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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 106ème jour de séance, 270ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 10 JUIN 1999

PRÉSIDENCE DE M. François d'AUBERT

vice-président

          SOMMAIRE :

EXPRESSION "GUERRE D'ALGÉRIE" 1

    ARTICLE PREMIER 15

    APRÈS L'ARTICLE PREMIER 17

    ART. 2 17

    ART. 3 18

    ART. 4 18

    ART. 5 19

    TITRE 19

    EXPLICATIONS DE VOTE 19

La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.


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EXPRESSION "GUERRE D'ALGÉRIE"

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de M. Jacques Floch et plusieurs de ses collègues relative à la substitution de l'expression "opérations effectives en Afrique du Nord" par celle de "guerre d'Algérie et opérations effectuées en Afrique du Nord".

Le rapport de la commission des affaires culturelles porte également sur les propositions de loi de M. Maxime Gremetz et de M. Georges Colombier ayant le même objet.

M. Alain Néri, rapporteur de la commission des affaires culturelles - La proposition de loi que j'ai l'honneur de vous présenter constitue une initiative au contenu symbolique très fort prise par le groupe socialiste. Elle permettra de réparer une injustice à l'égard des anciens combattants d'Algérie et de rétablir une vérité historique trop longtemps pudiquement dissimulée sous les vocables de "maintien de l'ordre", de "pacification", voire "d'événements d'Algérie" ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste). En affirmant clairement et nettement qu'en Algérie, c'était bien la guerre, cette proposition de loi donne toute sa place à la troisième génération du feu au coeur du monde combattant.

Il aura donc fallu plus de quarante ans pour que le langage officiel se mette en conformité avec le langage courant, plus de quarante ans pour que les demandes légitimes des anciens combattants d'Algérie et de leurs associations, comme celles des élus -je l'avais moi-même demandé à cette tribune en 1989 lors de l'examen du budget des anciens combattants- soient entendues.

Je tiens, Monsieur le secrétaire d'Etat, à rendre hommage à votre clairvoyance et à votre courage : vous avez été le premier ministre a employer systématiquement l'expression guerre d'Algérie dans vos discours et courriers officiels (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Vous avez également inauguré de nombreux monuments aux morts portant l'inscription guerre d'Algérie. C'est également en votre présence que deux plaques ont été déposées pour matérialiser la reconnaissance de la nation aux soldats d'Algérie, l'une à Notre-Dame de Lorette sur le cercueil du soldat inconnu de cette guerre, l'autre sous l'Arc de Triomphe.

Je me félicite que la République française reconnaisse, dans des conditions de stricte égalité avec les combattants des conflits antérieurs, les services rendus par ceux qui ont combattu en Algérie. Il s'agit d'une vérité d'évidence. L'attente fut pourtant longue, trop longue.

Comment pouvait-on appeler autrement que guerre un conflit qui a mobilisé plus de 1,5 million de jeunes Français pendant huit ans, qui a provoqué 30 000 morts et laissé 60 000 blessés ? Comment ne pas se rappeler le cri de détresse de la génération qui eut "vingt ans dans les Aurès" ? Comment ne pas se rappeler le sacrifice des harkis ? Comment oublier l'angoisse des pères et mères des jeunes appelés, des femmes et enfants des rappelés, des militaires d'active et de gendarmerie, dans l'attente du retour du gosse ou du père ?

Il nous faut assumer l'Histoire telle qu'elle est, par respect pour des générations de Français et d'Algériens touchés sur un plan personnel, physique, psychologique ou familial par ce conflit. Oui, en Algérie, c'était la guerre.

Notre proposition de loi veut asseoir la légitimité combattante des anciens combattants d'Algérie. Elle a aussi pour ambition de répondre au devoir de mémoire de la Nation en rendant hommage à leur sacrifice et en les réunissant officiellement aux anciens des conflits antérieurs. Ils l'étaient déjà dans nos coeurs, ils le seront maintenant de par la loi.

Nous aurions pu aller plus loin dans ce texte en y incluant des mesures matérielles. Mais c'eût été affaiblir sa portée symbolique comme le devoir de mémoire légitimement dû aux combattants de la guerre d'Algérie.

Oui, avec Jaurès, j'affirme que le courage, c'est de chercher la vérité et de la dire.

Oui, avec Péguy, j'affirme que celui qui ne crie pas la vérité quand il la connaît se fait le complice des menteurs et des faussaires.

C'est pourquoi aujourd'hui nous tenons à rétablir la vérité et à rendre le juste hommage de la Nation et de la République à la troisième génération du feu. Nous pensons en cet instant aux appelés et aux militaires présents sur le théâtre des opérations, aux rapatriés et à la communauté harkie.

Oui, mettons une fin à l'hypocrisie que traduisaient les mots "événements", "maintien de l'ordre" ou "pacification". Ne soyons pas frileux. Osons rompre un tabou.

C'est l'honneur d'un peuple et d'une nation que d'assumer son histoire. Oui, en Algérie, c'était la guerre (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles - Je ne dirai que quelques mots. Lorsque l'histoire est douloureuse, la pudeur s'impose.

Je tiens à rendre hommage à votre courage, Monsieur le secrétaire d'Etat. Je remercie également M. Néri pour le travail qu'il a conduit en commission et pour les propos qu'il vient de tenir à la tribune, que je partage pleinement.

L'hypocrisie ne pouvait qu'ajouter au caractère extrêmement douloureux de cette page de notre histoire. Oui, en Algérie, c'était bien la guerre. Il aura fallu quarante ans pour oser le dire et l'assumer. Ce sera aujourd'hui chose faite, à l'unanimité de cette assemblée, je l'espère.

Je fais partie de ceux qui ont été rappelés. Je me souviens des conditions extrêmement pénibles dans lesquelles se trouvaient les appelés, et cela pendant vingt-sept, vingt-huit mois ou parfois plus.

Il était donc tout à fait nécessaire de revenir sur cette page douloureuse de notre histoire. Comme le disait Jaurès, on ne peut regarder en face une histoire et en faire matière à une construction de l'avenir que si l'on a la volonté de dire la vérité. Aujourd'hui, nous disons la vérité ; il y a fallu du temps. Monsieur le ministre, vous y avez beaucoup contribué ; croyez bien que nous vous en sommes très reconnaissants (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat aux anciens combattants - Je remercie le rapporteur et le président de la commission de leurs interventions.

L'Assemblée nationale va accomplir ce matin un travail un peu exceptionnel, puisqu'elle va qualifier l'histoire, ce qui est plutôt le rôle des historiens. Il est nécessaire qu'elle le fasse, afin qu'avant de quitter ce siècle, nous montrions notre lucidité sur ce qui fut un moment extrêmement douloureux de notre histoire.

Un million de nos concitoyens ont dû regagner la métropole et tous les soldats, toutes les personnes qui ont été engagées dans ce conflit ont connu de très grandes souffrances. Cela explique sans doute le temps qu'il a fallu pour faire ce travail sur nous-mêmes. Je suis sensible aux mots de compliment que vous m'avez adressés mais, honnêtement, je n'ai pas de mérite ("Si !" sur de nombreux bancs du groupe socialiste). J'avais 10 ans en 1954, 18 ans en 1962 ; j'ai vécu la guerre d'Algérie en écoutant la radio, en lisant les journaux. Mon futur beau-frère était en Tunisie ; au-dessus de chez moi habitait une famille de quatre enfants et tous les jours, la mère craignait une mauvaise nouvelle de son fils aîné, qui était en Algérie. Pour moi, donc, comme pour tout le monde, c'était réellement la guerre ; je n'aurais jamais pu utiliser un autre mot.

Il était normal de franchir une dernière étape, concernant l'appellation juridique. Ce point d'orgue ne met cependant pas fin aux revendications du monde combattant, dont nous aurons à débattre dans la discussion budgétaire ; mais il est bon de ne pas mélanger des questions matérielles avec une démarche d'ordre éthique (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe UDF). Depuis 1955, il y avait déjà eu une série d'évolutions ; je suis sûr qu'aujourd'hui, l'Assemblée nationale exprimera son unanimité.

J'ai vu dans un journal de ce matin des témoignages de plusieurs d'entre vous. Ils sont extrêmement poignants. Vous y exprimez une souffrance, que vous avez ressentie parce que vous étiez des soldats engagés dans une guerre, la guerre d'Algérie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe RCV et du groupe UDF).

M. Jacques Floch - Vingt ans après le 1er novembre 1954, le 9 décembre 1974, la loi donnant "vocation à la qualité de combattant aux personnes ayant participé aux opérations en Afrique du Nord" est publiée. Elle reconnaît la qualité de combattant à ceux qui n'auraient participé qu'à des opérations de police ou de maintien de l'ordre. Incongruité ? Inconséquence ? Refus de connaître l'histoire ? Frilosité ? Irrespect à l'égard des victimes ? Un peu de tout cela. Ce texte a eu tout de même le mérite d'éviter l'oubli. Il nous oblige aujourd'hui à dire ce moment tragique de l'histoire de notre pays.

Dire l'histoire, c'est assurer le respect dû aux peuples qui se sont opposés, c'est saluer ceux qui ont fait leur devoir de citoyen, ce n'est pas absoudre une politique dont on sait aujourd'hui qu'elle avait tragiquement fait fausse route. Je remercie Maxime Gremetz et le groupe communiste, Georges Colombier, Didier Quentin et François Rochebloine pour l'ensemble de l'opposition, le groupe socialiste et son président Jean-Marc Ayrault d'avoir effectué la même démarche, en termes différents certes mais avec le même sens des responsabilités. Les associations d'anciens combattants, ensemble dans le "Front uni", nous ont persuadés du bien-fondé de leur demande. Je souhaite que l'on reconnaisse leur rôle primordial dans la décision que nous allons prendre, de même que je voudrais vous remercier, Monsieur le ministre, de votre grande compréhension et de votre recherche permanente de la vérité historique. Je veux dire aussi, en tant que personne ayant participé à la guerre d'Algérie, ma reconnaissance au Président de la République et au Premier ministre pour avoir parlé de cette période tragique du peuple français et du peuple algérien dans toutes ses dimensions.

La réalité, la grande réalité, c'est que la fin de l'histoire commune à l'Algérie et à la France depuis 1830 fut une guerre, avec tout son cortège d'horreurs, de moments héroïques, de larmes et de sang. La guerre propre n'existe pas ; la guerre d'Algérie fut, comme toutes les autres, sale, abominable. Elle mobilisa près de 1 500 000 militaires de carrière, rappelés et appelés, auxquels s'ajoutèrent 200 000 supplétifs. 23 196 furent tués, dont 6 400 soldats du contingent ; 60 188 furent blessés, disent les statistiques, mais beaucoup subirent des traumatismes dont ils ressentent encore aujourd'hui les effets. Les nationalistes algériens font état d'une mobilisation de près de 350 000 des leurs. Les historiens estiment à 500 000 le nombre de victimes civiles d'origine européenne ou musulmane.

L'Histoire devra dire un jour la réalité des chiffres, les archives devront s'ouvrir, les chercheurs se mettre à l'ouvrage. Il faudra dire aussi les conséquences de cette guerre, l'exode d'un million de nos concitoyens, qui partirent d'Algérie sans espoir de retour, laissant derrière eux un pays qu'ils aimaient, avec leurs maisons, leurs cimetières ; comme il faudra dire les massacres, les disparitions après le cessez-le-feu de 1962.

Ce rappel est nécessaire pour que cette reconnaissance officielle de notre histoire conduise aux rencontres qui permettront la grande réconciliation entre le peuple français et le peuple algérien. Il faut que l'histoire se répète : ce qui avait été fait par le Chancelier Adenauer et le Président Charles de Gaulle pour la rencontre, sans l'oubli, mais avec toute la fraternité possible entre le peuple allemand et le peuple français doit se faire demain entre les Algériens et les Français (Applaudissements sur de très nombreux bancs). Je crois fermement à cela ; peut-être suis-je naïf, mais alors nous sommes nombreux à l'être de part et d'autre de la Méditerranée, et particulièrement parmi ceux qui se sont opposés les armes à la main.

Je suis fier de voir que les anciens combattants d'Afrique du Nord sont aujourd'hui au premier rang dans ce combat pour la réconciliation. Ils ont des titres pour cela ; tous ceux qui ont été appelés, rappelés en Algérie sont des enfants de la guerre. Ils ont tous passé leur petite enfance dans une France occupée, martyrisée ; certains n'ont connu leur père que quelques années après leur naissance, d'autres les ont vus prendre les armes, résister. Ils ont, nous avons tous souffert d'immenses privations. Quand nous sommes arrivés à l'âge de 20 ans, on nous a envoyés faire la guerre. Vous l'avez dit, Monsieur le ministre, il n'y a pas eu de défaite militaire, mais une "sortie politique", choisie et approuvée par le peuple français et le peuple algérien.

Il est temps, il est grand temps que l'histoire, celle qui apaise les esprits, celle qui dit le droit et la justice, celle qui suggère l'amitié et la coopération fasse son oeuvre.

En votant cette proposition de loi, c'est dans cette voie que nous nous engageons !

Puisque j'ai eu l'honneur, au nom du groupe socialiste, de rédiger cette proposition, permettez-moi en reprenant un poème de Paul Eluard, de régler un compte avec la guerre, les deux que j'ai connues, comme petit enfant puis comme soldat du contingent.

@POÈME =
"Dix amis sont morts à la guerre
Dix femmes sont mortes à la guerre
Dix enfants sont morts à la guerre
Cent amis sont morts à la guerre
Cent femmes sont mortes à la guerre
Cent enfants sont morts à la guerre
Et mille amis et mille femmes et mille enfants

Nous savons bien compter les morts
Par milliers et par millions
On sait compter mais tout va vite
De guerre en guerre tout s'efface

Mais qu'un seul mort soudain se dresse
Au milieu de notre mémoire
Et nous vivons contre la mort
Nous nous battons contre la guerre
Nous luttons pour la vie"

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; du groupe UDF, du groupe DL et sur de nombreux bancs du groupe du RPR)

M. Didier Quentin - En engageant ce débat sur la reconnaissance de l'état de guerre en Algérie pour les opérations de maintien de l'ordre et les combats, de 1954 à 1962, c'est une page douloureuse de notre histoire que nous rouvrons, mais nous répondons ainsi à une demande, répétée depuis de longues années, des associations d'anciens combattants d'Afrique du Nord.

Si nous examinons dans le cadre de la "niche" réservée au groupe socialiste, la proposition de loi présentée par ce groupe, je note avec satisfaction que d'autres groupes avaient déposé des propositions de loi allant dans le même sens, notamment celle que j'avais cosignée, comme député du RPR, avec mes collègues Georges Colombier, de Démocratie libérale, et François Rochebloine, de l'UDF.

Nous pouvons donc nous féliciter du consensus ainsi apparu sur cette question sensible.

En votant cette proposition de loi, nous allons accomplir un geste symbolique fort et mettre "le langage officiel en conformité avec le langage courant", comme l'avait souhaité le Président de la République, M. Jacques Chirac, lui-même "ancien d'Algérie", en recevant le mercredi 18 septembre 1996, une délégation du "Front Uni" des anciens combattants d'Afrique du Nord.

En adoptant la loi du 9 décembre 1974, qui donne vocation à la qualité de combattant aux personnes ayant participé aux opérations en Afrique du Nord entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962, le Parlement avait entendu leur assurer une complète égalité des droits avec ceux ayant servi en période de guerre. 1,2 million de Français de cette 3ème génération du feu sont ainsi titulaires de la carte d'ancien combattant d'Afrique du Nord.

Cette loi du 9 décembre 1974 faisait toutefois référence aux "opérations effectuées en Afrique du Nord", et non à la "guerre d'Algérie", ce qui apparaissait à beaucoup comme un manque de reconnaissance de leur action au service de la Nation.

La nature particulière de ce conflit a pu expliquer les réticences à le qualifier, d'emblée, de guerre. Mais l'évolution des esprits et les travaux historiques ont progressivement amené à considérer que les événements d'Afrique du Nord devaient, par les méthodes de combat utilisées et les risques encourus, être assimilés à une guerre et non pas à de simples opérations de police.

Ce conflit, auquel le général de Gaulle a su mettre fin, a coûté la vie à plus de 500 000 personnes, si on inclut celles, nombreuses, tuées après la signature du cessez-le-feu du 19 mars 1962, notamment les harkis, supplétifs de l'armée française.

Selon le secrétariat d'Etat aux anciens combattants, 1 747 000 soldats, dont 1 343 000 appelés ou rappelés et 404 000 militaires de carrière -et je citerai mon ami Charles Cova, que j'aperçois sur ces bancs-, ont servi en Afrique du Nord, principalement en Algérie, de 1952 à 1962. 24 300 soldats ont trouvé la mort en Algérie.

L'appellation de guerre d'Algérie est donc parfaitement justifiée, mais seule une loi peut l'officialiser. Il convient en conséquence de faire disparaître l'expression "opérations de maintien de l'ordre" du code des pensions militaires d'invalidité et du code de la mutualité.

Par cette substitution, nous allons contribuer à notre devoir de mémoire envers tous ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie, de leur jeunesse ou de leur santé. Mais nous avons aussi envers eux un devoir de vérité et d'honnêteté. Trop souvent, des engagements ont été pris, de divers côtés, je le reconnais, sans avoir été chiffrés et programmés.

Le 8 mai 1997, Monsieur Lionel Jospin, alors premier secrétaire du parti socialiste, s'engageait ainsi à accorder la retraite anticipée aux chômeurs en fin de droits justifiant de 40 annuités de cotisations, diminuées du temps passé en Afrique du Nord.

D'autres déclarations pouvaient laisser espérer une mesure générale pour tous ceux ayant cotisé pendant 40 ans.

Il semble malheureusement, après la rencontre récente entre le Premier ministre et des responsables de la FNACA, que ces engagements ne pourront pas être honorés, alors qu'il n'y a plus que deux ou trois classes d'âge concernées. Nous imaginons leur déception.

Il conviendra donc d'envisager -et le groupe RPR y sera attentif- une compensation, par exemple par une nouvelle allocation différentielle de solidarité...

Il est aussi indispensable de prendre toutes les mesures d'application de la loi de finances pour 1999 en ce qui concerne le système d'allocation de remplacement pour l'emploi. Nous aurons l'occasion d'en reparler lors de la préparation du débat budgétaire.

La proposition de loi ne devra pas être détournée de son objet, qui est d'exprimer la reconnaissance de la Nation, dans un souci de vérité historique. Toute tentative d'exploitation qui viserait à raviver les plaies de ce passé douloureux devra être résolument écartée (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président de la commission des affaires culturelles - Ce n'est pas l'esprit du texte.

M. Didier Quentin - Il est aussi souhaitable que l'on arrive, dans le même esprit de réconciliation, à se mettre d'accord sur le choix d'une date pour rendre hommage aux victimes de cette guerre.

Mme Véronique Neiertz - C'est tout trouvé : ce sera le 19 mars !

M. Didier Quentin - J'espère également qu'une solution pourra être trouvée au lancinant problème du mémorial national (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Enfin, avant de conclure, je voudrais avoir une pensée pour notre armée, pour la communauté rapatriée et les anciens harkis.

Les Français d'Afrique du Nord, si durement éprouvés dans les années 50 et 60, ont su reprendre leur place dans la communauté nationale et lui ont beaucoup apporté.

Même si les temps sont parfois à la contrition, la France n'a globalement pas à regretter ce qu'elle a fait en Algérie pendant 132 ans, et qui a eu bien des aspects positifs.

Quant aux harkis, qui ont connu un long calvaire et qui ont souvent le sentiment d'avoir été trahis, ils peuvent compter sur notre vigilance pour que les mesures annoncées par Mme Aubry se concrétisent dans les meilleurs délais...

Cette guerre n'a pas seulement mis fin à plus de 130 ans de colonisation, mais elle fut aussi, à bien des égard, une déchirure.

Le plus bel hommage à ceux qui ont laissé leur vie ou leur jeunesse dans ce drame ne serait-il pas de voir venir entre la France et l'Algérie le temps des retrouvailles et d'une fructueuse coopération, dans le respect de l'indépendance et le souci des intérêts communs de nos deux peuples ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. François Huwart - Cela fait donc 45 ans qu'éclataient les événements dramatiques de la Toussaint 1954, "événements" qui allaient engager notre pays dans un conflit armé qui devait concerner d'abord l'armée d'active, au sortir de la guerre d'Indochine, mais aussi rapidement les jeunes Français du contingent, la France déployant en Algérie jusqu'à plusieurs centaines de milliers d'hommes. Non seulement ce conflit fut meurtrier par son ampleur -30 000 Français l'ont payé de leur vie et des dizaines de milliers furent blessés- mais il constitua l'élément principal de la déstabilisation de la IVème République.

Parce que les opérations menées par l'armée de libération algérienne prenaient la forme de la guérilla et que ce conflit se déroulait dans un département français, il ne fut pas officiellement admis qu'il s'agissait là d'une guerre. Pourtant la réalité vécue en Algérie par nos armées et leurs familles en métropole étaient bien celles d'une guerre. La volonté de ne parler que "d'opérations de maintien de l'ordre", au motif que nul Etat reconnu autre que l'Etat français n'y était engagé, a longtemps exprimé le principe que l'Algérie, ce ne pouvait être que la France ; même après la fin des hostilités, cette difficulté politique a longtemps persisté en métropole.

La guerre d'Algérie ayant provoqué la chute de la IVème République, la fin de cette guerre menaçait les institutions de la Vème République. Sans doute peut-on comprendre que, pendant un temps, les circonstances de ce conflit et ses prolongements dans la vie intérieure de la métropole aient pu conduire au refus d'admettre la réalité. Il y a des fictions qui peuvent un temps trouver leurs justifications dans l'état d'esprit public du moment. Mais, à la longue, ceux qui ont effectivement souffert de ce conflit, comme les générations du feu précédentes, ont pris conscience que c'était une sorte de déni de justice. Leur besoin de reconnaissance pour ce qu'ils avaient sacrifié de leur jeunesse, de leur vie même, étaient d'autant plus justifiés que la France a pris la peine d'inscrire dans ses lois des droits pour les anciens combattants et que, dans un pays républicain, la question des droits est inséparable de celle de l'égalité des droits. Monsieur le ministre, je veux vous rendre hommage car vous avez vous-même commencé de répondre à l'attente des anciens combattants d'Algérie en prenant l'initiative, dans vos discours, dans vos écrits, dans ceux de votre administration, comme dans votre décision de réaliser un mémorial à Paris, de reconnaître qu'en Algérie il y a bien eu une guerre. Les responsables politiques locaux, les médias, l'opinion publique avaient depuis longtemps déchiré le voile pudique, mais c'est vous qui avez commencé de mettre un terme à la tendance trop naturelle des Etats à persévérer dans leurs attitudes au-delà du temps nécessaire.

Aujourd'hui, nous sommes saisis d'une proposition de loi tendant à substituer à l'expression "aux opérations effectuées en Afrique du Nord" celle de "guerre d'Algérie et opérations effectuées en Afrique du Nord". Ce texte fait l'objet d'un très large consensus, car il met le droit en accord avec les faits.

Le droit n'avait d'ailleurs pas attendu les mots et les anciens d'Algérie ont déjà obtenu un certain nombre de réparations. C'est là un autre débat, qui n'est pas clos. Mais un pas important sera franchi si cette loi est votée.

La société française a été divisée par la signification de ce conflit. C'est la nation française, ses principes, la solidarité avec les Français d'Algérie rapatriés qui étaient en cause. Pendant très longtemps, cette guerre a été tabou. Le temps des historiens a mis longtemps à venir, comme toujours lorsqu'une nation n'a pas une conscience claire de son histoire. Dans cette période charnière de montée des nationalismes et de décolonisation, l'universalisme républicain cessa de justifier le maintien et l'exportation d'un modèle de civilisation. La fluctuation des discours politiques était le prix de l'efficacité, mais au point de désorienter bien des consciences. Les soldats français, eux, sortaient d'une guerre qui n'avait pas avoué son nom.

Ce texte leur rend l'hommage qu'ils attendent. Les radicaux de gauche le voteront (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Georges Colombier - C'est avec une réelle émotion que nous examinons cette proposition tendant à reconnaître officiellement l'état de guerre pour le conflit algérien, reconnaissance que j'ai depuis de longues années appelée de mes voeux avec mes amis combattants.

En effet, je fus appelé en novembre 61 à servir en Algérie. Vous comprendrez donc toute l'importance que revêt ce texte pour moi, pour nous les soldats d'Afrique du Nord.

Ayant déposé avec François Rochebloine et Didier Quentin et avec le soutien du groupe DL la proposition de loi no 1558 tendant à la reconnaissance de l'état de guerre en Algérie, je me réjouis de ce débat.

La loi du 9 décembre 1974 donnait vocation à la qualité de combattant aux personnes ayant participé aux opérations en Afrique du Nord entre le 1er janvier 1952 et le 1er juillet 1962. Toutefois, elle faisait mention des "opérations effectuées en Afrique du Nord" et non de la "guerre d'Algérie".

Depuis, on n'avait pas reconnu les sacrifices consentis par ceux qui, à 20 ans, durent quitter une épouse et un enfant, consacrer les meilleurs années de leur vie pour servir en Algérie et qui y furent victimes de blessures, de traumatismes physiques ou psychologiques.

A cette occasion, ayons une pensée toute particulière pour tous nos soldats et toutes les associations humanitaires qui accomplissent actuellement leur mission dans les Balkans ou ailleurs dans le monde afin de lutter contre le totalitarisme, d'assurer la démocratie et la protection de la population.

Mme Véronique Neiertz - Très bien !

M. Georges Colombier - Ce manque de reconnaissance fut vécu à juste titre comme un reniement.

En Afrique du Nord comme ailleurs, nos soldats ont répondu à l'appel de la Nation et ont accompli leur devoir national. La Nation leur devait reconnaissance et réparation.

La nature particulière de ce conflit a pu expliquer les hésitations. Mais les esprits ont évolué, les travaux historiques progressé. Non, nous n'avons pas été envoyés à Tiaret, en Kabylie ou ailleurs en Algérie pour de simples opérations de police ou de maintien de l'ordre ! C'était une guerre à part entière. Je peux en témoigner pour avoir assisté personnellement en 1961 à quelques événements particulièrement violents.

Faut-il rappeler le bilan officiel pour l'ensemble de l'Afrique du Nord, ces 30 000 morts, les parents éplorés, les veuves et les orphelins, les 300 000 blessés ou malades, le million d'hommes revenus traumatisés. La guerre d'Algérie a marqué toute une génération !

Je souhaite rendre hommage aux familles qui ont perdu un être cher et à tous ceux qui souffrent encore de leurs blessures, comme j'ai une pensée pour les rapatriés d'Afrique du Nord et les Harkis, qui ont dû quitter précipitamment et dans des conditions dramatiques leur terre natale ou d'adoption.

Dans sa déclaration du 18 septembre 1996, le Président de la République demandait de "mettre le langage officiel en conformité avec le langage courant". Vous avez vous-même, Monsieur le ministre, utilisé les mots "guerre d'Algérie" dans vos interventions depuis votre arrivée au ministère.

Au Parlement, nous étions déjà nombreux à le faire. Je me réjouis de cette reconnaissance officielle et je vous remercie publiquement pour cette avancée essentielle.

La proposition de loi no 1293, présentée par le groupe socialiste, a été enrichie par l'adoption en commission de cinq amendements allant dans le sens que nous souhaitions. On est ainsi pratiquement revenu à la proposition de loi que nous avions déposée, François Rochebloine, Didier Quentin et moi-même.

Reste à préciser ce que cette proposition apportera concrètement. Je serai extrêmement attentif à ce que les combattants d'Afrique du Nord bénéficient des mêmes droits que leurs aînés.

L'amendement à l'article premier réaffirme l'égalité entre les différentes générations du feu, inscrite à l'article L. 1 bis du code des pensions militaires d'invalidité. Cela impose une totale égalité dans la reconnaissance que leur accorde la République. Je me réjouis que la commission ait adopté cette mesure qui figurait dans notre proposition. Elle a également adopté des amendements visant à rétablir à l'article 2 une formule inscrite dans l'article L. 243 bis du code des pensions militaires d'invalidité, à rajouter aux articles 3 et 5 les mots "de la guerre d'Algérie", ou à mieux définir le champ de la réforme.

Restait un point de divergence. François Rochebloine, Didier Quentin et moi-même avons donc déposé un amendement après l'article 4, afin de tirer les conséquences de la reconnaissance de l'état de guerre pour l'application des dispositions de l'article L. 12 du code des pensions relatives aux bénéfices de campagne. Cet amendement a été, malheureusement, déclaré irrecevable.

La guerre d'Algérie est reconnue officiellement dans le code des pensions militaires d'invalidité et le code des pensions militaires d'invalidité et le code de la mutualité et l'égalité entre tous les combattants affirmée. Je resterai néanmoins très vigilant sur ce que contiendra le budget des anciens combattants pour 2000 car il existe encore des points de contentieux. Ainsi l'article 121 de la loi de finances 99 met en place le système "ARPE" pour les anciens combattants d'Afrique du Nord, à partir du 1er janvier 1999. Or les décrets d'application ne sont pas toujours parus.

37 ans après le cessez-le feu, nous accomplissons aujourd'hui un devoir de mémoire. C'est également un devoir pour renforcer la paix, pour notre pays, pour l'Europe et pour l'Algérie. Que le temps apaise les différents qui subsistent et réconcilie le peuple français et le peuple algérien, à un moment où ce dernier vit une réelle tragédie ! (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Alain Clary - La guerre d'Algérie soulève encore des discussions passionnées. Ce débat, que nous réclamions depuis de très nombreuses années, s'imposait. Nous nous en félicitons Aujourd'hui, il s'agit de définir l'attitude officielle de la France en Algérie entre 1954 et 1962 : pendant ces "opérations de police", trois millions d'appelés ont été mobilisés et la France a perdu 30 000 de ses fils ; 300 000 soldats sont revenus blessés ou malades, un million traumatisés, sans oublier les centaines de milliers de morts et disparus algériens, ni la tragédie des Harkis et le douloureux déracinement d'un million de rapatriés.

37 ans après le cessez-le-feu du 19 mars 1962, il importe d'officialiser ce qui n'a été jusqu'ici qu'implicitement reconnu.

Nous pouvons maintenant aborder cette période plus sereinement. Et je souhaite, comme les associations d'anciens combattants, que notre assemblée unanime reconnaisse l'existence de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. L'engagement pris lors de la campagne électorale de 1997 est ainsi tenue. Je m'en félicite. Les promesses non tenues sont en effet l'une des causes de ce qu'on appelle la "crise de la politique". En outre il est nécessaire que les générations plus jeunes aient une réelle connaissance des pages sombres comme des pages héroïques de notre histoire.

C'est pourquoi nous avons déposé une proposition de loi relative à la reconnaissance de l'état de guerre en Algérie et aux combats en Tunisie et au Maroc, élaborée après des échanges fructueux avec l'UFAC, le Front uni et la FNACA notamment. L'examen en commission de la proposition de loi no 1293 a permis d'en tenir compte.

Nous proposons, en accord avec les associations, que les droits à réparation des anciens combattants en Algérie, au Maroc et en Tunisie soient reconnus avec tout ce que cela suppose.

Nous avons donc déposé un premier amendement qui vise à remplacer les mots : "opérations effectuées en Afrique du Nord" par "combats en Tunisie et au Maroc". Un deuxième amendement remplace dans tous les textes officiels, sur tous les monuments, stèles et plaques commémoratives, les termes "opérations de maintien de l'ordre" ou "opérations d'Afrique du Nord" par l'expression "combats de Tunisie, Maroc et guerre d'Algérie".

Reconnaître l'existence de la guerre d'Algérie, c'est assumer les actes passés de la France, tirer les enseignements de notre histoire, permettre une plus grande compréhension entre les peuples et inciter à de nouvelles coopérations. L'histoire de l'Algérie a été marquée par la colonisation, la guerre d'indépendance, les violences qui les ont accompagnées. Les conséquences s'en font encore sentir aujourd'hui, notamment sur le plan économique.

Reconnaître la guerre d'Algérie, ce n'est pas attiser un quelconque esprit de revanche, c'est au contraire tirer tous les enseignements du passé pour construire de nouvelles coopérations, dont le peuple algérien a tant besoin. Il est de l'intérêt mutuel des peuples français et algérien de multiplier les échanges économiques et culturels. C'est également contribuer à une meilleure compréhension entre les peuples dans un esprit de paix qui a toujours été celui des communistes.

La législation française a reconnu la qualité de combattant à ceux qui, sous certaines conditions, ont servi l'armée française. Le code des pensions militaires d'invalidité a pris en compte, encore insuffisamment, le droit à réparation. Les associations d'anciens combattants ont sollicité tous les groupes parlementaires afin que leur soient reconnus tous les droits auxquels ils peuvent prétendre. Ils n'admettent pas qu'on ait pu trouver les moyens financiers pour les envoyer au combat, mais qu'on ne les trouve plus lorsqu'il s'agit du droit à réparation.

Le droit à la retraite pour tous les anciens combattants, la reconnaissance des handicaps et traumatismes sont de légitimes revendications. La mesure, adoptée lors du débat budgétaire, qui permet l'accès à l'ARPE doit se concrétiser rapidement, tout comme le droit à réparation pour les autres revendications. Je pense notamment à la revalorisation du plafond de retraite mutualiste, à la prise en compte de l'allocation différentielle, à l'élargissement des conditions d'attribution de la carte de combattant, au renforcement de l'action sociale de l'ONAC et à la décristallisation des pensions. Le prochain budget doit répondre à ces aspirations.

Le groupe communiste se félicite de la reconnaissance officielle de la guerre d'Algérie, qui permettra une clarification et le rétablissement de la vérité historique. Elle rendra cette période plus compréhensible pour la jeunesse, envers qui nous avons le devoir de transmettre le flambeau de la mémoire (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. François Rochebloine - Avec cette proposition du groupe socialiste, plus de trente-sept ans après le cessez-le-feu du 19 mars 1962, nous légiférons enfin. Ayant déposé avec mes collègues Georges Colombier et Didier Quentin une proposition ayant le même objet, je ne peux que me réjouir de ce débat. Notre proposition, comme celle de nos collègues communistes, a fait l'objet en commission d'une discussion commune, qui permit d'améliorer le texte proposé. Plusieurs amendements ont été adoptés. On a notamment rétabli à l'article premier la notion de stricte égalité entre les générations du feu, qui figurait à l'article 1 bis du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dans sa rédaction initiale, résultant de l'article premier de la loi du 9 décembre 1974. Sa suppression aurait été inacceptable, car elle n'aurait permis qu'une reconnaissance partielle. Avec l'acceptation de ces amendements, nous retrouvons à un point près -concernant l'application des dispositions de l'article L 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite relatives aux bénéfices de campagne- notre proposition de loi, ce qui ne peut que nous satisfaire, comme le monde combattant. A cet instant, l'histoire n'étant qu'un éternel recommencement, vous me permettrez d'avoir une pensée pour nos militaires dans les Balkans, et pour les organisations humanitaires qui aident les populations en détresse.

Les anciens combattants d'Afrique du Nord, plus précisément ceux qui ont servi en Algérie entre 1954 et 1962, estiment qu'il est temps de les considérer comme des anciens combattants à part entière, qui ont pris part à une véritable guerre et non à de simples opérations de police ou de maintien de l'ordre, comme tous les gouvernements, de droite comme de gauche, l'ont trop longtemps prétendu. Ils invoquaient des motifs juridiques ou diplomatiques qui avaient leur justification lors du conflit, mais l'ont perdue avec les accords d'Evian. Nos soldats ne sont pas allés en Algérie pour appréhender des malfaiteurs, canaliser des manifestations ou régler la circulation, ce qui est le travail de la police ou de la gendarmerie, mais pour combattre ceux qui avaient déclenché les hostilités le 1er novembre 1954 afin d'obtenir leur indépendance. Je laisse aux historiens le soin de dire pourquoi ce drame n'a pu être évité et d'en établir les responsabilités : ce n'est pas l'objet de notre débat. A m'en tenir aux faits, j'observe que la montée en puissance de nos armées fut rapide. De 55 000 hommes stationnés en Algérie en 1954, on est passé à 400 000 deux ans plus tard. Le rappel des réservistes, le maintien sous les drapeaux des jeunes du contingents jusqu'à 27 voire 30 mois, l'utilisation de l'artillerie, des chars et de l'aviation, confirment bien la mobilisation de tous les moyens militaires.

D'après une note du ministère des armées du 19 novembre 1968, ce sont près de trois millions d'hommes qui ont servi en Afrique du Nord de 1952 à 1962, dont deux millions en Algérie. Mais n'oublions pas que les troupes stationnées au Maroc et en Tunisie ont eu à intervenir également aux frontières. Une autre étude des services historiques des armées, datée du 25 novembre 1985, n'a recensé que 1 747 927 militaires, majoritairement des appelés du contingent, ayant servi en Afrique du Nord. Mais le ministre de l'époque, André Giraud, précisait que ce nombre ne tenait pas compte, contrairement au précédent, des fonctionnaires qui sont intervenus aux côtés des militaires. Cela confirme que plus de deux millions d'hommes au total furent vraisemblablement concernés.

Dès 1955, l'état d'urgence fut décrété ; un an plus tard, ce furent les pouvoirs spéciaux. La mention "Mort pour la France" fut accordée dès les premiers mois du conflit. De même, la loi du 6 août 1955 a étendu aux combattants d'Afrique du Nord les dispositions du code des pensions militaires d'invalidité en matière de blessures de guerre.

En Algérie, c'était donc bien la guerre.

Les chiffres des pertes le confirment. Rien que pour l'Algérie, le ministère de la défense dénombre officiellement 23 196 tués et 60 188 blessés. Je salue ici les familles endeuillées par ces pertes et tous ceux qui souffrent encore aujourd'hui des conséquences de leurs blessures. Par ailleurs, les conditions de vie, le climat, la nourriture, le stress affectèrent la santé de centaines de milliers d'hommes. Et n'oublions pas les traumatismes psychiques dus à la guerre, et qui subsistent aujourd'hui. Le bilan pour l'ensemble de l'Afrique du Nord est d'environ 30 000 morts et disparus et 300 000 blessés ou malades. La guerre d'Algérie a donc marqué à jamais toute une génération. Qui plus est, des dizaines de milliers de supplétifs payèrent de leur vie leur fidélité à la France ; de nombreux civils européens et musulmans périrent également. A l'issue de ce drame, près d'un million de personnes durent quitter en catastrophe leur terre natale.

Chacun doit reconnaître les faits, y compris les plus pénibles. Mais nous ne saurions accepter qu'on veuille accréditer l'idée que nos militaires se seraient systématiquement mal comportés, en omettant soigneusement d'évoquer les exactions de nos adversaires. Les mêmes soulignent aujourd'hui les bavures de l'OTAN dans les Balkans et passent sous silence la purification ethnique au Kosovo, sauf pour prétendre que l'armée française aurait agi de même en Algérie. De tels propos ne grandissent pas leurs auteurs. Ce qui se passe actuellement en Algérie démontre malheureusement où était déjà l'horreur à l'époque. Et nul ne doit oublier que nos soldats s'employaient aussi à ravitailler les populations civiles, à les soigner, et à faire la classe aux enfants. Ces actions humanitaires qualifiées alors de "pacification" n'empêchaient pas, hélas, la guerre au quotidien, les durs combats et l'insécurité permanente. Le général Ailleret, commandant supérieur des forces en Algérie a pu écrire dans son ordre du jour du 19 mars 1962 : "l'armée peut être fière des succès remportés par ses armes, de la vaillance et du sens du devoir déployés par ses soldats, réguliers et supplétifs, de son oeuvre d'aide aux populations si durement éprouvées par les événements".

L'issue politique de la guerre d'Algérie qui s'inscrivait dans le processus de la décolonisation au lendemain de la seconde guerre mondiale, et qui fut approuvée par 90,7 % du peuple français lors du référendum du 8 avril 1962, ne saurait remettre en cause l'action de notre armée et plus particulièrement du contingent, dont le loyalisme, notamment aux heures sombres de 1961, a permis de sauvegarder nos institutions républicaines. La guerre est une situation de fait avant d'être état de droit. L'opinion publique ne s'y trompe pas, qui a toujours parlé de "guerre d'Algérie". Au Parlement, nous sommes nombreux à utiliser cette expression depuis longtemps. C'est pourquoi je me réjouis de ce débat. il ne s'agit pas seulement des droits accordés progressivement, après la levée du prétendu barrage juridique des "opérations de maintien de l'ordre" par André Bord le 2 novembre 1972 et le vote de la loi du 9 décembre 1974. Lors d'une audience accordée par le Président de la République au Front Uni le 18 septembre 1996, Wladislas Marek, président de la FNACA exprimait le souhait de voir substituer, dans les discours comme dans les textes officiels, les mots "guerre d'Algérie" à l'expression "opérations de maintien de l'ordre en Algérie". Le chef de l'Etat se déclarait ouvert à une telle évolution, notant qu'elle "ne ferait que mettre le langage officiel en conformité avec le langage courant". Vous aussi, Monsieur le ministre, vous avez utiliser cette appellation depuis votre arrivée en 1997, et notamment lors du 16ème Conseil national de la FNACA en octobre 1997. Les anciens combattants d'Algérie ont apprécié. Je me félicite donc de voir officiellement reconnue la guerre d'Algérie dans le code des pensions militaires d'invalidité et le code de la mutualité. Nous serons très attentifs à l'application de la loi, notamment lors de la prochaine discussion budgétaire.

Nous souhaitons également que le mémorial national de la guerre d'Algérie voie le jour rapidement à Paris, marquant solennellement l'hommage de la Nation à tous ceux qui sont morts pour la France lors de cette tragédie.

Avec l'adoption de ce texte, que le groupe UDF votera, l'Assemblée accomplira un geste important en faveur de toute une génération à laquelle j'étais trop jeune pour appartenir mais dont je connais bien les attentes. Elle s'honore de reconnaître, tant d'années après les événements, une réalité : la guerre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe socialiste)

Mme Martine David - "Le départ eut lieu.... A travers les grilles de la caserne, les familles regardaient monter dans les camions un fils, un frère, un petit ami. Je voyais encore mes parents, petites silhouettes en larmes. Pour eux comme pour moi, on m'emmenait à la boucherie. Leur enfant partait à la guerre !" a écrit Claude Berri dans Le Pistonné.

La guerre : le mot terrible est lâché, et pourtant, rares sont ceux qui osèrent ensuite dire ce qu'ils avaient vécu, tant ils se sentaient mortifiés et coupables. Aux cauchemars qui hantaient leurs nuits, aux blessures corporelles sont venus s'ajouter l'indifférence, sinon le mépris d'une société qui voulait l'oubli. Alors, ils ont faire taire leur souffrance...

Aujourd'hui, il nous faut libérer la mémoire, libérer ces hommes d'une culpabilité injustement ressentie.

La proposition présentée par le groupe socialiste, rejoint par d'autres, va faire cesser l'hypocrisie. Jusqu'ici, on indemnisait des soldats, pour des combats bien réels, dans une guerre qui n'en n'était pas une. Sur nos monuments aux morts figuraient les noms de victimes d'une "non-guerre". Tout cela était indigne, presque indécent, au regard des missions remplies courageusement, au péril -et pour près de 30 000 d'entre eux au prix- de leur vie par les soldats français. Tous ceux à qui notre Nation a demandé le sacrifice des plus belles années de leur vie n'oublient pas la cruauté des combats, la perte de proches, ils y ont été blessés dans leur chair ou traumatisés. A tous ceux-là, aux orphelins, aux veuves, une réparation matérielle, d'ailleurs arrachée de haute lutte, ne pouvait suffire.

Oui, la France était en guerre. Sans doute aurait-on pu éviter cette tragédie, comme on aurait pu et dû éviter exactions et débordements, mais il ne sert à rien de réécrire l'histoire quand il suffirait de la regarder en face ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste). L'avenir d'un pays se construit sur les bases d'un passé clairement assumé, y compris dans ce qu'il a de moins glorieux. Benjamin Stora écrivait avec raison en 1991 "que nul ne saurait affirmer son identité en état d'amnésie".

L'examen clairvoyant et honnête de notre histoire ne représente pas un risque. Comme l'expliquait le préfet Marcel Blanc, président de la commission de réflexion sur le devoir de mémoire, "la mémoire n'est pas un pensum à subir, mais un don à cultiver" car "elle préfère ce qui rassemble". En elle, nulle complaisance à raviver des plaies mal cicatrisées. Il ne s'agit pas davantage de déstabiliser l'Etat, ou de mettre en accusation telle communauté, tel groupe, tel individu. C'est "simplement" l'hommage que nous devons aux anciens combattants et l'exemple de lucidité et de courage qu'il nous faut léguer aux générations à venir.

De même, nos relations avec l'Etat algérien, bénéficieront à n'en point douter de cette mise à jour.

Depuis sont installation, le gouvernement de Lionel Jospin a agi efficacement pour améliorer la réparation due aux anciens combattants d'Algérie, mais aussi pour que soit reconnu comme tel l'engagement de la troisième génération du feu. En son sein, il convient de vous féliciter particulièrement, Monsieur le Secrétaire d'Etat, pour avoir été le premier à prendre position fermement sur le sujet, dès septembre 1997. Cette initiative courageuse trouve aujourd'hui sa suite logique.

Patrick Rotman et Bertrand Tavernier, dans le film La guerre sans nom, racontent : "Ils avaient vingt ans... Deuxième classe ou officiers portant le chapeau de brousse, le béret du para, la casquette du commando ou la galette des chasseurs alpins, ils ont laissé une partie de leur jeunesse sur les pitons isolés, dans les cantonnements, les ratissages. Ils ont eu peur. Beaucoup trop sont morts au fond d'un oued desséché, à la conquête d'une crête déchiquetée..."

A tous ceux-là, allons redonner ce que l'histoire leur avait pris : l'honneur et la dignité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste ; sur plusieurs bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Christian Estrosi - Benjamin de tous les intervenants, sans doute suis-je l'un des moins habilités à évoquer cette période de notre histoire, mais c'est peut-être à cause de cet écart de générations que je sens peut-être plus que d'autres la nécessité de rendre un devoir de mémoire, au nom de mes contemporains.

Je me félicite aussi que cela puisse être fait grâce à un texte d'origine parlementaire, synthèse de propositions issues de tous les groupes. L'Assemblée se grandit ainsi, comme elle l'avait déjà fait en reconnaissant le génocide arménien. Il appartient aux historiens d'analyser l'histoire, avez-vous dit, Monsieur le secrétaire d'Etat, mais les représentants du peuple sont tout aussi fondés à réparer ce que nous étions nombreux à regarder comme une vaste hypocrisie.

Jusqu'à ce jour, la tragédie algérienne se dissimulait sous le vocable pudique d' "événements". Pourtant l'enchaînement des combats, des violences et des exactions qui, de 1954 à 1962, conduisirent à l'indépendance de l'Algérie, était d'une tout autre nature : c'était la guerre !

Cette proposition répare une injustice historique et réhabilite ceux qui ont lutté avec courage et honneur au service de la France.

La Nation doit assumer à l'égard des combattants d'Algérie un devoir de mémoire, de reconnaissance et de réparation... Ces anciens combattants ont des droits d'autant plus impérieux qu'elle avait oublié de le faire.

Les accords d'Evian spécifiaient qu'il serait "mis fin aux opérations militaires sur l'ensemble du territoire algérien le 19 mars 1962 à 12 heures". Ces accords, toujours célébrés comme une victoire en Algérie, furent plus qu'éphémères. La fusillade de la rue d'Isly intervint sept jours après, le 26 mars. Le 3 juillet 1962, l'indépendance de l'Algérie était reconnue solennellement, cent jours après, cent jours terribles au cours desquels 1 500 Français, en premier lieu des harkis, ont été massacrés par le FLN dans des conditions d'une barbarie extrême -certains ont été ébouillantés ou émasculés. Cette tache demeurera sur notre histoire, mais aussi sur celle du peuple algérien, qui débutait bien mal et qui, sans la France, ne cessera en effet d'être tragique.

C'est pourquoi ce texte doit aussi permettre de définir une date de commémoration aussi consensuelle que possible.

En inscrivant dans le code des pensions militaires et dans le code de la mutualité l'appellation désormais officielle de "guerre d'Algérie", nous accordons une légitime reconnaissance à ceux qui ont souffert dans leur chair et dans leur âme, à ceux qui sont tombés au champ d'honneur, à ceux qui ont perdu un proche, à ceux qui ont combattu pour une certaine idée de la France, à nos compatriotes pieds-noirs qui ont laissé une partie d'eux-mêmes sur une terre qu'ils avaient chérie autant que la France et, enfin, à nos frères harkis qui ont payé l'impôt du sang pour avoir revendiqué, pour eux-mêmes et leurs enfants, l'appartenance à notre belle et grande nation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

M. Jacques Desallangre - Suivant votre exemple, Monsieur le secrétaire d'Etat, l'Etat va donc substituer l'expression "guerre d'Algérie" à toutes les appellations qui prévalurent trop longtemps : "événements" en 1954, "opérations de police" en 1955, "actions de maintien de l'ordre" en mars 1956, "rétablissement de la paix civile" en 1957, "entreprise de pacification" jusqu'en 1962... Nous devons en effet faire litière de toute hypocrisie, pour rétablir la vérité : c'était bien la guerre !

Nous, jeunes soldats à l'époque, le savions déjà mais, depuis quarante ans, nous avions besoin d'entendre notre pays le dire aussi. Nous abordons ce débat avec la gravité et l'humilité que commande le souvenir de nos camarades tués, avec celles aussi que m'inspire le spectacle, dans ma commune, de ce soldat, cul-de-jatte à vingt ans, et devenu un infirme vieillissant, je ne puis le rencontrer sans éprouver des sentiments contradictoires : joie égoïste d'être rentré indemne, gêne un peu honteuse... Lui aussi sait que c'était la guerre, comme le savaient les mères qui voyaient sonner à leur porte deux gendarmes à la mine grave et qui devinaient aussitôt qu'elles allaient devoir barrer de noir la photo du premier communiant, sur le buffet de la cuisine...

Ce conflit présentait toutes les caractéristiques objectives de la guerre. Aujourd'hui, même si la démarche a une forte portée symbolique, nous ne faisons que dresser un constat : nous déclarons que nous avons fait la guerre à une nation en train de se fonder. Nous nous rappelons aussi que la France a mené dix classes d'âge au feu, allongeant la durée du service national, mobilisant une partie de son économie, organisant la censure. Mais, plus que ces indices extérieurs, il importe de considérer la perception qu'ont eue les populations, française et algérienne : quand des mères pleurent leurs fils, quand des jeunes sont appelés à tirer sur d'autres jeunes, quand une jeunesse revient incertaine du bien-fondé de la cause pour laquelle elle a combattu, c'est bien d'une guerre qu'il s'agit. Et quand deux nations, l'une en train de naître, s'affrontent les armes à la main, cela aussi s'appelle la guerre !

L'acte que nous accomplissons est courageux car il nous oblige à nous regarder dans le miroir, mais n'est-ce pas la meilleure façon de savoir d'où nous venons ? Comme d'autres jeunes, j'avais alors la tête pleine des échos de la Résistance. Fils de cheminot résistant, j'avais rêvé sur les mots "franc-tireur" et "partisan". Et, dix ans plus tard, je me trouvais engagé dans un combat incertain, controversé... Livrais-je une guerre juste ? J'en doutais comme des milliers d'autres. A ce doute s'ajoutait le malaise né du débat sur la torture qui taraudait notre jeune et encore fraîche conscience. Oui, cette guerre nous a marqués moralement, comme elle en a marqué physiquement tant d'entre nous.

Plus personne ne conteste aujourd'hui que nous avons fait la guerre en Algérie alors que certains se déchirèrent, s'entre-tuèrent même, autour de cette contradiction : nation algérienne ou département français.

Il importe de faire concorder les mots avec la réalité. Il faudrait sinon expliquer pourquoi un conflit opposant deux nations et présentant toutes les caractéristiques d'une guerre est appelé "opération de maintien de l'ordre". Le langage déterminant largement notre conception du monde, il importe que les mots soient justes pour ne pas altérer notre perception.

Nous avons été nombreux à vous interpeller ces deux dernières années, Monsieur le secrétaire d'Etat, sur la nécessité de modifier le langage officiel. Même si cette réforme vient bien tard, elle sera l'honneur de ceux qui la voteront, elle sera l'honneur du Gouvernement. C'est sur le sol de ma circonscription que sont tombés les fusillés de Vingré en 1917 et qu'a été fusillé le héros malheureux du pantalon rouge. Le Premier ministre a rendu hommage et justice à la mémoire de ces victimes en se rendant sur les lieux du carnage.

Aujourd'hui, en acceptant de parler de la guerre d'Algérie, nous franchissons une nouvelle étape dans la quête de la vérité.

En osant regarder la vérité nue de son passé en face, notre pays pourra aborder plus sereinement l'avenir.

Oui, c'était la guerre en Algérie. Il est temps que le langage officiel le reconnaisse. Il est temps que la République l'affirme (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Robert Gaïa - C'est en décembre 1998 que le groupe socialiste a déposé la proposition qui vise à faire concorder le langage officiel sur le conflit algérien avec la réalité des faits, conformément au souhait exprimé par les plus hautes autorités de l'Etat.

Trop nombreux sont nos compatriotes qui ont payé le prix de la vie, le prix du sacrifice et le prix de l'honneur et aujourd'hui supportent le poids de l'injustice et de l'incompréhension. Drame des familles des morts pour la France, angoisse de celles dont les fils servaient en Algérie, déchirement des rappelés qui devaient quitter leur emploi et leur famille, telles furent les images de mon adolescence.

On parlait alors de "maintien de l'ordre" en Algérie. Combien de morts et de blessés pour maintenir l'ordre ? Puis on parla des "événements d'Algérie", terme vague révélateur de toutes les ambiguïtés de l'époque, lesquelles suscitèrent tant de frustration et d'amertume parmi cette troisième génération du feu qui se vit délivrer la carte du combattant pour de simples actions de "maintien de l'ordre", parmi les membres des forces supplétives et parmi la communauté harkie, oubliée de l'histoire, et à laquelle nous devons rendre sa dignité. La France plurielle d'aujourd'hui a aussi besoin d'une communauté d'histoire.

Avec ce texte, nous ne tournons pas une page, nous n'évoquons pas des souvenirs : nous participons au devoir de mémoire.

On confond trop souvent souvenir et mémoire. Comme l'a dit Jean-Pierre Masseret, se souvenir, c'est témoigner respect et reconnaissance pour ce qui a eté fait. Répondre au devoir de mémoire, c'est retrouver le sens de ce qui a été fait et s'en servir pour construire l'avenir.

L'histoire commune que partageaient la France et l'Algérie depuis 1830 a connu une fin dramatique. En acceptant aujourd'hui de parler de guerre d'Algérie, nous proposons des repères pour retrouver un avenir commun.

Parce que je suis un élu du Sud, un Européen du Sud, je ressens peut-être davantage ce besoin de dialogue autour de la Méditerranée. Nous devons être capables d'analyser l'action de la France au Maghreb avec les rapatriés, avec les anciens combattants d'Afrique du Nord, avec tous les jeunes Français issus de l'immigration, avec le peuple algérien qui doit rechercher l'apaisement.

C'est parce que demain nous serons capables de parler de la guerre d'Algérie avec le peuple algérien que nous pourrons renouer un dialogue de paix et de fraternité autour d'une mémoire et d'un passé communs. Cette mémoire nous permettra de retrouver un avenir commun autour de la Méditerranée, ce creuset de civilisation et de culture, trait d'union du dialogue Nord-Sud indispensable à tout co-développement.

Depuis 37 ans, nous ne parvenons pas à échapper à une vision réductrice de cette période, à la fois nostalgique, idéalisée et empreinte de mauvaise conscience.

Toute guerre est faite de pages glorieuses et de pages douloureuses. Notre devoir est de les évoquer toutes, sans oublis ni haine. Ce n'était pas toujours le cas pour cette guerre d'Algérie aux feux mal éteints.

Cette proposition de loi, hautement symbolique, ne pouvait comporter un catalogue de revendications. Si certaines demeurent, légitimes, c'eût été affaiblir la portée de notre texte que de les y inclure. Nous faisons oeuvre aujourd'hui de reconnaissance, de justice et de dignité. Reconnaître l'état de guerre en Algérie, c'est permettre à notre peuple de comprendre la portée historique et humaine de ces combats ; c'est reconnaître les sacrifices consentis par une génération, en lui rendant honneur et dignité ; c'est comprendre notre histoire pour la dépasser ; c'est retrouver les chemins d'un destin commun (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Alain Ferry - On parle aujourd'hui couramment de guerre d'Algérie. Tel n'est pas toujours été le cas. On parlait à l'époque de "rebelles" et "d'opérations de maintien de l'ordre" et le vocabulaire officiel a évité d'utiliser cette expression depuis 1962.

Pour permettre aux intéressés de bénéficier des avantages sociaux en vigueur, le législateur a progressivement assimilé les soldats engagés en Afrique du Nord aux combattants des conflits traditionnels. La présente proposition de loi n'aura aucune conséquence concrète sur le statut des anciens combattants d'Afrique du Nord. Son objet est tout autre : elle vise à mettre en conformité le langage officiel avec le langage courant.

M. le Rapporteur - Tout à fait.

M. Alain Ferry - Pourquoi les pouvoirs publics ont-ils refusé si longtemps d'admettre l'évidence ? La guerre d'Algérie a longtemps été une guerre sans nom. L'Algérie était en 1954 un territoire partie intégrante de la France. Conquise en 1830, elle comptait une population d'origine européenne d'un million et demi d'habitants. Si dès le XIXème siècle, Tocqueville avait décelé les risques d'un conflit futur, pour l'immense majorité de nos compatriotes, l'existence d'une forte immigration européenne faisait que l'Algérie, c'était la France, comme le disait encore en 1954 un ministre.

Tous les partis de la IVème République ont soutenu la guerre d'Algérie.

M. Alain Clary - Non, pas le parti communiste !

M. Alain Ferry - La majorité de gauche décida en 1956 l'envoi du contingent. Mais en 1958, l'arrivée du général de Gaulle fut ressentie par la droite et par les Français d'Algérie comme la garantie du statu quo. En somme, presque aucun parti n'est resté fidèle à sa position d'origine.

La violence des événements contraint les hommes à accepter ce qui était présenté comme inacceptable peu de temps auparavant. L'Etat, après avoir affirmé que la France resterait en Algérie, dut se déjuger. C'est peut-être pourquoi on refusa si longtemps d'adopter l'expression qui convient pour désigner ces événements.

Les propositions de loi qui nous sont soumises vont nous permettre de mettre le langage officiel en conformité avec la réalité. Tous nos compatriotes qui ont souffert de cette guerre l'attendent.

Je me félicite du soutien que le secrétaire d'Etat apporte à cette initiative parlementaire. Je sais qu'il a à coeur de faire aboutir des revendications très anciennes des anciens combattants, qu'il s'agisse de l'Algérie ou encore de l'annexion de fait de l'Alsace-Moselle pendant la Seconde guerre mondiale. Je l'en remercie.

Pour ma part, je soutiens pleinement ce texte et souhaite qu'il soit adopté à l'unanimité (Applaudissements sur tous les bancs).

La discussion générale est close.

M. le Secrétaire d'Etat - Je remercie tous les orateurs. L'unanimité qu'ils ont exprimée augure bien du vote.

A ceux d'entre eux qui ont fait état de certaines revendications, je souhaite dire qu'il est un temps pour la reconnaissance et un temps pour l'expression de cette reconnaissance par la solidarité nationale. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce point au moment de l'examen du prochain budget.

Pour ce qui est du mémorial d'Algérie, qui viendra compléter l'oeuvre de reconnaissance engagée ce matin, une commission a été créée, présidée par Jean Lanzi. Son travail est bien entamé. Ne reste qu'à choisir le lieu d'implantation : une réunion est prévue à ce sujet avec le maire de Paris à la fin du mois. J'espère que nous pourrons nous recueillir dans les plus brefs délais devant ce mémorial (Applaudissements sur tous les bancs).

La séance, suspendue à 11 heures 30, est reprise à 11 heures 45.

M. le Président - J'appelle maintenant, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du Règlement, les articles de la proposition de loi dans le texte de la commission.

ARTICLE PREMIER

M. Julien Dray - Monsieur le ministre, je suis fier de vous avoir comme ministre des anciens combattants, comme je suis fier de ce que nous faisons ce matin.

C'est pour moi un honneur d'être à la tribune pour y soutenir une proposition de loi qui vise à rétablir la vérité. Enfin, la République ose assumer pleinement son histoire, avec ses gloires mais aussi avec ses erreurs : oui, la France a en 1954 engagé en Algérie une guerre. J'en sais quelque chose : je suis un enfant de cette guerre. Croyez-moi, je n'ai jamais pensé que tant de morts, de drames humains, de vies brisées et marquées à jamais, de familles endeuillées pouvaient être imputables à des "opérations de maintien de l'ordre" ; seule la guerre provoque cela. A vouloir la cacher, sous des dénominations faussement pudiques, on n'a fait que rajouter le déshonneur au malheur.

Ce texte n'efface rien. Il reconnaît et assume. Il participe d'un travail de mémoire et d'une exigence d'honnêteté vis-à-vis de tous ceux qui ont été victimes de la guerre. Il est beaucoup plus qu'un texte créateur de droits pour nos anciens combattants.

Il résonne comme un hommage à tous les disparus et à leurs enfants, au peuple algérien, qui n'en finit pas de payer les conséquences d'une décolonisation ratée, aux combattants de l'armée française, à ces amis de la France qui avaient cru à sa parole et qui furent abandonnés à leur triste sort en 1962.

Il résonne aussi comme une demande de pardon à tous ceux qui se sont retrouvés avec leur malle en gare de Marseille, attendant que quelqu'un vienne leur dire dans quel hangar ils allaient dormir ; à tous ceux qui ont dû essuyer les quolibets et les railleries, une fois réglée la question de leur installation, le plus souvent précaire ; à tous ceux qui ont dû recommencer leur vie et faire le deuil d'une grande partie de leur existence, en plus de celui de leurs défunts. Ce n'est pas être parjure que de dire que la France a mal accueilli ceux qu'elle proclamait être ses enfants légitimes.

Pour tous ces déracinés, ce texte est un réconfort, et surtout une fierté. Rien n'est réparé, bien sûr : on ne répare pas l'irréparable ; mais on peut reconnaître ses fautes. C'est ce que nous faisons aujourd'hui.

L'histoire des pieds-noirs commence par sa fin, puisqu'ils n'ont été pieds-noirs qu'au moment de partir d'Afrique du Nord... On raconte souvent que ce sont les Algériens qui les ont appelés ainsi, en référence aux premiers Français qui avaient posé leurs souliers noirs sur leur sol. Injuste réécriture de l'histoire, car ce sont les "Français de France" qui ont trouvé ce surnom, souvent ressenti comme une insulte, au moins durant les premiers temps. Personnellement, j'en suis très fier, particulièrement au moment de voter, un peu en leur nom, cette proposition de loi. (Applaudissements sur de très nombreux bancs)

Mme Annette Peulvast-Bergeal - L'unanimité dont ce texte semble faire l'objet mérite d'être saluée mais je veux insister sur la portée symbolique de cet article premier. Il donne à l'article 12 bis du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre la nouvelle rédaction suivante : "La République française reconnaît, dans des conditions de stricte égalité avec les combattants des conflits antérieurs, les services rendus par les personnes qui ont participé sous son autorité à la guerre d'Algérie ou aux opérations effectuées en Afrique du Nord entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962."

Le législateur va donc reconnaître solennellement au nom de la Nation que la "troisième génération du feu" a participé à une véritable guerre. Nous savons tous combien cette reconnaissance tient à coeur aux associations d'anciens combattants d'Afrique du Nord.

Dans le langage courant, dans les livres d'histoire, il y a bien longtemps qu'on appelle cette guerre par son nom. Le temps qu'il aura fallu pour arriver à cette reconnaissance officielle montre la difficulté de notre pays à se remettre de cette période douloureuse. Depuis 1974, des mesures de réparation, de reconnaissance et de solidarité ont été prises, mais sans que cela soit gravé dans le marbre de la loi.

Avec ce texte, qui est dans la droite ligne de ce que vous aviez entrepris dès votre prise de fonctions, Monsieur le ministre, nous regardons notre passé en face, afin de préparer l'avenir avec sérénité. Le vote que nous nous apprêtons à émettre sera une manière de rendre un hommage à tous ceux qui ont combattu en Algérie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. Jacques Myard - C'est une qualité des grands peuples que d'assumer pleinement leur histoire. En votant ce texte, vraisemblablement à l'unanimité, nous tirerons définitivement un trait sur ce qui a été la tragédie algérienne.

J'espère cependant que vous irez jusqu'au bout de la logique qui fut celle des accords d'Evian, en en tirant les conclusions dans un certain nombre de domaines. Je pense notamment au code de la nationalité, qui n'a pas encore intégré toutes les conséquences du fait que l'Algérie est indépendante.

Monsieur le ministre, j'appelle votre attention sur un point particulier, qui préoccupe les associations d'anciens combattants. Une fois ce texte voté, ceux qui ont été blessés en Algérie pourront-ils bénéficier de l'article L 36 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, selon lequel, pour avoir droit au titre et au statut de grand mutilé de guerre, il faut avoir eu des blessures de guerre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Alain Clary - L'amendement 1 du groupe communiste tend à remplacer l'expression "opérations effectuées en Afrique du Nord" par les mots "combats en Tunisie et au Maroc".

M. le Rapporteur - Après une large discussion, la commission a repoussé cet amendement, considérant que les mots "opérations effectuées en Afrique du Nord" permettaient de globaliser ce qui avait été vécu en ALgérie, en Tunisie et au Maroc. Cependant, la plaque que M. le ministre a fait apposer sous l'Arc de Triomphe reprend les mots "combats en Tunisie et au Maroc" ; je ne verrais donc pas personnellement d'inconvénient à l'adoption de cet amendement en séance, mais je m'en remets à la sagesse du Gouvernement (Sourires).

M. le Président de la commission - Dans le débat que nous avons eu ce matin en commission, certains ont insisté sur la nécessité d'avoir la vision la plus large possible, d'autres sur la précision extrême à apporter dans l'énoncé de cette loi. Lorsqu'on écrit l'histoire, il faut le faire avec prudence. Le débat était donc légitime.

Nous nous en sommes entretenus avec le ministre et il est clair que le dépôt d'une plaque faisant explicitement référence aux combats de Tunisie et du Maroc lève notre hésitation. Je réjoins donc l'avis favorable du rapporteur (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Secrétaire d'Etat - Le Gouvernement est favorable à cet amendement.

Je dois des excuses à la commission car je constate que je ne l'avais pas informée de l'inscription figurant sur la plaque apposée sous l'Arc de Triomphe (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Rochebloine - J'avais défendu cet amendement en commission et je suis heureux qu'il soit finalement accepté. Le rapporteur nous avait dit que les associations n'y seraient pas favorables, mais vérification faite, elles sont pour. Tout le monde est satisfait de cet amendement, dont vont découler tous les autres (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Jacques Myard - Effectivement, il faut un peu de cohérence : il y a la plaque, mais il y a surtout le fait qu'il faut appeler les choses par leur nom. Je suis favorable à l'amendement.

L'amendement 1, mis aux voix, est adopté.

L'article premier, ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ARTICLE PREMIER

M. Alain Clary - Par l'amendement 3, M. Gremetz propose de remplacer les termes "opérations de maintien de l'ordre" ou "opérations d'Afrique du Nord" par l'expression "combats de Tunisie et du Maroc et guerre d'Algérie" dans le code des pensions, les textes législatifs ou réglementaires fixant les droits des anciens combattants d'Afrique du Nord, les titres de reconnaissance de la Nation, les brevets de pension et sur tous les monuments, stèles et plaques commémoratives évoquant cette période dramatique.

Nous faisons cette proposition pour des raisons de cohérence et, en tant que parlementaire, ce n'est pas parce que le ministre a fait graver telle ou telle plaque que nous vous demandons de l'approuver, mais au nom de la souveraineté de l'Assemblée.

M. le Rapporteur - Dans un souci de cohérence avec le débat que nous avons eu sur le premier amendement, je sollicite l'avis du Gouvernement (Rires sur divers bancs).

M. le Secrétaire d'Etat - Le Gouvernement souhaite que vous retiriez l'amendement pour trois raisons. D'abord, il obligerait à modifier de nombreux textes législatifs et en ce cas il aurait fallu autant d'articles additionnels que de lois à modifier. Ensuite, ce n'est pas à la loi, mais au décret, de changer des dispositions réglementaires. Enfin, cet amendement serait une injonction faite aux collectivités locales de modifier des inscriptions sur des monuments aux morts et le Gouvernement ne tient pas à leur imposer cette charge : c'est aux mairies de décider ce qu'elles souhaitent faire.

M. Alain Clary - Nous ne cherchons pas à imposer quoi que ce soit aux communes, mais le débat va se poursuivre dans les deux assemblées, dans l'opinion publique. Notre amendement est une contribution à ce débat et une incitation à tirer les conséquences de la loi. Je le maintiens, même s'il peut être appelé à évoluer au cours de la navette.

M. Jacques Myard - Je ne suis pas en désaccord sur le fond mais, dans la pratique, il faut laisser les choses se faire petit à petit. Appliquons le principe de subsidiarité !

M. François Rochebloine - Au départ, j'étais favorable à cet amendement, mais les arguments du ministre m'ont convaincu de finalement voter contre.

M. le Président de la commission - Cet amendement n'a pas été retenu par la commission. Je rappelle à nos collègues communistes que l'adoption de l'amendement 1 de M. Gremetz va entraîner celle de cinq amendements de coordination, c'est important.

Je regrette que vous ne retiriez pas l'amendement 3, qui pose incontestablement des problèmes d'application.

L'amendement 3, mis aux voix, n'est pas adopté.

ART. 2

M. le Rapporteur - L'amendement 6 est de cohérence.

Mme Christiane Taubira-Delannon - J'avais demandé la parole sur l'article, mais vous ne m'avez pas vue, Monsieur le Président !

M. le Président - Vous pouvez, à l'occasion de l'amendement, exprimer d'autres considérations.

Mme Christiane Taubira-Delannon - Je vous remercie de votre compréhension.

L'histoire officielle retient le 14 juin 1830 pour la conquête militaire de l'Algérie par la France. Il est bon de rappeler que c'est au cri de "vive le roi !" que les soldats de de Bourmont ont envahi Sidi Ferruch et en suivant un plan conçu depuis 1810 à la demande de Napoléon.

Parce que les mots sont importants dans ce texte, je rappelle que les 27 années qui ont suivi ce qu'on a appelé "la capitulation" ont été nommées "pacification". En fait le dey Hussein a appris qu'il serait sous la protection des troupes du roi.

L'histoire est rétablie à partir du moment où il est dit très clairement dans quelles conditions l'Algérie a été occupée. C'est l'incident dit "du chasse-mouches" qui a provoqué l'affrontement et l'invasion, décidée au Conseil des ministres du 31 janvier 1830.

Puis vient l'épopée d'Abd-el-Kader et l'occupation se poursuit.

L'important, c'est qu'on n'a pas parlé des gourbis des fellahs, de la confiscation de 450 000 hectares aux Turcs puis aux Algériens, ni des 15 000 esclaves noirs libérés, comme on a oublié les 35,5 millions de réparation exigés. Ce pays fut occupé par les Numides, les Romains, les Byzantins, les Arabes, les Turcs. L'occupation française l'unifia géographiquement mais pas culturellement, politiquement, ni socialement ; Ferhat Abbas disait encore que son pays avait le sens tribal.

Le mots, ce sont aussi ceux de Bugeaud face à l'insurrection conduite par Abu Maza lorsqu'il a dit : "Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, fumez-les comme des renards avec outrance." -ce que firent Pélissier puis Saint-Arnaud.

Ces mots ont nourri les défiances et les peurs ; aujourd'hui encore, ils provoquent des rancoeurs. Nous devons commencer par abolir leur violence pour que surgissent en pleine lumière ceux que Fanon appelait "les damnés de la terre", c'est-à-dire aussi ces forces supplétives françaises venues notamment d'outre-mer et qui ont été perturbées par leur participation à ce conflit (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste).

L'amendement 6, mis aux voix, est adopté.

L'article 2 ainsi amendé, mis aux voix, est adopté.

ART. 3

M. Yvon Montané - C'est le 21 septembre 1997, en inaugurant à Pavie le mémorial aux victimes d'Afrique du Nord, que vous avez pour la première fois, Monsieur le ministre, employé le mot guerre pour désigner les tragiques événements d'Algérie. Cette déclaration a fortement touché les Anciens combattants qui demandaient depuis longtemps cette reconnaissance. La proposition de loi l'officialise et souligne la spécificité de ce conflit. Nous avions le devoir de le faire, pour permettre aux générations actuelles et à venir de prendre toute la mesure des faits. L'heure est venue de reconnaître un drame qui a engendré chez ceux qui ont combattu et chez ceux qui ont quitté leur terre natale amertume, tristesse et regret, l'impression d'un immense gâchis et d'une histoire d'amour qui finit mal.

L'article 3 modifie l'article L. 253 du code des pensions militaires d'invalidité, relatif à l'attribution de la carte du combattant, dont la possession est capitale pour ouvrir droit à la retraite du combattant et à la rente mutualiste.

Déjà les conditions de son attribution ont été assouplies ces dernières années. Plusieurs majorations de points ont été attribuées ; la participation personnelle à une action de feu ou de combat a été assimilée à une présence d'une certaine durée en Algérie.

La loi de finances pour 1998 a fixé à 18 mois le temps de présence nécessaire en Algérie ; une circulaire du 25 janvier 1998 prévoit de tenir compte d'une présence continue au Maroc ou en Tunisie et en Algérie. L'article 123 de la loi de finances pour 1999 a ramené la durée de présence nécessaire en Algérie à 15 mois.

Le présent article 3 complète cet ensemble : sans modifier les conditions d'attribution de la carte du combattant, il fait explicitement référence à la "guerre d'Algérie".

Je vous invite à l'adopter (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Rapporteur - L'amendement 7 est de coordination.

L'amendement 7, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. L'article 3 est ainsi rédigé.

ART. 4

M. François Rochebloine - La loi de 1974 a clairement reconnu la stricte égalité entre les services rendus par les personnes ayant participé aux opérations d'Afrique du Nord et les combattants des guerres antérieures.

Ils avaient vocation à obtenir la carte de combattant et à bénéficier des dispositions du code des pensions. Mais son article 12 relatif à la campagne double et aux majorations d'ancienneté ne leur est pas applicable. Cette réforme reste à faire. Georges Colombier, Didier Quentin et moi-même avions déposé un amendement en ce sens. Il a été déclaré irrecevable. Nous souhaitons qu'il puisse être examiné lors du prochain débat budgétaire.

M. le Rapporteur - L'amendement 8 corrigé rédige ainsi cet article : "Dans le premier alinéa de l'article L. 401 bis du même code, après les mots : "ayant participé", les mots : "aux opérations effectuées en Afrique du Nord", sont remplacés par les mots : "à la guerre d'Algérie et aux combats en Tunisie et au Maroc".

L'amendement 8 corrigé, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. L'article 4 est ainsi rédigé.

ART. 5

M. le Rapporteur - L'amendement 9, corrigé de même, est de cohérence.

L'amendement 9, corrigé, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. L'article 5 est ainsi rédigé.

TITRE

M. le Rapporteur - L'amendement 5 est rédactionnel.

L'amendement 5, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - Dans le titre, après "guerre d'Algérie et aux", l'amendement 10 substitue aux mots : "opérations effectuées en Afrique du Nord", les mots : "combats en Tunisie et au Maroc".

L'amendement 10, accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. le Président - Sur l'ensemble de la proposition je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Georges Sarre - Ce n'est pas sans émotion que les hommes de ma génération participent à ce débat dont la portée est à la fois historique, symbolique et pratique.

Il a fallu près de 40 ans pour que la République rende officiellement hommage à ceux qui ont donné leur vie pour la France en Algérie.

La guerre d'Indochine était à peine terminée qu'une autre commençait, meurtrière, terrible, horrible, en Algérie. Rendons hommage au général de Gaulle...

M. Charles Cova - Très bien !

M. Georges Sarre - ...à Pierre Mendès-France...

Plusieurs députés socialistes - Très bien !

M. Georges Sarre - ...à Jean-Jacques Servan-Schreiber qui, avant d'autres, comprirent que l'histoire menait à l'indépendance des peuples.

M. Robert Pandraud - Vous oubliez Guy Mollet.

M. Georges Sarre - Il est bien d'autres noms de gens simples, de syndicalistes, qu'il faudrait évoquer. J'ai retenu ceux dont la résonance est la plus forte.

En Algérie, la décolonisation fut dramatique car il s'agissait d'un département français. Entre l'appartenance à la France et l'indépendance inéluctable, les gouvernements successifs hésitèrent. La France a manqué de lucidité. Ses élites et son peuple ne comprenaient plus.

Dans notre pays, la souveraineté nationale est une valeur centrale qui transcende tous les clivages. C'est donc aujourd'hui au nom de la Nation que nous pouvons affirmer notre reconnaissance envers tous ceux qui ont combattu en Algérie entre le 31 octobre 1954 et le 2 juillet 1962. Cette reconnaissance tant attendue ouvre la voie à la satisfaction des revendications avancées par les associations d'anciens combattants, notamment la FNACA. Ce jour couronne des années d'efforts opiniâtres auxquels je veux rendre hommage. La préparation de la prochaine loi de finances, Monsieur le rapporteur, doit nous permettre d'avancer substantiellement dans cette direction, notamment sur les retraites et la carte de combattant.

Enfin cette reconnaissance ouvre une page nouvelle, riche d'espérance, dans l'histoire tourmentée de nos relations avec l'Algérie. Après s'être tant combattus, il faut que nos deux peuples marchent la main dans la main. C'est nécessaire et possible. Pour toutes ces raisons le groupe RCV votera la proposition du groupe socialiste (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Michel Dasseux - Le groupe socialiste a été le premier à déposer une proposition de loi relative à la reconnaissance de l'état de guerre en Algérie, dès le 22 décembre 1998. Je me félicite que d'autres groupes, de la majorité ou de l'opposition aient fait de même début 1999.

Ce n'est pas sans émotion que j'évoque cette période, en ayant été moi-même un acteur très engagé. Un parmi les 1 101 580 appelés ou rappelés du contingent, les 317 545 militaires d'active, les 200 000 harkis et mogzhanis. Un parmi les civils musulmans ou européens qui eurent également à souffrir de ce conflit.

C'est aussi en pensant aux 23 196 tués que j'interviens aujourd'hui, sans oublier les 60 188 blessés recensés. Mais combien ne l'ont pas été ? En effet ce compte néglige ceux qui souffrent de troubles psychologiques ou de maladies chroniques. Il faudra que l'Histoire dise la vérité de ces statistiques...

Mais ces chiffres confirment la thèse que nous défendons : en Algérie, c'était une guerre. Lorsque l'aviation et l'artillerie interviennent massivement et qu'autant de troupes au sol sont engagées, il ne s'agit plus de simples opérations de maintien de l'ordre. Chaque conflit a ses particularités et nous ne demandons pas la comparaison avec nos glorieux anciens. La compétition n'est pas de mise. Mais ne parle-t-on pas de la troisième génération du feu ? Ce conflit fit appel aux militaires de carrière, mais aussi à toute une génération d'appelés ou de rappelés. Certains ont donné trente mois de leur jeunesse au service de la Nation. Pour eux, pour leurs familles, pour leurs amis, ils ont fait "la guerre d'Algérie".

Trente-sept ans après les accords d'Evian, il faut qu'enfin nous puissions aborder notre histoire avec les mots qui conviennent. C'est pour le groupe socialiste un acte symbolique de reconnaissance d'un fait historique, qui toucha de près ou de loin chaque famille française. Cet acte, loin de raviver des blessures, contribuera à apaiser des douleurs et des interrogations en assumant notre passé.

Le courage dont a fait preuve M. le secrétaire d'Etat Masseret nous honore tous ; qu'il en soit remercié. A propos du devoir de mémoire, permettez-moi une digression. Un journal du matin évoque la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat dans les actes du gouvernement de Vichy. Dût la modestie de Jean Le Garrec en souffrir, je rappelle qu'il fut à l'initiative d'une proposition de loi en ce sens. Il avait préconisé une journée nationale de commémoration à la date de la rafle du "Vél' d'Hiv'", journée dont le président François Mitterrand décida ensuite la création.

Les orateurs qui se sont succédé, chacun avec sa sensibilité, ont très bien exprimé l'hommage solennel que ce vote rendra aux acteurs de cette guerre. Le désir du groupe socialiste est que cette proposition de loi devienne réalité en recueillant une adhésion massive et que le Parlement puisse y donner rapidement la suite que nous en attendons (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. Didier Quentin - Le groupe RPR votera de tout coeur cette proposition. En officialisant l'appellation "guerre d'Algérie", cette guerre terminée par le Général de Gaulle, la Représentation nationale remplit aujourd'hui un devoir de reconnaissance morale, reconnaissance attendue depuis longtemps -trop peut-être- par des hommes qui firent leur devoir envers la patrie. J'ai aussi une pensée émue pour tous ces jeunes hommes qui tombèrent loin des leurs, et pour leurs familles. Gardons leur souvenir, et qu'ils trouvent toute leur place dans notre mémoire nationale (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF, du groupe DL et sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. Alain Clary - Enfin ! Oui, enfin, après trente-sept ans, nous reconnaissons une situation, et créons les conditions pour que la vérité s'exprime, pour que les jeunes générations en tirent les leçons, et pour que nous passions à une ère de paix et de coopération. Et bien sûr de réparation, envers les survivants et leurs familles.

Il faudra encore, dans la prochaine période, nous mettre à la tâche pour que cela se traduise par des mesures budgétaires (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. Georges Colombier - Le groupe DL, qui s'était associé à une proposition de même objet, également signée par MM. Quentin et Rochebloine, votera volontiers ce texte. Mais nous souhaitons qu'on aille jusqu'au bout de sa logique, c'est-à-dire que les anciens combattants d'Afrique du Nord aient désormais les mêmes droits que leurs aînés (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR, du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. François Rochebloine - Le groupe UDF unanime votera ce texte. Toutefois je ne souhaite pas que certains s'attribuent plus de mérites que d'autres. Dans un tel domaine, on n'a pas le droit de faire de la politique politicienne : nous faisons un acte solennel, où ces préoccupations ne doivent pas interférer (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Un député socialiste - Il fallait le faire avant.

M. François Rochebloine - Oui, nous aurions dû le faire avant. Il y a eu des gouvernements de droite et de gauche et cela n'a pas été fait. Ce l'est aujourd'hui, et je m'en réjouis. Le débat a été serein, mais il n'y a pas lieu d'attribuer tous les mérites à tel ou tel (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Depuis onze ans que je siège dans cet hémicycle, il y a bien longtemps que je propose cette mesure : ne dites pas que vous avez été les premiers (Mêmes mouvements). Aujourd'hui, l'Assemblée s'honore en votant cette proposition (Murmures sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur quelques bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

A l'unanimité des 117 suffrages exprimés sur 117 votants, l'ensemble de la proposition de loi est adopté (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Robert Pandraud - Mon Rappel au Règlement a pour but de vous demander, Monsieur le Président, si le vote qui vient d'intervenir aura une portée quelconque. Il y a quelques mois, en présence du même ministre, nous avons voté une loi reconnaissant le génocide arménien, et qu'en résulte-t-il ? (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Par conséquent, je le dis, j'aimerais bien que les lois que nous votons à une large majorité soient suivies d'effets.


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SAISINE POUR AVIS D'UNE COMMISSION

M. le Président - La commission de la défense nationale a décidé de se saisir pour avis du projet de loi portant règlement définitif du budget de 1997.

Prochaine séance cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 45.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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