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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 92ème jour de séance, 232ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 6 MAI 1999

PRÉSIDENCE DE M. Yves COCHET

vice-président

          SOMMAIRE :

SOINS PALLIATIFS 1

    ARTICLE PREMIER 23

La séance est ouverte à neuf heures.

La séance, immédiatement suspendue, est reprise à neuf heures dix.


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SOINS PALLIATIFS

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de Mme Gilberte Marin-Moskovitz et plusieurs de ses collègues tendant à favoriser le développement des soins palliatifs et l'accompagnement des malades en fin de vie.

M. le Président - Le rapport de la commission des affaires culturelles porte également sur des propositions de lois traitant du même sujet de MM. Jean-Jacques Denis, Bernard Perrut, Roger-Gérard Schwartzenberg et Jean-Louis Debré.

Mme Gilberte Marin-Moskovitz, rapporteur de la commission des affaires culturelles - La douleur, la fin de vie, la mort sont des sujets difficiles, qui relèvent de la sphère privée. Nous avons longtemps considéré la douleur comme naturelle, voire salvatrice, et l'avons niée, surtout celle des enfants. La mort contredit l'image conquérante de nos sociétés ; on la cache. En 1960, deux tiers des français mouraient chez eux ; aujourd'hui, 70 % décèdent en institution. Alors que la médecine repousse toujours plus loin les limites de la vie, elle a longtemps négligé les souffrances physiques et psychiques. C'est la vocation des soins palliatifs de soulager à la fois la douleur et la souffrance psychologique du malade et de ses proches. La Grande-Bretagne a ouvert la voie en 1967 avec le Saint Christopher's Hospice, premier hôpital moderne consacré aux soins palliatifs. En France, les soins palliatifs se sont développés progressivement et souvent à l'initiative de bénévoles.

L'avis adopté par le Conseil économique et social le 24 février 1999 sur l'accompagnement des personnes en fin de vie a mis en évidence le retard de la France dans ce domaine. L'offre de soins palliatifs est à la fois insuffisante et inégalement répartie sur notre territoire. On ne compte que 570 lits contre 3 000 en Grande-Bretagne, pour 535 000 décès annuels, dont 150 000 dus au cancer ou à la maladie d'Alzheimer. Quarante et un départements ne disposent d'aucune unité, ni fixe, ni mobile.

Plus de la moitié des équipes mobiles ne disposent ni du personnel, ni des compétences nécessaires, à savoir : un médecin, un psychologue, un infirmier et une secrétaire au moins.

La quasi totalité de ces équipes ne disposent pas de locaux propres et ne peuvent donc pas pratiquer de consultation ni accueillir les familles.

L'hospitalisation à domicile reste très peu développée : notre capacité d'accueil est inférieure à 4 000 lits.

Le rapport du Conseil économique et social a pourtant montré que le coût budgétaire des soins palliatifs est limité. Le maintien d'un malade en service actif hospitalier revient de 3 000 à 5 000 F par jour. Son transfert en unité de soins palliatifs ramène ce coût aux environs de 2 000 F. Son retour au domicile, avec une prise en charge de qualité, fait descendre le coût journalier aux alentours de 1 200 F.

L'absence de normes aggrave le manque de moyens. Il n'existe pas de modèle normalisé d'unité ou d'équipe spécialisée en soins palliatifs.

Le retard français s'explique d'abord par des raisons culturelles. Si les infirmiers, depuis la publication du décret du 15 mars 1993, reçoivent une formation aux soins palliatifs, au traitement de la douleur et à la psychologie de l'accompagnement, la formation des médecins, dans ce domaine, reste dérisoire.

Ce n'est que depuis l'arrêté du 4 mars 1997 -la moitié seulement des facultés de médecine l'applique- que l'enseignement théorique comprend, parmi des matières ou des groupes de matières obligatoires, les soins palliatifs et le traitement de la douleur.

En outre, les équipes de soins palliatifs, qui ne jouissent d'aucune reconnaissance universitaire, doivent consacrer tout leur temps aux malades, compte tenu de la faiblesse des moyens qui leurs sont alloués.

En réalité, il existe une résistance culturelle aux soins palliatifs dans la médecine française, qui préfère développer les techniques de dépistage précoce et étudier les associations de thérapies, dans le louable souci de guérir davantage. Mais la mort, qui contrarie l'idéologie de la toute puissance médicale, est de ce fait rejetée.

Par ailleurs, les résistances culturelles à la prescription d'antalgiques majeurs demeurent tenaces dans notre pays, par rapport à nos voisins européens, comme la Belgique et le Danemark. Or la maîtrise de la douleur est essentielle dans l'accompagnement du malade en fin de vie.

Cette absence de reconnaissance rejaillit sur le statut administratif peu clair des équipes mobiles. Le médecin coordonnateur est, le plus souvent, un médecin contractuel ou vacataire. Comme il n'a pas directement la responsabilité du malade, ses prescriptions ne sont pas toujours suivies.

Le programme de médicalisation des systèmes d'information -PMSI- est maintenant l'instrument utilisé pour décrire l'activité hospitalière et allouer leurs moyens financiers aux établissements. Pour des groupes homogènes de malades, il décrit les diagnostics et les actes réalisés pour dégager un prix unitaire théorique exprimé en points ISA.

Il faut faire évoluer le PMSI pour que l'activité de soins palliatifs soit mieux prise en considération. En effet, pour les unités de court séjour, comme la maison Jeanne Garnier, la valeur du point ISA est comprise entre 60 et 70 F, soit environ six fois le coût moyen de l'activité hospitalière au niveau national. Pour les unités classées en soins de suite, la situation est un peu meilleure, le PMSI prenant en considération la dépendance physique du malade. Mais il ne mesure pas le "temps relationnel", c'est-à-dire tout le temps consacré à l'accompagnement psychologique du malade. Il ne tient pas compte non plus des troubles du comportement dont souffrent certains malades et qui occasionnent des soins particuliers.

Il n'est donc pas excessif de conclure, comme l'a fait le président de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, que le PMSI encourage l'acharnement thérapeutique : mieux vaut poursuivre jusqu'au bout les soins chirurgicaux et les chimiothérapies, même inutilement, que de soulager la douleur du malade.

Il est nécessaire de légiférer.

La circulaire du 26 août 1986, relative à l'organisation des soins et l'accompagnement des maladies en phase terminale, est le seul texte traitant spécifiquement des soins palliatifs, dont elle précise la nature et les modalités d'organisation, compte tenu de la diversité des situations.

La loi de réforme hospitalière du 31 juillet 1991 avait introduit les soins palliatifs dans les missions du service public hospitalier. L'article L. 711-4 du code de la santé publique prévoit ainsi que les établissements de santé assurant le service public hospitalier "dispensent aux patients les soins préventifs, curatifs ou palliatifs que requiert leur état et veillent à la continuité de ces soins à l'issue de leur admission ou de leur hébergement".

Suite à la publication du rapport Delbecque, M. Kouchner avait annoncé les cinq mesures à appliquer en 1993, mais ce plan fut sans effet, en raison du changement de gouvernement.

Le 8 avril dernier, le secrétaire d'Etat à la santé a annoncé une série de mesures destinées à améliorer la prise en charge de la douleur et des malades en fin de vie. Ce plan triennal de développement des soins palliatifs comporte des mesures variées, telles que le soutien à trois projets régionaux et le développement des équipes mobiles. Par ailleurs, 150 millions ont été destinés aux soins palliatifs dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999, ce qui permettra de doubler l'offre de soins.

Outre mon texte, plusieurs propositions ont été déposées sur ce sujet douloureux. On me fait savoir que mon temps de parole s'épuise, mais il est nécessaire que nous prenions le temps de débattre. Les Etats généraux de la santé ont montré que les conditions de fin de vie sont au centre des préoccupations de nos concitoyens. Parmi les thèmes retenus par leurs comités de pilotage, le thème "douleur et soins palliatifs" est en effet celui qui a fait l'objet du plus grand nombre de réunions.

La mise en examen d'une infirmière, en juillet 1998, a provoqué un électrochoc. Sans nier la nécessité d'un débat sur l'euthanasie, je suis persuadée que le développement des soins palliatifs réduira la demande d'euthanasie dans notre pays.

C'est à l'initiative du groupe RCV que nous examinons cinq propositions visant à renforcer les droits du malade, à définir les soins palliatifs, à accorder un congé d'accompagnement aux membres de la famille et à reconnaître le rôle des bénévoles et des associations. J'insiste sur le progrès que représente la création de ce droit au congé d'accompagnement : trop souvent, on soigne la maladie et non le malade, en oubliant que celui-ci a une famille (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles  - Je mesure la difficulté de travailler sur un tel sujet. En trois jours, nous avons examiné la couverture maladie universelle, la loi sur l'audiovisuel et les soins palliatifs. Je demande donc à chacun de faire preuve de modestie dans l'examen de ce texte qui, s'il est important, ne résoudra pas tous les problèmes.

Je veux rendre hommage aux travaux effectués par le Conseil économique et social, sous la présidence de Mme Hoffmann, ainsi qu'à l'excellent travail du Sénat ! Nous en avons tenu compte. La reprise de certaines dispositions adoptées par le Sénat dans nos amendements facilitera l'adoption définitive de cette proposition.

Indispensable, même s'il reste insuffisant, ce texte nous aidera à rattraper notre retard. L'insuffisance des moyens est criante. Quarante et un départements ne disposent d'aucune structure de soins palliatifs, et dans les autres, l'offre de soins n'est pas à la hauteur des besoins. Malgré les quelques progrès réalisés durant ces dernières années, la formation des médecins et de l'ensemble du personnel médical est aussi déficiente. Nous devons rattraper notre retard et la prochaine loi de financement de la Sécurité sociale nous y aidera. Mais cette proposition va nous permettre d'avancer.

Vous avez, Madame le rapporteur, attribué ces retards à des raisons culturelles. C'est vrai, mais le terme "culturel" est peut-être insuffisant. C'est beaucoup plus profond que cela. Il y a dans nos pays une vision de la douleur rédemptrice qui marque les esprits.

Ce débat est lancé depuis plusieurs années, et je citerai les livres remarquables de Guibert, Le protocole compassionnel et de Tournier, Le vent paraclet, sans parler de l'ouvrage d'un auteur qui m'est très proche...

M. Renaud Muselier - Votre épouse !

Plusieurs députés - Nous l'avons lu !

M. le Président de la commission - Merci ! Il y a aussi le livre de Malaparte.

C'est un débat difficile, où il peut y avoir des positions divergentes, et je me félicite que chacun des groupes ait déposé un texte, ce qui a donné lieu en commission à une discussion très positive et abouti à un texte commun, même s'il ne satisfait pas tous les participants. Il y a donc eu une avancée collective.

Le débat est difficile parce qu'il touche à la mort, à la fragilité de notre condition ; il faut traiter cette question avec beaucoup de pudeur, sous peine de heurter des sentiments très profonds. J'ai bien perçu que plusieurs intervenants, en particulier M. Schwartzenberg, souhaitent aller plus loin, mais nous avons obligation de rester dans le cadre des soins palliatifs, même si la réflexion ne doit pas s'arrêter là.

Il y a un risque d'ambiguïté : la douleur n'est pas seulement liée à la mort -je pense en particulier à la méconnaissance de la douleur des enfants. La douleur n'est pas transmissible, elle est difficile à communiquer et à mesurer.

Avec ce texte, nous faisons un pas en avant -indispensable, important- mais encore insuffisant. Parmi les avancées, citons le droit de congé d'accompagnement, les soins palliatifs à domicile, et pas seulement à l'hôpital.

Pour aller plus loin, il sera souhaitable de créer une mission parlementaire...

M. Jean-Michel Dubernard - Une délégation !

M. le Président de la commission - ...et j'en discuterai avec le bureau de la commission. Cette réflexion portera aussi sur d'autres textes en préparation, sur le budget de la Sécurité sociale.

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - Et sur les suites des Etats généraux de la santé !

M. le Président de la commission - Vous avez raison. Encore une fois, il est impératif de traiter le problème, mais avec beaucoup de pudeur et de modestie. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. le Secrétaire d'Etat - Ce débat, vous le savez, me tient à coeur depuis longtemps. J'ai toujours marqué ma volonté de développer les soins palliatifs, pour établir une nouvelle culture de la fin de vie à laquelle nos concitoyens aspirent. On peut juger une société à la façon dont elle traite ses mourants.

J'ai bataillé ferme pour obtenir ces 200 millions, qui permettront enfin de multiplier les unités et équipes de soins palliatifs dans les hôpitaux. Depuis 1997, nous sommes passés de 50 unités de soins palliatifs à 99 unités, soit près de 800 lits, et de 55 équipes mobiles à 177.

Tous les départements, à l'exception de la Martinique et de la Guyane, vont être dotés d'au moins une équipe mobile ou fixe. S'agissant de la Martinique et de la Guyane, j'entends rappeler aux deux directeurs d'agence régionale ma volonté en ce domaine.

Une dizaine de réseaux de soins entre établissements ou entre la ville et l'hôpital, répartis sur l'ensemble du territoire, ont également été créés, permettant, lorsque c'est médicalement et socialement possible, que des hommes et des femmes puissent terminer leur vie chez eux, comme ils le souhaitent en majorité.

Ce texte est important parce qu'il y va de l'humanité de notre société. Toutes les civilisations ont leurs rites de mort, et nous les avions, nous aussi. C'était les mêmes pour les rois et pour les paysans. On en trouve les dernières traces, tragiques, dans l'admirable roman de Roger Martin du Gard, La mort du père. Et puis les bouleversements du monde moderne ont brouillé nos comportements. On meurt de plus en plus souvent à l'hôpital, on meurt de plus en plus souvent seul. Chez nous, l'humanité s'est retirée de la mort.

Nous devons réhabiliter la dignité de la fin de vie, regarder la mort en face et non plus l'évacuer derrière les paravents techniques, négation absurde d'un passage inévitable. Le mourant a droit à la tendresse, à la présence de ses proches, à l'apaisement. La mort ce sont les derniers sentiments, les dernières images pour un être. La civilisation commence lorsque l'homme comprend qu'il est mortel. Ne faisons pas semblant de ne plus savoir.

J'aime bien cette phrase profonde, presque incompréhensible "quand on est mort, c'est pour la vie," que nous avions écrite dans un des journaux de notre jeunesse. On n'a pas le droit de manquer une mort, de la saboter ou de la salir, parce qu'il n'y a pas de deuxième chance. Je souhaite à tous de pouvoir dire, comme Gide mourant, "Tout est bien" ou, comme le stoïcien du Ier siècle, "Acta est fabula" : "La pièce est jouée".

Notre société souffre de la rupture de ses liens sociaux : familles éclatées, solitude des personnes âgées, mobilité sociale et professionnelle. La famille n'assure plus aussi souvent qu'autrefois l'accompagnement naturel de la fin d'une vie.

Mais nous sommes en train de redécouvrir, en cette fin de siècle, les valeurs de l'humanisme, d'une relation à l'autre, à la souffrance, à la mort, que nous avions oubliées à une époque de croissance et de facilité.

Il existe une vraie différence, toujours ressentie, jamais soulignée, entre ceux qui ont perdu leurs parents et les autres.

Puisque la famille ne joue plus un rôle aussi fort, c'est d'abord à nous, par la loi, de l'aider. Ce sera notre lot à tous, même si certains, dont Lucien Neuwirth, aspirent plus que d'autres à cette évolution de nos moeurs.

Je n'exagère pas en disant que le sens de notre civilisation dépend, et plus singulièrement l'humanité, de notre système de soins.

L'heure n'est plus aux illusions de la médecine victorieuse, toute puissante, hyper-technicienne, qui refuse la souffrance et la mort jusqu'à les nier et à s'en protéger. Certains médecins, de plus en plus rares, passent leur chemin devant la porte d'un mourant, sous prétexte que, médicalement, ils ne peuvent plus rien faire pour lui. Ce n'est plus supportable. Nos concitoyens souhaitent une médecine plus humaine et refusent l'anonymat des grandes usines à soins, nous l'avons entendu répéter lors des centaines de rencontres avec les citoyens organisées par les Etats généraux de la santé : on veut davantage d'écoute, de respect, de dignité, maître mot du passage...

Oui, c'est d'abord le respect de la dignité de celui qui s'en va, qui est en cause. Mais c'est aussi un devoir vis-à-vis des proches que de savoir les accompagner dans cette épreuve. Car ceux qui ont côtoyé la mort, comme je l'ai fait, savent la différence entre une fin paisible, accompagnée, et une mort isolée, angoissée. Nous pouvons dans bien des cas offrir une belle mort "une mort si douce", disait Simone de Beauvoir, dernier cadeau à celui qui s'en va. Nous devons nous en donner les moyens, pour l'agonisant comme pour ses proches. Leur travail de deuil ne sera pas le même selon la façon dont celui qu'ils ont aimé a quitté la vie.

Accompagner ses patients jusqu'à la fin est d'ailleurs, pour le médecin, une obligation que lui impose l'article 38 du code de déontologie médicale, lequel affirme son devoir de sauvegarder la dignité du malade et de réconforter son entourage. La médecine est bien plus qu'une science ou une technique ; elle suppose tact et attention, humanisme et douceur, que vous avez souhaité servir à travers ce texte.

Celui de M. Lucien Neuwirth, dont le Sénat a débattu le 6 avril dernier, allait dans le même sens, mais votre commission des affaires sociales a souhaité aller encore plus loin et j'en suis heureux. Nous avions préparé ce texte par une belle rencontre au ministère de la santé, le 25 mars ; je pense que vous avez reçu les contributions vous concernant.

M. Jean-Michel Dubernard - Pas moi.

M. le Secrétaire d'Etat - C'est dommage... Je vous l'enverrai à nouveau.

Mme Christine Boutin - Je n'ai rien reçu non plus.

M. le Secrétaire d'Etat - Je pensais pouvoir publier un document, après vos corrections, mais nous sommes rattrapés par le calendrier. En tout cas, la hauteur des échanges, qui ne m'a pas étonné, m'a ravi.

Je vous remercie, Madame le rapporteur, d'avoir tenu compte dans vos travaux en commission des différentes propositions de loi sur le sujet -outre celle que vous avez déposée avec plusieurs membres du groupe RCV, celle de M. Jean-Jacques Denis au nom du groupe socialiste, celle du président Roger-Gérard Schwartzenberg, celle de M. Bernard Perrut et celle du président Jean-Louis Debré. Je vous sais gré également d'avoir retenu des dispositions importantes de la proposition de M. Neuwirth. Je veux aussi saluer l'unanimité des commissaires.

Vous souhaitez que soit inséré dans le code de la santé publique, avant le livre premier, un livre préliminaire relatif aux droits de la personne malade, en particulier le droit d'accès aux soins palliatifs et le droit au consentement. La lutte contre la douleur est un thème auquel tient à juste titre M. Le Garrec. Les États généraux devraient déboucher à la fin du mois de juin sur la mise à l'étude d'un texte législatif sur le droits des malades.

A travers l'article 9, vous avez voulu souligner l'importance des bénévoles dans l'accompagnement de la fin de vie. Vous avez raison : il est essentiel que tout le corps social s'investisse dans cette action à condition, bien entendu, que soient absolument respectés l'intimité, les choix et les convictions philosophiques et religieuses de la personne accompagnée.

Enfin, je suis heureux que vous souhaitiez, par votre article 10, rendre légale la possibilité pour les proches de prendre un congé d'accompagnement. Avec le Premier ministre, nous avons demandé au Conseil économique et social de réfléchir sur ce sujet.

Néanmoins, il persiste un problème aux articles 2 et 3, tendant à prendre en compte la satisfaction des besoins en soins palliatifs dans la carte sanitaire. J'y reviendrai dans la discussion des articles.

Notre réflexion d'aujourd'hui traduit la profonde mutation de notre système de santé. En parlant de la dignité des mourants, nous parlons de la nôtre et de notre propre destin (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Roger-Gérard Schwartzenberg - "La mort n'est pas une chose si sérieuse, la douleur, oui", a écrit Malraux dans L'espoir. La grandeur de la médecine est notamment de combattre la douleur, jusqu'à la fin de la vie.

Les soins palliatifs ont pour but d'aider les malades à mieux vivre les derniers instants de leur existence, mais l'accès à ces soins reste aujourd'hui un privilège ; il doit donc devenir un véritable droit, consacré par la loi, inscrit parmi les droits de la personne malade.

Le malade n'est pas seulement un corps ; c'est d'abord une personne. La France, considérée comme le pays des droits de l'homme, a pourtant tardé à reconnaître les droits du malade. C'est seulement en 1974 qu'en annexe à une circulaire du 20 septembre 1974 est définie une "charte du malade hospitalisé", qui a été actualisée en 1995. C'est en juillet 1991, avec la loi portant réforme hospitalière, que la notion de droits du malade apparaît dans un texte législatif ; elle figure aussi dans les lois de bioéthique de 1994 et dans l'ordonnance du 24 avril 1996 portant réforme de l'hospitalisation publique et privée. Il faut aller au-delà et définir plus complètement les droits du malade, hospitalisé ou non, ainsi que de l'usager du système de santé.

L'ultime droit de la personne gravement malade, c'est le droit à une mort digne, en particulier par l'accès aux soins palliatifs, pour lesquels la France connaît un important retard par rapport à d'autres pays, notamment le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Ces soins restent exceptionnels, tant au domicile des patients qu'à l'hôpital et en institution, où plus de 70 % des décès ont lieu.

Fin 1998, on ne comptait dans notre pays que 54 unités de soins palliatifs résidentielles, totalisant 576 lits. Chaque lit pouvant accueillir environ neuf patients par an, la capacité annuelle d'admission est limitée à environ 5 200 patients, soit un peu moins de 1 % des 530 000 personnes qui décèdent chaque année en France. Parmi celles-ci, 150 000 patients au moins, souffrant de cancers et de troubles neurologiques dégénératifs au stade terminal, auraient impérativement besoin de soins palliatifs. Les USP ne peuvent donc en accueillir qu'environ 3,5 %. En outre, les spécialistes de l'accompagnement estiment que la demande de soins palliatifs est très largement sous-estimée.

Fin 1998, il existait aussi 74 équipes mobiles de soins palliatifs. Enfin, les soins palliatifs à domicile restent très insuffisamment dispensés.

Par ailleurs, la formation des professionnels de santé aux soins palliatifs reste insuffisamment assurée, surtout au cours de la formation initiale. Il en va de même de la recherche. Il semble qu'on considère trop souvent les soins palliatifs comme une activité secondaire subalterne, en tout cas peu valorisante.

A l'évidence, il faut remédier à l'insuffisance manifeste de l'offre de soins palliatifs et à son inégale répartition sur le territoire, rien n'étant sans doute plus insupportable que l'inégalité devant la mort.

Le plan triennal de développement des soins palliatifs, lancé en avril 1998, marque un progrès dans la voie de la généralisation de ces soins. Mais sera-t-il suffisant ? Permettra-t-il d'atteindre assez rapidement deux objectifs, d'une part, l'ouverture dans chaque CHU d'une unité de soins palliatifs résidentielle comportant au minimum 10 à 15 lits, d'autre part, l'existence dans chaque département français d'une structure spécialisée en soins palliatifs.

Il importe que des dispositions législatives soient prises pour garantir un véritable droit d'accès aux soins palliatifs, comme l'ont fait en Suisse les lois promulguées en 1990 et en 1995.

Par ailleurs, il convient d'instituer, comme l'ont fait le Danemark en 1990 et la Belgique en 1995, un congé d'accompagnement au bénéfice de toute personne devant suspendre ou réduire son activité professionnelle pour accompagner un proche. Il importe également de soutenir l'action des bénévoles qui, sans interférer avec les soins médicaux et paramédicaux, apportent leur très utile concours.

Il importe enfin de définir plus complètement et de mieux consacrer les droits de la personne malade. Il serait souhaitable que le Parlement constitue une délégation parlementaire, composée de 15 députés et de 15 sénateurs ; elle serait chargée d'engager une réflexion en profondeur, de recueillir informations et avis. Ses travaux prendraient fin avec la présentation, avant le 30 juin 2000, d'un rapport parlementaire d'information sur les droits des malades. Elle aurait une triple mission : d'abord, proposer aux assemblées dont elle est issue les dispositions législatives qui apparaîtraient nécessaires pour mieux garantir les droits de la personne malade ; informer ces mêmes assemblées de l'application de la présente loi et évaluer pour elles le niveau de développement des soins palliatifs ; enfin, s'enquérir de la situation des patients incurables dont même les soins palliatifs ne parviennent plus à soulager la douleur et proposer, le cas échéant, des dispositions supplémentaires pour leur garantir à eux aussi le droit à une mort digne, dans le respect de la volonté qu'ils auront exprimée et du droit à disposer de soi-même.

Une société adulte doit regarder la vie, et donc la mort, en face. Montaigne écrivait dans les Essais : "Le but de notre carrière, c'est la mort. Le remède du vulgaire, c'est de n'y penser pas. Mais quelle brutale stupidité... La préméditation de la mort est préméditation de la liberté. Qui a appris à mourir a désappris à servir. Le savoir mourir nous affranchit de toute sujétion et contrainte."

Pour cet humaniste tranquille, pour ce stoïcien épris de liberté de vivre, c'était aussi la liberté de mourir. Quatre siècles après lui, sachons être aussi libres que Michel Eyquem aux temps de la Renaissance, en son château de Montaigne ! (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Jean-François Mattei - Je m'exprimerai au nom du groupe Démocratie libérale, mais je voudrais associer plus particulièrement à mon propos Bernard Perrut, auteur d'une de ces propositions de loi. Je voudrais aussi remercier M. le secrétaire d'Etat de l'initiative qu'il a prise d'organiser cette réflexion commune et tous les parlementaires qui ont beaucoup donné d'eux-mêmes en présentant des dispositions sur ce sujet difficile. Je remercierai enfin le Conseil économique et social et le Sénat, singulièrement notre collègue Neuwirth.

En revanche, Monsieur le Président, Monsieur le président de la commission, permettez-moi de regretter que nous soyons, en une telle matière, contraints de légiférer rapidement, dans le cadre de la "niche" parlementaire. Mme Neiertz m'en sera témoin, lorsque j'avais proposé un texte sur l'adoption, le Président de l'Assemblée de l'époque avait souhaité la création d'une commission spéciale, compte tenu de l'importance du sujet...

L'homme s'imagine qu'il peut désormais maîtriser la vie. Ne peut-il concevoir à volonté, au fond d'une éprouvette ? Ne peut-il, grâce au diagnostic prénatal ou préimplantatoire, s'assurer de la qualité de la vie à venir ? Le Prométhée des temps modernes persiste dans son éternelle ambition d'égaler Dieu et, puisqu'il croit dominer le début de la vie, comment ne serait-il pas aussi tenté d'en maîtriser la fin ?

Pourtant la chose n'est pas si simple ! Certes la médecine repousse sans cesse les limites de la mort. Mais Prométhée n'en est pas moins homme ! Pour refuser la mort, confondant souvent science et artifice, il cède à la tentation d'abuser de techniques de pointe, même lorsque l'acharnement thérapeutique prolonge l'agonie de façon inhumaine. Or, quand les conditions de vie de celui qui va mourir passent au second plan, dans le déni de sa solitude et de sa souffrance, peut-on parler de victoire sur la mort ? Celle-ci n'est-elle pas plutôt dans l'approvisionnement de la mort, dans son acceptation lorsqu'elle est inéluctable ?

La mort devient ainsi, pour notre société, pour chaque homme, un sujet de préoccupation majeure, dont les dimensions métaphysiques n'excluent évidemment pas la crainte des épreuves physiques. C'est donc toute une réflexion sur la condition humaine, qui est exigée de nous. Le malaise, les oppositions, les solutions extrêmes procèdent, me semble-t-il, du divorce entre une conscience de plus en plus affirmée de la dignité de la personne et la méconnaissance de la mort, peu à peu désapprise tant elle a déserté nos foyers, comme si les mourants n'étaient déjà plus des vivants !

En 1976, le Conseil de l'Europe se déclarait "convaincu que les malades mourants tiennent avant tout à mourir dans la paix et la dignité", et que la prolongation de la vie ne devait pas "être le but exclusif de la pratique médicale, qui doit viser tout autant à soulager les souffrances". Tel est bien ce à quoi nous devons tendre. Lorsqu'on ne peut plus soigner, il reste encore à prendre soin !

M. le Président de la commission - Très bien !

M. Jean-François Mattei - Tout effort en faveur des malades incurables et des mourants doit évidemment être fondé sur la dignité de l'être humain, dont celui-ci est investi tout au long de sa vie et dont la douleur, la souffrance ou la faiblesse ne sauraient le priver. Une personne peut voir sa dignité respectée ou violée, mais cette dignité ne peut lui être conférée ou retirée. Le respect qu'elle implique n'appelle pas de réciprocité concrète. Croire qu'elle pourrait être divisée, ou limitée à certains stades ou états, serait d'une certaine façon la mépriser.

Mme Véronique Neiertz - Très bien !

M. Jean-François Mattei - La dignité des membres les plus vulnérables de la société peut être insuffisamment reconnue ou protégée. A ce titre, les malades incurables ou les mourants figurent parmi ceux que leur condition expose à des pressions individuelles et sociales. L'obligation de leur donner l'accès aux soins auxquels ils ont droit découle de la prise de conscience que la dignité humaine est imprescriptible.

Nous avons désappris la mort, disais-je. De fait, l'inaptitude croissante de nos sociétés à faire face à la mort est l'un des principaux obstacles à une mort pleinement humaine et à la mise en place des soins palliatifs. Alors que la plupart des hommes souhaitent mourir dans un cadre familier, dans la majorité des cas, ils meurent dans des hôpitaux ou des cliniques, laissés à l'abandon alors que leurs souffrances pourraient être évitées.

Devant le risque d'abandon ou d'acharnement, devant les pressions extérieures qui brident le droit à l'autodétermination, devant la tentation de trouver toutes sortes de justifications pour enfreindre l'interdiction fondamentale de mettre fin à une vie, trois principes me semblent devoir être énoncés.

Le premier est le droit de recevoir des soins palliatifs appropriés. L'OMS les a définis comme : "l'ensemble des soins actifs donnés aux malades dont l'affection ne répond pas au traitement curatif", y comprenant : "la lutte contre la douleur et d'autres symptômes comme la prise en considération de problèmes psychologiques, sociaux et spirituels, cela en vue d'obtenir la meilleure qualité de vie possible pour les malades et leur famille". C'est dire qu'il y faut une approche holistique. Par ailleurs, le degré d'humanité d'une société se juge au moins autant par les soins prodigués aux faibles et aux mourants que par d'autres réalisations souvent plus prestigieuses.

Pourtant, malgré de remarquables progrès, le développement des soins palliatifs semble encore très en retard sur les techniques disponibles. Cette lacune est due à l'absence de formation, à des appréhensions non fondées, à des préjugés, ainsi qu'à une méconnaissance du rôle potentiel de ces soins, mais aussi à l'insuffisance des ressources.

Une véritable volonté politique doit donc s'affirmer, répondant à quatre impératifs cruciaux : rendre la mort plus familiale et plus familière ; aider et entourer les familles ; développer des structures spécialisées ; enfin, former les praticiens et organiser des équipes pluridisciplinaires.

Pour rendre la mort plus familiale et plus familière, il faut d'abord assurer aux malades incurables et aux mourants un égal accès à des services de qualité et, lorsque le maintien à l'hôpital demeure nécessaire, prévoir des structures d'accueil pour l'entourage. Alors qu'en 1961, 66 % des malades mourraient chez eux, la proportion est rigoureusement inverse aujourd'hui. Il faut donc tout faire pour satisfaire, dans la mesure du possible, le désir qu'ont la majorité d'entre eux de mourir chez eux et, pour cela, soutenir l'organisation de structures ambulatoires et flexibles.

Il faut aussi permettre aux enfants d'être auprès de leurs parents lorsqu'ils s'apprêtent à partir, comme ceux-ci étaient près d'eux quand ils sont venus au monde.

Aider et entourer les familles : celles-ci ont souvent besoin de conseils et d'aide professionnelle, non seulement sous forme d'assistance médicale et infirmière mais aussi d'un soutien psychologique et, quand elles le souhaitent, religieux et spirituel.

Le recours à des bénévoles est un complément important aux mesures d'accompagnement et aux soins des mourants : il permet de maintenir un sens de continuité et de normalité à la vie.

Développer divers types de structures adaptées : après le travail pionnier de Cicely Saunders, il y a lieu de créer un nombre suffisant de services hospitaliers spécialisés. Malgré l'installation, dès 1985, d'un groupe de travail au secrétariat d'Etat et malgré l'ouverture, en 1987, de la première unité créée par le professeur Abiven, la France accuse un réel retard.

Dans l'attente que les intentions affichées deviennent réalité, on dispose de 576 lits répartis en 54 unités, et 74 équipes mobiles oeuvrent utilement. Mais que dire quand il n'existe aucune structure pour la prise en charge des enfants en fin de vie -je rappelle que mon activité première est la pédiatrie- ? Que dire quand plus de quarante départements sont dépourvus de toute structure cependant que de nombreux autres n'ont à proposer que quelques lits en unités résidentielles ou une équipe mobile aux effectifs restreints ? Que dire quand l'absence de statut administratif clair laisse planer l'incertitude sur l'avenir des structures et des hommes ? Que dire devant la carence quasi générale des structures de soins palliatifs à domicile pourtant prévues par la loi hospitalière de 1991 ? Or, de telles structures sont éminemment nécessaires, d'autant que la fréquence des cancers, des affections neurologiques graves et de la maladie d'Alzheimer augmente en même temps que la longévité et la dépendance. On ne guérit jamais de la vieillesse mais si la mort est la seule façon de s'en affranchir, cette période doit bien être considérée comme un moment privilégié de la vie. Outre que ces services permettraient l'organisation en réseau avec d'autres structures plus mobiles, y compris dans l'hospitalisation à domicile, ils participeraient à la formation pratique des futurs médecins et professionnels et à la recherche.

A terme, il serait souhaitable que les soins palliatifs puissent être assurés dans tous les services confrontés à la mort.

M. Jean-Michel Dubernard - En effet.

M. Jean-François Mattei - Il convient de former les praticiens et d'organiser des équipes pluridisciplinaires. L'intervention médicale a pour but de guérir la maladie et de soulager la douleur, non de prolonger la vie à tout prix. Un médecin ne peut pas laisser sans traitement un malade qui présente des symptômes et des souffrances intolérables, uniquement de peur que les moyens thérapeutiques utilisés pour le soulager n'abrègent, aussi peu que ce soit, le temps qui lui reste à vivre. Les médecins doivent donc être formés à cette prise en charge car un traitement antalgique efficace permet à la personne de conserver sa dignité au cours de la dernière phase de sa vie et de lui donner un sens.

La médecine des soins palliatifs devrait aussi occuper une place importante dans la formation. Toutes les professions appelées à traiter des malades incurables ou des mourants doivent recevoir des instructions appropriées. L'idéal serait une formation complémentaire interdisciplinaire qui touche, outre au domaine médical et infirmier, aux aspects pertinents de la psychologie, de la sociologie, de l'anthropologie, de l'éthique ou de la théologie, afin que les personnels acceptent et respectent les malades en phase terminale, dans le cadre adapté d'une équipe interdisciplinaire. Les volontaires donnant des soins aux mourants devraient également être formés et soutenus.

Les meurtres de malades incurables ou de mourants en institution, qui ont profondément ébranlé l'opinion publique, en Autriche, en Allemagne, au Danemark, aux Pays-Bas, en France, ont le plus souvent pour cause principale l'insuffisance de formation et de soutien. Les professionnels, comme les bénévoles, ont besoin pour remplir leur tâche d'être soutenus par une équipe solidaire, mais aussi par des conseillers. A défaut, une formation défectueuse, le sentiment d'être débordés et les difficultés écrasantes de leur tâche peuvent les amener à envisager de mettre fin à la vie d'un malade.

Il ne faut pas se contenter d'un examen superficiel quand le désir de mourir est exprimé. Les soignants et les proches doivent d'abord déterminer si ce souhait est l'expression authentique de la volonté de l'intéressé ou s'il traduit plutôt une demande d'attention plus soutenue dans les domaines thérapeutique, social et spirituel.

Cela me conduit à aborder le droit des malades incurables et des mourants à l'autodétermination. Aux termes de l'article 5 de la Convention sur la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, il ne peut être effectué d'intervention dans le domaine de la santé que lorsque la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé, principe qui vaut aussi dans le cas des malades incurables et des mourants.

Or, ce qui est médicalement possible ne correspond pas toujours aux voeux d'un malade. Il doit pouvoir refuser le traitement destiné à prolonger ses jours. Pour lui permettre ce choix, une information intelligible et complète sur sa maladie doit lui être fournie. Or un nombre important de médecins hésitent à le faire et cette obligation est de plus en plus considérée comme la partie la plus difficile et la plus éprouvante de la tâche du médecin, qui doit non seulement communiquer une information médicale avec tact et compassion mais aussi aider le malade à prendre des décisions vitales. Là encore, les médecins doivent être formés et entourés.

Renoncer à appliquer un traitement plutôt que de prolonger indûment des souffrances -lorsque cette démarche est conforme aux voeux du malade- doit être considéré comme une solution acceptable. L'interruption du traitement doit être rigoureusement distinguée du suicide assisté par un médecin et de l'euthanasie. La déclaration de Madrid de 1987 de l'Association médicale mondiale l'affirme : "mettre délibérément fin à la vie d'un malade, même à sa demande ou à la demande de proches parents, est contraire à l'éthique. Cela n'empêche pas le médecin de respecter le désir d'un malade de permettre au processus naturel aboutissant à la mort de suivre son cours lors de la phase terminale de la maladie". Et la déclaration de Marbella de 1992 précise que : "le suicide assisté par un médecin est contraire à l'éthique et doit être condamné par la profession médicale".

Dans les cas où, en raison d'une incapacité de fait, la décision incombe à un tiers, elle doit être prise en ayant présent à l'esprit le bien-être du malade et à l'issue de délibérations collégiales entre tous ceux qui participent aux soins. Les représentants du malade, les membres de sa famille, des proches peuvent jouer un rôle important dans le processus de décision. Les critères de décision présentent une importance particulière lorsqu'il s'agit de personnes frappées d'incapacité permanente tels que les handicapés mentaux.

Les malades incurables et les mourants ont donc le droit de déterminer eux-mêmes la manière dont doit se dérouler leur fin ; ce droit ne s'étend toutefois pas à l'euthanasie. Si l'on entérinait la demande d'un malade qu'on mette fin à ses jours, il faudrait s'abstenir désormais de réanimer tous ceux qui, par une conduite suicidaire, manifestent clairement leur détermination d'en finir avec la vie. Franchir certaines limites serait un aveu d'échec, l'acceptation d'une facilité, le refus d'assumer la réalité.

Il faut donc maintenir l'interdiction absolue de mettre fin intentionnellement aux jours des malades incurables ou des mourants.

L'article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose que : "le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement..." Ce droit et cette interdiction fondamentaux doivent être également respectés dans la phase terminale d'une vie. Mourir est une des phases de la vie ; le droit de mourir dans la dignité correspond d'abord au droit à une vie en dignité.

La loi interdit de tuer un être humain, même si telle est l'expression de sa volonté. Cela vaut pour les personnes âgées, les malades et les handicapés comme pour les malades incurables et les mourants. Méconnaître cette interdiction aurait des conséquences incalculables et ne pourrait qu'accentuer les pressions individuelles ou sociales sur ceux qui auraient le sentiment d'être un fardeau pour une société, laquelle, par ailleurs, leur fournit la possibilité de mettre fin à leurs jours.

L'expérience des sociétés qui font preuve de laxisme à l'égard de cette interdiction montre que des êtres humains finissent par être tués sans leur consentement. En sapant ainsi le principe fondamental de toute vie, on s'engage sur la pente qui mène à accepter l'élimination d'êtres humains dont la vie paraît privée de sens.

La demande d'euthanasie n'est jamais que l'expression ultime et désespérée du refus de la souffrance, de l'abandon, de la solitude. Si notre société accordait toute leur importance à la prise en charge de la douleur, aux soins palliatifs, à l'accompagnement des mourants, nul doute que la demande d'euthanasie perdrait de sa légitimité pour disparaître. C'est pourquoi il n'y a pas lieu de légiférer sur l'euthanasie quand l'urgence est de mieux répondre aux impérieuses nécessités pour accompagner le départ. C'est tout le sens de ce texte qui nous réunit dans la volonté commune de sauvegarder la dignité de ceux qui, après avoir vécu, s'en vont. Pour certains c'est une fin, pour d'autres un passage, il faut les respecter (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Jean-Jacques Denis - Cette proposition est très attendue par nos concitoyens, en particulier par les 150 000 familles qui vivent chaque année le décès d'un de leur proche qui aurait pu bénéficier de soins palliatifs.

La volonté de combler cette attente est perceptible sur tous les bancs, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat.

Je remercie tout particulièrement Bernard Kouchner, que je sais très attaché à la question. Ses déclarations, ses engagements comme l'initiative qu'il a prise d'organiser les Etats généraux de la santé le prouvent.

Je salue également Lucien Neuwirth qui s'est beaucoup intéressé au traitement de la douleur. Beaucoup reste à faire, l'attitude de certains soignants doit encore évoluer. Le ministère de la santé a récemment encore simplifié la distribution des antalgiques. Les sénateurs, après avoir longuement réfléchi à la problématique de la fin de la vie, ont adopté une proposition à ce propos le 7 avril dernier. A l'Assemblée, le texte commun que nous examinons est conforme à la philosophie des six propositions qui avaient été déposées.

Loin d'être en concurrence, ces textes traduisent une volonté de rattraper notre retard dans le domaine des soins palliatifs. Leur objectif est similaire à celui de la CMU : lutter contre les inégalités dans l'offre et l'accès aux soins. Ils répondent à un idéal de justice sociale.

Le groupe socialiste a rencontré beaucoup de pionniers des soins palliatifs. Infirmiers, médecins, chefs de service ou bénévoles nous ont montré la complexité du sujet, expliqué les limites de la médecine curative et confronté à des questions éthiques fondamentales sur le consentement du malade, l'acharnement thérapeutique et la dignité...

Comme l'a montré le remarquable avis du Conseil économique et social, la mort remet en cause l'image que veut donner notre société. Elle est cachée et reléguée au rang d'abstraction. Le rituel de la mort ne fait plus partie de notre vie : plus de 75 % des décès ont lieu en institution.

La médecine, en privilégiant une approche technique, a conforté ce travers. La mort est vécue comme un échec par le corps médical.

Fin de vie signifie souvent vieillesse, mais les soins palliatifs peuvent malheureusement être requis à tout âge. Aucune mort n'est semblable. Est-il possible de légiférer pour tous ? En tout cas, une loi pourrait favoriser le développement des soins palliatifs. La circulaire de 1986, la loi hospitalière de 1991 et les nombreux rapports n'ont pas réussi à combler notre retard. Le plan triennal a marqué un progrès considérable que cette loi conforterait.

Le développement des soins palliatifs est indispensable. D'abord, après avoir beaucoup fait pour la naissance, notre pays doit améliorer les soins d'accompagnement, médicaux et psychologiques, des personnes en fin de vie. Ensuite, il faut lutter contre les inégalités, qu'elles soient géographiques, puisque de nombreux départements ne disposent pas encore d'unités de soins palliatifs, ou sociales. Enfin, à plus long terme, la généralisation des soins palliatifs transformera progressivement les conditions de fin de vie et débouchera sans doute sur une demande de dépénalisation de l'euthanasie, mais ce n'est pas le débat aujourd'hui.

Les soins palliatifs nécessitent une approche pluri-disciplinaire, qui intègre la dimension psycho-sociale. Ils doivent intégrer l'acceptation du traitement par le malade, son entourage, l'importance des soins à domicile... La frontière entre soins curatifs et soins palliatifs est mouvante, mais la définition de ces derniers doit rester assez souple pour préserver la qualité de la vie jusqu'à la fin, quel que soit le temps qui reste. Le CES propose de se limiter aux soins palliatifs terminaux, mais la limite est difficile à fixer.

L'accès aux soins palliatifs doit être assuré à tout malade qui ne réagit pas de manière satisfaisante aux thérapeutiques curatives. Enfin, on peut considérer que les soins palliatifs couvrent l'ensemble des besoins éprouvés par la personne en fin de vie et par ses proches.

On sait que les progrès thérapeutiques sont considérables. Malheureusement, certains médecins ne franchissent plus le seuil de la chambre d'un malade qu'ils savent condamné. On a oublié de leur apprendre à accepter la mort et à intégrer une culture du doute. La formation du corps médical est donc indispensable, et les enseignements actuellement dispensés sont insuffisants. Il reste qu'aucune formation ne remplacera la disponibilité, l'attention et la tendresse de ceux qui ont choisi la médecine souvent par vocation. (M. le président de la commission approuve). Il faut réintroduire l'humanisme dans notre société : c'est un changement culturel.

Quand il n'y a plus rien à faire, tout reste à faire pour le malade et pour ses proches. Il faut trouver de nouveaux modes d'exercice de la médecine et créer des passerelles entre la ville et l'hôpital. La fraternité reste une devise fondamentale de notre société, et cette proposition de loi permet de l'affirmer (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Renaud Muselier - Quelle surprise de voir déposer soudainement tant de propositions de loi ! Le Sénat, à l'unanimité, a adopté dès 1994 un rapport d'information consacré aux soins palliatifs, puis, plus récemment, une proposition de loi de M. Neuwirth.

N'aurait-il pas été judicieux de travailler sur ce texte ?

Vous avez réuni le 25 mars, Monsieur le ministre, un groupe de travail sur ce sujet. Si la nécessité des soins palliatifs recueille un consensus, l'euthanasie suscite un vrai débat. Mais vous avez alors dit tout l'intérêt que vous portiez aux travaux du Sénat et de M. Neuwirth. Pourquoi ne nous intéresser qu'aux nouveaux textes soudain ? Avez-vous à ce point le souci d'apparaître comme le chantre des soins palliatifs ? (Protestations sur le banc de la commission)

Mme Nicole Bricq - Le sujet ne se prête guère à la polémique !

M. Renaud Muselier - Notre commission a toutefois heureusement repris une grande partie de la proposition de loi du Sénat et le ministre dans son intervention, a élevé le débat.

La France est en train de rattraper son retard par rapport à ses voisins européens. Elle aborde un nouveau volet de la médecine : "tout ce qui reste à faire quand il n'y a plus rien à faire", selon la formule abrupte de la fondatrice du Saint Christopher's Hospice. La mort n'apparaîtra plus comme un échec de la part de la médecine, dont la vocation est de satisfaire les besoins du malade à tous les stades de sa vie.

Les soins palliatifs respectent les religions et la spiritualité de chacun. C'est une démarche globale pour préserver la qualité de vie jusqu'à la mort. Il est donc indispensable de leur consacrer les moyens nécessaires, et de les considérer comme une science à part entière, avec ses propres travaux de recherche et sa formation particulière.

La définition du Sénat est très pertinente "Les soins palliatifs sont des soins actifs dans une approche globale de la personne atteinte d'une maladie grave évolutive ou terminale. Leur objectif est de soulager la douleur physique ainsi que les autres symptômes et de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et spirituelle. Les soins palliatifs sont interdisciplinaires". Elle montre que la frontière entre curatif et palliatif est mouvante.

Un écueil reste à éviter : considérer les unités de soins palliatifs comme des mouroirs aurait un impact psychologique désastreux. L'article premier du texte du Sénat dispose donc que toute personne atteinte d'une maladie mettant en jeu le pronostic vital a accès aux soins palliatifs. Il introduit une prise en charge adaptée à toutes les maladies graves, quelle qu'en soit l'issue.

Aucun développement des soins palliatifs n'est envisageable sans moyens financiers importants.

Comme l'a remarqué le Conseil économique et social, il n'existe aucune unité spécialisée dans la prise en charge des enfants en fin de vie.

Pour que notre législation ne reste pas purement incantatoire, le Gouvernement doit dégager des moyens supplémentaires. Il faut aussi constituer une délégation parlementaire permanente. C'est seulement à ce prix que nous parviendrons à combler le vide entre acharnement thérapeutique et euthanasie.

Il est indispensable de respecter le cours normal d'une vie finissante. En tant que médecin et que parlementaire, je consacrerai toutes mes forces à ce combat. En tant qu'homme, je vous prends à témoin. Qui n'a pas accompagné un être cher vers la mort, qui n'a pas souffert de sa dégradation et ne s'est pas révolté contre la médecine, quand elle n'a pas soulagé la douleur ? En tant que parlementaire, médecin et homme, je dis non à l'acharnement thérapeutique, non à l'euthanasie, oui aux soins palliatifs et oui à l'accompagnement dans la dignité sans souffrance.

Il faudra aller plus loin, mais ce que vous faites est très bien, Monsieur le ministre.

Notre société doit tout faire pour améliorer la qualité d'une vie qui s'achève et préserver la dignité du malade (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF, du groupe DL et quelques bancs du groupe socialiste et RCV.)

M. Georges Hage - Voici notre Assemblée invitée à son tour à légiférer sur les soins palliatifs.

Depuis l'installation d'un groupe de travail sur l'aide aux mourants par le secrétaire d'Etat à la santé, en 1985, les progrès réalisés ont été très timides.

L'offre de soins palliatifs demeure dramatiquement insuffisante, compte tenu des besoins et de ces exigences nouvelles qu'ont mis en évidence les États généraux de la santé.

Dans cette discipline qui mérite d'être considérée comme scientifique, la formation des médecins reste lacunaire.

Comme l'affirme la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, qui regroupe 150 associations et des dizaines de milliers de professionnels de la santé et de bénévoles, la France n'est pas en retard en matière réglementaire : de nombreux textes ont été publiés, mais ils ne sont pas appliqués.

Est-ce la faute de la planification hospitalière, qui n'encourage pas les soins à domicile ? La faute des facultés de médecine, qui n'appliquent pas la circulaire de 1995 ? Existe-t-il des obstacles réglementaires et budgétaires, malgré les différents plans gouvernementaux ?

Toujours est-il que nous sommes en retard dans l'application des règles, non dans leur élaboration.

Le rapport du Conseil économique et social, les cinq propositions examinées en commission et les travaux du Sénat témoignent d'une volonté consensuelle de donner une portée concrète aux dispositifs réglementaires existants.

Le Parlement prend l'initiative, même si la procédure des "plages" parlementaires montre ses limites.

J'ai sous les yeux un communiqué de la coordination régionale des unités de soins palliatifs du Nord-Pas-de-Calais, où l'accompagnement est devenu une réalité. On dit tant de mal de ma région ! Pour les auteurs de ce communiqué : "il est plus urgent de développer la formation des soignants, notamment des médecins, que de légiférer sur l'euthanasie."

Cependant, il ne sera pas possible de différer longtemps la réflexion sur l'euthanasie -réflexion que je qualifierai de connexe, comme disent les mathématiciens d'un espace topologique dont il n'existe aucune partition en deux parties fermées. Ce débat a déjà été ouvert par le secrétariat d'Etat à la santé et je m'en félicite. Il n'est jusqu'à la définition subtile que donne M. Neuwirth des soins palliatifs -lesquels se situeraient entre l'acharnement thérapeutique et l'euthanasie- qui ne prête à discussion.

Le groupe communiste n'a pas déposé de proposition, mais il a fait connaître ses préoccupations dans une lettre au président de la commission. Nous insistons sur la nécessité de prendre en considération les besoins de formation, de renforcer l'encadrement et de soutenir les bénévoles ainsi que les familles. Si cette proposition marque un progrès, il faut aller plus loin en encourageant les établissements de santé à développer les soins palliatifs et en assurant la formation continue des médecins sans que ce soit à la charge des établissements ni des bénévoles.

Sur les soins à domicile et les équipes mobiles, cette proposition est insuffisante. Le patient n'a toujours pas le choix entre mourir chez lui ou à l'hôpital, à un niveau de prise en charge équivalent. Il faut mettre en place, dans chaque département, un dispositif de coordination et renforcer les alternatives à l'hospitalisation.

La création d'une allocation de congé d'accompagnement s'impose pour permettre aux familles de se dégager de leurs obligations professionnelles.

Notre groupe a déposé plusieurs amendements, dont certains s'inspirent des travaux de nos collègues sénateurs. Ceux qui visent à reconnaître les soins palliatifs comme une discipline médicale à part entière et à autoriser les centres de lutte contre le cancer à y recourir ont été retenus par la commission. Mais il faut dégager des moyens supplémentaires.

Nous approuvons l'inscription dans la loi de la disposition confiant à l'ANAES l'élaboration des normes de qualité et nous aimerions que les recommandations du Conseil économique et social relatives à l'accompagnement soient suivies (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et quelques bancs du groupe RCV).

M. Yves Bur - Ce débat nous invite à réfléchir à l'essentiel, c'est-à-dire à notre relation à la vie et à la mort. Dans notre société qui se veut positive, la mort a du mal à trouver sa place.

Pourtant, elle fait bien partie de la vie. Sénèque ne disait-il pas que : "toute vie n'est qu'une préparation à la mort" ?

Notre société ne peut donc échapper à cette réalité qu'elle a voulu refouler, comme si elle refusait l'idée même de notre propre finitude, la considérant peut-être comme un frein au développement et à la consommation...

Les médias, en vantant les progrès de la recherche, perpétuent l'image d'une science toute puissante.

Or, malgré les progrès d'une médecine de plus en plus coûteuse, de plus en plus technique, le vieillissement et la mort s'imposent à nous, dans leur dure réalité.

La situation des personnes en fin de vie n'est guère enviable dans notre pays. Malgré la circulaire du 26 août 1986, relative à l'organisation des soins et l'accompagnement des malades en phase terminale, et la loi du 31 juillet 1991, relative à l'hôpital qui évoquait la notion de soins palliatifs, nous sommes très en retard. C'est pour cette raison que la question de l'euthanasie revient de façon récurrente. Je suis persuadé que le débat sur l'euthanasie perdrait de son acuité grâce à une politique active de soins palliatifs, relayée par des campagnes de sensibilisation de l'opinion.

Nous devons développer une véritable alternative à la douleur. L'abandon à la fatalité ôte trop souvent toute dignité à la mort et traumatise l'entourage familial.

Le développement des soins palliatifs est urgent dans notre pays. Il doit s'insérer dans une démarche globale d'accompagnement à la mort. Les 576 lits en unités fixes, les 74 équipes mobiles, réparties inéquitablement sur le territoire, et les maigres expériences pilotes de soins à domicile doivent être englobés dans une politique volontariste sur tout le territoire national.

L'accompagnement doit avoir pour objet l'atténuation de la douleur et le confort du malade. Il faut aussi donner au malade la possibilité de choisir de finir sa vie chez lui. En effet, selon les études de l'INSERM, seulement 26 % des personnes meurent à leur domicile, contre 63 % en 1964. La médicalisation de la fin de vie ne doit plus être forcément synonyme d'hospitalisation.

La discrimination des soins palliatifs ne peut nous exonérer d'une réflexion sur l'accompagnement affectif, moral et spirituel, qui doit s'intégrer dans une prise en charge globale. S'il s'agit là d'une responsabilité première du cercle familial, celui-ci n'a pas toujours la capacité de l'assumer et un soutien doit lui être apporté.

L'exemple des associations -je pense au travail admirable de "Jalmalv" et "Pierre Clément" dans mon département- peut inspirer les progrès à accomplir.

Elles ont eu l'immense mérite de suppléer une action publique défaillante et de nous sensibiliser aux besoins qu'elles ne peuvent satisfaire.

En effet, selon le comité consultatif national d'éthique, la vocation du médecin est : "de prévenir, de soigner et de soulager les souffrances". C'est pourquoi, la réussite des soins palliatifs en France ne se réalisera qu'avec la collaboration de tous les intervenants, le corps médical, bien sûr, mais aussi les bénévoles associatifs et la famille.

Notre pays accuse, comme d'autres pays européens, un retard important. Votre engagement, Monsieur le ministre, qui ne date pas d'aujourd'hui, n'a pas été suffisamment relayé. En effet, nous sommes loin des 3 000 lits et des réseaux permettant de prendre en charge 200 000 personnes en Grande-Bretagne.

Les 200 millions de francs mobilisés par l'Etat et la CNAM seront-ils suffisants pour renverser rapidement la situation ?

Alors que sont élaborés les SROSS de 2ème génération, je souhaite que cette priorité se traduise non seulement par des actions de formation et d'accompagnement des soignants par des équipes mobiles, mais aussi par la création de nouvelles unités. Le Conseil économique et social préconise l'ouverture d'une unité de soins palliatifs de 10 à 15 lits dans chaque CHU. Ces unités constitueraient l'appui des équipes mobiles de soins palliatifs à l'hôpital ou à domicile.

Car il faut aussi offrir au malade et à sa famille l'alternative de "mourir chez soi", tout en leur assurant l'aide et le soutien d'une équipe mobile de soins palliatifs. Cela suppose de véritables réseaux hôpital-médecine de ville.

De plus, un effort important d'enseignement doit être fait pour diffuser les techniques de suivi en soins palliatifs, dans le cadre de la formation médicale initiale et continue. Il conviendrait d'associer à certains modules tous les bénévoles qui ont besoin, au-delà de leur engagement altruiste, d'outils pour assurer une meilleure écoute et un accompagnement de qualité.

J'en viens aux propositions que nous retrouvons dans les différents textes associés à cet examen.

L'affirmation, à l'article premier, des droits du malade et des usagers du système de santé me paraît essentielle et dépasse le cadre des soins palliatifs.

Le malade devrait être au coeur du système de santé. Pourtant, le développement de notre système de soins s'est réalisé dans une logique propre, où les besoins des malades n'influent que peu le développement de l'offre.

Le plan de réforme de la Sécurité sociale d'Alain Juppé et Jacques Barrot avait mis en avant les droits du malade, notamment dans le système hospitalier.

Nous sommes d'accord pour inscrire ce droit dans le code de la santé. Il faudra cependant lui donner un contenu dans chaque établissement de soins.

L'affirmation complémentaire d'un droit à des soins palliatifs va dans le même sens.

L'extension de la mission d'assurer des soins palliatifs aux établissements sociaux et médico-sociaux, en particulier les maisons de retraite et de long séjour, est une innovation très importante.

Les personnes âgées dépendantes exigent un accompagnement très intense.

Il nous appartient de faire comprendre, à travers les projets d'établissement, la nécessité d'une démarche interne dans l'accompagnement à la mort.

Pour réussir une telle évolution, on ne peut faire l'impasse sur les moyens mis à la disposition de ces établissements. Or la réforme de la tarification des établissements n'aborde pas cette question.

Nous partageons enfin le souci d'inscrire les actions des associations dans un cadre validé par les autorités. Une charte permettra d'inscrire les principes d'éthique qui doivent guider toutes les interventions auprès des personnes en fin de vie. Il convient cependant de veiller à ne pas décourager les bénévoles en les enfermant dans un cadre réglementaire trop contraignant. Enfin nous approuvons la création d'un congé d'accompagnement.

En conclusion, la généralisation d'une offre de soins palliatifs et d'un accompagnement des personnes en fin de vie constitue un défi. Il appartiendra au Gouvernement de transformer nos bonnes intentions en réalité ; l'UDF votera cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Jacques Desallangre - Pour aborder cette proposition déposée par les députés MDC et à laquelle le groupe RCV a consacré sa "niche" parlementaire, il nous faut réapprendre que soigner, c'est guérir, mais aussi aider le malade à dominer ses souffrances.

Avec les progrès de la médecine, la mort et ses souffrances ont été longtemps reléguées à l'arrière-plan dans notre société. Aujourd'hui on meurt souvent à l'hôpital et loin des siens. Cette modification des conditions de la mort influe sur le comportement du malade mais affecte également le rapport de notre société à la mort. Celle-ci est vécue comme un échec, une remise en cause de l'omnipotence de la science. En la confinant dans un espace qui lui est propre, on cherche à faire comme si elle n'existait plus.

En outre, nos sociétés ont longtemps considéré la souffrance physique comme accompagnant normalement la mort. Les vertus rédemptrices prêtées à la souffrance sont profondément ancrées dans nos cultures. Faire entrer les soins palliatifs dans les moeurs nous permettra de nous défaire de cette conception.

A l'approche de son heure dernière, le malade est confronté à trois types de souffrance : souffrance physique, souffrance psychique, enfin souffrance existentielle. Face à la complexité de ces processus, il nous paraît primordial de légiférer afin de développer le recours aux soins palliatifs en milieu hospitalier, mais aussi au domicile des malades.

Je souhaite cependant mettre en garde contre l'action des sectes en pointant les dangers de la rédaction actuelle de l'article 2. Il répond au souci de donner au malade la capacité de refuser l'acharnement thérapeutique. Mais il peut se révéler dangereux en permettant au malade ou à son représentant de refuser des soins élémentaires indispensables à sa survie, par exemple les transfusions sanguines. Pour éviter cet écueil, je propose que nous réfléchissions, d'ici la seconde lecture, à une nouvelle rédaction.

Toujours pour éviter le développement de pratiques sectaires, il serait opportun d'encadrer plus strictement la signature des conventions-type. La procédure actuelle laisse supposer que l'administration ne possède aucun pouvoir de contrôle et d'exclusion dès lors que l'association signe la convention-type et s'y conforme. Mieux vaudrait une véritable procédure d'agrément, laissant à l'administration un large pouvoir d'appréciation.

En conclusion, une question : rendre sa dignité au malade, n'est-ce pas aussi lui laisser la liberté de sa mort ? Il serait judicieux qu'ait lieu prochainement une discussion sur l'euthanasie. Les soins palliatifs n'épuisent pas les questions posées par le passage de la vie à la mort dans le respect de la volonté du malade. J'ai souhaité que la proposition de loi fasse mention du sujet délicat du libre choix de sa mort et j'espère qu'elle participera à une évolution des mentalités qui permettra de dire demain que soigner, c'est aussi aider à mourir. Cette poursuite de la réflexion est indispensable. (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV)

M. Jean-Michel Dubernard - Si, avec Jean-Louis Debré et Renaud Muselier, nous avons déposé une proposition de loi reprenant celle de Lucien Neuwirth, votée à l'unanimité par le Sénat le 7 avril dernier, c'est parce que nous pensons que ce texte correspond au mieux aux besoins des malades dont l'état requiert des soins palliatifs ou continus.

Qui, en effet, s'opposerait à offrir l'accès à des soins palliatifs et à un accompagnement en institution ou à domicile, à toute personne atteinte d'une maladie la condamnant définitivement ? Qui ne conviendrait de la nécessité d'intégrer l'offre de soins palliatifs dans la carte sanitaire et le SROS, de faire prendre en charge les dépenses par les organismes d'assurance maladie et d'inclure ces soins dans le PMSI ? Et qui n'applaudirait pas à la proposition d'un congé d'accompagnement pour les proches d'une personne en fin de vie ? Je me réjouis donc de voir ces mesures dans le texte.

Mon expérience à la tête d'un service traitant plus de 50 % de cancéreux me pousse à insister sur la nécessité de laisser au patient le choix du lieu où les soins palliatifs lui seront donnés : transfert dans une unité spécialisée, accompagnement à domicile, ou maintien dans le service où il est traité. C'est à lui de dire s'il veut rester dans un service de court séjour, lequel devrait accepter que ses lits soient occupés pour d'assez longues périodes par des malades en fin de vie. L'idée est peut-être contraire à une vision économiste de l'hôpital-entreprise, mais des solutions administratives existent, ne serait-ce que la transformation transitoire d'un lit de court séjour en lit de moyen séjour.

Les unités spécialisées doivent se développer car la France est très en retard ; mais faisons attention à ne pas accréditer l'idée qu'il existe des mouroirs à l'hôpital, du type Pavillon des cancéreux, à la Soljenitsyne. Il n'est plaisant pour personne de comprendre que le lit que l'on occupe est celui de sa mort.

La société doit aider les patients qui préfèrent vivre leurs derniers jours chez eux, par l'intermédiaire des équipes mobiles. Pour ceux, et c'est l'immense majorité, dont l'état nécessite des soins à l'hôpital, une formation des personnels soignants s'impose. Affronter la mort n'est pas facile, même pour ceux qui la croisent souvent... L'accompagnement de la mort suscite un sentiment d'impuissance, d'injustice, de culpabilité, donne un avant-goût de sa propre mort ; il n'est pas possible de transformer en métier une tâche aussi intense sur le plan affectif. Une réflexion s'impose donc sur le renouvellement des personnels dans les unités de soins palliatifs et des bénévoles dans les associations.

En commission, Roger-Gérard Schwartzenberg a proposé de créer une délégation parlementaire -et non une simple mission- chargée de faire le point sur les droits des malades en fin de vie ; il a déposé ce matin un amendement tendant à en élargir la mission à l'ensemble des droits des malades. Je ne peux que m'associer à son initiative. Au-delà du traitement de la douleur et des soins palliatifs, se pose la question du droit pour chacun à une mort digne et donc celle de l'euthanasie. Les rares lois édictées à l'étranger dans ce domaine ont échoué. Renaud Muselier en affirmant : "ni acharnement thérapeutique, ni euthanasie" exprime le bon sens.

Le principal droit est l'accès égal à des soins de qualité ; mais certains droits touchent à la liberté de chaque individu : droit à une information exacte, en termes compréhensibles ; droit de choisir son traitement et de refuser l'acharnement thérapeutique ; droit de demander un deuxième avis ; droit à la confidentialité et à l'intimité ; droit de porter plainte et d'être indemnisé, qu'il y ait faute ou non. La reconnaissance de ces droits contribueront à améliorer la confiance dans la médecine et les médecins. Je souhaite donc, Monsieur le ministre, que vous approuviez cette demande de création d'une délégation parlementaire (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF, du groupe DL et du groupe RCV).

Mme Odette Trupin - En quinze ans, le mouvement en faveur des soins palliatifs a permis une prise de conscience progressive. Pourtant les mécanismes de défense individuels et collectifs vis-à-vis de la souffrance, de la douleur, de la mort, restent encore puissants et se retrouvent dans la structuration du système de santé et dans la formation universitaire.

Il me semble important de ne pas restreindre la notion des soins palliatifs aux seuls soins terminaux des derniers jours de vie ; cela n'est plus du tout conforme à la pratique et risquerait d'accroître la marginalisation de la fin de vie, au lieu de concourir à sa resocialisation.

Mme Christine Boutin - Très bien !

Mme Odette Trupin - Intégrer la prise en charge palliative plus tôt dans l'histoire du malade permet une association des compétences, pour parvenir à la notion de soins continus. Le corps médical est surtout formé à une maîtrise thérapeutique optimale ; avec les soins palliatifs, il s'agit de traiter des symptômes plutôt qu'une maladie.

L'implication du professionnel se heurte rapidement à ses propres limites. Car l'accompagnement de la fin de la vie est d'une grande intensité émotionnelle, fait resurgir questions existentielles et angoisse de mort. C'est pourquoi le travail interdisciplinaire est essentiel. Le patient ne se livre pas de la même manière au médecin, à l'infirmière, à un bénévole ou à sa famille.

J'insiste tout particulièrement sur le rôle de la famille, fondamental pour adoucir moralement les fins de vie. Est-elle consultée aussi souvent qu'il le faudrait ? Comment lui permettre de prendre pleinement la mesure de sa mission ?

En conclusion, il m'apparaît qu'il faudra encore bien des efforts pour sensibiliser l'ensemble des médecins, soignants, tutelles administratives et décideurs politiques aux soins palliatifs. Une approche plus éthique des soins est une priorité car l'écoute du malade, le respect de sa dignité, et donc de sa liberté, conditionnent le fonctionnement de toutes les structures de soins, même non spécialisées en soins palliatifs. Il faudrait que tant la formation des jeunes médecins, que les indicateurs d'activités et la nomenclature des actes soient adaptés. Les nouvelles approches conventionnelles et le développement des réseaux sont des voies prometteuses pour les soins à domicile ; et chaque service de soins devrait pouvoir mettre en place une démarche palliative.

M. le Président de la commission - Très bien !

Mme Odette Trupin - Les soins palliatifs nécessitent un savoir, mais tout autant une humanité, une conversion intérieure, un respect de l'autre qui supposent un long chemin pour chacun d'entre nous (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et de nombreux bancs).

Mme Christine Boutin - Je suis très heureuse que notre Assemblée se soit saisie de ce sujet sur lequel notre pays a pris beaucoup de retard. La médecine a souvent misé sur des techniques et un peu oublié l'homme malade ; notre société considère la mort comme un échec. Les soins palliatifs n'excluent pas l'idée de la souffrance ou de la mort, mais celle-ci est regardée en face.

Le concept-clé est la dignité de la personne humaine. On y fait souvent appel pour justifier des comportements très différents, voire opposés car il peut avoir deux significations. Selon la première, la dignité exprime une sorte de fierté, elle est alors subjective. Cette dignité-là pourrait être perdue ou diminuée avec la maladie, la vieillesse, la perte de la mémoire ou de la capacité de se mouvoir. L'autre conception de la dignité se réfère à une qualité inhérente à chaque être humain : la dignité de la personne est alors la conséquence de son humanité. Quel que soit le degré de perfection, de développement ou de déchéance du corps d'une personne, celle-ci demeure digne de sa conception à sa mort naturelle. Ainsi, la dignité de la personne ne dépend pas du regard, de l'affection ou du désir d'autrui ; elle ne se décrète pas, elle "est".

L'homme est également digne dans ses actes. Grâce à son esprit, l'homme a la possibilité d'opérer des choix, de poser des actes libres. Il est le seul être à pouvoir se perfectionner par sa propre volonté et faire croître son intelligence. Si l'expression "droit de mourir dans la dignité", que l'on entend souvent, peut être considérée comme juste en elle-même, elle devient fausse si elle implique le droit de décider du moment de sa mort ou de prendre les moyens de se donner la mort ou de la donner à autrui, comme semble le prôner, au terme d'une subtile confusion, l'association "Pour le droit à mourir dans la dignité". La dignité est liée à la personne, non à l'état de son corps ou de son intelligence.

Nous sommes donc devant deux conceptions inconciliables de la dignité : la première considère que la personne est digne grâce à ce qu'elle a ; l'autre qu'elle est digne parce qu'elle est.

Accepter la revendication du droit à mourir dans la dignité conduirait directement à légaliser l'euthanasie. En revanche, le développement des soins palliatifs relève de la seconde conception et je me réjouis donc du choix effectué par l'Assemblée aujourd'hui.

Il rendra inutile tout débat sur la dépénalisation de l'euthanasie, peut-on espérer, car ces soins doivent pouvoir soulager la douleur et de mettre un terme au sentiment de déchéance, de "perte de dignité" des malades.

Accompagner les malades en fin de vie et soulager leur souffrance sont deux impératifs étroitement liés. On sait combien la douleur, même physique, peut se trouver atténuée par la présence d'une personne aimante. L'accompagnement suppose donc une écoute attentive et une extrême disponibilité au malade, afin d'adoucir la fin de la vie, de la rendre sereine. Le praticien doit comprendre la peur du malade face à la mort et l'aider à vivre ses derniers moments paisiblement, dans le respect de cette peur, de sa personne et de ses croyances.

La souffrance peut être de nature très différente, physique ou morale, l'une retentissant d'ailleurs sur l'autre. D'autre part, de nombreuses affections peuvent être fort douloureuses, voire intolérables, sans que le pronostic vital soit en cause. Quoi qu'il en soit, la France doit rejeter un dolorisme ancien, pour chercher à traiter ou à diminuer la douleur quelle qu'en soit la cause (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Nicole Bricq - Allez dire cela au Vatican !

Mme Christine Boutin - Cette attitude doloriste n'est-elle pas une réalité nationale ? Le secrétaire d'Etat lui-même y a fait allusion.

Il convient par conséquent de développer l'enseignement et la politique du traitement de la douleur, sans s'en tenir à la fin de la vie. Les soins palliatifs requièrent, outre des qualités humaines, des connaissances scientifiques et techniques spécifiques : les CHU doivent être incités à les dispenser, en constituant des pôles d'excellence.

Nous devons également faire une grande place aux associations de bénévoles, qui ont déjà beaucoup fait, acquérant ainsi un savoir et une expérience incontestables grâce à l'écoute et à la disponibilité dont elles ont fait preuve. Ces bénévoles sont indispensables au bon fonctionnement des centres de soins et des équipes mobiles.

Enfin, nous devons rappeler le rôle de la famille comme acteur essentiel des soins palliatifs (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Il ne faut pas que l'hospitalisation du malade entraîne sa démission, les équipes médicales se substituant à elle par exemple.

Quant à la proposition de créer une délégation parlementaire aux droits des malades, elle mérite examen. Cependant, l'existence de cette délégation ne saurait prendre fin en 2000 et, à l'instar de la délégation à la démographie, devrait être l'instance qui veille en permanence au respect des droits des malades, susceptible d'être compromis à tout moment par les progrès scientifiques. En tout état de cause, elle ne doit pas servir une confusion entre dignité de la personne, "mort digne" et euthanasie.

Nous avons perdu le sens de la mort, d'une mort que nous ne connaîtrons de toute façon jamais pour nous-mêmes : toutes les représentations que nous avons sont celles des autres. Notre pensée ne peut que buter sur cette limite : le fantasme qui consiste à se voir mourir ne met en scène que l'émotion ou la réaction de notre entourage. Les deux extrêmes de la vie, notre naissance et notre mort, échappent ainsi à notre maîtrise, demeurant en quelque sorte l'affaire des autres, qui seuls peuvent s'en souvenir et en parler.

C'est pourquoi il faut dire oui aux soins palliatifs et refuser l'euthanasie (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe DL).

M. André Aschieri - Il est heureux que cette profusion de textes nés dans le sillage de la proposition déposée par le sénateur Neuwirth n'ait pas suscité de querelles politiciennes : ce qui est d'ordinaire lassant eût été ici indécent !

Le développement des soins palliatifs est une grande et belle ambition, qui fait progresser notre civilisation en humanité. Cependant, si l'idée force le respect, il n'est pas inutile d'essayer de mesurer la portée de ce que nous essayons de faire.

Henri Delbecque a cerné l'enjeu dans son rapport : "les soins palliatifs, écrit-il, sont un ensemble d'idées, de connaissances et de pratiques qui permettent aux malades en fin de vie de conserver jusqu'au bout leur personnalité, leur vie intérieure et l'essentiel des rapports humains, pour une véritable mort dans la dignité".

La mort est une chose naturelle mais qui, malheureusement, peut être précédée par les affres de l'agonie. Il nous appartient donc d'essayer de bannir la souffrance, celle du malade comme celle de ses proches, la mort paisible de l'être aimé étant souvent la condition pour que le travail du deuil s'effectue. Le secrétaire d'Etat a au reste rappelé la différence fondamentale entre une fin paisible, grâce à la souffrance soulagée, et la mort douloureuse, vécue dans l'angoisse et l'isolement. Loi de respect et de compassion, loi de civilisation, le texte que nous allons voter doit combler les trop nombreuses lacunes actuelles. En effet, jusqu'ici, l'organisation des soins palliatifs n'a fait l'objet d'aucune politique globale et la circulaire de 1986, si elle était nécessaire, ne fut pas suffisante. Notre pays ne compterait qu'une centaine d'unités de soins palliatifs, d'ailleurs très inégalement répartis sur le territoire, certaines régions en étant totalement dépourvues.

Les députés Verts se félicitent que la commission ait suivi les conclusions de M. Neuwirth, qui a travaillé sur le sujet plusieurs années durant en liaison avec les équipes spécialisées. Répondre aux besoins suppose en effet, avant tout, de mettre en place un système cohérent : cela suppose de garantir la complémentarité entre les unités résidentielles et les équipes mobiles. Il y va de la continuité des soins et de la capacité d'agir en fonction de l'état du patient, qui peut évoluer avec le temps.

Il est bon que l'Agence nationale d'accréditation évalue les besoins et fixe des normes de qualité pour la prise en charge, mais ne pourrait-on aller plus loin et faire de la présence de soins palliatifs en nombre suffisant un critère même de l'accréditation. Cela favoriserait la constitution d'un réseau adapté.

Une attention toute particulière doit être apportée aux soins à domicile. La proportion de ceux qui meurent chez eux est tombée à 25 %. Or ce maintien à domicile, psychologiquement souhaitable, serait souvent possible si l'on disposait d'équipes mobiles.

Il convient de développer la formation, mais aussi d'encourager le bénévolat d'accompagnement. Cela étant, un agrément est nécessaire pour éviter que certaines personnes, issues de sectes par exemple, n'exploitent le désarroi des mourants et de leurs familles.

Enfin, le congé d'accompagnement est une disposition essentielle pour permettre aux proches d'accompagner les derniers mois d'un malade. Toutefois, il ne doit pas être réservé aux plus riches et il faut donc, comme l'a suggéré le Conseil économique et social, instituer une prestation compensatrice de la perte de revenu.

En conclusion, les députés Verts tiennent à remercier le Mouvement des Citoyens d'avoir consacré sa "fenêtre" parlementaire à ce noble projet, qu'ils voteront bien sûr (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. le Président - Je vais suspendre la séance à la demande du Gouvernement.

La séance, suspendue à 11 heures 45, est reprise à 11 heures 50.

M. Alain Veyret - Intervenant il y a quelques jours sur l'inégalité d'accès aux soins, je redoutais que les valeurs fondatrices de notre République, liberté, égalité, fraternité, soient sérieusement remises en cause par l'évolution de notre société.

Cela vaut aussi pour la fin de la vie.

Les égoïsmes se sont développés, tant l'individualisme a pris le pas sur les solidarités les plus élémentaires.

Depuis les années 1960 la cellule familiale s'est réduite à son expression nucléaire, rejetant dans l'isolement les personnes âgées qui, de plus en plus, meurent dans la solitude. Et le fléau du sida a fait renaître le plus abject des rejets et des isolements.

L'enseignement médical a oublié ses valeurs humanistes, au profit de la technicité, l'humilité faisant place à un triomphalisme qui fait naître dans l'inconscient de nos concitoyens le fantasme de la vie éternelle et le refus de la mort. Jamais, dans nos études, on ne nous a parlé de notre relation avec la mort de l'autre.

Sans doute aurons-nous dans ce débat l'occasion d'exprimer des désaccords mais nos divergences ne seront pas politiciennes tant ce sujet au-delà des clivages partisans et contrairement au texte que nous avons voté il y a deux jours, nous concernera tous, un jour ou l'autre.

Permettez-moi de vous soumettre quelques réflexions issues de vingt-cinq ans de confrontation quotidienne à la mort. Elles n'ont pas plus de valeur que celles de tout un chacun, car ce problème concerne tout individu ; elles ne sont que le témoignage de la détresse et de la solitude auxquelles il nous incombe aujourd'hui de mettre fin par notre action législative.

Quelles que soient nos convictions religieuses, ou philosophiques, force est de reconnaître que l'évolution de nos modes de vie a abouti à une démission face à la mort qui nie sa normalité et son caractère inéluctable. Ce refus aboutit à une désocialisation de la mort, que l'on rejette vers des structures collectives et professionnalisées.

Si la naissance a lieu à l'hôpital, dans un légitime souci de sécurité, on doit désormais aussi mourir à l'hôpital, et on essaye de le justifier par des motifs techniques pour masquer la régression de nos rites ancestraux. Ainsi prend-on en charge, non plus l'individu, mais sa maladie, plongeant le mourant dans la solitude et la détresse, loin de ceux qui lui sont chers, le privant de son intimité, et de son affectivité. Dans le même temps, une barrière s'instaure devant ses proches, celle d'une structure hospitalière qui dénature l'image même de la mort, et des derniers moments de vie commune.

J'ai trop souvent vu l'agonisant traité en intrus, considéré comme une charge. Sa mort n'étant plus un événement social, il mourait seul, sans y être préparé, presque à l'insu des autres, dans l'ignorance de son état, comme si sa mort n'existait pas.

Au nom de je ne sais quelle pudeur ou quel tabou et sans tenir compte de son avis, on lui dénie le droit de savoir qu'il va mourir. Jusqu'au bout on lui cache, souvent de façon maladroite, la vérité. On dispose de lui, faute de la plus élémentaire honnêteté, on l'empêche de profiter jusqu'au dernier souffle de vie de l'affection des siens et de l'amour qu'il peut exprimer. Il faudrait au contraire avoir l'humanité de mettre en oeuvre tout ce que nous offre le progrès pour vaincre la douleur et l'angoisse, de donner à l'équipe soignante le temps de l'écouter, le rassurer, de permettre à ses proches, au domicile ou dans le lieu d'accueil, de l'accompagner sereinement jusqu'au bout du voyage.

Malheureusement trop souvent tout se passe comme si personne ne savait que quelqu'un va mourir, ni la famille, ni les médecins.

Observé comme un cas clinique qui devient un mauvais sujet dès lors que la thérapeutique échoue, le mourant n'a plus de statut et, par là, plus de dignité. Quand s'y ajoute, dans l'inconscient des soignants la problématique de leur propre rapport à la mort, alors le médecin vient de façon furtive et de moins en moins souvent au chevet du malade, il répond de moins en moins aux questions, il abandonne inconsciemment les personnels soignants, et les familles à l'angoisse -il rejette le malade dans une détresse inacceptable.

D'autres fois, au contraire, le refus de l'échec conduit à l'escamotage de la mort, par un acharnement thérapeutique aussi douloureux qu'inutile, relayé le plus souvent par un changement radical d'attitude, où la mort doit être précipitée.

Ainsi, après avoir refusé d'admettre la possibilité de l'échec thérapeutique et d'inscrire la mort dans l'avenir prévisible du malade, on en vient à le traiter comme étant déjà mort.

Même si cela ne relève pas du texte que nous examinons, sans doute faudrai-t-il maintenant parler d'euthanasie car comment traiter de l'accompagnement sans aborder cette question difficile ? L'expérience me montre qu'il s'agit plus d'une réflexion du bien-portant sur le sens de la vie et de la mort, qu'une préoccupation de celui qui s'en va de façon digne et douce, entouré de l'affection des siens et de ceux qui jusqu'au bout ont utilisé leur savoir-faire pour gommer les aspérités les plus douloureuses de la maladie, sans en repousser l'échéance.

Souvent parce qu'on est sourd à la détresse de l'autre, on trouve dans la mort précipitée la légitimation de nos carences. J'ai constaté qu'à chaque fois que l'ensemble de l'équipe allait au bout de sa démarche tant curative que palliative, quand le constat de l'impuissance de notre savoir était fait, alors la demande de mort disparaissait.

Mme Christiane Boutin - C'est vrai.

M. Alain Veyret - Encore faut-il que chacun règle ses problèmes envers sa propre mort avant d'aborder celle de l'autre.

M. le Secrétaire d'Etat - En effet.

M. Alain Veyret - La confrontation quotidienne avec la mort fait disparaître l'angoisse qu'elle génère, non parce qu'on la connaît mieux mais parce qu'elle devient le réel et non plus l'imaginaire. Ainsi se transforme et se façonne notre vocation thérapeutique. Ainsi peut-on comprendre que le plus grand échec de la médecine n'est pas d'empêcher la mort du patient, mais de lui imposer jusqu'à son dernier souffle un long chemin de misère et de souffrance. Ainsi peut-on comprendre que sans compassion inutile, en retrouvant le sens du regard à l'autre, notre science peut réussir à ce que ce corps qui se meurt souffre le moins possible de sa dégradation et conserve dans cette ultime étape de la vie toute sa dignité et toute son humanité (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Jean Rouger - La mort est la compagne intime de toute notre vie. Sa présence permanente, notre peur de l'affronter, stimulent l'énergie de l'homme pour repousser les limites de la vie, ce sont elles qui ont forgé les progrès considérables de la médecine.

Mais ces progrès ont été concentrés dans la lutte contre les maladies, négligeant ainsi la douleur et la souffrance des hommes, oubliant la solitude et l'angoisse de ceux qui aperçoivent le terme de la vie. Ainsi, devant la maladie et la perspective de la mort, sommes-nous capables d'investissements scientifiques et de prouesses techniques pour retarder, voire pour nier l'affrontement avec la mort.

C'est seulement depuis quelques années que notre pays s'engage dans la prise en compte des souffrances, de l'isolement des personnes atteintes de maladies graves, de la douleur de l'entourage. Le rapport d'information du sénateur Lucien Neuwirth et l'avis du 24 février 1999 du Conseil économique et social montrent l'insuffisance de cette offre dans notre société, tout comme l'ont montrée les Etats généraux de la santé.

Leur tenue, la volonté militante de notre ministre de la santé, l'engagement de l'ensemble des groupes de cette assemblée nous offrent aujourd'hui la possibilité de légiférer en la matière.

Toute personne atteinte d'une maladie grave a droit à des soins palliatifs, c'est-à-dire des soins actifs et continus visant à soulager la douleur, à sauvegarder la dignité du malade et à soutenir ses proches.

Il s'agit d'une approche globale associant les compétences scientifiques et techniques et la chaleur humaine. L'objectif n'est pas de préparer la mort mais de permettre au malade de vivre au mieux jusqu'au bout. Tout cela fait partie des compétences des professionnels de la santé au même titre que le curatif.

Pour développer les soins palliatifs, maintenant que la volonté politique est acquise, il faut régler des aspects réglementaires et budgétaires, et surtout adapter enfin la formation.

Toutes les professions de santé doivent avoir une formation initiale et continue dans ce domaine. Les pratiques doivent être évaluées et diffusées. Les bénévoles doivent recevoir une formation et voir leur place reconnue au sein de l'équipe de soins. Une convention doit sceller le respect des principes des soins palliatifs dans les établissements publics ou privés et les structures sociales.

Ces formations devront être scientifiques et techniques. La souffrance, physique et psychique, doit faire l'objet d'une approche méthodologique. Elles devront aussi s'attacher à favoriser l'écoute des peurs et des désirs, le dialogue et le respect des choix. Elles doivent s'inscrire dans un cycle global et obligatoire pour constituer une véritable éducation à l'humilité, à la solidarité et au travail en équipe.

M. le Président de la commission - Je voudrais d'abord me féliciter de la qualité de ce débat. Je me suis reconnu dans chacune des interventions. La formule de M. Mattei en résume l'essentiel : quand on ne peut plus soigner, il reste à prendre soin.

Il est vrai que nous légiférons à la hâte, mais pas plus que le Sénat -et les textes les plus importants sont parfois adoptés dans ces conditions. Evitons d'opposer l'excellent travail effectué au Sénat à l'exercice du droit d'initiative parlementaire à l'Assemblée, puisque précisément nous arrivons à la meilleure formule, la conciliation. Sans doute avons-nous abordé des problèmes que nous ne pourrons traiter au fond, l'acharnement thérapeutique notamment. Mais poser la question, c'est déjà franchir une étape.

Nous avons déjà parlé de la formation, des équipes mobiles, d'accompagnement de la structure hospitalière. Comment se déroulera la suite de la réflexion ? Au Gouvernement d'indiquer la marche qu'il veut suivre. La commission prend l'initiative de créer une mission ouverte de suivi du présent texte. Faut-il aller plus loin ? Le Parlement en discutera avec le Gouvernement.

M. le Secrétaire d'Etat - C'est vrai, nous allons trop vite. Mais mieux vaut faire vite que de ne rien faire, comme cela a été le cas trop longtemps. Certes, des circulaires ont déjà été lancées, mais il faut enraciner notre volonté dans la loi.

J'ai beaucoup insisté, avec le plan triennal notamment, sur la lutte contre la douleur. Là était le blocage. Celui-ci surmonté, nous allons forcément vers les soins palliatifs.

Pourquoi notre école de clinique a-t-elle négligé la douleur pendant si longtemps ? On met souvent en cause les fondements judéo-chrétiens de notre société, mais les médecins catholiques ont été les pionniers de la lutte contre la douleur, et des pays comme l'Italie et l'Espagne sont très en avance sur nous.

Mme Christine Boutin - Mais oui !

M. le Secrétaire d'Etat -  Le refus particulier à notre pays tenait plus vraisemblablement au pouvoir médical. Il est donc très satisfaisant que tous ici, médecins et non-médecins, aient insisté sur la formation, celle du personnel médical, des aides-soignants, des bénévoles, d'une certaine façon de tous les citoyens.

Nous nous attaquons aujourd'hui à un problème essentiel, majeur, pesant, gigantesque ! Pour remédier aux insuffisances de la prise en charge, il faut modifier les études médicales, c'est-à-dire la formation initiale, la formation continue prenant mieux en compte ce problème. Comment se fait-il qu'un tel débat n'ait pas lieu parmi les étudiants en médecine ? Aidez-moi à changer la formation médicale, à sortir d'une espèce de Moyen-Age ! Je ne parle aujourd'hui que des soins palliatifs, il y aurait beaucoup d'autres sujets à traiter.

Hier, la confédération des syndicats médicaux français qui n'est pas très engagée en ce moment dans le dialogue avec le Gouvernement, exigeait la poursuite de la réforme des études médicales. Hier aussi, les résidents se prononçaient dans le même sens. Pour une fois qu'une réforme est aussi bien accueillie par les enseignants que par les étudiants, n'en restons pas là !

J'en viens au débat au Sénat -et je commencerai par saluer la constance du combat de M. Neuwirth, qui a conjugué la sincérité et l'efficacité. Ce débat, également mené à toute allure, a abouti à un texte qui n'était pas mauvais du tout ; mais il comportait des lacunes que viennent combler vos propositions. Pour ma part, je ne saurais revendiquer la paternité d'une oeuvre qui ne peut être que collective.

M. Schwartzenberg a insisté sur les droits du malade. Fin juin, à l'issue des États généraux de la santé, nous avons décidé de légiférer sur ce point. Je ne sais pas quand, mais nous le ferons. Vous pouvez constituer une délégation parlementaire, mais sachez que nous avons bien l'intention de légiférer.

Ce qu'a dit M. Mattei était d'une haute inspiration : "Quand on ne peut plus soigner, il reste à prendre soin". C'est une très belle formule.

La notion de "consentement éclairé du patient" est délicate. Nous devrons y réfléchir.

S'agissant de l'euthanasie, pour employer un mot que je n'aime pas, j'ai déjà dit que les soins palliatifs constituaient la meilleure des réponses dans 95 % des cas. Mais il arrive aussi que nous soyons désarmés, les malades ayant décidé en conscience, et souvent en accord avec leur famille, que la mort devait intervenir. J'appelle votre attention sur une publication du chef du service de réanimation de l'hôpital Henri Mondor, qui a collecté les statistiques de tous les services de réanimation de France. Pour au moins 50 % des malades hospitalisés en réanimation, la thérapeutique est finalement suspendue. On ne peut parler de crime, mais les juristes estiment qu'il y a un geste criminel. Il faudra donc légiférer : la réalité quotidienne de la médecine nous y invite.

Je donne acte à MM. Mattei et Dubernard qu'aucun médecin n'a jamais prétendu que soulager la douleur était sans conséquences. En effet, ce soulagement se traduit par des phénomènes cardiaques et respiratoires qui, tôt ou tard, vont accélérer la mort.

Il ne suffit pas de développer les soins palliatifs pour résoudre la question des malades en fin de vie. Car il restera toujours une zone grise, entre ombre et lumière.

M. Jean-Michel Dubernard - C'est pourquoi le "testament de vie" a de l'importance.

M. le Secrétaire d'Etat - En effet. Mais l'exemple néerlandais a montré que les abus pouvaient être nombreux. Un tel testament est rédigé au moment où son auteur est en pleine possession de ses moyens. Quand la question se pose effectivement, il peut préférer attendre trois jours pour voir ses parents arriver...

Légiférer trop rapidement, ce serait figer dans un cadre rigide des règles dont la pertinence n'est pas certaine.

Mme Christine Boutin - Vous avez raison.

M. le Secrétaire d'Etat - Cela dit, j'ai connu moi-même, en tant que médecin, des personnes dans un tel état d'abandon physique qu'elles demandaient qu'on mette fin à leurs souffrances.

M. Muselier a raison d'affirmer qu'il n'est pas question de créer des mouroirs. Il y a des équipes mobiles. Quant aux unités fixes, elles ne doivent pas être coupées de tout. Il faudrait qu'un certain nombre de lits leur soit réservé au sein de chaque service.

A l'hôpital de Saint-Germain-en-Laye, avec le regretté Michel Péricard, nous avons entendu une infirmière formée aux soins palliatifs nous dire : "Il faut tout de même un peu de temps. Quand on a quitté le malade de la chambre jaune en sachant qu'il n'allait pas bien et qu'on en trouve un autre dans la même chambre le lendemain matin, on se dit qu'il faudrait un peu plus de décence".

Des choix fondamentaux sont faits aux urgences, ce qui montre toute l'importance de l'accueil et de la formation. Qui doit-on mettre en réanimation ? La décision n'est pas facile. Permettez-moi de vous confirmer que j'en ai souvent gros sur la patate de ne pas pouvoir évoquer ces questions... La médecine ne se réduit pas à des ajustements techniques et budgétaires, ni à l'application du principe de précaution, même s'il doit être respecté.

M. le Président de la commission - C'est une confession !

M. le Secrétaire d'Etat - M. Hage a raison de souligner que nous sommes en retard dans l'application mais pas dans la conception des textes. Nous avons du mal à passer à l'acte. C'est bien pourquoi il a insisté sur la formation. L'ANAES aura certes un rôle à jouer, mais on ne peut se satisfaire, en pareil domaine, de la froideur administrative.

M. Bur a affirmé que notre société préférait mettre en avant des valeurs positives. Mais l'accompagnement en est une. Il aidera les familles à se sentir plus fortes.

M. Bur a aussi rappelé les besoins de formation dans les établissements de long séjour : c'est en effet là qu'on meurt, bien plus qu'à l'hôpital.

M. le Président de la commission - Très juste.

M. le Secrétaire d'Etat - La carte sanitaire est saturée, Monsieur Dubernard. Il faudra s'en affranchir, sans quoi nous ne parviendrons pas à développer les soins à domicile.

Mme Trupin l'a dit, il ne faut pas attendre la fin de la vie pour découvrir l'accompagnement. Notre culture, sur ce point, doit évoluer.

Madame Boutin, votre position sur l'association Mourir dans la dignité me semble un peu brutale. Vous dites que la dignité n'est pas liée au corps. Certes, mais elle dépend tout de même de la manière dont on prend en charge le corps.

M. Jean-Michel Dubernard - Il est le véhicule de la dignité.

M. le Secrétaire d'Etat - Quant au débat sur la nature de l'âme, nous n'allons pas l'aborder aujourd'hui ! (Sourires)

Nous devons légiférer sur la réanimation. Quand faut-il la déclencher ? Chacun se dit qu'il n'en voudra pas. Mais nous connaissons tous des personnes qui auraient dû mourir et qui, grâce à la réanimation, ont survécu et vont très bien.

M. Jean-Michel Dubernard - Pas toujours.

M. le Secrétaire d'Etat - M. Le Garrec a parlé de l'acharnement thérapeutique et M. Veyret a souligné l'apport des États généraux de la santé, et l'apport personnel de M. Neuwirth.

Nous allons vers une médecine différente de celle qui nous a occupés ces dernières années (Applaudissements sur tous les bancs).

M. le Président - J'appelle maintenant, dans les conditions prévues par l'article 91 alinéa 9 du Règlement, les articles de la proposition de loi dans le texte de la commission.

ARTICLE PREMIER

M. Bernard Perrut - L'article premier est important puisqu'il inscrit dans le code de la santé le droit aux soins palliatifs. Toutefois je crois que le retard de notre pays dans ce domaine tient moins à des lacunes des textes qu'à un manque de prise de conscience, de volonté et à une insuffisance de structures et de moyens adaptés.

Cette reconnaissance du droit aux soins palliatifs devra être suivie d'effet. Puisque nous connaissons les raisons de la carence actuelle, il faudra, à partir de là, définir les moyens à mettre en oeuvre pour faire de ce droit une réalité.

Je voudrais insister sur l'accès aux soins palliatifs à domicile : 28 % seulement des Français décèdent chez eux, alors que 70 % le souhaiteraient. Que faire pour faciliter le retour du malade à son domicile, certains hôpitaux et certaines familles n'ayant pas la capacité de mettre en place les soins et l'organisation matérielle nécessaire ? Comment garantir la sécurité du malade ? Les proches seront-ils assez présents ? Qui va assurer la coordination des différents acteurs de soins ?

Le réseau ville-hôpital est une bonne initiative, mais il faut le développer. La circulaire de 1986, qui en faisait une priorité, a été insuffisamment appliquée.

Il faut aussi régler la question de la prise en charge des frais du maintien à domicile, qui ne sont pas tous remboursés et peuvent être trop lourds pour certaines familles : cela entraîne une inégalité de fait. Pouvoir mourir chez soi ne doit pas être un luxe. Que comptez-vous faire, Monsieur le ministre, pour répondre à cette préoccupation ?

Le congé d'accompagnement, que j'avais proposé, et le rôle reconnu aux bénévoles sont essentiels.

Le droit aux soins palliatifs est un rempart contre l'exclusion. Il ne faut pas que le temps du mourir soit un temps d'exclusion, exclusion par manque de soins, d'accompagnement, de respect de l'intimité. Si nous échouions, cette exclusion pourrait aboutir à des pratiques d'euthanasie, ce qui serait une régression grave pour notre société, qui accepterait la rupture volontaire du pacte de la vie. Cet article premier vise à encourager la vie jusqu'au bout, sans obstination déraisonnable, terme qui remplace désormais l'acharnement thérapeutique.

Les soins palliatifs concernent donc notre avenir à tous. Ils s'incluent dans le projet d'une nouvelle solidarité face à la mort, sujet grave qui fait peur, même si, comme le disait Sénèque, "toute la vie nous prépare à la mort". Encore faut-il l'accueillir dans les meilleurs conditions et ce ne sont pas simplement des droits posés sur le papier qui règleront ce problème (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

M. Renaud Muselier - L'article premier inscrit dans la loi une définition des soins palliatifs inspirée du préambule des statuts de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs. A la lecture de cette définition, on voit cependant la difficulté de préciser la limite exacte entre le curatif et le palliatif. Il en ressort que les soins palliatifs ne concernent pas uniquement des malades en phase terminale, mais tous ceux qui sont atteints d'une maladie faisant peser un risque sur la vie.

Il convient donc de se démarquer d'une approche segmentée de la médecine, qui distinguerait une médecine à mission thérapeutique et une médecine purement palliative, ne s'adressant qu'aux symptômes, sorte de sous-médecine pour les mourants. Les soins palliatifs ne signifient pas le renoncement aux traitements, mais ils privilégient la qualité de vie et considèrent la personne dans toute sa dimension.

Avec cet article premier, nous bâtissons un socle pour répondre à un problème de société.

Mme Véronique Neiertz - Effectivement cet article est fondamental. Je salue le rappel solennel des droits des malades car il est encore trop fréquent que le corps médical s'occupe plus de la maladie que de la personne malade.

Il est précisé que le malade peut s'opposer à toute investigation ou thérapeutique. Toutes les propositions discutées aujourd'hui visent à la généralisation de l'accès aux soins palliatifs. C'est faire oeuvre utile.

Mais quitte à choquer certains et à briser notre consensus, j'aimerais développer ce qu'induit le principe posé par la loi de respecter la décision du malade : cela veut dire qu'aucun traitement ne doit être entrepris contre sa volonté, quel que soit le stade de sa maladie et cela suppose aussi, en cohérence avec la législation sur la bioéthique et sur l'IVG, de supprimer toute sanction contre les médecins qui respectent cette liberté de la personne.

Or nous nous heurtons là à deux obstacles culturels : la peur de la mort et l'hypocrisie régnante. L'euthanasie est un mot tabou, elle est pratiquée clandestinement, sans être reconnue.

C'est pourquoi je voudrais dire, à titre personnel, que si cet article a le mérite d'apporter un début de clarification, il ne va pas assez loin. Il faudrait y ajouter que toute personne en mesure d'apprécier les conséquences de ses choix est seule juge de la qualité de sa vie et de l'opportunité d'y mettre fin, ceci à n'importe quel stade de sa maladie et pas seulement si celle-ci est incurable.

En outre, lorsqu'une personne refuse l'acharnement thérapeutique, le médecin doit s'y conformer sans encourir de sanction.

Enfin, l'aide à mourir, quand elle est demandée lucidement, ne devrait plus être considérée comme un meurtre et les membres du personnel médical qui respectent cette liberté ne devraient plus être traités comme des assassins.

La souffrance et l'agonie ne servent à rien.

M. Renaud Muselier - La maladie non plus...

Mme Véronique Neiertz - Comme le disait notre collègue Mattei, nous avons désappris la mort.

Plus de 80 % des Français sont partisans du respect de la liberté et de la dignité humaines sur ce sujet. Il serait grand temps d'adapter nos lois, sans se limiter aux soins palliatifs -ce qui est une manière de se donner bonne conscience : on éviterait ainsi des pratiques clandestines qui sont de plus en plus répandues.

Mme Nicole Bricq - Très bien !

M. Jean Delobel - Lorsque nous avons créé notre service soins à domicile, j'ai été très surpris que les premiers remerciements viennent d'une vieille dame qui venait de perdre son mari. Elle m'a dit : "Jean, je ne saurai jamais comment te remercier d'avoir permis à Victor de mourir chez lui".

Un soir où Marguerite Yourcenar était dans notre ville, un homme peu courtois lui a demandé s'il lui arrivait de penser à la mort. Et Marguerite de le dévisager de son regard bleu acier et de lui dire : "Monsieur, je crois que j'aurai la même peur physique de la mort que mon chien qui est mort, il y a quelques semaines. Cette peur a disparu de son regard lorsque j'ai posé ma main sur sa tête. J'ose espérer que, le jour venu, j'aurai une main amie pour m'amener en toute quiétude au bout de ma destinée" (Vive émotion).

Nous avons constitué un groupe de gens de bonne volonté car si l'on veut que les soins palliatifs se développent, il faut que les uns et les autres -hospitaliers, médecins, bénévoles- prennent leur part. Nous avons essayé de mettre en place ces équipes mobiles dont vous parlez, pour qu'elles soient à la disposition des maisons de retraite rurales qui n'ont pas le personnel nécessaire pour faire face à ce type de problème.

M. le Président de la commission - En effet.

M. Jean Delobel - Pour les mettre aussi à la disposition des médecins généralistes, des services de soins à domicile, ainsi que de ceux qui accompagnent la mort d'un de leurs proches (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Jean-Jacques Denis - L'introduction dans le code de la santé publique d'un livre préliminaire relatif aux droits de la personne malade et des usagers du système de santé est importante. Ces droits doivent être affirmés : c'est la condition de rapports de confiance avec le monde médical.

La définition des soins palliatifs doit laisser place à une appréciation personnelle. Nous soutenons celle qui est proposée à cet article, et dont chacun des éléments est important.

Un amendement tend à isoler l'alinéa selon lequel : "la personne malade peut s'opposer à toute investigation ou thérapeutique". Cela revient à lui donner une portée bien plus grande, en ne l'appliquant pas seulement aux soins palliatifs. J'espère que le débat nous apportera les précisions nécessaires. Il me semblerait souhaitable de parler de consentement éclairé ; et qu'en sera-t-il pour les enfants ?

Légiférer sur les soins palliatifs, ce n'est pas seulement se donner bonne conscience. Il y a urgence en la matière, et je ne souhaite pas que le débat se porte prématurément sur l'euthanasie, sujet qui nécessite un délai de réflexion.

M. Pierre Hellier - Tout a été dit, et bien dit. Encourager le développement des soins palliatifs, en établissement et à domicile, c'est, comme le disait le ministre, permettre d'offrir une belle mort -et, ajouterai-je, de ne pas avoir à la donner, même si l'on sait que les soins palliatifs peuvent parfois raccourcir un peu la vie, ce qui est un autre problème (Applaudissements sur les bancs du groupe DL).

M. le Président - Nous avons ainsi terminé d'entendre les orateurs inscrits sur l'article premier.

La suite du débat est renvoyée à une séance ultérieure.


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MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR PRIORITAIRE

M. le Président - J'ai reçu de M. le ministre des relations avec le Parlement une lettre m'informant que le Gouvernement fixe comme suit l'ordre du jour prioritaire du mardi 11 mai :

A 10 heures 30 :

    - questions orales sans débat ;

à 15 heures, après les questions au Gouvernement :

    - suite de la nouvelle lecture du projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire ;

à 21 heures :

    - examen des conclusions de la CMP ou nouvelle lecture du projet de loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs ;

    - suite de la proposition de loi tendant à favoriser le développement des soins palliatifs et l'accompagnement des malades en fin de vie.

L'ordre du jour prioritaire est ainsi modifié.

Prochaine séance cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à 13 heures.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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