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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 109ème jour de séance, 278ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 17 JUIN 1999

PRÉSIDENCE DE M. François d'AUBERT

vice-président

          SOMMAIRE :

ACTIVITÉS PHYSIQUES ET SPORTIVES 1

    MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 14

La séance est ouverte à neuf heures trente.


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ACTIVITÉS PHYSIQUES ET SPORTIVES

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, de la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues portant diverses mesures relatives à l'organisation d'activités physiques et sportives.

M. Jean-Claude Beauchaud, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Il pourrait paraître à première vue étonnant que l'Assemblée nationale soit appelée de nouveau à modifier, par le biais d'une proposition d'origine parlementaire, la loi du 16 juillet 1984 dont la ministre a annoncé la refonte à travers une loi d'orientation.

En réalité, cette proposition de loi est opportune : elle permettra de résoudre deux problèmes urgents.

D'abord, l'adaptation des statuts des clubs sportifs professionnels français aux nouvelles conditions financières du sport de haut niveau en Europe, à un moment où le football et, dans une moindre mesure, le rugby et le basket, évoluent de plus en plus vers le sport spectacle.

Dans la perspective de l'examen du projet de loi d'orientation en préparation, la commission des affaires culturelles a créé un groupe de travail sur le statut juridique des clubs professionnels. Les auditions auxquelles ce groupe a procédé ont permis de dégager plusieurs points d'accord. Toutes les personnalités entendues ont souligné l'importance sociale des clubs sportifs, leur rôle en matière de formation et leur lien avec les collectivités locales. Les grands clubs, de football surtout, souhaitent que les associations puissent constituer des sociétés anonymes sans minorité de blocage pour développer leurs capacités financières. S'agissant des statuts, le mieux semble être de distinguer l'association d'une part et la société anonyme de l'autre, étant entendu que des conventions organiseraient les relations entre les deux entités juridiques ainsi que leurs liens avec les collectivités locales. Enfin, la cotation en Bourse n'apparaît pas comme une solution pertinente pour le financement des clubs.

Second problème, la formation et la protection des jeunes sportifs. Il s'agit de répondre à l'émotion suscitée par certaines affaires récentes et de défendre à la fois les intérêts des jeunes et ceux des centres de formation.

Le dispositif retenu répond à l'ensemble de ces préoccupations. La commission ne vous propose donc que quelques modifications, pour l'essentiel rédactionnelles.

L'article premier distingue quatre formes juridiques différentes dont deux, la société d'économie mixte sportive locale et la société anonyme à objet sportif, existaient déjà, et deux sont nouvelles : l'entreprise unipersonnelle sportive à responsabilité limitée -EUSRL- et la société anonyme sportive professionnelle -SASP.

La création de la SASP répond aux voeux de la plupart des dirigeants des instances sportives et des clubs professionnels qui, confrontés à des difficultés de financement, souhaitent pouvoir doter les clubs d'un statut juridique plus souple. Toutefois, les actions des SASP ne pourront être négociées en Bourse. Cette possibilité, qui ne fait pas l'unanimité dans les milieux du sport, serait d'ailleurs contraire à l'éthique sportive.

Les autres dispositions du chapitre Ier concernent l'autorisation, sous conditions, du "marchandisage" et de la commercialisation de la marque des clubs ; les délais de mise en conformité à la loi des régimes juridiques des associations sportives ; l'interdiction d'être actionnaire de plusieurs sociétés dans la même discipline sportive et de consentir un avantage financier à un club concurrent ; enfin, le rétablissement de la possibilité de verser des subventions publiques. La loi du 8 août 1994 prévoyait d'interdire totalement aux collectivités territoriales de subventionner les clubs professionnels à compter du 31 décembre 1999. Or, ces subventions sont vitales pour les clubs à faible budget, qui précisément jouent un rôle social primordial, tandis que les clubs disposant des budgets les plus élevés, en particulier grâce aux retombées publicitaires ou médiatiques, auraient été moins pénalisés par cette extinction des aides publiques.

M. Laurent Cathala - Tout à fait.

M. le Rapporteur - Il était donc bon de rétablir cette possibilité, tout en l'encadrant assez strictement.

Les conditions de versement de ces subventions seront prévues par décret en Conseil d'Etat, ce versement étant lié à l'exercice d'une mission d'intérêt général. Il serait également souhaitable de plafonner le montant de ces subventions. Un amendement a été déposé en ce sens.

Le chapitre II concerne la formation et la protection des jeunes sportifs. L'article 6 interdit de manière générale les transactions commerciales autour des sportifs mineurs et, de manière plus spécifique, celles qui peuvent avoir lieu lors de l'entrée de celui-ci dans le centre de formation d'un club. L'article 7 prévoit que l'accès d'un jeune sportif à une formation puisse être subordonné à la conclusion d'un contrat d'engagement dans le club dont relève ce centre. Il s'agit à la fois de protéger les jeunes sportifs et de garantir les intérêts des centres de formation. En effet, les clubs négocient financièrement avec les familles des jeunes issus de ces centres, l'affaire la plus spectaculaire ayant concerné le recrutement d'un jeune footballeur français par le club anglais d'Arsenal. Il se crée ainsi un véritable marché, où joue la loi de l'offre et de la demande, un commerce qui porte atteinte à l'éthique sportive, selon vos propres termes, Madame la ministre.

Cela étant, une réglementation nationale ne suffira pas : des règles européennes s'imposent. Les évolutions en cours vont dans le bon sens. Jusqu'ici, prévalait, avec l'arrêt Bosman, la loi de la jungle. L'activité sportive était considérée comme un secteur économique soumis aux seules lois de la concurrence. Une réaction s'esquisse avec le traité d'Amsterdam, les travaux du conseil européen de Vienne, ceux des ministres des sports des Quinze à Paderborn. La reconnaissance de l'"exception sportive" en Europe est en bonne voie. La France, qui joue un rôle moteur dans cette évolution, doit montrer l'exemple et adresser un signal politique fort à ses partenaires.

Cette proposition de loi équilibrée répond à l'attente du monde sportif. Il n'est pas souhaitable de la transformer en un texte fourre-tout. Les débats se poursuivront lors de l'examen de la loi d'orientation, attendue de tous ceux qui considèrent que le sport est moyen d'éducation et d'insertion sociale, que la pratique sportive est par essence désintéressée, généreuse et altruiste. Aujourd'hui de nombreux dirigeants bénévoles paient une cotisation à leur association sportive... pour avoir le droit d'encadrer notre jeunesse.

Pour l'heure, compte tenu des travaux de la commission, je vous demande, en son nom, d'adopter cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports - Cette proposition de loi arrive au bon moment. Le Gouvernement la soutient car elle répond à deux besoins pressants. D'une part, moderniser le statut juridique des clubs sportifs professionnels tout en maîtrisant les évolutions afin que l'argent ne dicte pas sa loi au sport. D'autre part, protéger les sportifs mineurs et conforter les centres de formation.

La relation du sport à l'argent a été au coeur des mutations récentes : elle détermine en effet largement l'organisation des activités physiques et sportives, la place même du sport dans notre société et sa perception par l'opinion.

Nous devons aborder sans dogmatisme ni préjugés le débat auquel nous invitent les auteurs de cette proposition de loi. Il ne s'agit ni de diaboliser a priori toute activité économique liée au sport ni de céder à la tentation d'abandonner le sport professionnel français à un circuit privé exclusivement commercial, soucieux d'abord de la rentabilité du spectacle. Ce système est totalement étranger à notre culture et à l'organisation même du mouvement sportif dans notre pays depuis un siècle.

Le défi à relever est plus exigeant : il s'agit de permettre aux clubs professionnels de disposer des moyens économiques nécessaires à leur développement tout en préservant le rôle social, les valeurs éducatives et l'éthique du sport, amateur ou professionnel.

Le renforcement de la cohésion du mouvement sportif et de son rôle social est au coeur de la grande loi d'orientation que j'espère pouvoir vous soumettre le plus rapidement possible. Cohésion, développement, mais aussi mutualisation des moyens, partage des responsabilités et combat pour l'éthique sportive.

C'est dans ce contexte que des députés de la majorité ont pris l'initiative d'accélérer l'examen de diverses dispositions relatives au statut des clubs, à la protection et à la formation des jeunes, ce dont je me réjouis. Le groupe de travail mis en place par le président Le Garrec a par ailleurs auditionné de très nombreuses personnalités, ce qui a permis de prendre en compte la diversité des points de vue. De tous ces travaux résultent des propositions à la fois réalistes et novatrices.

Si elle tend à modifier le statut juridique des clubs, votre proposition renforce aussi l'association sportive, qui conservera son rôle pivot. Que son secteur professionnel soit organisé en société d'économie mixte sportive, en entreprise unipersonnelle, en société anonyme à objet sportif ou en société anonyme sportive professionnelle, c'est l'association qui conserve la maîtrise de l'inscription du club aux compétitions officielles. L'association et la société définiront leur relation par convention, ce qui est nouveau, et la société contribuera à la formation des jeunes, aux actions à caractère social.

Le dispositif tient compte de la diversité du sport. Il aurait été absurde d'imposer aux différents clubs une structure unique, y compris au sein d'une même discipline.

Il est indispensable de donner à certains clubs de basket, de handball et de rugby la possibilité d'attirer des investisseurs. Ils pourront donc se constituer en société anonyme sportive professionnelle, statut voisin de la société anonyme de droit commun à quelques exceptions près.

Il ne s'agit pas là d'une concession au libéralisme. Afin de préserver l'éthique sportive, trois garde-fous sont prévus.

L'article 3, en effet, préserve le lien avec l'association sportive. L'article 4 interdit la multipropriété des clubs : que se passerait-il en effet si la finale d'une coupe de France devait être disputée par deux clubs appartenant à un même groupe ? Enfin, les clubs ne pourront être introduits en Bourse : le Gouvernement approuve ce choix, nécessaire à la préservation des valeurs portées par le sport.

On m'a dit que ce serait là une position idéologique. Il faut donc ranger parmi les idéologues un certain Michel Platini, qui a déclaré être opposé à l'introduction des clubs en Bourse, estimant que "les résultats du foot ne doivent pas être mesurés au CAC 40 ou à Wall Street". Le foot doit, selon lui, conserver sa vocation sociale.

On m'a dit, aussi, que tous les autres pays de l'Union européenne avaient accepté la cotation des clubs en Bourse. C'est faux : cinq Etats membres seulement l'ont fait, et un petit nombre de clubs ont fait ce choix : un en Italie, un autre aux Pays-Bas, deux au Portugal, six au Danemark et vingt-deux en Grande-Bretagne. Au total, trente-deux clubs sur les cent quatre-vingt-deux clubs professionnels européens.

M. Edouard Landrain - C'est donc bien qu'une telle mesure n'est pas dangereuse !

Mme la Ministre - A ceux pour qui la situation du football en Grande-Bretagne constitue un modèle, je rappellerai qu'un audit a permis d'établir que, depuis l'introduction des clubs en Bourse, leurs pertes se sont aggravées, atteignant un total de 1,1 milliard. En outre, l'écart se creuse entre les clubs de première ligne et ceux de divisions inférieures, le gouffre menaçant de devenir abyssal.

Comme l'a déclaré le porte-parole d'un fonds d'investissement boursier qui fut un candidat malheureux à la reprise des Girondins de Bordeaux, "notre intérêt pour le football est purement financier. Nous n'éprouvons aucun attachement particulier pour le club". En cas de qualification européenne, ajoutait-il, "c'est le jackpot assuré pour nos actionnaires, qui récupèreront jusqu'à trois fois leur mise." On ne peut être plus clair.

La Bourse et le sport obéissent à deux logiques différentes. La logique financière implique la disparition des plus faibles, tandis que celle du sport fait que les derniers resteront toujours en compétition avec les premiers.

L'article 5, relatif aux subventions publiques, a soulevé de nombreuses interrogations. La législation actuelle prévoit l'interdiction, à la fin de l'année, de toute subvention publique aux clubs professionnels. Cette mesure risque de mettre en grande difficulté de nombreux clubs de basket, de handball, de rugby et même de football, dont certains pourraient disparaître. De nombreux élus, et tout particulièrement des maires, quelle que soit leur couleur politique, nous ont demandé de revenir sur cette mesure. Le maintien de clubs de haut niveau est nécessaire à la cohésion du mouvement sportif. En outre, la suppression des subventions publiques risque d'obliger les clubs à se privatiser, au détriment de leur fonction sociale.

Cependant, ce n'est pas aveuglément que nous souhaitons subventionner les clubs professionnels. Il n'est pas question que des fonds publics financent des transferts ou les salaires des joueurs : ils iront à des missions d'intérêt général, assurées par le club dans le cadre d'une convention et définies préalablement par décret -je pense à des missions de formation, d'action sociale ou d'aide technique.

De la sorte, l'utilisation des fonds publics sera plus transparente. Le Gouvernement a par ailleurs déposé un amendement visant à plafonner ces subventions.

L'article 6 vise à protéger les sportifs mineurs, qui ne pourront faire l'objet de transactions commerciales. Nous ne pouvons pas laisser des intermédiaires détruire l'équilibre des jeunes sportifs. Ecoutons le témoignage de David, de Lyon, à qui l'agent d'un club avait promis monts et merveilles alors qu'il avait dix-sept ans : "Un impresario a profité de moi, a-t-il déclaré dans la presse, parce que j'étais un gamin et que mes parents connaissaient mal le milieu du foot et ses magouilles. Aujourd'hui, je ne suis plus rien", déclare-t-il. A dix-neuf ans !

Au dernier conseil européen des ministres des sports, il a été décidé que la spécificité de l'activité sportive devait être prise en compte dans l'application des règles communautaires. Le texte adopté en conclusion de cette rencontre insiste sur la nécessité de protéger les sportifs mineurs. Que la France soit le premier Etat membre à le faire doit nous réjouir.

L'article 7, qui porte sur la relation contractuelle entre le club et ses jeunes, répond à une demande pressante du mouvement sportif. Les clubs qui ont développé la formation mesurent maintenant les bons effets de ce choix. Mais cet acquis paraît menacé. En instituant une obligation de retour, la loi confortera la politique de formation qui est un des atouts du sport français. Les dispositions législatives ne tendent pas à se substituer aux conventions, mais à leur donner une base juridique.

Le Gouvernement soutient cette proposition, qui conforte le travail réalisé depuis deux ans (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Henri Nayrou - Cette proposition aurait pu, aurait dû s'insérer dans un texte plus complet, si le calendrier parlementaire avait été mieux élaboré... ("Très bien !" sur les bancs du groupe UDF) ...pour les sportifs, s'entend.

Ce texte tend à modifier la loi du 16 juillet 1984, dont les mérites ne sont plus à vanter. Mais 1984, c'est loin derrière, et l'an 2000, c'est encore loin devant...

C'est pourquoi le groupe socialiste a voulu donner dès maintenant aux clubs un cadre de gestion adapté aux exigences modernes.

Même si certains la jugent imparfaite et prématurée, cette proposition a le mérite d'être cohérente et présente l'avantage d'exister !

Comme l'a déclaré le Premier ministre : "Oui à l'économie de marché, non à la société de marché." Les clubs ne doivent pas être pénalisés par une structure inadaptée et il faut couper le cordon entre l'association sportive et sa section professionnelle. A cet égard, je rends hommage à la bonne vieille SAOS, qui n'avait pas que des avantages, mais qui a évité au sport de tomber dans un piège mortel. Je rends aussi hommage à la loi de 1901, même si elle a été trop souvent détournée.

Refusant la société de marché, nous approuvons l'interdiction des cotations boursières et de la multipropriété des clubs. Vous avez eu raison, Madame la ministre, de faire connaître très tôt votre position.

Faire entrer le sport dans la spirale financière se conçoit peut-être pour ces drôles de sportifs en col blanc qui font voler les capitaux au-dessus de nos têtes, mais je leur préfère les jeunes en maillot qui font rouler le ballon sur l'herbe (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

L'idée que je me fais du sport me tient éloigné de ces petits -vraiment petits- actionnaires du Lazio de Rome qui, ayant perdu de l'argent suite à une défaite, ont porté plainte contre l'arbitre !

On nous dit que les clubs anglais, eux, sont cotés en Bourse. Oui, mais ils ont une autre culture sportive et une autre organisation matérielle que les nôtres.

M. Christian Estrosi - Et ils gagnent !

M. Henri Nayrou - Demander à nos clubs de leur ressembler, c'est un peu comme si on demandait aux Anglais de manger des grenouilles au prétexte que les Français les aiment. D'ailleurs, seulement deux des responsables que nous avons auditionnés souhaitaient vraiment cette cotation.

Ma position est la même concernant la multipropriété et la propriété du numéro d'affiliation aux compétitions officielles. C'est en effet la moindre des choses qu'un investisseur ayant vidé la caisse ne s'en aille pas en plus avec la clé dans la poche. A moins qu'on ne fasse décidément prévaloir cette devise : un pour tous, tous pour un, et trente pour cent... (Sourires)

Deux amendements que je présenterai après l'article 7 tendent précisément à poser quelques garde-fous.

L'article 5 du projet met fin au dispositif Pasqua : tant mieux, car sinon les clubs professionnels -je pense surtout au rugby et au basket- qui n'auraient pas intéressé les investisseurs auraient vite coulé à pic.

Je ne m'étendrai pas sur les articles 6 et 7 qui concernent l'un les mineurs, l'autre la formation, mais j'éprouve quelques craintes quant à leur application et j'en ressens plus vivement l'urgente nécessité d'harmoniser, dans l'espace européen, les relations avec les enfants champions.

Vous avez toute ma confiance, Madame la ministre, pour transformer les essais que vous venez de marquer à propos du dopage, et lors de la réunion de Paderborn. Je vous fais confiance aussi pour traiter dans votre grande loi sur le sport tout ce qui ne figure pas dans le texte examiné ce matin.

En tout cas, le sport français avait besoin du texte équilibré et cohérent que nous examinons ce matin. Sans doute est-il imparfait mais, comme l'on dit dans mes montagnes ariégeoises : "mieux vaut une sardine sur du pain qu'un oiseau qui vole" ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste)

M. Christian Estrosi - Cette proposition de loi, si elle est adoptée...

Plusieurs députés socialistes - Elle le sera.

M. Christian Estrosi - ...aura beaucoup de conséquences sur le sport professionnel. Rédigée à la hâte, elle anticipe la grande loi sur le sport que vous nous annoncez depuis des mois, Madame la Ministre, mais qui paraît fort difficile à élaborer. En tout cas, nous savons bien que cette proposition de loi est la vôtre, Madame, et nous l'abordons avec un esprit constructif car le sport mérite mieux que de vaines polémiques.

Le sport a une triple dimension : éthique, économique et éducative. Mais de plus en plus, c'est la dimension économique qui l'emporte, et vous cherchez à encadrer cette évolution : noble objectif, mais les moyens prévus me paraissent inadaptés car trop franco-français, à l'heure où le sport subit, lui aussi, la mondialisation, c'est-à-dire l'ouverture des frontières et la libéralisation des échanges. Cette évolution est marquée par certaines dérives, dont nous avons l'illustration avec les violences du stade du Heysel, le truquage des matchs Valenciennes-Marseille, la corruption au sein des structures olympiques, le scandale du dopage... Pour préserver l'éthique sportive et la valeur éducative du sport, il faut préserver aussi la base associative du système. A cet égard, la proposition de loi ne va pas assez loin et nous défendrons des amendements visant à renforcer la place des associations sportives.

Mais le sport français doit aussi pouvoir lutter à armes égales avec la concurrence étrangère, et ce texte ne lui en donne pas la possibilité. Certes, il permet la transformation d'un club en société anonyme, mais il interdit l'actionnariat populaire. Nous souhaitons quant à nous que les clubs puissent être côtés en Bourse.

La France a remporté la Coupe du Monde mais ses clubs ont montré, peu de temps après, en Coupe d'Europe, leurs faiblesses. Quant aux Bleus, ils ont pour la plupart rejoint des clubs étrangers. C'est la preuve que les clubs français ne sont pas concurrentiels. Il faut donc rétablir les conditions d'une concurrence loyale, à la fois dans les sources de financement -c'est pourquoi nous proposons la cotation en Bourse- et dans les rémunérations des joueurs -c'est pourquoi nous proposons l'harmonisation des charges des clubs au niveau européen. Mais nous devons dans le même temps nous entourer de toutes les garanties pour que la compétition sportive ne s'efface pas devant les enjeux économiques. Nous sommes donc partisans d'un actionnariat stable et largement ouvert aux supporters. Nous sommes pour que l'association sportive puisse choisir l'actionnaire de référence et pour que 50 % des bénéfices de la société privée gestionnaire soient affectés au financement d'investissements sportifs, d'activités de formation, d'associations sportives amateurs.

Le texte qui nous est soumis permettrait, lui, de subventionner une société commerciale sportive. Outre que subventionner une société commerciale est une première, il est tout de même gênant qu'un tel privilège soit consenti aux seules sociétés commerciales sportives. Et permettre aux collectivités d'utiliser l'argent du contribuable pour financer le sport professionnel privera le sport amateur -qui en a pourtant bien besoin- des ressources correspondantes.

M. Edouard Landrain - Bien sûr.

M. Laurent Cathala - Cela vaut mieux que de financer des casinos.

M. Christian Estrosi - On peut aussi trouver un financement qui ne lèse ni le sport amateur ni l'équilibre des finances locales : la cotation en Bourse.

L'an prochain, les droits de télévision vont représenter en France, tous sports confondus, 3,5 milliards. Pourquoi ne pas en faire bénéficier plus largement le sport professionnel, voire amateur ? ("Très bien !" sur les bancs du groupe UDF)

Nous comprenons bien ce qui vous guide lorsque vous proposez d'interdire les transactions commerciales impliquant des mineurs mais notre société a évolué : croyez-vous vraiment qu'aujourd'hui, un mineur apte à remporter des compétitions nationales ou internationales manque à ce point de maturité pour gérer sa carrière professionnelle ou ses intérêts commerciaux ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Comment Amélie Mauresmo, par exemple, aurait-elle atteint un tel niveau avant ses 18 ans si elle n'avait pu signer un contrat avec Adidas ? Désormais, ce serait impossible... Et pourquoi soumettre à ces contraintes les seuls sportifs, mais non les artistes ?

M. Alain Néri - Ne nous reprochez pas de protéger les sportifs !

M. Christian Estrosi - Il serait préférable de loger tout le monde à la même enseigne et de laisser s'appliquer le droit du travail qui permet à tout un chacun de gérer sa carrière professionnelle à partir de l'âge de 16 ans. Demandez-vous donc si Sophie Marceau aurait pu tourner "La Boum" si de telles dispositions avaient été imposées aux artistes... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Nous sommes tous hostiles à l'arrêt Bosman mais, Madame la ministre, n'est-ce pas à vous d'en demander et obtenir le retrait, par votre action au sein du conseil européen des ministres des sports ? Ce qui est proposé ici est totalement inapplicable à l'échelle de l'Union, cette loi est purement franco-française (Protestations de Mme la ministre). Ce retrait est acquis ? Il n'y a donc plus lieu de délibérer !...

Il est en tout cas essentiel de se battre à l'échelle de l'Europe pour faire reconnaître l'exception sportive. Je sais que vous le faites, mais nous avons besoin de résultats plus probants.

En acceptant certains de nos amendements, vous conféreriez à cette proposition une logique réelle, une logique conciliant les exigences de l'éthique sportive et celles du sport international tel qu'il est. Nous attendons donc un débat constructif, prenant en compte nos propositions : en dépendra notre vote final (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Patrick Leroy - En France, les clubs modestes ou moyens vivent souvent sous perfusion, grâce à l'aide des collectivités, tandis que les plus riches se partagent la manne des sponsors et les droits de télévision, ce qui leur permet d'acheter les meilleurs joueurs et de participer presque à coup sûr aux championnats les plus prestigieux. Nous avons ainsi un sport à deux vitesses : d'un côté les gueux ; de l'autre les nantis !

En Europe, les joueurs sont vendus comme des marchandises, ce qui dispense des efforts de formation, déstabilise les clubs et pousse à l'exode des "stars". Plusieurs équipes peuvent être la propriété d'un même investisseur et des clubs anglais, italiens ou espagnols peuvent afficher de bons résultats en Bourse tout en ayant une comptabilité déficitaire. D'autres pratiquent la double comptabilité ou, en Espagne par exemple, bénéficient de lois "d'amnistie budgétaire" leur permettant d'offrir des salaires faramineux à leurs joueurs.

Les clubs français, en revanche, sont soumis à l'examen redoutable de la direction nationale du contrôle de gestion. Leurs finances sont donc saines, mais ces clubs, honnêtes, sont aussi pauvres. Est-ce que M. Van Miert trouve cet état de fait conforme aux règles de la "libre concurrence" ?

D'autre part, les droits de retransmission télévisée sont moins élevés en France que dans la plupart des autres pays européens où, parfois, les clubs peuvent les négocier directement avec les chaînes de télévision.

Face à cet ultralibéralisme triomphant, que peut un pays comme le nôtre où les associations diminuent et où la subvention publique fournit 14 % des recettes des clubs professionnels ? Notre éthique sportive est à mille lieues du sport spectacle commandé par les lois du marché !

Cependant, les pratiques libérales ont un effet ravageur même chez nous, par la concurrence déloyale qu'elles suscitent entre les clubs de tous pays. De cette concurrence, le sommet européen des ministres des sports européens à Paderborn s'est d'ailleurs inquiété.

Il fallait donc donner aux clubs français les moyens de lutter à armes égales avec leurs concurrents, sans les transformer en entreprises de spectacle, ni les couper du milieu amateur. Au surplus, on sait que le marché boursier ne s'intéresse qu'aux clubs qui ont obtenu des résultats et qu'au moindre échec il les délaisse, comme le rat abandonne le navire en péril.

Il en est du reste du sport comme du bonheur : l'argent peut y concourir, mais ce n'est qu'un moyen.

A cet égard, la proposition de loi apparaît assez équilibrée, grâce à un certain nombre de garde-fous, qui préservent l'éthique sportive, l'interdépendance entre secteurs amateur et professionnel et la place des associations. Cependant, si un toilettage de la loi de 1984 était incontestablement nécessaire, il aurait été préférable de l'effectuer dans le cadre de la grande loi sur le sport prévue pour l'année prochaine, afin d'aborder la question sportive dans tous ses aspects.

Cette proposition ouvre aux associations dépassant certains seuils de recettes ou de rémunérations la possibilité de constituer en leur sein des sociétés anonymes ou sportives professionnelles -SASP-, des entreprises unipersonnelles sportives à responsabilité limitée ou de garder le statut de société anonyme à objet sportif -SAOS- ou de sociétés d'économie mixte sportives locales. La création d'une SASP ne sera donc pas obligatoire, mais permettra la distribution de dividendes et la rémunération des dirigeants. En outre, cette SASP cohabitera avec l'association loi 1901, par convention. L'association restera détentrice de l'affiliation à la fédération sportive et sera chargée d'autoriser les compétitions et d'assurer la formation des joueurs, tandis que les sociétés commerciales seront les employeurs et les gestionnaires de l'activité commerciale. Nous regrettons toutefois que l'association ne dispose pas des moyens de contrôler l'action de la SASP. Ces deux structures obéissent en effet à des logiques différentes. Aussi, avons-nous déposé certains amendements pour éviter que l'association ne se retrouve inféodée à des intérêts marchands.

Les députés communistes ont ainsi tenu à renforcer les pouvoirs de l'association sportive face à la SASP, en lui permettant de prendre connaissance des délibérations du conseil d'administration, de demander en justice la récusation d'un commissaire aux comptes désigné par l'assemblée générale et d'interroger par écrit le président du conseil d'administration sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l'exploitation commerciale.

Cette loi permettra à une association sportive d'avoir des activités économiques et commerciales, dès lors qu'elle adoptera une organisation adaptée à la nature de ses activités. L'association a en outre le choix entre le statut de société commerciale, selon qu'elle souhaite des concours financiers autonomes, des collectivités locales ou de sponsors privés et celui d'association loi 1901 si elle ne dépasse pas les seuils fixés par décret.

Nous approuvons les garanties prévues pour préserver l'éthique sportive : non-cotation en Bourse, interdiction de la multipropriété des groupements sportifs dans la même discipline ainsi que des prêts ou des cautionnements à un club concurrent ; interdiction de toute transaction commerciale portant sur les activités sportives d'un mineur...

Nous proposerons cependant d'étendre la non-cotation en Bourse à tous les titres des SASP. En ce qui concerne les centres de formation, nous suggérons de substituer à une durée maximale du premier contrat, fixée à trois ans, une durée minimale, d'un an. Le centre qui a formé le jeune sera ainsi assuré d'un retour sur investissement.

Quant à l'interdiction des transactions impliquant les mineurs, nous sommes bien évidemment très favorables au principe. Toutefois, ces deux dernières dispositions ne pourront être applicables qu'en France, faute de réglementation européenne et internationale, puisque l'arrêt Bosman fait de l'activité sportive un secteur où s'appliquent les règles de la concurrence. Vos initiatives sur ces questions, Madame la ministre, sont source d'espoir.

Cette proposition de loi nous inspire certaines craintes. Qui nous dit que, lorsqu'ils auront accédé aux commandes de ces nouvelles sociétés anonymes, les gestionnaires financiers ne s'attaqueront pas au système des recettes et n'essaieront pas de développer celles-ci en recourant au marché des droits dérivés et à la valorisation du capital-joueur ?

Transformés en entreprises de spectacle, les clubs seraient définitivement coupés du secteur amateur.

Pour les députés communistes, l'ouverture à des sociétés anonymes doit impérativement s'accompagner de conditions strictes, sorte de code de conduite, précisées dans la convention et dans le décret en Conseil d'Etat, puis soumises à l'approbation de l'autorité administrative.

Parce que nous sommes très attachés à l'éthique du sport et à ses fonctions éducative, sanitaire, sociale, culturelle et même ludique, nous souhaitons que le débat lève nos craintes.

Sous ces réserves, le groupe communiste votera la proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur de nombreux bancs du groupe socialiste).

M. François Rochebloine - Si nous nous accordons tous sur la nécessité de légiférer, en revanche on ne peut que regretter la précipitation dans laquelle ce texte a été élaboré et la brièveté des délais d'examen. Pourquoi une proposition de loi alors que, Madame la ministre, vous préparez un projet relatif à la démocratisation du sport, qui devrait être examiné en première lecture au Sénat à la rentrée ? La majorité invoque l'urgence, mais cette proposition de loi examinée à la sauvette n'aborde pas les véritables problèmes.

Le premier objet de ce texte est de créer de nouvelles structures juridiques pour les clubs professionnels, dont il est clair que le développement est freiné par un carcan administratif, fiscal et social sans équivalent en Europe.

La loi du 16 juillet 1984 dispose que les associations sportives dont les recettes dépassent un seuil fixé par décret ou qui versent des salaires à leurs sportifs professionnels pour un montant supérieur à un seuil également fixé par décret constituent une société commerciale qui, aujourd'hui, peut adopter deux formes juridiques différentes, celle de société d'économie mixte sportive locale et celle de société anonyme à objet sportif.

Or cette dernière ne permet pas de redistribuer des bénéfices, et donc d'attirer des investisseurs. Il nous est donc proposé d'instaurer deux nouvelles formes : l'entreprise unipersonnelle sportive à responsabilité limitée et la société anonyme sportive professionnelle. La première conviendra aux clubs qui ne souhaitent pas avoir de partenaires financiers pour gérer leurs activités professionnelles. La deuxième n'aura pas accès à la Bourse mais pourra verser des dividendes à ses actionnaires et rétribuer ses dirigeants élus ; elle sera liée par convention à l'association sportive et les actionnaires ne pourront pas posséder de parts dans un autre club.

Par ailleurs, il est proposé de lever l'interdiction de verser des subventions publiques aux sociétés commerciales : la loi du 8 août 1994 disposant que les subventions accordées par les collectivités territoriales aux clubs professionnels cesseront le 31 décembre 1999, des subventions pourraient être accordées dans des conditions définies par décret pour des mesures d'intérêt général.

Cette proposition de loi a pour deuxième objectif de protéger les jeunes sportifs. Il s'agit d'interdire les transactions commerciales intempestives et de se prémunir des recruteurs étrangers ; mais la disposition prévue va à l'encontre de l'arrêt Bosman et de la libre circulation des sportifs dans l'Union européenne. Par ailleurs, il est prévu que l'accès d'un jeune sportif à un centre de formation pourra être subordonné à la conclusion d'un contrat d'engagement dans le club dont celui-ci relève.

Ce texte pèche par son caractère franco-français, à l'heure où une harmonisation européenne s'impose.

L'introduction d'un système de cotation en Bourse strictement encadré aurait permis de résoudre les problèmes de financement du sport français. La plupart des pays européens ont adopté des législations en ce sens et l'on dénombre 36 clubs cotés en Bourse, répartis dans dix pays, dont Manchester United, l'Ajax d'Amsterdam et le Celtic de Glasgow. Avec mes collègues Landrain et Grimault, j'avais déposé une proposition de loi à ce sujet en novembre 1998.

Pour autant, il ne s'agit pas de banaliser le sport, qui n'est pas une activité économique comme les autres : le groupe UDF est favorable à une "exception sportive". Celle-ci a d'ailleurs été souhaitée à Paderborn, et par les quinze ministres des sports de l'Union, qui se sont prononcés pour une prise en compte des "intérêts spécifiques du sport" dans l'application des règles européennes.

Ne pas mettre les sportifs français et leurs clubs dans les mêmes conditions de réussite que leurs collègues européens est une erreur fondamentale.

Le taux de TVA applicable aux événements et aux équipements sportifs doit être le même sur tout le territoire européen ; la fiscalité applicable aux sportifs tant professionnels qu'amateurs doit être comparable, faute de quoi nous continuerons à voir partir nos joueurs vers des clubs étrangers.

MM. Edouard Landrain et François Goulard - Hélas !

M. François Rochebloine - Un statut juridique des clubs européens doit être établi, car l'absence de règles crée de profonds déséquilibres : les clubs espagnols ou italiens sont structurellement déficitaires et pourtant, ils recrutent des joueurs de haut niveau en pratiquant une surenchère salariale.

Il convient également de protéger les très jeunes joueurs dans toute l'Union. On ne peut accepter que les clubs négocient avec les familles des jeunes issus des centres de formation. Les récentes révélations concernant les trafics de joueurs africains vers l'Europe invitent à la plus grande vigilance.

Avec mes collègues de l'UDF, Edouard Landrain et Hubert Grimault, nous avons défendu en commission plusieurs amendements que nous aurons l'occasion de reprendre dans la discussion des articles.

Cette proposition de loi aborde les problèmes de façon idéologique, alors qu'il faudrait faire preuve de pragmatisme. Aussi, le groupe de l'UDF votera contre ce texte, en souhaitant que le Sénat en améliore le contenu pour nous le rendre acceptable en seconde lecture (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. le Président - La parole va à M. Jean-Pierre Defontaine.

M. Alain Néri - Allez Lens !

M. Jean-Pierre Defontaine - Etant président d'un club amateur, le Racing Club d'Arras, qui réunit 20 disciplines, et 3 000 licenciés, et, comme il vient d'être rappelé, ancien président d'un club professionnel, le Racing Club de Lens, je mesure combien il est difficile de gérer tant le sport amateur que le sport professionnel. Le premier, avec ses milliers de bénévoles, constitue une richesse inestimable ; le deuxième, tout aussi indispensable, a ses travers mais nous offre des moments merveilleux, comme la Coupe du Monde 1998.

Alors que le tournoi de tennis de Roland-Garros vient de s'achever, et que le tour de France cycliste va débuter, nous examinons une proposition de loi dont le principal objectif est de combler un manque concernant le statut juridique des clubs professionnels, avec la séparation en deux entités distinctes, association sportive et société commerciale. C'est là le grand mérite du texte, avant la refonte annoncée par Mme la ministre des sports de la loi du 16 juillet 1984.

Néanmoins de nombreux aspects de cette proposition posent encore problème.

Ainsi l'article premier ne traite pas de la participation que l'association sportive devra détenir, en capital et en droit de vote, dans la société commerciale. De même, le projet de Mme Buffet dispose que la société est obligatoirement une filiale de l'association, mais ne précise pas le seuil de participation. Or cette question est déterminante pour l'évolution des groupements sportifs professionnels.

L'article 3 s'en remet à l'autorité administrative pour déterminer les stipulations que devra comporter la convention signée entre l'association sportive et la société commerciale. La licence fédérale demeurera la propriété de la seule association sportive, ce qui empêchera la société de commercialiser ce droit.

En revanche, la propriété de la marque et des signes distincts, qui selon la proposition de loi appartiennent à l'association, apparaît équivoque. Pourquoi entrer dans ces précisions, au risque de priver les clubs français d'importantes ressources financières Hier, un grand journal sportif annonçait que le F.C. Barcelone avait signé un accord avec un groupe de télévision espagnol pour l'acquisition des droits de télévision du club pour l'équivalent de 510 millions par an pendant cinq ans. Cette somme représente plus que le budget du premier club français, lui-même en dix-septième position en Europe par son budget.

Enfin, les dispositions de l'article 6 sont très insuffisantes pour protéger les sportifs mineurs, et mieux les former.

C'est pourquoi nous proposons de mettre fin à l'autorisation de démission à l'intersaison et de reconnaître la dimension formatrice des clubs amateurs.

Nous ne doutons pas que ces difficultés seront résolues par le projet que le Gouvernement s'est engagé à déposer.

Cependant, l'occasion nous a semblée propice de mettre le points sur les i.

Sous ces réserves, les radicaux de gauche soutiendront cette proposition, avec l'idée que l'on pourra facilement aller "plus loin, plus haut, plus fort et plus vite" dans la voie ouverte aujourd'hui.

M. François Goulard - Comme l'ont dit mes collègues de l'opposition, voici un mauvais texte, improvisé et mal préparé. Le Gouvernement ayant fait savoir son intention de modifier la loi de 1984, nous nous étonnons que la majorité ait décidé d'anticiper sur ce projet. Au moins peut-on espérer que les deux textes s'inscrivent dans la même ligne.

S'il était nécessaire de légiférer avant le 1er janvier 2000, le Gouvernement aurait pu accélérer son calendrier.

Constatons d'abord que l'exposé des motifs de la proposition, qui ne compte que quinze faibles lignes, ne fait aucune allusion à la question des subventions publiques aux associations sportives.

Le rapporteur, qui ne s'est guère montré plus prolixe... (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

M. Alain Néri - Vous n'étiez pas là pour l'écouter.

M. François Goulard - Tout comme vous, j'imagine, je dispose dans mon bureau d'un poste de télévision qui retransmet nos débats. Le rapport écrit, avec deux pages seulement, est lui-même bien succinct (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Il nous présente un texte dont l'audace n'est pas la vertu première. Les timides ouvertures qu'il recèle sont aussitôt bornées par l'édiction de règles nouvelles.

En fait, vous ne savez pas comment vous y prendre avec le monde sportif contemporain. Ce dernier comporte des réalités que vous ne pouvez pas nier, mais que vous admettez mal. La réalité, c'est que le sport s'exerce sous la forme d'une entreprise de spectacle à caractère commercial générant un chiffre d'affaires considérable. Ce phénomène tient à l'extraordinaire médiatisation du sport, dont le public ne cesse de s'élargir. Il est amplifié par la mondialisation, qui transforme les grandes manifestations sportives en événements planétaires. Il vous est impossible de refuser cette évolution, sauf à tenir notre pays à l'écart du mouvement sportif mondial.

Cette mutation résume-t-elle le sport d'aujourd'hui ? Certainement pas, tant le sport revêt des formes diverses : il fait partie de notre vie, il contribue à l'éducation et à la formation, il est une activité de loisir... Tout cela n'a pas grand chose à voir, semble-t-il, avec le monde de l'entreprise. Pourtant, tout est lié, car la médiatisation incite à pratiquer le sport.

Mais vous êtes dans l'erreur et la confusion lorsque vous voulez réglementer les activités sportives dans l'idée d'en promouvoir certaines formes tout en en réprouvant d'autres. Oui, le sport concourt à l'épanouissement personnel et contribue à la formation des jeunes, oui, et c'est heureux, la performance est le plus souvent gratuite. Mais cela n'empêche pas d'admettre l'existence d'autres formes d'activité sportive. Or visiblement, vous avez du mal, comme en témoigne l'exposé des motifs : "L'expansion du sport en France ne peut être dépendante ou soumise à des considérations d'ordre financier".

M. Alain Néri - C'est la moindre des choses !

M. François Goulard - Cette considération est évidente pour certaines formes d'activité sportive, elle est absurde pour d'autres. Qu'il ne puisse "être envisagé de soumettre les clubs sportifs aux lois des marchés financiers" est évident pour la grande majorité de nos clubs, mais est une contrevérité pour les clubs de notoriété mondiale.

Dans ces conditions, vous ne pouviez procéder que par concessions, en apportant, non sans regret, quelques aménagements à la loi de 1984. Vous avez tort ! Nous vivons dans un monde sportif totalement ouvert. Nos sportifs, nos clubs, nos médias sont engagés dans la concurrence. Or, en maintenant sur le sport français des contraintes, des charges et des règlements plus lourds que dans les autres pays, en refusant d'admettre qu'un club soit une entreprise, vous pénalisez nos clubs.

Votre attitude face à l'accès des clubs aux marchés financiers est révélatrice. "La cotation en Bourse, écrit le rapporteur, n'apparaît pas comme la solution pertinente, dans la mesure où il semble que trop peu de clubs français, voire aucun, pourraient y prétendre." Ainsi, parce qu'ils seraient trop peu nombreux, aucun ne doit y avoir droit ! Etrange logique que celle de la réussite interdite !

En Grande-Bretagne, les grands clubs sont entrés en Bourse avec succès, sans que personne, y compris parmi vos amis travaillistes, y trouve à redire.

M. le Rapporteur - Ce n'est pas exact !

M. François Goulard - Que je sache, dans un championnat il n'y a qu'un seul gagnant ! La capacité à mobiliser des fonds sur le marché peut contribuer de façon décisive à la réussite d'un club.

Interdire à une personne privée de détenir des parts sociales de plusieurs sociétés relevant de la même discipline sportive est abusif. En cas de difficulté, le droit actuel de la concurrence suffit. Les articles 6 et 7 font fi de la libre circulation des personnes en Europe. Leurs dispositions risquent de pousser les jeunes talents à s'expatrier.

M. le Rapporteur - Ils le font déjà !

M. François Goulard - Il est en soi anormal qu'une entreprise commerciale reçoive des subventions publiques. Mais nos clubs sont très défavorisés par rapport à leurs concurrents en raison des charges et des impôts qui pèsent sur eux.

Les subventions publiques constituent d'une certaine manière une compensation, d'ailleurs insuffisante pour mettre nos clubs à parité. Etant donné la brièveté des carrières sportives, l'importance des sommes en jeu et la pression de la concurrence entre pays, la sagesse commande que les salaires des joueurs dérogent au droit commun fiscal et social. Il convient de trouver des solutions adaptées, comme avait prévu de le faire le Gouvernement précédent...

M. Alain Néri - Et comme il ne l'a pas fait !

M. François Goulard - Estimant les dispositions de cette proposition de loi inadaptées, inutilement contraignantes et restrictives, nous voterons contre (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Alain Néri - Nous aurions certes préféré débattre aujourd'hui d'une loi d'orientation sur le sport...

M. Edouard Landrain et M. François Rochebloine - Oh oui !

M. Alain Néri - Mais nous savons aussi qu'il faut parfois donner du temps au temps. Mieux vaut prendre le temps de toute la concertation nécessaire pour parvenir à une grande et belle loi sur le sport plutôt que de céder à la précipitation.

A cet égard, je tiens à rendre hommage au rapporteur qui a pris le temps de consulter les principaux responsables des clubs sportifs professionnels. Et, répondant par avance à notre collègue Landrain qui défendra le renvoi en commission, je précise que tous les clubs professionnels, à l'exception seulement de trois d'entre eux, nous ont dit approuver les dispositions de cette proposition de loi.

Celle-ci contient des mesures indispensables pour les clubs, fixant notamment les rôles respectifs des associations et des sociétés. Pour nous, en effet, le sport, même professionnel, ne peut être réduit à sa seule dimension économique.

Cette proposition de loi aborde également la question des relations entre les sociétés sportives et les collectivités locales, de plus en plus impliquées dans le sport. Nous y reviendrons certes à l'occasion de l'examen du projet de loi de M. Zuccarelli relatif aux interventions économiques des collectivités mais il fallait dès aujourd'hui jeter les bases de nouvelles relations. Un club sportif participe à l'image d'une ville, d'un département, voire d'une région. Il peut, à ce titre, être aidé dans le cadre du budget de la communication de ces collectivités, non de leur budget du sport.

Il faut contrôler l'utilisation de ces subventions -en effet indispensables pour les clubs à faible budget. L'argent public ne peut servir à combler des déficits chroniques liés, entre autres, aux salaires exorbitants versés à certains joueurs.

M. François Rochebloine - Tout à fait ! C'est d'ailleurs pourquoi il faut interdire ces subventions.

M. Alain Néri - Ces salaires qui font rêver ne peuvent être financés par les contribuables dont certains ne touchent que le SMIC. Heureusement que nos concitoyens confondent parfois encore anciens et nouveaux francs ! Ils croiraient autrement qu'on a perdu la tête. C'est pourquoi une convention entre les collectivités et les sociétés doit subordonner le versement d'une subvention publique à l'exercice d'une mission d'utilité sociale par les clubs. En organisant des animations et des formations auprès des jeunes, les joueurs, qui pourraient perdre le contact avec la réalité, retrouveront d'ailleurs utilement ces clubs de quartier dont ils sont issus, grâce au travail remarquable de bénévoles qui, convaincus que le sport a d'abord valeur éducative, n'hésitent pas à prendre sur leur temps de loisir, au détriment de leur vie de famille, pour encadrer les jeunes ("Très bien !" sur les bancs du groupe UDF). Les collectivités doivent concentrer leurs efforts sur l'éducation sportive.

L'autre volet de cette proposition de loi concerne la protection des sportifs mineurs. Comment ne pas s'insurger devant certaines pratiques, certes minoritaires mais qui ont tendance à se développer ? De jeunes sportifs font l'objet de véritables transactions commerciales, parfois avec la complicité de leurs parents abusés, ce qui porte atteinte à la fois à l'éthique du sport et à la dignité humaine. Le comportement de certains impresarii sans scrupules s'apparente à l'esclavagisme. Il est si facile de faire rêver des jeunes et leur famille, qui n'ont parfois pas de quoi faire bouillir la marmite, en leur adressant des propositions mirobolantes et en agitant sous leur nez des liasses de billets. Mais le rêve se termine souvent par un réveil brutal, s'étant même transformé parfois en cauchemar.

Avec cette proposition de loi, la France fera une fois de plus oeuvre pionnière, comme ce fut le cas avec la loi sur le dopage. Alors que l'on craignait que notre pays ne s'isole, l'action du Gouvernement, et tout particulièrement la vôtre, Madame la ministre, a fait école et plusieurs pays sont désormais convaincus de la nécessité de combattre le dopage. Je suis persuadé qu'il en ira de même demain s'agissant de règles européennes pour la protection des mineurs.

C'est pourquoi, dans l'attente d'une grande loi d'orientation sur le sport, il convient d'adopter aujourd'hui cette proposition de loi. Il s'agit rien moins que de réaffirmer le rôle d'abord éducatif du sport dans notre société (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Georges Sarre - Cette proposition de loi anticipe le projet de loi d'orientation pour le sport qui devrait nous être soumis à l'automne prochain.

Ces derniers mois, des dérives inquiétantes ont appelé l'attention de l'opinion publique sur le sport professionnel. La banalisation du dopage n'est pas la moindre d'entre elles. A cet égard, je me félicite que ce dossier avance dans la bonne direction. Ainsi le directeur de la société du Tour de France a-t-il pris des décisions pertinentes. Et cette action, Madame la ministre, nous vous la devons.

M. Georges Hage - Très bien !

M. Edouard Landrain - Nous avions nous aussi voté la loi.

M. Georges Sarre - Cette proposition de loi contient des dispositions visant à empêcher certaines dérives financières liées à l'intrusion massive de l'argent dans le sport et à mieux protéger les jeunes sportifs, mineurs en particulier.

S'agissant du football, nous sommes tout à fait favorables aux mesures destinées à protéger les jeunes issus des centres de formation des clubs que bien des clubs européens nous envient, sans accepter toutefois de faire le même effort, préférant acheter à prix d'or nos jeunes déjà formés. Mais ces mesures ne constitueront qu'un garde-fou. Une réglementation européenne émanant des fédérations et limitant le nombre de joueurs étrangers dans une équipe sera nécessaire ("Très bien !" sur les bancs du groupe UDF). Elle seule pourra mettre un terme aux conséquences catastrophiques de l'arrêt Bosman, bel exemple de la dérive libérale des institutions européennes.

S'agissant du financement des clubs professionnels, une disposition me préoccupe. Les actionnaires des nouvelles SASP pourront en effet percevoir des dividendes. L'objectif, dit-on, serait d'attirer davantage d'investisseurs pour permettre aux clubs français de soutenir la concurrence de leurs homologues étrangers et de trouver les moyens de retenir dans notre pays nos meilleurs éléments. Or, les investisseurs dans le sport ont aujourd'hui deux motivations principales : soit accroître leur notoriété grâce au sponsoring, soit prendre position sur le marché des droits télévisés, en croissance exponentielle.

Croit-on que l'apparition de la société anonyme de sport professionnel changera cette situation ? Va-t-on, comme aux Etats-Unis, créer des clubs sportifs purement spéculatifs ?

C'est l'argent au coeur du sport ! On me rétorquera que des précautions sont prises, comme l'interdiction des cotations boursières ou de la multipropriété. Mais comment cette dernière mesure sera-t-elle appliquée ? Il faudrait l'indiquer clairement dans la loi, au lieu de s'en remettre à un décret. Les imbrications financières des grands groupes rendront le contrôle difficile. Et comment faire avec les investisseurs étrangers ou multinationaux ?

Par ailleurs, les SASP pourront distribuer des dividendes, alors même qu'elles auront bénéficié de subventions publiques ! Nous avons eu ce débat à Paris, à propos du PSG, qui reçoit 42 millions de la Ville. Ce club pourrait donc distribuer des dividendes ? Le sol se dérobe sous mes pieds !

Au lieu de prévenir les dérives commerciales, ce texte semble les appeler. Vous ouvrez une brèche aux financiers. Les dividendes aujourd'hui, l'introduction en Bourse demain !

Que les financements publics ne soient accordés aux SASP que sur la base d'un cahier des charges, c'est bien le moins. Vous risquez de rompre l'équilibre entre clubs amateurs et clubs professionnels. Les subventions publiques, selon moi, ne peuvent aller qu'aux associations, pas aux structures commerciales.

J'attends du Gouvernement des précisions. Il m'est difficile de voter avec les libéraux (Sourires). Cependant, je ne peux approuver un tel texte.

M. Armand Jung - Nos débats en commission et les auditions du groupe de travail présidé par M. Beauchaud ont fait apparaître deux conceptions antagonistes du sport professionnel.

S'il est nécessaire de desserrer le carcan administratif des clubs, les tenants de l'ultralibéralisme vont jusqu'à faire du sport un produit soumis aux lois du marché. Pour eux, un club doit être une entreprise de droit commun, susceptible de se développer, de se transmettre, mais aussi de sombrer. Le résultat d'un match, dans ce cas, serait au moins aussi important du point de vue financier que sportif.

Même si je reconnais que des évolutions sont nécessaires, j'ai pour ma part une autre vision du sport.

Le Racing Club de Strasbourg fêtant le vingtième anniversaire de son titre de champion de France, les Dernières Nouvelles d'Alsace ont eu la bonne idée d'interviewer les joueurs de l'époque, dont aucun, d'ailleurs, n'a fait fortune. Tous ont attribué leur victoire à l'état d'esprit qui régnait entre eux, à une certaine alchimie.

Le principal argument du Medef sportif est que notre droit compromettrait les chances des clubs français par rapport à leurs adversaires européens, qui peuvent être côtés en Bourse et verser des salaires mirobolants qui bénéficient d'une fiscalité dérogatoire et peuvent piller les centres de formation. Il faudrait faire de même en France, nous dit-on. C'est oublier que la majorité de nos clubs resterait sur le carreau.

Nous croyons qu'il existe une exception sportive. Le sport n'est pas une activité comme les autres et les sportifs ne doivent pas être assimilés à des marchandises.

Il nous faut réguler le fonctionnement du football, sans quoi les compétitions n'auront plus aucun intérêt au plan sportif.

Notre texte ne porte, certes, que sur quelques points, mais il ouvre des perspectives à l'Etat, aux collectivités locales et aux associations sportives.

Et la Bourse, dira-t-on ? Au risque de choquer certains, je suis de ceux qui pensent qu'en l'absence de réglementation européenne, il faudra un jour donner aux clubs la possibilité d'entrer en Bourse.

M. Edouard Landrain - Très bien !

M. Armand Jung - Mais ne mettons pas la charrue avant les boeufs. Il nous faut d'abord fixer un certain nombre d'objectifs.

De même, j'estime qu'au siècle prochain, certains stades appartiendront à des collectivités locales et d'autres aux clubs eux-mêmes.

M. Edouard Landrain - Absolument !

M. Armand Jung - Mais n'en faisons pas un préalable ! Les professionnels nous ont mis en garde, au cours des auditions : il serait dangereux d'aller au-delà des mesures contenues dans cette proposition, car nombre de clubs ne survivraient pas à une dérive financière et mercantile.

Les grands absents de ce débat, ce sont ces milliers de clubs de nos villages et de nos quartiers, ces millions d'anonymes pour qui le sport a encore une vocation sociale. Ces clubs connaissent de grandes difficultés financières. Seules les activités du club-house ou l'organisation de leur bal annuel leur permettent d'équilibrer leur budget. Bientôt leurs joueurs et leurs supporters descendront sur la pelouse des grands stades pour faire savoir qu'ils refusent d'être les victimes d'un cycle infernal.

Le sport, le foot, c'est avant tout un rêve. Gare au réveil ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

La discussion générale est close.

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J'ai reçu de M. Philippe Douste-Blazy et des membres du groupe UDF une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6 du Règlement.

M. Edouard Landrain - Nous attendions une grande loi sur le sport. Cela fait plus de deux ans qu'on nous l'annonce. Des commissions y travaillaient déjà du temps de votre prédécesseur, Madame la ministre, et vous avez repris certaines de leurs conclusions. Les versions officieuses, officielles et pirates se sont succédé. Or voici que nous arrive soudain une proposition déposée à la sauvette, dont l'intitulé fait songer à celui d'un projet portant DMOS.

Faite pour les sports d'équipe, et particulièrement le football, cette proposition n'a été que peu examinée en commission...

M. Alain Néri - Et les auditions ?

M. Edouard Landrain - ...même si le groupe de travail présidé par M. Beauchaud a entendu un certain nombre de représentants du sport professionnel.

Cette loi est arrivée comme un cheveu sur la soupe ! Le texte n'a été disponible à la distribution que le jeudi 27 mai et, dès le mercredi 2 juin, nous l'examinions en commission ! Mes amendements devaient être envoyés pour le mardi 1er juin à midi ! Vous voyez dans quelles conditions nous avons travaillé ! Peut-être était-ce voulu ? En tout cas, nous n'avons pu déposer d'amendements qu'au titre de l'article 88. Ils n'ont d'ailleurs pas trouvé grâce à vos yeux.

Vous comprendrez donc que je demande un renvoi en commission.

Puisque M. Jean-Marc Ayrault est signataire de cette proposition, permettez-moi de rappeler ce qu'il disait en 1990, à propos d'une autre proposition qu'il avait déposée et qui avait fait grand bruit à l'époque : "Afin d'assurer le contrôle des dépenses publiques et notamment celui des crédits du fonds national pour le développement du sport, les groupements sportifs affiliés à la Fédération française de football et remplissant les conditions prévues au premier alinéa de l'article 11 de la loi du 16 juillet 1984, modifié par la loi du 1er décembre 1987, doivent avant le 31 décembre 1991, et nonobstant toutes dispositions contraires, constituer pour la gestion de leurs activités une société anonyme régie par la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales".

Il précisait que la Fédération française de football n'y voyait pas d'opposition de principe, ajoutant que les risques de la redistribution des dividendes devaient être bien mesurés. C'est pourquoi il préconisait que l'association dispose d'une minorité de blocage au sein de la société anonyme et qu'une convention lie ces deux structures.

Il était prévu qu'une convention entre la société anonyme et la FFF autorise le contrôle de la cour régionale des comptes. Dommage que l'idée de M. Ayrault n'ait pas été suivie et qu'on ait préféré créer cette ineptie qu'est la SA à objet sportif, qui permet à quelqu'un d'acheter des actions mais sans pouvoir ensuite se dégager ni en retirer des dividendes. Les "SA OS" n'ont eu, comme il fallait s'y attendre, qu'un faible succès. Les associations sont très souvent restées propriétaires de l'ensemble des parts, seuls quelques clubs ont eu la chance d'avoir des partenaires -qui ont tablé sur un aménagement de la loi.

Il était en effet tellement plus simple, pour des entreprises, d'acheter des espaces publicitaires, de passer des contrats de maillots, d'acheter des places pour la clientèle... tout cela étant fiscalement beaucoup plus facile.

Pendant ce temps, en Europe, les choses allaient différemment. Les clubs anglais, allemands, italiens, espagnols s'organisaient en sociétés commerciales de droit commun, se lançaient à fond dans le "marchandising", faisant la promotion de leurs couleurs, de leurs maillots, des noms des joueurs, de l'image du club et, propriétaires le plus souvent de leurs installations, étaient cotés en Bourse, ce qui leur donnait les moyens d'acquérir les meilleurs joueurs du monde. Car aux termes de l'arrêt Bosman, un footballeur est, comme tout travailleur, libre d'aller où il veut en Europe. Résultat : les prix ont monté, les clubs français ont été pillés, de même que nos centres de formation. Et on a vu les clubs français s'étioler, même si grâce à tous ces mercenaires pratiquant ordinairement à l'étranger, la France est entre-temps devenue championne du monde.

Si on contraint aujourd'hui les clubs professionnels français à avoir une organisation qui n'est pas véritablement commerciale, cet étiolement va s'accentuer.

Les clubs étrangers pouvant offrir aux joueurs des avantages importants, les clubs français étaient, eux, obligés, pour garder de bons joueurs, de ruser et de contourner la loi. C'est ce qu'a par exemple dû faire le club limougeot de basket, dont la chambre régionale des comptes a sévèrement épinglé la gestion sur la période 1991-1997. Son rapport montre à quels trucs doit recourir la SAEMS, dont la dette cumulée atteint 28,8 millions, pour rétribuer certains contrats nets d'impôts -par exemple, faire passer des factures par des sociétés ayant leur siège à l'étranger. Au sein de la SEM qui avait été constituée, les collectivités locales étaient actionnaires à 35 %, contre 55 % à l'association sportive, mais avaient apporté 84,6 % des concours financiers et supportaient 93 % du plan d'apurement des dettes. Entre 1991 et 1997, les collectivités locales avaient injecté 101,1 millions, les partenaires privés seulement 18,4 !

Aux critiques de la chambre des comptes, la ville a répondu que le club était un secteur extraordinaire de communication et que ses résultats lui procuraient une notoriété qu'aucune campagne de communication institutionnelle n'avait pu lui apporter.

Voilà bien un exemple de ce qu'il faut désormais éviter. Une société commerciale de droit commun n'aurait pas à contourner ainsi la loi.

La transformation du sport en activité économique est un processus inévitable. Il faut avoir le courage de le reconnaître et d'agir en conséquence.

Mais ce texte ne s'attaque même pas au problème de la TVA. Alors qu'une directive européenne autorise les Etats membres à appliquer aux installations sportives le taux réduit de TVA, que de nombreux pays, dont la Belgique, le Luxembourg et l'Allemagne, ont profité de cette possibilité, la France exclut le sport -ainsi que, tenez-vous bien, les pompes funèbres- du bénéfice de ce taux.

Le sport n'est donc fiscalement pas traité sur le même pied que les autres formes de loisir -parcs à thème, musées, théâtres, cinéma...- qui, elles, bénéficient du taux réduit. J'ajoute que l'instruction ministérielle de septembre 1998, qui a prétendu clarifier le régime fiscal applicable aux associations, fait basculer au 1er janvier 2000 nombre d'associations sportives dans le champ de la TVA : leurs recettes et leurs subventions seront taxées à 20,6 %, ce qui provoquera la disparition de nombre d'entre elles.

Pourtant, une étude du BIPE montre qu'une baisse de la TVA entraînerait la création de 4 000 emplois en 2 ans, de 6 000 en 4 ans. Et je parle de vrais emplois de jeunes, pas d'emplois-jeunes. Ce chiffrage a été établi en tablant sur un nombre constant d'entreprises. Comme la baisse du taux entraînerait aussi forcément des créations d'entreprises, le résultat en termes d'emplois -directs et indirects- pourrait être encore bien supérieur.

Une forte baisse de la TVA contribuerait aussi à une plus grande transparence dans la comptabilisation des recettes déclarées par les exploitants et favoriserait la lutte contre le travail illégal. Elle permettrait aussi une baisse significative de tarifs des clubs de sports et donc favoriserait l'accès d'un grand nombre de jeunes aux installations et équipements.

La 65ème directive relative à la TVA dispose que le taux de TVA applicable à l'utilisation d'installations sportives est le taux réduit, à condition que le propriétaire des installations sportives soit habilité à percevoir la TVA, ce qui n'est pas le cas de certaines collectivités locales.

La baisse du taux de TVA, voilà une mesure qui favoriserait le sport pour tous. Elle aurait pu figurer dans le texte que nous examinons aujourd'hui si nous avions pris le temps de le faire et si nous n'avions pas traité du seul sport professionnel !

On aurait pu également parler du sport et de l'enseignement, du statut des centres de formation et de leurs relations mal définies avec l'éducation nationale. On aurait pu parler aussi des femmes et voir comment améliorer leur travail dans le monde sportif. On aurait pu repenser la loi sur le dopage et faire le point sur l'expérience de ces derniers mois. On aurait pu parler de la violence qui est maintenant là où on ne l'attend pas, c'est-à-dire dans les stades de divisions inférieures et dans la banlieue. On aurait pu parler des sports de pleine nature, des rapports entre sport et tourisme, de la publicité et des interdits qui frappent le sport français. La loi Evin en est un exemple, alors que les clubs anglais sont tous soutenus par des marques de bière, faut-il perpétuer l'hypocrisie française qui va jusqu'à vouloir interdire les petites buvettes sportives ? Voulez-vous vraiment interdire tout particularisme culturel dans nos campagnes ? Quoi qu'en disent les beaux esprits, la buvette sportive est un lieu de rencontre, convivial et non pas voué à l'alcoolisme...

M. François Rochebloine - En ce moment, mieux vaut boire du vin rouge que du coca-cola !

M. Edouard Landrain - On aurait pu parler également des collectivités territoriales, du sport à l'école et par exemple des moniteurs sportifs municipaux que l'éducation nationale semble actuellement vouloir contrôler. On aurait pu parler encore du statut du bénévolat associatif.

Au lieu de tout cela, on nous a simplement sorti dans une niche parlementaire une loi sur le sport professionnel ! Les "pros" avant les autres, ce n'est ce que les bénévoles attendaient.

Mais puisqu'il faut parler de cette loi sur le sport professionnel, voyons pourquoi elle n'a pas été suffisamment travaillée.

Dès l'exposé des motifs, on discerne des contradictions. N'est-il pas dit en effet que l'expansion du sport en France ne peut être soumise à des considérations d'ordre financier ? Excellent, mais plus loin il est question de la nécessité de doter les clubs sportifs de moyens leur permettant de fonctionner de façon autonome, stable et pérenne. Pour ce faire, il faudrait déjà maintenir la possibilité d'accorder des subventions publiques aux clubs sportifs au-delà du 31 décembre 1999.

L'article premier fait obligation aux associations sportives de constituer une société commerciale dès lors qu'elles participent "habituellement à l'organisation de manifestations payantes procurant des recettes d'un montant supérieur à un seuil fixé par décret en Conseil d'Etat". De même si elles emploient des sportifs en leur versant des rémunérations. Or a-t-on jamais discuté en commission de ce que seraient ces seuils ? A-t-on entendu les intéressés, les ligues et les fédérations ? Et le législateur peut-il s'en remettre au Conseil d'Etat sur une question aussi déterminante ?

En outre, qu'entend-on par recettes et rémunérations ? S'agit-il des rémunérations hors charges ? Des recettes à la caisse ou des recettes comprenant les subventions et les bénéfices du marchandisage ?

Enfin, lorsqu'on remplace, pour le franchissement de ces seuils, des critères cumulatifs par des critères alternatifs, on peut s'interroger sur votre volonté d'accélérer réellement la constitution de sociétés commerciales.

Par ailleurs, on prévoit des statuts types pour les sociétés d'économie mixte sportives locales, mais non pour les SAOS : a-t-on pensé que la convention entre l'association et la société pourrait ne pas être renouvelée ? La société perdrait alors tout objet ! On n'a pas non plus défini juridiquement la convention, ni déterminé qu'elle devrait prendre la forme d'un apport en société, en propriété ou en jouissance, ou celle d'un contrat en location-gérance. Le problème n'a même pas été évoqué et l'on veut faire une loi !

Pour les SASP, les seules dérogations au droit commun sont l'interdiction de la multipropriété et l'interdiction d'accéder au marché réglementé. Cette dernière disposition suscite de notre part de fortes réserves, en raison des besoins de financement des clubs et de la nécessité d'harmoniser les statuts juridiques au niveau européen. En outre, les actions de la SASP n'étant plus nominatives, comment pourra-t-on contrôler s'il y a ou non multipropriété ? De cela non plus, on n'a pas discuté.

Le dernier alinéa de l'article 2 exclut des compétitions les associations qui ne se seraient pas conformées à ces prescriptions, ce "dès l'expiration des délais visés" aux alinéas précédents. Mais, pour la régularité des compétitions, ne vaudrait-il pas mieux attendre la fin de la saison pour exclure ? Il faudrait en parler !

Nous avons déposé des amendements à l'article 2, qui interdit aux SASP de disposer du statut de société commerciale de la loi de 1966, comme le proposait M. Ayrault. Je ne puis résister ici au plaisir de citer la déclaration faite par ce dernier au journal La Tribune, le 16 juillet 1998, alors qu'il était traumatisé par la vente du football-Club de Nantes : "Un changement de statut est nécessaire au plus vite de manière à rassurer les investisseurs sur leurs chances de valoriser leur investissement". et, plutôt que pour de nouvelles dispositions dérogatoires, le maire de Nantes se prononçait pour un statut de droit commun, incluant la possibilité d'entrer en Bourse ! Il annonçait aussi qu'il allait, dès le mois d'août, prendre son bâton de pèlerin et peser de tout son poids pour que la réforme soit effective au terme de la prochaine saison. Nous y sommes mais -le bâton était-il de mauvaise qualité et le poids insuffisant ?-, rien n'est venu ! On s'est drapé dans une dignité virginale, par peur de l'argent qui corrompt ! Mais les Anglo-saxons n'ont pas, eux, cette peur : ils font face, quitte à contrôler, et leur système est clair et solide...

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Quelle apologie de la culture protestante !

M. Edouard Landrain - Nous avons proposé de lever l'interdiction, afin que nos clubs soient traités comme les clubs étrangers. Cela n'a pas eu l'heur de plaire à la commission mais peut-être nous dira-t-on aujourd'hui pourquoi la loi doit interdire à nos clubs d'être à égalité avec leurs adversaires européens...

La logique de l'investissement privé, l'harmonisation européenne des statuts conduisent à ouvrir un accès facultatif aux marchés réglementés, sous le contrôle des autorités boursières. Les clubs ayant des titres cotés ne pourraient en contrepartie recevoir de subventions publiques en dehors des conditions du droit commun. En effet, quoi de plus net, de plus limpide qu'une société cotée, quand on sait la façon dont la COB vérifie comment ces sociétés sont gérées ? La valeur des actions n'est-elle pas un bon indicateur de la santé de ces sociétés ?

Cependant, pour emporter la conviction, nous avons voulu être encore plus stricts et nous avons proposé que les SASP soient obligatoirement propriétaires de leurs équipements sportifs pour être admises sur un marché réglementé. Etre propriétaire de ses équipements, n'est-ce pas la moindre des choses pour une société commerciale ? Le stade, l'outil de travail, est un véritable capital, donc un gage pour les actionnaires.

On m'opposera que, souvent, les clubs utilisent des installations appartenant à des collectivités qui n'auraient pas envie de les revendre. Mais on peut aussi penser que certaines accepteraient, pour alléger leurs difficultés financières. On pourrait aussi admettre que la jouissance d'un bail de longue durée, sinon un bail emphytéotique, serait suffisante pour que ces sociétés commerciales soient admises à la cotation sur le marché réglementé.

Par un amendement plus rigoureux encore, nous avons suggéré que les SASP ne bénéficiant pas de subventions publiques et présentant des comptes équilibrés depuis trois ans au moins, puissent prétendre à la cotation.

Trois ans de comptes positifs pour un club professionnel français, voilà une garantie que la commission des inspections boursières pourrait admettre et voilà qui rassurerait les actionnaires, les clubs, les fédérations, les collectivités et la Bourse elle-même !

Et pourquoi exclure un système de stock-options, qui aiderait à fidéliser et à motiver les joueurs en les intéressant directement à leur entreprise ?

M. Patrick Leroy - Scandaleux !

M. Edouard Landrain - A l'article 3, il est dit que l'association sportive et la société commerciale définiront leurs relations par une convention et que la participation de la société à des compétitions relèvera de la compétence de l'association. Il est sage d'accroître ainsi les pouvoirs des fédérations. Loin de nous, en effet, l'idée de "laisser faire à l'américaine". La culture sportive française et européenne est axée sur la qualification, la promotion, la relégation. Cependant, tout cela aurait mérité d'être précisé. Je ne doute pas que le retour en commission le permette ! Il faudrait en particulier nous interroger sur le rôle des fédérations nationales : jouer la carte de ces fédérations, c'est jouer la carte des sports moins spectaculaires mais dont la valeur est tout aussi recommandable que d'autres.

Nous sommes pour des règles européennes, mais aussi pour une politique de liberté, de proximité, certains diraient de subsidiarité...

La culture sportive européenne doit être protégée. Le sport spectacle est certes indispensable mais dans des limites strictes. C'est la raison pour laquelle il faut préserver la solidarité entre le sport de haut niveau et la pratique de base. Le rôle des fédérations serait donc de répartir les contributions entre les différents organismes sportifs.

On peut faire cela et, malgré tout, autoriser les clubs professionnels à s'organiser en sociétés commerciales.

Il aurait fallu définir, mieux encore peut-être que dans la loi sur la communication, les relations entre le sport et la télévision. Notre inquiétude est grande devant le désir manifesté par certains grands groupes d'acheter des compétitions ou des clubs d'importance. Nous pensons qu'il ne faut pas autoriser une société de télévision à acheter un club sans qu'il soit fait appel au conseil de la concurrence, sinon au CSA. Voilà un de nos amendements qui mériterait d'être retenu.

On ne peut imaginer, d'autre part, qu'un même groupe puisse devenir propriétaire de plusieurs clubs dans une même discipline. L'idée même de compétition serait faussée. Or ce point aussi a été négligé.

Les journalistes doivent avoir le droit à l'information. Pour les protéger, ainsi que les téléspectateurs, nous avons proposé d'établir une liste des événements d'importance majeure -le catalogue de ce que j'appellerai le "patrimoine sportif national"-.Assurer l'accès de tous à ces événements, sans péage, est indispensable.

La nécessité d'associer le mouvement sportif à la détermination de cette liste est évidente, comme celle de créer une haute autorité indépendante, en marge des institutions européennes, pour promouvoir l'éthique sportive et veiller au respect des règles. Pourquoi ne pas l'écrire dans la loi ?

Nous proposons un article 7 bis selon lequel tout projet d'acquisition d'un club sportif par un exploitant de service télévision opérant sur tout ou partie du territoire de la France, ainsi que par toute personne physique ou morale contrôlant directement ou indirectement un tel service serait préalablement soumis pour avis au conseil de la concurrence. Adoptons-le !

L'article 4 nous paraît encore plus difficile à comprendre... Il autorise la société, lorsqu'elle poursuit, en accord avec la ou les collectivités locales concernées, des missions d'intérêt général, à recevoir, dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, des subventions publiques. Or, cela a été interdit à partir du 1er janvier 2000, à la suite de l'arrêt Bosman, rendu par la Cour de justice européenne le 15 décembre 1995, qui avait confirmé l'assimilation du sport à une activité économique. On ne sait même pas de quelles missions d'intérêt général il s'agit !

Pour notre part, nous proposons que seule l'association puisse bénéficier de subventions des collectivités territoriales, qui iraient en particulier aux centres de formation. Donner de l'argent public à une société commerciale, pour l'aider, quelle drôle d'idée ! Là-dessus, je rejoins M. Sarre.

J'en viens à la deuxième partie de la proposition de loi. On a raison de vouloir protéger les mineurs ; encore faudrait-il s'accorder sur ce qu'on entend par mineur en matière sportive. En gymnastique, en tennis, en football, en athlétisme, en natation, on peut être mature bien avant l'âge légal... Ne faudrait-il pas prévoir des dispositions particulières pour ces sportifs qui ne peuvent accéder au haut niveau que dans le cadre professionnel ?

Par ailleurs, on peut s'interroger sur les dispositions tendant à garantir les droits fondamentaux des sportifs, notamment la liberté du travail. Nous proposons qu'en cas de rupture anticipée par le sportif de l'engagement conclu en application de l'article 7, les dommages et intérêts éventuellement dûs au groupement sportif soient fixés par le juge en considération des frais de formation réellement engagés.

Les règles fixées pour empêcher les clubs français de se "voler" les jeunes n'éviteront pas que des recruteurs étrangers viennent les débaucher. Rien n'interdira, même à ces joueurs, après avoir passé quelques mois dans un club anglais ou italien, de revenir dans un club français : la loi aura été contournée !

Il est donc nécessaire que les règles applicables aux jeunes Français soient en vigueur dans l'Europe entière. Je sais, Madame la ministre, que votre sentiment est comparable au nôtre. De même qu'on a reconnu "l'exception culturelle", on pourrait reconnaître "l'exception sportive".

Il faut obtenir un modèle économique européen pour le sport. Alors on pourra exiger que les clubs professionnels français présentent pour un match de football de championnat national au moins 50 % de joueurs nationaux sélectionnables en équipe nationale. Quant on voit Arsenal en Angleterre ou La Barca de Barcelone opérer avec tant de joueurs étrangers, on peut s'interroger... Il ne s'agit pas d'interdire la libre circulation des personnes en Europe, mais un minimum de décence est nécessaire !

Enfin, à l'article 6 au lieu de faire référence aux "mineurs", nous suggérons de mentionner "l'âge de 16 ans" ou la fin des obligations scolaires.

Quant à la référence à une transaction commerciale, elle mériterait d'être précisée. S'agit-il uniquement de transactions financières entre deux clubs ? Le contrat qu'un jeune sportif signerait avec un tiers pour exploiter son image serait-il concerné ? Il serait nécessaire de prévoir un décret d'application.

La portée du texte est d'ailleurs réduite par l'absence de sanctions. D'autre part, on peut s'interroger sur une protection touchant exclusivement les sportifs. En outre, on observe une tendance à une plus grande précocité des sportifs que par le passé.

On pourrait prévoir un dispositif d'encadrement du travail et de la rémunération des mineurs, comme dans d'autres professions.

La mesure proposée à l'article 7 est inadaptée car c'est lors du passage de la formation au professionnalisme qu'il y a un risque de départ anticipé vers l'étranger. Elle peut, en outre, être dangereuse car elle bouleverse le mécanisme des contrats actuels ; il serait plus sage de laisser les partenaires sociaux définir eux-mêmes les règles. Enfin, elle est incertaine car elle se heurte au principe de la libre circulation !

Quant à l'article 9, je veux bien croire qu'il n'est là que pour respecter l'article 40 de la Constitution, mais le mode de financement des subventions risque de heurter nombre d'élus et de contribuables car il déresponsabilise les collectivités, nationalise le financement du sport et fait supporter le poids financier final au consommateur ! Pour ma part, je propose depuis longtemps une taxe d'un centime par cigarette...

Sur le plan financier, ce qui est proposé paraît d'autant plus invraisemblable que les dépenses qui incomberaient à l'Etat seraient compensées par une taxe sur le tabac. Même en travaillant dans la précipitation, on aurait pu chercher à être un peu plus crédible !

Vraiment, ce texte a besoin de revenir devant la commission. Il est à l'image de ceux qui le proposent, partagés entre le romantisme sportif de 1936 et le réalisme économique.

Prenons le temps de retravailler ce texte en commission. A moins qu'à l'automne, en présentant son projet devant le Sénat, le Gouvernement apporte des précisions nécessaires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote.

M. Patrick Leroy - Après de nombreuses auditions par le groupe de travail sur le statut juridique des clubs sportifs professionnels de la commission des affaires sociales, qui a procédé à deux examens du texte au cours desquels toutes les sensibilités ont pu s'exprimer, le renvoi en commission ne se justifie pas. Au contraire, nous devons donner rapidement à nos clubs professionnels les moyens d'affronter leurs concurrents étrangers, tout en évitant de tomber dans le tout libéral, commercial et financier.

Les députés de droite, eux, cherchent à donner encore plus de pouvoirs aux sociétés anonymes, et à permettre leur cotation en Bourse. Ne confondons pas le panier de basket et la corbeille du Palais Brongniart (Exclamations).

Les députés communistes, estimant que les débats en commission ont été substantiels, voteront contre le renvoi en commission.

M. Christian Estrosi - M. Landrain a additionné quelques vérités sur la situation dans laquelle se trouve le sport français. Ce constat est largement partagé, mais les solutions divergent. Nous attendons davantage de la grande loi sur le sport que le Gouvernement nous promet que de cette niche socialiste essayant de devancer un projet qui ne viendra peut-être jamais en discussion.

En effet, vous avez annoncé à l'automne dernier, par une première communication au conseil des ministres, que le projet viendrait au printemps ; puis, en février, qu'il viendrait avant l'été. Aujourd'hui, ce serait pour l'automne. Je doute que votre texte soit prêt à cette date.

Quoi qu'il en soit, la commission aurait pu consacrer plus de temps et d'efforts à étudier nos propositions.

L'opposition, par ses amendements, insiste sur la nécessité de considérer de façon pragmatique l'évolution du sport. Nos statistiques relatives aux effets de la cotation en Bourse des sociétés commerciales anglaises sont totalement différentes des vôtres. En 1997-1998, les clubs anglais ont dégagé un bénéfice avant impôt de 17,7 millions de livres, pour un chiffre d'affaires de 570 millions de livres, soit une hausse de 23 %. En France, les recettes de la Première Division ont augmenté de 40 % depuis 1992-1993, avec 2,1 milliards en 1997-1998, les capitaux propres positifs atteignant 494 millions, mais le résultat d'exploitation avant transferts étant négatif de 170 millions. Vous mesurez le décalage entre les clubs anglais, qui peuvent être cotés en Bourse, et les clubs français. Ne nous étonnons pas de nos résultats, ni que les joueurs champions du monde en France soient obligés d'aller jouer dans des clubs étrangers.

Aussi, proposons-nous, pour financer le sport professionnel, de consacrer 50 % du produit à l'investissement dans les équipements sportifs utilisés par les clubs professionnels. En effet, à l'exception des stades subventionnés pour accueillir la Coupe du Monde, tous les autres sont en état de décrépitude avancée. Nos amendements permettent de procéder à la modernisation qui s'impose. Il en va de même pour le financement de nos clubs amateurs et de nos centres de formation.

Edouard Landrain a magnifiquement démontré combien la fiscalité française pénalise nos clubs professionnels. Un joueur qui gagne 100 F coûte 200 F à son club en Angleterre, mais 375 F en France. Qu'attendez-vous pour placer nos clubs au même niveau que les autres en Europe ?

Il est moralement choquant de concevoir que l'argent des collectivités territoriales, qui doit être employé à encourager les activités bénévoles, soit investi dans des clubs professionnels constitués en sociétés commerciales ? Au reste, les lois de décentralisation s'y opposent.

Quant aux articles 6 et 7...

M. le Président - Veuillez conclure.

M. Christian Estrosi - ...et en particulier à l'interdiction des transactions commerciales entre mineurs, nous avons déposé des amendements tendant à appliquer normalement le droit du travail, afin que les mineurs ayant des activités dans le secteur sportif ne soient pas défavorisés par rapport à ceux qui se trouvent dans d'autres secteurs.

Au total, vous créez une machine à perdre. Nos performances sont-elles assez brillantes pour nous le permettre ? Nous voterons le renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. François Goulard - Rarement le vote d'une motion de renvoi a été aussi parfaitement justifié qu'il vient de l'être par M. Landrain.

Avec sa connaissance encyclopédique du sport, notre collègue a montré à quel point l'élaboration de la proposition et son examen en commission n'étaient pas à la hauteur de l'enjeu. Le sport ne peut pas être réduit à ses aspects les plus ostensibles, tant il est riche de diversités. Il est vain de vouloir l'enfermer dans un carcan unique. Faute d'une vision et d'une préparation suffisamment amples, vous êtes largement passés à côté du sujet. C'est pourquoi le groupe DL votera le renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Henri Nayrou - Certains jours, j'aimerais être dans l'opposition, car le travail parlementaire y est plus facile. D'autres jours, je n'aimerais pas y être pour ne pas être contraint, comme M. Landrain, de dresser un réquisitoire public contre des dispositions qu'au fond de son âme de sportif il approuve.

Certes la proposition ne règle pas d'un coup tous les problèmes posés au sport professionnel. Si cela était si facile, cela se saurait, et l'opposition d'hier ne serait pas devenue la majorité d'aujourd'hui. Nul n'échappant aux pièges de l'ambiguïté, M. Landrain parle du sport amateur pour mieux privatiser le sport professionnel. Or, pour la majorité des personnalités auditionnées par le groupe de travail de M. Beauchaud, il faut absolument éviter cette coupure et conserver au sport son universalité.

Nous avons disposé d'une bonne base de travail avec le projet Buffet sur le sport, et bénéficié du travail d'un groupe de 16 membres qui a auditionné 18 personnalités de trois disciplines différentes en six séances.

Je ne vois aucun motif de renvoyer le texte en commission, d'autant moins que se profile à l'horizon la loi sur le sport qui procédera aux recadrages nécessaires ; d'autant moins qu'en commission la présence des députés n'a pas été la vertu la mieux partagée.

Le groupe socialiste votera contre le renvoi en commission, ce qui n'étonnera personne (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La séance, suspendue à 12 heures 30, est reprise à 12 heures 40.


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MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR PRIORITAIRE

M. le Président - J'ai reçu de M. le ministre des relations avec le Parlement une lettre m'informant qu'en application de l'article 48 de la Constitution, le Gouvernement fixe comme suit l'ordre du jour prioritaire :

VENDREDI 18 JUIN, le matin et, éventuellement, l'après-midi :

    - suite de la proposition de loi portant diverses mesures relatives à l'organisation d'activités physiques et sportives.

M. Christian Estrosi - Scandaleux !


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RAPPELS AU RÈGLEMENT

M. Christian Estrosi - Nous sommes scandalisés. Notre Règlement dispose que l'Assemblée ne siège pas le vendredi. Le Président de l'Assemblée s'est engagé lui-même à faire respecter l'organisation de nos travaux. Les députés ont travaillé incessamment, nuit et jour, depuis le 1er janvier dernier. On leur demande aujourd'hui, de surcroît, de siéger vendredi 18 juin. Nous avons tous d'importantes réunions prévues dans nos circonscriptions à cette date, dont nul n'ignore le symbole qu'elle représente pour le mouvement gaulliste. Nous nous élevons donc contre cette demande du Gouvernement et demandons une suspension de séance d'une demi-heure.

M. Edouard Landrain - Je m'associe à ce rappel au Règlement. Je me suis efforcé de démontrer que nous avions travaillé à la sauvette sur cette proposition de loi, dont le dépôt nous a été annoncé très tardivement. Et voilà qu'aujourd'hui, sans qu'il en ait été question une seule fois auparavant et au mépris de l'organisation habituelle de nos travaux, on inscrit dans l'urgence la suite de la discussion de ce texte vendredi, de façon que le rapporteur obtienne satisfaction. Je m'insurge contre cette façon de faire.

Je m'associe à M. Estrosi pour demander que la Conférence des présidents se réunisse, afin d'examiner comment nous pourrions poursuivre notre travail dans de bonnes conditions.

La majorité ne s'honore pas de procéder comme elle le fait.

J'ose espérer que la Conférence des présidents donnera raison à ceux qui demandent le respect de nos règles habituelles (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Prochaine séance, cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 45.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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