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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 95ème jour de séance, 241ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 18 MAI 1999

PRÉSIDENCE DE M. Laurent FABIUS

          SOMMAIRE :

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 1

    CORSE 1

    KOSOVO 2

    PRESTATIONS SOCIALES OUTRE-MER 2

    FUSION RHÔNE-POULENC/HOECHST 3

    GPS 3

    COT DES 35 HEURES 4

    PROFESSIONS PARAMÉDICALES 5

    KOSOVO 5

    ÉLECTIONS EN ISRAL 6

    DETTE DES PAYS PAUVRES 7

    POLITIQUE SPATIALE EUROPÉENNE 8

    ÉCOUTES TÉLÉPHONIQUES 8

    SITE D'ASSEMBLAGE DE L'A3XX 9

LIBERTÉ DE COMMUNICATION 9

    EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 19

    EXPLICATIONS DE VOTE 25

    QUESTION PRÉALABLE 26

La séance est ouverte à quinze heures.


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SOUHAITS DE BIENVENUE

M. le Président - Je suis heureux de souhaiter une très chaleureuse bienvenue à une délégation du groupe d'amitié Québec-France, conduite par M. Normand Jutras, Président délégué de la section québécoise de la Commission interparlementaire France-Québec (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent).


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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

CORSE

M. Marc-Philippe Daubresse - Chaque semaine apporte son lot de révélations sur ce qui s'est passé en Corse (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). J'ai ainsi découvert ce matin dans La Voix du Nord l'interview donnée par Mme Bonnet, l'épouse du préfet que vous avez nommé (Mêmes mouvements).

Suite à cette interview je vous demande, Monsieur le Premier ministre, si vous ou le Gouvernement avez eu connaissance du contenu de documents relatifs à l'assassinat du préfet Erignac, que le préfet Bonnet semble avoir depuis lors déposés à l'étranger.

Qu'est-ce qui peut justifier que le ministre de l'intérieur soit déclaré "bien embêté" ?

Mme Bonnet laisse entendre que son mari aurait été victime d'un coup monté tendant à mettre un terme à son action. Qu'en est-il au juste ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Pouvez-vous garantir formellement que l'instruction judiciaire n'écarte aucune piste, y compris les plus invraisemblables ? Enfin, comment le Gouvernement compte-t-il assumer sa responsabilité politique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - J'ai été destinataire, le 19 décembre dernier, sous pli fermé, de deux notes que le préfet Bonnet a remises à la justice. C'est exact. Le préfet Bonnet a-t-il ensuite placé ces documents dans un coffre à l'étranger, les a-t-il confiés à des journalistes ? Je l'ignore.

Un député UDF - Il ignore tout !

M. le Ministre de l'Intérieur - J'ai pris connaissance comme vous de l'interview de Mme Bonnet. Y a-t-il eu coup monté ? Je n'exclus rien et je n'ai rien exclu depuis le début (Interruptions sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). Toutes les hypothèses devront être explorées. Dans l'attente des confrontations à venir, la présomption d'innocence vaut aussi pour Bernard Bonnet.

Vous m'interrogez sur la façon dont le Gouvernement assume sa responsabilité politique. Quand un dysfonctionnement se produit, il faut le corriger. C'est ce que nous faisons.

Mme Bonnet affirme que le ministre de l'intérieur est bien embêté. De fait je ne suis pas heureux de ce qui s'est produit. Il s'agit d'un dysfonctionnement grave, mais qui ne change rien à l'orientation politique du Gouvernement, c'est-à-dire le retour à l'Etat de droit (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

KOSOVO

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Chaque jour, le nombre de Kosovars déportés augmente. L'opinion publique commence de ce fait à douter de l'efficacité de l'action menée là-bas. La communauté internationale rappelle souvent, mais de façon dispersée, le droit au retour du peuple Kosovar.

Quand cet objectif sera-t-il officiellement et publiquement proclamé par l'ONU ?

Quel dispositif sera-t-il établi pour garantir l'exercice de ce droit au retour ?

Quand saisirez-vous notre assemblée d'une telle perspective, afin que nous débattions et que nous votions sur cette intervention, et que nos concitoyens voient qui soutient la politique du Président de la République et du Gouvernement, et qui la combat ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Depuis le début des opérations, le droit au retour des déportés a été affirmé dans toutes les déclarations. Ce droit constitue le troisième des points énumérés en réponse aux fausses propositions de Belgrade. Le G8, lors de sa dernière réunion, a rappelé ce point, dont la mise en oeuvre suppose le rétablissement de la sécurité et la présence d'une force destinée à compléter l'administration provisoire du Kosovo, dont nous souhaitons qu'elle soit confiée à l'Union européenne. C'est sur cette base que nous préparons, avec les Occidentaux et aussi les Russes, une résolution à soumettre au Conseil de sécurité.

Quand y parviendrons-nous ? Le plus tôt sera le mieux. C'est une question d'arbitrage politique. Tout dépend de la façon dont seront acceptées nos conditions, sera votée la résolution, et suspendue l'action aérienne. Tout cela forme un tout. Ce problème sera à nouveau à l'ordre du jour de la réunion, demain, des directeurs politiques puis des ministres des affaires étrangères du G8 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

PRESTATIONS SOCIALES OUTRE-MER

Mme Huguette Bello - Les prestations familiales et sociales ne sont pas versées comme l'exige le principe républicain. Les populations ultra-marines s'impatientent. Pétitions et manifestations se multiplient. Comment comprendre cette discrimination, à laquelle on ne répond que par des considérations d'ordre moral ? Il n'est pas concevable d'opposer au principe d'égalité le souci de lutter contre l'assistanat. Le processus d'égalité sociale dans les DOM est presque achevé. Il ne reste plus que quelques pas à franchir. Le Gouvernement compte-t-il relancer la marche en avant ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV)

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - Il est vrai que le RMI et l'API, par exemple, ne sont pas à la Réunion au même niveau qu'en métropole. 80 % des prestations sont versées, et les 20 % restant, ce qu'on appelle la créance de proratisation, soit 800 millions, vont au Fonds d'aide à l'emploi et aux entreprises d'insertion. Depuis 1991, le SMIC et les allocations familiales sont progressivement alignés sur ceux de la métropole. Peut-être un jour parviendra-t-on à la complète égalité. Mais, sachons-le, le nombre de titulaires du RMI à la Réunion s'élève à 114 000 personnes, soit 14,5 % de la population. Appliquer le principe d'égalité augmenterait la dépense, qui s'élève à 2,2 milliards, de 770 millions. La charge pesant sur les conseils généraux s'accroîtrait sensiblement, ce qui n'est pas de leur goût. Bref, il serait impossible de faire face d'un coup au supplément de dépenses. Commençons par nous concerter. Une tentative avait eu lieu en 1996, au cours de laquelle les élus et les représentants de la population n'avaient pas été d'accord pour un alignement complet sur la métropole. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

FUSION RHÔNE-POULENC/HOECHST

M. Gérard Saumade - La fusion de Rhône-Poulenc avec Hoechst, et ses conséquences, me conduisent à interroger le Gouvernement sur sa politique dans les secteurs stratégiques de l'économie.

Les nationalisations correspondaient à une politique ambitieuse au service de l'économie française, et ont abouti à des succès, comme dans la sidérurgie où nous possédons le premier groupe européen.

Le bilan des privatisations, lui, se caractérise souvent par une dilution des capacités de nos entreprises et par des pertes d'emplois.

Le rapprochement entre Rhône-Poulenc et Hoechst pour constituer Aventis constitue-t-il une fusion à égalité ?

Comment résister à l'épreuve des faits et à la pression des capitaux du Golfe ? Rhône-Poulenc aura du mal à éviter une prise de contrôle, au moment même où le principe des fusions est de plus en plus contesté.

Que pensez-vous des conditions dans lesquelles s'opère cette fusion ?

Comment le Gouvernement compte-t-il maintenir et renforcer la position de nos grandes entreprises au sein de l'Europe ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste)

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - Il ne faut pas se laisser fasciner par les méga-fusions. Certaines sont des réussites, d'autres sont moins convaincantes. L'essentiel est de savoir s'il existe derrière chaque opération une véritable stratégie industrielle et dans quelle mesure elle préserve la richesse humaine et culturelle des entreprises qui fusionnent.

Dans le cas qui nous occupe, il faut tenir compte des spécificités du secteur des sciences de la vie et de la pharmacie, secteur où les dépenses de recherche-développement peuvent atteindre 20 % du chiffre d'affaires, où l'innovation est la clé de la réussite et où il faut commercialiser très vite les produits sur l'ensemble des pays, en particulier sur les Etats-Unis. La société issue de la fusion sera leader mondial dans les sciences de la vie et deuxième dans le domaine de la pharmacie, avec 15 milliards de chiffre d'affaires et 2 milliards de dépenses de recherche-développement.

La France sera au coeur de cette nouvelle société avec d'un côté 25 000 salariés sur 95 000, de l'autre 20 000 sur 75 000. Et une large part du management et de la décision reste bien en France. Quant aux modalités de la fusion, elles doivent obéir à certains principes : la recherche, en particulier la fabrication des molécules les plus innovantes, doit demeurer largement en France ; il ne doit y avoir aucune licenciement sec ; aucun site ne doit fermer, je pense en particulier à ceux de Romainville et de Vitry.

Nous suivons au jour le jour le dossier, avec le souci que cette fusion soit favorable à la croissance, à l'innovation et à l'emploi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

GPS

M. Yves Fromion - Monsieur le Premier ministre, nous vous avons demandé la semaine dernière communication du compte rendu de la réunion interministérielle qui s'est tenue à Matignon le 14 mai 1998 et lors de laquelle il fut décidé de créer en Corse un service spécial de gendarmerie, le GPS. Vous ne nous avez répondu ni sur le caractère exceptionnel de cette unité, ni sur ses missions. Quant au compte rendu, nous l'attendons toujours. De sorte que nous nous interrogeons sur votre volonté d'empêcher que la vérité soit faite sur ce dossier (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Pouvez-vous aujourd'hui nous donner l'assurance que cette unité spéciale n'a pas été amenée à commettre sur ordre d'autres infractions ? On parle aujourd'hui d'autres paillotes qui auraient brûlé ou qui devaient être incendiées, de projets de plasticage de bateaux, d'écoutes téléphoniques illégales... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Monsieur le Premier ministre, y a-t-il eu d'autres agissements illégaux ordonnés aux gendarmes du GPS ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Alain Richard, ministre de la défense - Vous m'avez posé cette question en termes quasi-identiques il y a quinze jours et j'y ai déjà répondu. Je vais donc aujourd'hui vous faire sensiblement la même réponse.

La décision de créer cette unité, complémentaire des forces déjà nombreuses de gendarmerie déployées en Corse, a été prise dans le contexte des mesures de réorganisation qui ont suivi l'assassinat du préfet Erignac. Les trois missions assignées au GPS étaient : la protection des personnalités ; des surveillances au service des enquêtes judiciaires ; l'interpellation de suspects dangereux. D'ailleurs, le rapport de la commission d'enquête sur la Corse -que présidait M. Glavany et dont vous faisiez partie- évoquait la création du GPS et cela n'a suscité à l'époque aucun commentaire négatif...

Plusieurs députés socialistes - Alors ?

M. le Ministre de la défense - Cela étant, nous avons maintenant mesuré les inconvénients de telles unités spéciales et nous en avons tiré les conclusions puisque le GPS a été dissous et ses missions redistribuées. Je n'ai entendu personne prétendre que l'une de ces missions serait superflue et qu'il y aurait des gendarmes ou des policiers en trop sur l'île. En tout cas, la détermination du Gouvernement à faire en sorte que toutes ces missions de police et de gendarmerie soient menées à bien reste entière (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Plusieurs députés RPR - Le compte rendu !

COT DES 35 HEURES

M. Hervé Gaymard - Il y a un an, lors du vote de la loi sur les 35 heures, vous aviez annoncé, Madame la ministre, que 350 000 emplois seraient créés et ce sans faire appel à l'impôt. Quand nous vous disions qu'il faudrait bien que quelqu'un paie ces 35 heures payées 39, vous nous répondiez que nous ne comprenions rien. Ce que les Français comprennent aujourd'hui, c'est d'une part que les 35 heures sont un échec, de l'autre qu'elles coûtent cher -en l'occurrence 25 milliards d'impôts nouveaux. Vous parlez de créer une écotaxe, sans regarder ce qui se passe ailleurs ni faire le bilan de la fiscalité écologique en France. Vous dites aussi que les entreprises riches doivent payer pour celles qui ne le sont pas...

Pouvez-vous nous expliquer comment les allégements de charges que vous considérez comme de mauvaises mesures et comme étant des cadeaux au grand capital, et que vous avez donc remis en cause, constituent maintenant à vos yeux une bonne politique ? Et nous expliquer aussi comment on peut abaisser le coût du travail en augmentant les impôts ? Nous ne sommes peut-être pas très intelligents mais il y a une limite à la mystification (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; rires sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Je ne ferai pas mienne votre conclusion (Sourires).

Jeudi, je ferai un premier bilan de l'application de la loi sur la durée du travail. M. Seillière a parlé ce matin de 15 000 emplois créés ; j'aurai le plaisir d'en annoncer environ cinq fois plus, ce qui n'est pas mal (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Quand nous prévoyions, dans le budget pour 1999, 40 000 emplois, vous aviez ri aux éclats. Pourtant, dès la fin d'avril, nous étions de 50 % au-dessus !

La réalité, c'est qu'aujourd'hui une entreprise sur deux négocie ; que 85 % des salariés passés aux 35 heures se déclarent satisfaits, voire très satisfaits ; que nous connaissons dans le pays un mouvement de négociation sans précédent, utile aux entreprises, profitable aux salariés et créateur d'emplois.

Si vous aviez assisté aux deux débats que nous avons eus en fin d'année, l'un sur la loi de financement de la Sécurité sociale, l'autre sur la proposition de loi de M. Barrot, vous sauriez que je n'ai jamais considéré les allégements de charges comme de mauvaises mesures a priori ou comme des cadeaux au grand capital (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). Nous avons en effet toujours pensé que toutes les pistes devaient être explorées dans la lutte contre le chômage. L'abaissement du coût du travail pour les emplois non qualifiés en fait partie. Mais il faut que cet abaissement des charges se fasse à deux conditions : d'abord, que ce ne soient pas les salariés qui paient -contrairement à ce que vous avez fait quand vous avez financé la ristourne dégressive par une augmentation de 2 % de la TVA, ce qui vous a coûté beaucoup en consommation, en croissance et en emploi... et ce qui explique peut-être en partie que vous vous trouviez aujourd'hui dans l'opposition. Ensuite que le financement soit supporté globalement, par transfert des entreprises capitalistiques vers celles de main-d'oeuvre -et c'est bien ce que nous faisons.

Et surtout, nous disons que cet allégement de charges doit avoir des contreparties. C'est bien pourquoi nous avons décidé d'accrocher cette réforme à la diminution de la durée du travail et à la création d'emplois.

Il n'y a donc pas, contrairement à ce que vous dites, de surcoût de la réduction du temps de travail. Celle-ci est financée par les aides incitatives, par la modération salariale et par les gains de productivité. Quant à l'abaissement des charges, il est lié à la création d'emplois (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

PROFESSIONS PARAMÉDICALES

M. Jean-Marc Chavanne - Monsieur le Premier ministre, depuis votre arrivée au pouvoir, toutes les réformes concernant les professions paramédicales sont gelées. Je pense en particulier à la création d'un ordre des masseurs-kinésithérapeutes et d'un ordre des infirmières.

Toutes les questions concernant l'avenir de ces professions paramédicales sont ainsi restées en suspens. A nos questions à ce sujet, il a invariablement été répondu qu'il fallait d'abord mener à bien une concertation. Mais celle-ci est bel et bien achevée puisqu'un rapport sur ces sujets a été rendu public il y a déjà plusieurs mois.

Les membres des professions paramédicales, dont le rôle est reconnu par tous, attendent toujours la définition d'une vraie politique, et s'inquiètent de vos silences. Allez-vous tenir compte des mesures que préconise le rapport ou, une fois encore, la prétendue concertation n'est-elle qu'un alibi commode à l'immobilisme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Je ne pense pas que la création d'ordres professionnels soit une urgence absolue et je le pense d'autant moins que les instances représentatives des deux professions que vous avez citées ne la souhaitent pas. Quant à la concertation que nous pratiquons et que vous avez mise en cause, elle existe et elle porte ses fruits. C'est ainsi qu'un protocole d'accord a été signé entre la CNAM d'une part, les infirmières et les kinésithérapeutes d'autre part. Ce protocole a permis la révision de la nomenclature des actes et la revalorisation de certains d'entre eux, cependant que les intéressés s'engagent à respecter les objectifs nationaux de santé.

De même, après avoir signé un accord avec les radiologues, le Gouvernement s'apprête à en signer d'autres avec les cardiologues ainsi qu'avec les laboratoires de biologie. Vous savez qu'une large concertation est engagée avec l'industrie pharmaceutique, qui va aussi conduire à un accord. D'autres seront signés, dans un avenir proche, avec les organisations représentatives des pharmaciens.

Tout cela doit être fait, et cela demande du temps plutôt que des annonces. Nous aurons l'occasion d'en débattre le 31 mai, lorsque vous examinerez le bilan des comptes de la Sécurité sociale. Nous pourrons alors mesurer le chemin parcouru et ce qui reste à faire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

KOSOVO

Mme Janine Jambu - Au 56ème jour des frappes aériennes de l'OTAN sur la Serbie, on ne saurait prendre son parti de l'enlisement de la guerre. Or, à en croire certains dirigeants de l'Alliance, il faudrait encore compter de deux à trois mois de ces bombardements, avec leur cortège de destructions massives et de morts d'innocents, et cette fuite en avant pourrait avoir pour suite de meurtriers engagements au sol, avec les risques d'extension du conflit qu'ils impliquent, dans l'espoir, aussi illusoire que dangereux, d'une victoire-éclair.

Pourtant, la possibilité d'une solution diplomatique n'a jamais été aussi proche. Elle suppose le retrait des forces serbes du Kosovo et le retour des réfugiés dans leur foyer ; elle suppose aussi le soutien de la Russie et de la Chine, qui se sont clairement prononcées en faveur de la suspension des frappes aériennes.

Suspendre les bombardements, ce serait mettre M. Milosevic au pied du mur, et l'obliger à un retrait significatif et réel. C'est précisément parce que sa parole est sujette à caution qu'il faut l'obliger à passer aux actes et permettre à l'opposition serbe de relever la tête. Un débat en ce sens est en cours au sein de l'Alliance, comme en témoignent les récentes déclarations des autorités italiennes. Dans ce contexte, la France ne peut rester en retrait. Elle doit peser de tout son poids pour éviter que les espoirs qu'a fait naître la récente déclaration du G8 ne se dissolvent pas et pour qu'enfin la diplomatie l'emporte sur la logique de guerre. Quelles initiatives le Gouvernement envisage-t-il de prendre en la matière ?

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Je tiens à rappeler que, pendant des milliers de jours, les Kosovars ont dû subir l'insupportable. C'est à l'insupportable que dix-neuf pays démocratiques ont voulu mettre fin, et cette stratégie n'est pas remise en cause, quelles que soient les déclarations faites par tel ministre de tel pays, dont les options n'ont pas été retenues par l'Alliance. Il n'y a pas lieu, d'autre part, de confondre infanterie de combat et force d'interposition. Si cette dernière n'est pas constituée, comment les réfugiés rentreront-ils chez eux ?

Mais, dans le même temps, la diplomatie française poursuit sans relâche ses efforts pour contribuer à l'application d'une solution pacifique. Il n'est pas de jours sans que des discussions aient lieu avec les Russes et avec les autres membres du Conseil de sécurité de l'ONU. Déjà, des progrès ont été accomplis pour ce qui concerne la composition et le commandement de la future force d'interposition. Quant à la suspension des bombardements, elle ne peut se concevoir isolément. Elle suppose que les Serbes s'engagent à appliquer des conditions évidentes, puisque si elles ne sont pas remplies, il n'est pas de paix possible au Kosovo, ni de Kosovo pluraliste et démocratique. Sachez que le Gouvernement est, sans relâche, mobilisé dans cette tâche. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

ÉLECTIONS EN ISRAL

Mme Martine David - La très large victoire de M. Barak et du camp progressiste en Israël, hier, semble être une vraie chance de voir relancer le processus de paix avec les Palestiniens mais aussi au Liban et en Syrie, nations auxquelles nous lie une longue histoire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV, du groupe communiste et quelques bancs du groupe du RPR).

Sans jamais s'immiscer dans les affaires intérieures israéliennes, le Gouvernement a toujours soutenu l'idée d'un règlement global dans le cadre des accords d'Oslo. Quelles perspectives nouvelles ouvre, selon vous, Monsieur le Premier ministre, cette alternance ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste)

M. Lionel Jospin, Premier ministre - Le Gouvernement s'est naturellement gardé de s'exprimer pendant le déroulement du processus électoral en Israël, mais personne n'avait de doute sur son inclination. Le peuple israélien s'étant exprimé avec netteté et éclat, je puis maintenant vous dire les sentiments de satisfaction et d'espérance qu'a suscités en moi l'élection de M. Barak, que j'ai rencontré deux fois (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

Bien sûr, les relations d'amitié que la France entretient avec Israël transcendent les alternances politiques. Mais sans doute n'est-ce pas entièrement par hasard que le peuple israélien a confié à un homme de gauche le soin de sortir le pays de l'impasse et de l'immobilisme (Applaudissements sur les mêmes bancs ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) et je suis convaincu que les questions économiques et sociales ont joué un rôle dans le résultat de ces élections.

Je suis persuadé, aussi, que nous sommes très nombreux, sur tous les bancs de cet hémicycle, à nous réjouir d'une victoire dont nous espérons tous qu'elle sera la victoire de la paix, dont nous espérons tous qu'elle aura pour conséquence la reprise d'un dialogue confiant, le règlement du contentieux avec les pays voisins et la possibilité, pour le nouveau gouvernement, de s'appuyer sur une majorité solide pour mener à bien une politique raisonnable.

La difficulté des problèmes qui se posent étant celle que l'on sait, la multiplicité des réactions positives de la communauté internationale représente un appui pour M. Barak. Je ne parlerai pas des conséquences intérieures de ce vote, même si le sujet est intéressant mais du grand défi qui attend le nouveau Premier ministre : rétablir la paix avec les Palestiniens, le Liban et la Syrie.

Comme vous le savez, devant le blocage du processus de paix, la France a pris des initiatives et je rappellerai la déclaration du Président de la République, M. Chirac, et de M. Moubarak, Président de la République d'Egypte. Comme je l'ai moi-même indiqué aussi bien au Président Moubarak qu'à M. Arafat lors de mon récent voyage dans la région, la France reste disponible, et souhaite contribuer au rétablissement de la paix.

La Déclaration de Berlin, dont la France a pris l'initiative, a permis de réaffirmer le droit des Palestiniens à l'autodétermination et leur droit de créer un Etat, pour autant que cette création soit conforme aux dispositions prévues dans le processus de paix établi à Oslo. C'était sagesse et réalisme, de la part des Palestiniens, de différer la proclamation de l'Etat de Palestine, comme nous le leur avions suggéré. Mais il y a maintenant urgence à reprendre ce processus, car les désillusions ont, pour eux, été à la hauteur des espoirs, ces espoirs que l'héritier l'Itzhak Rabin doit faire revivre.

Pour ce qui est des relations avec le Liban, M. Barak a, hier déjà, réitéré son intention de respecter les engagements souscrits à Oslo, et il s'est donné un an pour retirer les troupes israéliennes du Sud Liban. Cela réjouira les Français, qu'unit au Liban une amitié forte et ancienne. Le nouveau Premier ministre a aussi annoncé la reprise du dialogue avec la Syrie en vue de la restitution du plateau du Golan. C'est une preuve de sagesse car il est essentiel que le dialogue s'ouvre entre Israël et la Syrie.

Je ne doute pas également que nos relations bilatérales connaîtront un nouvel essor dans les prochains mois. Le Gouvernement s'efforcera de renforcer l'amitié historique de nos deux peuples unis par une vision commune de la démocratie, des valeurs humanistes, et par la coopération, notamment sur la présence de la langue française.

Enfin, la relance du processus de paix permettra le rapprochement entre Israël et l'Union européenne. Pour ce qui est de l'accord d'association, le Gouvernement a l'intention d'engager, avec le Parlement, un dialogue permettant une issue positive (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe communiste).

DETTE DES PAYS PAUVRES

M. Eric Besson - Monsieur le ministre de l'économie, vous avez pris une initiative forte en proposant, au nom de la France, l'abolition de la dette des pays du tiers-monde les plus pauvres.

L'espoir est grand, notamment en Afrique où la voix de la France est écoutée attentivement, ainsi que parmi les ONG, les congrégations religieuses et tous ceux qui militent pour que le passage à l'an 2000 soit marqué par un geste de générosité des riches à l'égard des pauvres.

Les députés de gauche sont fiers de cette initiative du Gouvernement. Ils souhaitent qu'elle réponde à deux critères, le respect des libertés publiques et l'engagement effectif de ces sommes en faveur du développement. Quel accueil nos partenaires européens ont-ils réservé à cette proposition et pouvons-nous espérer la voir aboutir avant la fin de l'année ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - La France a effectivement proposé il y a quelques semaines d'annuler ce qui reste de la dette des PVD, conformément au souhait des ONG et des églises, et à sa tradition, quel que soit le gouvernement, de prêter plus que d'autres aux PVD et d'annuler plus leurs dettes. Ainsi en dix ans nous avons annulé 55 milliards de dettes, soit la moitié du total des annulations.

Mais cela ne suffit pas. Quelle liberté a l'enfant qui ne peut aller à l'école, la famille qui ne peut nourrir ses enfants ?

Aussi avons-nous proposé d'annuler pour trente ans le service de la dette des PVD afin que pendant une génération, ces sommes servent au développement et à l'éducation. C'est une proposition généreuse et efficace. Les sommes dégagées iront à des projets culturels, sociaux, aux infrastructures, en liaison avec les ONG que M. Josselin et moi-même avons réunies il y a quelques jours.

C'est aussi une proposition équitable ; tous les pays riches supporteraient la charge de l'annulation à proportion de leur capacité.

J'espère que la décision sera prise lors de la réunion du G8 à Cologne en juin. Dans ce cas, le plus important plan d'annulation de la dette des PVD se mettra en place à la rentrée ou au début de l'an 2000. Ce sera la fierté de la France et de cette majorité que d'avoir engagé cette démarche de solidarité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

POLITIQUE SPATIALE EUROPÉENNE

M. Pierre Ducout - Monsieur le ministre de l'éducation, vous avez représenté la France au conseil européen sur l'ASE qui s'est réuni les 11 et 12 mai à Bruxelles. Ce rendez-vous était attendu depuis quatre ans car beaucoup de projets restaient dans l'incertitude et l'engagement de programmes est essentiel pour ce secteur de haute technologie.

L'espace est un enjeu stratégique, industriel, commercial. On prend moins souvent en compte ses aspects sociaux et culturels, liés au satellite. Il y a là des enjeux de souveraineté et de citoyenneté.

Pouvez-vous nous indiquer les conclusions de ce conseil ? La France est-elle satisfaite des résultats obtenus ?

L'espace est une grande réussite européenne à laquelle la France a beaucoup participé. Depuis deux ans la coopération s'est intensifiée. La représentation nationale y a participé en organisant les 29 et 30 avril la première conférence interparlementaire européenne sur l'espace. L'Europe sortira-t-elle renforcée des décisions prises à Bruxelles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie - Le conseil interministériel de l'espace a affirmé la volonté d'indépendance européenne et d'utilisation efficace de l'espace. Il contrastait avec celui qui a eu lieu il y a quatre ans.

Les principales orientations retenues sont celles que proposait la France. Il s'agit d'abord de renforcer Ariane. Le projet de petit lanceur à réaliser avec l'Italie n'étant pas encore au point, des études complémentaires seront réalisées pendant six mois. L'indépendance européenne tient à un système global de positionnement autonome. C'est la première priorité, avec utilisation d'une invention technique française. Enfin l'accord s'est fait pour diminuer les frais de fonctionnement de l'ASE. Reste une grande interrogation sur la fiabilité de la station spatiale internationale qui coûte cher à l'Europe et dont on ne sait pas si elle sera complétée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

ÉCOUTES TÉLÉPHONIQUES

M. Bernard Deflesselles - Ma question s'adresse à M. le Premier ministre. Depuis un mois, vous ne répondez ni à nos questions ni aux attentes de l'opinion sur l'enchaînement des dysfonctionnements graves en Corse. Vous vous défaussez sur les services et vous renvoyez à une action judiciaire qui vous exonérerait de toute responsabilité politique. D'abord vous avez voulu faire croire à une affaire locale anodine. Puis vous avez utilisé tous les moyens -dont un chronopost peu salutaire- pour protéger le préfet Bonnet, avant de le lâcher sans ménagement. Aujourd'hui vous orchestrez une opération de communication pour faire croire qu'il a perdu quelques facultés. Serait-il donc sur le point de donner des informations qui mettraient en difficulté le Gouvernement ?

Cette "non-affaire d'Etat" vous occupe depuis un mois jusqu'à devenir le thème quasi exclusif du séminaire gouvernemental de jeudi dernier qui devait porter sur l'emploi. Y a-t-il tel péril en la demeure ?

Aujourd'hui, on s'interroge en outre sur les écoutes téléphoniques. Dans ce domaine vous ne pouvez pas affirmer que vous n'étiez ni informés ni responsables. Des écoutes auraient eu lieu à grande échelle. Elles sont illégales car effectuées, apparemment, par la DGSE qui ne peut intervenir sur le territoire national, et par le GPS en dehors de toute procédure réglementaire. Nous condamnons avec force l'utilisation de méthodes que vous prétendiez avoir bannies et nous ne nous contentons pas d'une réponse similaire à celle faite par Mme le ministre de la justice (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) le 3 février dernier lorsqu'elle déclarait qu'aucune écoute illégale n'a été effectuée.

Qui a donné des autorisations à la DGSE et au GPS ? A qui ces interceptions téléphoniques ont-elles bénéficié et pour quels objectifs ? Qui était concerné par ces écoutes ? A-t-on mis fin à ces pratiques incompatibles avec l'idée que nous nous faisons de la République ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Le Premier ministre a répondu abondamment et précisément aux questions que vous posez dans des termes identiques semaine après semaine (quelques applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Contrairement à ce que vous affirmez, le Gouvernement ne s'est pas contenté de la seule enquête judiciaire. Il a diligenté des enquêtes administratives immédiates au ministère de l'intérieur et au ministère de la défense, et elles ont conduit à prendre des décisions très rapides et tout à fait adaptées à la situation.

Par ailleurs, l'enquête judiciaire progresse sans entrave : c'est nouveau, très nouveau, et cela mérite d'être souligné ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

Enfin, le Gouvernement a jeudi dernier, lors de sa réunion bimensuelle, fait un point sur la Corse ; cela n'est pas anormal de la part d'un Gouvernement dont les membres se parlent -ce qui là encore, est nouveau ! (Mêmes mouvements) Il a d'ailleurs traité de manière approfondie de deux autres sujets, le pacte national pour l'emploi et la préparation du conseil européen de Cologne (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

SITE D'ASSEMBLAGE DE L'A3XX

Mme Françoise Imbert - Depuis deux ans, Airbus Industrie travaille au lancement de l'A3XX. Plusieurs sites en France et en Europe sont prêts à en assurer l'assemblage.

Toulouse réunit de nombreux atouts -compétences acquises, moyens d'essai disponibles, synergies avec le siège d'Airbus Industries, présence du bureau d'études d'Aérospatiale, montage des A330 et A340, environnement du site... Le Gouvernement pourrait-il appuyer sa candidature, afin d'assurer la pérennité de l'activité aéronautique dans la région ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste)

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - La réalisation et la commercialisation de ce gros porteur, capable de transporter plus de 500 passagers, constituent un enjeu majeur ; aujourd'hui, seule la société Boeing est présente sur ce marché. A chaque réunion du Conseil des ministres européens des transports, j'interviens au nom du Gouvernement pour soutenir ce projet.

Les études ne sont pas tout à fait achevées. Le lancement commercial devrait se faire d'ici à la fin de l'année. En ce qui concerne le choix du site, le Gouvernement, en s'appuyant sur les arguments que vous avez évoqués, défendra la candidature de Toulouse (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste). Ce sont les industriels qui choisiront, mais sachez que nous plaidons dans le même sens que vous (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et quelques bancs du groupe RCV).

La séance, suspendue à 16 heures 5, est reprise à 16 heures 30 sous la présidence de Mme Catala.

PRÉSIDENCE DE Mme Nicole CATALA

vice-présidente


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LIBERTÉ DE COMMUNICATION

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi modifiant la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Je rappelle que ce texte a fait l'objet d'une lettre rectificative du Gouvernement.

Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication - Le projet que je vous présente est d'abord un acte de foi dans le service public de l'audiovisuel. Conforme à la vision ambitieuse du Gouvernement et de sa majorité, il s'enracine dans la conviction que le service public de l'audiovisuel doit être exclusivement voué au service du public et répondre à ses attente, à ses besoins, à ses espérance car son unique objectif est l'intérêt général.

Cette loi est à la fois une loi de développement qui permettra à nos entreprises, publiques et privées, de prendre toute leur place dans le renouveau mondial des techniques et des services et une loi de liberté, qui garantira l'essor des forces de création.

Fort des valeurs fondatrices de la République, notre pays est préparé, plus que tout autre, à relever ce défi. S'appuyant sur les avancées des vingt dernières années, cette réforme est l'héritière de la loi Fillioud de 1982 qui a mis fin au monopole de la radio et de la télévision, rompu la dépendance à l'égard du pouvoir politique, instauré la première instance indépendante de régulation. Elle conforte aussi l'acquis de la loi Tasca de 1989 qui, surmontant le choc provoqué par la privatisation de la première chaîne nationale, a réouvert une perspective d'avenir à la télévision publique. Elle se réclame enfin du combat initié par Jack Lang en faveur de l'"exception culturelle" à laquelle nous devons d'avoir préservé la vitalité de notre cinéma et tissé un réseau diversifié de producteurs audiovisuels indépendants.

La majorité peut être fière du rôle qu'ont joué les gouvernements de gauche. Elle peut se féliciter que l'attachement au service public audiovisuel, à l'indépendance des autorités de régulation, au pluralisme de la création, soit devenu un bien commun de la nation.

Cette réforme apporte des éléments de modernisation indispensables tout en confortant l'édifice juridique et institutionnel. Parce qu'elle représente un enjeu de société essentiel, je suis heureuse qu'elle vienne devant vous au terme d'un long processus qui a permis une vaste concertation avec les parlementaires et avec les professionnels. Et si je n'ai pas demandé l'urgence, c'est précisément parce que je souhaite que maintenant aussi nous prenions tout le temps du débat.

Cette loi engagera le renouveau du service public, par la redéfinition de ses missions et le renforcement de ses moyens. Mais, le service public se situant au sein d'un très vaste ensemble en mutation constante, cette loi crée aussi les conditions d'un développement maîtrisé de tout le secteur audiovisuel, non en lui imposant de nouvelles contraintes réglementaires mais en renforçant la régulation.

Cette loi engage donc le renouveau du service public audiovisuel, dont nous avons une vision très ambitieuse.

Depuis un demi siècle, la radio et la télévision ont pris une place considérable dans la vie quotidienne. Selon les plus récentes enquêtes, 77 % des Français regardaient la télévision en moyenne 187 minutes par jour en 1998 soit plus de 21 heures par semaine.

En additionnant le temps passé devant la télévision et à l'écoute de la radio, de disques ou de cassettes, nos concitoyens consacrent à l'audiovisuel domestique 43 heures en moyenne par semaine.

Un intérêt si exceptionnel exige une réponse à la hauteur de l'enjeu. La télévision et la radio publiques n'ont de sens que si elles se distinguent nettement des chaînes privées. Le service public a pour vocation de présenter une offre de programmes concourant à faire de chacun de nous un citoyen libre et éclairé.

Notre projet enrichit la loi relative à la liberté de communication dont, pour nous, le but premier est d'assurer la liberté de choix des auditeurs et téléspectateurs en leur offrant des programmes réellement différents, déliés des contraintes commerciales.

Il faut donc que, dans ces programmes, le public puisse reconnaître la marque particulière du service public.

Pour la première fois, la loi va consacrer les missions que la collectivité assigne au service public de l'audiovisuel et qui donnent son identité propre à chacune de ses composantes : les télévisions publiques, Radio France et RFI, ainsi que l'INA dont plusieurs d'entre vous entendent préciser encore les tâches actuelles.

Ministre de la communication, je n'oublie jamais que je suis aussi en charge de la culture, dont la démocratisation implique d'investir à nouveau la télévision publique devenue, avec l'école, le plus puissant vecteur de l'éducation, de la culture et de l'expression des idées, le lieu essentiel de la reconnaissance de l'autre et de la connaissance de soi-même, et un formidable outil de création et d'innovation.

Cette ambition pour le service public rejoint celle de l'Allemagne, du Royaume-Uni et de l'Italie, avec lesquels nous défendons, au plan européen, le service public audiovisuel.

Cette politique tourne le dos aux tentations libérales de marginalisation de la télévision publique qui traversent certains esprits dans l'opposition. Non seulement nous refusons la privatisation de France 2, mais nous voulons faire de cette chaîne la grande télévision généraliste de service public.

Sa privatisation serait un coup mortel porté à tout le paysage audiovisuel français. Elle entraînerait une insupportable régression du potentiel d'information et de toute l'économie de la création audiovisuelle et cinématographique. Privé de son navire amiral, le service public serait condamné à une mission subsidiaire et devrait renoncer à tout déploiement dans les nouveaux services.

Aussi est-il indispensable que la nation consacre à l'audiovisuel public des moyens plus importants. Mais les programmes publics ne peuvent se différencier de ceux des chaînes privées que si leurs sources de financement aussi sont différentes. C'est le choix que nous avons fait, en rupture avec la politique de désengagement financier de l'Etat menée entre 1993 et 1997.

Dans un contexte de maîtrise de la dépense publique, le Gouvernement a fait le choix courageux de dégager, au cours des deux prochaines années, deux milliards et demi supplémentaires pour restaurer l'identité des chaînes publiques et renforcer leur capacité de production et d'innovation. Cet effort prendra la forme d'un remboursement intégral des exonérations de redevance, dont l'inscription dans la loi garantira la pérennité.

Ces deux milliards et demi serviront d'abord à mettre fin à la dérive commerciale de la télévision publique. C'est le 1er octobre 1968 que la publicité de marque a fait son entrée à la télévision, pour une durée quotidienne fixée alors à 2 minutes. Trente ans plus tard, nous en sommes à une durée maximale de 12 minutes par heure, soit 144 fois plus !

Affirmer l'identité de service public de France 2 et de France 3 exige de réduire la publicité sur ces chaînes. La valse des animateurs vedettes, du privé au public et réciproquement, symbolisait la perte d'identité du service public.

Notre décision n'est inspirée ni par un réflexe "publiphobe" ni par la volonté de mettre en cause le principe d'un financement mixte de l'audiovisuel public.

Il est, en revanche, impératif de corriger l'emballement du recours à la publicité observé depuis 1995, aussi bien dans la part prise par les ressources commerciales que dans la durée des écrans publicitaires.

Le Gouvernement a souhaité que les mesures prises aient des effets clairement perceptibles par le téléspectateur. Mais il doit veiller à ce qu'elles n'entraînent pas un affaiblissement du potentiel d'activité des chaînes publiques ni un déséquilibre incontrôlable dans le partage des ressources publicitaires avec les chaînes commerciales.

M. Michel Herbillon - Cela risque d'être le cas !

Mme la Ministre - C'est pourquoi il vous est proposé d'abaisser de 12 à 8 minutes la durée horaire maximale de la publicité pour France 2 et France 3, ce qui devrait mettre fin aux insupportables "tunnels" de publicité et restituer aux téléspectateurs près de 350 heures de programmes par an.

Le remboursement intégral des exonérations permettra de financer le coût supplémentaire de près de 1,5 milliard par an qui s'ensuivra.

Notre second objectif majeur est de créer les conditions d'un développement maîtrisé du secteur audiovisuel.

L'audiovisuel public bénéficiera d'un surcroît net de ressources publiques d'un milliard, qui sera exclusivement consacré aux programmes et aux développements technologiques.

La création d'un groupe des télévisions publiques constitue un instrument essentiel de cette politique. Il ne s'agit en rien d'un retour nostalgique à l'ORTF, ni d'une superstructure administrative, mais d'un état-major industriel doté des moyens nécessaires à la conduite d'une véritable stratégie d'entreprise.

M. Rudy Salles - Ce sont des mots !

Mme la Ministre - L'allongement à 5 ans du mandat des dirigeants de l'audiovisuel public et la conclusion avec l'Etat de contrats d'objectifs et de moyens permettront une action stratégique de long terme.

L'enjeu est de mieux affirmer la richesse éditoriale du service public tout en renforçant son efficacité économique, de dynamiser sa politique de diversification, d'accroître sa capacité de négociation sur le marché international des droits, d'améliorer sa coopération avec Canal France International et TV5, dont les chaînes publiques seront désormais actionnaires majoritaires.

J'attends aussi du regroupement des chaînes publiques qu'elles se préparent ensemble au redéploiement de leur offre de services qu'impliquera le passage au numérique hertzien, afin que le faisceau des nouveaux services soit puissamment structuré autour des missions dont le service public est porteur.

L'accroissement substantiel des ressources du service public aura un effet de relance sur toute l'économie des médias, d'abord en raison de la capacité accrue des chaînes publiques à produire et à commander des programmes, mais aussi parce que l'essentiel des ressources libérées par la baisse de la publicité sur les chaînes publiques sera transféré pour partie vers les autres médias, pour partie vers les chaînes privées.

Il en résultera automatiquement un accroissement de 500 millions des sommes affectées à la production, par le jeu des obligations de production et de la taxe sur le compte de soutien auxquelles les chaînes publiques et privées sont assujetties.

Ce mouvement en faveur de la production cinématographique et audiovisuelle pourrait bien sûr être amplifié par un renforcement des obligations de production des chaînes, si leurs ressources respectives le permettent. Au terme de la première année d'application de la réforme, un bilan économique précis permettra de déterminer si une mesure de cette nature s'impose.

Le développement maîtrisé du secteur implique également des garanties nouvelles en faveur du pluralisme.

Notre objectif étant de vivifier le riche tissu d'éditeurs, producteurs et distributeurs indépendants, nous proposons quatre mesures : renforcer les obligations économiques des grandes chaînes hertziennes à l'égard de la production indépendante ; assurer une plus grande fluidité des droits de diffusion ; soumettre les chaînes thématiques du câble et du satellite, comme les chaînes hertziennes, à des obligations de production de programmes ; demander aux cablo-opérateurs et aux bouquets satellitaires de réserver une place suffisante, dans leur offre de service, à des éditeurs indépendants.

S'agissant de la diffusion des films de cinéma à la télévision, la directive européenne de 1997 invite le législateur national à renvoyer à la conclusion d'accords professionnels la fixation de ce que l'on appelle la "chronologie des médias", c'est-à-dire des délais à partir desquels les films de cinéma peuvent être diffusés sur les divers supports télévisuels. Cette question a pris une acuité particulière depuis qu'une offre payante de films est proposée sur deux bouquets satellitaires et non plus seulement sur la chaîne hertzienne cryptée. Les négociations en cours doivent aboutir à un accord accepté par l'ensemble des parties. Il s'agit de garantir à notre cinéma la progression de ses moyens de préfinancement tout en préservant sa diversité créatrice. Cette question est vitale et je continuerai à m'impliquer personnellement pour qu'elle trouve enfin une issue positive.

Le développement du secteur audiovisuel impose enfin un cadre juridique adapté aux nouveaux modes de diffusion.

Il sera tout d'abord mis fin au vide juridique qui entoure les services diffusés par satellite. En conformité avec le droit communautaire, le CSA sera désormais habilité à conventionner l'ensemble des chaînes par satellite établies en France, si bien qu'elles seront soumises au même régime d'obligations que celles distribuées par câble. Quant aux bouquets de chaînes diffusées par satellite, ils feront désormais l'objet d'une déclaration auprès du CSA, les câblo-opérateurs demeurant pour leur part assujettis à un régime d'autorisation que justifie le monopole d'exploitation dont ils disposent localement.

Restent deux sujets majeurs que la loi devra traiter, le moment venu.

Plusieurs députés RPR et UDF - Quand ?

Mme la Ministre - Je veux parler du numérique hertzien et du développement des télévisions locales.

J'ai présenté le 12 mai...

M. Olivier de Chazeaux - Trop tard !

Mme Odette Grzegrzulka - Vous êtes mal placés, Messieurs, pour donner des leçons.

Mme la Ministre - ...au Conseil des ministres une communication sur le numérique hertzien. Le Gouvernement a décidé d'ouvrir un vaste débat public afin de déterminer l'équilibre optimal entre opérateurs "historiques" et nouveaux entrants, entre offres gratuites et services payants, entre chaînes généralistes et autres programmes. Les modalités d'attribution des "multiplexes" numériques par le CSA dépendent pour partie de ces choix. Je souhaite que ceux-ci puissent vous être soumis à l'issue de la concertation. Mais, sans plus attendre, le Gouvernement a demandé au CSA d'engager la planification des ressources hertziennes. Cette entreprise, nécessaire, n'implique pas un "gel" généralisé des fréquences. Le CSA sera au contraire en mesure de voir si des fréquences actuellement inemployées peuvent être attribuées à des projets locaux ou régionaux existants sans compromettre la couverture territoriale des futurs multiplexes numériques. La gestion de la ressource hertzienne devra donc concilier le développement des multiplexes avec l'émergence d'un parc de télévisions locales appelées à passer de façon ordonnée de l'analogique au numérique.

Le troisième axe fondamental de la réforme consiste à renforcer la régulation du secteur audiovisuel.

Il s'agit là d'un choix politique mûrement réfléchi et longuement débattu. Dans un contexte mondial marqué par la présence de très puissants groupes multinationaux, il est de notre devoir de favoriser le développement de groupes français et européens capables d'affronter les géants mondiaux.

Ce choix conduit à conforter le rôle des autorités de régulation indépendantes et à renoncer à tout dispositif d'interdiction ou de contrôle a priori.

M. François Goulard - Vous faites pourtant le contraire !

Mme la Ministre - Dans une économie de liberté et de concurrence, les groupes de communication doivent, comme les autres, être soumis au droit commun de la concurrence. Or seul le Conseil de la concurrence est à même de sanctionner efficacement les pratiques anticoncurrentielles et de prévenir les concentrations qui nuiraient au bon fonctionnement du marché ou au progrès économique et social. Mais la consultation, désormais obligatoire, du CSA garantira que les exigences du pluralisme sont aussi prises en compte, étant entendu que le secteur de la communication audiovisuelle touche aux fondements de notre démocratie et appelle donc une régulation spécifique.

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel doit donc veiller à l'honnêteté de l'information, à la diversité et la qualité des programmes, au respect du public. Le projet de loi le confirme dans ces missions.

Le souci du pluralisme inspire aussi les mesures qui visent à assurer une présence significative des radios associatives et des stations généralistes, à introduire plus de transparence dans le renouvellement des autorisations de fréquences, à mieux garantir l'indépendance de l'information par rapport aux intérêts économiques des actionnaires.

Ce sont bien l'auditeur et le téléspectateur, les vrais destinataires de la réforme. Je sais que nombre d'entre vous souhaitent vivement que les usagers du service public soient plus directement associés à l'évaluation de la qualité des programmes. Il nous faudra ensemble définir les mesures les mieux adaptées à cet effet.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Merci, Madame la ministre.

Mme la Ministre - C'est dans le même esprit que le Gouvernement est favorable à la proposition qui tend à rendre les chaînes publiques accessibles, sans exclusive, à l'ensemble des bouquets satellitaires.

De manière plus générale, j'attache le plus grand prix aux dispositions qui font prévaloir les droits essentiels du téléspectateur, je pense notamment à la protection des mineurs ou à la diffusion en clair des grandes manifestations sportives.

Avec ce projet, le Gouvernement vous propose des choix décisifs, dont certains s'imposaient depuis des années. Désormais, le système audiovisuel français sera en ordre de marche pour relever les défis qui s'annoncent. Désormais, la télévision publique pourra retrouver toute l'ambition de sa mission propre. Que l'innovation et l'imagination l'emportent sur l'imitation et la routine, telle est l'attente légitime de nos concitoyens. Demain, les écrans, le multimédia, les réseaux mondiaux d'information ouvriront un espace immense à la création et à la culture.

J'appelle tous les professionnels de l'audiovisuel, tous les acteurs de la culture, artistes et intellectuels, à se joindre à nous dans la réalisation de cette ambition : faire du petit écran un territoire pour la liberté de l'esprit (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

M. Didier Mathus, rapporteur de la commission des affaires culturelles - Ce projet de loi a eu, comme tous ceux concernant l'audiovisuel, une histoire mouvementée. Le Gouvernement a eu la sagesse, en décembre dernier, de retirer un projet qui ne semblait pas abouti et de remettre son ouvrage sur le métier. Au terme de plusieurs mois de concertation, nous voilà devant un texte qui redonne une ambition, des moyens et une identité à la télévision publique ; qui assure l'évolution de la législation face au développement du satellite ; qui transpose en droit français la directive européenne TSF ; et qui dote les instances de régulation d'outils nouveaux pour veiller au respect de l'intérêt général.

Le monde de l'audiovisuel est soumis à des bouleversements considérables auxquels notre pays doit se donner les moyens de faire face. C'est l'objet de ce texte qui vient modifier un cadre législatif remanié à vingt-deux reprises depuis la loi Léotard et l'ahurissante privatisation de TF1 ! (Exclamations sur divers bancs)

Après la loi Carignon, qui a laissé prévaloir sur l'intérêt public le bénéfice d'un opérateur privé, au terme d'un donnant-donnant politico-électoral peu honorable avec la majorité de l'époque, il était nécessaire de revenir à des règles du jeu plus saines.

Dans le domaine de la télévision, la France se caractérise par plusieurs singularités. D'abord, la présence dominante d'un opérateur privé, TF1, qui représente à lui seul 35 % de l'audience et près de 50 % du marché publicitaire. Tous les autres pays ont veillé à organiser une concurrence entre opérateurs, et ont ainsi évité des positions dominantes.

Il faut dire aussi que la France est le seul pays à avoir choisi de privatiser en 1986 sa grande chaîne publique de référence ! Dans les autres pays, la libéralisation du secteur s'est faite par la création de chaînes.

Autre singularité, la présence écrasante des groupes spécialisés dans les prestations aux collectivités et le BTP : Vivendi à Canal+ et Canal Satellite, Lyonnaise des Eaux-Dumez à M6 et TPS, Bouygues à TF1 et TPS (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Tous ces groupes tirent l'essentiel de leur ressources des marchés publics. Ils dominent des pans entiers de l'économie, et des services aussi névralgiques pour la société que la distribution et le traitement de l'eau. Ils dominent aussi notre information, nos façons de nous distraire ou de nous cultiver, donc nos façons de penser (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Peut-on jouer un rôle majeur dans le domaine culturel quand dans le même temps on est lié à des intérêts financiers particuliers ? La question mérite d'être posée. C'est bien pourquoi ce projet fixe un certain nombre de règles.

Notons que, jusqu'à ce jour, la France était presque le seul pays démocratique à ne pas s'être doté d'une législation antimonopolistique.

Troisième singularité : le développement réussi de deux plates-formes satellitaires, qui a signifié l'apparition de dizaines de chaînes thématiques.

Ce sont maintenant des millions de personnes qui regardent la télévision d'une façon différente. Le règne des grandes chaînes hertziennes est ainsi remis en cause, et leur audience globale a commencé de baisser de façon significative. Leur rôle fédérateur et identitaire s'en est trouvé affaibli d'autant. Le temps n'est plus où, partout, l'on pouvait échanger ses sentiments sur le film ou l'émission de la veille. C'est un lien qui se défait sous nos yeux.

C'est dans ce contexte général qu'il convient d'apprécier le projet. En redonnant à la télévision publique les bases d'une identité par la baisse des volumes de publicité, en lui affectant des moyens supplémentaires, en confortant donc le pôle public dans sa vocation à fédérer 35 à 40 % de l'audience, il définit le socle d'une régulation positive du PAF.

Profondément déstabilisé par la privatisation de TF1, le service public est à la recherche d'une identité. Il oscille au gré des circonstances, entre l'alignement commercial sur le secteur privé et la redéfinition de ses missions d'intérêt général. Cette crise d'identité a été accentuée aussi bien par l'adjonction improvisée d'Arte et de la 5ème sur le réseau hertzien que par les ruptures du financement public dont les chaînes généralistes ont été victimes depuis 1993.

Ainsi, pour France 2, alors que la part de la redevance affectée à la chaîne n'a augmenté que de 8,5 % les dotations budgétaires ont baissé de 58,8 % et les ressources publicitaires ont augmenté de 60,5 %. Pour France 3, le décrochage est encore plus brutal puisque les dotations budgétaires ont baissé de 62,5 % alors que les ressources publicitaires s'envolaient, avec une hausse de 186 % ! Les ressources de la redevance ont progressé douze fois moins vite que leurs recettes publicitaires si bien qu'alors que celles-ci couvraient, en 1992, 33 % des recettes de France 2 et France 3, elles en représentaient 44 % en 1997.

Pour atteindre les objectifs de recettes publicitaires inscrits dans la loi de finances, France 2 et France 3 ont dû satisfaire aux exigences des annonceurs et, pour cela, calibrer leur programmation. Maintenir ou accroître le niveau d'audience pour boucler le budget : telle est, depuis plusieurs années, la contradiction majeure de chaînes censées s'illustrer par l'excellence de leur programmation.

Cette confusion a été accentuée par l'incapacité de l'Etat à fixer des orientation durables pour l'audiovisuel public. Le choix de ses représentants dans les conseils d'administration est, à cet égard, exemplaire. C'est encore une logique d'administration qui prévaut, sans que soit aucunement prise la mesure des enjeux.

Votre projet, Madame la ministre, exprime donc la volonté du Gouvernement de relever le défi de la triple crise, identitaire, budgétaire et stratégique, de la télévision publique.

Si rien n'était fait, on voit bien -et certains s'en réjouissent ouvertement- que l'on irait inéluctablement vers la privatisation de France 2. Or, nous avons impérativement besoin d'une grande chaîne publique généraliste populaire fédérant une très large audience.

Ce projet doit définir clairement les missions des sociétés de l'audiovisuel public et les faire bénéficier d'une organisation et d'un financement cohérents, dans le respect du protocole additionnel au Traité d'Amsterdam qui considère que "la radiodiffusion de service public dans les Etats membres est directement liée aux besoins démocratiques, sociaux et culturels de chaque société ainsi qu'à la nécessité de préserver le pluralisme dans les médias".

Ce projet apporte des réponses claires à la crise du secteur public par la constitution d'un pôle public puissant, avec la holding France Télévision ; par un budget plus clair et assis sur un contrat d'objectif entre l'actionnaire et les chaînes ; par la garantie qu'apporte aux dirigeants un mandat de 5 ans.

Surtout, l'amendement du Gouvernement qui engage l'Etat au remboursement intégral des exonération "sociales" de la redevance constitue une avancée exceptionnelle. Cet effort sans précédent de soutien à la télévision publique -évalué à 2,4 milliards- servira aussi à financer les 350 heures de programme supplémentaire que rend possible la limitation de la publicité.

L'effort net, estimé à un milliard, doit être exclusivement réservé aux programmes et au développement de nouveaux services. Enfin, la baisse de la publicité de 12 à 8 minutes par heure confortera l'identité de la télévision publique.

Avec cet amendement qui a totalement modifié l'économie du projet initial, c'est un dispositif cohérent et ambitieux qui est proposé. La commission a toutefois adopté de nombreux amendement à ce volet du texte. J'en signalerai deux. Le premier tend à créer un Conseil national des programmes permettant que les téléspectateurs soient représentés auprès des organes de direction de France Télévision. Ce nouvel organisme participerait pleinement de la volonté manifestée par le projet de renforcer le caractère de service public de France Télévision.

Un deuxième amendement important supprime l'exclusivité commerciale des chaînes publiques sur la plate-forme satellite TPS.

Nous proposons, ce faisant, de revenir à un principe simple, qui n'aurait jamais dû être dévoyé : le service public, financé par l'impôt, doit être librement accessible au plus grand nombre. L'idée même d'une exclusivité commerciale contredit la notion de service public.

Enfin, je tiens à souligner qu'au-delà du considérable progrès qu'est ce texte, reste posée la question essentielle de la croissance des revenus. Entre 1992 et 1997, la croissance des budgets de France 2 et France 3 a été, respectivement, de 4 et de 5,4 % par an. Dans le même temps, le rythme d'accroissement des chiffres d'affaires de TF1 et M6 s'établissait entre 6 et 10 % par an. Or l'explosion des coûts d'acquisition des droits de retransmission des épreuves sportives et du cinéma va peser de façon considérable sur les moyens des chaînes dans les années futures.

Il faudra surmonter cette difficulté et, ni la croissance des dotations budgétaires de l'Etat, ni une improbable hausse de la redevance le pourront à elles seules.

Il faudra imaginer une troisième source de recette, dont l'assiette aura une croissance spontanée. Le Gouvernement doit nous donner l'assurance de traiter ce problème dans les tout prochains mois.

Le titre II du projet transpose en droit interne la directive TSF. Outre les dispositions concernant la protection des mineurs ou la sécurité juridique des opérateurs, il contient deux articles particulièrement intéressants : l'article 10, qui traite de la retransmission d'événements majeurs et l'article 14, qui règle la question de la chronologie des médias.

L'article 10 constitue une avancée importante sur un sujet d'une importance capitale, en posant un principe simple : certains événements, d'ordre sportif ou non sportif, ne peuvent être achetés en diffusion exclusive par une télévision payante parce qu'ils doivent être accessibles à tous. Il revient au Gouvernement d'en fixer la liste. Les craintes sont particulièrement aiguës dans le domaine des droits sportifs. A cet égard, l'acquisition de clubs de foot par des chaînes de télévision est très préoccupante. A terme, on voit bien que la mutualisation des retombées d'acquisition des droits au sein du mouvement sportif est mise en cause. Plus gravement encore, c'est la "cannibalisation commerciale" du droit à l'information qui est à l'oeuvre : à partir de quel moment une information se transforme-t-elle en spectacle dont une chaîne de télévision pourrait acquérir les droits d'exclusivité pour en priver ses concurrents ?

Le mouvement auquel on assiste depuis quelques mois autour des droits sportifs n'est pas sans inquiéter et il appelle une réaction des pouvoirs publics.

En ce qui concerne la chronologie des médias, la directive substitue aux procédures réglementaires une logique contractuelle.

Je crains que cette disposition ne soit, à terme, négative. La conception française qui a présidé depuis 15 ans à l'institution d'un système original de financement du cinéma est fondée sur une forte intervention de la puissance publique. Veillons à ce que le renvoi à des procédures purement contractuelles ne soit pas le premier acte d'un démantèlement, par Bruxelles, de cette intervention publique.

C'est d'ailleurs toute la question de la vision européenne qui est ici posée. La frénésie néolibérale de Bruxelles a tenté d'ouvrir des brèches dans le secteur jusque là différencié de la télévision. Elle s'est incarnée dans le Livre vert de M. Bangeman sur la convergence, elle s'exprime à la DG IV qui tente de mettre en cause la légitimité de la télévision publique, elle s'est manifestée avec éclat lors du débat sur l'accord multilatéral sur l'investissement.

La pression américaine en faveur d'une banalisation et d'une dérégulation de tout le secteur de l'expression culturelle ne manque pas de relais à Bruxelles. Il faudra, Madame la ministre, appuyer avec détermination le principe de subsidiarité reconnu par le protocole d'Amsterdam pour le secteur de l'audiovisuel public.

La troisième partie de votre texte tend à créer un dispositif de contrôle des concentrations et des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur privé. Cette adjonction au texte initial était indispensable. Le choix fait par le Gouvernement a été d'étendre les pouvoirs du CSA et de donner compétence au Conseil de la concurrence dans ce secteur. Désormais le CSA ne pourra plus s'abriter derrière l'imprécision de la loi pour se dérober à ses responsabilités. Le CSA, qui n'avait rien trouvé à redire à la fusion de l'UFA et de la CLT, rien à l'arrivée de Bolloré et à son remplacement par Pinault dans le capital de Bouygues, rien à l'absorption d'Havas par Vivendi, ne pourra plus jouer la stratégie de l'autruche. Ce texte fait du CSA la véritable instance de régulation, qu'il n'a pas su être jusqu'à présent.

Pour que la France et l'ensemble des pays d'Europe puissent prendre toute leur place dans cette bataille mondiale de l'audiovisuel et préserver coûte que coûte l'indépendance -voire l'existence même- de leurs industries de programmes, pour combattre la montée d'une hégémonie culturelle, la lente érosion des diversités artistiques et l'émergence d'une civilisation mondialisée et uniformisée, plusieurs solutions peuvent être envisagées.

Pour les industriels du secteur, la seule réponse à la mondialisation réside dans la concentration. Pour les pouvoirs publics, garants de l'intérêt général et du pluralisme, la solution doit plutôt être recherchée dans l'organisation des marchés et la définition de règles du jeu communes à tous, appliquées avec souplesse mais détermination.

L'urgence est donc bien aujourd'hui de contenir les tendances naturelles du marché à la concentration et d'empêcher la constitution d'opérateurs omnipotents qui pourraient menacer la liberté d'expression. L'apparition du numérique accélère cette urgence. La surenchère que se livrent des opérateurs pour doter leurs chaînes payantes de contenus exclusifs risque d'appauvrir les chaînes hertziennes et de pousser mécaniquement à des concentrations.

Cette évolution est inacceptable. Ce projet doit nous aider à la combattre.

Nous souhaitons aussi qu'en deuxième lecture, on y inclut des dispositions sur le numérique hertzien. Certains en parlent beaucoup mais sans faire de propositions !

M. Arnaud de Montebourg - Ils ont d'autres chats à fouetter !

M. le Rapporteur - Les professionnels y travaillent. Le Gouvernement a annoncé une concertation. Nous souhaitons des propositions concrètes. Il ne suffit pas de sauter sur sa chaise en criant "le numérique hertzien, le numérique hertzien !" (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) Il faut dire combien de multiplex, attribués à qui, avec quel financement. Avec ce complément, le projet permettra d'envisager la télévision du 21ème siècle sous un autre angle qu'on ne le faisait depuis dix ou quinze ans, en se cantonnant au plan national et en se contentant des textes comme la loi Carignon de sinistre mémoire.

Je vous félicite, Madame la ministre, d'avoir fait preuve d'obstination, de ténacité et de courage (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) pour que nous puissions discuter ce projet (Mêmes mouvements).

M. Yves Cochet, rapporteur pour avis de la commission des finances - Il est difficile de légiférer sur l'audiovisuel et plus généralement sur la communication. D'abord les évolutions technologiques et économiques y sont de plus en plus rapides. Ensuite, certains désaccords entre les groupes parlementaires, même de la majorité, ont reporté la possibilité de présenter ce projet. Néanmoins, pour la première fois, un accord politique préalable est intervenu au sein de la majorité, ce dont je vous félicite, Madame la ministre. Enfin, la forte méfiance des professionnels vis-à-vis du législateur n'a pas accéléré les choses.

Pourtant, il fallait agir. L'Etat doit renforcer, développer, et préciser les missions de service public de son pôle audiovisuel. Il doit garantir un traitement équitable aux différents modes de diffusion et aux différents acteurs de ce secteur. Enfin, il doit assurer à l'audiovisuel public un financement pérenne et croissant face à une forte concurrence privée.

L'audiovisuel n'est pas une industrie comme les autres : nulle image n'est une pure marchandise, nulle image n'est neutre, nul média de masse ne doit être abandonné à la seule loi du marché. L'Etat doit garantir à la fois la liberté d'expression, la pluralité de l'information et la qualité des programmes. L'industrialisation des images a, nous le savons depuis Walter Benjamin et l'Ecole de Francfort, d'énormes effets sur les modes de représentation et de perception du collectif. Il est donc légitime que l'Etat assure un rôle de régulation entre technologie et société.

Dans les dispositions non financières, le point le plus saillant est la création d'une société-mère qui fédère France 2, France 3 et la Cinquième-Arte. Pour prévenir certaines critiques, ce sera la BBC plutôt que l'ORTF. En outre, les présidents des sociétés du secteur public seront désormais nommés pour cinq ans au lieu de trois. A titre personnel, je m'interroge encore sur les conditions de nomination du président de RFI et l'intégration ou non de RFO dans la société-mère France Télévision.

M. le Président de la commission - Nous en reparlerons.

M. le Rapporteur pour avis - Effectivement.

L'article 19 supprime les distorsions de concurrence par l'intégration progressive du droit de l'audiovisuel au droit commun de la concurrence. En effet, le devoir d'information du Conseil de la concurrence auprès du CSA sur le contrôle des mouvements de concentration des opérateurs, était devenu indispensable...

M. Michel Françaix - Eh oui !

M. le Rapporteur pour avis - De même que le rapprochement réglementaire entre le câble et le satellite, ainsi que l'introduction de la notion de "distributeur de services audiovisuels".

Par ailleurs, on ne peut que se féliciter du renforcement des pouvoirs du CSA pour la transparence et l'indépendance de l'information. Cependant, à titre personnel j'estime qu'au-delà de l'amendement de la commission des affaires sociales cette transparence pourrait s'appliquer au CSA lui-même grâce à des auditions publiques des candidats aux présidences des sociétés du secteur public audiovisuel.

Enfin, le texte proposé en première lecture ne dit rien sur la télévision numérique hertzienne ni sur la convergence entre télévision, télécommunication et informatique. J'espère que les navettes nous permettront d'ajouter quelques dispositions dans ces domaines.

Il faudra bien anticiper l'évolution si rapide des technologies de l'information. Là encore, c'est l'Etat, c'est l'Europe qui serviront de parapets à l'ultra-libéralisme. A moyen terme, il faudra, dans la réglementation, distinguer nettement contenants et contenus et définir ces derniers en tant que formes de communication de façon à respecter l'intérêt général.

J'en viens à deux dispositions financières ambitieuses de ce projet.

D'abord, France Télévision dépendra beaucoup moins des ressources publicitaires. De 1992 à 1997, celles-ci sont passées de 42 % à 51 % pour France 2 et de 22 % à 32 % pour France 3. Le public est lassé. De 19 à 22 heures, durant la même période, la publicité est passée de 16 minutes à 26 minutes sur France 2 et de 17 minutes à 28 minutes sur France 3.

C'était trop. Il fallait y mettre un terme. Certains, dont je suis, auraient voulu supprimer totalement la publicité sur les chaînes publiques. Mais à quel prix ? On se heurterait à un problème de financement.

M. Laurent Dominati - Il faut privatiser !

M. le Rapporteur pour avis - Mais non, on ne privatisera pas France 2. Lorsque nous en avons discuté en commission des finances, vous n'étiez pas là.

M. Laurent Dominati - Je fais campagne pour l'Europe !

M. le Rapporteur pour avis - Finalement, la proposition de réduire de 12 à 8 minutes par heure la publicité est un compromis judicieux puisque, Madame la ministre, vous avez réussi avec notre appui à ce que le Gouvernement s'engage à assurer la compensation intégrale des exonérations de redevances, soit 2,4 milliards pour le secteur public, ce qui apportera un milliard à la création et à la production audiovisuelles.

M. Laurent Dominati - Pris sur qui ?

M. le Rapporteur pour avis - C'est considérable, vous n'avez jamais pris un tel engagement quand vous étiez au pouvoir.

En second lieu, l'article 6 institue la pluri-annualité des ressources financières grâce aux contrats d'objectifs et de moyens de trois à cinq ans. Les professionnels pourront ainsi mieux anticiper.

Le Gouvernement s'engage donc à renforcer l'audiovisuel, grâce à votre persévérance, Madame la ministre. La commission des finances a émis un avis favorable sur ce projet.

Pour terminer sur une note moins financière, je livre à votre réflexion cet extrait d'un entretien de la philosophe Marie-José Mondrain dans Le Monde du 8 septembre 1998 :

"La télévision, c'est ce que j'appelle "l'effet-balcon", qui donne à croire qu'on voit le monde de sa fenêtre, tel qu'il est. Il s'agit d'une stratégie de pouvoir, suggérant au citoyen que ce qu'on lui transmet est démocratique, sur le mode : votre faiblesse physique ou sociale vous a empêché d'être là, mais nous avons les moyens de vous rendre la place souveraine du témoin. Il ne s'agit pas de condamner les réelles possibilités de voir qu'offrent les techniques modernes, mais de toujours rappeler simultanément que l'abondance de l'information ne peut jamais se substituer à la liberté du jugement. L'exercice de la liberté ne naît pas d'une accumulation. Ce n'est pas : plus je vois de choses, plus je comprends, mais toujours : plus je pense, mieux je comprends" (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. le Président de la commission - Pour parler de télévision, il faut intelligence, courage, ténacité. Vous avez ces qualités, Madame la ministre. Aussi nous soutiendrons-vous jusqu'au bout sur ce projet.

L'évolution du service public est nécessaire, sa consolidation indispensable. Ce texte contient des dispositions importantes sur la modernisation du secteur privé, et la transposition de la directive "télévision sans frontières". Mais le service public est fondamental. Pour en parler il faut évoquer l'histoire et la nécessité. Je remercie le rapporteur et les administrateurs qui l'ont aidé d'avoir situé ce projet dans une histoire.

En trente-cinq ans, on est passé du monopole d'Etat, avec un ministre de l'information qui faisait le journal télévisé, au service public, grande innovation de la gauche, puis à un secteur public rétréci. En 1982, on affirme que la communication audiovisuelle est libre et le service public s'émancipe de la tutelle du pouvoir politique ; le monopole de diffusion est conservé, mais le monopole de programmation est aboli ; la Haute autorité garantit l'indépendance par rapport au pouvoir politique. Quelle révolution culturelle !

Cet équilibre fragile est brutalement remis en cause en 1986. François Léotard déclare : "Notre service public est un astre dont la lumière nous parvient encore, mais qui est mort". Affirmation complètement fausse : dire cela, c'est manquer totalement de vision politique. Dépourvu d'orientations, dans un paysage de plus en plus mondialisé, privé de moyens, le secteur public ne signifie plus grand chose.

Je dois dire, à ma grande confusion, que la gauche, de retour au pouvoir, se montre extrêmement timide.

M. Christian Cuvilliez - C'est le moins qu'on puisse dire.

M. le Président de la commission - Il y a même besoin d'un amendement du groupe communiste, adopté par la commission, pour qu'on reprenne l'expression "service public".

Il faut un peu plus de hardiesse et de volonté politique -vous en faites preuve, Madame la ministre-, d'autant plus que les chaînes publiques doivent affronter les changements technologiques et économiques.

Voilà pour l'histoire. D'autre part, la nécessité s'impose d'adopter une nouvelle législation. En effet le protocole additionnel au traité d'Amsterdam précise que la radiodiffusion de service public dans les Etats membres doit répondre aux besoins démocratiques, sociaux et culturels et contribuer au pluralisme dans les médias ; et, comme l'a écrit Jean-Louis Messika : "c'est parce qu'elles ne font pas la même chose que les chaînes privées ou parce qu'elles le font différemment que les chaînes publiques apportent une valeur ajoutée à la collectivité". Dans un monde où l'image l'emporte sur l'explication et banalise l'émotion, nous devons affirmer le rôle du service public, comme on l'a fait en Angleterre et en Allemagne.

Il convient, tout d'abord, de conférer au président et aux conseils d'administration la durée nécessaire pour établir un diagnostic et mener une action suivie.

Il faut, ensuite, permettre la définition d'une stratégie ; cela suppose un renforcement des structures et l'identification du rôle de chacun, dans un cahier des charges.

En troisième lieu, le financement doit être programmé dans les contrats pluriannuels d'objectifs. Un équilibre difficile a été trouvé avec vous, Madame la ministre ; il faut maintenant garantir sa pérennité.

Enfin, il faut faire en sorte que le téléspectateur ne soit pas seulement un consommateur, mais un participant citoyen.

Reste la question du CSA. Ne revenons pas sur son rôle, mais affirmons la nécessité de la transparence et de la motivation de ses choix ; la présidence ou le président qui sera à la tête du service public de l'audiovisuel pour cinq ans aura, en effet, une responsabilité très grande.

Pour conclure, Madame la ministre, je vous incite à poursuivre l'action que vous avez engagée. J'ai beaucoup apprécié qu'à Cannes, vous lanciez l'idée d'une vaste concertation sur la "deuxième vie" des films.

Le mercredi 28, France 3, à 20 h 55, a diffusé un document exceptionnel, intitulé, par référence à la Chaconne de Bach, la Chaconne d'Auschwitz. Douze femmes y témoignaient de ce qu'avait été l'orchestre de femmes à Auschwitz ; nous avons eu là l'illustration de ce que peut être un grand service public, considérant le téléspectateur d'abord comme un citoyen (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe RPR une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Renaud Muselier - Présenté dès mai 1997 par le Premier ministre comme l'une des grandes réformes du Gouvernement, le projet de loi sur l'audiovisuel, qui est enfin examiné par le Parlement, manque cruellement d'ambition. Il n'est qu'un texte "en creux" faisant l'impasse sur tout ce qui fâche. C'est l'aboutissement d'un mauvais feuilleton, riche en rebondissements, traîtrises et lâchetés.

En 1997, Madame la ministre, vous annoncez vouloir modifier le seuil de concentration défini par la loi du 1er février 1994, qui autorise un même opérateur à détenir jusqu'à 49 % du capital d'une chaîne privée. Le dogmatisme se heurte très vite à la réalité et six mois plus tard, vous déclarez : "Je ne pense pas qu'il suffise d'abaisser le seuil pour régler les questions de transparence, de pluralisme et d'indépendance".

Le deuxième épisode concerne la limitation du temps de publicité et la création d'une nouvelle ORTF. Il commence le 23 janvier de l'année dernière, avec la présentation en conseil des ministres d'une nouvelle mouture du projet, qui provoque polémiques chez les opérateurs, déceptions chez les producteurs. La grogne gagne même les rangs socialistes et provoque la montée en première ligne du Premier ministre, qui s'empare du dossier lors des journées parlementaires du PS. Il affirme que des entreprises publiques "fortes et assurées de leurs missions comme de leurs moyens, n'obéissant pas à une logique de profit, sont indispensables". Elles devront "servir de modèles en matière de qualité des programmes, d'éthique de l'information et de démocratisation de la culture". Le catalogue de bonnes intentions était prometteur...

Clé de voûte de la réforme : une réduction de la publicité de 12 minutes à 5 minutes par heure sur les chaînes publiques. L'idée était séduisante car les téléspectateurs sont las d'une publicité envahissante et de tunnels d'autopromotion sans fin.

Autre principe cher à la gauche : le regroupement de France 2, France 3, la Cinquième et la Sept-Arte au sein d'une holding baptisée France Télévision, RFO étant curieusement exclue de ce grand méccano administratif.

Cette holding devait disposer d'un directoire, dont le président aurait été nommé par l'instance de régulation, et d'un conseil de surveillance, dont le président aurait été nommé par le Gouvernement et aurait eu le pouvoir de proposer ses candidats à la direction opérationnelle des différentes chaînes publiques. Quelle usine à gaz, quelle machine à remonter le temps ! En 1974, le Président de la République Valéry Giscard d'Estaing avait décidé l'éclatement de l'ORTF afin de donner plus de souplesse et de légèreté à une structure devenue obsolète ; 25 ans après, M. Jospin veut la ressusciter. Est-ce la meilleure façon de préparer l'avenir, à l'heure d'internet et du satellite ?

A l'évidence non et vint un troisième épisode, celui des coups de semonce croisés du CSA, du Conseil d'Etat et de la majorité plurielle.

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel a en effet délivré, le 20 octobre, une approbation critique "à fleuret dûment moucheté" au projet gouvernemental, déplorant la main mise de l'Etat sur le futur conseil de surveillance. Le Conseil d'Etat, par 30 voix contre 10, ayant également émis des réserves, le Gouvernement a été heureusement contraint de faire passer à la trappe le conseil de surveillance et le directoire dont le Conseil a jugé qu'ils favorisaient un contrôle de l'Etat, contrevenant ainsi au respect du principe constitutionnel de la liberté de communication.

Le texte a donc été une nouvelle fois réécrit dans la précipitation déclenchant les critiques acerbes de la majorité plurielle. Ainsi, M. Lang déclarait ne pas croire en "une réforme-salami qui consisterait à couper le secteur en tranches" et refusait "que la télévision soit contrainte de mendier chaque année ses ressources auprès du ministère de l'économie". M. Mathus, jugeait quant à lui "qu'il aurait fallu aider l'Etat à jouer son rôle d'actionnaire d'autant qu'il s'engage financièrement en annonçant une compensation financière par le recours aux crédits budgétaires". M. Cuvilliez regrettait "l'abandon du projet qui visait les mouvements de concentration". M. Mamère considérait que "le projet est inachevé et s'arrête au milieu du gué". Et je ne reprends pas les propos de M. Allègre, ils sont trop désobligeants.

Le 20 novembre, les parlementaires Verts et communistes confiaient qu'ils ne voteraient pas ce texte en l'état sans avoir l'assurance que le manque à gagner consécutif à la limitation des recettes publicitaires serait compensé dans la loi.

Face aux réticences, Matignon lance alors le quatrième épisode, un nouvel aggiornamento, sous l'oeil vigilant d'un nouvel acteur, Mme Bredin.

Il est désormais admis que la loi doit comporter l'engagement de l'Etat de financer de façon pérenne les pertes de recettes publicitaires qu'il impose aux chaînes publiques. C'est l'une des faiblesses intrinsèques de votre projet : en voulant redorer le blason du secteur public, la gauche faisait un cadeau royal aux chaînes privées par le simple mécanisme des vases communicants.

Le malaise est profond et nous approchons de la fin de l'intrigue avec l'annonce, le 3 décembre, du report du projet, inscrit le lendemain, à l'ordre du jour de la commission des affaires sociales... C'est la Commission européenne qui assène le coup de grâce en portant plainte contre la France auprès de la Cour de justice en raison de la non-transposition de la directive télévision sans frontière alors que nous étions à l'origine de la révision de cette directive.

Tel est le parcours cahotique de ce texte, de ce feuilleton qui aurait pu s'intituler "Y-a-t-il un ministre dans le projet ?"

M. Jean-Marie Le Guen - Voilà une vraie référence de cinéphile !

M. Renaud Muselier - Comment croire que, miraculeusement, après deux années d'errances, l'actuel projet comporte désormais toutes les garanties de sérénité et de sérieux dûes à un secteur éminemment stratégique ? Comment ne pas voir la confusion coupable qu'il instaure entre secteur public et service public ? Comment accepter qu'il ignore les récentes mutations technologiques quand il faudrait les encadrer pour mieux les soutenir. Comment ne pas voir les atteintes portées aux libertés publiques ? Comment, enfin, ne pas dénoncer votre attitude qui revient à pratiquer de la chirurgie esthétique sur Elephant Man ? (Sourires)

Vous avez déclaré vouloir "rendre au service public son âme". Mais la notion de service public est totalement absente de votre texte. Or en droit public, l'expression secteur public traduit une approche organique ; celle de service public renvoie à la mission que doivent remplir les organismes ainsi désignés. Et il est quelques domaines où le secteur public n'est pas tenu de remplir une mission de service public.

Les chaînes publiques répondent-elles actuellement aux obligations spécifiques qui caractérisent leur mission ? Les cahier des charges de France 2 et de France 3 rappellent le caractère exemplaire que doivent revêtir les sociétés nationales : éthique, qualité, imagination, absence de vulgarité. Et quatre caractéristiques majeures des programmes sont posées : information, enrichissement culturel et divertissement, pluralisme des programmes, émissions culturelles et programmes pour la jeunesse riches et diversifiés, effort significatif dans la production audiovisuelle. Voilà qui ne manque pas d'envergure.

L'article premier de ce projet, dont on peut douter de la valeur législative, est une fontaine de crème chantilly : "Les sociétés présentent une offre diversifiée de programmes dans les domaines de l'information, de la culture, de la connaissance, du divertissement et du sport. Elles favorisent les échanges entre les différentes parties de la population ainsi que l'insertion sociale. Elles défendent la langue française, mettent en valeur le patrimoine culturel et linguistique". Ce catalogue de pieuses intentions risque surtout de diluer la notion de service public.

Mme François de Panafieu - C'est vrai !

M. Renaud Muselier - Estimez-vous que le service public répond aux besoins non solvables qui ne peuvent être satisfaits par le marché, là où l'intérêt général peut être présumé ?

Mme Jeanine Jambu - Et avec Bouygues ?

M. Renaud Muselier - Pensez-vous que les quelques dizaines d'heures de concerts diffusées par France 2 en troisième ou quatrième partie de soirée, les quinze à vingt pièces de théâtre de France 3 proposées aux aurores ou la messe dominicale (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) peuvent servir d'avenir et de dessein à ce secteur ?

Pouvez-vous distinguer selon les programmes diffusés une chaîne du secteur privé d'une chaîne du service public ?

En fait, vous caractérisez le service public par ce qu'il n'est pas, à savoir le privé. Et, pour lui "rendre son âme", vous avez décidé de constituer une holding et de diminuer la publicité, sans tenir compte d'ailleurs des remarques du Conseil d'Etat sur le fait que la limitation des écrans publicitaires relève plutôt du domaine réglementaire. Dans la loi de 1986 les modalités de programmation des émissions publicitaires étaient fixées par les cahiers des charges. Autres temps, autres moeurs !

En regroupant toutes les chaînes publiques sous couvert de centraliser les décisions stratégiques, vous allez alourdir la gestion du secteur public de l'audiovisuel, allonger les procédures de décision, provoquer un enchevêtrement des responsabilités au prix d'une dilution des responsabilités entre les dirigeants des entités regroupées et les responsables de la holding. Cette dilution risque d'affaiblir le lien entre acteurs de l'audiovisuel et responsables publics.

Ce système étendra obligatoirement les défauts d'une partie à l'ensemble. Ainsi la convention collective archaïque, rigide et paralysante s'applique désormais aux chaînes qui lui échappaient, le Sept-Arte et la Cinquième. Est-ce le meilleur moyen d'assurer leur compétitivité ? Quant au coût de l'ajustement des salaires de France 3 sur ceux de France 2, il sera de 70 à 80 millions par an.

Supprimer la possibilité pour les producteurs de s'adresser à plusieurs guichets fragilise la création et la production.

La priorité n'était pas de faire revivre un dinosaure mais de restructurer le secteur public. Il y a beaucoup de chaînes publiques, leur gestion est coûteuse, leur audience n'est pas toujours élevée, leurs programmes ne se distinguent pas fondamentalement de ceux de leurs homologues privés, bien qu'ils soient financés sur fonds publics. Mais vous refusez d'affronter la réalité. Dans ce contexte, diminuer le temps de publicité autorisé sur France 2 suffira-t-il à en faire une chaîne profondément différente de ses concurrentes ? Les bonnes intentions ne suffisent pas, la démagogie ne prépare pas l'avenir.

Vous affirmez vouloir "libérer" l'audiovisuel public de la "contrainte publicitaire", antinomique selon vous avec la qualité des programmes. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas la faire disparaître entièrement des chaînes publiques comme à la BBC ?

Je ne suis pas adepte de cette solution car la publicité est un réel stimulant qui oblige à conquérir un public et empêche les chaînes de se ghéttoïser.

En outre, je me demande si le fait de réduire le temps accordé à la publicité soustraira les chaînes à la dépendance publicitaire ?

Si l'objectif réel est d'améliorer les programmes, en quoi France 2 ou France 3 se distinguent-elles de Canal Plus et de TF1, qui sont les leaders dans leurs domaines respectifs ?

Comme l'effort financier est supporté par le budget, donc par le contribuable, la vigilance s'impose.

N'est-il pas temps de remettre à plat le système de la redevance, afin de s'assurer que les fonds sont utilisés conformément à leur objet ? Actuellement, les deux tiers des sommes collectées servent à financer le recouvrement de la redevance. Aujourd'hui, le téléspectateur paie deux fois : par la redevance et par la publicité. Désormais, il paiera une troisième fois, comme contribuable. Ce n'est pas ainsi que vous restaurerez le prestige du service public.

En permettant de multiplier le nombre de chaînes sur le même canal, le numérique répond à une forte demande du public. En septembre 1998, les bouquets numériques comptaient 1,5 million d'abonnés. Après Canal Satellite, un deuxième bouquet, TPS, a été lancé en décembre 1996 et comporte des chaînes thématiques. L'arrivée de TPS a changé la donne et dynamisé le marché.

Un amendement voté en commission tend à mettre un terme à l'exclusivité des chaînes publiques sur TPS.

Cependant, au moment où France Télévision a contracté avec TPS, elle y avait intérêt. Si la vision idéologique condamne cette union parce que le service public doit être accessible au plus grand nombre, si la vision juridique conclut que l'exclusivité est contraire au principe de neutralité, la vision réaliste cherche à tenir compte du poids de l'histoire. Il est clair que l'union avec TPS a permis d'adapter le service public aux nouvelles technologies. Faut-il donc revenir sur cet accord ? La rentabilisation de la plate-forme numérique de TPS exige une durée minimale d'exploitation. Y mettre prématurément un terme risque de fragiliser la présence des chaînes thématiques publiques dans le bouquet. Enfin, le respect de la parole donnée et des engagements pris par l'Etat est en cause.

La perte de l'exclusivité avant la date fixée signifierait que France Télévision concurrencerait ses propres investissements et favoriserait ses concurrents directs. Pourquoi les sociétés publiques devraient-elles moins bien défendre leurs intérêts que les sociétés privées ?

Si la Commission européenne a jugé qu'une durée d'exclusivité de dix ans était excessive, elle a conclu, en tenant compte de tous les éléments en sa possession, que trois ans constituaient la durée minimale pendant laquelle l'exclusivité des quatre chaînes généralistes est indispensable pour TPS. Je m'inquiète donc de cette remise en cause d'un engagement contractuel de l'Etat.

"Le Gouvernement est en retard par rapport aux enjeux de la communication de demain", déclarait M. Guyard, défendant le 18 mars 1997 l'exception d'irrecevabilité sur le projet relatif à la liberté de communication. Ces propos s'appliquent tout à fait à votre texte.

En effet, les technologies de l'information et de la communication se métamorphosent, tous les signaux émis dans ce secteur pouvant être convertis sous une norme numérique. Cette évolution permet la constitution d'une méga-industrie de la communication, proposée au plus grand nombre au moindre coût. Qui aurait pensé il y a quelques années que ce portable de moins de 600 grammes possèderait les fonctions de téléphone, de fax, d'annuaire, d'Internet...

M. le Président de la commission - On s'en doutait depuis une vingtaine d'années !

M. Renaud Muselier - Alors, pourquoi ne pas en avoir tenu compte dans le projet ?

Le développement de la société de l'information est devenu la préoccupation de nombreux Etats. Selon un rapport sur la politique québécoise de l'autoroute de l'information, un mouvement irréversible est lancé. La société de l'information et l'économie du savoir ne sont pas des constructions de l'esprit. C'est dans cette nouvelle économie que se concentreront la majorité des investissements productifs et des emplois.

On le voit, votre projet est en retard par rapport aux enjeux de la communication de demain. Tous les grands pays industrialisés ont défini le cadre de l'arrivée de la télévision numérique terrestre. Les Etats-Unis l'ont fait en avril 1997. La Grande-Bretagne et la Suède, qui sont les pays les plus avancés...

M. Yves Cochet, rapporteur pour avis - Avec la Bretagne !

M. Renaud Muselier - ...se sont engagées dans la numérisation sur la base de 6 multiplex couvrant la majeure partie de leur territoire. Au Royaume-Uni, les autorisations d'installation de chaînes numériques ont été précisées en juin 1997, et la télévision numérique terrestre a été lancée le 15 novembre 1998. Parmi les 30 chaînes proposées, 15 sont nouvelles. En Suède, l'offre numérique autorisée depuis le 25 juillet 1998 comporte huit canaux sur deux multiplex. En Allemagne, le coup d'envoi a été donné le 24 août 1998, et en Espagne le décret a paru le 9 octobre dernier.

Pourquoi, alors, votre projet ne contient-il aucune disposition relative au développement de la télévision numérique hertzienne terrestre ? Vous disposiez pourtant du rapport Cottet-Eymery, et les avis du conseil d'Etat et du CSA auraient été précieux.

Mercredi dernier, en conseil des ministres, à l'occasion de votre communication sur la télévision numérique hertzienne terrestre, vous vous êtes contentée d'annoncer une vaste concertation avec les professionnels et le grand public sur les principes d'utilisation de cette technologie et le calendrier de son développement.

J'apprends que M. Mathus compte déposer un amendement sur le sujet. C'est une nouvelle preuve de l'insuffisance de ce texte, qui ne contente guère d'ailleurs vos amis socialistes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Cette nouvelle technologie permettrait pourtant de multiplier l'offre de programmes diffusés sur les canaux traditionnels. Il y a là un défi considérable à relever, mais face au nouveau monde de la communication, vous avez choisi de ne pas choisir !

Un autre secteur se développe de façon exponentielle : Internet. On dénombre aujourd'hui plus de cinquante millions d'utilisateurs du Web dans le monde. Or le mariage d'Internet et de la télévision commence à se préciser.

La télévision, telle qu'on la connaît aujourd'hui, privilégie un mode pyramidal de diffusion de l'information, alors qu'Internet permet de naviguer dans le réseau en surfant de lien en lien et de site en site. Grâce à la fusion avec Internet, la télévision aura donc la possibilité de naviguer sur le Web. Il sera par exemple possible de cliquer sur une image animée et d'approfondir la recherche à partir de cette image. Dans un tel contexte, la télévision trouvera de nouvelles applications. L'usager pourra sélectionner les domaines qui l'intéressent et exploiter des réseaux multimédias interactifs. Il y aura à terme une fusion des écrans de télévision et des écrans d'ordinateurs. Des nouveaux terminaux capteurs auront la télévision, Internet et assureront aussi les fonctions de téléphonie habituelle.

Comment se fait-il, Madame le ministre, que votre projet de loi n'aborde pas la question d'Internet ? Comment y faire respecter les principes du droit français tout en prenant en compte les particularités de son fonctionnement ? Qui sera en France le régulateur d'Internet ? Ce sont là des enjeux majeurs mais une fois de plus, vous avez choisi de ne pas choisir !

Alors que le câble symbolise cette possibilité de mariage de la télévision et d'Internet, il est encore aujourd'hui tétanisé par l'invraisemblable dispositif juridique et institutionnel datant de 1982. De ce fait, France Télécom vend ses réseaux aux opérateurs américains et investit dans le câble à l'étranger. Comment se fait-il que vous délaissiez cette technologie qui est l'un des emblèmes de notre savoir-faire à l'étranger ?

Comment se fait-il que votre projet de loi ne contienne pas de réflexion sur l'évolution nécessaire de la réglementation française -quotas de production, de diffusion- à l'heure où se multiplient les offres de programmes audiovisuels sur des supports qui échappent à cette réglementation ?

Pourquoi fait-il l'impasse sur les télévision locales alors que celles-ci pourraient constituer un outil d'intégration sociale ?

La modernisation de la législation des réseaux câblés, la fixation d'un cadre juridique pérenne pour le "digital Audio Broadcast", le développement des télévisions locales, autant de sujets passés sous silence par un projet qui manque singulièrement de vision d'avenir.

Mais surtout, malgré le premier toilettage imposé par le Conseil d'Etat, votre projet de loi porte atteinte à la liberté d'expression.

Compte tenu du vecteur d'influence que constitue aujourd'hui la télévision, il est fondamental que les messages que celle-ci diffuse soient libres de toute pression éditoriale et qu'ils permettent l'expression de tous les courants d'opinion, sans discrimination. Le législateur l'avait bien compris, puisque la loi sur l'audiovisuel de 1986 rappelait d'emblée ce principe : "la communication audiovisuelle est libre". Le Conseil constitutionnel a précisé par une jurisprudence abondante ce qu'il fallait entendre par "liberté de communication", à savoir préserver les chaînes de télévision, la radio et la presse à la fois de l'emprise du pouvoir politique mais aussi de l'emprise de personnes privées, qui pourraient se servir des médias pour manipuler un public influençable ou le désinformer. Le CSA est le garant au quotidien de cette liberté de communication.

Dans le domaine des libertés publiques, il n'est pas possible de revenir en arrière : si une loi offre des garanties d'indépendance aux médias, la suivante ne saurait en offrir moins.

La suppression de la Haute autorité de l'audiovisuel n'a été acceptée que parce que lui succédait une CNCL dotée de compétences importantes.

Or, le projet élaboré par le Gouvernement fait reculer la liberté de communication. En effet, alors que depuis dix-sept ans, les présidents de chaînes, qui se succèdent comme les pales d'un ventilateur, sont désignés par une autorité indépendante, le Gouvernement voulait que la nouvelle holding regroupant toutes les chaînes de télévision publique soit dirigée par un conseil de surveillance dans lequel les représentants de l'Etat auraient la majorité. Et ce conseil de surveillance aurait ensuite désigné les directeurs des différentes chaînes. Une manière habile pour le Gouvernement de prendre le contrôle de l'ensemble des programmes du secteur public !

Le CSA ne s'y est d'ailleurs pas trompé et a vivement critiqué cette amputation de son pouvoir de nomination, qui risquait de compromettre "l'indépendance de la télévision publique".

Quant aux sages du Conseil d'Etat, ils ont relevé qu'en même temps que le Gouvernement s'arrogeait le pouvoir de nommer les dirigeants des chaînes publiques, il portait de 3 à 5 ans la durée de leur mandat. Coïncidence ? Visée présidentielle ? S'interrogeant expressément sur les intentions du Gouvernement, le Conseil a jugé que le projet portait atteinte à la fois "à l'indépendance des sociétés de programme, à la liberté de communication et au pluralisme des courants". C'est à ma connaissance la première fois qu'un gouvernement se fait aussi sévèrement reprendre ! A Matignon, on évoque une maladresse juridique. Mais personne n'est dupe. L'Etat de droit, vu par M. Jospin, est à multiples facettes... De peur de voir son projet censuré pour inconstitutionnalité, le Gouvernement l'a in extremis amendé, mais malgré ces retouches de dernière minute, le projet de loi demeure inconstitutionnel.

En réduisant la durée autorisée de publicité, il compromet en effet gravement l'équilibre financier des chaînes publiques. Il est certes question d'une compensation financière de l'Etat, mais ces dernières années ont prouvé la fragilité des crédits budgétaires, qui peuvent être supprimés en cours d'exercice, au gré de la conjoncture ou des humeurs du Gouvernement. La survie financière des chaînes publiques dépendra-t-elle, chaque année, de la bienveillance de l'Etat à leur égard ?

Non seulement le Gouvernement voulait par ce projet obtenir la mainmise sur les nominations des dirigeants des chaînes publiques mais il veut maintenant s'assurer de leur docilité en leur retirant toute possibilité de s'autofinancer par des recettes publicitaires !

Le devoir de l'opposition est de veiller au respect scrupuleux des libertés publiques et de ne laisser personne modeler à sa guise le paysage audiovisuel français. C'est pourquoi je vous appelle à adopter cette motion d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme la Ministre - Il n'y a rien dans ce texte qui justifie une exception d'irrecevabilité et M. Muselier le sait bien.

S'agissant des relations entre le secteur public et le service public, je voudrais préciser les choses. La théorie du droit public se fonde usuellement sur une combinaison entre une approche fonctionnelle -liée aux missions- et une autre que l'on peut qualifier d'organique. L'audiovisuel public n'échappe pas à cette règle, mais la critique que vous avez formulée, Monsieur Muselier, est particulièrement mal venue, car c'est bien la loi de 1986, votée par la droite, qui a fait prévaloir une définition limitée à la notion de secteur public.

Notre réforme réintroduit la conception fonctionnelle du service public de l'audiovisuel en inscrivant dans la loi les missions de service public de ce secteur, conformément aux dispositions du traité d'Amsterdam. Ainsi est consolidé le premier pilier d'une politique qui entend harmoniser missions et moyens.

Voilà qui me conduit à évoquer l'identité financière de l'audiovisuel public. Pourquoi avoir inscrit dans la loi le principe de la diminution des plages de publicité ? Parce que c'était le seul moyen de rendre à la télévision de service public l'âme que vous lui avez fait perdre. Et si M. Léotard a pu parler "d'arbre mort", je considère pour ma part que vous avez une prédilection pour les étoiles filantes.

Le service public de l'audiovisuel n'a pas à pratiquer la course à l'audience. Il était donc essentiel que les conditions de son financement soient soumises au vote de la représentation nationale. Et si ce financement était si simple à assurer, que ne l'avez-vous fait, vous qui avez réduit de 750 millions les moyens des chaînes de télévision publique, multipliant par là les contentieux ?

Pour ce qui est de TPS, je constate que vos arguments étaient d'opportunité économique et non d'ordre juridique. La Commission de Bruxelles a, elle, fondé son texte sur le droit de la concurrence, et la décision, de portée temporaire, qu'elle a prise, ne constitue en rien une obligation de concéder une exclusivité. C'est dire que le droit de l'Etat à remettre cette clause en question pour France 2 et France 3 s'il l'estime nécessaire n'est pas limité par les dispositions de la directive communautaire.

Vous avez d'autre part fait mention d'une prétendue atteinte à la liberté d'expression et de communication. Je pense, pour ma part, que le projet renforce le service public de l'audiovisuel, et donc la liberté d'expression. Ce qui m'importait avant tout était de constituer un groupe fort ; c'est dire que sa forme juridique m'importait finalement assez peu. Je me réjouis que le Conseil d'Etat ait expressément approuvé la meilleure cohérence de la chaîne publique que le projet garantit. Je souligne enfin que, de par les dispositions prévues, France Télévision échappera désormais aux aléas budgétaires.

Il faudra donc qu'un autre gouvernement défasse, s'il le souhaite, ce que ce gouvernement aura fait (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et quelques du groupe communiste).

Mme la Présidente - Nous en arrivons aux explications de vote.

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Jean-Marie Le Guen - L'exception d'irrecevabilité que vous avez présentée vous servait, à l'évidence, de prétexte pour justifier ce qui va être votre position au cours de la discussion générale.

Mais pourquoi, au cours de cet exposé laborieux, avoir insisté comme vous avez jugé utile de le faire sur la liberté d'expression ? Imaginez-vous que les Français ignorent à quel point votre parti s'est illustré, tout au long du développement de ce média, par sa volonté de faire de la télévision son instrument de pouvoir ? Qui ne se souvient de M. Peyreffite intervenant directement, à l'époque de l'ORTF ? Qui ne se rappelle dans quelles conditions scandaleuses la première chaîne a été privatisée, scandale si grand que la CNCL n'y a pas survécu ? Au cours des dernières années encore, alors que l'on pensait que la création du CSA rendrait les interventions plus difficiles, qui est intervenu, une nouvelle foi, pour des raisons économiques, certes, mais aussi politiques ? M. Juppé ne s'en est pas caché : s'il a privé France 2 et France 3 de plusieurs centaines de millions de francs, c'est bien parce que les deux chaînes publiques avaient choisi de présenter des images prises dans une certaine église qui ne lui avaient pas convenu ! Vous étiez donc particulièrement malvenu d'enfourcher ce cheval de bataille !

Je comprends, toutefois, ce qui a motivé le dépôt de cette motion : c'est que vous ne souhaitez pas que l'on débatte d'un texte qui, par les réponses politiques qu'il apporte à des problèmes complexes, va compliquer la mise en application de vos penchants pour la déréglementation du service public de l'audiovisuel.

Cela vous gêne qu'une loi propose une structure nouvelle assise sur des moyens nouveaux. Cela vous gêne qu'une régulation du secteur privé de l'audiovisuel puisse être envisagée sans que les intéressés protestent, et que soit ainsi renforcée l'identité audiovisuelle française et, donc, l'identité culturelle nationale. Cela vous gêne, car vos conceptions ultra-libérales vous conduisent à nier systématiquement l'exception culturelle française, et à vouloir détruire le service public.

Vous voulez aussi empêcher que l'Assemblée ne discute ce texte parce qu'il est constructif et que son examen vous obligera à dévoiler vos incohérences : entre vous, vous n'êtes d'accord sur rien ! Il vous faudra bien dire si vous voulez privatiser France 2 et supprimer les chaînes gratuites, si vous voulez davantage de publicité ou si vous voulez un service public de l'audiovisuel à l'identité renforcée... Il vous faudra bien dire quel équilibre vous souhaitez instituer ; mais la seule chose que vous voulez vraiment, c'est, par dogmatisme, déstabiliser le service public (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

M. Christian Kert - Je crains qu'en élevant ainsi son taux d'adrénaline, M. Le Guen ne soit empêché de suivre le débat jusqu'à son terme ! Je constate qu'on réveille d'anciens fantômes, ceux-là même que M. Muselier a souhaité voir disparaître à jamais. Il a, dans cet objectif, présenté un exposé de très grande qualité. Parce que sa vision économique de la question est excellente, parce que les raisons juridiques et financières qu'il a avancées sont exactes, le groupe UDF votera l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Michel Herbillon - Mon explication de vote se fera sur un mode moins incantatoire que celle de M. Le Guen, qui a sans doute été gêné par la pertinence des arguments décisifs formulés par M. Muselier, que le groupe Démocratie libérale fait siens, considérant, comme lui, que liberté d'expression et liberté de communication sont en jeu. Le groupe votera l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. François Baroin - J'entendais M. Le Guen nous expliquer que, du temps de l'ORTF, la liberté était muselée, et je m'étonnais de constater qu'il semblait avoir oublié qu'avec ce texte, le Gouvernement recrée l'ORTF... C'est dire si l'exception d'irrecevabilité présentée par M. Muselier est justifiée.

Renaud Muselier a rappelé vos cruels errements, Madame Trautmann et ceux de vos amis qui ne vous ont pas beaucoup aidée. Il a rappelé avec bonheur la différence entre secteur public et service public, le problème de l'intégration dans la convention collective, celui de la publicité -vous auriez pu intervenir par voie réglementaire- et celui de TPS. Vous qui considérez que les pouvoirs publics doivent jouer un rôle de tutelle accru sur l'audiovisuel, vous n'avez pas été capable de rapprocher les deux bouquets de satellites. Il a rappelé l'absence cruelle de dispositions sur le numérique hertzien.

Pour ces raisons de fond et parce que vous avez mis en cause l'instance de régulation pour des arrière-pensées clientélistes et électoralistes, que vous avez voulu contourner la loi et que le Conseil d'Etat vous a forcée à reculer, le groupe RPR votera l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Christian Cuvilliez - L'expérience prouve qu'on présente une exception d'irrecevabilité et une question préalable sur tout projet, quel qu'il soit, pour affirmer une volonté politique.

Nous aurons l'occasion de nous expliquer au cours du débat. D'un mot, pour vous, la télévision est une marchandise, pour nous c'est un service. Aussi voterons-nous contre l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Noël Mamère - N'en déplaise à nos collègues de droite, pour lesquels j'ai le plus profond respect, mon sentiment est qu'il ont dressé le bilan de tout ce qu'ils n'avaient pas fait.

Depuis des décennies il n'y a pas eu de grande réforme assurant l'équilibre entre audiovisuel public et privé. M. Giscard d'Estaing a cassé l'ORTF sur la pression de l'UDR mais s'est contenté de la diviser en sept sociétés sans oser introduire de chaîne privée. Nous sommes restés dans le carcan du contrôle politique, contrairement à la Grande-Bretagne. C'est la gauche qui, en 1981 a créé une instance de régulation. Ce projet ne la réforme pas vraiment. Mais il apporte au service public l'oxygène nécessaire pour ne pas écrire la chronique de la privatisation annoncée de France 2.

Ce dont nous souffrons, par rapport à la Grande-Bretagne à l'Allemagne, c'est du sous-financement du service public. Le mérite du Gouvernement est d'en avoir pris conscience. C'est la BBC, chaîne sans publicité et réellement financée par les citoyens, qui a produit la vraie Yougoslavie, suicide d'une nation que nous avons achetée pour éclairer les Français. Je souhaite que le service public ait les moyens de produire de telles émissions. Il a déjà les compétences et le talent. Aujourd'hui, c'est le secteur privé qui dispose des moyens. Il faut un rééquilibrage. Nous n'en sommes pas là. Mais après avoir entendu les arguments superficiels de M. Muselier, nous ne voterons pas cette exception d'irrecevabilité. Dans la discussion des amendements, les députés de la majorité plurielle auront l'occasion d'ajouter quelques pierres à l'édifice en construction (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe DL une question préalable déposée en application de l'article 91 alinéa 4 du Règlement.

M. Laurent Dominati - Une loi sur l'audiovisuel est évidemment nécessaire et nous l'avons souvent demandée. A votre arrivée, un projet était quasiment voté. Vous l'avez mis au placard, ce placard si souvent utilisé dans l'audiovisuel public.

Nous avons besoin d'une loi de modernisation pour passer dans un univers nouveau, celui de la société de l'information. La télévision en est un outil privilégié, elle est une chance pour la liberté de communication.

Celle-ci est née avec la presse. Au départ, les journaux étaient sous l'influence du pouvoir. Puis est venu, Monsieur Cochet, le règne des "marchands" et les journaux sont devenus des "produits" et s'est alors ouverte une formidable ère de liberté de la communication (Rires sur les bancs du groupe communiste). Les communistes ne sont pas d'accord, mais je ne compte pas sur eux pour défendre la liberté de communication !

En tout cas, ce sont les lois libérales qui ont fait passer les gazettes du contrôle de l'Etat à celui du public qui consomme -quel mot horrible !- l'information.

De même la télévision passe-t-elle du monopole d'Etat à la diversité, de la pénurie de fréquences à l'abondance.

Pour poursuivre l'analogie avec la presse ou le livre, où est le journal d'Etat, la maison d'édition d'Etat ? La télévision doit aussi se libérer d'une relation avec l'Etat pour être mieux en relation avec la société. Il faudrait sortir de la préhistoire de la télévision. On ne le fera pas avec ce projet de retour à l'ORTF...

Ce que je reproche le plus à ce texte ce n'est pas les petites astuces concernant le CSA que vous ne renforcez pas plus que vous ne renforcez l'audiovisuel, qui dépendra plus encore du ministère des finances. C'est de ne pas faire passer la télévision de l'ère réglementaire -700 textes encadrent l'audiovisuel !- à l'ère conventionnelle par le biais d'un renforcement considérable des pouvoirs de la Haute autorité.

Un vrai projet aurait garanti les libertés d'accès à l'information et à la communication, d'installation et de concurrence, qui est la meilleure garantie du pluralisme. Personne ne se plaint d'une partialité des radios privées et ne demande de texte réglementaire à leur propos. C'est qu'elles sont en concurrence et que le consommateur choisit.

Votre projet est en fait empreint de conservatisme (Rires sur les bancs du groupe socialiste). Vous avez rejeté le projet en cours, vous êtes arrivée le couteau entre les dents...

Mme Jeanine Jambu - Non, le couteau entre les dents, c'est nous ! (Rires sur les bancs du groupe communiste)

M. Laurent Dominati - On allait voir ce qui allait arriver aux groupes privés, Bouygues, la Générale et les autres. Et finalement vous avez rangé votre drapeau dans votre poche.

Mme la Ministre - Pas du tout.

M. Laurent Dominati - Nous en reparlerons. On verra le mal que vous allez faire à M. Bouygues qui déchaînait vos fureurs quand vous étiez dans l'opposition. D'ailleurs, ces groupes privés se plaignent-ils ? Non. Votre premier projet a été écarté. Mais la majorité est disciplinée. Le Premier ministre a fait taire les critiques et des cordes on fait des fleurs. Ainsi vous nous présentez le même projet qu'il y a six mois, à une petite différence près : cet amendement Chamberlain, ou Daladier, qui garantirait le financement de l'audiovisuel public ; mais ce qu'une loi a fait, une autre loi peut le défaire ! La loi de finances offrira annuellement au Gouvernement l'occasion de fixer le montant du remboursement des exonérations -qui d'ailleurs, cette année, pour la première fois, est égal à 0 ! En sorte que vous pourrez vous enorgueillir de passer de 0 à 1,4 milliard...

Le problème vient de ce que vous ne voulez pas sortir d'une relation de pouvoir avec la télévision : vous tenez d'une main la télévision publique, et de l'autre la télévision privée -puisque vous gardez le pouvoir réglementaire. Il aurait fallu rompre avec cette logique, donner leurs chances aux acteurs de la télévision, en pariant sur le formidable bouleversement qui s'opère.

Vous affirmez vouloir "créer pour le secteur privé un cadre de régulation simple et efficace". C'est, en effet, ce qu'il faudrait faire ! Mais cela implique de transférer au CSA ce qui relève de l'autorité gouvernementale, et notamment le pouvoir de conventionnement des chaînes. Passer de l'ère réglementaire à l'ère contractuelle : voilà ce qui aurait dû être votre ambition. Aujourd'hui, il faut jongler avec les règles administratives, calculer des nombre d'heures, savoir si tel film est américain, anglo-américain ou franco-australien... Mettons fin à ce système, qui conduit à l'uniformisation des chaînes.

On avance l'argument de la protection de la culture française, de "l'exception culturelle". Ainsi, pour protéger le cinéma, on ne programme pas de film le vendredi soir et le samedi soir ; mais quelqu'un croit-il encore que les gens vont au cinéma le vendredi et le samedi parce qu'il n'y a pas de film sur les chaînes hertziennes -alors qu'il existe Canal Plus et les chaînes thématiques ? L'exception culturelle ne se défend pas par des barrières réglementaires, mais par le développement du secteur.

Il convient également de renforcer le pouvoir de sanction du CSA ; j'ai proposé à ce sujet l'amendement "écran noir", qui lui donne la possibilité de couper les émissions de télévision.

En ce qui concerne le pouvoir du public, un amendement tend à instituer un conseil des citoyens. Il y a des millions de téléspectateurs chaque soir, et vous allez en choisir 40... Faites plutôt confiance à Médiamétrie ! Vous aurez la démocratie cathodique... Pour ma part, je déposerai un amendement pour donner aux téléspectateurs un droit de pétition.

Vous prétendez vouloir assurer un équilibre entre le secteur public et le secteur privé ; mais quand vous êtes devant la télévision, savez-vous vraiment les différencier ? Pour ma part, je vois des émissions ou des films, et peu m'importe s'ils ont été payés par la redevance ou par la publicité. De quoi l'équilibre entre le public et le privé serait-il la garantie ?

La véritable question porte sur la légitimité du secteur public. Pourquoi payer la redevance si l'on voit sur les chaînes publiques les mêmes programmes que sur les chaînes privées ? La légitimité du service public se fonde sur des missions de service public -qui ne sont pas celles qui sont énoncées à l'article premier, Madame le ministre, car TF1 y répond parfaitement !

Le service public est, d'abord, légitime lorsqu'il évite le monopole de fait d'une chaîne privée. Lorsque les chaînes privées ont la possibilité de se multiplier, il faut chercher ailleurs la légitimité du secteur public : il s'agit alors, comme l'a dit le président de la commission de faire des émissions différentes, ou de faire le même type d'émissions, mais de façon différente.

La BBC a fait entre 1990 et 1992 une immense enquête sur sa légitimité. Elle s'est trouvée justifiée par quatre raisons. La première : une information pluraliste et impartiale ; dois-je vous dire que notre télévision publique n'en donne pas toujours le meilleur exemple ?

Mme la Ministre - Indépendance de l'information !

M. Laurent Dominati - Quand elle vous arrange... Moi, je suis pour une indépendance totale.

M. Arnaud Montebourg - L'indépendance de Bouygues ! Quelle honte !

M. Laurent Dominati - A France 3 comme à France 2, les rédactions sont autogérées par les syndicats. La honte, elle est là ! Il serait intéressant de savoir comment se font les engagements de pigistes dans les stations régionales de France 3...

Mme Frédérique Bredin - Vous mettez en cause l'indépendance du service public !

M. Laurent Dominati - J'use de mes prérogatives de représentant de la nation. La commission de Bruxelles que certains intervenants ont accusée d'ultralibéralisme, vous demande, Madame le ministre, s'agissant du financement des chaînes publiques, de faire la distinction entre les missions de service public et le reste, afin d'éviter les distorsions de concurrence.

La légitimité du service public passe par sa restructuration.

Mme Frédérique Bredin - C'est mieux que la vente par appartenance !

M. Laurent Dominati - Vous, vous aviez le projet de faire entrer France Télécom dans le capital de France 2 ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Comment utiliser les 20 milliards pour avoir de véritables émissions de service public ? Sans doute pas en continuant à financer autant de chaînes. Regrouper France Télévision est donc plutôt une bonne idée, mais pas avec un système de conseil d'administration qui obligera le président à participer à 200 réunions statutaires par an.

La question du périmètre de l'audiovisuel doit aujourd'hui être posée. On ne peut continuer à voir aussi peu de différence entre France 2 et TF1. C'est pourquoi j'ai proposé la privatisation de France 2.

Cela vous choque sans doute, mais après avoir condamné la privatisation de TF1, vous vous êtes bien gardés de la renationaliser... Alors, assez de cinéma !

France 2 perd son identité, se confond avec TF1, achète des films américains -belle défense de l'exception culturelle ! Faisons donc de cette télévision d'Etat une télévision de citoyens. Non pas en la vendant à tel ou tel groupe mais en la donnant à ceux qui la regardent, aux contribuables qui la financent. Je propose donc une augmentation de capital, une distribution gratuite sur cinq ans de 40 % du capital à tous ceux qui acquittent la redevance, le reste allant au personnel -10 %-, au privé -30 %- l'Etat conservant 20 %. On verrait au bout de cette période, en fonction de l'évolution du paysage audiovisuel et du marché publicitaire s'il faut aller plus loin dans la privatisation.

Loin de vous priver de moyens pour l'audiovisuel public, cette solution vous permettrait de les concentrer sur un secteur public recentré sur ses missions de télévision éducative, culturelle et de proximité.

J'en viens aux programmes. Dimanche dernier, sur France 2, un film américain, sur France 3, un téléfilm britannique suivi d'un film américain, par ailleurs excellent. Est-ce ainsi que l'on défend l'exception culturelle ? Interdisez donc les films américains sur l'audiovisuel public, je vous suivrai ! Quant aux films diffusés hier sur France 3, dont Cobra et Chicago blues, méritent-ils le lyrisme dont la commission a fait preuve à propos du document sur l'orchestre de Birkenau ? Il faut recentrer les moyens de l'Etat sur des chaînes liées à la production française au lieu de laisser France Télévision entrer en concurrence avec TF1 et M6 pour l'achat de films américains ("Très bien !" sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Je n'insiste pas sur les émissions politiques : M. Strauss-Kahn sur une chaîne, M. Loncle sur une autre, le Gouvernement peut être content...

Rien n'interdit que des missions de service public soient remplies par les chaînes privées, on peut même le préciser dans leurs conventions avec le CSA. Il y a bien une chaîne culturelle qui n'est pas publique, ainsi qu'une chaîne de l'emploi, faite par Canal Plus à un coût bien moindre que l'éphémère chaîne publique que nous avions créée naguère.

Cette loi devrait d'abord viser à renforcer l'industrie de programmes. Or elle ne comporte rien à ce propos. Quel que soit leur succès, les sociétés de production ne sont pas maîtresses de leurs produits. Hamster, récemment rachetée, ne vaut que ce que vaut l'acteur principal de Navarro. Que vaut la lutte que vous prétendez mener contre l'hégémonisme américain quand n'importe quelle société américaine peut racheter demain les trois principales sociétés de production françaises ?

Il faut renforcer la production, le fonds, les capitaux propres de ces sociétés. C'est pourquoi j'ai proposé que l'on distingue de façon radicale l'achat des droits de diffusion de celui des droits de production et que l'on permette aux diffuseurs d'investir davantage dans les sociétés de production.

Il faut ouvrir les marchés, notamment celui du numérique terrestre et je me félicite à ce propos que vous assouplissiez la réglementation du câble. Est-ce par tradition étatique que l'on refuse de mettre fin au monopole historique de TDF, aujourd'hui filiale de France Télécom, qui a elle-même 30 % de capitaux privés ? Il convient aussi d'ouvrir le marché des télévisions locales et d'autoriser la distribution à y faire de la publicité. Faute d'aborder ces sujets, vous n'entretiendrez jamais de relations de confiance avec les investisseurs. Or il faut leur faire confiance, comme aux chaînes privées et au marché, car ils sont, grâce à la concurrence, les garants de l'innovation. C'est la concurrence qui permet l'existence de programmes différents, d'informations équilibrées. Si Canal Plus a réussi à mettre en oeuvre le multiplex Canal bleu, Canal jaune, Canal vert, c'est uniquement parce qu'il n'existait aucun texte pour l'en empêcher.

Le débat n'est plus entre public et privé. Il faut aujourd'hui renforcer le secteur public en le recentrant sur ses missions, en concentrant ses moyens, tout en laissant une très grande liberté au secteur privé. C'est ce que vous auriez dû faire, en abandonnant votre pouvoir ministériel au CSA, en faisant confiance aux industries de programme. C'est ce que vous ne faites pas car vous vous rangez du côté des conservatismes et des craintes.

Après ce qu'avaient dit vos amis, après être entrée dans une logique de confrontation avec les grands groupes de communication, vous avez eu raison de renoncer. Par cette question préalable, je vous invite à renoncer une fois de plus, afin que nous puissions travailler ensemble (Rires sur les bancs du groupe socialiste) pour parvenir à tout ce que votre loi n'est pas : un texte loyal, sincère, bâtissant la télévision du XXIème siècle (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 30.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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