dispense d'avance de frais.

Madame le ministre, en 1997, vous aviez déjà tenté de placer les prestations sociales sous condition de ressources. Heureusement, vous avez été contrainte de capituler un an plus tard. Mais voici que vous recommencez -articles 20, 23 et 24- avec les prestations maladie, récidive qui avait d'ailleurs été annoncée par le président de l'UNAF, M. Hubert Brin.

Par ailleurs, le principe du monopole pour l'assurance maladie du remboursement au 1er franc des dépenses de soins est lui aussi remis en cause par l'alinéa 14 de l'article 20 où il est prévu que les CPAM seront compétentes pour gérer les prestations complémentaires jusqu'alors facultatives. Dès lors et après la décision du 28 avril 1998 de la cour de justice européenne relative à la concurrence en matière d'assurance maladie, comment soutenir que les opérateurs complémentaires pourront demeurer exclus du droit de gérer au 1er franc la couverture obligatoire ?

Le président de la CNAM, Jean-Marie Spaeth a vivement critiqué cette réciprocité, lors de son audition par la commission des affaires sociales.

C'est là tout le grave problème de la confusion des rôles entre le régime obligatoire et les opérateurs complémentaires. Il a conduit les uns et les autres à protester contre le choix centralisateur et dirigiste opéré par le Gouvernement (Mme la ministre s'exclame) au détriment d'un mécanisme partenarial proposé par le rapport Boulard.

Ce projet de loi remet en cause les principes fondateurs de l'assurance maladie, il rompt l'égalité des droits à la protection de la santé, porte atteinte au principe contributif et remet en cause le monopole de la Sécurité sociale pour le remboursement au premier franc.

Mais l'assurance maladie est également menacée par la sous-évaluation financière du coût de la CMU, dans un contexte de déséquilibre structurel et tendanciel des comptes et de suppression du versement de cotisations par les collectivités. La fiscalisation du financement de l'assurance maladie s'accélère, ce qui entraîne la confusion entre la logique assurantielle et la logique de solidarité.

Il est faux que le coût de la CMU puisse être limité à 1,7 milliard de francs. Ce chiffrage s'appuie sur l'hypothèse selon laquelle les dépenses de couvertures complémentaire pour 6 millions de personnes s'élèveront à 9 milliards -soit 1 500 F par personne et par an. Or, dans le département de la Haute-Savoie, la dépense au titre du ticket modérateur et des prestations supplémentaires s'établissait en 1998 pour les bénéficiaires de l'aide médicale gratuite, à 1 920 F et pour les bénéficiaires de la carte solidarité santé, à 2 200 F -et la population de Haute-Savoie est jeune et peu consommatrice de soins. La fédération française des sociétés d'assurance estime le coût moyen annuel à 3 000 F pour des populations plus âgées. La sous-évaluation serait donc de l'ordre de 30 à 100 % et le coût réel compris entre 4,7 et 10,7 milliards. A quoi il faut ajouter 900 millions laissés à la charge de la CNAM et 830 millions prélevés sur les autres régimes.

Quant à la contribution de 1,75 % sur le chiffre d'affaires santé des complémentaires en France, son produit est estimé à 2 milliards, et il serait ristourné par une exonération de 1 500 F par personne couverte. Etrange dispositif, d'autant plus que les complémentaires gratuites seront fournies surtout par les CPAM car cela sera plus facile pour ces populations en difficulté.

Les mutuelles, les institutions de prévoyance et les assurances vont payer une bonne part de la CMU. Soit leur contribution ne leur sera pas ristournée, soit elle le sera de façon insuffisante. Dans tous les cas, ce sont les foyers à revenus moyens qui, par leurs cotisations, supporteront ces 2 milliards. La facture du coût de la CMU passe à 10,1 voire 13,4 milliards.

Mais il faut encore ajouter le coût de la gestion supplémentaire pour les CPAM de dossiers particulièrement lourds, lequel peut être évalué à 5 % des prestations gérées, soit de 300 à 900 millions. On arrive alors à une fourchette de 8,3 à 14,3 milliards -car il n'est pas raisonnable de croire que les dépenses supplémentaires des CPAM seront financées par les économies de gestion tirées de la télétransmission des feuilles de soins.

Il est également prévisible que la recentralisation qui s'opère avec la CMU n'enlèvera pas aux collectivités territoriales la charge de travail social de proximité et la préinstruction des dossiers de CMU, qui restera financée par l'impôt local.

Mais le coût de la CMU doit être évalué dans le temps -et plusieurs facteurs rendent inéluctable une augmentation de ce coût. D'abord, la part chaque année plus importante laissée par l'assurance maladie à la charge des familles et des organismes complémentaires. Celle-ci augmente de 9 % par an, ce qui ne saurait changer en l'absence de réformes structurelles. Ensuite, l'évolution du seuil qui rejoindra forcément le seuil de pauvreté, en raison de la hausse du coût des soins. Dans tous les cas, les revenus évolueront moins vite que les besoins et le coût des soins.

Ajoutons que, le tiers payant intégral ne constituant pas un élément de maîtrise des dépenses de soins -on le voit pour les visites à domicile et pour la pharmacie- le coût de la CMU connaîtra probablement une hausse plus rapide que les autres modes de prise en charge de soins ambulatoires.

Avec un coût supplémentaire pour la nation qu'il faut évaluer dès le départ entre 8 et 14 milliards, la CMU pèsera sur les prélèvements obligatoires, qui atteignent déjà 54 % de notre PIB. Et ce coût initial est très loin de son coût actuariel, celui qu'elle atteindra en quelques années, et qui a été évalué par la FFSA à quelque 100 milliards.

En prenant pour hypothèse la simple poursuite à l'identique de la hausse annuelle de 9 % des dépenses laissées à la charge des complémentaires, et une augmentation annuelle d'environ 10 % des populations bénéficiaires, une évaluation grossière conduit à un coût annuel de CMU de 15 à 30 milliards dans 5 ans et de 45 à 75 milliards dans 10 ans. Si le nombre des bénéficiaires devait évoluer comme celui des Rmistes, ces chiffres seraient largement dépassés. Malheureusement cette hypothèse est loin d'être irréaliste. Ainsi, le nombre des bénéficiaires de l'aide médicale gratuite en Haute-Savoie a augmenté de 122 % en 4 ans entre 1994 et 1998, alors que ce département est l'un des moins touchés par le chômage. L'assurance maladie ne pourra supporter cette lourde charge supplémentaire, car l'Etat ne compensera pas cette dérive qui aboutit à un coût de 45 à 75 milliards pour les Français.

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur - Qui dit mieux ?

M. Bernard Accoyer - Nous en reparlerons dans dix ans. La CMU crée la Sécurité sociale à deux vitesses, la CMU étant appelée à devenir la Sécurité sociale spécifique des Français à faibles revenus, l'aide médicale gratuite nationale, une sorte de "MEDICAID" français. Cela, l'opposition le refuse.

Mais ce texte comporte aussi de nombreuses injustices. L'effet de seuil de l'article 3 est la plus flagrante de ces ruptures d'égalité entre citoyens. Jusqu'au seuil, il n'est pas nécessaire de cotiser pour disposer de soins et de dispositifs de santé totalement gratuits. Mais dès le seuil franchi, il faut payer les cotisations au régime obligatoire, l'adhésion à un régime complémentaire, le ticket modérateur, les suppléments au-delà des tarifs conventionnels. Les familles modestes et moyennes seront ainsi les plus lésées.

Non seulement le mécanisme est brutal, mais le niveau choisi, 3 500 francs mensuels, est arbitraire. Il ne couvre même pas les bénéficiaires du revenu minimum vieillesse ou de l'allocation adulte handicapé, qui disposeront d'à peine 40 francs de plus par mois que les bénéficiaires de la CMU. Il ne correspond pas non plus au seuil de pauvreté, soit 3 800 francs, ainsi que l'a observé une majorité de la commission.

L'effet de seuil sera considérable, combiné avec la diminution annoncée des remboursements par l'assurance maladie, puisque certains remboursements pourraient ne plus bénéficier que d'un taux symbolique de 10 %.

En clair, soit l'assuré est pris en charge à 100 % grâce à la CMU ; soit il dispose des capacités financières nécessaires pour financer sa couverture complémentaire qui devient absolument indispensable pour accéder aux soins ; soit il ne peut se soigner, n'étant ni assez pauvre, ni assez riche -et cela sera le cas de millions de nos concitoyens. Un tel effet de seuil est donc inacceptable.

Le dispositif de protection maladie que ce texte met sournoisement en place sera très pénalisant pour les nombreuses familles aux revenus modestes et moyens. C'est d'autant plus inacceptable que c'est évitable avec l'aide personnalisée maladie gérée de façon partenariale. Mais le Gouvernement a refusé cette option.

Ce projet de loi revient aussi sur des droits acquis... principe auquel on aurait pu croire la gauche particulièrement attachée !

Dans vingt-neuf départements, la couverture maladie régressera fortement.

M. Alfred Recours, rapporteur - Qu'est-ce qui empêche ces départements de continuer leur action ?

M. Bernard Accoyer - En effet, dans ces départements, le seuil de déclenchement de l'aide médicale gratuite est supérieur à 3 500 F. Il est par exemple de 4 004 F à Paris en 1999 avec la carte Paris santé. Pour les 25 000 Parisiens, dont les ressources sont comprises entre 3 500 F et 4 004 F, comme pour les habitants des vingt-huit autres départements, cette régression sera douloureuse. Elle est inacceptable. L'intangibilité des droits acquis habituellement revendiquée par la gauche ne vaudrait-elle pas universellement ?

Les droits acquis ne concerneraient-ils, selon la majorité de gauche, que les populations privilégiées et surprotégées grâce aux cotisations et aux impôts des salariés du secteur privé ?

Pour financer la CMU, on prélèvera des recettes sur les dotations de ces départements, sans tenir compte de leurs spécificités, tout en leur interdisant de compenser les effets pervers du texte.

Par ailleurs, tous les assurés ne seront pas, en pratique égaux s'agissant de la détermination des seuils. Ceux dont les revenus supérieurs à 3 500 F ne seront pas déclarés pourront bénéficier intégralement de la CMU. C'est encourager le travail clandestin et la fraude. Jusqu'à présent la logique était inverse, l'ouverture des droits à l'assurance maladie dépendant d'un nombre minimal d'heures travaillées : 60 heures par mois ou 120 heures par trimestre.

La remarque vaut aussi pour les étrangers séjournant régulièrement depuis plus de trois mois en France. Ce ne sera plus le travail qui leur permettra d'avoir accès aux prestations maladie, ce sera même l'inverse.

Le projet de loi pose aussi le problème de l'inégalité des citoyens devant l'obligation alimentaire et la récupération sur succession.

Les populations âgées, particulièrement en milieu rural, risquent de renoncer à la CMU, comme cela est déjà le cas pour l'aide médicale gratuite, craignant de voir le patrimoine qu'elles destinaient à leurs enfants et qui constituent souvent leur outil de travail, ne soit récupéré par la collectivité. En l'état actuel, de texte ne supprime pas l'injustice dont sont victimes ces populations par rapport aux autres bénéficiaires de la CMU.

De plus, un risque d'arbitraire existe dans le mesure où, en l'absence de dispositions nationales, la récupération sera laissée à l'appréciation des directeurs de caisses primaires.

La compétence confiée aux CPAM de gérer la couverture complémentaire soulève aussi d'autres injustices. Une institution publique de Sécurité sociale va ainsi faire irruption dans le domaine marchand de la couverture complémentaire.

Des distorsions de concurrence vont apparaître entre la Sécurité sociale et les prestataires complémentaires, dont les conditions de fonctionnement relèvent d'une tout autre logique. Ces derniers sont notamment soumis à un régime fiscal différent déjà problématique au regard des directives européennes.

Une autre distorsion tient au fait que pour les CPAM, les charges sont nécessairement compensées par des dotations d'équilibre de l'Etat et de l'ACOSS, c'est-à-dire in fine payées par les contribuables et les assurés sociaux, quand pour les opérateurs complémentaires elles sont supportées par les institutions, c'est-à-dire par leurs sociétaires ou par les entreprises elles-mêmes qui voient leurs cotisations augmenter en conséquence. Ce sont donc bien les seuls titulaires d'une couverture complémentaire à titre onéreux qui supporteront le coût de la CMU pour leur propre prestataire qui pourrait d'ailleurs servir des prestations d'un meilleur niveau aux bénéficiaires de la CMU affiliés gratuitement qu'aux sociétaires cotisants. Il y a là une inégalité devant l'impôt entre opérateurs et une inégalité dans l'accès aux soins entre citoyens.

La hausse des cotisations mutualistes comme des primes d'assurances complémentaires pourra paradoxalement conduire certaines familles à renoncer à se couvrir, sans pour autant qu'elles puissent bénéficier de la CMU qu'elles financeront en partie !

Le projet de loi crée des inégalités d'accès aux soins en menaçant particulièrement certains régimes obligatoires ainsi que certaines mutuelles professionnelles. C'est le cas de la Mutualité sociale agricole et de la plus importante mutuelle de travailleurs agricoles, GROUPAMA. Un million et demi des quatre millions et demi de personnes assujetties à la MSA seront concernés par la CMU, tant les retraites et les pensions de réversion agricoles sont modestes.

M. Alfred Recours, rapporteur - Preuve que les agriculteurs ne sont pas oubliés !

M. Bernard Accoyer - Qu'adviendra-t-il de ces organismes une fois la CMU instaurée ?

La MSA a alerté individuellement tous les députés par lettre du 2 avril dernier, évoquant la dégradation continue des conditions de remboursement par les régimes obligatoires qui met la France quasiment au dernier rang des pays européens. Concernant la couverture complémentaire, la MSA, qui souhaite pouvoir maintenir les dispositifs existants dans le régime agricole, estime que le texte actuel ne répond pas à son attente.

Des sérieuses distorsions de concurrence sont introduites entre les organismes complémentaires. Ainsi en va-t-il de la taxe sur le chiffre d'affaires maladie des opérateurs complémentaires en France. Les opérateurs étrangers qui n'ont qu'une partie de leurs clients dans l'hexagone, seront avantagés par rapport aux opérateurs nationaux peu présents à l'étranger.

Le plus grave motif d'irrecevabilité de ce texte réside dans la mise en place d'une assurance maladie à deux niveaux : un premier niveau pour les plus pauvres, la CMU, le MEDICAID à la française ; un second niveau pour tous les autres, particulièrement cruel pour les familles modestes.

Un "panier de soins" spécifique aux bénéficiaires de la CMU est mis en place par les articles 22, 23 et 24 du projet.

Il ne concerne pour l'instant que certains soins médicaux et les soins bucco-dentaires mais peut-on concevoir que des prix différents puissent s'appliquer durablement à des biens identiques ? "Ce panier de soins" finira inévitablement par couvrir l'ensemble du champ de la santé. La seule certitude concerne le calendrier.

Il existera désormais un double niveau de remboursement avec un remboursement et une prise en charge illimitée du forfait hospitalier pour les bénéficiaires de la CMU, et un remboursement d'environ 74 % tous secteurs confondus pour les autres, tombant même à moins de 55 % pour le secteur ambulatoire, le forfait hospitalier restant à la charge des malades ou de leur régime complémentaire. De plus, les bénéficiaires de la CMU seront totalement dispensés de l'avance des frais.

Le détournement de la réforme de 1996 est patent dans cinq domaines : les relations entre le Gouvernement et les caisses, la réforme de l'hospitalisation, le médecin référent, les médicaments génériques, l'informatisation.

Les relations contractuelles entre les pouvoirs publics et les caisses constituaient une disposition cardinale des ordonnances de 1996 qui distinguaient clairement les responsabilités politique et gestionnaire des caisses.

Sur ce plan, le Gouvernement, qui a négocié directement avec les professionnels de santé, tourne le dos à la réforme, au point d'être en conflit ouvert avec le directeur de la CNAM qu'il a pourtant nommé. Ce dernier n'a plus comme solution que de rappeler dans son plan de redressement ce qu'il avait pourtant dit avant sa nomination, à savoir que sans une réforme immédiate et drastique, en particulier de l'hospitalisation publique, l'assurance maladie est en danger de mort et laissera la place... à un double système de soins où les opérateurs privés auront toute leur place.

Les ordonnances de 1996 prévoyaient une réforme de l'hospitalisation fondée sur l'évaluation, l'accréditation et la contractualisation.

Le gouvernement socialiste, au lieu de l'activer, l'a laissée en panne.

Il a préféré détourner l'attention en lançant de nouveaux SROSS dits "démocratiques" et des états généraux de la santé dont il ne sort strictement rien. Pendant ces deux années, l'hôpital public a sombré dans des difficultés humaines et matérielles propices notamment à des transferts d'activité vers le secteur privé. Il a pourvu de nombreux postes vacants par des professionnels moins qualifiés, alors qu'il faudrait revoir le statut des praticiens hospitaliers pour adapter l'offre à la demande en qualité et en quantité.

Le détournement de la réforme de 1996 conduit tout droit à deux niveaux d'hospitalisation.

Alors que l'hospitalisation privée s'est montrée exemplaire pour se restructurer et contenir ses coûts durant huit années d'accords conventionnels, après un seul dépassement d'objectif cette année, d'ailleurs discutable compte tenu de l'incapacité des caisses à fournir des statistiques retraçant les transferts d'activité du public vers le privé, son objectif quantifié national devient négatif avec moins 1,95 %. Tous les spécialistes conviennent que ce taux peut faire disparaître, à court terme, 30 % à 50 % des lits privés.

M. Pascal Terrasse - Très bien !

M. Bernard Accoyer - Les malades actuellement hospitalisés dans le privé et les personnels apprécieront !

Ce taux ne permettra pas d'absorber les hausses de charges de 3,5 % nées des contraintes techniques et sanitaires non plus que le coût des 35 heures imposées par le Gouvernement... qui en dispense pourtant l'hôpital public (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Or, avec 130 000 salariés et 35 000 médecins, l'hospitalisation privée assure 63 % de la chirurgie, 50 % des accouchements, pour des coûts nettement moins élevés que ceux de l'hospitalisation publique.

Cet objectif quantifié négatif fera refluer vers l'hôpital public, déjà en crise, activités et besoins de financement. Surtout, il contraindra les établissements privés à facturer des prestations supplémentaires.

Des listes d'attente risquent d'apparaître et une discrimination par l'argent s'opérera.

Les ordonnances de 1996 prévoyaient aussi le système du médecin référent, mais à titre expérimental avec un encadrement strict de l'agrément par la commission Soubie et une évaluation médicale et financière.

La volonté de ce gouvernement et de membres éminents de sa majorité est d'imposer, coûte que coûte et définitivement, le dispositif avec un paiement forfaitaire direct par les caisses.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - C'est la réforme Juppé.

M. Bernard Accoyer - Dans les ordonnances de 1996, le dispositif était exclusivement expérimental et donnait lieu à évaluation. Vous l'imposez et vous le généralisez.

Du fait de cet activisme do

gmatique, votre référent ressemble au médecin généraliste du National Health Service -lequel a suscité un système privé coûteux et totalement inéquitable.

Les dispositions relatives aux médicaments génériques ont également été tournées. En deux ans, le gouvernement socialiste n'a rien fait pour le médicament de sorte que notre industrie se trouve dans la plus grande inquiétude.

Pire, pour les génériques, du fait du refus des amendements parlementaires lors de l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, les assurés sociaux n'auront plus la même sécurité thérapeutique. Récemment, les professeurs Meunier et Thuillier concluaient ainsi une communication devant l'Académie nationale de pharmacie : "La bioéquivalence entre deux génériques du même princeps ne découle pas obligatoirement de la bioéquivalence de chacun d'entre eux vis-à-vis de la spécialité de référence".

Or le médecin référent devra prescrire assez largement des génériques. Ne va-t-on pas vers une dévalorisation des soins dans le premier niveau de la CMU ?

Enfin, l'informatisation du système de santé, elle aussi inscrite dans les ordonnances, a été totalement dévoyée. Le codage des actes et des pathologies permettait enfin une gestion du risque. Vous limitez le dispositif à la télétransmission des feuilles de soins. Pour faire passer ce détournement strictement administratif et financier, le Gouvernement tente de faire croire qu'après la carte Sésame Vitale I, la carte sésame vitale II et son volet santé représenterait une avancée décisive. Mais comment un support électronique complexe serait-il davantage adopté par les usagers que le carnet papier ?

Et plusieurs milliards de francs ont été engagés pour la télétransmission des feuilles de soins par 0,5 % des praticiens !

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur - Le carnet de santé, c'est Juppé !

M. Bernard Accoyer - Il n'a pas été adopté. Votre dispositif plus complexe ne le sera pas non plus.

Qui répondra des errements et du gâchis incroyable de ce dossier ? Les gestionnaires de la CNAM ? Le Gouvernement ?

Quant au programme médicalisé des systèmes d'information, dont la mise en place dans les hôpitaux a coûté plusieurs milliards, il a été lui aussi détourné de son objectif principal, à savoir l'évaluation des établissements dans la transparence.

Après le détournement, la censure : l'article 37 encadre le débat public sur les hôpitaux et évite de devoir restructurer des établissements de qualité insuffisante.

Ce faisant, le Gouvernement évite les turbulences sociales et politiques locales, mais laisse le système courir à la faillite.

Ce projet est inconstitutionnel par d'autres aspects.

Avec le titre IV portant modernisation sanitaire et sociale, ce n'est plus un projet que nous examinons mais deux projets distincts, celui relatif à la CMU, qui n'entrera en vigueur qu'à compter du 1er janvier 2000 et le DMOS qui entrera en vigueur dès la publication de la présente loi. Ces deux textes ont d'ailleurs des rapporteurs différents.

Le titre IV a, de surcroît, une grande portée et a donné lieu à de nombreux amendements.

Il nous est demandé de légiférer sur 16 domaines sans rapport les uns avec les autres...

M. Marcel Rogemont - Si, ils concernent tous la santé.

M. Bernard Accoyer - ...les consultations de dépistage du VIH ; le volet santé de la carte informatique d'assurance maladie ; le statut des infirmiers du secteur psychiatrique ; les conventions entre les pharmaciens et l'assurance maladie ; des validations de conventions médicales nationales partiellement annulées par le Conseil d'Etat ; des restrictions à la diffusion et au traitement des données personnelles de santé ; les conditions de régularisation des médecins titulaires d'un diplôme extra-européen ; l'action sociale au bénéfice de la fonction publique hospitalière ; le congé de formation professionnelle dans la fonction publique hospitalière ; le régime juridique des syndicats interhospitaliers ; la création des établissements publics de santé interhospitaliers ; la création de fédérations médicales interhospitalières ; les pouvoirs des ARH pour les transferts de cliniques privées ; la création d'un GIP pour la modernisation du système d'information hospitalier ; l'obligation pour les praticiens libéraux de percevoir leurs honoraires par l'intermédiaire de l'administration hospitalière ; l'interdiction de prise en compte des résultats des études génétiques par les organismes de protection complémentaire.

Cela aurait mérité l'examen d'un DMOS en bonne et due forme.

M. le Président de la commission - Non !

M. Bernard Accoyer - Le titre du texte de loi porte sur la création de la CMU. Or le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 25 juin 1998 sur la loi portant DDOEF, indique que les dispositions d'initiative parlementaire qui n'ont pas de "lien" avec le texte sont vouées à la censure du juge constitutionnel.

Le ministre lui-même déclarait devant la commission des affaires sociales le 10 mars dernier "s'agissant du titre IV, il s'agit de mesures de santé publique et la jurisprudence du Conseil constitutionnel concernant les cavaliers législatifs ne s'applique qu'aux amendements". Vous risquez de ce fait de rendre de facto tous les amendements irrecevables.

Trois articles de ce projet paraissent particulièrement irrecevables car ils portent atteinte à des droits fondamentaux : l'article 14 aux droits de la défense ; l'article 33 au respect de la vie privée ; l'article 37 à la liberté de la presse et au droit des citoyens à l'information.

L'article 18 qui résilie certains contrats d'assurance privée méconnait une jurisprudence du Conseil d'Etat constante depuis 1938 et qui veut que tout préjudice grave et certain du fait de la loi donne lieu à indemnisation.

Quant à l'article 14, qui porte sur l'exécution des recouvrements forcés des cotisations des travailleurs indépendants agricoles et non agricoles, Gérard Gouzes le qualifie de "procédure très dérogatoire au droit commun" et "contraire à l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne des droits de l'homme".

Dans sa décision du 20 janvier 1981, le Conseil constitutionnel a affirmé que le respect des droits de la défense est un principe fondamental reconnu par les lois de la République. De même, dans une décision du 28 juillet 1989, il précisait que ce droit implique l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties. Or, avec cet article 14, le débiteur ne pourra exposer ses griefs avant la sanction, et il se trouvera dans l'obligation de déclencher à ses frais une procédure pour faire reconnaître ses droits.

L'article 33 relatif au volet santé de la carte d'assurance maladie suscite également de très sérieuses réserves.

Le "Collectif inter-associatif sur la santé", créé il y a 3 ans, et qui regroupe 18 grandes associations d'usagers, de malades et de consommateurs a vigoureusement dénoncé la "menace sur les droits des patients" que représente la carte Vitale 2.

Il a émis de vives réserves sur l'utilisation du numéro d'identification du registre de l'INSEE (NIR) en tant qu'identifiant permanent du patient (IPP) et s'interroge sur la sécurité des transmissions de données transitant par le réseau Santé social. S'y ajoutent les prises de position extrêmement fermes du "Collectif pour les droits des citoyens face à l'informatisation de l'action sociale", collectif composé notamment par la Ligue des droits de l'homme, le syndicat des avocats de France et le syndicat de la magistrature, qui a alerté les parlementaires le 7 avril dernier. On peut, en effet se demander si, cet article respecte bien la vie privée.

L'article 37 restreint la diffusion et le traitement des données personnelles de santé. Il vise la liberté de la presse. Ainsi le numéro de Sciences et Avenir qui publie un classement des hôpitaux ne pourrait plus être réalisé, ni diffusé. Pourtant qu'y a-t-il de choquant à ce qu'un large public soit ainsi informé et non plus seulement quelques privilégiés ?

Au prétexte que le programme de médicalisation des systèmes d'information pourrait présenter un risque théorique dans l'hypothèse où des personnes mal intentionnées parviendraient à lever l'anonymat des données, il faudrait instituer un filtre ministériel. C'est manifestement disproportionné, cette base de données ne contenant ni noms, ni prénoms, ni numéros identificateurs. La commission d'accès aux documents administratifs a d'ailleurs toujours considéré les données issues du PMSI comme publiques, et la commission nationale informatique et libertés a rendu, le 18 février dernier, un avis défavorable à cette disposition.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision d'octobre 1984, a indiqué que le législateur, en matière de liberté de communication, ne peut intervenir que pour favoriser celle-ci : manifestement, tel n'est pas l'objet de cet article. Celui-ci est en outre, contraire à la directive européenne du 24 octobre 1995, laquelle opte pour un contrôle de l'utilisation des données a posteriori, et non a priori, et prévoit des dérogations pour la presse et les réseaux de médecine préventive.

Parce que le Gouvernement, loin d'apporter la bonne réponse au problème de l'accès aux soins des plus démunis, menace la sécurité sociale elle-même, en créant de nouvelles injustices, et parce qu'il méconnaît plusieurs principes fondamentaux de notre droit constitutionnel, je vous invite, mes chers collègues, à adopter cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote.

M. Jean-Michel Dubernard - Ce projet injuste sera particulièrement pénalisant pour les bas salaires. Il est le résultat d'un grave déficit de dialogue social. Ses effets pervers seront nombreux -on a cité l'encouragement au travail au noir et à la dissimulation des revenus. De plus l'explosion financière du système est à prévoir.

Enfin, on peut se demander si ce texte n'est pas un premier pas vers la privatisation de l'assurance maladie (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Le groupe RPR votera donc cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Yves Bur - La dignité humaine veut que le droit aux soins soit assuré à tous. Mais Dieu merci, nous ne partons pas de rien : Mme la ministre a brossé un tableau tellement sombre que nous nous serions crus revenus au siècle dernier ! Bien sûr, notre système de santé présente des insuffisances, qui ont été aggravées par la crise économique ; mais nous ne préconisons pas les mêmes solutions que le Gouvernement. Certes la CMU constituera un progrès pour les personnes en très grande difficulté, mais les familles aux revenus modestes seront pénalisées par les effets de seuil. De plus, en instituant un "panier" de soins spécifique pour la CMU, on risque d'aboutir à un système de soins à deux vitesses.

Parce que ce texte à l'intention généreuse créera de nouvelles injustices, le groupe UDF votera l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Maxime Gremetz - Une nouvelle fois, la droite prétend non conforme à la Constitution un projet de loi social. Aujourd'hui, 8 millions de personnes n'ont pas accès aux soins ; c'est le résultat accablant des politiques libérales menées pendant des années. Qu'on soit obligé d'instituer la CMU montre bien que cette société est à réformer... Nous ne sommes pas satisfaits, c'est le moins qu'on puisse dire, qu'on ait introduit dans ce texte, au titre IV, des dispositions sans lien avec les autres ; nous demanderons d'ailleurs un vote séparé. Cela ne change rien au fait que nous devons débattre de la CMU.

En commission, la droite a beaucoup parlé de solidarité, mais pour mieux l'empêcher... elle a, en particulier, parlé d'un coût insupportable pour le budget de l'Etat, alors que celui-ci ne va dépenser que 1,7 milliard (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR). Elle s'est opposée à nos amendements, qui visent notamment à réparer un oubli magistral de ce projet, en complétant l'appel au contribuable et aux régimes complémentaires par un prélèvement sur les profits des grandes sociétés capitalistes (Ah ! sur les bancs du groupe du RPR). Elle avait déjà eu la même attitude sur le projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions.

Il est indispensable de prendre des mesures en faveur des plus démunis, particulièrement en matière de droit à la santé. C'est pourquoi nous voterons, bien sûr, contre l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Alfred Recours, rapporteur - Au temps où les chevau-légers du Président de la République se mobilisaient contre la fracture sociale furent élaborés deux projets de loi, l'un sur l'assurance maladie universelle, l'autre sur la lutte contre l'exclusion. Le sujet était tellement important que le Président de la République décida de dissoudre l'Assemblée nationale avant qu'elle eût adopté ces textes... Depuis le début de cette législature, avec opiniâtreté, nous travaillons avec le Gouvernement à lutter contre les exclusions et pour l'accès aux droits.

Est-ce que lutter contre la pauvreté, contre l'exclusion, favoriser l'accès aux soins, serait inconstitutionnel ? Ce n'est pas parce que la Constitution date de 1958 et qu'elle nous vient du général de Gaulle que tout ce que nous faisons doit lui être jugé contraire (Protestations sur les bancs du groupe du RPR).

A chaque avancée, vous boudez, râlez en catimini, ratiocinez, retardez le débat par des motions de procédure...

M. Yves Bur - Vous avez fait la même chose il y a deux ans.

M. Alfred Recours, rapporteur - Pas sur les projets sociaux...

M. Yves Bur - Mais si !

M. Alfred Recours, rapporteur - ...sauf quand ils étaient vides : c'était le cas du texte sur l'AMU.

Rien ne justifie cette exception d'irrecevabilité.

Nous avons créé le RMI et quand vous êtes revenus au pouvoir, vous n'avez pas changé la loi. La CMU va être adoptée, et vous ne reviendrez pas dessus quand -le plus tard possible !- vous bénéficierez de l'alternance (Sourires sur les bancs du groupe socialiste). D'ailleurs, à force de vous opposer systématiquement à tout progrès social, vous n'êtes pas près de connaître l'alternance... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. Denis Jacquat - Les propos de M. Recours m'étonnent. J'étais présent dans cet hémicycle quand a été examiné le projet de M. Xavier Emmanuelli contre l'exclusion. J'avais été choqué de voir que toutes les ressources de la procédure étaient utilisées pour retarder le débat. Nous avons subi des demandes de suspension de séance à répétition. Je me souviens qu'un jour, l'unique député socialiste présent avait demandé une heure de suspension "pour réunir son groupe"... (Rires sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur - Il n'y avait pas assez de députés socialistes, à l'époque !

M. Denis Jacquat - Oublions le passé et regardons devant nous. Ce débat est sérieux (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe DL une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jean-François Mattei - La couverture maladie universelle répond à l'aggravation de la précarité et de l'exclusion. Nul ne peut rester insensible à la souffrance d'autrui. Je veux vous dire pourquoi, tout en partageant l'esprit de solidarité qui vous anime, nous ne pouvons approuver les modalités de votre texte.

Sur les bons sentiments, nous sommes d'accord. "Je donnerai mes soins gratuits à l'indigent et ne demanderai jamais un salaire au-dessus de mon travail !". Le responsable politique que je suis ne peut oublier le serment qu'il a prononcé au moment de devenir médecin. Je me demande parfois si les évolutions sociales qui ont fini par dénaturer le serment d'Hippocrate ont constitué un réel progrès. Nous prétendons avoir développé la solidarité, alors que les hôpitaux publics ont peu à peu abandonné leur rôle premier d'accueil des malheureux. Il a fallu une circulaire pour le leur rappeler, pour rappeler la "charité" d'autrefois. Mais le mot peut-il être prononcé ? Il ne reste de cette vocation initiale que des appellations : "Hôtel-Dieu", "Hospices civils" ou "Assistance publique". Nos hôpitaux sont devenus plus modernes, mais les pauvres n'y ont plus guère leur place ! Si la résonance magnétique nucléaire s'y est imposée, la misère, elle, est souvent restée à la porte !

Ce désir de soulager le "malheureux" n'est d'ailleurs pas l'apanage exclusif des médecins ou des professionnels de santé. La catastrophe humanitaire du Kosovo atteste bien, n'en déplaise aux pessimistes professionnels, que l'homme recèle en lui des trésors de générosité et qu'il est prompt à s'émouvoir.

C'est aussi ce que montre l'action des associations humanitaires et caritatives qui agissent jour et nuit pour soigner, nourrir et accueillir les plus déshérités. Il faut leur en être reconnaissant. Lorsqu'elles protestent contre l'insuffisance des moyens, réclament davantage, fustigent les égoïsmes, dénoncent le frein économique et l'injustice, elles ont raison. Elles sont dans leur rôle lorsqu'elles s'engagent, s'indignent, apostrophent et se révoltent. Il faut les en remercier, car elles participent de la conscience du monde. Si elles n'existaient pas, chacun serait plus oublieux des difficultés de l'autre.

En définitive, elles se conforment, les premières, au principe de solidarité nationale affirmé dans le préambule de la Constitution de 1946 : "La nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement". "Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs". On retrouve ce principe de solidarité dans la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 : "Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale". "Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, de veuvage, de vieillesse".

A l'évidence, ce souci de répondre à la maladie sans oublier personne s'impose à tous et nul ne peut prétendre détenir le monopole du coeur. La volonté de créer une assurance maladie universelle était déjà l'un des points principaux du plan de réforme de la Sécurité sociale présenté par le précédent gouvernement. Ce besoin s'impose d'autant plus que notre système de Sécurité sociale, dont il faut redire avec fierté qu'il a été un des plus grands progrès de notre société, se trouve désormais en situation d'échec. En effet, la Sécurité sociale n'obéit plus à cet esprit d'universalité qui était pourtant l'objectif de ses fondateurs. Elle engendre au contraire des inégalités et creuse des déficits.

La généralisation du système a été ratée. Au départ, le dispositif devait englober la totalité de la population active et inactive. Si le régime résultant de l'ordonnance du 4 octobre 1945 assurait, dans l'immédiat, une protection aux travailleurs salariés et à leur famille, il avait vocation à s'étendre progressivement. La généralisation de la Sécurité sociale fut même prévue par une loi du 22 mai 1946, prescrivant l'assujettissement obligatoire aux assurances sociales de tout Français résidant sur le territoire national. Son application était cependant subordonnée au rétablissement de la situation économique et à la consultation des organisations représentatives des catégories intéressées. Or cette loi fut abandonnée devant l'hostilité des classes moyennes.

M. le Président de la commission - Eh oui !

M. Jean-François Mattei - Cet échec n'a cependant pas empêché l'extension de la Sécurité sociale par le rattachement au régime général de nouvelles catégories de cotisants -écrivains non salariés, artistes du spectacle, bénéficiaires de l'allocation pour adulte handicapé- par la création de régimes spéciaux et par l'institution d'assurances facultatives, volontaires ou personnelles. Rappelons d'ailleurs que l'assurance personnelle a été créée en 1978. Aujourd'hui, 550 000 personnes y sont affiliées : 50 000 acquittent elles-mêmes une cotisation et 500 000 voient leurs cotisations prises en charge par la caisse nationale d'allocations familiales, par l'aide sociale ou par le fonds de solidarité vieillesse.

En outre, les départements prennent en charge, au titre de l'aide médicale, les soins couverts par l'assurance maladie, les frais de déplacements pour ces soins, le forfait hospitalier et les cotisations d'assurance personnelle pour tous les résidents, sous certaines conditions de revenu.

Pourtant, notre système est loin de garantir l'égalité d'accès aux soins. Malgré l'assurance personnelle, 150 000 personnes ne bénéficient d'aucune couverture de base, le plus souvent parce qu'elles sont dans des situations de rupture, le plus souvent transitoires. En outre, les inégalités se creusent, même si plus de 99 % de la population française bénéfice aujourd'hui de l'assurance maladie. Ces inégalités sont une conséquence de la baisse de la prise en charge des dépenses de santé et donc de l'augmentation progressive du ticket modérateur. De 1980 à 1996, le financement des dépenses de soins par les pouvoirs publics -Sécurité sociale, Etat et collectivités territoriales- est passé de 79 à 74 %. C'est donc le quart des dépenses qui reste à la charge des ménages ou, le cas échéant, des assurances complémentaires. Cette fraction importante des dépenses de soins non socialisées a favorisé l'émergence du marché de l'assurance complémentaire, qui finance désormais 12 % des dépenses de santé. Si 80 % de la population bénéficie d'une assurance complémentaire prenant en charge le ticket modérateur, le taux de souscription à une assurance complémentaire varie fortement en fonction des revenus. Selon le CREDES, un Français sur quatre renonce à se soigner pour des motifs financiers. Ce phénomène est d'autant plus grave que le système est en faillite.

M. Maxime Gremetz - Mais non !

M. Jean-François Mattei - Depuis plus de vingt ans, en effet, la situation se détériore et tous les gouvernements, quelles que soient les majorités, ont dû conjuguer, à des degrés divers, la diminution des remboursements, la hausse des prélèvements et les contrôles comptables, opportunément appelés maîtrise médicalisée. Rien n'y a fait. Notre situation est désormais fort peu enviable dans le concert des nations comparables : des dépenses supérieures à la moyenne pour des résultats insuffisants.

Le précédent gouvernement avait pour la première fois dessiné les contours d'une réforme profonde et ambitieuse. Mais son plan n'a pas, c'est le moins qu'on puisse dire, recueilli l'assentiment général ni donc pu faire ses preuves.

Vous avez pour votre part préféré, Madame la ministre, recourir aux vieilles recettes. C'est bien pourquoi je crains que vous ne parveniez pas à équilibrer cette année les comptes de l'assurance maladie. Des désaccords subsistent entre tous les partenaires et, après les décisions du Conseil d'Etat, il ne reste plus grand-chose du dispositif conventionnel. Le directeur de la CNAM est donc conduit à proposer un nouveau plan de sauvetage pour économiser quelque 62 milliards. C'est dire la gravité de la situation.

Nous voulons nous aussi instaurer une couverture semblable pour tous et supprimer les dispositifs stigmatisants, nous voulons aider les plus démunis et améliorer le système de soins. Si la différence entre votre CMU et l'AMU du plan Juppé n'avait été que sémantique, nous aurions pu approuver votre projet. Et longtemps nous avons espéré qu'il aille dans le bon sens. Malheureusement, les meilleurs sentiments ne sont pas toujours couronnés de succès, surtout si l'on ne s'est pas donné les moyens de réussir. Permettez-moi donc de vous exposer les raisons de notre désaccord de fond avec votre projet. Il y en a essentiellement quatre qui touchent à la philosophie, aux chiffres, aux effets et aux conséquences.

La philosophie, d'abord. Celle de votre texte relève manifestement de l'assistance.

En effet, la prestation de solidarité est financée pour partie par la couverture santé existante. Par l'affiliation obligatoire au régime général, celui-ci devient le régime "balai" de la sécurité sociale, à la charge principale des salariés du secteur privé marchand. Une confusion grave est ainsi introduite entre l'assurance qui débouche sur des prestations de nature contributive et l'assistance qui ouvre droit à des prestations de nature redistributive. La suppression du lien entre la cotisation et la garantie maladie, le fait que la gratuité totale et systématique des soins et la dispense de l'avance de frais, soient accordées sans contrepartie d'une participation -fût-elle symbolique- des nouveaux "assurés", tout cela installe ces bénéficiaires de la solidarité dans la situation d'assistés.

M. Marcel Rogemont - Mieux vaut être assisté qu'exclu !

M. Jean-François Mattei - D'ailleurs, des désaccords sont survenus à ce propos entre le Gouvernement et le rapporteur. Ce dernier souhaitait en effet la suspension du versement des prestations en nature de l'assurance maladie si la mauvaise foi de l'assuré était avérée. La ministre lui a opposé que subordonner le versement des prestations au paiement préalable des cotisations serait contraire à l'esprit même de la CMU. Je rends pour une part hommage au rapporteur.

M. Maxime Gremetz - Non, il n'a pas été bon, là !

M. Jean-François Mattei - En passant d'une logique de redistribution des ressources à une logique de discrimination positive à l'égard des groupes sociaux en situation d'exclusion, on compose un nouveau modèle social. Je me demande même si, par une législation comme celle-ci, le Gouvernement ne conforte pas un nouveau contrat social, fondé sur l'acceptation tacite qu'un nombre toujours plus élevé de citoyens demeurent confinés dans un statut de second rang, consacré par des dispositifs spécifiques en matière d'accès à l'emploi, au logement et à la santé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

J'ajoute que le projet n'est pas gagé sur une économie mais sur une dépense supplémentaire financée par le recours aux fonds publics, et donc par les contribuables, ainsi que par une nouvelle taxation des contrats d'assurance complémentaire souscrits par les particuliers et les entreprises.

Notre deuxième désaccord concerne les chiffres sur lesquels se fonde ce projet.

Le financement prévu pour la CMU est de l'ordre de 9 milliards. Qui peut croire qu'avec 9 milliards à comparer aux 900 consacrés aux dépenses de santé, on peut changer radicalement la face des choses ? D'autant que sur ces 9 milliards, 5 existent déjà en provenance des départements ! Il est impossible d'entrer dans le détail des rouages que seule une forte culture technocratique est capable d'inventer. Ce qu'on comprend néanmoins, c'est que l'Etat va payer 1,7 milliard et que tout le mécanisme aboutit à une augmentation des prélèvements obligatoires, alors même que le chiffre de 9 milliards est manifestement sous-évalué puisqu'on a oublié les 150 000 personnes ne bénéficiant d'aucune couverture de base...

Mme la Ministre - Mais non !

M. Jean-François Mattei - Leur prise en charge représente environ 2 milliards, dont il n'est nulle part question. Je crains donc qu'il en aille de la CMU comme du RMI.

Sans compter ces 150 000 personnes non couvertes, la population concernée par le projet est officiellement de 6 millions, alors que, je le rappelle, un Français sur quatre, selon le CREDES, renonce à se soigner pour des raisons économiques, soit donc 15 millions de personnes. Cela fait donc 9 millions de personnes laissées de côté, ou même dont la situation sera aggravée (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Mme la Ministre - Il est difficile de prétendre cela !

M. Jean-François Mattei - Quant au panier de soins, il est estimé à 1 500 F. C'est d'ailleurs en multipliant ce coût par le nombre estimé, soit 6 millions, que le Gouvernement arrive à un total de 9 milliards, dont j'ai dit combien il me paraissait sous-estimé, comme ce coût annuel moyen de 1 500 F lui-même. Et d'ailleurs, devant la commission des affaires sociales, tous les représentants de la mutualité ont exprimé la crainte qu'il se révèle insuffisant. Des estimations plus réalistes conduisent à penser que le vrai coût moyen se situe plutôt autour de 3 000 F. Cela étant, il est difficile de chiffrer un panier dont on ne connaît pas le contenu... Reste qu'il devrait normalement correspondre aux 25 % des dépenses de soins non remboursées par la couverture de base. La dépense annuelle moyenne individuelle est de 12 000 F, 25 % de 12 000 F font 3 000 F : on retrouve ainsi la somme que j'ai citée et que personne ne conteste sérieusement...

Mme la Ministre - Si !

M. Jean-François Mattei - C'est d'ailleurs celle évoquée par M. Davant. D'aucuns, il est vrai, suggèrent que les "vieux qui coûtent cher" pourraient ne pas se retrouver dans les organismes complémentaires et que les jeunes "CMUistes", eux, coûtent moins que 1 500 F.

Au-delà de ces questions de chiffrage, certains experts pensent qu'une vraie prise en charge des exclus passe par d'autres voies que le financement à 100 % du profil de dépenses moyen.

Troisième motif de désaccord : les inévitables effets pervers du dispositif : effet de seuil et concurrence déloyale entre caisses, mutuelles et assurances.

Instruite par l'expérience des départements, Madame la ministre, vous auriez dû remplacer le système à seuil par un système en biseau qui aurait atténué les conséquences négatives du dispositif. La majorité souhaitait d'ailleurs un relèvement du seuil, et Médecins du monde a exprimé cet après-midi le même souhait.

Certaines personnes situées de peu au-dessus du seuil auront le souci, paradoxal, de gagner moins pour passer au-dessous, quitte à renoncer à quelques revenus très modestes. D'autres situées juste au-dessous seront évidemment préoccupées de ne pas échapper au dispositif protecteur. Et à l'intérieur d'une entreprise, les salariés à temps partiel pourront avoir la couverture complémentaire "sans cotisations" alors que les salariés à plein temps paieront la leur ! (Approbation sur les bancs du groupe du RPR)

Le seuil étant fixé à 3 500 F, on feint de constater que l'allocation adulte handicapé est à 3 540 F, le seuil de pauvreté à 3 800 F, et que ces personnes risquent d'être parmi les plus pénalisées.

Par ailleurs, malgré le dispositif de sortie prévu pour un an, comment ne pas craindre qu'une personne ayant des revenus d'assistance inférieurs à 3 500 F, et trouvant un petit travail rétribué pour un peu plus ne préfère continuer d'être assistée plutôt que de travailler ?

M. Alfred Recours, rapporteur - Les pauvres sont des fainéants.

M. Jean-François Mattei - Un tel dispositif est dissuasif au regard de l'emploi et du travail dans bien des cas, et souligne le rétrécissement de l'écart entre le revenu disponible de certains bénéficiaires de minima sociaux, et celui perçu par les salariés les plus faiblement qualifiés ou travaillant à temps partiel. Le retour à l'emploi ne se traduit pas nécessairement par un gain net de pouvoir d'achat, compte tenu des pertes possibles de prestations sociales sous conditions de ressources et de l'augmentation des prélèvements induits.

D'après les calculs de la Prévision de Bercy, pour un Rmiste, le gain marginal de retour à l'emploi immédiat est de 9 F par heure. C'est bien faible au regard de la tentation que représente le travail clandestin. Prendre un emploi, même faiblement rémunéré, c'est perdre des prestations attribuées sous conditions de ressources, verser des cotisations sociales, voire être imposable, et dans certains cas, enregistrer une diminution du revenu disponible.

Cet effet de seuil est particulièrement marqué au sein du régime des professions indépendantes, où les ressources déclarées sont particulièrement faibles, et le coût de la couverture complémentaire plus élevé en raison du taux de remboursement moindre du régime de base.

Un dispositif tel que la CMU constitue donc une véritable trappe à pauvreté et aggrave encore la logique d'assistance qui sous-tend le texte. Comment ne pas parler d'une nouvelle forme d'injustice quand les actifs sont parfois plus mal traités que les inactifs ? Quand, par exemple, un salarié au SMIC serait moins bien remboursé qu'un inactif ? Comment ne pas regretter qu'on n'ait pas cherché plutôt l'incitation à l'activité plutôt que vers l'assistance ?

J'ajoute, et M. le rapporteur dont j'ai suffisamment souligné l'implication dans le projet me le pardonnera que je suis stupéfait de son amendement destiné à gommer pour partie l'effet de seuil, et ainsi libellé : "Au sein de ce fonds, les organismes peuvent créer un fonds d'accompagnement... Les modalités d'intervention de ce fonds sont déterminées par le conseil d'administration prévu à l'alinéa précédent". Implicitement, ce "fonds du fonds", alimenté par les contributions volontaires d'assurance complémentaire devrait prendre en charge les dépenses découlant du relèvement du seuil que le Gouvernement a refusé d'accepter... Il serait utilisé selon les directives données par le conseil d'administration de l'établissement public dont la majorité appartient à l'Etat. Inconscience ou humour, le rapporteur soutient que cet amendement contribue à conforter ce qu'il appelle la "lecture partenariale" du projet de loi (Exclamations sur les bancs du groupe DL).

En fait, au-delà de la "lettre de l'amendement", celui-ci se rattache à deux autres questions. D'une part, il viserait à gommer, en intégrant le dispositif dans le fonds volontaire, l'illégalité que représente l'obligation de vente à perte figurant aujourd'hui dans le texte, s'agissant de la couverture obligatoire, à un prix fixé par l'Etat, pendant un an, des personnes ne relevant plus de la loi.

D'autre part, il aurait aussi pour objectif de créer une fausse symétrie entre l'effort réalisé par les complémentaires pour corriger les effets de seuil, et ceux que les caisses primaires se prépareraient à effectuer de leur côté, pour "fidéliser", si l'on peut dire, leur "nouvelle population" à partir notamment des quelque 500 millions de francs prélevés sur leurs crédits d'action sociale.

Au total, il semble ahurissant que ce soit une majorité de gauche qui installe en France un système que nous avons toujours, nous les premiers, critiqué et condamné aux Etats-Unis. Des soins gratuits pour la catégorie des exclus, des assurances payantes pour ceux qui, à l'autre bout de la chaîne, peuvent assumer des cotisations élevées, et entre les deux, les classes moyennes, je serais tenté de dire... les "travailleurs", pour reprendre un vocabulaire bien connu, qui seront précarisées. Médecins sans frontières a estimé que ce texte fabriquerait de nouveaux exclus.

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur - Qu'avez-vous fait dans vos départements ?

M. Jean-François Mattei - La concurrence déloyale entre les différents acteurs est un autre effet pervers. Il repose d'abord sur la confusion des genres entre l'assurance de base et l'assurance complémentaire. Nous avons cru qu'enfin vous franchissiez le pas pour établir une véritable concurrence entre les différents secteurs public, mutualiste et assurantiel placés devant les mêmes tâches. Il nous a fallu déchanter. La CNAM gardera l'exclusivité de la couverture de base, mais entrerait en concurrence pour l'assurance complémentaire. Or cette concurrence sera déloyale.

Le guichet unique représente, c'est vrai, un avantage pour ceux qui, dans la difficulté, souhaitent échapper aux dédales administratifs, ainsi que pour ceux qui les aident, travailleurs sociaux et associations. Mais le guichet unique étant celui de la caisse d'assurance maladie, on voit mal celle-ci orienter les gens vers les mutuelles ou les assurances privées, bien qu'elles soient en principe partie intégrante du système.

Plus grave -et sans doute non conforme à la Constitution- le fait que les dépenses excédant les 1 500 F du panier seront remboursées aux caisses au franc le franc par l'Etat, alors que mutuelles et assurances devront en assumer le coût par leurs propres moyens, et donc le répercuter sur leurs cotisants. Cette disposition atteint d'ailleurs davantage encore les mutuelles dont l'activité est exclusive dans le champ concerné.

Cette concurrence déloyale est encore accentuée par le prélèvement de 1,75 % effectué sur le chiffre d'affaires des mutuelles et assurances, ce qui conduit les mutualistes ou assurés à payer deux fois, une fois comme contribuables et une autre fois comme cotisants. A cet égard, il y aura un effet pervers sur l'emploi, du fait de l'alourdissement des charges des entreprises et des effets de seuil créés. L'alourdissement du coût des contrats entraîne une aggravation des prélèvements qui agit contre l'emploi et paradoxalement favorise l'exclusion en effet boomerang !

Il y a donc bien une véritable rupture d'égalité dans la concurrence entre les différents partenaires.

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - C'est vraiment une loi dégoûtante !

M. Jean-François Mattei - Enfin, il y aura les conséquences politiques dont je crains qu'elles ne reproduisent le scénario de l'arroseur arrosé. Une des conséquences de votre projet sera un véritable effet "d'éviction" au détriment des mutuelles : le Gouvernement a complètement sous-estimé cette réalité que nombre de bénéficiaires de la CMU cotisent aujourd'hui à une mutuelle et bénéficient, souvent à des tarifs adaptés, d'une couverture "à titre payant". Certes, ce phénomène concerne peu les mutuelles de fonctionnaires, interlocuteurs privilégiés des auteurs du projet. Mais il est avéré pour les mutuelles interprofessionnelles à implantations locales. Sans qu'on puisse le chiffrer très précisément, il semble qu'une proportion de leurs mutualistes supérieure à 20 % pourrait être concernée par ce phénomène.

D'autre part, il y a le cas des mutuelles gérant le "régime étudiant" de la sécurité sociale. On ne saurait exclure que le jeu des conditions de ressources de droit commun ne conduise à une transformation des mutuelles étudiants en "CMUistes" complémentaires.

Une telle évolution serait choquante. Elle aboutirait, comme le redoute le directeur de la CNAM lui-même, à ce que demain le régime de base soit soumis à des conditions de ressources, comme vous l'avez fait pendant un an pour la politique familiale, car en faisant peser sur le budget de la santé une dépense incontrôlée, on risque de déstabiliser encore plus un système déjà fragilisé. Dans un premier temps, l'Etat, en raison de ces effets pervers, va devoir assumer de plus en plus la charge de l'assurance maladie, puisqu'il aura inventé un système qui conduit à la diminution progressive du rôle des mutuelles.

Mais je n'aurai pas rempli ma tâche si je m'en tiens à la seule critique de votre projet. Voici les pistes que nous suivrons si nous sommes amenés à assumer les responsabilités.

Mme la Ministre - Ce n'est pas pour tout de suite !

M. Jean-François Mattei - La réforme de la sécurité sociale est urgente. Michel Mougeot, dans son rapport sur la "régulation du système de santé" résume parfaitement les objectifs : "Un système de santé vise trois objectifs parfois difficilement conciliables. Il se doit, tout d'abord, de fournir des soins de qualité, accessibles à tous, quelle que soit leur situation du risque maladie. Enfin, et il s'agit d'un objectif relativement nouveau, il doit être le moins coûteux possible". La réforme de la sécurité sociale doit aussi concilier liberté et responsabilité.

Si le Gouvernement n'était pas prêt pour une réforme d'ensemble, et pour traiter le seul problème de la précarité, vous aviez au moins deux manières simples de procéder, et sur ces chemins nous vous aurions probablement suivi : solvabiliser la demande et préférer le contrat à la loi.

Si l'Etat veut aider ceux qui n'ont pas les moyens d'accéder à une couverture complémentaire, pourquoi ne prend-il pas à sa charge tout ou partie de leur cotisation à un contrat mutualiste ou d'assurance ? C'est ce que le gouvernement Barre avait fait en matière de logement, en créant "l'aide personnalisée au logement", qui n'a jamais été remise en cause depuis. Pourquoi faudrait-il, en santé, réglementer à la fois l'offre de services, son prix et son financement ? Cela conduira inévitablement à cloisonner l'offre de soins. Une "aide personnalisée à la santé", en fonction des revenus et des charges de famille, aurait facilité la généralisation de la couverture complémentaire sans créer d'effet de seuil et sans cloisonner (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et sur quelques bancs du groupe du RPR). Elle n'aurait pas non plus été discriminante comme l'est votre dispositif qui distingue entre les CMUistes et les autres !

Deuxième orientation, préférer le contrat à la loi. La concertation préparatoire, menée avec talent par J.C Boulard, avait abouti à une solution contractuelle et consensuelle : la fameuse "solution n 3". Mais la solution proposée au Parlement s'en écarte radicalement puisqu'elle met en concurrence les organismes complémentaires avec les caisses, qui ne prendront aucun risque puisque les prestations leur seront intégralement remboursées par le fonds que crée la loi. Lorsque des organismes qui assument un risque sont en concurrence avec d'autres qui n'en prenne aucun, on ne peut parler de solution équilibrée ou de logique partenariale.

Puisqu'un accord avait été trouvé fin février entre la CNAM, les mutuelles et les assureurs privés qui ne souhaitaient pas se livrer à une surenchère sur le marché de l'assurance complémentaire, pourquoi fallait-il une loi ? Il est dommage que le Gouvernement n'ait finalement pas tenu compte de cet accord, après en avoir été tenté, semble-t-il. Il a préféré une conception dirigiste qui augure mal d'autres dossiers. Certes, une partie de l'une des familles d'organismes complémentaires, peut-être plus sensibles à la protection de l'emploi qu'au social, aurait pris ses distances avec le consensus recueilli. Mais était-ce une raison pour tout changer ?

Vous n'avez donc retenu ni la solvabilisation, ni le contrat. Nous vous proposons une troisième solution, celle d'un régime universel d'assurance maladie qui serait plus juste, plus efficace et plus économe. Elle trouverait place dans une réforme plus vaste dont la logique est moins étatique et moins compliquée que la vôtre. Son principe serait simple, à savoir que "l'assurance maladie doit devenir universelle, donc obligatoire, et que son affiliation repose sur un critère de résidence".

Dès lors, l'Etat créerait un régime universel d'assurance maladie fondée sur la solidarité nationale, dont le financement serait assuré par la CSG et les taxes spécifiques. On associerait ainsi les avantages de la simplicité, de la justice et de la non-discrimination.

L'Etat fixerait les objectifs sanitaires, définirait les obligations, apprécierait les coûts et déterminerait le budget. En un mot, il définirait une véritable politique de santé pour le pays.

Il garantirait le devoir d'égalité en fixant un cahier des charges rappelant notamment le caractère obligatoire de l'assurance maladie, l'obligation de la non-sélection des risques, de la non-discrimination des patients, du remboursement au premier franc, enfin, le principe de l'égalité devant les soins.

Il garantirait également l'exigence de qualité en accréditant les organismes et en évaluant leur action.

Au total, l'Etat garantirait la solidarité, collecterait les fonds de manière équitable, achèterait des soins, répartirait les sommes aux différents opérateurs, et veillerait au bon fonctionnement du système.

Les assurés, quant à eux, auraient le libre choix de leur organisme, public, mutualiste ou assurantiel. Cette concurrence améliorerait l'efficacité de la production des soins. La concurrence serait double, entre offreurs de soins, d'une part, et entre assureurs, d'autre part.

Pourquoi un tel système ne serait-il pas possible ? Le principe constitutionnel selon lequel la Nation garantit à tous la protection de la santé n'oblige nullement à une gestion monopolistique du système de santé. Il pose seulement que l'accès aux soins ne doit pas dépendre de la capacité financière des individus. Il faut bien distinguer le droit à la santé qui est un droit aux soins, des financements permettant de l'assurer et, enfin, de la gestion.

Un tel régime assurerait la couverture d'un "panier de soins" défini par l'Etat et financé par la CSG.

Pour les plus démunis, l'Etat devrait soit assurer la prise en charge du ticket modérateur, soit, mieux encore, accorder une aide personnalisée à la santé à titre complémentaire, ce qui supprimerait les effets de seuil.

Vous l'avez compris, pour nous, il s'agit de repenser plus complètement le rôle de l'assurance maladie qui devrait répondre aux trois critères définis par Michel Mougeot, à savoir offrir à tous des soins de qualité dans des conditions équitables, au moindre coût, à qualité égale, grâce à la concurrence et sous le contrôle de l'Etat. Un tel projet, qui ferait de l'Etat un garant et non pas un gestionnaire, irait dans le sens de l'histoire et serait conforme aux normes européennes.

J'avoue ne pas comprendre, alors que le système actuel est en échec, pourquoi vous refusez l'idée même d'en expérimenter un autre. Pourquoi refuser une expérience de délégation de gestion du risque s'inscrivant dans le cadre du service public de la Sécurité sociale, respectant la solidarité entre les cotisants et le cadre légal des prestations fixées par l'Etat ? Nous saurions ainsi si un autre opérateur que l'Etat est à même de le faire.

Je réserve cette discussion pour le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale à l'automne, mais ma conviction, qui a été longue à se forger, est que désormais il nous faut changer de système. Plusieurs expériences européennes plaident en faveur de cette proposition.

En Suisse, la loi fédérale sur l'assurance maladie du 18 mars 1994 correspond à ce schéma.

Aux Pays-Bas, la collecte des primes effectuée par l'Etat sur une base fiscale uniforme a été séparée de l'activité d'assurance.

En Allemagne, diverses réformes structurelles ont été entreprises. Chacun peut choisir sa caisse selon les prestations et les cotisations et en changer librement. Les distorsions de concurrence existantes ont été supprimées et un mécanisme de péréquation des risques a été prévu.

Ces différents pays, qui ne sont pas connus pour être des thuriféraires d'un libéralisme à tout crin, ont donc déjà engagé des réformes structurelles profondes. La France, au moment où l'Europe franchit une nouvelle étape, ne peut être la dernière à s'accrocher à des conceptions qui ont eu leur heure de gloire mais qui sont aujourd'hui dépassées.

Il est temps de redéfinir les rôles de chacun des acteurs.

L'Etat doit se recentrer sur ses missions. Il conduit la politique de santé publique, en particulier de prévention et de sécurité sanitaire ; il définit les objectifs et les actions prioritaires ; il veille à la qualité de la formation des professionnels de santé ; il fixe les normes d'équipement ; il accrédite et évalue ; il garantit justice et solidarité.

Les citoyens doivent être responsabilisés et doivent pour cela avoir toute liberté de choix dans un cadre contractuel.

Les professionnels de santé doivent se concentrer sur l'exercice de leur métier sans se sentir contraints par l'autorité de l'Etat. Ils doivent aussi pouvoir choisir les obligations contractuelles auxquelles ils consentent librement.

Les organismes offreurs de soins doivent, pour leur part, veiller à satisfaire les obligations fixées par l'Etat et répondre à la demande des citoyens.

Votre projet, empreint de bonnes intentions que nous approuvons -ce sont aussi les nôtres- se fonde malheureusement, à mes yeux, sur une philosophie qui n'est pas la nôtre -l'avenir dira qui de nous a raison-, sur des estimations chiffrées irréalistes et des mécanismes non dénués d'effets pervers. Au total, si son intention est généreuse, sa réalisation n'est guère prometteuse.

Nous ne pouvons donc l'accepter. C'est pourquoi je vous demande d'adopter cette question préalable car ce texte ne répondant pas aux objectifs qu'il s'était fixés, il n'y a pas lieu de délibérer (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur - M. Mattei a été quelque peu confus s'agissant des chiffres (Protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR), incertain du moins. Il ne faut pas confondre le coût du dispositif pour le régime général et pour l'Etat. Pour ce dernier, le coût brut s'élève à 10,9 milliards et le coût net à 1,7 milliard puisque doivent être retranchés 8,7 milliards d'imputations sur la DGD et 0,4 milliard d'aide médicale gratuite accordée par l'Etat aux SDF, somme qui sera désormais intégrée dans la CMU. Le coût pour le régime général s'élève, quant à lui, à 980 millions de francs dont 600 millions pour les 150 000 personnes aujourd'hui sans couverture maladie et 300 millions pour la baisse des cotisations.

S'agissant du coût moyen de la couverture complémentaire, le montant de 1 500 F n'a pas été déterminé de façon technocratique -encore que s'appuyer sur des données techniques plutôt que sur des slogans n'est pas toujours inutile. C'est l'évaluation de la FNMF sur la base d'un "panier de soins" donné ! 1 200 F correspondent au forfait hospitalier ; 300 F ont été ajoutés pour les soins aujourd'hui mal remboursés -optique et soins bucco-dentaires. Ce montant a été accepté par les compagnies d'assurances dans un protocole d'accord qui a failli être signé.

On nous reproche de vouloir faire payer les régimes complémentaires. Mais ils ont accepté cette contribution, et certains même à un taux supérieur à 1,75 %. Dès lors qu'ils prétendent au monopole de la couverture complémentaire, il faudra bien aborder la question de l'extension de cette dernière et prévoir des fonds de compensation entre les régimes.

Un amendement adopté par la commission en ouvre la voie.

M. le Président - Nous en arrivons aux explications de vote.

M. Jean Bardet - M. Mattei a défendu la question préalable avec talent et il n'y a pas grand-chose à ajouter à son exposé.

On nous dit que les 150 000 à 200 000 personnes qui n'ont pas accès aux soins aujourd'hui pourraient y accéder grâce à la CMU. Mais, on le sait bien, le problème n'est pas seulement financier. Certains malades, socialement marginalisés, ayant perdu toute notion d'un horaire, ne parviennent pas à respecter un traitement. Tous les médecins savent bien que l'on ne peut pas prescrire des antivitamines K à n'importe qui ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Quant à dire que les seuils existaient déjà auparavant, l'argument est un peu court.

Mme Odette Grzegrzulka - Que proposez-vous ?

M. Jean Bardet - Vous prenez l'exemple du département de M. Barrot. S'il est votre maître à penser sur le social, adoptez donc l'AMU (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Heureusement, Jean-François Mattei vous a donné quelques pistes pour éviter les seuils.

S'agissant du coût, chacun a ses chiffres. Le Gouvernement assure qu'on ne dépassera pas 9 milliards. La presse parle de 9 à 15 milliards, certains qui ne sont pas les moins compétents avancent 25 milliards. Mme la ministre a eu l'honnêteté -la naïveté- de parler de développement à venir. Les 9 milliards seront dépassés.

Enfin, ce projet comporte un cavalier législatif pompeusement intitulé "modernisation sanitaire et sociale". Reprendre les dispositions que le Conseil d'Etat a annulées, empêcher les hôpitaux de donner des renseignements sur la santé, est-cela la modernisation ?

Le groupe RPR votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF).

M. Jean-Pierre Foucher - Bien entendu nous sommes favorables à l'objectif d'assurer la santé par la solidarité. Mais le projet que vous proposez aggrave au contraire les inégalités. Il instaure une assistance systématique, avec des effets pervers, notamment en raison du seuil et destabilisera les mutuelles. Le groupe UDF votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Maxime Gremetz - M. Mattei s'est exprimé avec passion et avec talent. Mais notre philosophie diffère de la sienne. Par exemple, il parle de dignité. Elle ne s'achète pas avec quelques francs. La dignité, c'est le droit au travail, le droit au savoir, à la culture, le droit de ne pas vivre à genoux (Applaudissements sur tous les bancs). L'accès aux soins ce n'est pas de l'assistance. Les gens qui ne peuvent pas se soigner perdent leur dignité.

Des seuils, bien entendu il en existera toujours. Mais je préfère qu'ils soient le plus élevés possible, et d'après l'INSEE, 3 800 F, c'est le seuil de pauvreté. Cela me gênerait beaucoup que les bénéficiaires de la CMU ne soient pas aussi bien traités que les adultes handicapés.

M. Denis Jacquat - D'accord.

M. Maxime Gremetz - Cela coûte cher, 2 milliards dit-on. Mais, nous proposons de prendre 0,5 % sur les revenus financiers. Ce n'est pas beaucoup et la question des seuils serait régler. Mme Fraysse-Cazalis présentera nos autres propositions pour atténuer les effets de seuil.

Il faut réformer et moderniser la sécurité sociale, nous sommes d'accord. Là où nous sommes en désaccord c'est pour savoir qui paye. Quelle sera l'assiette des cotisations ? Va-t-on proposer d'élargir la CSG ? C'est prendre sur les revenus des ménages alors que les entreprises ne payent rien. Sur ces questions de financement, le débat sera passionnant.

Le groupe communiste ne votera pas la question préalable.

M. Pascal Terrasse - Nous avons écouté avec attention M. Mattei. Loin de nous convaincre, il a semblé lui-même peu convaincu. Véritablement le fossé est de plus en plus large entre la conception qu'il défini et la réalité sociale. A quoi bon les belles intentions si l'on refuse toute avancée concrète ?

Aujourd'hui de plus en plus de Français sont exclus des soins. Quatre personnes sur dix ressentent un fort sentiment d'insécurité sociale, un Français sur quatre a déjà renoncé à se soigner faute de moyens et 15 % de la population n'a pas de couverture complémentaire maladie. La CMU garantit le droit aux soins pour tous et une protection complémentaire de qualité aux plus démunis, ainsi que la dispense d'avance de frais. Ce principe de droit commun pour tous est le seul qui assure la dignité par la solidarité. La suppression de l'aide médicale départementale et de l'assurance personnelle s'inscrivent dans cette perspective.

Naturellement nous souhaitons que la protection complémentaire évolue vers le droit commun, et relève donc de la responsabilité des organismes complémentaires eux-mêmes. C'est l'intérêt même des bénéficiaires de la CMU.

On prétend que la CMU opposera régimes obligatoires et organismes complémentaires : non.

Les caisses d'assurance maladie géreront la couverture complémentaire par délégation de l'Etat, comme elles gèrent déjà aujourd'hui l'aide médicale départementale par délégation des départements qui l'ont souhaité et l'aide médicale d'Etat par délégation de l'Etat.

Il y aura d'autant moins modification des frontières entre la Sécurité sociale et les organismes complémentaires que ces derniers, et notamment la mutualité, favoriseront la prise en charge des plus démunis. Il y a là un enjeu essentiel pour la mutualité et il dépend d'elle d'y faire face avec succès.

La CMU peut également enclencher une dynamique sociale. Elle n'est pas une nouvelle loi pour les pauvres, mais une amélioration pour tous de la protection obligatoire et complémentaire maladie.

M. Mattei a évoqué MEDICAID. Mais la CMU n'est pas un deuxième niveau de Sécurité sociale qui bloquerait toute possibilité d'améliorer la protection sociale pour tous. Les services pour les pauvres demeurent toujours de pauvres services, disent les Anglo-saxons, qui en ont une certaine expérience.

Il faut bien sûr améliorer aussi la protection maladie de tous les assurés sociaux.

La CMU doit s'accompagner de ce point de vue de mesures visant à l'égalité. C'est le sens de nos propositions concernant l'élargissement de la dispense d'avance de frais ou la généralisation de la non-sélection des personnes et des risques, ou de celles que nous formulerons dans le cadre du PLFSS pour l'an 2000, concernant l'amélioration de certaines prestations et la modification de l'assiette patronale des cotisations de Sécurité sociale. C'est là le plus sûr moyen de conforter le système de solidarité et de combattre les effets de seuil.

En revanche, accroître le nombre de personnes susceptibles d'être concernées par la CMU en relevant le plafond de ressources au-delà de 3 500 F, ne ferait que reporter ces effets de seuil et risquerait de bloquer toute évolution d'ensemble de la protection sociale maladie.

Le groupe socialiste ne votera pas la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce mercredi 28 avril, à 15 heures.

La séance est levée à 0 heure 30.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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