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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 88ème jour de séance, 221ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 28 AVRIL 1999

PRÉSIDENCE DE M. Laurent FABIUS

          SOMMAIRE :

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 1

    INCENDIE CRIMINEL EN CORSE 1

    INCENDIE CRIMINEL EN CORSE 3

    RÉFUGIÉS DU KOSOVO 4

    ELF-AQUITAINE 5

    ELF-AQUITAINE 6

    INCENDIE CRIMINEL EN CORSE 6

    ASSURANCES EN CORSE 8

    POLYNÉSIE FRANÇAISE 8

    ACCORD ITALO-ALLEMAND SUR LES TÉLÉCOMMUNICATIONS 9

    INCENDIE CRIMINEL EN CORSE 9

CONVENTIONS INTERNATIONALES 10

    ACCORD FRANCE-MOLDAVIE SUR LES INVESTISSEMENTS 10

    ACCORD FRANCE-INDE SUR LES INVESTISSEMENTS 10

    ACCORD FRANCE-LIBAN SUR LES INVESTISSEMENTS 10

    CONVENTION INTERNATIONALE POUR LA RÉPRESSION DES ATTENTATS TERRORISTES À L'EXPLOSIF 10

    CONVENTION D'ENTRAIDE JUDICIAIRE FRANCE-HONG KONG 10

    TRAITÉ D'AMITIÉ ET DE COOPÉRATION FRANCE-GÉORGIE 10

COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE (suite) 10

La séance est ouverte à quinze heures.


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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

INCENDIE CRIMINEL EN CORSE

M. José Rossi - Ma question s'adresse au Premier ministre. Je voudrais la poser avec beaucoup de gravité, mais non en termes d'affrontement (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Christian Bataille - On compte sur vous !

M. José Rossi - Hier nous avons eu ici un débat parfaitement responsable, où vous avez pu constater notre volonté de nous rassembler très largement, au-delà des clivages politiques, autour du Président de la République et de vous-même pour défendre des objectifs communs dans le conflit du Kosovo, où nous sommes engagés.

Si j'évoque le dossier corse qui nous interpelle aujourd'hui, ce n'est pas seulement en tant qu'élu de cette île, mais aussi en tant que président d'un groupe politique, de membre de l'opposition et de membre de l'Assemblée nationale tout simplement ; je le fais avec la détermination de trouver ensemble une solution républicaine au problème corse, qu'aucun gouvernement, hélas, ni de droite ni de gauche, n'a jusqu'ici réussi à résoudre.

Même si votre Gouvernement a manifesté, après l'odieux assassinat du préfet Erignac, une volonté nouvelle de vous attaquer au problème de la sécurité en Corse, le constat est là : les assassins n'ont pas été retrouvés, d'autres crimes importants sont restés impunis, la violence continue à se manifester, y compris par des attentats contre la gendarmerie, à laquelle je veux rendre un hommage appuyé pour son courage -ce n'est pas de celle-là qu'il est question aujourd'hui ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

Si nous vous interrogeons aujourd'hui, c'est parce que d'autres vous ont interrogés avant nous. Il suffit de regarder la presse. Le Figaro titre : "Le Gouvernement dans le séisme corse", Le Parisien : "Le fiasco corse", Le Monde parle de "l'enquête qui accable les gendarmes".

Certes, vous n'avez pas toutes les réponses aujourd'hui, Monsieur le Premier ministre : l'enquête exigera du temps. Mais nous constatons avec satisfaction que la justice s'est très rapidement emparée de ce dossier, avant même qu'aucun responsable politique et qu'aucun journaliste ne se manifeste. C'est elle qui, sur la base d'un rapport de gendarmerie et d'une inspection, a lancé le processus qui doit conduire les responsables politiques à s'exprimer avec la plus grande transparence.

Aujourd'hui de fortes présomptions pèsent sur certains éléments de la gendarmerie (La question ! sur les bancs du groupe socialiste) qui auraient agi de façon illégale, voire criminelle.

S'agit-il d'une initiative isolée ou bien de l'exécution d'un ordre, ce qui entraînerait une responsabilité administrative au sommet de l'Etat et une responsabilité politique au sein du Gouvernement ?

Nous respectons trop la gendarmerie pour imaginer qu'elle ait pu agir sans en avoir reçu l'ordre et sans en informer sa hiérarchie. Si toutefois les présomptions qui pèsent sur les hommes aujourd'hui incarcérés n'étaient pas fondées, il appartiendra à la justice de démontrer, avec plus de succès que dans d'autres affaires, qu'on peut retrouver les criminels et les sanctionner (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Lionel Jospin, Premier ministre - En Corse, un peloton de gendarmerie fait l'objet d'une enquête judiciaire. Le ministre de la défense, le Garde des Sceaux, le ministre de l'intérieur pourraient donc répondre à vos questions. Mais compte tenu de la gravité de l'événement, je commencerai par le faire moi-même.

Quels sont les faits ? Dans la nuit du 19 au 20 avril, un restaurant installé dans le domaine publique maritime a été détruit par un incendie. Ce bâtiment, construit sans autorisation (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR), comme beaucoup d'autres, devait, en application d'une décision de justice intervenue en 1995, être démoli, après sursis à exécution, à la fin de la saison estivale. Si je le précise, c'est parce qu'il en va, ici aussi, du respect de l'Etat de droit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Les circonstances de la destruction de ce bâtiment ont conduit les autorités judiciaires à écrouer plusieurs officiers et sous-officiers de la gendarmerie nationale, dont des membres du groupement de pelotons de sécurité, dit GPS, qui se trouvaient à ce moment-là à proximité de l'établissement et pourraient être impliqués dans sa destruction.

Il faut préciser que c'est une unité de gendarmerie qui a découvert les faits et les a communiqués à la justice. Si l'enquête les confirmait, il s'agirait à l'évidence d'une atteinte à l'Etat de droit. Mais la suite des événements confirme l'existence de l'Etat de droit puisque une enquête judiciaire a été immédiatement diligentée (Protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR) et des responsables entendus et mis en cause. Les services de l'Etat agissent bien en Corse sous le contrôle strict de la justice (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV ; exclamations sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

Il s'agit bien d'une affaire de l'Etat puisque certains de ses services sont mis en cause, mais ce n'est pas une affaire d'Etat (Exclamations sur les bancs du groupe UDF) car aucun des responsables politiques de l'Etat, aucun des ministres de ce Gouvernement n'est intervenu, de quelque façon que ce soit, dans ces événements, je vous le confirme Monsieur Rossi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) Il en va de même du Garde des Sceaux en ce qui concerne l'enquête judiciaire.

Cela ne veut pas dire que l'Etat, et le Gouvernement en particulier, ne doivent pas prendre toutes leurs responsabilités ("Ah !" sur les bancs du groupe UDF). Outre l'enquête judiciaire, et à la lumière de celle-ci, des sanctions seront prises à l'encontre de tous ceux, quelque soit leur niveau, qui ont une responsabilité dans les erreurs commises (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Deux enquêtes administratives sont lancées : l'une dirigée par un inspecteur général placé auprès du ministre de l'intérieur, mais à caractère interministériel, portera sur les services administratifs de l'Etat ; l'autre, conduite par un inspecteur général des armées, concernera la gendarmerie et plus particulièrement le GPS. Le ministre de la défense a en outre décidé la suspension du commandant de la légion de Corse et des officiers concernés par l'enquête judiciaire : ils seront remplacés par d'autres officiers (Exclamations sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR) de façon à assurer la continuité du service (Pitoyable !sur les bancs du groupe du RPR).

A l'issue de ces enquêtes, nous verrons s'il est souhaitable ou non de maintenir la structure particulière du GPS (Exclamations sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF). Je rappelle qu'elle était justifiée, au moment de sa création, par le contexte exceptionnel de l'époque -dois-je rappeler qu'on a assassiné un préfet en Corse, que des menaces ont été proférées contre des personnalités et des exactions commises ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste)

Compte tenu de ce qui vient de se produire, cette structure doit faire l'objet d'un réexamen d'urgence. Mais puisque vous avez évoqué la gendarmerie, je vous ferai observer que l'enquête a été confiée par la magistrature à d'autres structures de ce corps, l'inspection technique et la section de recherches judiciaires, ce qui montre que l'autorité judiciaire ne manifeste aucune défiance envers lui. Le Gouvernement affirme, pour sa part, la même confiance (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Toute cette affaire démontre, en vérité, à quel point il est difficile d'agir en Corse, et le problème qui se pose aujourd'hui ne se poserait pas si certains ne recouraient pas systématiquement à la violence contre la loi républicaine (Mêmes mouvements). L'objectif de la politique du Gouvernement est de rétablir l'État de droit dans le cadre de la République, sans aucunement stigmatiser les Corses, que j'aime et respecte (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), mais en luttant contre les activités criminelles et mafieuses, afin d'assurer le développement économique, social et culturel de l'île (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). C'est cette politique que mène le préfet Bonnet, qui a accepté cette mission, dois-je le rappeler ? après que son prédécesseur eut été assassiné. Les moyens que nous employons sont ceux de l'État de droit et seulement ceux de l'État de droit, au-delà des fautes et des dysfonctionnements sur lesquels nous entendons faire toute la lumière.

Je veux souligner, en conclusion, l'extrême difficulté de la tâche des autorités administratives, des services de police et de gendarmerie de l'île, et je souhaite que l'on n'oublie pas les mitraillages de gendarmeries, les atteintes aux bâtiments militaires et civils, les menaces proférées contre les personnes. Je partage la rigueur des exigences formulées à l'égard des services de l'Etat, mais je ne voudrais pas qu'elle s'accompagne de fatalisme ou de complaisance à l'égard de ceux qui utilisent la violence pour transgresser constamment la loi (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Je redis, sans polémique aucune, à l'ensemble des forces politiques, que les circonstances ne sont pas pour nous une occasion d'affaiblir, comme certains peuvent l'espérer en Corse, l'État de droit, mais au contraire une raison de le renforcer (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

INCENDIE CRIMINEL EN CORSE

M. Bernard Grasset - Un climat passionnel, souvent teinté de démagogie et d'hypocrisie, entoure la mise en examen de hauts responsables de la gendarmerie nationale pour "destruction de biens appartenant à autrui en bande organisée". Une information judiciaire est ouverte, et malgré le principe de la séparation des pouvoirs, nous vous serions reconnaissants, Madame la Garde des Sceaux, de nous faire connaître les diligences que vous avez prises pour que la légalité soit rétablie et pour que les auteurs ou inspirateurs de ces faits criminels soient identifiés, afin de ne pas donner prise aux rumeurs qui s'étaient donné libre cours après l'assassinat du préfet Erignac (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Elisabeth Guigou, garde des Sceaux, ministre de la Justice - Comme vient de le rappeler le Premier ministre, la justice est saisie et les juges travaillent. Ils ne travaillent pas seuls, mais avec une équipe d'enquêteurs de la gendarmerie nationale, mobilisés dès le premier jour pour parvenir à la manifestation de la vérité. Cette enquête a été, est et sera conduite en toute indépendance, conformément à la loi et à la procédure pénales, sans que rien ne freine, détourne ou entrave l'action de la justice. J'en rappellerai brièvement les étapes.

L'enquête initiale a été ouverte sous l'égide du procureur compétent, celui d'Ajaccio, et a concerné trois services judiciaires de la gendarmerie nationale en Corse. Mardi 20, tout d'abord, la procédure a été confiée à la brigade locale et au centre de recherches d'Ajaccio. Puis, le surlendemain, de premiers doutes ont conduit le procureur à saisir la section régionale de recherches, qui dispose de moyens plus importants. Il est alors apparu nécessaire, à la suite d'investigations qui ont duré plusieurs heures, de poursuivre les recherches en direction de certains officiers supérieurs. Le procureur a saisi, le 23, l'inspection technique nationale de la gendarmerie, qui a procédé à des auditions sous le régime de la garde à vue, auditions qui ont conduit à la saisine, lundi 26, d'un juge d'instruction du tribunal d'Ajaccio. C'est sous la seule autorité de ce dernier que l'instruction judiciaire proprement dite se déroule désormais.

S'il y a eu mises en examen, c'est parce que le magistrat instructeur a jugé qu'il y avait suffisamment d'indices laissant présumer la participation de certaines personnes, comme auteurs ou complices, aux faits criminels constatés. Deux officiers de gendarmerie ont été mis en examen pour "destruction de biens appartenant à autrui en bande organisée", ainsi que le colonel commandant la légion de gendarmerie pour complicité des mêmes faits. Ces personnes ont été placées en détention provisoire, car il a paru important au juge de pouvoir procéder en toute sérénité aux vérifications, expertises et confrontations nécessaires. La prorogation de cette détention provisoire donnera lieu demain, à Ajaccio, à un débat contradictoire avec les défenseurs. La mise en examen d'une personne n'implique pas, bien entendu, sa culpabilité. Elle a paru nécessaire à ce stade, en l'espèce, pour garantir les droits des parties et le déroulement normal de la procédure.

En cette affaire, pourtant exceptionnelle, la justice agit rapidement, mais selon les règles habituelles du droit pénal et de la procédure pénale. Elle continuera dans cette voie sans entrave d'aucune sorte, en toute indépendance à l'égard de toute personne qui pourrait être concernée (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Parmi les règles de la procédure pénale figure notamment la présomption d'innocence : tant que les faits ne sont pas établis par la justice, nul ne peut ni ne doit être considéré comme coupable.

M. Laurent Dominati - Il ne s'agit pas des personnes, mais de la gendarmerie ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Mme la garde des Sceaux - Doivent également être respectés les droits de la défense et le secret de l'instruction, et je recommande donc à chacun de se défier des accusations malveillantes et des informations non vérifiées (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). La justice avance en toute indépendance et sans entrave. Il s'agit de montrer que l'État de droit s'applique en Corse comme ailleurs (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). S'agissant d'enquêtes judiciaires, cela n'a pas toujours été le cas dans le passé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV, protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

RÉFUGIÉS DU KOSOVO

M. Serge Blisko - Le drame que vivent des centaines de milliers d'habitants du Kosovo s'aggrave de jour en jour. Les images, les témoignages, les enquêtes font état de situations qui nous rappellent un passé tragique : on parle d'exécutions et de viols par milliers ! 600 000 albanophones sont réfugiés dans les pays limitrophes, déjà très pauvres, et 800 000 autres, chassés de leurs foyers, errent à l'intérieur du Kosovo même.

La France, comme d'autres pays d'Europe, a décidé d'accueillir des réfugiés, mais il restera des dizaines de milliers de personnes, qu'il faudra aider à regagner leur pays dès qu'aura été trouvée une solution politique. Il est donc vain d'opposer l'accueil et l'aide sur place. Quelle est, dans ces conditions, l'action du Gouvernement, ici et là-bas ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Charles Josselin, secrétaire d'Etat à la coopération - La réponse de la France à cette tragédie fut immédiate, et le Premier ministre a remercié, hier, tous ceux, médecins, militaires, sapeurs-pompiers, hommes et femmes de la sécurité civile et des ONG, qui luttent sur le terrain pour alléger les souffrances des réfugiés. Nos concitoyens eux-mêmes, dans un grand élan de solidarité et de générosité, ont massivement participé aux collectes organisées. Hier, un bateau, chargé bénévolement par les dockers de Marseille, est parti pour l'Albanie avec 12 camions contenant quelque 2500 tonnes de produits de première nécessité, et dont plus de la moitié de la cargaison provient des dons de familles françaises.

De son côté, le Gouvernement a débloqué 225 millions, dont 80 ont été dépensés pour un plan élaboré en coordination avec le HCR. Ce plan répond d'abord à l'extrême urgence humanitaire. Un pont aérien a permis d'acheminer 1 500 tonnes d'aides depuis le 25 mars.

Nous avons très vite orienté notre action vers l'installation de camps de réfugiés dont nous assurons la charge pour cinq d'entre eux, accueillant environ 20 000 réfugiés.

Nous agissons aussi pour réunir les familles disloquées. Une aide de 5 millions a été ainsi mobilisée en faveur de Radio-Kukës, de Télécom sans frontière, de la Croix-Rouge et de Radio-France, afin de collecter les informations.

Il importe à présent de passer de l'humanitaire au développement, donc d'aider à remettre en état des infrastructures telles que écoles ou dispensaires. Cet effort, en particulier en faveur de petites villes dont la population a doublé ou triplé, devrait mobiliser les collectivités locales françaises. En outre, nous avons décidé d'apporter une aide budgétaire à la Macédoine. Hier, à Washington, Dominique Strauss-Kahn a demandé au nom de la France que la Banque mondiale et le FME se coordonnent pour aider les pays riverains. Le Premier ministre, au cours de son voyage sur place vendredi et samedi, pourra préciser et compléter ce plan.

A la fin de la semaine, 2 000 réfugiés Kosovars auront été accueillis chez nous et auront bénéficié d'un bilan de santé avant d'être placés éventuellement dans des familles françaises. Tous veulent rentrer chez eux. Souvenons-nous que 85 % des réfugiés bosniaques sont retournés chez eux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

ELF-AQUITAINE

Mme Martine Lignières-Cassou - Le 19 mars, M. Philippe Jaffré, PDG d'Elf-Aquitaine, annonçait depuis Londres, sans en avoir informé au préalable son conseil d'administration, et avec des propos méprisants pour ses salariés, un plan de restructuration au sein de la société Elf-exploitation-production.

Le 16 avril, la direction annonçait officiellement le contenu du "plan de performance" : 1 500 suppressions d'emploi à temps plein. La réponse du Béarn est à la hauteur du mépris et de la méthode utilisés. Toute la population se mobilise. Quand un groupe affiche un bénéfice de 8 milliards en 1998, comment peut-il se permettre de sacrifier les hommes qui ont contribué à sa réussite au nom de la seule logique spéculatrice ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) Si Elf-Aquitaine fut une aubaine pour le Béarn, l'entreprise ne doit pas oublier son territoire d'origine. A ce jour sont en grève les salariés de Paris, Pau et Lacq. A la volonté des salariés de négocier, la direction oppose la menace de l'arrêt de la production à Lacq et refuse la moindre remise en question de son plan. L'Etat ne peut rester indifférent. Malgré la privatisation d'Elf-Aquitaine en 1993, contre laquelle les socialistes s'étaient élevés (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) comment l'Etat compte-t-il utiliser l'action spécifique qu'il détient ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - L'Etat n'est naturellement pas indifférent à ce qui touche à l'avenir économique de tout le Béarn. Il convient à la fois de relayer les attentes légitimes que vous exprimez et de nous assurer que l'industrie pétrolière française demeure l'une des premières du monde.

Cela suppose qu'Elf, comme naguère Total, renforce son pôle d'exploration-production, dans le cadre d'un plan de développement global. Le Gouvernement souhaite que cette démarche prenne la forme d'un dialogue constructif, patient et actif (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). J'ai mandaté l'ingénieur général des mines Boisson et l'inspecteur général de l'industrie Aubert pour me fournir rapidement un rapport circonstancié ("Ah !" sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). J'attends d'eux une analyse objective de la situation industrielle du Béarn et des propositions concrètes de développement des filières existantes. Le Gouvernement pourra intégrer cette réflexion dans la préparation du CIAT de juin prochain (Mêmes mouvements).

Elf a une dette à l'égard du Béarn. Le groupe doit renforcer son action de conversion. Les premiers contacts entre M. Boisson, la direction générale et bientôt les organisations syndicales, augurent bien du dialogue à venir. Enfin j'ai fait part au président de l'Institut français du pétrole de l'opposition du Gouvernement à la fermeture de l'antenne de Pau. Il faut examiner quels sont les métiers de recherche que l'IFP doit développer à Pau.

Soyez sûre que le Gouvernement est actif, et est pleinement solidaire avec la population du Béarn et ses élus (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

ELF-AQUITAINE

M. Jean Vila - Trop de grandes entreprises qui dégagent de super-bénéfices suppriment des emplois pour améliorer la valorisation boursière de leur actif. Elf illustre bien cette dérive. Elle vient de confirmer son intention de supprimer 2 000 emplois, dont 1 230 dans les services d'exploration-exploitation, ce qui conduira à supprimer des milliers d'emplois dans la région de Pau. Pourtant les coûts techniques d'Elf sont comparables, voire inférieurs à ceux de Total, souvent cité en exemple. Avec Elf, la maîtrise d'un secteur économique stratégique est en jeu. Le Gouvernement doit faire jouer son droit d'action spécifique. Il peut opposer son veto à une prise de contrôle par Shell, évoquée aujourd'hui ouvertement. Elf subit de plein fouet la domination des fonds de pension majoritairement anglo-saxons, dont l'exigence d'un retour rapide sur capital est incompatible avec un projet industriel. Il y a là un danger mortel pour nos grands groupes. IBM-France en fournit un exemple récent.

Pour combattre ces dérives, le groupe communiste a déposé une proposition de loi relative aux licenciements pour motif économique.

Il serait également possible d'envisager le développement de fonds d'épargne gérés démocratiquement et destinés à financer à long terme les entreprises favorisant l'emploi.

Comment le Gouvernement compte-t-il contrer toute OPA sur Elf, pour assurer le développement du groupe, sauver des emplois et garantir l'avenir de Lacq et de sa région ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste)

M. le Secrétaire d'Etat à l'industrie - Elf doit s'adapter, mais pas au prix de la disparition de la fonction exploration-production. Des négociations destinées à élaborer un plan social équilibré viennent de commencer, mais rencontrent des difficultés. Il faut débloquer la situation. Je souhaite que toutes les parties, en particulier l'une d'entre elles, acceptent de surmonter leurs divergences pour avancer.

L'action spécifique détenue par l'Etat doit être maintenue dans l'ensemble de ses caractéristiques.

Dominique Strauss-Kahn et moi-même l'avons récemment réaffirmé, il n'est pas dans nos intentions de remettre en question les actions spécifiques que nous avons défendues devant la Commission européenne. Je partage votre souhait de voir la logique industrielle l'emporter. S'il faut continuer à rechercher la rentabilité financière, il faut aussi, comme nous y invite l'exposé des motifs de votre proposition de loi, favoriser le plein épanouissement de toutes les capacités humaines. C'est en agissant ainsi qu'on résoudra le problème et qu'on sauvera l'activité économique dans le Béarn (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

INCENDIE CRIMINEL EN CORSE

M. René André - Monsieur le Premier ministre, le 2 mars dernier, en réponse à une question de notre collègue Myard sur la politique menée en Corse, Mme le Garde des Sceaux a déclaré : "Je peux dire devant l'Assemblée nationale qu'avec mes collègues Alain Richard et Jean-Pierre Chevènement, nous avons pris, bien entendu sous l'autorité du Premier ministre, toutes les mesures possibles pour assurer la coordination des différentes forces concernées."

Plusieurs députés RPR - Quel succès !

M. René André - Comment pourrions-nous vous croire ? Tout le monde connaît et apprécie la gendarmerie, ce corps d'élite, encadré par des officiers qui ont le sens de l'honneur et de la discipline (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Personne ne peut croire que des gendarmes aient agi sans ordre du Gouvernement ou de ses représentants ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; vives protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

Admettez qu'il est difficile de croire que le Gouvernement est étranger aux événements qui viennent de se produire en Corse et sur lesquels le Premier ministre, qui ne nous a donné aucune explication, ne cesse de varier (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Ne disiez-vous pas, hier, tout ignorer de cette affaire ? Ne parliez-vous pas, ce matin, de "complot" et tout à l'heure de "sanctions" ?

Pour connaître la vérité, faudra-t-il attendre aussi longtemps que pour les affaires du Rainbow Warrior, des Irlandais de Vincennes ou des écoutes téléphoniques ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe DL) Nous attendons vos explications, Monsieur le ministre, mais pour reprendre une expression qui vous est chère, nous ne les recevrons que sous bénéfice d'inventaire (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - La politique de rétablissement de l'Etat de droit en Corse rencontre naturellement beaucoup d'obstacles. Elle menace des intérêts nombreux, d'autant que les enquêtes diligentées par la justice sont, elles aussi, nombreuses.

Dans l'affaire qui nous occupe et dont chacun s'accorde à reconnaître qu'elle intervient dans des circonstances troublantes... (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) on ne peut reprocher à la justice de n'avoir pas fait diligence. Pour des faits survenus le mardi, le procureur général intervenait dès le vendredi. On voit la rapidité de réaction d'une justice au service de l'Etat de droit, lequel concerne tout le monde, y compris ceux qui sont chargés de le rétablir.

J'ai été peiné d'entendre M. André s'exprimer comme il l'a fait (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Je suis également choqué d'apprendre que MM. Sarkozy et Madelin, dans un communiqué commun, posaient la question suivante : "Le préfet a-t-il agi sur ordre de son ministre ?"

J'ai entendu le préfet Bonnet qui m'a dit tout ignorer de cette opération (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Je n'ai aucune raison de mettre en doute sa parole.

MM. Sarkozy et Madelin souhaitent aussi savoir si le ministre de l'intérieur a rendu compte au Premier ministre de ses projets : tout cela est grotesque (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste). La politique de l'Etat de droit ne sera pas abandonnée. Nous la poursuivrons, jusqu'au bout.

A cet égard, vous n'avez guère de leçons à nous donner. Je me souviens de la visite en Corse d'un autre ministre de l'intérieur...

Plusieurs députés RPR - Joxe !

M. le Ministre de l'intérieur - C'était en janvier 1996. A la veille de cette visite, six cents hommes du FLNC, cagoulés, ont tenu une conférence de presse au cours de laquelle ils ont rendu public un communiqué élaboré de concert avec le cabinet du ministre ! Quand on a discrédité à ce point l'Etat de droit, on doit faire preuve d'un peu de retenue (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

Toute la lumière sera faite. Une enquête judiciaire et une enquête administrative sont en cours. Des décisions seront prises et, le cas échéant, des sanctions. Mais gardez-vous de tout jugement précipité. La politique de rétablissement de l'Etat de droit a été décidée, au lendemain de l'assassinat du préfet Erignac, par le Président de la République et par le Premier ministre. Nous avons le devoir de nous montrer exigeants.

Or M. Rossi, pendant la campagne pour les élections à l'Assemblée de Corse, n'a cessé de critiquer cette politique (Protestations sur les bancs du groupe DL).

Contrairement à ce qu'a déclaré M. Sarkozy, si cette politique a fait gagner deux sièges aux nationalistes, c'est au détriment des amis de M. Rossi et non de la gauche. Balayez donc devant votre porte (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Nous devrions pouvoir nous retrouver sur un objectif : faire prévaloir la loi de la République en Corse. Ce n'est pas en faisant élire M. Talamoni à la présidence d'une commission de l'Assemblée de Corse qu'on y parviendra (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

ASSURANCES EN CORSE

M. Roland Francisci - Les Corses, dans leur immense majorité attachés à l'Etat de droit, s'interrogent : ils attendent la vérité sur cette lamentable affaire, et le plus tôt sera le mieux (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

J'ai déjà attiré l'attention du ministère de l'économie, en novembre 1998, sur le délicat problème de l'assurance en Corse. Les particuliers, les entreprises et les collectivités qui ont été victimes d'attentats à l'explosif ne peuvent plus trouver d'assureur. C'est pourquoi a été constitué en 1986 un "pool des risques aggravés", cette structure mutualisant les risques entre les compagnies.

Au prétexte que le nombre moyen d'attentats par an est passé de 400 à 96, l'Assemblée plénière des sociétés d'assurance dommage a décidé de dissoudre ce pool au 1er juillet 2000. A partir de cette date, les victimes d'attentats ne pourront donc plus assurer leurs biens. Il y aura donc rupture d'égalité entre les citoyens. Nous entrerons dans un Etat de non-droit.

Depuis les dernières élections territoriales pourtant, les attentats se multiplient. Ceux du 21 mars ont causé, à eux seuls, 50 millions de dégâts. Le risque n'a pas disparu et rien ne justifie la dissolution du pool. En outre, que deviendront les 450 contrats actuellement gérés par cette structure ?

Que comptez-vous faire pour maintenir ce pool en Corse aussi longtemps que la situation le justifiera, afin que les Corses, souvent rappelés à leurs devoirs, bénéficient des mêmes droits que leurs concitoyens continentaux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - Je vous répondrai au nom de M. Strauss-Kahn, qui est actuellement à Washington, où il recherche les moyens de garantir la stabilité du système financier international et d'alléger la dette des pays voisins du Kosovo.

Vous soulevez un véritable problème. Si les compagnies d'assurance privées sont libres de leurs choix et de leurs tarifs, le Gouvernement souhaite que les victimes d'attentats ne soient pas pénalisées.

Nous allons donc discuter avec les assureurs et je suis disposé à en parler avec vous ainsi qu'avec l'ensemble des parlementaires qui le souhaitent (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

POLYNÉSIE FRANÇAISE

M. Emile Vernaudon - Monsieur le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, je veux vous faire part de mon étonnement et de ma déception qui sont partagés par la majorité des Polynésiens.

Alors que vous vous efforcez, contre vents et marées, de maintenir un certain consensus entre les différents partis en Nouvelle-Calédonie, vous semblez ne vouloir retenir qu'un seul interlocuteur en Polynésie française : le chef d'un parti politique, par ailleurs président du gouvernement, qui a des démêlés avec la justice.

La réforme du statut est élaborée dans la précipitation, sans que les forces politiques du territoire soient consultées. Il n'y a eu aucun débat démocratique, l'assemblée du territoire étant devenue une chambre d'enregistrement. Le président du territoire ne peut être un interlocuteur valable, car il n'est que le chef d'un parti politique.

Je demande solennellement au Gouvernement d'engager de véritables discussions avec les partis politiques polynésiens. Le précédent de la Nouvelle-Calédonie doit inviter à la réflexion. Je fais partie de la majorité plurielle au niveau national, et je vous demande de prendre en considération l'opposition territoriale (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - Je vous prie d'excuser M. Queyranne, et m'efforcerai de vous répondre à sa place. Le dialogue doit s'organiser différemment selon les sujets : il faut distinguer la révision constitutionnelle, la modification du statut et les politiques communes entre l'Etat et le territoire.

S'agissant de la révision constitutionnelle, il paraît légitime que la Polynésie connaisse une évolution comparable à celle de la Nouvelle-Calédonie et que sa spécificité soit reconnue de même. L'exposé des motifs de la loi constitutionnelle relative à la Nouvelle-Calédonie mentionnait une adaptation ultérieure à la Polynésie. La consultation a eu lieu, et l'assemblée polynésienne a donné son avis le 6 avril sur l'avant-projet. Celui-ci est en cours d'examen par le Conseil d'Etat, et il vous sera bientôt soumis.

La modification du statut relève de la loi organique, qui interviendra ultérieurement, lorsqu'elle aura été discutée par tous les partis.

Enfin, les politiques communes entre l'Etat et le territoire : il est logique qu'elles soient conduites par le gouvernement de la Polynésie française. Mais l'Etat a la charge de l'intérêt général, et je suis ouvert à des conversations qui vous permettraient de faire valoir votre point de vue. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

ACCORD ITALO-ALLEMAND SUR LES TÉLÉCOMMUNICATIONS

M. Claude Gaillard - Sous la présidence précédente, je m'en souviens, on faisait toujours en sorte que tous les groupes puissent poser au moins une question pendant l'heure télévisée...

M. le Président - Les choses auraient été plus faciles, aujourd'hui, si le premier intervenant, qui est à vos côtés, n'avait parlé à lui seul huit minutes, alors que le temps total prévu pour la question et la réponse n'était que de cinq minutes !

M. Alain Néri - Très bien.

M. Claude Gaillard - Je retire ma critique. Vous aimez à rappeler, Monsieur le Premier ministre, que, sur 15 pays de l'Union européenne, treize sont dirigés par des gouvernements socialistes. Or, on assiste à un rapprochement entre les sociétés de télécommunications italienne et allemande, qui ne sera pas sans conséquences pour France-Télécom : comment imaginer que le Chancellier allemand et le Premier ministre italien ne tiennent pas compte de la position de la France dans cette affaire ? Quelle démarche avez-vous engagée auprès de vos amis ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - Dans le domaine des télécommunications, les évolutions sont très rapides : la technologie de pointe ne cesse de progresser, et le cadre législatif européen a été bouleversé par la dérégulation. Il en résulte des stratégies hésitantes, voire des retournements d'alliance. Les opérateurs européens recherchent une certaine taille, car il faut être gros à l'échelle mondiale. L'accord conclu en décembre entre France Télécom et Deutsche Télékom répondait à la nécessité de l'heure -il était d'ailleurs renforcé par la participation des deux entreprises à Global One, avec l'Américain Sprint. La décision récente de Deutsche Télékom de conclure un accord avec la société italienne a été unilatérale, sans que la partie française ait été informée au préalable, alors que cette décision remet en cause sa collaboration avec la société allemande. France-Télécom entreprend les démarches nécessaires pour faire valoir ses droits et les intérêts de ses actionnaires -dont l'Etat, à 62 %. Nous appuyons ces démarches, mais la position industrielle de France-Télécom n'est nullement affectée par la rupture de l'accord. Au reste, l'opération en cours n'ira pas forcément jusqu'à son terme, car elle rencontre des réticences du côté des autorités européennes, à cause du risque de position dominante, comme aussi du côté des autorités italiennes. France-Télécom devra reprendre l'initiative, s'internationaliser encore davantage, tout en restant fidèle à ses missions de service public. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

INCENDIE CRIMINEL EN CORSE

M. François Huwart - Les circonstances graves qui ont conduit à l'incarcération d'un colonel de gendarmerie Corse, concernent au premier chef ceux qui ont la charge de rétablir l'État de droit. Sans attendre les conclusions de l'enquête -et alors que la présomption d'innocence est aussi un élément de l'État de droit- ceux-là même ont réagi sans vergogne qui, en Corse, organisent l'État de non-droit. Les radicaux de gauche sont particulièrement sensibles à cette question. Ils approuvent sans réserve votre politique, Monsieur le ministre, car c'est la seule possible. Ils s'élèvent avec force contre les tentatives d'exploitation partisane de faits qui ne sont pas encore établis. Quelle que soit la conclusion de l'enquête, elle ne doit pas être un prétexte pour remettre en cause votre politique. Quelles sont aujourd'hui vos dispositions d'esprit ?

Comment entendez-vous faire respecter par tous l'État de droit en Corse ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste)

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Le Gouvernement est plus que jamais déterminé à progresser et à rétablir l'État de droit en Corse -justement parce que nous sommes confrontés à une affaire troublante et exceptionnelle. Nous agirons dans plusieurs directions. D'abord, il faut laisser faire la justice, qui a été saisie immédiatement, et agir en toute indépendance et sécurité. Ensuite, des enquêtes administratives sont menées au plus haut niveau -sans empiéter sur les enquêtes judiciaires. Je crois, comme vous, qu'il faut se défier des insinuations, des rumeurs et des malveillances -et ne jamais oublier qu'un préfet a été assassiné en Corse. Beaucoup de gens ont intérêt à ce que l'État de droit ne soit pas rétabli. Mais rien ne fera dévier le Gouvernement de la voie tracée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

La séance, suspendue à 16 heures 15, est reprise à 16 heures 30.


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CONVENTIONS INTERNATIONALES

L'ordre du jour appelle la discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, de six projets de loi adoptés par le Sénat autorisant l'approbation de conventions et accords internationaux.

M. le Président - Conformément à l'article 107 du Règlement, je mettrai aux voix l'article unique du projet de loi.

ACCORD FRANCE-MOLDAVIE SUR LES INVESTISSEMENTS

L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

ACCORD FRANCE-INDE SUR LES INVESTISSEMENTS

L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

ACCORD FRANCE-LIBAN SUR LES INVESTISSEMENTS

L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

CONVENTION INTERNATIONALE POUR LA RÉPRESSION DES ATTENTATS TERRORISTES À L'EXPLOSIF

L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

CONVENTION D'ENTRAIDE JUDICIAIRE FRANCE-HONG KONG

L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

TRAITÉ D'AMITIÉ ET DE COOPÉRATION FRANCE-GÉORGIE

L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.


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COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle.

Mme Odette Grzegrzulka - L'inégalité devant la prévention et les soins est une des injustices les plus criantes de notre époque.

Alors que dès 1946 le préambule de la Constitution érigeait en principe fondamental la garantie à tous de la protection de la santé, nous constatons une dégradation croissante de l'état de santé des plus démunis.

C'est pourquoi, au nom de mes collègues socialistes, je me félicite de ce projet qui constitue une évolution majeure de la protection sociale. Il permettra de passer d'un droit affirmé théoriquement depuis 50 ans à un droit effectif, accompagné des moyens budgétaires nécessaires.

Je salue l'exploit que constitue le court délai d'inscription à l'ordre du jour de notre Assemblée de ce dispositif, qualifié d'impératif prioritaire par le Premier ministre dans son discours d'investiture. Cela a été possible grâce au remarquable travail de réflexion et de négociation de notre rapporteur, Jean-Claude Boulard...

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Saluons-le !

Mme Odette Grzegrzulka - ...et grâce aussi aux Tables rondes et au dialogue mené par le Gouvernement, en particulier avec les associations caritatives.

Ainsi, dix mois après le vote de la loi contre l'exclusion, nous franchissons une nouvelle étape décisive. Ce texte mettra fin à l'insupportable spirale qui fait que plus on est pauvre, plus on est malade, moins on se soigne, plus on meurt jeune.

Quelques chiffres illustrent cette triste réalité : 700 000 personnes n'ont pas accès à un régime de base obligatoire, 30 % des personnes dont le revenu est inférieur à 3 000 F par mois renoncent à des soins et si 8 personnes sur 10 bénéficient d'une couverture complémentaire, le taux est particulièrement faible chez les inactifs et les chômeurs. 72 % d'ouvriers non qualifiés ne sont pas protégés parce que notre système laisse 30 % des dépenses de santé à la charge des ménages et que beaucoup ne peuvent les engager.

Le renoncement aux soins et la dégradation de l'état de santé aggravent les difficultés financières, psychologiques et familiales et contrarient le retour à l'emploi.

Le système en vigueur présente beaucoup d'autres inconvénients.

Les mécanismes de l'aide médicale et de l'assurance personnelle sont extrêmement complexes, ce qui pénalise les plus démunis, moins bien informés.

Ce système est très inéquitable : selon que vous vivez dans un département généreux, ou riche, ou un département très défavorisé l'aide médicale varie beaucoup.

Dès maintenant, je rappelle à ceux qui critiquent le seuil de 3 500 F que la moyenne nationale pour l'accès à l'aide médicale n'est actuellement que de 2 900 F.

Enfin, le système est extrêmement stigmatisant pour les plus démunis qui, bénéficiant de bons d'aide médicale, sont immédiatement identifiés comme tels. Dorénavant, il n'y aura plus, d'un côté les assistés sociaux et de l'autre côté, les assurés sociaux.

Le nouveau dispositif présente plusieurs avantages.

Outre la gratuité de l'accès aux soins, il s'attache à la qualité des soins : les bénéficiaires de la CMU seront soignés comme tout le monde, en choisissant leur médecin, leur hôpital. C'est la fin d'une médecine spécifique pour les pauvres, de la médecine à deux vitesses, de la fracture sanitaire.

Puisque le montant du seuil va faire encore l'objet de débats, je voudrais rappeler les nouvelles catégories de personnes qui vont entrer dans le dispositif : les bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique ou de l'allocation d'insertion, les actifs isolés sans enfant percevant au plus 60 % du SMIC, les actifs isolés avec un enfant percevant au plus 87 % du SMIC, les couples avec deux enfants et plus percevant 110 % du SMIC, les mineurs en rupture de vie familiale.

Par ailleurs, l'adhésion est prolongée pendant un an quand le seuil de ressources est dépassé.

Pour améliorer encore ce texte, les députés socialistes ont proposé quelques amendements, adoptés en commission, qui constituent d'indéniables avancées : l'extension du tiers-payant dès lors que le bénéficiaire choisit un médecin référent, une offre de soin de prévention, l'obligation pour les caisses d'assurance de répondre très rapidement aux demandes d'affiliation, la garantie pour les ayants droit d'assurés sociaux de ne pas être pénalisés lorsque l'assuré -par mauvaise foi- refuse de verser sa cotisation -je pense aux campagnes de boycott de la CANAM ou de la MSA.

La principale innovation émane de notre rapporteur : c'est la création d'un fonds d'accompagnement, financé par les organismes complémentaires, qui visera à limiter les conséquences de l'effet de seuil en aidant les personnes dont les ressources se situent juste au-dessus de la barre des 3 500 F.

Bien sûr, nul n'osera dire qu'on est riche avec 3 500 F par mois mais je rappelle que le barème des départements, très inégal, n'est en moyenne que de 2 900. Nous substituerons à ces 95 barèmes départementaux un barème unique. Il est d'ailleurs paradoxal que les mêmes accusent ce dispositif de favoriser l'assistance et demandent d'accroître le nombre de ses bénéficiaires !

En plus du fonds d'accompagnement, les conseils généraux ont déjà prévu, grâce à la dotation de 5 % qu'ils conserveront, d'accompagner les personnes en difficulté. Je signale aussi que le fonds d'action sociale de la CNAM s'élève à 800 millions et que rien n'interdit qu'il serve à modérer les conséquences de l'effet de seuil.

Alors aux Cassandre et aux frileux, je voudrais dire : cessez vos faux procès !

Avant de conclure, je voudrais rappeler les principes qui ont guidé le Gouvernement dans l'élaboration de cette loi et dont nous nous félicitons tout particulièrement. C'est le choix d'un système simple, et non pas simpliste, comme a osé l'écrire M. Barrot dans France-Soir. C'est le choix du partenariat, de la neutralité, de la liberté et de la transparence. C'est l'égalité dans la qualité des soins.

M. le Président - Veuillez conclure, votre temps de parole est écoulé.

Mme Odette Grzegrzulka - Mais je voudrais vous faire part, Madame la ministre, de notre étonnement, voire de notre préoccupation, face au protocole d'accord technique que viennent de signer la CNAM et les organismes complémentaires. Il nous paraît ruiner le dispositif de libre choix auquel nous sommes très attachés. Si ce protocole devait être appliqué, ce serait une régression, une sélection, une tutelle des organisations complémentaires sur la CNAM.

Nos concitoyens attendent beaucoup du débat qui va enrichir le texte et j'espère qu'il fera l'objet d'un très large consensus.

J'imagine mal, en effet, l'opposition le refuser quand on connaît son maigre bilan dans le domaine de la santé et qu'on se rappelle que l'assurance maladie universelle, annoncée par M. Juppé en 1995 et proposée par M. Barrot en 1997, a explosé en vol...

Qui a augmenté les cotisations sociales, qui a réduit les remboursements de soins et de médicaments ? C'est la droite. Les Français s'en souviennent.

Qui a réformé l'aide médicale, organisé les Etats généraux de la santé, créé le RMI et aujourd'hui la CMU ? C'est la gauche. C'est pourquoi, Madame la ministre, au nom de mes collègues socialistes, j'ai plaisir à vous dire combien nous sommes fiers de débattre de cette loi de progrès formidable. Nous la voterons avec enthousiasme et conviction (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - En février 1998, le rapport du Haut comité de santé publique stigmatisait "l'incapacité du système médico-social de notre pays à prendre en charge la détresse sociale et ses multiples symptômes".

Notre rapporteur a rappelé les chiffres du CREDES : 23 % des Français ont renoncé à des soins pour des motifs financiers, 150 000 ne peuvent faire valoir de droits à l'assurance-maladie, 7 millions n'ont pas de couverture complémentaire. Derrière la sécheresse des chiffres, que de misères, de souffrances, de frustrations !

Beaucoup de nos concitoyens pensent encore, naïvement, que nous avons le meilleur système de santé du monde. Or, non seulement ce système est coûteux, mais il exclut au moins 12 millions de Français d'un juste accès aux soins. Comment en sommes-nous arrivés là ?

La montée des nouvelles pauvretés au début des années 80, le chômage de masse, l'étalage impudent des richesses de certains, la mondialisation dressent un décor violent et inquiétant.

Dans cet environnement, la demande sans cesse accrue de biens matériels, l'amélioration du niveau de vie -celui d'un érémiste aujourd'hui est supérieur au salaire moyen de 1970- se font avec une exigence non seulement de santé, mais aussi de bien-être, accompagnée d'une forte augmentation de l'espérance de vie.

Or nous avons un système de santé hérité d'une France où l'espérance de vie était de vingt ans inférieure, où le manque de bras avait pour corollaire une immigration massive, et où chacun trouvait sa place dans le système de production.

De nombreux experts -de toutes sensibilités politiques- ont tiré la sonnette d'alarme. Alain Juppé, avec courage ou inconscience, a proposé en 1995 une réforme dont vos amis les mieux au fait du dossier nous assuraient, dans les couloirs, qu'elle était la seule possible, pour mieux la torpiller ensuite en séance.

Avis aux nostalgiques et aux hypocrites : nous avons collectivement construit le système de soins le plus inégalitaire d'Europe. Qu'on en juge : le taux de remboursement de nos régimes de base est de 73,9 % alors qu'il est de 93 % au Royaume-Uni, de 91 % en Allemagne, et de 86,5 % en Suède. Les actes médicaux de ville étaient remboursés à 75 % en 1980, et ne le sont plus qu'à 60 % en moyenne, et les soins dentaires sont passés de 49 % à 32 %. Petite devinette : sous quel gouvernement cette chute fut-elle la plus rude ? C'est sous celui de M. Rocard !

L'augmentation constante du ticket laissé à la charge du malade est bien la première cause de l'exclusion des soins. J'en prendrai l'exemple le plus significatif : celui des soins dentaires. Beaucoup soulignent la quasi-impossibilité d'accéder aux prothèses dentaires, même pour les classes moyennes, mais on omet toujours de signaler qu'il s'agit là d'un choix politique délibéré, qui a conduit les autorités de tutelle -Etat et caisses- à écraser les tarifs de la chirurgie dentaire conservatoire, aujourd'hui la moins chère d'Europe, en laissant filer hors nomenclature les tarifs de prothèse au motif qu'il s'agissait d'"esthétique" et qu'il fallait ainsi compenser la sous-cotation des soins conservateurs. C'est une politique de Gribouille.

Mais il serait évidemment trop simple de réduire les difficultés d'accès aux soins au seul aspect financier.

Vous avez évoqué, Madame la ministre, des aspects intéressants de la loi contre l'exclusion comme les PRAPS -Programmes régionaux pour l'accès à la prévention et aux soins- et les PASS -Permanences d'accès aux soins de santé- ; mais ces structures ne concernent que les personnes très démunies. La prise en charge des populations à faibles revenus passe aussi par une offre de soins de proximité diversifiée : comment ne pas s'inquiéter de leur raréfaction en zone rurale ou dans certaines banlieues ? Elle passe également par une vraie politique de prévention, hélas boiteuse dans notre pays : insuffisance de la médecine scolaire et universitaire, de la médecine du travail, sans parler des millions de personnes qui ne bénéficient d'aucune médecine préventive, tels les retraités, les femmes au foyer, les chômeurs, etc.

Elle passe par une politique de santé publique rénovée, qui ne minimise plus les fléaux que constituent l'alcoolisme, les toxicomanies ou le suicide des jeunes. Elle passe enfin par une politique d'éducation à la santé, Arlésienne des programmes scolaires.

L'accès de tous aux soins ne peut résulter que de politiques plurielles, qui jouent sur tous les leviers, économiques, sociaux, culturels et organisationnels du système de santé.

A la lumière de ce diagnostic, comment évaluer le traitement que vous nous proposez ?

Je n'évoquerai que pour mémoire l'impasse faite sur les politiques d'accompagnement indispensables. Vous me direz que ce texte n'a pour ambition que de traiter des aspects financiers, mais vous ne vous êtes pas privés de faire du titre IV un fourre-tout digne d'un DMOS. Nous trouvons ce procédé peu élégant, s'agissant d'un projet présenté imprudemment comme une révolution sociale. Imaginez que les lois sur l'IVG ou le RMI aient été agrémentées de dispositions sur le congé de formation dans la fonction publique hospitalière ou la convention des pharmaciens d'officine ! Vous auriez donné plus de cohérence à votre texte en le complétant par les éléments de prévention que vous annoncez pour plus tard.

Mais revenons au projet de création d'une couverture maladie universelle.

Nous y voyons deux points positifs : le droit réaffirmé à l'assurance maladie pour tous sur le seul critère de résidence, où nous retrouvons notre projet d'assurance maladie universelle sur lequel avaient travaillé deux groupes de réflexion animés par MM. Baquet et Fragonard, qui seront ravis de savoir que vous avez trouvé leur travail inexistant (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) ; l'objectif affiché de faire accéder chacun à une protection sociale complémentaire.

En revanche, nous exprimons des réserves de fond sur l'architecture proposée, ses insuffisances, ses ambiguïtés et les risques, non mesurés, de dérives majeures.

Les insuffisances sont patentes. Notre rapporteur indique lui-même que 23 % de nos concitoyens, soit 14 millions de Français, ont renoncé à des soins indispensables. Or, vous ne proposez d'en prendre en charge que 6 millions, soit moins de la moitié. Il y a là une rupture majeure d'équité. Vous nous dites que les caisses d'assurance maladie disposeront d'un fonds de 3 milliards qui leur permettra de faire du "cas par cas", mais c'est justement la prise en charge "à la tête du client", que nous voulons éviter. Or, vous y condamnez 8 millions de personnes.

Vous nous direz aussi qu'il n'y a pas assez d'argent. Pour cet argument, vous avez ramené à la raison les députés de votre majorité qui auraient voulu relever le plafond d'attribution. Je compatis, car les ministres passent, mais les fonctionnaires de Bercy restent...

Je partagerais volontiers l'explication du rapporteur quand il dit que le relèvement du plafond ne ferait que déplacer le problème, mais je ne peux vous suivre quand vous indiquez avec désinvolture que, notre système social étant truffé de ces injustices, peu importerait d'en ajouter une autre !

Si vous n'avez pu surmonter cette difficulté, c'est pour avoir refusé de vous attaquer à la déficience majeure de notre système de soins : l'insuffisance du taux de remboursement des régimes de base. Comme l'écrit le magazine Alternatives économiques : "Cette solution est profondément bâtarde : elle prétend aller vers une universalisation des droits sans améliorer le seul système général qui existe." On ne saurait mieux dire.

Mais le relèvement du taux de remboursement suppose une politique ferme de maîtrise des dépenses de santé, à laquelle vous avez renoncé.

Doit-on rappeler que la France est un des rares pays d'Europe où la consultation médicale n'est pas remboursée à 100 % ?

Votre texte contourne aussi l'insuffisance ou l'absence de prise en charge des soins hors nomenclature, en particulier les soins dentaires, la lunetterie ou les prothèses auditives. Certes l'article 24 évoque le plafonnement du prix des prothèses proposées pour les bénéficiaires de la CMU, mais pour quels types d'appareillage ? Les prothèses de la Sécu, nous les connaissons, personne n'en veut ! La Sécurité sociale doit permettre à tous d'accéder à des prothèses de qualité et revaloriser les soins conservatoires à leur juste prix, avec le double effet vertueux de baisser le prix des appareillages et d'inciter les praticiens à effectuer ces soins, évitant ainsi des prothèses ultérieures.

Mais cette réforme a été soigneusement évitée, et nous aboutirons inévitablement à la perpétuation de l'injustice actuelle, voire, dans certains cas, à un recul des droits, car certaines collectivités assuraient des soins hors nomenclature.

La réforme aurait dû au moins engager ce relèvement du taux de base et remplacer, comme l'a proposé Jean-François Mattei, le seuil couperet par une vraie prise en charge personnalisée. A l'instar de Jean-Michel Belorgey, je vous mets en garde contre l'abandon programmé du dispositif institutionnel d'aide sociale, technique moderne dans son principe, en ce qu'elle proportionne les droits aux besoins et aux charges assumées.

Ce concept est fécond, car mesurer un seuil de pauvreté ne relève pas d'une équation, même faite par un polytechnicien, mais de facteurs humains, familiaux, sociaux et culturels.

Les insuffisances sont encore aggravées par des ambiguïtés, que Bernard Accoyer a détaillées avec brio dans son exception d'irrecevabilité. Je n'en citerai qu'une, reprenant les pertinentes conclusions de M. Belorgey sur l'option que doit effectuer le bénéficiaire de la CMU entre les caisses primaires et les organismes complémentaires, dans des conditions opaques qui seront cause de dénis de droit.

A terme, la dérive inéluctable sera l'affiliation totale aux caisses primaires, encouragée par les praticiens tenus au tiers payant, qui n'auront ainsi qu'un bordereau à pointer au lieu de plusieurs dizaines ! On comprend les inquiétudes du président de la Mutualité française.

Mais cette dérive prévisible n'est rien en comparaison des évolutions que porte en gestation le dispositif proposé, dont le coût est estimé par le président de la CNAF à 24 milliards en francs constants dans dix ans.

Les responsables n'auront plus, au fil des années, qu'une alternative : soit maintenir le seuil à un niveau bas, découplé d'une éventuelle augmentation du niveau de vie, soit définir un "panier" restreint de "soins indispensables" ou "de première nécessité".

Cette définition fait frémir d'aise tous les technocrates, et nous conduira au système de santé à deux vitesses que certains dénoncent.

Peut-être serons-nous contraints à terme d'en arriver là. Peut-être avez-vous été convaincue par Gilles Johanet, ardent militant d'un remboursement de ce type. Mais alors, il fallait le dire ? Pour répondre à une vraie nécessité, vous avez choisi un dispositif coûteux, gagé sur des prélèvements obligatoires supplémentaires, un dispositif bancal, opaque et injuste.

Votre texte devrait être complètement restructuré pour que nous puissions le voter. Je doute que le débat d'amendements nous permette d'y parvenir (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Jacqueline Fraysse - Je regrette l'ajout au projet d'un certain nombre d'articles, sur d'autres sujets. Nous souhaitions que la couverture maladie universelle et le DMOS fassent l'objet de votes distincts, d'autant que deux rapporteurs ont été désignés. Nous demanderons donc un vote par division.

La couverture maladie universelle répond à une urgence. Elle touche, en l'état actuel du texte, 6 millions de personnes, qui ne se soignent pas bien, ou pas du tout : celles qui ne disposent pas pour vivre chaque jour du montant du forfait hospitalier, celles qui ne peuvent pas faire l'avance des frais, payer une mutuelle, ne voient plus de médecin ou reculent la visite. Sans compter celles pour qui les lunettes, les prothèses dentaires ou auditives représentent un véritable luxe.

La réalité est là. Avec un plafond situé au seuil de pauvreté, non plus à 3 500 F, mais à 3 800 F, la couverture maladie universelle concernerait 8 millions de personnes. Autrement dit, plus d'une personne sur dix vit avec des ressources inférieures au seuil de pauvreté !

Que la droite, dont on sait la lourde responsabilité dans cette situation, multiplie les procédures de retardement, est indécent.

Au contraire, nous souhaitons que le projet soit adopté avant la fin de la session.

L'affiliation à l'assurance maladie pour tous, l'accès à une couverture complémentaire pour les plus démunis, la possibilité de se soigner sans avance de frais, sont les trois axes de la lutte contre l'exclusion des soins de santé.

Je tiens à saluer l'élargissement du rôle de la Sécurité sociale à cet aspect de la solidarité, y compris dans le champ de la couverture complémentaire aux côtés du mouvement mutualiste, porteur d'une riche tradition. La participation des compagnies d'assurances privées doit être encadrée plus rigoureusement pour empêcher les dérives commerciales.

Cependant, certains points méritent d'être améliorés. Nous avons proposé de porter le plafond d'accès de 3 500 à 3 800 F. Il s'agit non pas d'une surenchère démagogique, mais de prendre en compte ce qui est considéré comme le seuil de pauvreté par les organismes internationaux et demandé par les associations.

Je regrette vivement que cet amendement ait été rejeté sans débat, au titre de l'article 40. Ou bien il s'agit de besoins justifiés, et l'on cherche les moyens de les financer, ou bien on ne juge pas indispensable d'y répondre et on s'en explique franchement.

Il nous paraît également nécessaire de traiter l'effet de seuil, par exemple par une aide à la mutualisation, sur critère de ressources.

Dans certains départements, la mise en place de la CMU risque de réduire pour certains l'accès aux soins, les critères d'accès étant moins favorables que ceux de l'aide médicale gratuite. Nous vous proposerons donc d'étendre la CMU aux bénéficiaires de l'aide médicale gratuite, aussi longtemps qu'ils satisferont aux conditions initiales.

D'autre part, les dispositions de l'article 30 relatives aux personnes en situation irrégulière nous semblent irréalistes. Comment imaginer qu'elles oseront s'adresser au préfet pour bénéficier du droit aux soins ?

Bien sûr, ces améliorations ont un coût. Elles impliquent donc des choix. L'effort de l'Etat reste modeste, tandis que les entreprises ne versent pas un centime.

Les modalités des transferts financiers des départements, prévus à l'article 13, nous préoccupent.

En effet, les conseils généraux qui faisaient les plus grands efforts pour permettre aux populations précarisées de se soigner, sont aussi ceux qui contribueront le plus au financement de la CMU. S'il est normal que les conseils généraux assument leurs choix politiques, l'équité exige de tenir compte de ce qui relève d'une réalité concrète, par exemple leurs ressources ou leurs situations socio-économiques.

Nous avons proposé en commission des mécanismes prenant en compte ces critères. Il nous a été répondu que le problème méritait d'être retravaillé. Faute de nouvelles propositions, nous défendrons nos amendements.

Nous sommes également préoccupés par le devenir des contingents communaux, dont le texte ne dit rien.

Nous souhaitons débattre sereinement avec la volonté d'aboutir au plus vite à l'essentiel : réduire de manière significative l'exclusion des soins pour des millions de personnes.

Rappelons pour finir que la CMU est une disposition particulière, prise en faveur de personnes le plus souvent privées d'emploi. C'est bien le problème de l'emploi qui demeure au centre de tout. Je réitère donc nos préoccupations sur la place des entreprises dans ce dispositif de solidarité.

Les entreprises vont-elles continuer à opérer des placements financiers sur les marchés boursiers, en même temps qu'elles bénéficient d'exonérations de cotisations sociales et licencient chaque année plusieurs milliers de salariés ? Voyez l'exemple d'Elf qui, avec 3 milliards et demi de bénéfice net en 1998, vient d'annoncer 1 320 suppressions de postes. Si j'en ajoute 4 000 chez Thomson-CSF, 1 200 chez Rhône-Poulenc, combien de candidats à la CMU demain, parmi eux ?

Il ne suffit pas de tenter de réparer les dégâts d'une politique ultralibérale, il faut engager des réformes structurelles au service de l'ensemble de la société.

C'est bien tout l'enjeu de la réforme du financement de la Sécurité sociale, dont la perspective est à nouveau repoussée.

Il est pourtant urgent d'enclencher une véritable logique de solidarité nationale et de responsabilité, dans laquelle les entreprises prendraient toute leur place.

Le nombre de personnes pour lesquelles nous allons mettre en place la CMU confirme l'ampleur des besoins.

Aussi le plan d'économie annoncé par le président de la CNAM nous préoccupe-t-il au plus haut point. Réduire les dépenses de santé soumises au remboursement, c'est accentuer le clivage entre ceux qui pourront payer une mutuelle ou un contrat d'assurance, et ceux qui n'auront que la couverture maladie universelle, c'est donc instaurer, à terme, une protection sociale à deux vitesses.

Ce n'est pas l'attente des Français et ce ne peut pas être l'ambition de la gauche.

Madame la ministre, c'est à ceux qui souffrent que nous tendons la main, à ceux qui n'ont que le RMI pour vivre, qui ne mangent que grâce aux Restaurants du Coeur ou qui, demain, ne pourront se soigner que grâce à la CMU. La solidarité fait partie des traditions de notre pays, elle fait honneur à son peuple. Voter ce texte est un impératif. Cependant, la véritable avancée, pour la gauche, ce n'est ni le RMI, ni les Restaurants du Coeur, ni la CMU, mais ce serait d'offrir à chacun un travail, un salaire et la possibilité de vivre dans la dignité. Telle est notre responsabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Yves Bur - Pendant de nombreuses années, responsables politiques et syndicaux de toutes tendances nous ont fait croire que la sécurité sociale française était le système de santé le plus efficace du monde, mais aussi le plus généreux.

Les plans de sauvetage successifs n'ont pas entamé cette certitude, alors qu'un nombre de plus en plus élevé de nos concitoyens ne pouvaient plus bénéficier de ce système de santé, parce qu'il devenait trop coûteux. L'augmentation du ticket modérateur, la mise en place d'un système d'honoraires libres, la non-revalorisation du remboursement des prothèse dentaires et des lunettes ont conduit un grand nombre de Français à renoncer aux soins.

La nécessité d'une couverture maladie universelle montre avant tout l'échec de ce système de solidarité.

La difficulté à mettre en oeuvre les réformes de fond capables de redonner des perspectives d'avenir à notre protection sociale vous conduit, Madame la ministre, à nous proposer un nouveau dispositif de solidarité, après que Jacques Barrot eut envisagé, en 1997, la mise en place d'une assurance maladie universelle.

Personne ne peut rester insensible aux difficultés que rencontrent de plus en plus de nos compatriotes pour accéder aux soins. Aujourd'hui, nous avons en France un des taux de remboursement les plus faibles d'Europe et notre sécurité sociale reste structurellement déficitaire.

Comme vous, Madame la ministre, nous réaffirmons le droit à la santé pour tous, essentiel à la dignité humaine. C'est un principe d'humanité et de solidarité. L'UDF ne discute pas cet objectif.

Cependant, sommes-nous pour autant condamnés, au nom des bons sentiments, à renoncer aux principes qui motivent notre engagement politique à l'initiative et à la responsabilité des personnes, qui garantissent, avec la solidarité, la cohésion sociale ? Nous ne le pensons pas, même si vous avez estimé que votre projet devait rassembler tous les parlementaires.

En effet, la CMU s'inscrit dans une logique humanitaire.

L'assurance maladie de base est actuellement garantie par l'aide médicale gratuite des départements. Elle doit continuer à relever exclusivement de la solidarité pour les personnes en grande difficulté.

En réponse aux critiques dont les départements ont fait l'objet, je tiens à souligner que l'aide médicale gratuite a rempli sa mission en donnant une réalité au droit à la santé.

Comme l'indique l'ODAS, seulement 150 000 personnes, très marginalisées, ne disposeraient encore d'aucun accès aux soins. Personne ne peut affirmer que le nouveau dispositif permettra de mieux couvrir cette population. Qui peut croire qu'en confiant aux caisses primaires la responsabilité d'ouvrir les droits, on va profondément améliorer la situation ?

Centralisateur et administratif, votre projet s'éloigne du principe de proximité sur lequel doit se fonder l'action sociale.

Au lieu d'encourager les départements à améliorer le service de l'aide médicale gratuite, vous avez choisi de leur retirer cette compétence.

Une fois de plus, c'est l'Etat, et lui seul, qui va décider par décret. Quant à l'assurance maladie et aux organismes de couverture complémentaire, ils devront subir de nouvelles contraintes financières qui vont restreindre leur liberté d'action.

Cette "recentralisation" ne constitue pas un progrès, même si, en passant d'un régime d'aide médicale à un régime de Sécurité sociale on évite de stigmatiser les allocataires.

Le Gouvernement, eu prétexte de garantir l'égalité à l'échelle du territoire national, prive le dispositif de toute souplesse dans l'instruction des dossiers. Seuls des critères froidement administratifs seront pris en considération.

Comme l'a souligné Pierre Méhaignerie, "retirer aux conseils généraux leur responsabilité en matière d'accès aux soins les prive d'un levier capital en matière de lutte contre l'exclusion. C'est revenir à une conception jacobine de la solidarité, qui a fait pourtant la preuve de son inefficacité".

Nous ne pouvons cautionner un tel retour en arrière.

En outre, votre dispositif s'inscrit dans une logique d'assistance. Une fois de plus, on répond à une difficulté sociale en renforçant cette situation d'assistance généralisée dont les personnes les plus démunies auront de plus en plus de mal à sortir.

Sans méconnaître les difficultés des personnes en grande précarité, nous estimons que la lutte contre l'exclusion passe avant tout par la responsabilisation des individus, indispensable à la réussite d'un parcours d'insertion.

Au lieu de réserver une assurance complémentaire à ceux qui se situeront en deçà d'un seuil de ressources d'ailleurs trop faible, mieux vaudrait mettre au point un dispositif ouvert à tous ceux qui ont des difficultés à accéder aux soins. Pourquoi ne pas moduler la couverture maladie en fonction des ressources ? On irait de la sorte bien au-delà de ce seuil de 3 500 F qui ne satisfait personne. Qui peut accepter l'idée que le minimum vieillesse ou l'allocation pour adulte handicapé, fixés à 3 540 F, constituent des ressources trop élevées pour bénéficier d'une couverture complémentaire ?

L'objectif ne devrait pas être de faire entrer 4,5 millions de personnes dans un système d'aide médicale élargi, mais au contraire de généraliser l'accès à une assurance complémentaire en allégeant le coût de la cotisation pour les plus modestes. Les personnes relevant de l'aide sociale seraient concernées par ce dispositif, mais aussi celles dont les revenus vont jusqu'à deux fois le seuil de 3 500 F -et même davantage, si la composition de leur famille le justifie. Pour les allocataires du RMI, la prise en charge serait bien entendu gratuite. Pour les personnes dont les ressources se situent entre le RMI et 3 500 F, une contribution forfaitaire minime pourrait être demandée. Enfin, pour celles dont le revenu est compris entre 3 500 F et un plafond fixé à deux fois ce montant, voire deux fois le SMIC, une contribution proportionnelle à leur revenu pourrait leur ouvrir droit à une assurance maladie complémentaire.

Un tel dispositif aurait l'avantage de renforcer l'accès aux soins pour l'ensemble de nos concitoyens, alors qu'au-delà du seuil prévu par le Gouvernement, vous vous en remettez de nouveau à l'aide sociale des départements.

Même si vous le niez, la CMU s'inscrit bien dans une logique d'assistance élargie. Le seuil de 3 500 F s'appliquera à des ressources encaissées, alors que l'aide médicale départementale prenait en compte les ressources disponibles : autrement dit, on tenait compte des charges assumées par la personne ou la famille, dont leur loyer. De plus, les départements avaient la possibilité d'accorder le bénéfice de l'aide médicale en fonction de la situation du demandeur, et cela bien au-delà des seuils fixés. L'instruction par les CPAM des demandes d'adhésion à la CMU risque au contraire d'être un acte administratif, comme pour toutes les prestations sociales.

L'effet de seuil va exclure du bénéfice de la couverture complémentaire les familles à revenus modestes. Il y a là une injustice flagrante : des personnes disposant de faibles revenus devront payer "plein pot".

Par ailleurs, le remboursement de certains actes demeurera insuffisant : je pense aux soins et aux prothèses dentaires, aux frais d'optique et aux prothèses auditives.

Il est prévu de définir un "panier de soins" dont on ignore toujours le contenu. Sur quelle base médicale et déontologique, sur quels critères seront retenus les actes inclus dans ce panier de soins ?

Si nous voulons vraiment améliorer l'accès aux soins dentaires et optiques, nous devons améliorer leur prise en charge par l'assurance maladie. Ils ne doivent plus être considérés comme un luxe, mais bien comme des besoins de santé. Une fois de plus, le Gouvernement fait preuve de frilosité.

Enfin, l'accès au système de santé restera inégalitaire, car vous ne semblez pas envisager de mettre à plat l'ensemble des régimes d'assurance maladie. Aussi les assurés de la CANAM, c'est-à-dire les travailleurs indépendants, devront-ils continuer à se contenter d'un remboursement à 50 %, alors qu'ils cotisent lourdement et disposent pour beaucoup d'un revenu modeste.

Ces questions sont certes difficiles, mais le Gouvernement ne fait preuve ni de courage, ni d'ambition, se contentant de colmater les brèches.

La CMU ne sera pas neutre pour les finances de la Sécurité sociale.

Vous en évaluez le coût à 9 milliards, financés par les sommes consacrées par les départements à l'aide médicale gratuite, ainsi que par une cotisation de 1,75 % sur le chiffre d'affaires des assurances complémentaires santé -c'est-à-dire, indirectement, par un prélèvement supplémentaire pour les Français.

Comment croire que le coût annoncé sera bien le coût réel, alors qu'il est basé sur une dépense moyenne par bénéficiaire de 1 500 F pour les soins et les médicaments ? Selon l'ensemble des organismes d'assurance complémentaire, il faut s'attendre plutôt à un coût de 2 000 à 2 500 F par personne, soit une dépense minimale de 12 milliards.

Comment croire que vous avez pris en compte la répercussion de la CMU sur des régimes tels que la MSA ou la CANAM ? Comme pour le RMI, vous essayez de minimiser les conséquences financières de la CMU pour le budget de l'Etat et celui de l'assurance maladie. Qui peut nous assurer que ce nouveau dispositif ne connaîtra pas les mêmes dérapages financiers que le RMI ? Comment la Sécurité sociale va-t-elle faire face au coût de l'assistance médicale gratuite et élargie, alors que son équilibre semble impossible à atteindre malgré une conjoncture plus favorable ?

Autant de questions qui nous conduisent à une prudente réserve, quant au financement proposé pour la CMU.

L'UDF n'est pas insensible aux objectifs de solidarité de ce projet, auquel nous avions déjà beaucoup réfléchi. Comme vous, nous voulons assurer à nos concitoyens dans la difficulté un droit à des soins de qualité. Mais le dispositif présenté est loin de nous satisfaire, et nous sommes prêts à en débattre pour l'améliorer. La CMU doit être un outil au service de la lutte contre l'exclusion, en renforçant l'activation des moyens mis en oeuvre dans le cadre d'un parcours vers l'insertion et le retour à la dignité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

Le Gouvernement se devait de permettre aux personnes en situation de précarité de se faire soigner comme les autres, grâce à l'instauration de la couverture maladie universelle. Il est inacceptable que la situation matérielle ou administrative de quiconque puisse être en France un obstacle aux soins.

La CMU va réduire "l'angle mort" de la Sécurité sociale. Désormais, toutes les personnes qui ne relèvent d'aucun régime professionnel bénéficieront de la Sécurité sociale grâce à un mécanisme simple et non stigmatisant. Les 150 000 personnes qui n'ont de fait aucune couverture, mais aussi les 550 000 qui ne sont couvertes que par le mécanisme complexe de l'assurance personnelle pourront bénéficier sans délai d'un régime de base.

Pour résorber l'autre "chiffre noir" de l'assurance maladie, celui des 25 % de Français couverts par la Sécurité sociale obligatoire, mais qui, pour des raisons financières renoncent à se faire soigner, ce projet propose en outre une assurance complémentaire gratuite sous condition de ressources.

Le Gouvernement a refusé de construire un régime minima pour les exclus, et choisi d'inclure ces derniers dans la couverture de tous. Dès l'an prochain, les quelque six millions de personnes qui, aujourd'hui, ne disposent pas d'une couverture maladie complète, pourront se faire soigner rapidement. La CMU est bien le "chaînon manquant" dans notre système sanitaire, et je veux saluer le travail considérable de consultation qu'a nécessité sa conception.

Même si la CMU ne peut être la "solution miracle", son architecture pourrait être meilleure sur certains points. La principale difficulté que soulève ce mécanisme, c'est qu'il ne pose pas la question essentielle de ceux qui seront juste au-dessus du seuil fixé -lequel devrait d'ailleurs être porté au niveau du seuil de pauvreté. Mais quoi qu'il en soit, la seule manière de passer du droit affirmé à la santé, au droit réel de se soigner, c'est de généraliser le tiers payant, comme l'ont fait tous nos voisins.

Le transfert à l'Etat des dépenses des départements est pénalisant pour ceux qui se sont engagés au-delà de leurs obligations légales. Cela vaut pour le territoire de Belfort, la Seine-Saint-Denis, le Pas-de-Calais, l'Ardèche et aussi Paris. La réduction forfaitaire de 5 % ne permettra aucune solidarité entre les départements riches et pauvres.

Nous aurions préféré un mécanisme de péréquation, qui tienne compte des charges réelles d'aide médicale. La règle retenue risque de jouer comme un frein à la mise en oeuvre locale de la loi sur l'exclusion, en incitant les départements à ne plus aller au-delà de leurs strictes obligations.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Très juste.

M. Georges Sarre - Enfin, le Gouvernement a pris une décision hasardeuse en arrêtant un scénario "partenarial-généralisé". Outre que cela aboutit à un système complexe, c'est introduire les assureurs privés dans un mécanisme qui veille à restaurer de l'égalité. Ce projet, sous le "pavillon" de la nouveauté, présente un risque réel pour notre protection sociale. Les dépenses "complémentaires" s'élèvent à 80 milliards, l'ensemble des dépenses de santé à 800 milliards : de quoi réveiller tous les appétits ! Les assureurs grattent depuis longtemps derrière la porte pour gérer le risque maladie au premier franc, et je crains que nous ne soyons en train de leur offrir un formidable "ticket d'entrée".

M. Jean Le Garrec, président de la commission - Quel ticket ?

Mme la Ministre - Il ne connaît pas le dossier.

M. Georges Sarre - Il est des engrenages dans lesquels il ne faut pas mettre le doigt.

Le Gouvernement a cru bon d'introduire dans ce texte quelques "cavaliers". Je sais que le calendrier parlementaire lui laissait peu de choix, mais il est quand même regrettable que nous ayons à nous prononcer par un seul et même vote sur la CMU et sur des questions aussi sensibles que la définition du volet santé de la carte "Vitale 2", le traitement des données personnelles de santé à des fins d'évaluation et d'analyse ou la convention des pharmaciens d'officine.

Pour l'instant, je ne retiendrai que les mesures qui ouvrent des perspectives d'intégration aux médecins titulaires de diplômes extra-européens. Le statut de praticien-adjoint contractuel, issu de la loi Veil de 1995, s'est révélé davantage un outil d'exclusion que d'intégration. Quant aux professionnels qui se sont maintenus dans la voie du certificat de synthèse clinique et thérapeutique, ils attendent leur autorisation d'exercice depuis des années. Je me félicite que la commission ait approuvé la disparition progressive de ces filières "ghettos". Notre pays a largement ouvert ses portes hospitalières à des médecins étrangers ou à des Français diplômés à l'étranger. Il n'est plus acceptable qu'ils soient maintenus dans des statuts précaires et peu rémunérateurs, alors qu'ils exercent des responsabilités équivalentes à celles de leurs collègues. J'espère que nous parviendrons à des solutions acceptables et je proposerai des améliorations au dispositif.

Mais en premier lieu, nous allons débattre de la CMU. Au-delà de quelques différences d'appréciation, le Gouvernement sait qu'il peut compter sur notre plein accord pour les objectifs. Nous souhaitons que la couverture maladie universelle fasse date dans la mise en oeuvre du principe constitutionnel selon lequel "la nation garantit à tous la protection de la santé" et je suis convaincu que le débat permettra d'améliorer encore la loi.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Avec de pareils alliés, on n'a pas besoin d'adversaires !

M. Denis Jacquat - Ce projet de loi était très attendu. A l'aube du XXIème siècle, le droit à la santé, droit fondamental de la personne humaine, doit être assuré à l'ensemble de nos concitoyens.

Selon le préambule de la Constitution de 1946, l'Etat doit "garantir à tous la protection de la santé". Et tout doit être fait pour, qu'en ce domaine, le niveau des revenus ne génère pas de discriminations.

Or, il existe des carences. Si le régime de l'ordonnance du 4 octobre 1945, qui proposait une protection aux seuls travailleurs salariés et à leur famille, avait vocation à être étendu, 150 000 personnes continuent à ne bénéficier d'aucune couverture maladie. Par ailleurs, 16 % des Français n'ont pas de couverture complémentaire et ce taux atteint 40 % chez les chômeurs.

Quant à l'aide médicale départementale, qui couvre aujourd'hui 2,5 millions de personnes, et a réalisé d'énormes progrès en matière d'accès aux soins, elle génère des inégalités entre les départements.

C'est pour pallier ces faiblesses que la CMU est proposée. Onze ans après le RMI, elle doit constituer un pas important dans la lutte contre les exclusions, avec trois dispositions majeures : la prise en charge des soins, pour tous, par un régime de sécurité sociale ; la protection complémentaire gratuite pour les six millions de personnes les plus fragiles financièrement ; la dispense de l'avance des frais -essentielle, car le ticket modérateur est souvent synonyme de ticket d'exclusion.

Quelques grands principes, que nous partageons, ont inspiré ce projet de loi : l'immédiateté des prestations d'assurance maladie ; l'universalité ; la continuité, même en cas de changement de régime ; la non-sélection des risques.

Financée par l'Etat et les organismes de couverture complémentaire, la CMU met fin à l'assurance personnelle et à l'aide médicale départementale. Les conseils généraux verront ainsi leur dotation globale de décentralisation diminuée des dépenses d'aide médicale du département moins 5 %. Ceci aura cependant un effet pervers, car les départements les plus "vertueux" seront pénalisés.

Le projet de loi n'innove pas, et je tiens à saluer l'action des gouvernements précédents, et notamment le formidable travail accompli par Xavier Emmanuelli, en direction des populations défavorisées. Il faut également se remémorer le projet d'assurance maladie universelle présenté par Alain Juppé et Jacques Barrot, en novembre 1995. Ce texte ouvrait droit aux prestations en nature à l'ensemble de la population, sous simple condition de résidence régulière. Le gouvernement actuel ne s'est donc pas aventuré sur un terrain vierge, et il doit accepter que le mérite d'un tel projet soit partagé.

S'agissant du régime de base, la question des populations les plus marginalisées ne pourra être traitée sans une forte implication des associations. Celles-ci devront continuer à conseiller et aider les personnes qui ne peuvent accéder au système de soins. Il faut que, dans les faits, le nombre de personnes sans couverture médicale de base passe de 150 000 à 0, conformément à l'objectif affiché.

La plupart des limites du projet de loi concernent le régime complémentaire. Le Gouvernement propose la prise en charge intégrale du ticket modérateur et du forfait hospitalier pour les six millions de personnes aux revenus les plus modestes. Les bénéficiaires auront le choix entre une caisse de sécurité sociale, une mutuelle, une institution de prévoyance ou une compagnie d'assurance, et n'auront aucune cotisation à verser même symbolique. Si la nécessité d'une prise en charge complète des soins est acquise, les modalités d'application du dispositif peuvent être discutées.

Cotiser, fût-ce pour une somme modique, est un geste de citoyenneté, qui participe de la dignité. Notre rapporteur Jean-Claude Boulard reconnaît lui-même que "contribuer, même faiblement, est une composante de l'insertion. En outre, l'absence de cotisation pose un problème au regard du code de la mutualité. En effet, sans contribution, les "membres bénéficiaires" ne peuvent être considérés comme des adhérents à part entière, ni jouir des prérogatives liées à ce statut.

Certains soutiennent au contraire que l'accès aux soins est un droit constitutionnel auquel les individus peuvent prétendre sans avoir à verser de cotisation.

La somme à verser ne pouvant être que symbolique, il est fort improbable que des poursuites soient engagées pour en assurer le recouvrement. La contrevenance de facto impunie, le principe même de contribution serait dépourvu de sens.

Au total, si le principe d'une cotisation symbolique est intéressant, les modalités de sa mise en oeuvre limitent singulièrement sa portée.

M. Marcel Rogemont - Tout à fait !

M. Denis Jacquat - Le second problème concerne le seuil retenu. Il est actuellement fixé à 3 500 F pour une personne seule, à 5 200 F pour un ménage de deux personnes, 6 300 F pour trois personnes, 7 700 F pour quatre personnes. Au-delà, il convient d'ajouter 1 400 F par personne supplémentaire.

3 500 F, c'est un montant inférieur entre autres au minimum vieillesse et à l'allocation adulte handicapé mais surtout au seuil de pauvreté estimé à 3 800 F. Pour être réellement universelle, la CMU devrait prendre en compte toutes les situations de détresse. Avec un plafond inférieur de 300 F au seuil de pauvreté, on exclut de la protection complémentaire deux millions de personnes qui, par définition, sont nécessiteuses.

M. Marcel Rogemont - Qui peut prétendre que les situations de détresse s'arrêtent quand le revenu dépasse 3 800 F ?

M. Denis Jacquat - C'est le seuil de pauvreté retenu par l'INSEE dans notre pays. Toutes les associations humanitaires en conviennent.

Il conviendrait donc de relever à 3 800 F le seuil retenu pour pouvoir bénéficier d'une couverture complémentaire gratuite. Ce seuil devrait par ailleurs être indexé.

Cela étant, toute fixation d'un seuil crée des effets pervers. Une discrimination inacceptable risque de s'ensuivre. A un franc près, certains pourront bénéficier de la CMU tandis que d'autres devront payer leur complémentaire. Cet effet "guillotine" pénalisera les personnes aux revenus les plus modestes. Il convient donc de lisser cet effet de seuil. Les mécanismes proposés sont insuffisants. Sa compensation par le budget social des caisses ou des collectivités risque de créer de nouvelles inégalités. La meilleure solution serait un système d'aide dégressive pour ceux dont les revenus sont situés juste au-dessus du plafond. Beaucoup de personnes qui ont de faibles salaires ou de faibles revenus ont actuellement de réelles difficultés à payer une complémentaire.

Une enquête du CREDES de février 1999 révèle qu'un Français sur quatre a déjà renoncé à se soigner pour des motifs financiers. Pour l'ensemble de la population française, le taux de renoncement aux soins au cours de l'année s'élève à 16,5 %.

Or, le projet de loi se propose de couvrir six millions de personnes, soit 10 % des Français. Même avec un seuil à 3 800 F, la CMU ne couvrirait que 8,5 millions de personnes soit environ 14 % de la population. Nous serions donc encore loin du nombre total de personnes ayant renoncé à des soins pour motif financier.

Que feront ces personnes qui, non couvertes par la CMU, n'ont pas les moyens de se soigner ? Cette question, qui renvoie à la précédente sur la nécessité d'un lissage de l'effet de seuil, ne peut être éludée.

Le projet de loi fixe le montant du "panier de soins" à 1 500 F par personne et par an. Mais comment ce montant pourrait-il être identique pour l'ensemble de la population concernée ? Les personnes âgées consomment davantage de biens médicaux. Pour elles, le coût est estimé à 2 400 F par an, alors qu'il ne serait que de 800 F pour les jeunes. Vu le nombre important de personnes âgées concernées par le projet de CMU, ce montant de 1 500 F risque d'être insuffisant. Par ailleurs, chaque Français ayant en moyenne dépensé 12 431 francs pour sa santé en 1997, ce "panier de soins" paraît sous-estimé. Nous voudrions être rassurés à ce propos.

La concurrence entre les CPAM et les mutuelles en matière de couverture complémentaire sera inéquitable puisque les CPAM bénéficieront d'une entière compensation de leurs frais alors que les mutuelles paieront une taxe et subiront une perte si le coût réel dépasse les montant fixés légalement. Elles seront obligées de reporter le poids de cette taxe sur leurs autres affiliés. Il faudrait donc mettre fin à ces distorsions de concurrence.

Par ailleurs, le dispositif prévu pourrait être contraire au droit communautaire. En effet, les CPAM qui bénéficient d'un monopole pour le régime de base, ne devraient pas pouvoir offrir de prestations sur le marché concurrentiel de la complémentaire avec, de surcroît, des avantages fiscaux.

Pour terminer, je formulerai quelques critiques plus générales.

Tout d'abord, ce texte ne traite pas assez de la prévention. Il est pourtant indispensable de la développer.

Ensuite, le titre IV du projet, qui constitue en réalité un vrai DMOS, aurait dû être dissocié. En effet, le Parlement va devoir se prononcer par un même vote à la fois sur ces dispositions et sur la CMU, alors que ces deux éléments peuvent donner lieu à des appréciations contraires. Il aurait été plus convenable de se contenter d'un débat sur la seule CMU, l'importance du sujet justifiant qu'on n'y ajoute pas des dispositions sans rapport avec celui-ci.

Enfin, la CMU ne doit pas occulter le débat sur la nécessité de modifier notre système de soins, qui se caractérise par un des taux de remboursement les plus bas d'Europe -74 % pour le régime de base- alors même que les cotisations sociales y sont parmi les plus élevées.

Au total, si ce projet de loi constitue une avancée sociale indéniable...

M. Alfred Recours, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - C'est bien de le reconnaître.

M. Denis Jacquat - ...il comporte de nombreuses limites. Mais comme vous avez dit hier soir, Madame la ministre, être ouverte à toutes les propositions des parlementaires, le groupe DL ne désespère pas de vous convaincre (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Marcel Rogemont - Développement de la croissance, emplois-jeunes, 35 heures : autant d'objectifs qui marquent avec netteté le sens de l'action gouvernementale.

La lutte pour l'emploi doit être la priorité quand le chômage est le premier acteur d'exclusion. La représentation nationale comme le Gouvernement doivent se mobiliser contre l'exclusion.

150 000 personnes aujourd'hui ne peuvent pas se soigner du tout, six millions ne peuvent pas assumer pleinement leurs dépenses de santé, particulièrement pour les soins dentaires, la médecine de ville mais aussi la lunetterie et les appareillages. Pourtant la Constitution de 1946 garantit à tous le droit à la santé.

La personne humaine est au coeur de ce projet de loi comme elle l'était de celui relatif au RMI ou à la lutte contre les exclusions. Reconnaissons à la gauche la volonté indéfectible d'inscrire davantage encore la personne humaine dans le fonctionnement de notre société...

Mme Odette Grzegrzulka - Très bien !

M. Marcel Rogemont - ...société trop souvent dure avec les faibles lorsqu'elle se montre parfois faible avec les puissants, pour ne pas dire avec les durs.

La couverture maladie universelle marquera non seulement cette législature, mais aussi l'histoire sociale de notre pays.

La nouveauté de la loi tient à l'universalité de ses principes et à sa simplicité d'application : toute personne vivant en France sera a priori couverte. Elle tient encore au partenariat recherché pour sa mise en oeuvre entre les caisses primaires, les régimes complémentaires dont les mutuelles et l'Etat.

Chacun s'accorde à reconnaître le caractère novateur de la loi. Certes la couverture maladie universelle n'arrive pas dans un désert. Mais l'action actuelle des départements, des communes et de l'Etat laisse de côté une part croissante de nos concitoyens les plus démunis. Cela appelle des initiatives nouvelles même si certains départements en ont déjà pris au-delà de la loi existante.

Ce projet de loi tire les conséquences des mesures prises par ces conseils généraux d'ailleurs. Elle les généralise et approfondit la solidarité qu'elles expriment.

La mise en place de la CMU ouvrira inévitablement une période d'incertitude. Pour un nombre réduit de familles, la couverture maladie risque d'être moins avantageuse que celle accordée par leur département : la solution réside dans une collaboration intelligente des partenaires de la CMU au niveau local.

Certains font semblant de découvrir l'effet de seuil et ne trouvent rien de mieux que d'en proposer un autre...

M. Jean-Michel Dubernard - Vous parlez du Gouvernement ?

M. Marcel Rogemont - Je parle de vous, cher collègue.

Nous souhaitons que cette question des seuils suscite des initiatives de la part des collectivités territoriales et des partenaires de la CMU. N'oublions pas qu'aujourd'hui il y a déjà un ou plusieurs seuils par département !

Le rapporteur a proposé la création d'un fonds d'accompagnement à la gestion duquel tous les partenaires seraient associés.

Il sera utile de faire le bilan de l'application de cette loi d'ici deux ou trois ans. Pourquoi ne pas créer un groupe de suivi au sein de la commission ?

M. le Président de la commission - Tout à fait d'accord !

M. Marcel Rogemont - Autre question, celle du retour au régime commun. Faut-il vraiment maintenir une différenciation entre les personnes qui ont choisi la CPAM et celles qui ont opté pour un organisme complémentaire ? Il sera nécessaire d'y réfléchir.

L'institution d'une cotisation facultative avec des prestation différentes pose également un problème de lisibilité.

Nous souhaiterions, Madame la ministre, que vous nous précisiez votre position sur ces questions et aussi sur l'avenir de l'aide sociale.

Toutes ces interrogations ne doivent pas masquer l'importance de ce projet, qui étend non seulement l'affiliation au régime général, mais aussi celle à la couverture complémentaire et généralise le système du tiers payant, bref assure réellement l'accès aux soins.

Vous avez souhaité compléter ce projet par un titre IV qui est une sorte de mini-DMOS. Nous vous en remercions !

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - Ah quand même !

M. Marcel Rogemont - Ce titre contient des propositions sur les questions de santé les plus urgentes. Nous les avons étudiées et nous proposerons des amendements.

Cependant, si nous comprenons que l'encombrement du calendrier parlementaire commande une telle initiative, cela ne doit pas cacher la nécessité d'un projet de loi plus complet portant sur diverses mesures d'ordre social et sanitaire.

Quelles sont les intentions du Gouvernement à cet égard ?

Je terminerai là mon propos, qui visait à participer activement à une réforme qui est une révolution dans l'approche de la santé, au moment où nous entrons dans un nouveau siècle (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Jacqueline Mathieu-Obadia - Je suis d'accord avec tous les orateurs qui m'ont précédée pour dire l'absolue nécessité d'une réforme de la Sécurité sociale permettant de couvrir toute la population de ce pays. Cela signifie que six millions de personnes sont à prendre en charge. Sur le principe, nous sommes tous d'accord, à droite et à gauche, et vos arguments sont les nôtres, Madame la ministre.

Dois-je ajouter que, depuis des siècles, les médecins appliquent, dans le secret de leur cabinet, l'article du serment d'Hippocrate les invitant à soigner gratuitement les indigents ? (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Vous semblez en douter, chers collègues, mais beaucoup le font sans en parler !

L'unanimité aurait donc dû se faire sur ce projet. Pourtant, nous sommes déçus. Quatre grands dangers risquent en effet de rendre caduc ce texte en l'état. Mais j'espère que le débat permettra de l'améliorer.

Le premier danger est celui d'une rupture avec le corps médical, avec l'ensemble des professions de santé, qui ressentent au premier chef la souffrance des plus démunis. Le dialogue doit s'instaurer entre le législateur et ces professions.

Le second danger tient aux dysfonctionnements de notre système de sécurité sociale : très coûteux, il laisse pourtant de côté 10 % de la population. Les gaspillages sont connus et pourtant ils ne sont pas traités. Pourquoi ne pas accéder à la demande des médecins de modifier la nomenclature des actes médicaux ? Pourquoi continuer à considérer comme "soins de confort" les prothèses dentaires et auditives, pourtant absolument nécessaires ? Nous ferons des propositions en ce sens.

Un autre danger est celui de dérapage financier. Il n'y a pas de contradiction à l'évoquer tout en réclamant l'augmentation du seuil. Nous devons savoir où nous allons avec cette loi et y mettre le prix nécessaire. Proposer un seuil à 3 800 F est logique puisque c'est le seuil de pauvreté.

J'évoquerai également un aspect moral : le risque existe que certaines personnes, pour rester en-dessous du seuil, refusent un travail ou ne le déclarent pas (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). C'est à nous, législateurs, de veiller à éviter ce risque.

Enfin en ce qui concerne le titre IV, j'ai une question : vous avez promis un statut aux étudiants dentaires, or je ne vois aucune disposition à ce sujet.

M. le Secrétaire d'Etat - Il y a un amendement en ce sens.

Mme Jacqueline Mathieu-Obadia - J'espère qu'il sera voté par l'ensemble de cette assemblée (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. le Secrétaire d'Etat - J'espère que vous le voterez !

M. Ernest Moutoussamy - Outre-mer, où misère, chômage, précarité et exclusion font d'épouvantables ravages, ce projet est lu comme un message d'espoir, qui apporte à l'inégalité devant la prévention et les soins comme aux lenteurs et aux obstacles de l'aide médicale une réponse empreinte de justice et de solidarité. Si des progrès considérables ont été réalisés depuis la départementalisation, il faut garder présent à l'esprit que le chômage est trois fois plus élevé qu'en métropole, la longévité moindre, le coût de la vie supérieur et le renoncement aux soins plus fréquent.

C'est dire avec quelle faveur nous accueillons un projet qui sort le pauvre de l'indigence en lui garantissant au moins l'accès gratuit aux soins. Pour apprécier la portée de ce dispositif, il faut savoir que les érémistes des DOM, s'ils perçoivent 20 % de moins que ceux de métropole, paient les médicaments 33 % plus cher : on comprend donc que beaucoup de personnes démunies renoncent à défendre leur santé, ce qui constitue une défaite et même une honte pour notre société civilisée. Garantir à chacun une protection contre le risque maladie et une couverture complémentaire, dispenser les plus démunis de l'avance des frais pour le ticket modérateur, le forfait journalier et les dépassements tarifaires en matière d'optique et de prothèses dentaires sont des dispositions attendues. En mettant fin aux mécanismes et aux démarches complexes d'admission à l'aide médicale, en faisant sauter le verrou financier qui privait de soins une partie importante de la population, la CMU ouvre une ère nouvelle et solidaire, où chacun pourra se soigner sereinement et efficacement (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. François Goulard - La nécessaire introduction d'une couverture maladie universelle signe l'échec de l'assurance-maladie telle que nous la connaissons en France, échec collectif de tous les Gouvernement qui se sont succédé (Interruptions sur les bancs du groupe communiste). Nous sommes en effet le seul pays d'Europe où une question comme celle-ci se pose aujourd'hui, car tous les pays comparables au nôtre ont des régimes de base pratiquant des taux de remboursement satisfaisants.

Face à cette situation, deux démarches étaient possibles. La première, la plus simple, eût consisté à corriger le système existant en faisant prendre en charge l'assurance complémentaire par la collectivité ; elle eût eu le double mérite de ne pas bouleverser l'organisation de l'assurance-maladie et, surtout, de ne pas créer d'effets de seuil, la participation de la collectivité pouvant être modulée selon le revenu. La deuxième solution, plus radicale, eût été de modifier de fond en comble tout le système, et je crois qu'il y faudra venir un jour, faute d'avoir réglé la question de la maîtrise des dépenses d'assurance-maladie : le Conseil constitutionnel a annulé, en effet, la mesure maîtresse de la dernière loi de financement de la sécurité sociale.

Mais vous avez choisi, au lieu de l'une ou l'autre voie, une voie bâtarde, qui aboutira très vite à placer les caisses d'assurance-maladie en situation de monopole pour la couverture des populations visées, la facilité du guichet unique contribuant à l'éviction des mutuelles et des assurances complémentaires. Je crains que ce choix ne préfigure la sécurité sociale de vos rêves, où une CNAM toute-puissante imposerait sa loi aux offreurs de soins et aux professions de santé (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Ce serait une sécurité sociale à deux vitesses, sur le modèle anglais : un socle aussi peu coûteux que peu satisfaisant pour les moins favorisés, et des assurances privées pour ceux qui auront les moyens de payer. Un tel modèle serait, à mon sens, désastreux.

Un mot, pour finir, sur l'article 37, qui soumet à une rigoureuse procédure d'autorisation la transmission de données sur les hôpitaux. Je serais tenté de l'intituler "hôpital, silence !" (Sourires). Toute transparence quant au fonctionnement et à l'efficacité, tant médicale que financière, des établissements sera en effet rendue impossible.

M. le Secrétaire d'Etat - C'est exactement le contraire !

M. Jean-Luc Préel - Mais si ! Il a raison !

M. François Goulard - L'heure est au contraire, me semble-t-il, à ce que chacun puisse mesurer les performances comparées des uns et des autres (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe RPR et du groupe UDF).

M. Jean-Pierre Foucher - Comment ne pas adhérer au titre du projet qui nous est présenté ? Alain Juppé et Jacques Barrot avaient d'ailleurs engagé une réflexion, en 1995-1996, sur la mise en place d'un régime d'assurance-maladie universelle, qui visait à refonder la sécurité sociale en garantissant les mêmes prestations à tous et en uniformisant les différents régimes.

Cette ambition est malheureusement absente du texte d'aujourd'hui, qui crée au contraire une double injustice, en raison d'abord des effets de seuil, ensuite des disparités qui continueront d'exister entre les régimes. Sur le premier point, je n'ai pas été convaincu par les explications du Gouvernement. Le plafond instauré exclura de la couverture complémentaire une multitude de foyers aux revenus modestes, quand ceux situés sous le plafond seront couverts à la fois mieux et gratuitement. Il aurait fallu prévoir des paliers, relever les taux de remboursement et mettre sur pied une médecine scolaire digne de ce nom.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Très bien !

M. Jean-Pierre Foucher - Quant à la disparité persistante des régimes, les régimes autres que le régime général s'inquiètent de la possible déstabilisation entraînée par la dissociation du paiement des cotisations et de l'ouverture des droits.

Il est hautement probable, en outre, que les bénéficiaires potentiels seront infiniment plus de 150 000. Il est difficile, en effet, d'estimer le nombre des personnes actuellement non couvertes, car celles qui ne se font pas soigner ne sont pas connues, et certaines, vivant hors des normes sociales, refusent même de s'intégrer à un système organisé. Par ailleurs, des personnes qui sont actuellement couvertes par le régime de l'assuré qui les héberge vont prendre conscience qu'elles peuvent être couvertes gratuitement de façon autonome. Au total, le coût du dispositif sera certainement beaucoup plus élevé que prévu. Il aurait mieux valu, par souci d'honnêteté, annoncer des chiffres plus proches de la réalité.

Comment ces dépenses supplémentaires vont-elles s'articuler autour de l'ONDAM, déjà dépassé lors de son récent vote ? Est-il certain que la carte d'assuré CMU permette de différencier les coûts entre "médecine habituelle" et "médecine CMU" ?

Comme beaucoup, je crains qu'une telle CMU entraîne un peu plus les Français dans l'idée d'assistance que le Gouvernement développe en tous domaines. L'accès aux soins doit être encouragé, mais rester responsabilisé. Aussi paraît-il indispensable qu'une participation, même très faible, soit mise à la charge des assurés CMU.

Vous avez adjoint à ce projet ce que le rapporteur a lui-même qualifié de "mini-DMOS". Pourquoi n'y avoir pas inclus davantage d'articles ? Le nombre de propositions d'articles additionnels révèle une vraie demande. N'aurait-il pas mieux valu nous soumettre un texte indépendant et plus complet ?

Sur l'article 35 qui entérine l'accord entre les caisses d'assurance maladie et les syndicats de pharmaciens d'officine, quelques précisions seraient les bienvenues. En effet, certaines obligations sont édictées au sein de l'article L. 162-16-1 du CSP, comme le développement d'avance des frais ou le rôle du pharmacien dans la dispensation des médicaments génériques. Ainsi obligations vraiment obligatoires et obligations conventionnelles ne se distinguent pas nettement.

L'absence de "continue" pour qualifier la formation n'est sans doute qu'une erreur rédactionnelle, mais la précision évitera des problèmes d'interprétation. Enfin, l'application aux pharmaciens assistants des dispositions relatives aux pharmaciens titulaires d'officine devrait conduire à distinguer la responsabilité pharmaceutique de la responsabilité de gestion, qui doit rester du seul domaine du pharmacien titulaire.

Je propose également de créer une section H, réservée aux pharmaciens hospitaliers, au sein du Conseil de l'Ordre, en raison du développement de leur nombre et de leur missions.

Enfin, puisque le fléau du tabac provoque un nombre très important de décès annuels, qui pourrait atteindre 165 000 en 2030, il m'a paru utile de rendre accessibles, sans prescription médicale obligatoire, les substituts nicotiniques. Aujourd'hui un enfant mineur peut acheter des cigarettes en vente libre, mais les substituts nicotiniques ne sont délivrés que sur ordonnance. Mettre fin à cette situation "poison libre mais traitement brimé" correspond à la politique de lutte contre le tabagisme. L'OMS ne vient-elle pas de proposer la vente des cigarettes en pharmacie, en raison de leur toxicité ?

Aux enfants malades ou en convalescence à domicile je propose d'offrir la possibilité de recevoir un enseignement et de lutter ainsi contre une future exclusion.

Au total, votre projet demande de multiples aménagements auxquels je souhaite que vous prêtiez une oreille attentive. En effet les réformes sur l'exclusion n'ont pas eu jusqu'ici l'effet escompté, et la fracture sociale est encore vivace. Mais prenons garde de ne pas nous attacher uniquement aux plus démunis au risque de créer de nouveaux exclus, et d'altérer ainsi le sens du mot "universelle" (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Mme Marisol Touraine - "Nous devons faire la révolution, et nous la ferons !" s'écriait Pierre Laroque au lendemain de la guerre, au moment de créer la Sécurité sociale . Il s'agissait alors de renforcer notre démocratie politique en la complétant par un solide pilier social. La Sécurité sociale a ainsi permis à des millions de citoyens de l'être à part entière.

Vous nous proposez aujourd'hui d'amplifier cette belle ambition. 101 ans après le vote d'une loi protégeant des accidents du travail, plus de 50 ans après la création de la Sécurité sociale, 10 ans après celle du RMI et un an à peine après la loi de lutte contre l'exclusion, nous allons, à votre initiative, poser un nouveau jalon du développement de l'état social. Chacun a admis le bien-fondé de la démarche. Encore fallait-il passer à l'acte !

700 000 personnes relevant de l'assurance personnelle auront droit à la CMU. Surtout, beaucoup de ceux qui renoncent à une couverture complémentaire y auront accès. Ainsi, près de 6 millions de personnes exclues des soins seront soutenues.

En votant cette loi, nous affirmerons un droit fondamental et nous ouvrirons des droits nouveaux, mais surtout nous ferons progresser réellement la solidarité et la fraternité, sans lesquelles l'égalité républicaine et la liberté démocratique demeurent inachevées.

Il est vain de parler de responsabilité et d'intégration si les besoins élémentaires ne sont pas satisfaits. La science ne cesse de progresser. On soigne de mieux en mieux. On vit aussi de mieux en mieux, et plus longtemps. Mais cette réalité heureuse cache de nouvelles inégalités. Nous rencontrons de plus en plus de personnes blessées par la vie, qui ne savent pas où s'adresser ou n'osent plus faire appel à l'extérieur. Le renoncement aux soins et la dégradation de l'état de santé renforcent les difficultés financières et sociales et retardent le retour à l'emploi.

Ce projet est le contraire d'une loi d'assistance. En appeler à la responsabilité, c'est combler les lacunes réapparues dans notre Etat providence en permettant à chacun de prendre toute sa place dans la société. Il appartient à l'Etat de définir les nouveaux principes de la solidarité et de la prise en charge du risque, en refusant de limiter son rôle à la prise en charge de ceux dont plus personne ne se charge. Il doit agir en relation avec tous les acteurs sociaux, sans se substituer à eux.

Ensemble, nous pouvons faire reculer l'injustice et vaincre la fatalité. Cette loi y contribuera, apportant sa pierre au bel édifice de l'intégration républicaine (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Jean-Michel Dubernard - Je traiterai du titre IV, et en particulier de deux articles additionnels.

Hier, en écoutant l'intervention du Gouvernement, certains députés ont laissé échapper le mot "cynisme !". Le cynisme serait-il en train d'être érigé par le ministère des affaires sociales en méthode de gouvernement ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Cynisme vis-à-vis des futurs bénéficiaires de la CMU, des exclus du système de santé qui méritaient une belle loi, à l'image de l'assurance maladie universelle. Ajouter le titre IV à votre projet achève de le dévaloriser.

Cynisme vis-à-vis des membres de la commission, de son président et du rapporteur, qui ont regretté l'adjonction de ce DMOS à peine déguisé.

Cynisme aussi vis-à-vis des praticiens hospitaliers...

Mme la Ministre - Qu'entendez-vous par cynisme ?

M. Jean-Michel Dubernard - Disons distance, pour le moins ! Les médecins hospitaliers exerçant une activité libérale à l'hôpital sont soupçonnés de minorer leur déclaration d'honoraires. Fallait-il légiférer pour les obliger à percevoir leurs honoraires par l'intermédiaire de l'administration ? Un décret ne suffisait-il pas ? D'autant que la mesure est très largement inapplicable. Mais le secteur privé est depuis toujours une épine irritative pour une certaine gauche !

Les patients ne consultent pas un hôpital ou un service, mais un médecin. L'activité libérale facilite le recrutement dans les hôpitaux publics. Lui accorder une place reste le seul moyen de garantir la présence de praticiens hospitaliers de qualité. Il est donc urgent de revoir le statut de ces médecins.

Vous faites aussi preuve d'un grand cynisme envers les étudiants en médecine français qui, soumis à un numerus clausus qui élimine 90 % des candidats aux concours, voient être régularisés un nombre chaque année plus grand de médecins titulaires de diplômes non européens.

M. le Secrétaire d'Etat - Ce sont eux qui font fonctionner les hôpitaux !

M. Jean-Michel Dubernard - Votre cynisme s'exerce aux dépens de nos futurs spécialistes, dont les perspectives de carrière sont faussées par cet afflux non contrôlé de spécialistes qualifiés ou non, mais aussi au détriment des médecins non européens eux-mêmes.

Tous, en effet, comptent sur une régularisation, qui mettrait fin à une situation effectivement inacceptable. Mais tous ne seront pas régularisés. Nombre d'entre eux sont menacés par le couperet qui doit tomber en 2002. On voit l'hypocrisie de ce Gouvernement, qui aborde le problème sans chercher à lui trouver de véritable solution.

Mme la Ministre - Monsieur le Président, il nous insulte !

M. Jean-Michel Dubernard - Je parle simplement de votre cynisme.

Monsieur Boulard, la situation des médecins à diplôme non européen est difficile. J'admets qu'elle résulte en partie de deux décennies de laxisme administratif. Mais beaucoup de ces médecins viennent en France pour des raisons économiques, pour trouver des débouchés qui n'existent pas dans leur pays -voire parce qu'ils n'ont pas été reçus dans leur faculté d'origine ! Ils sont venus pour rester une fois formés. Ils sont là par le biais des anciens CES, sans avoir le droit d'exercer ailleurs que dans les hôpitaux publics. Sous-payés, humiliés, ils sont parfois appelés "les soutiers de la médecine".

M. le Secrétaire d'Etat - C'est bien pourquoi on les régularise.

M. Jean-Michel Dubernard - Votre politique pénalise les médecins non européens dont la compétence est indiscutable et qui souffrent de certains amalgames. On ne sait plus distinguer leur contribution à la médecine française.

Songeons aussi à ceux qui, autrefois, venaient se former en France pour exercer ensuite dans leur pays. Les étudiants de ce type ont presque disparu, tant il est difficile de devenir interne à titre étranger. Mes collègues d'Afrique de l'Ouest et d'Amérique latine ne comprennent pas qu'il soit plus facile d'envoyer leurs élèves aux Etats-Unis qu'en France, et ces francophiles nous taxent de xénophobie.

Il faut charger une mission parlementaire de formuler des propositions en vue de mettre fin à toutes sortes d'amalgames (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. André Aschieri - Parmi les droits sociaux inscrits dans le préambule de la Constitution de 1946, le droit à la protection de la santé est l'un des plus fondamentaux.

S'il est certain que l'état de santé de la population s'est amélioré, trop de personnes restent à l'écart du progrès. Comment admettre que plus de 300 000 personnes ne bénéficient d'aucune couverture sociale ? Comment ignorer la dégradation de la santé d'une partie de la jeunesse ?

La CMU va réduire les inégalités dans l'accès aux soins. Il est toutefois indispensable de veiller à leur qualité, comme à celle des prothèses, qui doit être la même pour tous.

Ce projet peut être amélioré. Il ne prend pas en compte, par exemple, le cas des étrangers en situation irrégulière. Nombre de malades du sida doivent interrompre leur traitement parce que leur séjour est irrégulier ou qu'on leur oppose un refus de soin. Intolérable du point de vue de l'humanité, cette situation est en outre dangereuse, compte tenu des risques de contamination. Contrairement au nuage de Tchernobyl, qui s'est paraît-il arrêté à nos frontières, les maladies frappent indistinctement les détenteurs de vrais et de faux papiers. Nous souhaitons donc la création d'un observatoire de la CMU, chargé de vérifier que l'accès aux soins et le respect du secret médical soient effectifs.

S'agissant du titre IV, je souhaite attirer votre attention, madame la ministre, sur la situation difficile de certaines catégories de personnel médical. Ainsi, les députés Verts déplorent la disparition de la profession d'aide opératoire et instrumentiste, conformément à un décret de 1993. Nous souhaitons que vous trouviez une solution en faveur des intéressés, dont je salue la compétence.

Par ailleurs, 8 000 médecins titulaires d'un diplôme non européen exercent dans les hôpitaux publics français. Leur situation professionnelle doit être améliorée.

Nous regrettons que vous n'ayez pas choisi d'étendre la CMU à un plus grand nombre de bénéficiaires. Les députés Verts, soutenus par un certain nombre de leurs collègues, ont fait adopter par la commission le principe d'un tel élargissement en portant le seuil d'accès à 3 800 F, ce qui correspond au seuil de pauvreté fixé par l'INSEE. Les membres du groupe RCV désapprouvent la méthode utilisée pour revenir sur ce vote de la commission. A quoi servent les parlementaires ? La fixation d'un tel seuil permettrait d'apporter une couverture maladie à deux millions de personnes supplémentaires.

Dans un contexte caractérisé par la hausse du prix des soins et par la diminution du taux de remboursement, les personnes aux revenus modestes ne disposant pas d'une couverture complémentaire se retrouveront dans une situation plus défavorable que les personnes en situation précaire bénéficiant de la gratuité des soins.

Les contraintes budgétaires n'interdisent pas de faire preuve de bon sens et de cohérence. Il est possible de donner une logique à ce projet en indexant les conditions d'accès sur les minima sociaux que sont le minimum vieillesse et l'allocation pour adulte handicapé, sans quoi beaucoup de personnes âgées et d'handicapés ne pourront pas bénéficier de la CMU.

Les députés Verts souhaitent que votre position évolue, conformément aux voeux de la FNATH, de l'UNIOPSS et de Médecins du Monde.

Enfin, il faut améliorer la transparence en matière d'information sur la santé. Le projet donne au ministre la faculté de s'opposer à la publicité de données sanitaires, même si elles n'ont aucun caractère nominatif. Notre conviction est que la transparence est au fondement d'une bonne politique de la santé.

Assurer l'égal accès de tous aux soins permettra de restaurer la dignité des personnes en détresse. C'est une nécessité humaine et notre devoir de parlementaire. Initiative généreuse et révolutionnaire, la CMU deviendra véritablement historique si votre dispositif s'enrichit des apports de l'Assemblée. Les Verts voteront ce projet, en espérant que vous répondrez à leurs attentes (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV).

M. Ollier remplace M. d'Aubert au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE DE M. Patrick OLLIER

vice-président

M. Jean-Luc Préel - Permettre à chaque Français d'accéder aux soins, c'est une initiative que nous approuvons. Apporter une couverture de base aux 150 000 personnes qui en sont dépourvues emporte notre adhésion. Mais il faut se demander pourquoi ces personnes ne bénéficient pas du dispositif existant. Feront-elles les démarches nécessaires pour être protégées par la CMU ? Espérons-le.

Nous aurions préféré une assurance maladie universelle harmonisant les dix-neuf régimes existants.

Quant au deuxième volet de votre projet, relatif à l'assurance complémentaire, il repose sur des choix pervers.

Mme la Ministre - Pervers ?

M. Jean-Luc Préel - Au lieu de fixer un seuil, il aurait fallu prévoir une aide dégressive, inversement proportionnelle au revenu.

Si l'effet de seuil est pervers, c'est parce qu'il va aggraver l'injustice. En-dessous du seuil, tout sera gratuit, ce qui semble juste s'agissant des plus démunis. Mais sitôt franchi le seuil, il faudra payer le forfait hospitalier, les prothèses, les lunettes, sans compter la cotisation pour l'assurance complémentaire, qui augmentera au moins de 1,75 %, puisque vous allez taxer les mutuelles à cette hauteur. L'augmentation sera sans doute supérieure, du reste, puisque les mutuelles vont perdre des adhérents : ceux qui cotisent aujourd'hui et qui seront demain pris en charge par la CMU.

Dans votre système, le Français moyen, celui dont le revenu est supérieur à 3 500 F, n'a que le droit de payer.

Vous aggravez ainsi les inégalités entre le salarié et le travailleur indépendant.

Aucune progressivité n'est prévue et c'est regrettable.

La seconde critique majeure concerne le champ de compétence de la protection sociale -et cela n'est pas un faux problème, Monsieur le rapporteur. Aujourd'hui, les régimes d'assurance maladie ont le monopole de l'assurance de base tandis que les assurances, les mutuelles, les institutions de prévoyance se partagent la "complémentaire". Votre projet remet en cause cette répartition. Pour ne pas tout chambouler, un accord technique a été passé par l'ensemble des acteurs : le plus simple ne serait-il pas de le reprendre dans la loi ?

Sinon, ou bien vous permettez aux complémentaires d'assurer au premier franc ; ou bien si vous le refusez, Bruxelles risque de remettre en cause notre système à la française, dont vous aurez été le fossoyeur involontaire (Mme la ministre s'exclame).

Pour pallier ces deux inconvénients majeurs, j'ai déposé une série d'amendements, permettant d'apporter à chacun une aide inversement proportionnelle à son revenu, pour payer son assurance complémentaire. Alors, il n'y aurait plus d'effet de seuil, ni de remise en cause des champs de compétence. En outre, ma proposition responsabilise le bénéficiaire. Elle a d'ailleurs reçu un excellent accueil.

D'autres problèmes importants se posent. D'abord, la définition du panier de soins, dont nous ne savons toujours pas ce qu'il recouvre exactement. Ensuite, la prévention, la prise en charge des frais de gestion, la situation des personnes concernées par un contrat collectif et qui bénéficieront de la CMU.

Il y a aussi le cas des étudiants : puisque un jeune de seize ans aura droit à la CMU, un jeune étudiant disposant de ressources inférieures à 3 500 F y aura-t-il droit ? Mais s'il peut s'adresser à la CPAM, que deviendront les mutuelles étudiantes ? Et s'il n'y a pas droit, n'y a-t-il pas rupture d'égalité ? Et les veuves, qui aujourd'hui bénéficient de la couverture maladie par l'intermédiaire de l'assurance personnelle ?

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur - Elles y auront toujours droit.

M. Jean-Luc Préel - Il y a aussi le problème que pose la mise en place d'une double tarification des prothèses.

Le débat sur les articles permettra, j'espère, de répondre à toutes ces question.

Quant au titre IV, c'est un fourre-tout, une sorte de DMOS. Mais pourquoi n'avez-vous pas présenté deux textes distincts ? Le calendrier parlementaire n'est qu'un prétexte, puisque nous avons déjà deux rapporteurs.

Merci d'avance pour vos réponses, Madame la Ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

Mme la Ministre - Je vous répondrai précisément, comme toujours !

Mme Catherine Génisson - Depuis deux ans, notre Gouvernement et notre majorité mènent un combat difficile pour mettre un terme aux inégalités devant l'emploi, devant l'accès aux droits fondamentaux et pour remédier à toutes les formes d'exclusion. Aujourd'hui, nous avons la fierté d'assurer à tous un droit à l'assurance maladie de base et à la couverture complémentaire. Cela permettra d'éviter que nombre de nos concitoyens renoncent aux soins pour des raisons financières. Chacun pourra se faire soigner et rester en bonne santé.

Nous savons que 700 000 Français sont mal protégés et que 150 000 d'entre eux n'ont aucune protection sociale. Le projet de loi doit remédier enfin à cette situation inacceptable.

Son principe est simple, son application devra l'être. Le seul critère de résidence ouvre droit à la couverture d'un régime obligatoire sans que cela dépende d'une cotisation.

En outre, un droit à couverture complémentaire est instauré sous conditions de ressources, dans un système partenarial impliquant les caisses, les prévoyances, les mutuelles et les assurances, le libre choix de l'organisme étant laissé au bénéficiaire. Ce système touchera 6 millions de personnes, alors que l'aide médicale départementale n'en concerne que 2,8 millions.

Il est souhaitable que ce droit d'opter entre le régime général et les organismes mutualistes pour la couverture complémentaire soit transitoire, et que le système mutualiste joue pleinement son rôle originel. Il faut que ce droit d'option assure l'égalité d'accès à une prestation identique pour tous, dans des conditions semblables. Nous ne pourrions comprendre qu'en voulant remédier aux applications hétérogènes de l'aide médicale par les départements, nous provoquions de nouvelles inégalités de droits entre ceux qui opteraient pour la couverture complémentaire de la Sécurité sociale, et ceux qui choisiraient les couvertures mutualistes ou assurancielles. Il faut éviter que la CMU ne devienne un produit d'appel pour d'autres prestations.

Ainsi la CMU permet à plusieurs millions d'entre nous d'accéder à l'assurance maladie obligatoire et complémentaire. Mais la CMU, c'est avant tout un véritable accès au droit de se soigner ! Pour guérir et pour prévenir. C'est la mise en oeuvre du principe d'égalité devant le droit à la santé.

Il faudra se soucier notamment des soins dits "de luxe" ; dentaires ou de lunetterie, ce sont les premiers auxquels on renonce car trop peu remboursés.

La loi prévoit des accords avec les professionnels de santé sur les dépassements d'honoraires et les tarifs. Mais il faudra aussi envisager une révision de la nomenclature des actes de chirurgie dentaire, pour permettre aux professionnels de faire face à leurs charges et aux patients de ne pas renoncer à ces soins. Cette loi conduira, je le pense, à une réflexion globale sur notre système de santé et de protection sociale.

L'accès plus facile aux soins contribuera sûrement, grâce à la prévention et à la prise en charge précoce des pathologies, à la maîtrise des dépenses de santé, car une pathologie est moins coûteuse lorsqu'elle est décelée précocement.

Ce projet revêt un caractère politique majeur, car il garantit le principe d'égalité auquel nous sommes profondément attachés.

Bien sûr, des questions seront posées au cours de notre discussion, en particulier au sujet du seuil, mais aussi au sujet de certaines propositions du rapporteur. L'idée de faire payer une cotisation bien que ce système de couverture ne dépende pas d'une cotisation, méritera d'être discutée.

Bref, dans cette discussion générale, je voulais rappeler les grands enjeux, et dire la fierté qui m'anime, comme beaucoup d'entre vous, mes chers collègues, de contribuer à l'élaboration d'une loi qui fera date. Notre soutien, Madame la ministre sera solide, comme notre réflexion et notre apport à la construction de ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Bardet - La couverture maladie universelle, voilà bien le type de l'idée généreuse qui est une vraie-fausse bonne idée : sous prétexte de supprimer une injustice, elle en crée d'autres.

M. Marcel Rogemont - Laquelle ?

M. Jean Bardet - Ne commencez pas à m'interrompre ! Ne pas pouvoir accéder aux soins, c'est sûrement la plus grande injustice de cette fin de XXème siècle. Elle est d'ailleurs plus manifeste entre les pays développés et les pays du tiers-monde, car je n'ai jamais vu un malade être refoulé aux urgences parce qu'il n'avait pas de carte de Sécurité sociale.

Néanmoins, il est sans doute vrai que 150 000 Français n'ont pas accès aux soins, mais c'est plus par manque d'information que faute de pouvoir vraiment y accéder. Je ne suis pas sûr que le nouveau dispositif y changera quelque chose, même si le rôle des association est expressément rappelé.

Cette loi est génératrice d'injustice par ses effets de seuil. Le projet aurait été plus cohérent si la cotisation à la complémentaire était proportionnelle aux revenus pour tous.

On a dit parfois que c'était aux gouvernements de gauche que l'on devait les avancées sociales majeures : le RMI, l'accès à l'aide médicale pour les personnes les plus défavorisées, et maintenant la CMU. Comme j'aurais aimé qu'un gouvernement de gauche ou de droite supprime le chômage, car il rendrait inutiles toutes ces avancées sociales dont vous vous gargarisez.

Mme Benayoun-Nakache - Les gargarismes adoucissent la voix !

M. Jean Bardet - Quant à l'aspect financier, qui peut croire que ce dispositif coûtera 9 milliards ? Ce sera plutôt 15 milliards, ou même 24. Qui assurera le financement ? Le supplément sera-t-il ajouté au déficit de la Sécurité sociale ou financé par un relèvement des cotisations ?

Je ne comprends pas la disposition qui permet aux caisses primaires d'assurer la couverture complémentaire. Certes, l'argument de la simplicité peut être défendu, à moins que par ce biais innocent vous n'ayez décidé d'ouvrir les caisses à la concurrence ?

Néanmoins, aussi imparfait qu'il soit, j'aurais pu voter la première partie de ce projet de loi. Pourquoi y avez-vous ajouté un titre IV sur la "modernisation sanitaire et sociale" qui traite de sujets variés, vrai DMOS qui ne veut pas dire son nom. Il aurait mieux valu deux lois, mais vous avez sans doute voulu noyer ce fatras dans la CMU.

L'article 37, sous le prétexte louable de préserver l'anonymat des patients hospitalisés, prive le public de son droit à l'information.

Un article récent d'un mensuel de vulgarisation a fait scandale, à juste titre, non parce qu'il donnait des informations comparatives sur les hôpitaux -que le public est en droit de connaître- mais parce que celles-ci reposaient sur des critères subjectifs, faute de critères objectifs, en particulier pour l'AP-HP. Partisan de la médecine libérale mais aussi défenseur de l'hôpital public, je considère que celui-ci ne pourra rester un lieu de soins de haut niveau sans transparence. Si le PMSI ne respecte pas l'anonymat, il faut le réformer et non rendre les informations secrètes.

Je terminerai en évoquant la situation des praticiens adjoints contractuels, qui ne sont d'ailleurs qu'un arbre cachant la forêt de tous les médecins titulaires de diplômes extra-européens.

Ces médecins jouent un rôle clé dans nos hôpitaux de proximité, mais aussi dans de nombreux CHU, y compris à l'AP-HP. J'en connais qui y travaillent quasiment à temps plein et sont obligés pour vivre, ou survivre, de prendre plusieurs gardes par semaine, souvent sous un prête-nom car des règlements leur interdisent de le faire. Ou ces médecins ont la compétence de faire ce qu'ils font, et elle doit être reconnue, ou ils ne l'ont pas.

Certes, la solution n'est pas simple. Comment d'un côté imposer un numerus clausus à des médecins à diplôme français et d'un autre, régulariser des médecins à diplôme étranger ? Peut-on priver les hôpitaux de ces médecins à diplôme étranger, indispensables à leur fonctionnement ? La solution serait de multiplier le nombre de postes PH et de rendre leur carrière plus attrayante. Les restrictions budgétaires ne vont malheureusement pas en ce sens. Les praticiens adjoints contractuels devraient être recrutés sur la base d'un concours de même niveau que les PH avec des quotas de façon à ne pas pénaliser les médecins à diplôme communautaire. Le problème humain des médecins à titre étranger non reçus à ce concours n'en serait pas pour autant résolu. On le voit, ce problème complexe mériterait mieux qu'un amendement déposé en commission dans le cadre du projet de loi sur la CMU.

Toutes mes observations étaient dénuées de polémique car en tant que médecin, mon seul souci est d'améliorer le système de soins de notre pays et l'état de santé de nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Alain Veyret - Qui pourrait remettre en cause le bien-fondé d'une loi dont le but est de garantir à chacun le droit à la santé ?

Des trois principes fondateurs de notre République, "liberté, égalité, fraternité", les deux derniers sont aujourd'hui particulièrement méprisés. Depuis une vingtaine d'années, avec la dérégulation de l'économie et la mondialisation, les individualismes se sont exacerbés tandis que la solidarité et la justice sociale ont été négligées. Ainsi les desseins principaux de notre contrat social ont-ils été peu à peu abandonnés.

Au nom du libéralisme triomphant et du dogme monétariste, l'Etat providence a été désigné comme la cause de tous les maux, accusé d'encourager la paresse et d'entraver l'épanouissement économique. Les inégalités se sont creusées, entraînant l'exclusion dans une société à plusieurs vitesses.

M. Mattei a dénoncé hier soir l'assistanat qui, a-t-il dit, ôte leur dignité à de plus en plus de nos concitoyens. Dois-je lui rappeler que les dogmes libéraux et individualistes auxquels il adhère sont la cause du chômage qui, lui, prive l'homme de sa dignité ?

C'est la charité à laquelle il appelle pour les plus fragiles qui prive l'homme de sa dignité. En effet elle n'est pas un droit mais une largesse que les riches veulent bien, parfois, consentir aux indigents. A l'inverse, l'assistance érige la solidarité nationale en un devoir collectif qui rend sa dignité au plus faible.

C'est une vertu, malheureusement, trop souvent négligée dans notre République que de tendre la main aux plus démunis. L'assistance n'est pas une vertu compatissante. Elle est un devoir. Elle est la justice. Rappelons-nous nos pairs à la Constituante de 1790.

Notre pays est riche. Son produit intérieur brut a augmenté de façon considérable, de même que le pouvoir d'achat du plus grand nombre. Mais, parallèlement, de plus en plus de nos concitoyens sont restés sur le bord de la route, privés d'emploi et de la solidarité la plus élémentaire, victimes d'une pauvreté intolérable au regard de l'opulence des autres.

L'exclusion est le grand crime social de cette fin de siècle. Il est de notre devoir d'y mettre fin.

L'accroissement de la richesse nationale a accru les exigences en matière de santé et, partant, les dépenses en ce domaine. Les régulations instituées ont malheureusement pénalisé les plus modestes, qui sont aussi les plus exposés.

L'inégalité sociale face à la mort s'est accentuée.

Certes, toutes les catégories sociales ont profité de l'allongement de l'espérance de vie mais celui-ci a profité surtout à celles qui avaient le niveau de mortalité le plus bas. La mortalité a diminué de près de 40 % depuis 1960 pour les catégories sociales les plus aisées et de moins de 20 % seulement pour les travailleurs manuels. Les cancers du poumon et des voies aérodigestives ont beaucoup augmenté, surtout chez les ouvriers et les employés. La prévention des maladies cardiovasculaires a surtout bénéficié aux cadres et aux professions libérales. Est-ce cela notre conception de la justice ?

Ce projet de couverture maladie universelle complétera la loi de lutte contre les exclusions. Il participera à l'avènement d'une société où chacun est en droit d'avoir un travail, un revenu décent, un logement et de pouvoir se faire soigner.

Afin de ne pas porter les ferments de nouvelles inégalités, il devra toutefois être complété afin de rendre plus équitable l'effort de chacun à la solidarité légitime.

Le ticket modérateur, de l'ordre de 25 %, conduit une part de plus en plus importante de nos concitoyens à renoncer à se soigner. Il convient donc de ne pas négliger les difficultés rencontrées par la frange la plus modeste des classes moyennes. Elle ressentirait comme une injustice qu'aucun geste ne soit fait pour l'aider à assumer la charge de cette couverture complémentaire. Nous devons avoir le courage de faire les arbitrages budgétaires nécessaires.

Il en va de même pour tous ceux que les accidents de la vie ont amené à se surendetter ou qui, soumis à des charges volontaires ne peuvent souscrire une assurance complémentaire.

Sans remettre en cause la nécessité d'une prise en charge à 100 % pour les ménages les plus pauvres, il faut instaurer une aide, modulable en fonction du revenu disponible. Ainsi tous bénéficieraient de la légitime solidarité nationale affirmée dans notre Constitution.

Le seuil prévu pénalisera les bénéficiaires du minimum vieillesse qui, pourtant, en raison de leur âge, sont plus souvent malades et paient les cotisations d'assurance complémentaire les plus fortes.

Je souhaite enfin souligner la concertation qui a prévalu entre tous les partenaires. Les acteurs de santé ont prouvé, par leur présence nombreuse et leur engagement dans les associations, mais aussi dans le huit clos de leur cabinet, leur volonté de lutter au quotidien pour l'accès de tous aux soins. Ce texte fait appel à leur responsabilité.

Il existera certes toujours un seuil à la prise en charge totale comme il en existait déjà pour l'aide sociale départementale. Mais celle-ci tenait compte des situations particulières. Il faut aussi en tenir compte au niveau de l'Etat, afin d'éviter, comme vous l'avez souligné hier, Madame la ministre, à certains de devoir tendre la main en permanence et de se mettre à nu.

Il vous appartient de fixer ce seuil. Sans nous braquer sur cette question, réfléchissons à une solution qui démontrera encore, s'il était nécessaire, votre détermination à lutter contre l'injustice. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. Jean-Jacques Denis - On ne peut rester indifférent devant ce constat du Haut comité de la santé publique : "Plus on est pauvre, plus on est malade, et plus on meurt jeune".

Malgré l'augmentation de l'espérance de vie, les écarts de mortalité entre les catégories socio- professionnelles s'aggravent en fonction des revenus. Des études confirment que le recours aux soins médicaux et dentaires varie selon le niveau de revenu.

Si le régime de base de la Sécurité sociale, créé en période de plein emploi garde sa pertinence, il présente cependant des insuffisances. Les soins ne sont en moyenne remboursés qu'à 73 % alors même que les cotisations n'ont pas cessé d'augmenter.

Il était urgent de corriger deux failles de ce système. C'est l'objet des deux volets essentiels de ce projet.

Tout d'abord, une affiliation automatique et immédiate pour tous les résidents sur le territoire français remplacera l'adhésion individuelle, très imparfaite, au régime général.

Enfin, le ticket modérateur, qui s'est révélé un ticket d'exclusion, sera pris en charge pour les plus démunis.

L'inégalité devant la maladie, la douleur et la mort doit être combattue comme toutes les autres. Le droit à la santé est aussi important que le droit au logement et à l'emploi. C'est un droit fondamental de l'homme que précisent la déclaration de l'OMS d'Alma-Ata et l'article 22 de la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Madame la ministre, vous avez su trouver les ressources nécessaires à votre projet et réorganiser l'offre de soins en faveur des plus démunis.

Les bienfaits des progrès de la médecine ne peuvent être réservés à certains. Les soins aux exclus relèvent souvent aujourd'hui de l'assistance, parfois de la charité. Il faut certes saluer les associations pour leur rôle de sentinelle et leur dévouement. Mais elles ne peuvent pas répondre à une demande en augmentation constante. En outre, elles sont inégalement réparties sur le territoire.

Organisée par l'Etat, la couverture maladie universelle permettra une affiliation immédiate à tous ceux qui ne bénéficient pas aujourd'hui de la Sécurité sociale. Six à sept millions de personnes bénéficieront aussi d'une assurance complémentaire.

Nouvelle avancée sociale à l'instar du RMI, elle répond aux attentes des Français qui se sont mobilisés en grand nombre pour les Etats généraux de la santé, montrant que la santé est une de leurs préoccupations fondamentales. Ce texte ne pouvait plus attendre.

Le projet de loi insiste aussi sur le droit à la prévention. Un diagnostic précoce est en effet essentiel. En effet, plus la consultation aura été tardive, plus le traitement sera lourd et onéreux. L'offre de soins doit donc être accessible en amont, notamment pour limiter les coûts liés aux hospitalisations.

Ce projet de loi renforcera aussi la cohésion sociale. Il lie le médical et le social et complète la loi contre les exclusions.

Des questions restent toutefois en suspens. Il convient d'atténuer, autant que faire se peut, les effets du seuil retenu de 3 500 F. Avant d'atteindre le seuil de pauvreté estimé à 3 800 F, il ne devrait pas être inférieur au minimum vieillesse et à l'allocation adulte handicapé.

Je pense ici au développement du tiers payant, qui ne devrait plus provoquer de réticences. Ce texte permettra aux médecins de mettre en accord leur vocation avec le serment d'Hippocrate et le code de déontologie.

Le droit aux soins pour tous sera considéré comme un acquis de notre politique. Il y va de la dignité même de l'être humain (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 30.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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