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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 95ème jour de séance, 242ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 18 MAI 1999

PRÉSIDENCE DE M. Raymond FORNI

vice-président

          SOMMAIRE :

LIBERTÉ DE COMMUNICATION (suite) 1

    QUESTION PRÉALABLE (suite) 1

La séance est ouverte à vingt et une heures.


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DÉPÔT D'UNE MOTION DE CENSURE

M. le Président - Conformément à l'article 153 du Règlement, j'informe l'Assemblée que M. le Président a reçu le 18 mai 1999 à 20 heures 30 une motion de censure déposée par MM. Philippe Douste-Blazy, Jean-Louis Debré, José Rossi et 83 membres de l'Assemblée en application de l'article 49, alinéa 2, de la Constitution.

La motion de censure a été notifiée au Gouvernement et affichée.

La Conférence des présidents a fixé au mardi 25 mai 1999, après les questions au Gouvernement, la date de la discussion de cette motion de censure.


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LIBERTÉ DE COMMUNICATION (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi modifiant la loi n86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Cet après-midi, l'Assemblée a interrompu ses travaux après la présentation de la question préalable de M. José Rossi.

QUESTION PRÉALABLE (suite)

Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication - Je commencerai par citer M. Dominati.

Plusieurs députés socialistes - Il n'est pas là !

Mme la Ministre - Selon lui, le public n'aurait de légitimité que tant que le privé ne peut pas tout couvrir. Il a aussi évoqué longuement la liberté de communication mais en refusant que les recettes publicitaires, et donc la pression commerciale exercée sur le service public, puissent être limitées. Enfin, il nous a dit présenter un contre-projet, une sorte de privatisation populaire. Il réserve 20 % à l'Etat dans l'actionnariat des chaînes publiques, 10 % au personnel et 70 % aux Français. Et il se donne cinq ans pour voir s'il est nécessaire de privatiser ! Il est bien évident que cette ouverture de capital est une véritable privatisation, bien loin d'un modèle d'équilibre où des chaînes publiques dynamiques font contrepoids aux chaînes privées. C'est pourtant à l'unanimité qu'a été voté le protocole d'Amsterdam, qui affirme la souveraineté des Etats pour organiser et financer le service public audiovisuel.

M. Dominati nous a accusés de nous en prendre à l'indépendance de l'information, sujet qu'il n'a guère abordé à propos de son système de chaînes privées. Notre projet de loi garantit précisément l'indépendance des chaînes vis-à-vis des intérêts économiques de leurs actionnaires (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. le Président - Votre réponse sera transmise à M. Dominati, dont il est encore plus regrettable qu'il ne soit pas là pour écouter ses collègues de l'opposition...

M. Didier Mathus, rapporteur de la commission des affaires culturelles - M. Dominati a illustré un dynamisme libéral dont l'archaïsme rappelait les congrès du parti conservateur anglais au début des années 1980. Il nous a appelés à communier avec lui dans la religion du marché. Pour aller au bout de sa cohérence, il devrait recommander la dissolution de l'Assemblée nationale et son remplacement par un conseil d'administration (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Michel Françaix - Dès qu'il s'agit de communication, et donc de liberté d'expression et de culture, l'opposition est mal à l'aise. En effet toutes les grandes avancées des vingt dernières années ont été accomplies par la gauche : l'ouverture à la concurrence, la création d'une institution indépendante qui protège de la mainmise du pouvoir, l'invention du principe de l'exception culturelle, qui a été retenu par toute l'Europe, le système de financement du cinéma français, tout cela c'est la gauche.

M. Michel Herbillon - Et Berlusconi ?

M. Michel Françaix - Voilà pourquoi la droite, ne pouvant s'exprimer sur le terrain des faits, se réfugie sur le terrain idéologique.

Haro sur le service public ! Depuis que vous avez privatisé TF1 et déséquilibré notre paysage audiovisuel, vous rêvez de finir le travail !

Vous dites que le numérique est votre priorité, vous qui, entre 1993 et 1997, n'avez rien fait, même pas donné un cadre législatif au satellite. Permettez-moi de sourire devant ce ralliement tardif ! La seule chose que vous avez essayé de rendre virtuelle, c'est le service public !

Depuis que M. Léotard a tordu le cou à la Haute autorité qui, pour la première fois en France, se dressait entre le pouvoir politique et les médias, vous rêvez de retrouver les mains libres ; et depuis que vous avez privatisé TF1, vous rêvez de revenir au bon vieux temps du monopole, qui serait cette fois celui de la télévision commerciale.

Vous ne reconnaissez à la télévision qu'un seul maître, l'argent, et qu'une fonction, le profit.

Mais j'affirme que la télévision, surtout publique, ce doit être autre chose. C'est chaque jour plus de trois heures en moyenne de la vie de nos concitoyens ; c'est la principale source d'informations, la fenêtre ouverte sur le monde. C'est le creuset des sensibilités, de la dimension citoyenne de notre société, en même temps que l'un de ses plus sûrs fédérateurs. Faire découvrir à un jeune la poésie de Racine, la magie de Mozart ou l'émotion de Comencini, me semble plus utile à la communauté des citoyens libres de ce pays que de déverser du feuilleton américain au kilomètre, comme souvent les télévisions commerciales le font déjà. C'est du reste leur droit et leur affaire. La nôtre, en tant que représentants du peuple, c'est de défendre la liberté d'accès des Français à une télévision affranchie des considérations mercantiles.

Décidément, vous n'avez pas de chance avec la gauche. Vos grands anciens voulaient faire de l'audiovisuel la voix de la France, c'est-à-dire leur voix : nous l'avons libéré. Vous voulez aujourd'hui brider la télévision publique, ou plutôt la brader ; nous la remettons en ordre de marche. Voilà pourquoi le groupe socialiste rejettera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Renaud Muselier - Je trouve que Laurent Dominati a été très prudent... Il a rappelé que ce projet, présenté, retiré, présenté à nouveau, a été critiqué par nombre de professionnels, par le CSA, le Conseil d'Etat et la Commission européenne. Il a mis en lumière l'ensemble de bricolages dont se compose votre dispositif, qui manque de fond, d'ambition, de souffle. M. Françaix défend le service public : qu'il aille au bout de sa logique. Si France 2 et France 3 ne doivent pas diffuser de feuilletons américains, qu'elles n'en achètent plus ! Qu'elles fassent leurs propres programmes, et qu'elles en trouvent les moyens. Mais vous ne pouvez que bricoler le système. De la sorte, avec de pieuses intentions, vous allez tuer le service public et aboutir à l'inverse de ce que vous jugez souhaitable. Vous refabriquez un ORTF, un carcan administratif rigide, incompatible avec l'explosion des communications que permettent aujourd'hui les nouvelles technologies. M. Dominati a éclairé ses points avec talent et panache, et nous voterons sa question préalable.

M. Christian Kert - En écoutant M. Françaix défendre le service public, je pensais à Martin Luther King disant "j'ai fait un rêve"... Le rêve de notre collègue, nous pourrions le partager ; mais ce n'est qu'un rêve. Il oublie les erreurs de la gauche, comme l'appel à M. Berlusconi, ou encore les prérogatives accordées à Canal Plus, et que vous auriez assurément condamnées si nous en avions été les auteurs.

Nous approuvons donc, à une réserve près, le propos de M. Dominati, qui critique le service public d'aujourd'hui, mais avec la volonté d'en construire un autre -ce qui est aussi notre volonté, Madame la ministre. La réserve, c'est que nous ne souhaitons pas privatiser France 2 ; nous proposerons d'ouvrir son capital, pour lui donner un peu d'oxygène. Cette réserve faite, le groupe UDF votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Michel Herbillon - Je vous prie d'abord, Madame la ministre, d'excuser l'absence de M. Dominati, retenu par un impératif. Connaissant votre courtoisie, je sais que, contrairement à certains de nos collègues, vous accepterez ces excuses. Et je transmettrai à M. Dominati, qui nous rejoindra tout à l'heure, les compliments comme les critiques qu'aura suscités son propos.

M. Dominati a eu le mérite de poser le problème, loin de le traiter à travers un prisme idéologique. C'est bien plutôt votre cas et M. Françaix en a fourni une démonstration éclatante. Ce débat mérite mieux que des caricatures, et ces perpétuelles accusations d'ultralibéralisme qui permettent de ne pas prendre en compte nos propositions. Celles-ci ne se réduisent pas à la privatisation de France 2, ou à l'ouverture de son capital. M. Dominati a posé avec raison le problème d'une prise en compte réelle de l'attente des téléspectateurs et des citoyens. Les frontières entre public et privé ne sont pas celles que vous dites, et le principal problème est celui du recentrage des moyens de l'Etat, du recentrage du service public sur ses vraies missions. Là-dessus, vous ne nous répondez pas, parce que vous êtes prisonniers de critères politiques et idéologiques -alors que ce qui est en jeu, c'est une vraie diversité et une vraie qualité de la programmation, pour promouvoir une vraie industrie française des programmes.

M. Dominati a défendu une vision moderne de l'audiovisuel, et une démarche de confiance envers les professionnels, les acteurs de la culture et les téléspectateurs. Le groupe DL votera la question préalable.

M. Christian Cuvilliez - M. Dominati est un fin connaisseur des choses de la télévision, mais son principal mérite est de le connaître de l'intérieur, par ses viscères, pourrait-on dire ; mais nous ne pouvons souscrire à cet aspect. Il faut par ailleurs lui reconnaître un vrai talent de dialecticien : il a montré ce que devrait être un vrai service public, tel que nous allons d'ailleurs le proposer dans le débat. Mais c'était par antiphrase, et pour plaider en faveur d'un service privatisé, mis à la disposition du marché. Pour cette seule raison nous voterons contre la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Noël Mamère - Il est amusant d'entendre nos collègues de droite traiter d'idéologues, ceux qui parlent de service public. Comme s'il était théologique de parler de démocratie, de la nécessité d'un audiovisuel qui réponde à la redevance que paient les Français et du droit de ces derniers à une télévision qui ne vise pas en dessous de la ceinture... Comme si le fait de prôner le privé et sa dictature en tous domaines n'était pas une autre forme d'idéologie ! Nous ne pouvons accepter la privatisation de France 2. Mais M. Dominati a eu le mérite de dire clairement ce que beaucoup pensent tout bas dans l'opposition. Celle-ci devra d'autre part surmonter ses désaccords quant à la privatisation de France 2 : certains d'entre vous n'y sont pas favorables, par un reste d'attachement à quelques valeurs démocratiques qui exigent un service public fort.

M. Dominati s'inscrit dans la ligne de M. Léotard, qui, en privatisant TF1 en 1986, a fait ce que même Mme Thatcher n'avait pas osé. Quand on regarde aujourd'hui les chaînes privées, en proie à la course à l'audimat, on doit généralement constater qu'elles visent bas. D'après votre conception, le service public devrait se limiter à diffuser en boucle les émissions religieuses et l'expression libre des partis politiques... Doit-il vraiment se réduire à un ghetto, que personne ne regardera ? L'audiovisuel est une industrie, mais non une industrie comme les autres : parce qu'il diffuse des connaissances, parce qu'il a un rôle de structuration de l'espace public, il ne peut être considéré comme une simple marchandise. Le groupe RCV votera contre la question préalable.

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Christian Kert - Je vous remercie, Madame la ministre, d'être présente au rendez-vous que vous nous fixiez en juin 1997 pour les semaines à venir. En réalité, votre erreur de calendrier aura été de compter en mois et en années, dans un domaine où il faut penser en secondes, voire en fractions de seconde...

Vous êtes en quelque sorte la première victime de vos lacunes sur le numérique : vous n'avez pas eu la capacité de compresser le temps ! Vous avez épousé la belle affirmation de Daniel Bougnoux : "Il nous faut accueillir les nouvelles technologies de l'information et de la communication sans décapiter le temps lent de l'oeuvre et de la culture". En fait de décapitation, et soit dit sans vous offenser, c'est le couperet politique qui vous guettait si vous n'aviez pu parvenir à faire passer ce texte, qui ne restera pas dans les mémoires comme la révolution copernicienne de l'audiovisuel français.

Votre texte est plus riche par ce qui lui manque que par ce qu'il comporte. Plutôt que de l'analyser, je présenterai donc quelques idées de l'UDF sur la manière d'aborder la vidéoplanète du XXIe siècle.

Vous voulez normaliser, nous souhaitons moderniser. Ce projet apparaît par trop dogmatique : depuis la loi de 1986, les progrès techniques nous ont fait passer d'un monde clos à un monde infini : pensez-vous que votre formule de la holding en tienne compte ? Elle n'est sans doute ni pire ni meilleure que la pyramide des pouvoirs de l'ex-ORTF mais le problème est que, depuis, nous sommes passés au temps des réseaux de savoirs, comme le relevait le sénateur Trégouët.

Ce texte apportant peu d'oxygène, nous vous ferons des propositions pour ouvrir les fenêtres. En premier lieu, nous souhaitons ouvrir le capital de France Télévision au public et aux personnels. Si on laisse aller, les téléspectateurs se demanderont d'ici peu pourquoi ils acquittent la redevance dont les différences se sont réduites entre secteur public et secteur privé. Il faut qu'ils renouent avec leur télévision et j'ai d'ailleurs noté ce que vous avez dit de l'usager-citoyen. Pour autant, nous ne voulons pas privatiser -sans d'ailleurs que ce point suscite des divisions profondes dans l'opposition ! Ce que nous suggérons, c'est, je le répète, d'ouvrir le capital -à raison de 10 % vers le public et de 5 % vers le personnel.

Pourquoi le personnel ? Parce qu'au terme des 22 réformes apportées à la loi de 1986, il convient de le rassurer et de le remobiliser. Le faire participer à la vie économique de sa maison, c'est probablement un des meilleurs moyens de le responsabiliser et, peut-être aussi, de lui faire admettre qu'une ligne éditoriale pour les journaux d'information est, non la pensée unique, mais le pluralisme, la diversité, l'imagination et la liberté partagée.

Il faut, d'autre part, ouvrir le secteur public lui-même sur d'autres horizons et, pour commencer, sur le monde. Il faut repenser la façon dont l'image peut servir la langue française. De ce point de vue, nous ne pouvons accepter que RFO soit exclue de la holding. Comme nos collègues d'outre-mer, il nous semble que celle-ci a besoin d'être adossée au pôle public, à la fois pour éviter d'être marginalisée et pour servir la coopération avec les pays des Caraïbes, de l'océan Indien et du Pacifique. Tout cela impliquera que la chaîne ait des moyens pour une production locale, et les personnels des garanties quant à leur avenir.

Enfin, moderniser le service public, c'est définir les missions de chacun et donner les moyens d'accomplir ces missions. Pour le reste, comme l'aurait dit Turgot, "laissez-le faire, c'est le grand, l'unique principe" ! Donnons ainsi à France 3 les moyens de défendre les cultures régionales : le temps n'en est-il pas venu, avec la signature de la Charte des langues régionales et minoritaires ? Depuis déjà des années, la télévision s'est intéressée à ce domaine, jadis réservé à la presse écrite, mais il faut maintenant aller plus loin et, pour cela, nous avons besoin de vous, car, si nous avons des idées, la liberté de communication ne peut s'exprimer dans la contrainte.

Vous qui connaissez l'attachement des vôtres à leur région, comment se fait-il que votre projet ne comporte pour ainsi dire rien sur les télévisions locales ? Vous ne voulez pas ouvrir la boîte de Pandore, nous a-t-on dit. Mais Pandore est déjà dans la rue ! Elle n'a pas attendu les conclusions de MM. Eymery et Cottet, qui vous conseillent de geler les fréquences analogiques dans l'attente de vos décisions sur le numérique terrestre. Ce gel interdirait de lancer de véritables télévisions locales et interviendrait de plus à contretemps, dix-sept titres de la presse quotidienne régionale s'étant déjà associés pour étudier un projet de ce genre.

Autoriser l'utilisation de fréquences analogiques pendant le temps que prendra la mutation vers le numérique, ce n'est nullement condamner celui-ci. Chacun le voit bien, la mutation est irréversible et nous nous étonnons donc que vous n'ayez pu "accrocher" à votre texte des dispositions sur ce secteur. Quant à votre communication du 12 mai, elle n'avait rien pour rassurer ceux qui, prenant exemple en Angleterre, constatent l'avance prise par certains pays européens dans l'évolution qui conduira l'analogique à son extinction.

J'ai cru comprendre que vous redoutiez de ne pas avoir pris toute la mesure du problème, et il est vrai que nous sommes là dans un domaine d'influences enchevêtrées. Mais quel regret que vous ne fassiez pas vôtre ce théorème de Bill Gates : "On ne sait pas toujours comment ça marche, mais ce que l'on sait, c'est qu'il faut y être". Eh bien, nous n'y sommes pas, alors qu'il s'agit d'explorer et d'inventer ! Au stade où nous en étions, peut-être eût-il mieux valu attendre encore un peu, pour nous présenter un projet cohérent.

Je crois que nous aurions eu moins d'états d'âme que vous, avec autant d'âme ! La vraie question étant de donner de la longévité à l'éphémère, nous y répondions par la liberté : oui aux expériences de télés locales sur des fréquences analogiques, oui au numérique terrestre, qui a besoin d'un délai clairement défini, d'un cadre, d'un public et d'une technologie -j'allais dire d'une autre culture, Monsieur Françaix !

Trop dogmatique et contraignant, votre texte manque de souffle. Vous l'aviez pourtant, ce souffle, en février 1998, quand, devant notre commission alors présidée par Claude Bartolone, vous affirmiez vouloir assurer la pluriannualité des budgets du secteur public ainsi que l'avènement de décodeurs uniques. Ces deux travaux d'Hercule sont passés à la trappe, le premier parce que, comme toujours, Bercy l'a emporté, le second parce que vous n'étiez pas prête à affronter le désordre des influences économiques. Pourtant, un peu de libéralisme appliqué aurait ouvert quelques fenêtres... Mais la directive européenne sur les signaux attendra et, avec elle, le décodeur unique.

Ce projet n'a pas non plus échappé à quelques archaïsmes : quelle application à définir jusqu'au moindre détail le fonctionnement de la holding ! Quelle absence de vision, s'agissant des événements sportifs majeurs ou de l'achat par des télévisions de clubs sportifs ! Or, si ceux qui, dans l'audiovisuel, ont gagné jusqu'ici de l'argent sont ceux qui ont fabriqué les pompes et les tuyaux, ceux qui vont en gagner, maintenant, sont ceux qui vont les remplir. Il faut aussi se préoccuper des contenus !

Y a-t-il des dispositions de votre texte que nous aurions acceptées dans notre souci de modernité ? Nous ne rechignons pas à voter la baisse des volumes publicitaires pour les chaînes publiques, sans toutefois placer autant d'espoirs que vous dans cette mesure. Croyez-vous qu'abaisser de quatre minutes par heure la quantité de publicité autorisée "désenvoûtera" les captifs de l'audimat ? C'est en réalité une sage demi-mesure qui améliorera le confort du téléspectateur mais qui ne bouleversera pas l'économie du secteur.

Dogmatique vous l'êtes, mais habile aussi : vous avez su "refiler la patate chaude" des dispositifs anticoncentration et du contrôle des sociétés de multimédia bénéficiant de marchés publics. Ces dispositions "indispensables" tendant à séparer activités d'information et activités économiques, voilà que vous en faites don au Conseil de la Concurrence et au CSA dont, soit dit en passant, nous n'avons pas toujours saisi si vous souhaitiez le renforcer ou simplement l'utiliser comme alibi !

Nous aurions volontiers pacsé CSA et ART (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) parce qu'un jour il faudra bien rationaliser et moderniser la régulation et le contrôle. Trop tôt, avez-vous dit. Peut-être, mais alors pourquoi ce projet aujourd'hui si, chaque fois qu'il faudrait faire preuve d'audace, vous attendez ?

Nous serions injustes si nous ne reconnaissions pas qu'il y a un audacieux dans cette aventure : l'excellent Didier Mathus (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) dont vous faites "hoqueter" le rapport depuis deux ans, s'est fendu d'un amendement bien rédigé pour mettre un terme à l'exclusivité du secteur public sur TPS. On sent bien que vous ne vouliez pas aller jusque là, une première décision européenne ayant assuré que "trois ans était une durée minimale pendant laquelle l'exclusivité est jugée indispensable". Décidément, malgré deux ans de retard, votre texte vient trop tôt !

Enfin, comme le souhaitait votre prédécesseur Philippe Douste-Blazy, vous allez fusionner la Cinq et la Sept Arte. C'est heureux d'ailleurs, car depuis deux ans, M. Jérôme Clément gère des équipes qui se rapprochent mais n'ont pas la même vocation. Nous approuvons toujours cette fusion, mais à certaines conditions : il faut bien définir les missions, les rendre complémentaires et peut-être aussi ouvrir de nouveaux horizons à ces chaînes -pourquoi ne pas leur permettre de mieux servir la francophonie et la culture française dans le monde ? Pour la BPS ne deviendrait-elle pas un outil au service de l'international ? Rares sont les pays qui, comme ceux de la vieille Europe, peuvent s'appuyer sur un tel socle de connaissances !

Et nous proposons de nous occuper aussi de cela : la formation des hommes à des métiers dont beaucoup sont encore inconnus aujourd'hui. C'est bien que les dessinateurs techniciens, monteurs ou réalisateurs français soient très demandés aux Etats-Unis mais ne pourrait-on ouvrir sur notre territoire des écoles et des sociétés qui forment et qui emploient ces créateurs ? Pourra-t-il y avoir demain une véritable Europe, sans une Europe de l'image ?

Le texte que nous vous aurions proposé, Madame la ministre, il aurait contenu tout cela. Peut-être aurions nous attendu six mois de plus pour le rendre complet et ambitieux. Il faudrait vraiment de réels progrès pour que nous soyons tentés de voter ce texte que nous ne pouvons approuver en l'état ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Ce projet de loi marque un premier progrès, qui permettra à France 2 de ne pas devenir une TF1 bis, mais qui doit être suivi par d'autres, en particulier pour ce qui est de l'indépendance de l'information par rapport aux grands groupes qui contrôlent les télévisions privées et que la défense de leurs intérêts peut amener à tenter d'influencer l'information. Ce que Balzac appelait déjà "le quatrième pouvoir", c'est-à-dire le pouvoir d'informer, doit être libre, car sans cette liberté de presse, notamment audiovisuelle, il n'y a pas de démocratie véritable. La presse est, par nature, un contre-pouvoir. Mais, peut-elle l'être quand elle est placée dans la dépendance ou sous le contrôle de puissants intérêts économiques ?

Aux articles 16 et 18, la lettre rectificative donne au CSA les moyens de mieux garantir "l'honnêteté de l'information et son indépendance à l'égard des intérêts économiques des actionnaires". Et on nous explique que les opérateurs des services hertziens par câble ou satellite, diffusant des émissions d'information, seront invités à exposer les dispositions qu'ils envisagent de prendre en vue de garantir l'indépendance de l'information par rapport aux intérêts de leurs actionnaires. Il pourra s'agir, par exemple, de l'adoption d'une charte de déontologie, de l'institution d'un médiateur ou encore de la création d'une société de rédacteurs. Mais de telles dispositions ne seront guère contraignantes et, au lieu d'être établies par la loi, résulteront d'un dialogue au cas par cas entre les grands opérateurs et le CSA, instance dont on connaît la mansuétude. Mieux vaudrait s'en remettre au pouvoir normatif du Parlement.

Par ailleurs, le projet ne prévoit que peu de choses pour mettre fin à un second risque : la confusion entre médias privés et marchés publics.

Aujourd'hui, les télévisions privées sont associées à de grandes sociétés qui vivent pour l'essentiel de marchés publics passés avec l'Etat ou avec les collectivités locales en matière de travaux publics ou de distribution de l'eau. Il en résulte un curieux mélange des genres. Ce concubinage notoire entre les uns et les autres, ce Pacs entre télévisions privées et donneurs d'ordres publics constitue une spécificité française dont il n'y a pas lieu de se féliciter et qui pose problème pour la démocratie.

Certes, aux articles 15 à 18, la lettre rectificative renforce un peu la transparence en la matière puisque désormais les sociétés candidates à l'attribution ou au renouvellement d'autorisations d'exploiter des chaînes privées devront fournir au CSA des informations sur la composition de leur capital, de leurs actifs et de leurs organes dirigeants, ainsi que sur les marchés publics et délégations de service public dont elles sont titulaires ou pour lesquelles elles ont soumissionné. Une fois encore, on s'en remet au CSA. Souhaitons qu'il se montre actif et vigilant dans cette recherche d'informations et qu'il en tire de réelles conséquences dans le choix des sociétés auxquelles il confiera telle ou telle chaîne privée !

Mais la véritable solution serait d'engager les opérateurs à limiter ou à réduire leur participation à 10 % maximum du capital d'une chaîne privée s'ils sont en même temps adjudicataires de marchés publics. Une proposition de loi, déposée en mars 1997 et dont je suis cosignataire, prévoyait d'exclure des procédures de soumission aux marchés publics "toute société détenant au moins 10 % des parts d'une entreprise audiovisuelle".

J'en arrive à un souhait : il conviendrait d'étendre les exonérations de redevance audiovisuelle décidées pour motifs sociaux.

Actuellement, pour être exonéré de la redevance, il faut remplir à la fois une condition d'âge ou d'invalidité -être âgé d'au moins 65 ans ou bien être invalide ou mutilé- et une condition de ressources -percevoir l'allocation supplémentaire du Fonds de solidarité vieillesse. Il est certes légitime d'exonérer de la redevance les personnes démunies âgées de plus de 65 ans. Le même souci de justice sociale devrait nous conduire à étendre cette exonération à toute personne ne disposant que de faibles revenus, par exemple érémistes ou chômeurs percevant l'ASS. La loi relative à la lutte contre les exclusions préserve l'accès des personnes en difficulté à la fourniture d'électricité, de gaz, d'eau ou de téléphone et le maintien de cet accès. Pour beaucoup d'entre elles, la télévision est un moyen de rompre l'isolement, pensons-y aussi.

Enfin, il importe de moderniser et de simplifier le mode de perception de la redevance. Actuellement, tout détenteur d'un appareil récepteur de télévision doit en faire la déclaration dans les 30 jours suivant l'entrée en possession. Mieux vaudrait que cette obligation déclarative soit insérée dans la déclaration de revenus, sous forme d'une case à cocher. Le contrôle de cette obligation reviendrait alors aux agents chargés de contrôler l'impôt sur le revenu et non plus aux agents du service de la redevance.

Ce service spécifique, qui procède actuellement à l'établissement, au contrôle et à la mise en oeuvre de la redevance, emploie environ 1 600 personnes et son coût de gestion s'élevait à environ 420 millions en 1992, ce qui est beaucoup. On pourrait intégrer les agents du service de la redevance aux services fiscaux généraux, où ils renforceraient utilement la lutte contre la vraie fraude fiscale.

Telles sont les propositions que je souhaitais faire pour renforcer ce projet qui constitue un premier progrès (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et sur de nombreux bancs du groupe socialiste).

M. Michel Herbillon - Le projet qui nous est aujourd'hui présenté ne restera pas dans les annales de notre assemblée comme un modèle du genre.

Depuis deux ans qu'elle est en gestation, la grande réforme de l'audiovisuel, annoncée ici même par le Premier ministre lors de son discours de politique générale, n'a cessé de voir son contenu remanié, son périmètre d'intervention modifié, son examen ajourné.

Sa première mouture, présentée au conseil des ministres du 28 janvier 1998, dut être rapidement abandonnée face à l'hostilité des professionnels de l'audiovisuel et l'insatisfaction des parlementaires socialistes.

Puis, en septembre 1998, le Premier ministre présenta les grandes lignes d'un projet remanié et ne traitant plus que du secteur public. Mais l'engagement du Premier ministre ne suffit pas à calmer les critiques qui reprirent de plus belle à l'automne dernier. Le point d'orgue de cette tragi-comédie fut naturellement le retrait de cette réforme de l'ordre du jour de notre assemblée, le 1er décembre dernier, alors que son examen en commission venait de commencer. Il faut bien dire, Madame la ministre, que dans toute cette affaire, la majorité socialiste a eu à votre égard une attitude qui manquait pour le moins de panache, d'élégance et surtout d'honnêteté intellectuelle. Et je dois reconnaître que vous avez, quant à vous, su faire preuve d'une obstination à laquelle je rends hommage. Alors que l'activisme de certains députés socialistes vous avait poussée à engager une réforme, les mêmes n'ont pas hésité par la suite à vous abandonner, voire à vous "savonner la planche", lorsque les difficultés ont commencé. Il fallait une victime expiatoire : vous étiez toute trouvée !

Mais les difficultés auxquelles vous avez été confrontée étaient prévisibles. Elles constituent en quelque sorte le lot commun lorsqu'on engage une réforme dans un secteur tel que l'audiovisuel, complexe, soumis techniquement à de formidables mutations technologiques et dont l'équilibre économique est particulièrement fragile. Alors qu'une bonne dose de pragmatisme aurait été nécessaire pour engager une réforme dans ce domaine, le Gouvernement s'est laissé guider par des critères purement idéologiques et politiques. Il lui fallait en effet une grande réforme de l'audiovisuel, une de ces réformes de gauche qui puisse être affichée par le Premier ministre s'il devait un jour briguer des responsabilités plus hautes... D'où les incantations sur la nécessité de recréer un service public fort et respecté, d'où les déclarations tonitruantes contre la logique commerciale qui domine dans le paysage audiovisuel et contre les concentrations de l'audiovisuel privé.

Mais dans le même temps, le Gouvernement a cherché à profiter de cette occasion pour renforcer son contrôle sur la télévision publique et pour se concilier les bonnes grâces des patrons des chaînes privées.

Les incohérences et paradoxes qui émaillent encore votre projet sont les seuls résultats tangibles de cette duperie. Deux exemples suffiront à illustrer le décalage qu'il y a depuis le début entre le discours du Gouvernement et ses actes. Alors que le Premier ministre déclarait dans cet hémicycle en juin 1997 que "l'impératif d'indépendance est le corollaire de la liberté de communication", vous avez été contrainte, Madame la ministre, de modifier dans l'urgence votre texte en novembre dernier après que le Conseil d'Etat eut souligné qu'il constituait en matière de nomination des dirigeants de la future holding "une régression" en ce qui concerne l'indépendance des sociétés de programme, la liberté de communication, et le pluralisme des courants d'expression.

De même ce projet, qui se veut la défense et l'illustration du service public fait un cadeau inespéré aux chaînes privées en réduisant la durée de la publicité sur les chaînes publiques.

Ce texte porte les stigmates de son élaboration chaotique. Au projet initial s'ajoutent la lettre rectificative relative à la transposition de la directive "télévision sans frontières" et des dispositions sur le secteur privé, ainsi que des amendements du Gouvernement sur le fonctionnement du secteur public et de la majorité sur la fin de l'exclusivité des chaînes publiques sur TPS.

Après vingt-deux mois de délibérations, nous étions en droit d'attendre une réforme d'envergure. Il s'agit d'un échafaudage branlant, en raison de l'impréparation, des revirements, des atermoiements de la majorité et de l'absence de vision du Gouvernement.

Ce texte comporte pourtant deux avancées. D'abord il est judicieux de traiter de l'ensemble du secteur audiovisuel et non plus seulement du secteur public. En ce qui concerne le privé, le Gouvernement, malgré ses déclarations, aborde timidement les questions de régulation et de transparence. Le minimalisme s'explique sans doute par des divergences de la majorité plurielle et de la pression de certains lobbys. En revanche prolonger à cinq ans le mandat des présidents de chaînes publiques leur permettra d'élaborer plus facilement des stratégies de programmes et de développement à long terme.

Mais pour le reste cette réforme n'est pas à la hauteur des défis que posera la généralisation des nouvelles technologies et notamment du numérique.

A en croire le Gouvernement, il suffirait de regrouper les chaînes publiques et de diminuer la publicité pour assurer la résurrection d'un service public fort et respecté.

Je n'y crois nullement. D'abord réduire la publicité de quatre minutes par heure sur ces chaînes ne les libérera que très partiellement de la contrainte de l'audimat.

Par ailleurs, comment croire sérieusement que la nouvelle holding garantira une plus grande efficacité du service public de l'audiovisuel ?

A nos yeux, elle permettra une plus grande cohérence de l'activité des chaînes publiques et de l'offre des programmes, des réorganisations et des économies d'échelle. Je doute, au regard des expériences passées, de la capacité de l'Etat actionnaire à gérer ce type de rationalisation.

Cette nouvelle superstructure, ce "super machin", risque de n'aboutir qu'à créer une nouvelle bureaucratie et à alourdir des processus de décision déjà complexes. Jack Lang met aussi en garde le Gouvernement : "évitons de construire une usine à gaz qui dévorerait les crédits destinés aux programmes".

Ce que votre projet porte en germe, Madame la ministre paradoxalement, c'est l'affaiblissement du secteur public de l'audiovisuel. Lui reverser les 2,4 milliards de francs d'exonération de redevance en compensation de la baisse des recettes publicitaires, ne garantit pas un financement durable. Une telle promesse n'a de valeur que celle que lui donnera chaque année la loi de finances ! La question du financement du secteur public n'est donc nullement réglée.

Autre défaut essentiel, ce texte ne donne pas les moyens au secteur audiovisuel français d'aborder avec succès les mutations technologiques en cours. Il présente en effet une lacune inadmissible en ce qui concerne le numérique hertzien. Son développement permettrait à 90 % des foyers français de bénéficier à domicile de tous les services qu'offre le numérique sans s'équiper d'antennes satellites, de gérer de façon plus rationnelle les fréquences et donc d'en récupérer pour les télévisions locales et la téléphonie mobile. D'une pénurie de fréquences, nous sommes passés à l'abondance. Mais vous ne saisissez pas cette occasion. Annoncer un livre blanc et un grand débat en juin sur le numérique hertzien ne peut masquer le fait que, faute de courage politique, le Gouvernement fait prendre un retard important à notre pays, alors que par exemple la Grande-Bretagne couvrira 90 % de son territoire par le numérique hertzien d'ici la fin de 1999.

Le rapporteur annonce des décisions sur le numérique et sur les télévisions locales en deuxième lecture. C'est souligner leur urgence et le vide de votre projet sur cette question cruciale. Comment débattre de l'audiovisuel en 1999 sans apporter de réponses dans ce domaine !

Enfin je trouve dommage que ce texte ne comporte pas de mesures destinées à encourager l'action audiovisuelle extérieure de la France notamment dans la zone francophone. Si l'intervention de l'Etat peut se justifier, c'est bien dans ce domaine, d'autant que vous soulignez la fonction culturelle de la télévision. Face à la concurrence anglo-saxonne pourquoi ne pas avoir donné un coup de pouce à la francophonie ? Là aussi, le Gouvernement manque de volontarisme.

De la grande réforme annoncée il y a deux ans ne reste qu'un projet sans ambition. Face à l'explosion des technologies, il faut aujourd'hui faire passer le droit audiovisuel d'une logique de réglementation a une logique de régulation. Votre projet ne relève pas ce défi.

Nous ne pouvons l'approuver et il nous incite plutôt à préparer une vraie réforme répondant aux enjeux de demain, aux attentes des acteurs et permettant d'offrir à nos compatriotes une télévision dont ils puissent être fiers, qui concilierait la multiplicité mais aussi la diversité et la qualité des programmes (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Michel Françaix - Ce débat sur l'audiovisuel était l'une des promesses de la majorité.

M. François Baroin - C'est reparti...

M. Michel Françaix - Au-delà du plaisir d'ajouter des paragraphes à un cadre réglementaire et législatif qui n'en manque pas, il était important de légiférer sur ces questions parce que le secteur de la communication est l'un des principaux pôles de développement et de croissance de l'économie française pour les années à venir, ainsi qu'un enjeu majeur pour l'affirmation de notre identité culturelle et de notre capacité à exporter nos talents créatifs.

L'enjeu de notre débat est donc d'abord culturel et nous savons à quel point la télévision joue le rôle d'une seconde école pour beaucoup de nos concitoyens, comme nous connaissons la part croissante des technologies de l'image dans la diffusion du savoir dans l'ouverture sur le monde, dans l'accès à la culture.

L'enjeu est ensuite économique : si nous réussissons à accompagner le secteur de la communication dans sa mutation technologique, à l'heure de la révolution numérique, si nous réussissons à soutenir efficacement l'effort de modernisation du secteur public, alors le résultat s'évaluera en termes de satisfaction de nos concitoyens mais aussi d'excédent commercial et de créations d'emplois. Car le secteur de la communication, mais aussi les gains de productivité qu'il diffusera dans toute l'économie, seront sources de croissance.

Ce débat est donc stratégique pour l'avenir de notre pays.

Quel a été le premier Gouvernement à dire non seulement que l'on ne pouvait pas ignorer l'émergence du phénomène Internet mais aussi qu'il ne fallait pas avoir peur de cette évolution technologique car la France a les moyens d'en tirer profit ?

M. Olivier de Chazeaux - Et Martin-Lalande, il n'a rien fait ?

M. Michel Herbillon - La majorité passe la brosse à reluire...

M. Michel Françaix - Quel a été le premier Gouvernement à mobiliser la France, l'Etat, les institutions, le monde de l'enseignement, sur la voie des nouvelles technologies ? C'est bien celui de Lionel Jospin.

L'opposition s'oppose néanmoins, et c'est son droit. Mais sur quoi ? Nous introduisons dans le droit la diffusion par satellite avec retard. C'est vrai. Mais à qui la faute ? Les deux bouquets satellitaires privés français ont été lancés sous des Gouvernements de droite qui n'ont pas été capables d'adapter en temps utile notre législation.

M. Michel Herbillon - Caricature.

M. Michel Françaix - Le Gouvernement rattrape ce retard, Madame la ministre et le groupe socialiste vous en félicite.

Il y a une différence fondamentale entre ceux qui veulent paupériser le secteur public et ceux qui, tout en étant lucides sur ses imperfections, veulent avant tout le préserver et le dynamiser. Parce qu'il peut offrir un espace de liberté pour la création sans être obnubilé par le critère de l'audience, parce qu'il peut offrir un espace de respiration et d'accès au débat public pour toutes les sensibilités que compte ce pays, en dehors de considérations purement marchandes (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF) parce qu'il peut refléter la richesse et la diversité de nos cultures régionales, sans privilégier une gestion mercantile de l'antenne ; parce qu'il peut aussi respecter les minorités et les sensibilités de toutes les catégories de population, à commencer par les enfants, en s'interdisant tout racolage à base de violence ou de voyeurisme. Le service public doit ainsi être au service de cette majorité immense de Français que constituent les téléspectateurs. Oui, le service public doit être au service du public.

Pour qu'il en soit ainsi, il fallait lui en donner les moyens. Sans largesse, ce que notre rigueur budgétaire nous interdit, mais sans mollesse non plus, pour permettre à la télévision publique d'être de nouveau porteuse d'une ambition. Chez nos principaux voisins les financements alloués au service public sont supérieurs aux nôtres.

Avec le soutien du Premier ministre et du ministère des finances, le Gouvernement s'est engagé à compenser les exonérations diverses qui pénalisaient les budgets des chaînes et a accepté le principe d'une réduction des espaces publicitaires qui imposaient leur rythme et leurs contraintes à l'ensemble des grilles de programme.

La constitution d'une holding et la durée du mandat de son président, suffisante pour mener des actions sérieuses, traduisent par ailleurs la volonté du Gouvernement de redonner toutes ses chances au service public.

La priorité doit aller aux contenus. A quoi bon des constructions juridiques savamment élaborées si elles ne servent qu'à diffuser des séries d'animation produites au kilomètre en Asie et des feuilletons américains déjà amortis depuis longtemps ?

La télévision publique reste pourtant une idée forte, une idée noble en France, mais aussi au Royaume-Uni, comme dans de nombreux pays européens. Nous devons permettre à notre pays de jouer un rôle d'impulsion dans la définition d'une politique européenne déterminée. A quelques jours des élections du Parlement européen, je suis persuadé que telle sera la volonté commune des élus sociaux-démocrates de toute l'Europe. Car l'absence d'Europe audiovisuelle, c'est, à terme, l'absence d'Europe tout court.

Le plus important, c'est de réussir, par des programmes bien conçus, bien placés dans la grille à faire rencontrer un jour à un jeune Français l'émotion artistique face à une oeuvre d'art qu'il n'aurait jamais connue sans cela, c'est de lui donner l'envie de lire des livres et des journaux, de lui permettre de faire jouer son esprit critique sur un problème d'actualité, ou sur une décision du Gouvernement.

A l'heure de la révolution numérique, il importe de surcroît, pour que soit respectée l'égalité des chances et pour que soient offertes à chacun toutes les cartes de la citoyenneté, de permettre au plus grand nombre de Français de profiter des nouvelles possibilités offertes par les technologies de l'information et d'en maîtriser le mieux possible l'utilisation.

Voilà pourquoi votre loi, madame la ministre, n'est pas une fin en soi, elle marque plutôt un nouveau départ (Rires sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Michel Herbillon - Il était temps...

M. Michel Françaix - Quelques regrets cependant : rien ou si peu dans votre texte sur la transparence des groupes dépendant des marchés publics comme l'eau, l'électricité, les déchets (Ah ! sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) ; trop peu sur la clarification des faits susceptibles d'être retenus par le CSA contre des opérateurs privés indélicats (Mêmes mouvements) ; pas assez sur les télévisions locales et sur un risque d'ébullition de télévisions pirates (Mêmes mouvements) ; très peu sur la transparence des décisions du CSA. C'est pourquoi le groupe socialiste contribuera au débat en défendant des amendements.

Une inconnue demeure, puisqu'il appartiendra au prochain PDG de France Télévision de définir sa politique, de faire ses choix : dégager une politique industrielle, développer une stratégie internationale, diversifier l'offre publique.

La différence entre l'opposition libérale et le Gouvernement porte bien sur la régulation. Pour l'opposition, c'est le moyen de cantonner la télévision publique dans un ghetto, privée peu à peu de moyens et de programmes tandis que la télévision commerciale serait quant à elle affranchie de toute contrainte.

M. Michel Herbillon - Caricature !

M. Michel Françaix - Pour nous la régulation, c'est l'ensemble des règles du jeu qui permettent de concilier richesse de création, liberté d'entreprendre, intérêt général.

C'est pourquoi la meilleure régulation possible ne repose pas uniquement sur des textes. Elle résultera d'un équilibre vrai entre un secteur public conforté dans son fonctionnement, son rôle et sa légitimité qui élève l'offre télévisuelle et oblige par son existence le secteur privé à un effort de qualité, et un secteur privé dynamique, entreprenant, qui réussisse sa percée internationale dans la télévision commerciale, dans la télévision payante, mais aussi dans les nouveaux développements numériques.

Ce n'est pas "public ou privé" comme l'a dit M. Dominati, c'est privé et public. Si nous parvenons à favoriser cet équilibre, cette complémentarité, nous aurons bien travaillé aujourd'hui pour donner à la France l'un de ses atouts majeurs dans le monde de demain. Et je suis sûr qu'un jour ou l'autre vous nous rejoindrez sur ce sujet (Rires sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Olivier de Chazeaux - Enfin !

Tel doit être le cri du coeur de certains tant ils ressentent un soulagement après avoir redouté le naufrage annoncé de votre projet. Tels ces soldats du désert des Tartares, ils attendaient l'ennemi qui n'arrivait pas. Mais un jour Robert Murdoch, à la faveur d'une tentative de rapprochement avec Canal Plus, légitima la renaissance du projet. De nouveau à la tâche vous faisiez savoir à qui voulait l'entendre que le monde de l'audiovisuel serait surpris tant votre projet était ambitieux et moderne...

D'autres, au premier rang desquels figure le groupe RPR, sont partagés entre le désappointement et l'incrédulité face à tant de vacuité.

Vous nous annonciez ambition et modernité, nous étions en droit d'attendre de votre Gouvernement de l'audace, un sens de l'anticipation et de l'innovation, surtout à l'heure de la mondialisation. Face à une concurrence internationale rude, l'industrie de l'audiovisuel français attendait fort légitimement un signal fort. Elle ne pourra se satisfaire de mesurettes destinées à faire illusion sur la capacité de votre Gouvernement à entrer dans la société de l'information du XXIe siècle.

Votre carence sera également fort préjudiciable à nos jeunes concitoyens qui auraient pu espérer de nouveaux emplois durables et innovants, autres que ces emplois jeunes qui sont encore une facette du miroir aux alouettes socialiste...

Si l'on prête attention aux réactions des professionnels de l'audiovisuel, aux commentaires éclairés de la presse spécialisée, aux avis pertinents du CSA, aux observations de quelques-uns de nos collègues, on s'aperçoit que les commentaires les plus fréquents portent sur votre personne plus que sur votre projet. Il est plus facile de saluer votre ténacité, votre courage que l'ambition et la modernité de ce texte, véritable méccano législatif que certains experts qualifient de ringard.

Ce sentiment est d'ailleurs partagé dans cet hémicycle par ceux qui se taisent mais qui n'en pensent pas moins comme par ceux qui ont choisi de s'exprimer afin que vous ne persistiez pas dans l'erreur. Car s'il fallait engager une réforme de l'audiovisuel, ce n'est pas celle que vous nous présentez.

Pourtant, dès le 19 juin 1997 le Premier ministre annonçait une grande réforme de l'audiovisuel avant que vous-même laissiez entendre que vous aviez tout compris des enjeux fondamentaux de l'audiovisuel. Pourtant, la même année, vous déclariez devant la commission des affaires culturelles : "il convient, en matière d'audiovisuel, d'éviter des propos trop ambitieux...". Alors faut-il croire Catherine Trautmann version 1999, si prémonitoirement démentie en 1997 ?

On ne trouve dans votre texte aucune disposition sur le numérique hertzien, sur les télévisions locales et régionales et enfin sur la convergence des médias.

Voilà qui est particulièrement grave de la part d'un Gouvernement qui se prétend en pointe sur les nouvelles technologies et qui se montre si enthousiaste à promouvoir la société de l'information.

Je ne comprends donc pas votre précipitation à revenir devant notre Assemblée avec ce texte déjà dépassé. Vous n'étiez plus à quelques mois près...

Votre récente communication en conseil des ministres ne fait qu'ajouter à la confusion et nous renforcer dans notre sentiment d'impréparation. Quel mépris pour notre Assemblée mais aussi pour le Conseil d'Etat et pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel : vous vous apprêtez à déposer des amendements du Gouvernement en deuxième lecture pour réparer vos oublis.

Dans le domaine de l'audiovisuel public, vous ne créez rien. Le concept de la holding France Télévision vient d'un amendement du Sénat lors de la discussion de la loi Douste-Blazy. La fusion entre la Cinquième et Arte figurait dans le précédent projet -et il est piquant de voir votre majorité approuver avec enthousiasme ce qu'elle critiquait il y a peu. Il en va de même pour les mesures d'application de la directive européenne Télévision sans frontières. La France sera d'ailleurs la dernière à la transposer, alors qu'elle avait été à l'initiative du texte ! Le paradoxe est que la Commission a envisagé des sanctions contre la France après votre "repli stratégique" du 1er décembre.

Le RPR ne votera pas un texte aussi peu approprié. Votre engagement en faveur du service public ne nous convainc pas. Vous vous en proclamiez les chantres, mais, selon votre stratégie sémantique habituelle, vous avez peu à peu introduit la notion de service public de l'audiovisuel -c'est même le titre de votre projet. Vous avez aussi supprimé toutes les références au service public figurant dans la loi de 1986. Vous lui substituez un groupe industriel de chaînes publiques chargé de concurrencer les chaînes privées.

Vous conviez les marchands dans le temple du service public de l'audiovisuel, comme l'a observé M. Cluzel.

Nous sommes au contraire attachés à un service public aux missions clairement définies, délivré de toute contingence commerciale. Votre projet définit, à force de banalités, un service public qui pourrait parfaitement être assumé par une chaîne généraliste privée. Il aboutit à une sorte de service du public de l'audiovisuel.

Il faut cesser de caractériser systématiquement le service public par rapport au privé. Vous aviez l'occasion de réorienter la télévision publique vers sa mission première.

La télévision publique a un rôle culturel et éducatif fondamental. Elle doit être le lieu privilégié de la transmission du savoir et doit pouvoir pallier la défaillance de certaines familles dans l'éducation de leurs enfants.

Mais elle ne peut se reconnaître dans la concurrence que vous lui proposez. Vous allez même jusqu'à suggérer à France Télévision de réaliser des jeux et divertissements identiques à ceux de la télévision privée.

Ce n'est pas en les obligeant à courir après l'audimat que vous résoudrez la crise d'identité des chaînes publiques.

En clair, Madame la ministre, vous avez le service public honteux !

Alors vous le travestissez en pôle industriel public. Mais vous ne pouvez plus rester entre deux chaises. Cela ne ferait qu'accroître les difficultés de France 2 et France 3 et obliger encore les contribuables à payer la note.

Madame la ministre, si vous disiez que l'Etat n'a que faire d'organismes audiovisuels marchands, nous pourrions presque vous suivre. Mais vous vous destinez à conserver dans son patrimoine des entreprises dont les objectifs ne correspondent pas à des missions de service public.

Nous contestons aussi la structure que vous prévoyez.

La holding France Télévision, tentaculaire, ne fait que se superposer aux structures existantes sans que vous ayez pu la justifier de façon stratégique ou économique.

Son pouvoir hiérarchique sur ses filiales n'est pas assuré, et la multiplication des conseils d'administration et des représentants de l'Etat ne lui permettra pas de définir une vraie stratégie.

Ce n'est certainement pas la réduction timide du temps de publicité qui mettra un terme à la crise de l'audiovisuel public, pas plus que vos palpitants programmes de jeux et de divertissements.

Par ailleurs, vous savez bien que le financement complémentaire que vous avez obtenu de Bercy peut être remis en question chaque année. Il aurait été plus utile d'étudier les solutions de financement retenues en Grande-Bretagne ou en Allemagne et de faire prévaloir la rationalisation des dépenses de fonctionnement des chaînes publiques sur tout autre moyen, préalablement à la demande de remboursement des exonérations des redevances. Ainsi, nous aurions aimé qu'il y ait concertation sur la question de l'existence d'autant de chaînes généralistes hertziennes publiques. Car les contribuables restent toujours les payeurs.

S'agissant du second volet de votre projet, nous ne pouvons que regretter votre défiance à l'égard du Conseil supérieur de l'audiovisuel. Alors que vous aviez l'occasion d'en faire l'égal de la FCC américaine, vous le muselez. Alors qu'il a les moyens d'assurer tous les pouvoirs en matière de droit de la concurrence audiovisuelle, vous abandonnez cette compétence au Conseil de la concurrence et donc à Bercy, en contrepartie du financement obtenu.

Pour finir : sous couvert de garantir la liberté de l'information, vous introduisez pernicieusement un nouvel élément quant à l'attribution des fréquences : des enquêtes seront possibles sur les groupes industriels qui bénéficient de marchés publics. Vous laissez entendre qu'actuellement l'information ne serait pas libre, sur TF1 par exemple. Alors je ne comprends pas pourquoi M. Jospin choisit quasi systématiquement cette chaîne pour s'adresser à l'opinion publique !

Nous sommes en plein paradoxe socialiste.

Nous ne pensons pas que cette proposition soit favorable au bon développement de l'audiovisuel français.

Au contraire, elle favorisera l'entrée sur le marché français des acteurs étrangers que vous redoutiez tant au mois de février dernier, en permettant d'écarter les groupes bénéficiaires de marchés publics.

Nous verrons entrer sur le marché français Time Warner, Viacom, News group, mais aussi Microsoft... Belle défense de notre industrie et de notre culture !

Madame la ministre, si votre chemin était pavé de bonnes intentions, vos multiples revirements réduisent votre projet à une réformette.

De ces vingt mois écoulés, une seule leçon doit être retenue : souvent socialiste varie, bien fol qui s'y fie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Christian Cuvilliez - Depuis plus d'un an et demi, vous avez ouvert un large débat à propos d'un secteur sur lequel il est nécessaire de légiférer. Aujourd'hui, nos compatriotes passent en moyenne 24 heures chaque semaine devant le petit écran, soit deux heures de plus qu'en 1989. Cette place croissante s'accompagne d'une diversification des moyens de réception, avec le développement du câble et du satellite. Si l'on inclut Internet, la radio et l'écoute musicale, on mesure l'accumulation de consommation audiovisuelle. Dans ce contexte, coexistent deux secteurs, un public et un privé, ce qui rend nécessaire une redéfinition de leurs missions, statuts et financements. Longtemps considérée, comme un bien public, la télévision est devenue un produit avant de se transformer en un service.

Après le monopole public s'est institué un système mixte dont le financement reposait sur la redevance et sur la publicité. Nous assistons aujourd'hui au développement rapide d'une télévision payée directement par le téléspectateur.

Le péage finançait 25 % des programmes audiovisuels en 1985, et 44 % en 1995. L'intérêt grandissant des groupes pour la communication audiovisuelle constitue l'enjeu des déréglementations et des stratégies d'alliance des grands groupes dans l'audiovisuel mais aussi les télécommunications et l'informatique. Lorsque Vivendi prend le contrôle de CEGETEL pour les télécommunications, d'Havas pour l'édition électronique et de Canal Plus, c'est pour pouvoir combattre les alliances qui se constituent autour de Murdoch ou de Berlusconi.

Dans ce contexte, le projet de fusion entre Canal Plus et Bsky B, bouquet britannique détenu à 40 % par Murdoch suscite des réserves. Il n'en traduit pas moins l'ampleur des enjeux, tout comme le projet du même Murdoch de s'associer à TF1 pour créer en 2000 une chaîne généraliste destinée au jeune public.

Longtemps, l'Etat en France a contrôlé l'ensemble de la diffusion et de la production audiovisuelle. Mais ensuite sont venues la loi de 1974 ; la loi Fillioud de 1982, qui mit fin au monopole de programmation et permit le lancement de Canal Plus, de la Cinq et de M6 ; la loi Léotard de 1986 qui privatisa TF1 ; la loi Tasca de 1989 ; la loi Carignon de 1994. Le problème n'est donc plus celui d'un contrôle excessif de l'Etat et du Gouvernement, mais celui d'un contrôle devenu excessif des groupes de communication sur ce secteur. L'Etat s'est progressivement mit en retrait, laissant le leadership à des champions nationaux que seraient les grandes firmes.

L'entrée dans l'ère du numérique et la convergence entre télévision, informatique et télécommunications vont constituer une véritable révolution technologique, modifiant non seulement le paysage audiovisuel, mais le comportement du téléspectateur, qui pourra composer son propre programme. Cette révolution exige, pour le secteur privé, des moyens nouveaux pour faire face à la demande de services et de programmes, sans négliger pour autant le développement des chaînes généralistes. Priver le secteur public des financements nécessaires, c'est soit l'empêcher d'être au rendez-vous du numérique, soit le contraindre à choisir ce dernier au détriment des chaînes généralistes, soit enfin l'acculer au choix inverse, ce qui le conduirait à se séparer des chaînes thématiques attendues par le téléspectateur. C'est prendre la responsabilité d'une crise du secteur public, de la marginalisation de la production nationale, de la naissance d'une télévision à deux vitesses où les programmes les plus attractifs seront l'apanage de la télévision payante.

La troisième raison tient enfin au contexte international de mondialisation des économies qui nous contraint à réaffirmer quelques grands principes et à définir une politique nationale qui donne du corps à la notion d'exception culturelle. Dans un secteur marqué par une régulation discriminatoire par l'argent, la formation de conglomérats privés multinationaux et la mise en place d'une économie du péage et des compteurs pour l'accès à l'information, les offensives ultralibérales du GATT, puis de l'OMC, l'AMI, le projet NTM prennent toute leur signification : il s'agit d'éliminer toutes les règles de sauvegarde des intérêts nationaux, pour édifier un marché mondial ouvert aux ambitions des groupes transnationaux. Il est donc temps, comme le souligne la proposition de loi élaborée par les Etats Généraux de la culture, qu'anime Jack Ralite, de mettre en oeuvre "une responsabilité publique et sociale à tous les niveaux local, régional, national, européen, international, avec en son coeur les enjeux de civilisation que sont le pluralisme des idées, des expressions, des esthétiques, l'exception culturelle, la liberté de création et de recherche, l'indépendance de l'information et l'égalité de tous les citoyens". Cette démarche nécessite une extension du service public reposant sur la réaffirmation de missions et de responsabilités d'intérêt général réaffirmées ; elle exige un renforcement du "pôle public" mais aussi de la production et de la création audiovisuelle. A l'inverse de la situation présente, les missions et les critères de service public devraient être étendus à l'ensemble des acteurs, privés ou publics.

C'est dans cet esprit, Madame la ministre, que le groupe communiste a abordé le débat. Nous en attendions une limitation des effets des concentrations, mais aussi une définition des missions de service public de France Télévision, la constitution d'un pôle public ainsi qu'un renforcement sensible de la production audiovisuelle, reposant sur une définition claire du rôle de la Société Française de Production, affaiblie et transformée en société de prestations avec des suppressions massives d'emplois. Quant à l'Institut National de l'Audiovisuel, nous demandions une redéfinition de ses missions, notamment touchant à la formation et à la production. Sur la question des moyens financiers, si nous prenions acte de la réduction des temps de publicité et des "tunnels" publicitaires, nous demandions le remboursement de l'intégralité des exonérations de redevances.

Il faut souligner, Madame la ministre, l'originalité de votre démarche de concertation avec les groupes de la gauche plurielle. Elle a abouti à un document d'objectifs politiques, autour de trois grandes priorités : le développement et le renforcement du service public, en tenant compte du contexte de concurrence ; le développement d'une industrie des programmes diversifiée et créative ; la mise en place pour le secteur privé d'un cadre de régulation simple, efficace et transparent. Nous prenons acte de votre volonté de garantir au service public les moyens financiers nécessaires à sa modernisation et au développement de nouveaux programmes soit un milliard de francs après remboursement des exonérations de redevance, compensation du manque à gagner publicitaire et financement des programmes de substitution. Il faut un débat sur la définition même de ce service public. Dans un pôle public regroupant des sociétés de droit privé, sans doute conduites demain à créer des filiales, avec peut-être une mixité entre capitaux publics et privés, comment préserver les trois missions fondamentales du service public : informer, éduquer, distraire ? Telle est la question de fond. D'autant que l'autorité de régulation définit les règles générales de programmation des chaînes privées en termes identiques ; le rapport Missika va dans le même sens. On peut dès lors se demander en quoi consiste la différence. C'est pourquoi nous proposerons d'enrichir le texte par une référence à la mission de production, sans dissociation des missions de production et de diffusion, pour encourager le pluralisme de la création. Dans le même esprit, nous souhaitons que le développement des chaînes thématiques ne nuise pas à une démarche généraliste destinée à fédérer les publics, à créer du lien social et à nourrir une démarche citoyenne d'appartenance à une communauté nationale, une et indivisible.

La question du financement du service public m'apparaît comme quasiment réglée. Il faudra toutefois réaffirmer l'impératif de la pérennisation des sommes nécessaires à la création.

Nous notons, Madame la ministre, votre volonté de réinscrire dans la loi le concept de service public. Nous voulons la reconnaissance dans l'intérêt général de véritables missions de service public, au premier rang desquelles celle de favoriser le débat démocratique. Nous continuerons à préconiser le renforcement et la pérennisation de la mission de production, en incluant dans le texte des références précises à la SFP, et en renforçant les missions de production et de formation de l'INA. Nous défendrons le caractère généraliste et différencié de la programmation de France 3, qui doit garder sa dimension régionale sans renoncer à l'ouverture nationale et internationale. De même, nous défendrons la mission de continuité territoriale de RFO, mais aussi son identité propre, reposant sur son réseau et sur les cultures des peuples de l'outre-mer, et qui n'est pas incompatible avec le développement d'une convention de partenariat avec France Télévision.

Vous l'avez compris, Madame la ministre : nous abordons ce débat dans un esprit constructif, en vue de donner à l'audiovisuel public les moyens de la qualité et du succès. Cette volonté n'exclut pas notre détermination à faire aboutir nos propositions, qui peuvent contribuer à cette qualité et à ce succès, et participer à cette exception culturelle française que nous défendons (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

M. Pierre-Christophe Baguet - Entre louanges excessives et procès injustifiés, je voudrais adopter le même ton que le président du Sénat, Christian Poncelet, dans sa tribune parue ce jour dans Libération : respectueux de votre travail, mais déçu du temps perdu inutilement, inquiet sur l'avenir que Bercy réservera à vos promesses généreuses, mais constructif dans l'intérêt de nos concitoyens et de notre pays. Je ne veux donc pas préjuger de ce que sera le texte définitif, attendant beaucoup de nos débats.

Dans l'immédiat, je tenterai une lecture européenne du texte. Nous connaissons tous les enjeux mondiaux du secteur. Si nous voulons demain une Europe forte, capable de résister d'abord, puis de s'imposer à l'Asie et à l'Amérique, nous savons bien qu'au-delà d'une Constitution et d'une défense commune nous devons assurer la sauvegarde d'une culture. C'est par la communication que nous pourrons relever ce défi.

Il est de la responsabilité de la France de servir d'exemple et de locomotive à nos partenaires européens. Cela commence mal, puisque nous n'avons pas respecté les délais de la transposition de la directive "Télévisions sans frontières". Mais mieux vaut tard que jamais, et votre texte en reprend l'essentiel. Je regrette en revanche l'absence de référence à la directive Normes et signaux. Il est vrai que le rapporteur nous proposera, par amendement, d'interdire la commercialisation sur notre territoire de décodeurs non ouverts et non compatibles avec tous les bouquets. C'est un début, que nous soutiendrons.

Je regrette aussi l'absence de toute référence au numérique hertzien terrestre. Vous venez d'ouvrir une concertation élargie : espérons que nous pourrons en débattre lors de la deuxième lecture. Nous comptons sur vous pour cela.

Nous devons atteindre deux objectifs : favoriser l'épanouissement de chaînes commerciales privées capables d'affronter la concurrence mondiale, et organiser un secteur public capable de gagner en puissance sans perdre son âme ; le tout dans la transparence et le respect de la concurrence.

Sur le premier objectif, vous avez su vous freiner par rapport à vos premières moutures. Le secteur commercial n'est plus le monstre à abattre. Il faut maintenant lui donner du temps et de la stabilité pour son développement. Mais je m'inquiète de propositions tendant à permettre au CSA de remettre brutalement en cause des autorisations de diffusion, surtout après une période probatoire de cinq ans. Même si l'on juge leur poids excessif, on ne peut oublier l'existence des marchés boursiers, dont dépend l'avenir de ces sociétés. Il conviendrait donc de ne remettre en cause les autorisations de diffusion qu'en cas de faute grave.

De même, le législateur doit veiller à un développement équitable des groupes existants, dans la transparence et le respect des volontés européennes. Notre rapporteur propose de revenir sur un engagement de l'Etat, concernant la montée de France Télévision sur le bouquet TPS. Est-ce si urgent, à moins d'un mois des élections européennes et à moins de trois mois de la future décision de la Commission, alors que ce projet ne sera pas encore passé au Sénat ? Y a-t-il vraiment péril ? Et pour qui ? Peut-on risquer de remettre en cause notre position de leader européen sur ce marché ?

D'autre part, il importe de permettre au service public de se développer. Avec votre proposition de holding, vous faites un pas significatif vers la logique économique mais cela ne suffira pas pour se rapprocher des autres secteurs publics européens. Il faut plus d'indépendance de gestion et de souplesse. Le service public aura besoin de diversifier ses activités et ses ressources. Quand Pierre Desgraupes dirigeait Antenne 2, entre 1981 et 1984, il avait 60 % de ressources publicitaires extérieures, contre 40 % de l'Etat ! Le rapport entre fonds privés et publics n'est donc pas la seule cause de la médiocrité, comme on l'entend trop souvent.

Comme les chaînes commerciales, le service public doit viser à l'efficacité économique maximale : cela passe par une plus grande cohérence dans la hiérarchie, par l'introduction de la responsabilité personnelle des dirigeants, par la fixation d'objectifs précis s'imposant à chaque entité, par la recherche d'économies d'échelle et par la dynamisation des filiales au service de la maison-mère. Nous avons déposé des amendements en ce sens : à l'accueil que vous leur réserverez, nous jugerons de votre volonté de soutenir ou non le service public.

Si, d'autre part, vous avez remporté un succès sur Bercy en obtenant le remboursement des exonérations de redevance, nous voudrions avoir l'assurance que cette manne ne disparaîtra pas dans un puits sans fond, mais qu'elle servira bien la création.

Le rapporteur a voulu définir le service public par la qualité, la diversité, le pluralisme, l'innovation et la cohérence. Je rajouterai pour ma part la complémentarité avec le secteur commercial, la rigueur dans la gestion et la proximité. C'est à ce prix que nous ferons passer un souffle nouveau !

M. Georges Sarre - Je me réjouis de ce projet qui manifeste la volonté qu'a le Gouvernement de défendre un secteur public que MM. Dominati et de Chazeaux réduiraient volontiers à la portion congrue. Pour notre part, mes amis et moi avons toujours souligné la nécessité d'un secteur public fort, mieux organisé, dégagé des contraintes publicitaires, inventif et diffusant une information pluraliste -un service public qui fasse référence et qui marque sa différence.

Fallait-il constituer un groupe de la télévision publique, comme y tend ce projet ? Oui, car le secteur public réduit à un seul actionnaire, l'Etat, mettait trop peu en commun ressources et talents ; ses collaborateurs pouvaient s'ignorer ou même se concurrencer. L'avantage de la holding serait de permettre à son président de gérer le groupe comme un ensemble et de proposer à toutes les composantes une ambition commune. Mais le pourra-t-il vraiment si, comme le propose un amendement voté en commission, on ampute les pouvoirs financiers du conseil d'administration de la holding et si aucun membre de celui-ci ne siège dans les conseils d'administration des filiales ? Il faut renoncer à ces frilosités d'une autre époque et revenir à la première version !

La réduction de la publicité et le remboursement corollaire des exonérations de redevance représentent un défi pour le service public. J'ai naturellement regretté que la diminution de la durée des messages publicitaires soit moins forte que prévu à l'origine : on aurait sans doute pu trouver une parade juridique pour compenser la baisse de ressources résultant d'une réduction de 12 à 5 minutes, et il était légitime de taxer globalement les recettes publicitaires pour soutenir la production...

Quant à la question du remboursement des exonérations, véritable serpent de mer, elle a été réglée d'une façon qui témoigne de la priorité accordée par le Gouvernement à la télévision publique, à un moment où certains de nos concitoyens risquent d'être privés d'accès à la télévision payante, en plein développement.

Les contrats d'objectifs et de moyens s'opposent à la logique d'une privatisation de France 2, réclamée par certains mais qui serait irresponsable et dangereuse pour tout le secteur public. Le projet industriel de celui-ci reposant sur sa participation à TPS, je regrette qu'un amendement de la commission remette en cause l'exclusivité des chaînes publiques et j'ai donc déposé deux sous-amendements de modération pour laisser aux entreprises le temps de s'adapter à ce changement.

S'agissant de la prise en compte des langues régionales dans les quotas radiophoniques, la position du Mouvement des citoyens est connue : j'espère donc que le Gouvernement saura nous entendre.

Cela dit, nous jugeons ce projet comme une véritable avancée, sans l'ombre d'une hésitation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et plusieurs bancs du groupe socialiste)

Mme Frédérique Bredin - Le sujet est à l'évidence difficile à traiter. Céline n'écrivait-il pas dans ses cahiers : "La télévision est dangereuse pour l'homme. L'alcoolisme, le bavardage et la politique en font déjà des abrutis : était-il nécessaire d'y ajouter ?" Renforcer le secteur public de l'audiovisuel est sans aucun doute un enjeu de société et il est normal que nous nous divisions à ce propos, n'ayant pas la même vision de la société ni la même conception du respect dû au téléspectateur ou de l'investissement à consentir pour l'éducation de nos enfants. Cependant, cet enjeu est considérable : il est comparable à celui que représente l'école. Nos concitoyens ne regardent-ils pas la télévision trois à quatre heures par jour ? Nos enfants ne passent-ils pas devant le petit écran autant de temps que sur les bancs de l'école ? La télévision contribue à former le langage, la façon de réfléchir, de sentir, de vivre. Elle impose ses valeurs et modèle la vision du monde.

Dès lors, l'Etat a-t-il pour mission de garantir une télévision diversifiée et de qualité ? Non, répond l'opposition : le tâche serait trop lourde, trop coûteuse et, au total, dépourvue d'intérêt. M. Dominati a clairement dit qu'il convenait de laisser cela aux forces du marché, à quelques grands groupes qui fixent ligne éditoriale et contenu des programmes. La volonté de la droite ne souffre désormais plus aucune ambiguïté : son projet est de privatiser France 2 comme elle a privatisé TF1 en 1986, en invoquant à nouveau le mieux-disant culturel et la défense des petits actionnaires. Lorsque cela sera fait, il ne restera plus qu'un tout petit service public, qu'on détruira plus tard, pour "finir le travail", selon l'expression employée par M. Françaix.

Notre réponse à nous est tout aussi claire, mais elle est opposée. Nous pensons que c'est une chance pour la France d'avoir un service public fort et de qualité, d'avoir un Gouvernement qui a levé l'étendard de l'exception culturelle et qui, dans la ligne tracée par Jack Lang, entend soutenir le cinéma et l'industrie de programmes de notre pays.

Les Français ont droit à l'audace et à l'exigence, à une télévision qui soit un espace de liberté ! Ne laissons pas l'imaginaire de nos enfants à la merci des marchands. Méditons plutôt l'exemple américain : le pays dispose de très belles chaînes de télévision, mais que de violence dans les établissements scolaires ! Vous contesterez peut-être le lien, mais ce n'est pas moi qui le fais : c'est le Président Clinton qui a mis en cause l'influence de la télévision sur les enfants et a avancé l'idée d'une "puce anti-violence" (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Les Français ont compris l'enjeu : selon un sondage paru dans Le Parisien, 68 % d'entre eux approuvent ce projet. Il nous faut donc saluer la détermination du Gouvernement et du Premier ministre à oeuvrer concrètement à un renforcement du service public. L'entreprise est d'autant plus nécessaire que celui-ci se trouve à un moment crucial de son histoire, avec l'explosion du numérique, l'internationalisation des réseaux, l'émergence de groupes privés de plus en plus puissants et la percée de chaînes thématiques qui remettent en cause l'existence des chaînes généralisées. Le chiffre d'affaires du secteur privé progresse de 5 à 10 % par an, ce qui autorise une multiplication des investissements stratégiques. En face, gênées par leur mode de gestion et par le manque de moyens, nos chaînes publiques sont contraintes à la frilosité -car, contrairement aux idées reçues, elles sont particulièrement mal loties par rapport à leurs homologues européens ! Il faut rappeler que le service public souffre de lourdeurs de fonctionnement en même temps que de la précarité de son management. Son statut est ambigu puisqu'il doit à la fois être culturellement exemplaire et trouver 50 % de ses ressources dans la publicité.

A ces difficultés, le projet apporte des réponses concrètes. La baisse de la publicité, tout d'abord, qui rendra à la télévision des espaces pour créer, innover et améliorer la qualité de ses programmes et qui lui permettra de sortir de l'injonction paradoxale évoquée plus haut. La création d'un holding qui permettra de créer des synergies. L'allongement à cinq ans des mandats de président qui remettra un peu de stabilité dans le management. Enfin, le remboursement intégral des exonérations de redevance, réclamé en vain depuis plus de quinze ans, dégagera pour les chaînes un crédit net de plus d'un milliard. Les parlementaires socialistes se félicitent de cette avancée considérable, Madame le ministre, et vous disent bravo.

Tout cela permettra aux chaînes de se débarrasser de leurs tunnels publicitaires et de se recentrer sur leurs missions. On peut notamment en espérer une amélioration des programmes destinés aux enfants.

Mais l'effort du Gouvernement devra se poursuivre car il faudra que les ressources du secteur public soient en rapport avec les moyens du secteur privé qui progressent de 5 à 10 % par an. J'espère que vous nous donnerez quelques perspectives à ce sujet, Madame la ministre, et que vous évoquerez notamment la modernisation de la perception de la redevance.

M. le Président - Veuillez conclure.

Mme Frédérique Bredin - Faute de temps, je ne parlerai pas de mes regrets et j'en arrive directement à ma conclusion.

Cette loi est un pari que le service public doit absolument gagner. Est-ce sa dernière chance ? Peut-être... En écoutant M. Dominati, nous avons en tout cas tous compris que la volonté de la droite est de privatiser France 2 (Exclamations sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF) et qu'elle mise pour parvenir à ses fins sur la lente dégradation du service public. Nous faisons au contraire le pari de la qualité, avec le souci que le téléspectateur ne soit pas réduit au seul état de consommateur et en pensant aux générations d'enfants élevés devant la télévision (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Baroin - Tel Sisyphe poussant son rocher, vous poussez inlassablement, Madame la ministre, votre projet, mais pour un résultat de plus en plus ténu, la notion même de service public devenant ici une coquille vide. Le seul débouché concret de votre réforme est la création d'une holding, superstructure dont on peut craindre quelle devienne pléthorique et coûteuse.

Tout se passe comme si vous étiez mue par la seule volonté, dans un environnement audiovisuel pourtant hautement concurrentiel, d'organiser administrativement les choses de façon à maîtriser nominations et contrôles, dans la perspective sans doute des prochaines élections présidentielles. D'où des habiletés de magicien : le texte apparait puis disparaît... Rappelons en effet les épisodes du feuilleton.

En juin 1997, vous proclamez haut et fort : la future loi de l'audiovisuel doit "tenir la route". Annonçant la baisse drastique de la publicité sur le service public, vous remettez en cause la clause d'exclusivité de TPS pour la diffusion des chaînes publiques et vous vous apercevez que la réforme de la SFP constitue un casse-tête chinois. Après ces états d'âme, vous annoncez en septembre 1997 que "la loi sur l'audiovisuel sera discutée au printemps", tout en déclarant par anticipation : "j'avancerai avec prudence". Et puis voici que vos amis de l'Assemblée veulent jouer un rôle important dans l'élaboration de la future loi. De fait, ils le jouent puisqu'ils la détruisent. L'un d'eux rappelle que ce texte "ne doit pas être le simple enregistrement d'un état de fait, ni un bricolage technique", d'autres souhaitent contrôler ceux qu'ils appellent "les marchands d'eau et de béton", trop puissants à leur goût. Tout cela conduit à un premier renoncement. En janvier de l'année dernière, on parle même de mise en bière de la grande réforme audiovisuel. Suit alors une incompréhensible période de latence, voire d'errance. Des micro-projets se succèdent, aussitôt retirés. Prêchant la réconciliation, vous reprenez votre chemin de pèlerin... C'est compter sans l'obstination de vos amis du parti socialiste, où, faute de douceur, on sort les dagues. L'un d'eux, et non des moindre, déclare par exemple : "on ne peut pas légiférer à l'aveugle".

Vous réagissez par la théorie du toboggan, mais, Madame la ministre, je n'ai jamais vu personne rebondir après avoir pris de la vitesse sur un toboggan !

Mme la Ministre - Alors parlons de grand Huit !

M. François Baroin - Quoi qu'il en soit, tous vos projets sont mis en pièces. Il n'en reste pas grand chose, à part la diminution de la publicité, mais qui pourrait être contre une telle mesure ? L'automobiliste interrogé sur le périphérique se déclarerait-il contre la suppression des bouchons ? Il aurait suffi de procéder par voie réglementaire.

Il ne faut pas prendre toutes les mouches qui volent pour des idées, Madame la ministre. La diminution de la publicité n'est qu'une mouche. Votre fameux "vaisseau amiral" en est une autre.

Bref, la prétendue grand réforme de l'audiovisuel n'est pas au rendez-vous. Vous l'avez manqué, Madame la ministre, et vos amis aussi. C'est d'autant plus regrettable que le monde audiovisuel évolue très vite. Nous avons donc perdu deux ans, je le déplore pour tous les grands professionnels, journalistes et producteurs, qui travaillent à France 2 et France 3. Vous aurez ainsi contribué à la privatisation rampante que vous feignez de dénoncer. Au total, vous aurez fait la démonstration qu'un texte comme celui-ci peut être un courant d'air... qui manque de souffle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Daniel Paul - L'avènement du numérique hertzien relance la question des télévisions locales. L'enjeu est technique, et économique, étant entendu que pour faire de la communication audiovisuelle un droit pour tous, il faudra mailler le territoire de façon équilibrée. Mais, l'enjeu est aussi culturel et social. Les citoyens sont avides de communiquer sur un quotidien, dont personne ne parle vraiment.

Aujourd'hui les initiatives pour développer les télévisions locales sont d'ampleur inégale et sans cohérence : commerciales ou non, soutenues par le service public ou des collectivités locales, diffusées sur le câble ou le réseau hertzien, entreprises ou expérience sociale, rattachées à des chaînes nationales ou autonomes...

Il y a là un vide juridique qui sert surtout les intérêts mercantiles et fragilise le service public. Il est nécessaire de réguler cette croissance et d'organiser une couverture nationale équilibrée sans abandonner les zones rurales.

Il est donc temps de définir nos objectifs en développant des télévisions locales que je voudrais qualifier de citoyennes et de proximité. Veut-on permettre l'échange entre des hommes qui partagent un vécu et une histoire ? Quel doit être l'espace géographique d'une télévision locale ? Se pose ici toute la question de l'intercommunalité. Privilégier l'initiative locale nécessite d'être attentif au poids des chaînes nationales. La télévision locale n'est plus tout à fait marginale. Il existe une demande comme le prouve le succès des initiatives locales de France 3 et de M6. Cette demande est aussi celle des acteurs locaux. Mais les télévisions locales ne doivent pas devenir la voix du maire, ni la communication être l'affaire des seuls professionnels. Les acteurs de la réalité doivent devenir les acteurs de la télévision.

D'abord quel doit être le champ géographique d'une télévision locale de proximité ? Ne faut-il pas rechercher un espace qui partage une histoire et des activités économiques ? Une telle télévision de "pays" serait un complément des chaînes nationales sans les concurrencer. Elle irriguerait toute la vie locale, les écoles, centres culturels et maisons de la culture où il en reste... Ses objectifs seraient de former, intégrer, communiquer, animer grâce à des programmes locaux. Elle coopérerait avec la presse écrite régionale et différents médias. Sa forme juridique devrait être en adéquation avec ses missions et permettre l'engagement des citoyens.

Aujourd'hui la France accuse un certain retard dans ce domaine pour des raisons financières. Le coût moyen d'une télévision diffusant uniquement des programmes locaux est de 20 à 25 millions par an. Cette question de financement est délicate. Il faut éviter de créer des positions dominantes qui déposséderaient les citoyens d'un outil qui doit leur revenir. On peut s'interroger sur la participation des grands groupes audiovisuels nationaux, la multiplication des décrochages, l'équilibre entre télévisions régionales et chaînes locales.

Nous avons déposé un amendement demandant au Gouvernement de déposer un rapport et d'organiser un débat au Parlement sur le développement et le statut des télévisions locales. Il pourrait aussi créer une mission d'information sur les télévisions locales non commerciales en Europe. Sur cette question cruciale pour l'aménagement du territoire et le lien social, le Gouvernement doit s'associer des parlementaires qui sont souvent maires. Ce pourrait être, Madame la ministre, dans le prolongement du colloque sur la télévision numérique de fin septembre (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Henri Plagnol - La lacune la plus grave de ce projet est de ne pas accorder une priorité à la télévision de proximité. Vous insistez sur la nécessité de remédier à la fracture citoyenne, de revitaliser la démocratie, de promouvoir la culture. Peut-on le faire en se contentant de discours généraux et jacobins ! Non. C'est en partant de la commune et de la région que, grâce à des médias de proximité, on favorisera une démocratie participative.

Dans le Val-de-Marne il n'y a aucun média de proximité sauf le supplément du Parisien. Les maires ont le monopole de la communication. Il est donc urgent de permettre l'émergence de télévisions locales.

M. Christian Cuvilliez - C'est ce que nous venons de dire.

M. Henri Plagnol - D'ailleurs les initiatives locales des quotidiens et des chaînes sont couronnées de succès.

Le passage au numérique offrait une occasion exceptionnelle d'agir. La France a déjà manqué le rendez-vous du câble. Il y a quelques expériences réussies comme celle d'André Santini à Issy-les-Moulineaux. Mais peu d'élus locaux ont pris ce risque de donner une tribune a leur opposition. Le numérique permettrait de rattraper notre retard.

C'est se moquer de l'Assemblée que de remettre de telles dispositions à une seconde lecture dans six mois. Il faut faire des télévisions locales une priorité absolue qui à elle seule, justifierait un tel projet.

Depuis des années France 3 a dans ses tiroirs le projet PROXIMA qui intéresse l'Ile-de-France. Mais si vous multipliez les missions de service public et faites appel pour tout à la bourse du téléspectateur, il ne restera pas assez d'argent pour cette vraie mission de service public que serait l'organisation de débats de proximité à la télévision. Les radios ont su le faire. Les élus locaux attendent que le poids exorbitant d'une idéologie dépassée ne nous fasse pas passer à côté du rendez-vous de la télévision de proximité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Patrice Martin-Lalande - Information et communication représentent déjà une part importante de l'activité économique. Les nouvelles technologies nous ouvriront plus encore sur le monde et vont bouleverser l'audiovisuel.

Aussi est-il regrettable qu'un seul projet n'aborde pas ces bouleversements et n'essaie pas d'en tirer parti.

Il aurait fallu aborder la convergence qu'implique la multiplication des contenus et des supports, et s'agissant des contenus, utiliser la numérisation de notre patrimoine culturel, favoriser la production multimédia, aider la presse à entrer dans les réseaux, développer la musique française en ligne.

Dans le livre vert publié en décembre 1997, la Commission européenne définit la convergence des réseaux comme "la capacité de différentes plateformes à transporter des services essentiellement similaires". Texte, son et parole convergent de plus en plus, la fusion du téléphone, de l'informatique et de l'audiovisuel est en cours. Les distinctions traditionnelles entre contenu, contenants, équipement se dissolvent.

Bien que la convergence entre radio et Internet existe déjà et que celle entre services de télévision et Internet soit techniquement envisageable, on constate un grand conservatisme des Français dans l'utilisation de leur télévision. La perspective "d'un grand tuyau" par lequel passeraient tous les canaux de transmission de l'information soulève quelques craintes.

Par ailleurs, les terminaux d'accès ne cessent de se multiplier. Plusieurs infrastructures, concurrentes ou complémentaires -filaires, hertziennes ou satellitaires- sont capables de transporter instantanément l'information d'un point à l'autre du globe. Tous les jours sont inventés de nouveaux services qui amènent des sons, des données ou des images.

Comment seront organisés les réseaux de l'économie de l'information ? Qui les exploitera ? Qui les contrôlera ? Qui les financera ? Comment se feront les arbitrages et les contrôles entre les différentes techniques ? Autant de questions qui ne trouvent pas de réponse dans ce texte.

Comme le soulignait le Conseil d'Etat dans son récent rapport, jusqu'à une période récente, chaque type de réseau était exclusivement ou principalement dédié à un service. Désormais, sous l'effet des convergences technologiques, les réseaux ne sont plus dédiés à des services particuliers et permettent de véhiculer tous types de contenus et de services. Dès lors, la distinction traditionnelle entre d'un côté la régulation des services et des réseaux audiovisuels et, de l'autre, la régulation des services et des réseaux de télécommunications perd sa pertinence. Une distinction nouvelle doit être opérée entre deux types de réglementations : celle des réseaux de télécommunication et celle des contenus et des services.

Enfin, il faudra prévoir un socle minimal de principes communs à tous les services de communication au public, protection des mineurs, respect de la dignité humaine, de la vie privée et des données personnelles, respect de la propriété intellectuelle, identification de la publicité comme telle.

Afin de ne pas entretenir une confusion avec le régime applicable à la communication audiovisuelle, le Parlement devrait être saisi au plus vite d'un projet de loi d'ensemble pour la régulation globale de la communication par réseau. Ce projet pourrait viser, outre le problème de la responsabilité des acteurs, celui des contrats de travail adaptés au télétravail, du financement des PME dans ce secteur, du commerce électronique...

Le Gouvernement a fait un travail intéressant avec son programme d'action pour l'entrée de la France dans la société de l'information, pourquoi refuse-t-il de le traduire sous une forme législative et d'organiser un débat sur ce thème ? Le Parlement en est réduit à proposer au coup par coup des dispositions qui ne peuvent plus attendre pour clarifier la responsabilité des acteurs. Pour ma part, j'ai déposé un amendement visant à préciser la responsabilité des fournisseurs d'accès Internet et des hébergeurs de sites, à sanctionner la dénonciation calomnieuse, permettre la levée de l'anonymat d'auteurs de sites pouvant faire l'objet de poursuites judiciaires, demander au Gouvernement de s'engager dans une négociation internationale à la véritable échelle d'Internet.

La nouvelle économie de l'information est à la recherche d'un cadre juridique favorisant le développement des nouvelles techniques et des nouveaux services. Il faut le lui apporter dans les meilleurs délais.

Pour la production multimédia, on ne peut que souhaiter l'intervention rapide de l'Etat pour identifier, inventorier et protéger les oeuvres du patrimoine, amplifier le plan de numérisation des données patrimoniales, soutenir le développement du secteur de l'édition et de la production multimédia, favoriser la consommation de produits multimédia grâce à un abaissement à 5,5 % de la TVA sur les produits et services.

L'explosion de la diffusion de la musique par des moyens numériques modifie en profondeur l'économie de la production musicale et pose dans des termes nouveaux le problème de la rémunération équitable des producteurs et des artistes interprètes. En effet, le système de distribution et de vente de musique par voie électronique menace de porter un coup décisif à la création si les mesures nécessaires ne sont pas prises, comme la préservation du droit exclusif d'autoriser les producteurs et la mise en place d'outils de propriété intellectuelle.

La copie numérique permet d'obtenir un véritable clone de la musique enregistrée originale. Un véritable marché parallèle émerge en France, mais la copie numérique ne peut plus dès lors être considérée comme privée, puisqu'elle peut devenir le vecteur d'une microéconomie de la piraterie numérique. Si rien n'est fait, l'industrie du disque française risque de connaître prochainement une évolution semblable à celle constatée aux Pays-Bas où, en 1998, le marché a reculé de plus de 15 %.

Si le numérique offre au public un accès au disque démultiplié et démocratisé et favorise une baisse des prix, la France n'en tire pour l'instant pas profit.

Les producteurs ne s'opposeront ni à l'achat en ligne de leurs disques, ni à leur téléchargement. Mais il faut trouver des garanties techniques et juridiques si l'on ne veut pas que ce marché du disque sur Internet soit exclusivement américain.

La France a un rôle moteur à jouer en proposant les services d'information et de culture alternatives dans le cadre de la convergence par le tout numérique. Je regrette profondément que le Gouvernement n'ait pas dégagé les moyens nécessaires ni développé une stratégie à long terme, pour préparer le grand rendez-vous de la société de l'information. Il nous faudra rapidement réparer cette erreur (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Patrick Bloche - Un projet pour l'audiovisuel public, tel est l'objectif principal de cette réforme de la loi de 1986 que vous avez su, Madame la ministre, porter avec une volonté et une détermination que je ne suis pas le premier à saluer.

Comment, en effet, ne pas ressentir l'impérieuse nécessité d'arrimer l'audiovisuel public au pacte républicain afin de mettre un terme à des dérives parfaitement identifiées ? Et je souhaite, à ce propos, rendre hommage au travail essentiel réalisé, durant de nombreuses années, par le sénateur Cluzel.

Des heures d'antenne progressivement colonisées par une publicité dont les ressources devenaient de plus en plus vitales pour compenser le désengagement financier de l'Etat actionnaire, des contenus élaborés d'abord dans un rapport vainement concurrentiel avec le secteur privé, ont conduit l'audiovisuel public à l'enlisement. L'audimat, cache-sexe de l'absence d'interactivité des chaînes hertziennes, a empêché toute construction identitaire de l'audiovisuel public, pourtant indispensable dès la fin du monopole.

Quant aux missions de service public que les chaînes publiques sont censées assumer, notamment à partir de la perception de la redevance, elles ont été à ce point diluées que leur redéfinition dans ce projet s'apparente moins à une actualisation qu'à une refondation.

Et le téléspectateur dans tout cela ? Il ne descend pas dans la rue pour marquer son insatisfaction, il sait prendre sur ses heures de sommeil pour satisfaire son désir d'éducation et de culture, il n'a pas trouvé la voie d'une représentation associative, il subit les tunnels publicitaires heureusement éclairés par le talent de nos créateurs, il est spontanément attiré par les nouveaux supports sans toutefois que son attrait pour les chaînes thématiques ait remis en cause la suprématie des généralistes.

Finalement, le téléspectateur est sage et l'écran noir étant à l'audiovisuel ce que la dissuasion nucléaire est aux relations internationales, tant qu'il y a des images animées et quels que soient les contenus véhiculés, tout drame est évité.

C'est ainsi qu'année après année, des glissements se sont produits et que l'avenir même de l'audiovisuel public s'en trouve soudain menacé.

C'est parce que vous avez fait ce constat en exerçant tout simplement la responsabilité de l'Etat actionnaire, que vous avez choisi de façon si déterminée non d'opérer quelques corrections à la marge mais de porter une vraie réforme donnant au secteur public cette identité qui lui manque tant.

Les interrogations de l'automne et de l'hiver ayant trouvé leur réponse au printemps, votre réussite est d'autant plus politique qu'elle intègre une indispensable dimension budgétaire.

Ce surcroît de ressources pour les chaînes publiques -1 milliard pour développer de nouveaux programmes- mais aussi pour les chaînes privées -par le transfert des investissements publicitaires- aura des conséquences sur le financement du cinéma en augmentant logiquement la contribution de l'audiovisuel qui, développement du numérique aidant, aura besoin de plus en plus de films.

La fluidité des droits est au coeur de la controverse alimentée par les accords Bloc-Canal Plus, d'une part, et Blic-TPS, d'autre part. L'enjeu de la seconde fenêtre cristallise les oppositions actuelles. Encore faut-il que la revendication de ce droit de diffusion supplémentaire ne porte pas atteinte à la diversité du cinéma français et ne réduise pas de façon substantielle le nombre de longs métrages créés chaque année.

J'ai particulièrement apprécié l'appel que vous avez lancé à l'ouverture du Festival de Cannes afin que toutes les télévisions payantes souscrivent à un même corps de droits et de devoirs.

La concurrence entre opérateurs et la diversité du cinéma français doivent ainsi se combiner avec un investissement important des chaînes dans le préfinancement des films.

Vous avez insisté à juste titre sur la nécessité de proportionner la durée d'exclusivité pour la première diffusion payante à la nature et à l'ampleur des risques financiers pris par l'opérateur à l'égard du film concerné. Par ailleurs la diversification des investissements des opérateurs doit être garantie afin de préserver le financement des films à petit budget, l'ARP suggérant un seuil de devis de 25 millions.

Un mot sur l'exploitation des films en salle. Vous connaissez mon extrême réserve quant au développement des multiplexes dont le nombre vient en France de dépasser la cinquantaine. Je réfute les arguments des trois grands distributeurs et suis au regret de constater la diffusion exponentielle des superproductions hollywoodiennes. Les récentes déclarations du PDG de la Gaumont pour qui les subventions devraient provenir de la collectivité et non du cinéma sapent les bases mêmes de l'exception culturelle.

J'en viens aux enjeux de la société de l'information. La multiplication des chaînes numériques hertziennes terrestres aura de grandes conséquences sur notre industrie de programmes. On évoque la possibilité de dégager six réseaux pouvant transporter de 24 à 36 programmes, ce qui permettra le développement d'une télévision de proximité interactive et pluraliste. Le service public audiovisuel devra être, à cet égard, une référence.

Mais il faut se garder de toute précipitation pour fixer le calendrier et les modalités de la numérisation. Un débat associant tous les acteurs concernés doit avoir lieu, dont nous attendons les conclusions pour les inscrire dans le projet lors de sa deuxième lecture.

Il faudra aussi à terme redéfinir le champ de la communication audiovisuelle. Il était sans doute trop tôt pour toucher aux deux piliers du Temple que constituent les deux premiers articles de la loi de 1986. La communication par réseau, qu'il s'agisse du réseau ouvert Internet ou des réseaux fermés des intranets, se développe fortement, aidée par le programme d'action gouvernemental pour la société de l'information. Mais la régulation de la communication audiovisuelle s'avère de plus en plus inadaptée à cette nouvelle forme de communication.

En effet, la communication par réseau, quel que soit son procédé, ne constitue pas une ressource rare susceptible d'une régulation économique assurant l'égalité de traitement et la libre concurrence. Mais elle ne peut pas porter atteinte au pluralisme, puisqu'elle n'est pas diffusée par l'intermédiaire d'une ressource rare, mais qu'elle donne accès à des signaux, des écrits et des images de toute nature.

J'espère que le débat sur les articles permettra d'abandonner le régime de déclaration préalable des services en ligne et des services télématiques et de clarifier la responsabilité des intermédiaires techniques de la communication par réseau.

Le développement des nouveaux services est une vraie chance pour l'audiovisuel public, non seulement parce qu'ils lui permettront de mieux remplir ses missions mais aussi parce qu'ils constitueront une troisième ressource, ajoutée à la redevance et à la publicité.

Ainsi, ne laissons pas d'autres débats, somme toute mineurs, occulter les enjeux véritables pour l'audiovisuel public : être une référence en matière de qualité, un espace de citoyenneté mais aussi l'élément essentiel d'un vaste espace numérique au service de l'intérêt général. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. Léonce Deprez - L'évolution vers le numérique doit être organisée avec sagesse. Il ne faut pas détruire ce qui est pour pouvoir créer ce qui n'est pas. Gouverner c'est prévoir, et donc trouver le moyen d'assurer la pérennité de la presse écrite tout en soutenant le développement de l'audiovisuel. En effet, les experts prévoient 7 à 8 réseaux numériques par ville, ce qui portera gravement atteinte aux ressources publicitaires de la presse écrite régionale. Les grands groupes financiers ne doivent pas prendre le contrôle du pouvoir de la communication. La démocratie a besoin d'une presse pluraliste.

La multiplication des antennes locales de France 3 doit s'accompagner d'un plan réfléchi sur le développement de la presse écrite régionale. Certains voient la télévision devenir de plus en plus locale. Son financement le deviendra donc aussi. Il faudrait donc prévoir et encourager l'association de la presse écrite locale au fonctionnement des chaînes de télévision régionales, sans quoi ses ressources publicitaires diminueront gravement. De nombreux quotidiens régionaux et départementaux ne pourraient y survivre.

La réduction du temps de publicité sur France 2 et France 3 est un progrès. Il fallait mettre un coup d'arrêt au détournement de la vocation de la télévision publique. En publicité comme ailleurs, le trop tue le tout et ne peut ici qu'inciter au zapping. Entre 1992 et 1998, les recettes publicitaires de France 2 ont augmenté de 60,5 % et celles de France 3 de 185 %. Le cinquième canal a été financé en réalité par la publicité. La fameuse BBC, elle, n'a pas de ressource publicitaire. En Allemagne, la publicité est interdite sur les chaînes publiques après 20 heures et le week-end. L'explosion des recettes de France 2 et France 3 a permis à l'Etat de réduire ses dotations. En conséquence, France Télévision n'a pas pu se constituer de fonds propres, ce qui a donné lieu à des dérives dans la programmation, les chaînes étant soumises aux exigences des annonceurs.

Tout cela n'est pas ce que l'on attend d'une télévision publique. Mieux vaut ne pas s'acharner à alimenter le secteur public par des financements privés.

Le développement de l'audiovisuel numérique ne doit pas conduire à une concentration accélérée des moyens de communication et d'information dans les régions. Pour garantir une démocratie pluraliste, il faut assurer à la presse écrite régionale, qui a déjà beaucoup moins de lecteurs en France que chez nos voisins, ses ressources publicitaires (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Ernest Moutoussamy - Votre réforme est fondée sur trois priorités : la réorganisation du service public, le développement d'une industrie de programmes créative et la régulation du secteur privé. Nous y adhérons pleinement.

En outre-mer, où la magie de l'image est forte et la consommation audiovisuelle élevée, ce projet de loi suscite un grand intérêt, notamment en ce qui concerne l'avenir de la société nationale RFO. Deux questions principales se posent : quelle doit être sa mission, et doit-elle intégrer la holding ?

Il est évident qu'après avoir connu le confort du monopole, la chaîne publique doit s'adapter au développement des bouquets numériques et se donner de nouvelles perspectives. Selon nous, sa mission consiste désormais à transformer les stations régionales en véritables télévisions de bassin, en poursuivant la stratégie de décentralisation. Dans le cadre d'un contrat d'objectifs avec l'Etat et la holding France Télévision, la société RFO, dont le niveau technique régional est à améliorer, deviendrait une chaîne majeure, favorisant l'éclosion des talents et d'un marché audiovisuel diversifié dans les DOM-TOM. Outre assurer la continuité territoriale et le principe d'égalité, avec la diffusion d'un éventail de programmes proches de ceux reçus en métropole, RFO doit développer des radios et des télévisions de proximité et s'imposer comme garant de l'expression, de l'identité et des cultures ultra-marines. En se voulant le reflet de la vie territoriale, tout en évitant le risque de ghetto, RFO doit favoriser des productions locales de qualité, susceptibles d'être mises à la disposition des autres sociétés nationales.

Face à l'offensive libérale internationale, aux enjeux de pouvoir et d'affaires, RFO doit résister à la tentation de servir n'importe quelle soupe pour gagner en audience et en publicité.

Notre télévision éducative, citoyenne et émancipatrice peut assurer un service international d'images, s'inscrire dans une mission de coopération régionale et, en même temps prétendre être l'instrument audiovisuel d'une politique européenne des régions ultrapériphériques.

Madame la ministre, cette politique moderne, audacieuse et bénéficiant d'un effort financier sans précédent ne passe pas par l'intégration de RFO à la holding France Télévision. Bien au contraire dans la mesure où la fonction première de la holding est la diffusion et non la production et où RFO pourra obtenir sa part du milliard prévu pour développer de nouveaux programmes, une formule de partenariat avec la holding et l'Etat prenant en compte notamment les possibilités d'échange de programmes, de mobilité inter-entreprise et de développement de nouveaux services peut donner satisfaction à tous. C'est le sens des propositions que nous vous faisons (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

Mme Françoise de Panafieu - Devant tout projet, le législateur se demande s'il est adéquat au problème posé. Fallait-il aujourd'hui un projet de loi sur l'audiovisuel. Oui. Ce projet répond-il aux problèmes posés ? Non. Oui, il fallait un projet de loi, s'il se donnait pour mission première de définir ce que doit être aujourd'hui le service public de l'audiovisuel, dans un secteur en pleine mutation technologique. Or le but est manqué, et même triplement, puisque nous examinons aujourd'hui un projet morcelé, un projet archaïque et passéiste, un projet enfin qui ne répond à aucune des grandes questions de demain.

C'est tout d'abord un projet morcelé. Il est pourtant à l'étude depuis trois ans et il faut encore croiser le texte déposé en décembre à l'Assemblée avec l'amendement du Gouvernement pour comprendre ce que sera la loi. Pourquoi une telle complication ? Pour créer un flou ? Pour éviter les avis des instances consultatives, CSA et Conseil d'Etat ? Cet amendement gouvernemental ressemble fort à un détournement de procédure.

Si j'ai bien compris, pour le secteur public, il s'agit de procéder à la création d'une holding, mais avec ou sans RFO ? Il s'agit de réduire la publicité de 12 à 8 minutes maximum par heure en deux ans ; et enfin de rembourser les exonérations de redevance, soit 2,5 milliards de plus pour le secteur public. Tout cela peut apparaître constructif. A l'heure des grandes concentrations, nous sommes les seuls en Europe à avoir un audiovisuel public complètement éclaté, avec quatre sociétés de programmes distinctes, plus une kyrielle de sociétés satellites type INA ou SFP. En parallèle, notre secteur public est notoirement sous-financé par rapport à ses équivalents anglais ou allemand.

Assainir son financement est donc nécessaire. Encore faut-il être sûr que la réforme de ses structures sera bien fonctionnelle, et non un gouffre sans fond. A cet égard, les pouvoirs du président de la holding sont encore bien flous. Aura-t-il la réalité du pouvoir de nomination des directeurs des chaînes ou appartiendra-t-elle au conseil d'administration de la filiale, dans lequel le président de la holding semble avoir un pouvoir bien limité ? D'autre part, le pouvoir financier sera-t-il bien localisé au niveau de la holding, malgré les plans stratégiques que l'Etat passera avec chacune des filiales ? Si ces deux points ne sont pas pleinement clarifiés, on peut redouter le pire : que cette holding plus virtuelle que réelle ne soit qu'une source supplémentaire de dépenses improductives, et une nouvelle cause de querelles intestines qui ne manqueraient pas de paralyser le "monstre", comme l'a appelé récemment Hervé Bourges lui-même.

En second lieu ce projet est archaïque et passéiste. Il l'est tout d'abord dans sa forme : au lieu de définir clairement des objectifs et des priorités politiques, il ne cesse de renvoyer à des décrets dont nous ignorons le contenu. Cela signifie qu'une fois de plus l'administration, seule dans son coin, va tout définir dans le détail, sans contrôle parlementaire ni obligation de négociation avec les professionnels. Cette procédure est parfaitement inopérante dans ce secteur en pleine mutation technique, l'élaboration de la loi et des décrets prendra au moins deux ans et peut-être quatre, aboutissant à un texte par définition caduc au moment de sa parution. C'est à pleurer de rire ou à pleurer tout court.

Mais cette loi est aussi passéiste dans son contenu. Hormis la réforme du secteur public, elle se contente d'une remise à niveau sur deux points sur lesquels nous avions un retard certain. C'est d'abord le régime du satellite, ignoré à ce jour dans notre loi. Le projet l'aligne sur le régime du câble. Peut-être aurait-on dû simplifier et alléger celui-ci, au lieu de réglementer peut-être à l'excès un secteur, le satellite, où pour une fois, et sans doute grâce à cette absence de réglementation, la France se trouve être le numéro 1 mondial. En second lieu le projet transpose la directive européenne "Télévision sans frontières". C'est à la demande pressante de la France que cette directive indispensable, fondement de l'exception culturelle, a été adoptée par Bruxelles. Vous n'avez pourtant pas été capables de la transposer dans notre législation avant la date limite du 31 décembre 1998. Pour se discréditer auprès de nos partenaires européens, on pouvait difficilement faire mieux et cela augure mal de la prochaine négociation bruxelloise sur ce sujet ! Mais enfin c'est fait.

En troisième lieu, cette loi ne répond à aucune des grandes questions de demain.

Tout d'abord elle est muette sur le numérique hertzien. Celui-ci permet de multiplier par six le nombre des canaux accessibles par le public sans modifier les antennes actuelles. Alors que le satellite numérique ne concerne actuellement que 10 % des foyers français, tout en abimant notre paysage, le numérique hertzien sera presque immédiatement accessible à près de 80 % de la population. C'est donc grâce à lui que l'on pourra rentabiliser nos chaînes thématiques, qui sur le satellite et le câble n'arrivent pas à trouver un équilibre économique, développer les services interactifs et créer sans doute de véritables télévisions de proximité. En Angleterre et en Suède, cela fonctionne depuis l'année dernière. En Irlande, en Norvège, aux Pays-Bas et en Espagne, c'est en cours d'installation. Et l'Allemagne commence à s'y mettre. Pendant ce temps là, nous élaborons une loi dite globale et générale sur l'audiovisuel français dans laquelle on ne dit mot sur le sujet ; pire, la loi Fillon, qui permettait de procéder à des expérimentations en la matière, étant arrivée à son terme le 1er avril dernier, on ne prévoit même pas son renouvellement.

Cette situation est grave : pour deux raisons. D'abord ce retard nous fait perdre des fréquences à nos frontières, où nos voisins profitent de notre absence. Quand, au bord de la Manche, les Français ne pourront plus recevoir en numérique hertzien qu'une majorité de programmes anglo-saxons, l'exception culturelle française aura l'air malin... La gestion optimum de notre parc de fréquences, denrée rare, est au moins aussi importante que celle de nos matières premières. En seconde lieu, nos industriels qui, grâce au satellite, ont acquis une avance technologique importante dans le numérique, sont en train de se faire rattraper par leurs concurrents européens. C'est aussi le cas des éditeurs français de chaînes thématiques, qui n'ont pas dans leur pays un marché suffisant. Et l'absence de règles du jeu dans ce secteur n'aura pas les mêmes effets bénéfiques que pour le satellite, car personne en France ne peut utiliser une fréquence sans y avoir été nommément autorisé. Qu'attend-on pour définir les règles du jeu et permettre au CSA, qui ne cesse de le réclamer, de s'y lancer ?

Enfin cette loi coûte cher au budget de l'Etat -2,5 milliards d'exonération de redevances- et nous n'avons aucune garantie sur l'utilisation de cette manne financière. Quelles sont les sociétés de l'audiovisuel public qui en bénéficieront ? Seront-ce les sociétés de programmes, France 2, France 3, la Cinquième, Arte, et donc, avec un peu de chance, les Français ? Ou est-ce que l'argent ira une fois de plus à des institutions comme la SFP ou l'INA ? A l'intérieur des sociétés de programme, cet argent ira-t-il bien vers les programmes eux-mêmes, ou tombera-t-il dans les frais généraux et la masse salariale de ces superstructures, que l'on embellit d'un étage supplémentaire ? Enfin, à l'intérieur des programmes, cette somme ira-t-elle bien de préférence vers la production française et non pas au renchérissement des "animateurs producteurs", des coûts de retransmissions sportives, du prix d'achat des films américains ou des surcachets de quelques acteurs ?

L'avenir de notre identité culturelle passe par le renforcement de notre outil de production audiovisuelle et cinématographique. Le point faible de l'audiovisuel français est le secteur public. Compte tenu de son rôle social et culturel, lui consacrer 2,5 milliards peut parfaitement se justifier. Encore faut-il avoir défini sa mission avec clarté et s'assurer que cet effort financier y contribuera. Rien ne nous le garantit aujourd'hui. Et que l'on arrête de dire aux Français que, puisqu'on n'augmente pas la redevance, ce ne sont pas eux qui payent. Les 2,5 milliards viennent du budget de l'Etat, donc de leurs impôts : ils sont en droit d'attendre un meilleur rendement de leurs efforts.

Madame la ministre, vous avez passé plus de deux ans sur ce texte. Force est de reconnaître que vous avez totalement manqué le but. C'est pourquoi mon groupe ne saurait voter le projet (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Huguette Bello - L'évolution technique et le satellite obligent à repenser la problématique de l'audiovisuel public, ce qui, outre-mer, signifie redéfinir le concept de RFO. Ce projet de loi offre l'occasion d'esquisser ce que pourrait être un service public audiovisuel outre-mer.

L'audiovisuel public doit d'abord, grâce aux progrès technologiques, mettre en oeuvre le principe républicain d'égalité d'accès à l'image. Les citoyens d'outre-mer n'ont toujours pas accès à l'intégralité des programmes des chaînes nationales et doivent se contenter d'une sélection. Les contraintes techniques à l'origine de cette inégalité sont à présent levées. Bien des professionnels jugent inéluctable la diffusion intégrale des programmes des chaînes nationales par les bouquets satellitaires. Ne subissons pas cette évolution : anticipons. Après l'égalité politique et l'égalité sociale, cette fin de siècle pourrait être celle de l'égalité d'accès à l'image, qui conditionne de plus en plus le développement.

Une telle évolution remet en cause la mission initiale de RFO, qui consistait surtout à assurer la continuité territoriale. Cessant d'être un simple récepteur-diffuseur de programmes, RFO peut devenir une véritable chaîne régionale et retrouver ainsi une vocation internationale. Ainsi, à la Réunion, RFO pourrait produire, notamment en coopération avec les pays voisins, des émissions locales et régionales diffusées dans l'île même et dans les pays de l'océan Indien, ce qui y conforterait la francophonie. RFO deviendrait alors un concepteur-producteur d'images, avec deux axes forts : l'ouverture au monde et une plus grande attention à l'environnement immédiat. C'est à cette double condition qu'on évitera la consommation passive d'images, que l'audiovisuel pourra devenir un outil de coopération régionale, que le transfert des images ne se fera plus exclusivement selon l'axe nord-sud.

Si RFO dispose des moyens de ces nouvelles missions de production locale et de coopération régionale, son rattachement à la future holding France Télévision est envisageable. Cette question a suscité bien des débats qui, à côté de craintes, ont mis en lumière les espoirs que font naître les bouleversements en cours. Ainsi à la Réunion : si les personnels approuvent pour la plupart l'idée d'une intégration, chacun refuse une recentralisation larvée et le retour à l'époque de FR3-Délégation Outre-mer ! Face à un secteur privé en pleine croissance, l'intégration ne sera garante de l'avenir que si missions et moyens sont précisément définis : RFO ne doit pas devenir la "variable d'ajustement" de la future holding, il lui faut à côté d'objectifs clairs un budget adéquat.

Le taux d'équipement en paraboles est un bon indicateur des attentes qui se font jour dans l'île : tous souhaitent un service public moins lointain et plus innovant. Essayons ensemble de ne pas les décevoir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste)

M. Edouard Landrain - Alors que notre Gouvernement vient de décider de signer la charte des langues régionales et minoritaires, ne croyez-vous pas, Madame la ministre, que votre projet aurait pu être moins timide sur ce chapitre ? N'auriez-vous pas dû assigner, tout particulièrement à France 3, la mission de défendre les langues et cultures régionales ? Nos amendements viseront à combler cette lacune en affirmant cette vocation de proximité.

Votre texte est, d'autre part, bien imprécis en matière sportive : qu'en sera-t-il notamment des grands événements qui se déroulent en France ? Pourra-t-on acheter l'intégralité des droits, quitte à ne pas diffuser ? Je pense au contraire qu'il faudrait obliger les acquéreurs à diffuser ces événements en direct intégral...

Il faudrait aussi exiger des chaînes publiques qu'elles accordent un temps d'antenne aux sports à faible audience, sans qu'il soit besoin pour cela de payer, comme c'est arrivé avec France 3. De même, elles devraient être associées aux campagnes de santé publique, en particulier de lutte contre le dopage. La disposition figure déjà dans la loi défendue par Mme Buffet : ne serait-il pas bon qu'elle soit reprise dans celle-ci ?

S'agissant du rachat de clubs de football par des chaînes de télévision, même si son appel d'offres est prévu, il conviendrait de rendre obligatoire un avis du CSA. Evitons que les compétitions sportives se transforment en compétitions entre chaînes, publiques ou privées !

Il serait également dommage qu'un opérateur puisse s'assurer l'intégralité des droits à l'intérieur d'une discipline : ne pourrait-on s'inspirer de ce qui se fait en Italie, où on a fixé une limite de 60 % ? La liberté de concurrence y gagnerait et les appétits seraient bridés, surtout si la disposition était assortie de l'obligation de diffuser l'intégralité des événements en temps réel.

Nous souhaiterions enfin être rassurés sur la coordination, inévitable, entre votre action et celle des autres pays européens. Actuellement, les efforts semblent aller dans toutes les directions et, surtout, on peut redouter que, quelle que soit la valeur de nos clubs et équipes, ceux-ci pèsent peu, compte tenu des moyens dont on se dote à l'étranger (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Jean-Marie Le Guen - On l'a déjà dit, ce qui importe, c'est d'affirmer les principes qui doivent guider le développement du service public, en vue de conforter son identité. La convention d'objectifs et de moyens qui doit être passée entre l'Etat et France Télévision permettra sans doute de définir l'essentiel de ces orientations, mais nous souhaiterions que le Parlement puisse donner son avis à leur sujet. De même, nous devrions pouvoir dire notre mot, comme le prévoit un amendement de la commission des finances, sur la répartition des crédits destinés à l'audiovisuel public.

La constitution d'un holding vise à coordonner l'utilisation de ces moyens, dans un souci d'efficacité. Quant au remboursement des exonérations de redevance, si certaines relèvent que rien ne le garantit, nous avons foi, nous, en notre volonté de défendre le service public. Tant pis pour ceux qui ne rêvent que de l'affaiblir en le privatisant !

La réduction de la publicité contribuera à conforter l'identité du service public, mais celle-ci n'est pas affaire que de financement ou de définition des missions. Compte aussi le mode de fonctionnement et nous devrions donc bien réfléchir aux conditions d'une démocratisation qui ne soit pas un simple gadget. J'ai, avec d'autres, déposé des amendements visant à instituer un collectif national des programmes pour associer les téléspectateurs au fonctionnement de France Télévision. Il y a beaucoup à apprendre à cet égard des conférences régionales qui, en Grande-Bretagne, contribuent à mobiliser les téléspectateurs en faveur de la BBC, qu'ils considèrent réellement comme "leur" chaîne. On ne peut se contenter de l'audimat ni des interventions que permettra demain le développement de l'interactivité : il faut que les téléspectateurs soient associés à la confection de la grille des programmes. Il y va de l'avenir même du service public. Nos propositions de démocratisation lui assureront l'assise populaire que cherche aussi à lui donner, d'une autre façon, M. Dominati. Il est indispensable que les dirigeants de France-Télévision aient le même souci : rien ne serait pire que de donner au secteur public une orientation purement technocratique ou de construire de grandes machines en oubliant les téléspectateurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Henri Nayrou - En première mi-temps, Madame la ministre, vous avez dû jouer en défense, probablement parce que vous jouiez contre les vents, mais vous avez su reprendre l'avantage en deuxième période, et vous allez certainement gagner le match !

Notre paysage audiovisuel a besoin d'un service public fort, à la britannique ou à l'allemande, peu importe pourvu qu'il n'ait pas pour seule référence la ménagère de moins de cinquante ans ! Celui qui sortira de cette loi ne sera pas, en tout cas, un service public au rabais, puisque son viatique sera accru d'un milliard de francs !

Ce sera mieux pour la culture et pour l'éthique, donc pour le sport. Je veux dire : pour tous les sports, car actuellement beaucoup d'entre eux n'ont pas les grâces de l'audimat.

La télévision est devenue le premier sponsor et le premier public du sport. Le problème est d'éviter qu'elle en prenne le contrôle absolu. Il appartient au législateur d'y veiller.

S'agissant des rapports entre audiovisuel et sport, plusieurs questions sont à régler. D'abord qui est propriétaire des droits sur les matchs ? En tout cas, il ne me paraît pas concevable que chaque club opère de son côté, égoïstement. Il faut au contraire assurer une mutualisation des recettes, étant entendu que pour que se dégage un premier, il faut bien aussi qu'il existe un dix-huitième ! Les compétitions sportives sont de l'ordre du bien collectif.

Deuxième question à régler : les achats de clubs par des opérateurs privés. Dans ce domaine, les grandes manoeuvres ont commencé et je regrette donc que la loi n'ait pas prévu des règles adaptées aux principes de concurrence loyale tant glorifiés par Bruxelles, adaptées aussi au danger que fait courir ces prises de contrôle au sport. Il est plaisant de constater que l'Angleterre, championne pourtant du libéralisme sportif, vient d'interdire à M. Murdoch, au nom de la libre concurrence, d'acquérir le club de Manchester.

Troisième problème à régler : la multipropriété sur les clubs. Nous y reviendrons plus tard.

Quatrième question : les achats globalisés et sur le long terme. Il s'agit d'éviter le schéma suivant : j'achète tout ce qui se présente, et pour longtemps ; je contrôle ; j'empêche mes concurrents de contrôler ; je spécule et je revends.

Enfin, comment garantir aux téléspectateurs un libre accès aux événements sportifs majeurs, à ce que l'on pourrait appeler les grandes fêtes de la République ? Une réponse à cette question est opportunément apportée à l'article 10 du projet, il convient de vous en féliciter, car les Jeux Olympiques, les Coupes du monde, le Tournoi des Cinq nations, le Tour de France, les championnats de Roland-Garros..., toutes ces manifestations d'envergure dépassent le simple cadre sportif et appartiennent à notre histoire, notre culture, notre peuple. Elles ne doivent donc pas donner lieu à un paiement supplémentaire.

En conclusion, je souhaite que, dans sa nouvelle configuration, le groupe France Télévision soit financièrement en mesure de ramasser autre chose que des miettes sur le grand marché des exclusivités sportives. Et j'espère que ses futurs présidents partageront cette envie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Daniel Marsin - L'esprit de ce projet correspond globalement à ma vision du rôle d'un vrai service public de l'audiovisuel, lequel doit constituer un point de référence fort. Mais en tant qu'élu guadeloupéen, je souhaite surtout vous parler du rôle de RFO.

J'ai la conviction que ce réseau est à la croisée des chemins. Soit il reste une chaîne à faible capacité de production et de diffusion, et alors, malgré son haut potentiel humain et professionnel, il se banalisera jusqu'à dépérir, soit nous lui donnons une véritable mission de service public, ce qui supposerait une réelle capacité à produire et à co-produire du "local", qui valorise les langues et les cultures du territoire dans lequel les populations puissent vraiment se retrouver, ce qui supposerait aussi un vaste plan de valorisation des ressources humaines et des équipes.

Doté de moyens suffisants pour mettre en place une dynamique de production et de co-production à partir des compétences et des réalités locales et régionales, le nouveau RFO pourrait accroître son audience. D'abord auprès des populations locales, qui seraient tout naturellement les premiers amateurs des oeuvres produites. Mais aussi au niveau national, pour peu qu'un partenariat se développe entre RFO et les autres membres de l'audiovisuel public. Cette idée inspire un amendement à l'article 4 que nous défendrons le moment venu. A ces deux niveaux s'en ajoute un troisième : la coopération régionale, la région signifiant pour nous, Antillais, l'ensemble de la sphère Caraïbes, pour nos compatriotes de la Réunion, l'Océan indien...

RFO devrait aussi pouvoir constituer un tremplin pour une rediffusion sélective des productions les plus marquantes des grandes chaînes nationales.

Sur tous ces points, j'ai le sentiment que le nouveau président de RFO ainsi qu'une large fraction des personnels partagent le point de vue que je viens d'exposer. Il s'agit de permettre à RFO de devenir pleinement ce vecteur d'information, de communication, d'éducation et de promotion culturelle que souhaitent les populations des départements et territoires d'Outre-mer. Laissez-moi donc rêver que nous puissions faire de RFO un exemple d'équilibre entre les exigences de la concurrence et l'impératif citoyen. Ce sera en tout cas le sens d'un amendement à l'article 2 que nous sommes plusieurs à souhaiter voir adopté.

Les régions ultra-marines françaises veulent être ouvertes sur le monde et en prise directe avec le village planétaire. Encore faut-il leur en donner les moyens. Elles attendent donc un engagement fort en faveur de RFO. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Germinal Peiro - Je voudrais vous parler d'une expérience de télévision locale.

Cette télévision, nommée Aqui TV, est diffusée sur le réseau hertzien dans le département de la Dordogne. Créée en 1991 grâce à une initiative privée, elle couvre aujourd'hui une population d'environ 300 000 habitants et a chaque jour deux heures de programme propre, dont un journal. Conscient de la place de celle-ci dans le paysage audiovisuel périgourdin, le Conseil général de la Dordogne lui accorde un soutien financier de 3,6 millions.

D'une manière générale, les télévisions locales suscitent de plus en plus d'intérêt. Mais comment éviter qu'elles deviennent celle de M. le maire ou de M. le président du conseil général ? Dans le cas que j'ai cité, le problème ne se pose pas car les journalistes respectent leur déontologie et car le CSA exerce son contrôle. D'ailleurs, l'alternance politique qui s'est produite à deux reprises au Conseil général n'a pas affecté l'aide accordée par celui-ci.

Quel financement prévoir pour ces télévisions locales ? Pour ma part, je suis convaincu que les recettes provenant de la publicité sont indispensables. Autrement dit, l'interdiction de faire de la publicité pour la distribution doit être levée.

Les télévisions locales nuisent-elles à la presse quotidienne régionale ? Je ne crois pas, bien au contraire. Car l'information crée elle-même un besoin d'information, en particulier sur la vie de la région.

Pour conclure, je souhaite que nous trouvions les dispositions législatives et réglementaires de nature à favoriser l'éclosion de nombreuses télévisions locales dans notre pays. Dans un monde où tant de nos concitoyens ont du mal à trouver leurs repères, elles ont un rôle à jouer en termes d'identité et de lien social. Elles offrent aussi un formidable potentiel de création et de diffusion culturelle (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La discussion générale est close.

La suite du débat est renvoyée à une prochaine séance.

Prochaine séance ce matin, mercredi 19 mai à 9 heures.

La séance est levée à 1 heure.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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