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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 112ème jour de séance, 285ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 23 JUIN 1999

PRÉSIDENCE DE M. François d'AUBERT

vice-président

          SOMMAIRE :

DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT  SUR L'ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE 1

La séance est ouverte à neuf heures.


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  DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT 
SUR L'ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE

L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur l'Organisation mondiale du commerce et un débat sur cette déclaration.

M. Jacques Dondoux, secrétaire d'Etat au commerce extérieur - Ce débat me donne l'occasion de détailler les orientations que nous envisageons de retenir dans la perspective de la prochaine réunion ministérielle de l'OMC à Seattle et du lancement des futures négociations commerciales multilatérales. Il va me permettre également de dresser le bilan des consultations que j'ai conduites, ayant d'ailleurs été le premier secrétaire d'Etat à adopter une telle démarche, avec les entreprises, les fédérations professionnelles, les syndicats et les associations. J'ai tenu plusieurs réunions avec mes collègues Jean Glavany, Dominique Strauss-Kahn, Hubert Védrine et Dominique Voynet sur l'agriculture, l'industrie, les services, les normes sociales et l'environnement. Nous tiendrons bien entendu le plus grand compte du débat d'aujourd'hui et des réunions qui le prolongeront en commission pour affiner notre position.

Que voulons-nous ? Améliorer la position de notre pays dans l'économie mondiale au bénéfice de la croissance et de l'emploi. Et aussi, parvenir à maîtriser la globalisation de l'économie de façon que les hommes dominent le marché, et non l'inverse.

L'ouverture commerciale a été très profitable à notre économie. Les échanges ont crû de 7 % par an depuis 1985. Nos entreprises ont su en tirer parti. Alors qu'en 1986, au début du cycle de l'Uruguay, nous n'exportions que le tiers de notre production industrielle, nous en exportons aujourd'hui près de la moitié. Les nouvelles technologies, quant à elles, nous ont fait gagner 0,5 point de croissance en 1998 et ce mouvement devrait s'accélérer. Un marché élargi nous permettra en effet de tirer le meilleur profit de l'innovation. Pour accompagner la "nouvelle croissance", nous avons, plus encore qu'auparavant, besoin d'un environnement international ouvert.

Cela étant, la mondialisation est aussi porteuse de risques sur lesquels chacun s'accorde.

Tout d'abord, un déficit de régulation, parfaitement illustré par la crise des pays émergents ces deux dernières années. Celle-ci n'était ni une crise de liquidités ni une crise conjoncturelle. Il s'agissait d'une crise de développement dans des pays où entreprises, banques, administrations et classe politique entretenaient des liens trop étroits, même s'ils étaient informels. Il convient donc de renforcer le cadre multilatéral qui favorisera la transparence et assurera un meilleur fonctionnement de ces économies. C'est pourquoi de nouveaux thèmes, notamment la concurrence et l'investissement, doivent figurer dans les négociations commerciales.

La mondialisation risque aussi d'accroître les inégalités dans le monde. A Bill Clinton qui déclarait, lors du cinquantenaire du GATT l'an passé, que l'ouverture du commerce accroissait la richesse mondiale, Nelson Mandela fit observer qu'elle entraînait également l'extension des zones de pauvreté. Et en effet, certains pays en développement n'ont pas tiré les bénéfices promis par les tenants de la mondialisation. Si la libéralisation des échanges pouvait se substituer à l'aide au développement, comme le prétendent nos partenaires les plus libéraux, 30 % de la population des pays en développement ne serait pas condamnée à vivre avec moins d'un dollar par jour. L'OMC a certes pris en considération les préoccupations de ces pays. Elle autorise ainsi une ouverture asymétrique plus rapide pour les pays riches que pour les pays pauvres ; elle prévoit des périodes de transition allongées pour l'application des accords et des contraintes allégées dans le domaine des subventions par exemple. Mais nous avons encore du chemin à faire afin que les pays les moins avancés trouvent dans l'OMC un cadre propice à leur développement.

Enfin, la mise en oeuvre des accords passés reste souvent incomplète. Si les engagements en matière tarifaire sont en général respectés, il n'en va pas de même des clauses non tarifaires, notamment dans le domaine de la propriété intellectuelle, des normes discriminatoires. D'une manière générale, l'environnement réglementaire aussi est trop instable.

Cela étant, on ne peut attribuer à l'OMC ni tous les bénéfices de l'ouverture ni tous les défauts de la mondialisation. Elle représente tout de même un progrès par rapport à l'absence de règles, c'est-à-dire au triomphe de la loi du plus fort. Les accords de Marrakech ont fixé une règle du jeu dont on peut dresser un premier bilan assez équilibré.

Comment abordons-nous les prochaines négociations ? Un mot tout d'abord de la méthode. Deux principes nous guident : transparence et globalité. Nous avons engagé une série de consultations avec la société civile, des producteurs de volailles aux créateurs d'oeuvres intellectuelles. Il nous faudra aussi associer étroitement les syndicats, les ONG et les entreprises qui le souhaitent, sur place à Seattle. Ces organisations doivent pouvoir participer à la réunion ministérielle mais aussi remettre des contributions.

Les conclusions du conseil européen de Berlin satisfont à notre objectif d'associer libéralisation et régulation. Les négociations doivent aboutir à un accord unique permettant de trouver un double équilibre entre les priorités de chacun des participants et les sujets de négociation, de façon à ne pas privilégier l'accès au marché par rapport à la régulation. Ce double équilibre sera au coeur du mandat confié à la Commission qui négociera au nom de l'Union européenne.

Pour cette raison, les objectifs auxquels nos partenaires communautaires semblent tenir en matière de durée doivent être considérés comme secondaires par rapport au contenu des négociations. Face à ceux qui soutiennent l'intérêt d'engranger des résultats le plus tôt possible, fussent-ils partiels, -ne savent-ils donc pas que les vendanges tardives sont de bien meilleure qualité que les vendanges précoces ? (Sourires)-, nous défendons l'idée d'un accord global unique ambitieux. Il nous faut adapter la durée de l'accord à son contenu, et non l'inverse. Je l'ai rappelé fermement à mes collègues européens à Berlin le mois dernier.

J'en viens au contenu des négociations proprement dit. Il faut distinguer "l'agenda incorporé" des nouveaux sujets ayant trait à la régulation. Le premier concerne l'agriculture et les services. La France est le deuxième fournisseur mondial de services. Les milieux professionnels font état de besoins très différents selon les secteurs. Nous avons besoin de plus d'ouverture dans le domaine des services financiers, des télécommunications et de l'environnement. Il en est d'autres, en revanche, comme l'édition, les transports, l'énergie, les professions juridiques, où la réglementation communautaire nous impose des contraintes que nous devons respecter afin de ne pas affaiblir la construction européenne que nous continuerons de mener en parallèle.

Il doit être clair que les services publics tels que l'éducation ou la santé ne seront pas touchés par la négociation. A ce propos, je veux lever une ambiguïté concernant l'audiovisuel. On entend dire parfois que, compte tenu des nouvelles technologies, l'exception culturelle perdrait de sa pertinence. Mais l'objectif n'est pas de fermer nos frontières -qui sont largement ouvertes. Il s'agit seulement de garder le droit de soutenir et de réguler, par les moyens de notre choix, notre secteur audiovisuel de façon à préserver la diversité culturelle. Face au foisonnement des nouvelles technologies, qu'il s'agisse de la vidéo sur Internet ou de la diffusion par satellite, l'exception culturelle est donc toujours d'actualité et nous devons être prêts à faire évoluer les modalités de soutien à l'audiovisuel, en tant que de besoin.

Deuxième volet de l'agenda incorporé : la négociation agricole.

L'agriculture est d'abord une activité de production, mais celle-ci a des implications majeures pour l'environnement, l'occupation de l'espace rural et la qualité de l'alimentation. Cette "multifonctionnalité", qui se trouve au coeur de la loi d'orientation agricole que vous venez de voter, doit être reconnue dans le contexte de la libération des échanges. C'est autour de cette notion que nous devrons organiser nos principaux objectifs de négociation, à savoir la défense de la préférence communautaire et la pérennité des aides directes aux agriculteurs, conformément à la récente réforme de la PAC.

D'une manière générale, nous ne devons pas avoir de complexes face à certains de nos partenaires, prompts à invoquer les lois de la libre concurrence mais qui en réalité protègent beaucoup leurs producteurs par différents moyens -monopoles de commercialisation, utilisation de l'aide alimentaire à des fins commerciales, absence de protection des appellations d'origine, aides massives...

Un troisième domaine semble faire l'objet d'un assez large consensus : celui des tarifs.

Nos entreprises nous rappellent que nous avons besoin d'équilibrer la situation, nos tarifs étant en moyenne déjà très bas alors que les pics tarifaires restent nombreux chez nos partenaires commerciaux. Je pense en particulier à des secteurs tels que le meuble ou le textile. Et je ne me suis pas privé de faire remarquer à la secrétaire d'Etat américaine au commerce extérieur que les protections tarifaires européennes étaient bien moindres que celles des Etats-Unis.

Hormis les services, l'agriculture et les tarifs, nous devrons traiter des "nouveaux sujets".

L'investissement tout d'abord.

Les flux d'investissements français à l'étranger et étrangers en France ont été multipliés par six entre 1986 et 1998. Nous sommes aujourd'hui le troisième pays investisseur à l'étranger, mais par ailleurs un quart de l'industrie française est possédée par des capitaux étrangers, ce qui n'est pas forcément une mauvaise chose, car ce quart est à l'origine du tiers de nos exportations et crée de l'emploi en France.

Reste que l'investissement, désormais l'un des vecteurs de la mondialisation, ne doit pas continuer à se développer sans règles multilatérales.

C'est important pour nos entreprises, qui sont freinées dans leur projet d'investissements par des discriminations, mais aussi pour les pays en développement, qui ont besoin d'investissements directs afin de financer leur croissance.

La discussion de l'AMI a été l'illustration de ce qu'il ne faut pas faire.

M. Yves Cochet - Très bien !

M. le Secrétaire d'Etat - ...à savoir un accord entre pays développés, attentatoire à la souveraineté nationale, menaçant pour notre exception audiovisuelle et contradictoire avec les efforts que nous voulons faire pour promouvoir les normes sociales et l'environnement.

Nous ne pouvons pas en rester là. Il faut engager des discussions à l'OMC sur ce sujet avec pour premier objectif de rallier les pays en développement à l'idée d'une négociation. Nous devrons rechercher surtout des garanties de non-discrimination en matière d'accès, ce qui ne signifie pas une obligation d'ouverture, mais simplement un traitement égal de tous les pays tiers.

Par ailleurs, le droit des Etats à réglementer l'investissement dans leur pays ne doit pas être mis en cause. Il faudra insister sur les droits mais aussi sur les responsabilités des investisseurs. La définition même de l'investissement devra être stricte.

Autre sujet important : les marchés publics. L'objectif ici doit être d'amener l'OMC à contribuer aux efforts de lutte contre la corruption en imposant plus de publicité dans les appels d'offres et, d'une manière générale, plus de transparence.

L'ouverture de négociations sur la concurrence à l'OMC pourrait susciter la crainte de voir celle-ci pénétrer dans le droit économique des Etats.

J'aimerais, pour dissiper ces réticences, rappeler quelques éléments. D'abord, nos entreprises rencontrent souvent à l'étranger des pratiques qui nuisent à leurs exportations et investissements -réseaux de distribution opaques, refus de vente, ententes des concurrents sur les prix. Ensuite, on a bien vu avec la crise en Asie que ces pays eux-mêmes auraient gagné à ce que quelques grandes entreprises locales, qui privilégient les parts du marché aux dépens de leur équilibre financier, soient surveillées davantage en amont par un droit de la concurrence efficace. Enfin, les pays en développement constatent que la communauté internationale est démunie face à des multinationales tentées parfois de s'organiser en cartels pour contrôler le marché mondial.

Le nouveau cycle, si ce thème de négociation s'y trouve inclus, pourrait donc comprendre une première étape : d'une part, on se mettrait d'accord pour établir un socle de règles minimales afin de lutter contre les pratiques les plus anticoncurrentielles ; d'autre part, les Etats qui en sont dépourvus s'engageraient à mettre en place des autorités indépendantes de la concurrence qui collaboreraient avec celles qui existent déjà dans d'autres pays.

Autre sujet : l'environnement. Comme l'a rappelé récemment Dominique Voynet, il n'y a pas opposition entre libéralisation et protection de l'environnement. Pas plus qu'il n'y a de corrélation entre protectionnisme et protection de l'environnement. Mais on doit sûrement mieux harmoniser régulation des échanges et développement durable. Pour ce faire une "méthode douce" sera nécessaire car le thème de l'environnement suscite une certaine méfiance de la part des pays en développement, majoritaires à l'OMC, qui craignent qu'on leur impose de trop fortes contraintes.

Plusieurs pistes peuvent être explorées.

La première consiste à clarifier les rapports entre accords multilatéraux sur l'environnement et l'OMC. Cela ne nécessite pas forcément un changement des textes mais au moins un consensus pour que les clauses des accords sur l'environnement ne se voient pas opposer les règles générales de l'OMC. On pourrait par exemple envisager que les plaintes à l'OMC qui mettraient en cause un accord sur l'environnement soient jugées irrecevables.

Deuxième piste : favoriser les systèmes d'écolabels qui prennent en compte le caractère respectueux de l'environnement du produit dans sa globalité, fabrication, usage, élimination, si je peux dire "du berceau à la tombe".

M. Yves Cochet - Très bien !

M. le Secrétaire d'Etat - Merci. La troisième piste est plus ambitieuse : on pourrait envisager de déroger à la clause de la nation la plus favorisée pour donner des facilités commerciales aux produits respectueux de l'environnement.

M. Yves Cochet - Les bananes OMC !

M. le Secrétaire d'Etat - Il s'agit d'un objectif de moyen terme. Mais à plus brève échéance, on pourrait développer les régimes spéciaux d'encouragement au sein du Systèmes de Préférences Généralisées.

Quatrième piste, on pourrait libéraliser les technologies, les biens et les services qui permettent de protéger l'environnement afin de faciliter leur circulation et leur diffusion.

Parallèlement à ces propositions, je voudrais évoquer le principe de précaution, sujet complexe sur lequel j'organiserai une réunion de travail à la rentrée. Il ne faut certes pas tomber dans les peurs de l'an mil mais on ne peut pas non plus ne rien faire. Nous devons donc nous efforcer de trouver un équilibre.

Je ferai pour l'heure quelques observations. D'abord, l'OMC, dans son accord dit "SPS" sur les normes sanitaires et phytosanitaires, admet la légitimité de politiques de précaution. Un Etat peut interdire des importations si une minorité d'opinions scientifiques considère qu'il y a un risque même faible pour la santé ou que ce risque ne peut être évalué. Mais se pose alors le problème de la charge de la preuve.

M. Yves Cochet - Il faut l'inverser.

M. le Secrétaire d'Etat - Attention, cependant ! Quand on évoque le principe de précaution, on pense spontanément qu'il peut aider à se protéger de quelque chose de potentiellement dangereux venant de l'extérieur. Mais il faut considérer aussi son utilisation par les autres contre nous, contre nos produits, et même nos produits bio : pourquoi pas ?

Si, animé par de purs motifs protectionnistes, un Etat se réclame du principe de précaution, il est normal que ce soit à lui de justifier sa position et il faut donc, quand on demande que la charge de la preuve soit inversée, distinguer selon les cas.

Le Gouvernement ne souhaite pas faire de l'OMC le juge mondial de la sécurité et de la santé du consommateur. Elle pourrait ainsi se contenter de reconnaître les normes des accords sur l'environnement ou la santé comme aujourd'hui pour le codex alimentarius.

Voilà ce que je voulais vous dire sur ce sujet extrêmement important. Nous en rediscuterons dans le cadre d'une réunion de travail.

Nous serons amenés à reparler de ce sujet, mais j'espère avoir montré qu'en ce qui concerne le principe de précaution, l'OMC ne mérite ni excès d'honneur ni excès d'indignités.

J'en viens aux normes sociales et au travail des enfants, sous les formes les plus intolérables qui viennent d'être dénoncées à l'OIT, plus de 100 millions d'enfants travaillant dans des conditions qui les empêchent d'apprendre à lire.

Comme Lionel Jospin l'a rappelé lundi à la Conférence européenne sur le développement, le droit social, la protection des travailleurs, les programmes éducatifs n'ont jamais été le fruit naturel de la croissance économique mais une de ses conditions. Nous n'attendons donc pas béatement que la libéralisation des échanges engendre le progrès social dans les pays en développement. Avec le même PIB, les Indes comptent un enfant sur deux qui ne sait pas lire, tandis que les enfants du Vietnam sont alphabétisés à 90%.

Néanmoins, je retiens de la réunion de la concertation que j'ai menée sur ce sujet qu'une approche graduelle sera la plus efficace.

M. Jean-Claude Lefort - Très bien !

M. Yves Cochet - Le travail des enfants... il y a quand même un minimum.

M. le Secrétaire d'Etat - Cette approche ne passe pas par des sanctions commerciales directes mais par des mesures incitatives, en particulier des facilités commerciales supplémentaires.

La société civile a ici un grand rôle à jouer pour établir avec les entreprises des labels sociaux fiables. En outre, les normes sociales sont un sujet prioritaire pour la concertation entre l'OMC et l'OIT mais aussi entre elles, le FMI et la Banque mondiale.

Le Gouvernement souhaite que l'on établisse une conditionnalité incitative aux différents programmes d'aides comme aux facilités commerciales.

Sur ces derniers thèmes, comme sur d'autres, le souci du Gouvernement est de mieux travailler avec la société civile, les associations et les ONG.

Je serais heureux que, grâce aux contacts avec leurs associations et leurs ONG, certaines administrations étrangères qui restent timides dans leur approche des négociations commerciales du nouveau cycle, et qui semblent un peu décalées en rapport à l'opinion publique évoluent elles aussi.

Les négociations seront difficiles et demanderont méthodes et fermeté. Mais les positions que je vous ai présentées et qui s'enrichiront de ce débat me semblent équilibrées. Elles correspondent d'abord aux intérêts des agriculteurs, des créateurs, des salariés et des entreprises de notre pays. Nous avons tiré profit de la libéralisation des échanges, et il n'y a aucune raison, au regard des capacités scientifiques et technologiques de notre pays, qu'il n'en soit pas de même dans l'avenir.

Mais les positions françaises correspondent également aux intérêts des membres de la communauté internationale. Quand nous défendons l'exception culturelle, nous défendons nos artistes et nos créateurs mais aussi ceux du monde entier qui doivent échapper à la pure logique marchande. Quand nous parlons de multifonctionnalité de l'agriculture, c'est pour faire reconnaître la spécificité de l'agriculture en Europe mais aussi, comme le souligna Jean Glavany, afin d'encourager d'autres pays à faire les bons arbitrages dans leur propre politique agricole, pour lutter contre l'exode rural ou la dégradation de l'environnement. Il en va de même pour les normes sociales ou l'environnement : il ne s'agit pas de nous protéger en cherchant à imposer des contraintes aux plus faibles mais d'aider ces derniers à aller vers un développement durable.

Nos positions à l'OMC correspondent donc aux intérêts de nos concitoyens comme à la vocation de notre pays à éclairer les chemins d'un monde plus juste.

Nos positions dans le domaine du commerce sont conformes à la vision plus large rappelée avant-hier par Lionel Jospin, qui guide l'action de la France sur ces sujets essentiels que sont la lutte contre les paradis fiscaux, le combat contre la corruption, l'allégement de la dette, un meilleur fonctionnement des institutions financières internationales. C'est dans ce cadre que Dominique Strauss-Kahn veut faire jouer un rôle préventif et non seulement curatif au FMI et orienter davantage les activités de la Banque mondiale en faveur des superstructures : réformes administratives, systèmes d'éducation et de santé.

Tout cela va dans le sens d'une régulation équilibrée de la mondialisation. L'OMC peut y apporter sa contribution. Son bilan est positif, son fonctionnement doit être amélioré, ses règles doivent être complétées, mais j'ai la conviction qu'elle n'engendrera pas une organisation commerciale du monde. Elle peut même nous aider, si nous en prenons les moyens, à faire émerger un droit de l'économie qui assure la prospérité de chacun, la justice et le respect pour tous (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Yves Cochet - Je me réjouis que le Gouvernement ait accédé à la requête du groupe RCV : ce débat est une grande première dans cette maison. Il est d'une extrême importance que les parlementaires aient leur mot à dire sur les négociations multilatérales qui se poursuivent dans l'opacité depuis les accords de Marrakech et qui engagent pourtant tous les secteurs des activités humaines. Il y va de la crédibilité du politique et de son ressaisissement face aux diktats des marchés.

A la veille de ce nouveau cycle de négociations, une sorte de privatisation du monde s'engage. Je ne veux pas croire qu'elle soit inexorable. Hélas, les signaux en sont très clairs. Ainsi le sommet de Seattle va s'ouvrir sous l'égide de la Seattle Hosting Organisation, présidée par Bill Gates et par Boeing... Cela nous agace, comme cela agace Airbus, mais pour d'autres raisons (Sourires).

Plus préoccupant encore est le déficit démocratique qui caractérise non seulement l'OMC, mais aussi les processus de négociations précédant les fixations de calendriers et les conclusions des accords. Pourquoi l'OMC craint-elle la transparence, la démocratie, l'ouverture ? Sous l'égide de la quad -Etats-Unis, Canada, Japon, Union Européenne-, M. Leon Brittan, ce commissaire européen qui n'est plus commissaire tout en l'étant encore, parcourt le monde pour y faire, au nom de la Commission, donc de l'Europe, donc de la France, des propositions pour l'OMC.

Le mécanisme de règlements des différends apparaît par ailleurs bien partial. Toute la jurisprudence de l'OMC montre que, depuis l'origine, chaque litige comportant un aspect environnemental, de santé publique ou même social a été tranché sans égard pour ces derniers.

A l'existant qui porte notamment sur l'agriculture et les services, Leon Brittan veut ajouter au Cycle du millénaire la réduction des tarifs industriels, la facilitation du commerce, les politiques de concurrence, l'investissement, le commerce et l'environnement, le Global Logging Agreement. Comment dès lors ne pas craindre, si la négociation livre tous les domaines de l'activité humaine à la loi du plus fort, que l'Organisation mondiale du commerce devienne l'Organisation commerciale du monde ?

Face à tous ces risques, je formulerai sept propositions.

Il faut tout d'abord faire le bilan des accords de Marrakech Ce bilan doit être contradictoire. L'OMC doit présenter le sien, mais aussi l'Union européenne et la France, ainsi que les ONG.

Il faut ensuite refuser l'élargissement du round du millénaire aux "nouveaux domaines". Le Gouvernement français a certes obtenu le transfert de l'AMI à l'OMC, mais la négociation se poursuit de façon bien opaque. Plutôt qu'un élargissement immédiat, c'est un cycle de bilan qui serait utile.

L'OMC n'a pas vocation à être l'arbitre de tous les conflits, notamment en matière d'environnement et de biodiversité. L'autonomie des accords multilatéraux pour l'environnement doit donc être reconnue, ainsi que la nécessité de négocier dans d'autres enceintes que l'OMC les règles régissant les grands sujets environnementaux comme l'effet de serre ou la biodiversité par exemple.

La question de la protection de la biodiversité sera l'une des questions centrales des négociations à venir. Dans ce domaine la question de la brevetabilité du vivant est un enjeu majeur, notamment en matière agricole, au regard de la dépendance des agriculteurs à l'égard des grandes firmes productrices de semences -on le voit avec la commercialisation de semences stériles comme terminator, qui assurent un monopole à leur producteur.

En ce qui concerne la brevetabilité des logiciels, nous sommes favorables non à la protection de la puissance américaine mais à des logiciels ouverts et libres comme Linux.

Ensuite l'OMC doit reconnaître les grands principes de protection de l'environnement comme le principe pollueur-payeur que nous essayons de mettre en oeuvre avec la TGAP, et le principe de précaution. Celui-ci doit pouvoir être invoqué dès lors qu'il existe un risque grave ou un risque irréversible et ce doit être aux diffuseurs de nouveaux produits de prouver qu'ils sont sans risque. Il faut aussi appliquer, comme vous l'avez dit, le principe d'approche du berceau à la tombe du produit, avec les écolabels.

D'autre part l'instance régulatrice du commerce qu'est l'OMC ne peut être son propre juge. Il faudrait transférer le contentieux à une chambre spécialisée de la Cour de justice internationale de La Haye, ou au moins donner à celle-ci un pouvoir de cassation.

Ne refaisons pas l'Uruguay Round. La négociation ne doit pas se réduire à un affrontement sur l'agriculture entre Etats-Unis et Union européenne. Il faut y associer les pays en voie de développement.

Pour favoriser la démocratie, il faut associer le Parlement à la négociation de ces conventions internationales. Par exemple les présidents des commissions parlementaires pourraient participer à leur suivi.

Enfin il convient de cadrer le mandat de la Commission européenne, qui nous représentera, et d'associer plus étroitement le Parlement européen à cette négociation. (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste)

M. Claude Gaillard - Ce débat est éminemment politique. Le groupe UDF souhaite que nous nous inscrivions dans le libre-échange. Mais que celui-ci soit organisé par des règles asymétriques régissant d'une part les rapports des pays riches entre eux, d'autre part les rapports entre pays riches et pays pauvres. Le libre-échange ne saurait être le laisser-faire au profit des plus forts, dans une société où l'économie prime sur tout et où l'homme n'est plus qu'une variable d'ajustement. La mondialisation ne peut être la nouvelle religion des temps modernes. Il est temps que la politique reprenne toute sa place. La France doit convaincre l'Union européenne de l'importance des enjeux de société dans ces négociations et veiller à ce que des regards différents permettent de comprendre une réalité complexe.

Sur le plan géopolitique, la France, qui a toujours été vigilante, doit plaider auprès de nos partenaires européens la cause des Etats du sud. Pour eux, la libéralisation totale des échanges serait un désastre économique. Accepter qu'à nos portes le Maghreb et l'Afrique sombrent dans la misère serait prendre le risque d'un embrasement de ces régions, de départs massifs vers l'Europe et de faire le jeu des Etats-Unis.

Aussi l'OMC ne doit-elle pas les obliger à ouvrir leurs frontières à n'importe quel prix. Les pays tiers méditerranéens devraient s'ouvrir aux produits industriels de l'Union européenne sur douze ans et la convention de Lomé de mars 2000 risque d'obliger les Etats d'Afrique à ouvrir leurs frontières. La France doit adopter une position ferme à ce sujet. En particulier, l'Afrique a besoin d'une période transitoire.

D'autre part, dans le cadre du Tokyo Round, l'OMC a permis aux pays ACP d'accéder librement aux marchés de la Communauté et donc des DOM. Mais les produits des DOM sont taxés dans les pays ACP. La négociation des accords de Lomé V est en cours, et dans un rapport pour le Parlement européen, Blaise Aldo a proposé une réciprocité dans les échanges entre les DOM, devenus zones ultrapériphériques prioritaires, et les pays ACP. Le groupe UDF invite le Gouvernement à suivre les recommandations de ce rapport.

Sur le plan social, la mondialisation peut entraîner des améliorations à long terme -on cite souvent la Corée et Hong-Kong- mais à court terme la ruée vers la compétitivité précipite de plus en plus d'enfants des pays en voie de développement dans le travail. En raison des délocalisations, nombre d'activités sont contrôlées par des sociétés transnationales. Les pays en voie de développement veulent tirer parti de leur main-d'oeuvre à bon marché et ont du travail des enfants une approche économique. L'Occident en revanche en a une approche plus morale. Sur le plan économique, ce travail des enfants n'a d'ailleurs pas que des avantages. Plus il s'étend, plus la scolarisation est faible, plus le retard s'accroît. Se posent aussi des problèmes de santé publique. Le débat est donc complexe. On doit envisager d'introduire dans l'OMC une clause sociale favorisant les pays qui respectent des normes sociales comme l'interdiction du travail des enfants, et sanctionnant les autres.

Il faut aussi avoir à l'esprit la protection de ce patrimoine commun qu'est l'environnement, menacé par le gaspillage et la pollution.

J'approuve votre idée d'un écolabel. Les pays industrialisés doivent être contraints, dans ce domaine, à faire plus d'efforts que les autres.

Le secteur audiovisuel a une importance particulière : non seulement il va créer des emplois et de la richesse, mais il sera indispensable au rayonnement d'une civilisation. Il faut craindre que l'ensemble de ce marché soit un jour contrôlé par quelques grands groupes anglo-saxons. Il y a quinze ans, aucune chaîne américaine n'était diffusée en Europe. On en compte aujourd'hui une cinquantaine.

L'Europe est devenue l'Eldorado des majors américains, qui réalisent chez nous 80 % de leur chiffre d'affaires cinématographique et dont les téléfilms représentent 60 % de nos programmes de fiction.

Ne rien faire, c'est accepter le risque d'une hégémonie culturelle et l'émergence d'une civilisation mondiale uniformisée.

Comme l'a déclaré Philippe Douste-Blazy, "les civilisations n'existent que dans l'échange et la confrontation : sacrifier la diversité culturelle sur l'autel de la nécessité économique, c'est renoncer à notre identité, à ce qui explique et justifie l'Europe : une culture commune."

Les évolutions technologiques -compression numérique, diffusion par satellite- rendent ce dossier très politique. Il faut en effet renforcer le rôle des responsables politiques internationaux dans la définition des règles du jeu communes et la France doit obtenir des autorités européennes qu'elles défendent cette conception.

L'Europe doit aussi préserver la politique agricole commune, malgré les pressions des Etats-Unis que les succès européens dans le commerce agro-alimentaire inquiètent.

Il y a quelques années, l'agriculture a fait une entrée remarquée dans le nouvel ordre économique mondial, avec l'affaire des oléagineux.

Depuis, le GATT et l'OMC servent d'armes contre la politique agricole commune. Les frictions entre l'OMC et l'Union européenne sont nombreuses : viande hormonée, organismes génétiquement modifiés, interdiction des farines animales, différend sur la banane...

Depuis le 13 mai, l'Union européenne est en quelque sorte hors la loi puisqu'elle a maintenu l'embargo sur le boeuf américain aux hormones, malgré l'arbitrage de l'OMC enjoignant l'Europe d'ouvrir ses frontières aux importations de viandes américaines ou de présenter une démonstration convaincante du risque encouru par les consommateurs.

Le comité scientifique vétérinaire européen a conclu à l'existence d'un risque réel pour la santé des Européens. Le puissant lobby qu'est l'Association nationale des producteurs de boeuf américains a réclamé de fortes compensations et l'Europe doit aujourd'hui négocier une compensation financière.

L'Europe a également été condamnée par l'OMC pour son système d'organisation commune de marché de la banane : les bananes en provenance des pays ACP entrent sans droits dans l'Union européenne alors que les bananes-dollars sont soumises à un droit de douane.

Dans les Caraïbes, la banane est une production clé et l'Europe ne peut sacrifier l'économie des pays ACP au seul profit des trois compagnies américaines qui commercialisent déjà à bas prix les deux-tiers de la production mondiale. L'OMC a chiffré à 200 millions de dollars le manque à gagner pour les Etats-Unis.

Autre dossier agro-alimentaire sensible, celui des farines animales ; compte tenu des incertitudes qui pèsent sur la composition réelle de ces farines et sur les dommages que leur consommation est susceptible de causer, le Gouvernement français envisage avec sagesse de les interdire.

Cette interdiction, en espérant qu'elle soit acceptée par l'Europe, suppose l'utilisation d'aliments de substitution comme le soja. Acceptera-t-on le soja américain dont il est difficile toujours de savoir s'il a été génétiquement modifié ? Faudra-t-il envisager, pour préserver la santé des Européens, de nouvelles compensations au profit des Etats-Unis si l'Europe refuse les OGM ?

Ou bien les Etats-Unis prendront-ils unilatéralement des mesures de rétorsion ?

Ces questions intéressent directement les Français, qui comprendraient mal que la loi du marché prime sur leur santé.

A cet égard, la décision prise à Berlin de réduire l'aide aux producteurs d'oléagineux ne témoigne-t-elle pas d'un certain manque de clairvoyance ?

Par ailleurs, il n'y a pas d'économie solide sans un véritable socle industriel et les Etats-Unis le savent. Nous avons donc besoin d'une politique industrielle reposant sur le principe du "mieux d'Etat", et non sur le "plus d'Etat" ou le "tout Etat". Or, en France, le ministère de l'industrie a pour ainsi dire disparu, ce qui n'est guère rassurant.

Il faut cesser d'utiliser le secteur du textile et de l'habillement comme monnaie d'échange dans les négociations internationales. Nous ne devons pas accepter la remise en cause de l'accord multi-fibres, ni l'augmentation du taux de croissance des quotas restants.

Tels sont les enjeux du prochain round, avec l'adhésion de la Chine à l'OMC.

Si l'OMC est multilatérale, c'est pourtant unilatéralement qu'agissent les Etats-Unis.

M. Jean-Claude Lefort - Très bien !

M. Claude Gaillard - L'Union européenne, qui est le bon élève de l'OMC, ne doit pas devenir le Candide du libre-échange. Il faut protéger les entreprises européennes et veiller à ce que la concurrence internationale reste loyale.

Nous savons bien que les Etats-Unis mènent le jeu et que l'élargissement du champ d'intervention de l'OMC aux règles de concurrence, aux marchés publics et à l'investissement est surtout de leur fait. Il importe que l'Europe arrive à imposer une vision moins machiavélique de la mondialisation, qui doit être humanisée. On le sait, les sanctions frappent surtout les plus faibles.

Je ne suis pas de ceux pour qui la libéralisation des échanges n'apporte que misère et catastrophes : elle a soutenu la croissance et l'emploi en Europe. Mais il est indispensable d'empêcher les dérives et de réguler les échanges. L'Europe doit donc faire en sorte que l'OMC fixe des règles équitables, au lieu de libéraliser totalement le commerce au seul profit des Etats-Unis.

La vigilance, à cet égard, s'impose.

Pour affronter la concurrence, les entreprises doivent améliorer leur compétitivité, ce qui signifie souvent licencier. On peut donc comprendre que la mondialisation n'engendre d'abord que pessimisme et désarroi.

Tous les pays évoluent et doivent évoluer, mais attention au rythme des changements. Freiner la mondialisation économique, c'est aussi préparer la mutation sociale, afin de ne pas passer "du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" au "droit des investisseurs à disposer des peuples" (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR ; "Pas mal !" sur les bancs du groupe communiste).

M. Jean-Claude Lefort - Ce débat est une première. J'espère que cette initiative sera suivie de beaucoup d'autres, afin de combler le déficit démocratique qui caractérise les négociations économiques internationales. Celles-ci, en effet, ne doivent plus être réservées à des cénacles spécialisés qui décident loin des peuples et de leurs représentants.

Le monde a changé, mais notre démocratie n'a pas suivi le mouvement.

Notre Assemblée ne peut respecter spectatrice. On ne peut se satisfaire de la situation actuelle, dans laquelle le Parlement n'a le choix qu'entre adopter ou repousser les accords qui lui sont soumis, de moins en moins nombreux d'ailleurs avec la définition des compétences mixtes et des compétences communes.

Pour se mettre au diapason du monde moderne, notre Parlement doit pouvoir intervenir en amont. C'est d'autant plus nécessaire que la Commission européenne conserve jalousement ses informations, le Parlement européen lui-même s'en plaint. Bref, la France et l'Europe sont en manque de politique, alors même que le politique devrait dominer pour empêcher que le marché fasse seul la loi. Cette situation place d'ailleurs les Etats-Unis en position de force, puisque leur Congrès a, constitutionnellement, le droit de "réglementer le commerce avec l'étranger".

Sans aller jusqu'à réclamer une révision constitutionnelle, je veux vous faire deux propositions : d'une part, le Gouvernement devrait associer la société civile aux discussions qui auront lieu en décembre à Seattle ; d'autre part, il faudrait créer un office parlementaire aux relations économiques internationales.

Cet office pourrait auditionner les acteurs de la négociation, les experts, les associations et sensibiliser l'opinion publique, émettre des avis et publier des rapports. Les députés français du Parlement européen inscrits dans la commission compétente pourraient participer aux échanges.

Avec les collègues de mon groupe, je viens de déposer une proposition de loi en vue de cette création.

J'en viens aux prochaines négociations, dites "cycle du millénaire" dont l'importante réunion de Seattle marquera le coup d'envoi : jusque-là notre pays pourra encore parler de sa propre voix, après ce ne sera plus le cas.

Initialement limités à l'agriculture et aux services, les sujets à l'ordre du jour se sont étendus aux investissements, aux marchés publics, à la concurrence, à l'environnement, aux normes sociales et aux tarifs industriels.

C'est un champ considérable qui touche pratiquement toute la sphère sociale et la vie de chacun.

La question de savoir dans quel esprit seront abordés ces négociations est donc décisive. Permettront-elles ou non de surmonter le déséquilibre explosif de la planète ?

Ce qui me paraît dominer, c'est la volonté idéologique qui fait du libéralisme la seule perspective possible.

Le conseil européen de Cologne n'a-t-il pas déclaré que "la libéralisation des échanges multilatéraux est le meilleur moyen pour répondre aux défis qui résultent d'une mutation économique rapide et profonde ainsi que de la mondialisation croissante " ?

Cette affirmation n'est appuyée sur aucune démonstration.

Pourtant le dernier rapport du PNUD ou le sommet mondial pour le développement social ont constaté "qu'au lieu d'une égalisation progressive, on assiste à une polarisation. Les riches deviennent plus riches tandis que les pauvres deviennent plus pauvres". Ce sont les chefs d'Etats qui parlent ainsi !

M. Paecht succède à M. d'Aubert au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE DE M. Arthur PAECHT

vice-président

M. Jean-Claude Lefort - Il y a donc un problème de philosophie sur lequel il convient d'être clair : ces négociations participent au progrès humain, à l'intérêt général et non à une nouvelle promotion des intérêts privés. Pourquoi donc la mondialisation ne pourrait-elle être celle du progrès ? Cette option entre naturellement en conflit avec la pensée qui domine ces négociations des deux côtés de l'Atlantique, et cela pratiquement sur chacun des sujets abordés.

Pour l'agriculture, nombreux sont ceux qui veulent démanteler la PAC, seule politique commune européenne, laquelle procède précisément d'une conception qui n'est pas ultralibérale. De ce point de vue l'accord de Berlin ne doit pas constituer "les éléments essentiels" d'un accord au sein de l'OMC. Il doit être le socle minimum sur lequel l'Union européenne ne saurait revenir.

L'Europe, importatrice nette de produits agricoles, est déjà le marché le plus ouvert au monde. Elle doit adopter une position offensive sur ses choix alimentaires.

Nous devons aussi prévoir des modalités spécifiques d'aide aux pays en voie de développement. Les accords de Lomé sont un exemple de coopération Nord-Sud. Le jugement de l'OMC concernant le conflit de la banane n'a du reste pas jugé contraire aux règles multilatérales l'existence de tarifs préférentiels, mais simplement critiqué ses modalités d'application. On s'étonne que l'Union européenne ne se soit pas conformée en temps utile à cette demande...

Prenons maintenant le cas des OGM, qui constituent un marché fabuleux, mais aussi un sujet qui oppose deux conceptions : celle du primat de la rentabilité, sans égard pour la santé humaine, et celle qui se veut respectueuse de la qualité des produits et respectueuse des hommes.

Outre les risques sanitaires qu'il convient d'expertiser avec certitude, les OGM posent la question de la dépendance absolue des paysans aux multinationales américaines, qui possèdent les brevets des semences et les imposent au reste du monde.

Concernant le commerce électronique, lui aussi en pleine expansion, on voit s'opposer une conception qui prône la protection des données à caractère personnel et la vie privée, à une autre qui en fait fi.

Quant aux services, une fois de plus, la Commission et ses ultralibéraux, avec toujours ce cher Leon Brittan, proposent, ni plus ni moins que la libéralisation de l'éducation, de la santé, de l'énergie et des transports.

Ces secteurs n'ont aucune raison de faire l'objet de discussions à l'OMC ; il convient donc de les retirer des négociations et d'appliquer l'"exception culturelle" dans son sens large, comme l'expression d'un type de société.

L'intégration dans les négociations des normes sociales et de protection de l'environnement est ressentie par les pays pauvres comme une attaque des pays riches pour freiner l'importation de leurs produits.

Les pays du Sud souhaitent que le sujet soit traité par l'Organisation internationale du travail. Une recommandation vient d'être adoptée à l'unanimité, à l'OIT le 17 juin dernier, concernant l'interdiction des pires formes de travail des enfants et l'action immédiate en vue de leur élimination. Reste à en assurer la bonne application. Pour cela, le rapprochement entre l'OMC et l'OIT me paraît une bonne voie.

Il faut dans ces domaines s'appuyer sur les conventions internationales souscrites par ces pays, ce qui n'exclut nullement la définition de standards plus élevés pour les pays développés.

En ce qui concerne le problème de l'investissement, le cadre "multilatéral" doit prendre toute sa signification pour empêcher un "clonage de l'AMI".

Contrairement au modèle AMI, qui a échoué à l'OCDE, il faut affirmer un principe novateur, à savoir que les entreprises privées ont des obligations sociales et que les Etats doivent exiger des investisseurs étrangers qu'ils les respectent.

C'était le sens de la Charte des Nations unies sur les droits économiques et les devoirs des Etats, adoptée en 1974 et reprise, dans les conclusions du sommet social de Copenhague en 1995.

L'AMI qui est passé par la fenêtre à l'OCDE, ne doit pas revenir par la porte à l'OMC. Je rappelle que l'opposition de la France ne provenait pas seulement du fait que le lieu de négociation était inapproprié : c'est la philosophie de l'AMI qui a été refusée par le Gouvernement. Là aussi, deux conceptions s'opposent : la première cherche à instituer des règles au profit des multinationales, la deuxième voit dans les négociations un moyen de promouvoir un Monde multipolaire préservant notre modèle social et l'Union européenne, attaquée dans son principe même. Primat de la politique ou primat des marchés, tel est l'enjeu.

J'en viens aux modalités de la négociation, qui doivent servir les objectifs que nous recherchons. A cet égard, il y a un point sur lequel l'Union européenne peut et doit se montrer offensive. Je veux parler de tous les dispositifs législatifs et réglementaires qui permettent aux Etats-Unis d'exiger le libéralisme à l'extérieur tout en recourant au protectionnisme à l'intérieur : barrières tarifaires, entraves techniques au commerce, lois qui accordent la préférence aux entreprises américaines, restrictions dans l'accès aux marchés publics, recours au principe de "sécurité nationale". D'autres obstacles se trouvent dans des lois subfédérales ou locales, ainsi qu'en attestent les 400 pages de réserves américaines à l'AMI. C'est là un paradoxe absolu : l'administration américaine négocie et les Etats ou les villes ne sont pas liés par les engagements pris.

A cela s'ajoutent les sanctions de la "section 301" de la loi américaine sur le commerce de 1974 et ses dérivés -"super 301", "spécial 301", "section 1377" de la loi sur le commerce de 1988- qui frappent de manière unilatérale les pays qui gênent leurs exportations ou investissements, et les lois extra-territoriales qui permettent de sanctionner un pays tiers ou des entreprises étrangères qui ne respecteraient pas un embargo décidé par les seules autorités américaines. L'Union européenne avait d'ailleurs saisi l'OMC à ce sujet, avant de se rétracter sous l'impulsion de Sir Leon Brittan. Comment négocier des règles qu'un Etat, et non des moindres, peut contourner à l'envi ?

Face aux Etats-Unis, la cohésion de la position européenne sera l'une des clés de la réussite des négociations. L'intérêt général de l'Union européenne doit prévaloir. En tout état de cause, il faut éviter la cristallisation d'un affrontement Europe - Etats-Unis. La recherche d'alliés sera décisive pour les Européens.

Le mandat de la Commission doit être ferme sur les modalités de négociation, de même que sur la liste des intérêts défensifs et offensifs à défendre. L'Union doit par ailleurs réitérer son attachement à un cycle global permettant d'aboutir à un accord unique, auquel ne saurait se substituer une série d'accords indépendants les uns des autres. A cet égard, la durée du cycle a moins d'importance que son contenu. Lors du dernier cycle, un compromis a pu être trouvé au prix d'une extension de trois à sept ans de la durée initialement prévue. S'il convient d'être ferme sur les intérêts, pourquoi s'enfermer aujourd'hui dans des dates-butoirs ?

Le succès des négociations dépendra aussi de la désignation du prochain directeur général de l'OMC et du commissaire au commerce en remplacement de celui trop souvent cité... Aucun des deux candidats restant en lice pour le poste de directeur général de l'OMC n'est susceptible de réunir un consensus sur sa personne. Pourquoi dès lors ne pas songer à un candidat d'un pays en développement capable de relancer la donne rapidement ? La situation ne peut rester bloquée, le directeur général de l'OMC ayant pour mission d'organiser les débats du cycle de négociations.

Il conviendrait aussi de réformer l'organe de règlement des différends de l'OMC : pour être incontestable, celui-ci doit être impartial, en dépit du poids prédominant du droit anglo-saxon -que la direction des affaires juridiques devrait s'efforcer de contrebalancer.

M. le Président - Veuillez conclure, je vous prie.

M. Jean-Claude Lefort - Un orateur, inscrit pour cinq minutes, a parlé dix minutes. Rassurez-vous, Monsieur le Président, j'en aurai terminé avant quarante minutes !

Il serait utile également de créer un forum des citoyens aux côtés de l'OMC.

L'Union européenne devra aussi faciliter la coopération entre tous les organismes qui traitent de questions touchant aux conditions du commerce. L'OMC ne peut rester à l'écart des réflexions conduites par les autres institutions internationales ni des décisions qu'elles prennent, notamment par l'ONU et ses différentes organisations.

En conclusion, je réitère le souhait que ce débat se prolonge à l'Assemblée, sous d'autres formes et par d'autres voies (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. le Secrétaire d'Etat - Je demande une suspension de séance de dix minutes.

La séance, suspendue à 10 heures 35, est reprise à 10 heures 45.

M. Philippe Vasseur - Un nouveau cycle de négociations va s'ouvrir avant la fin de l'année sur la libéralisation du commerce mondial. Depuis 1945, nous avons déjà eu huit cycles de négociations de ce genre, le dernier en date ayant été celui de l'Uruguay qui s'est conclu par l'accord de Marraksech le 15 avril 1994. C'est là qu'est née l'OMC, qui conduit à une approche globale des échanges planétaires et où ne manquent plus guère aujourd'hui que la Chine et les pays de l'ancienne URSS, au premier rang desquels la Russie.

Le bilan de ce dernier cycle, contrasté, montre qu'une grande prudence s'impose s'agissant des objectifs que l'on veut assigner au nouveau cycle de négociations.

D'abord, on peut regretter que l'accord de Marrakech ait libéralisé le commerce sans intégrer des phénomènes dont les conséquences peuvent être plus destructrices que des mesures de régulation des marchés. C'est le cas des phénomènes monétaires, comme nous le rappelle la crise qui sévit aujourd'hui encore dans les pays asiatiques. De ce point de vue, il est regrettable que la mise en place dt l'OMC n'ait pas donné lieu à une coopération approfondie avec les autres organisations internationales. Il est en effet souhaitable d'accompagner la libéralisation des échanges par une meilleure régulation des flux financiers.

Ensuite, l'application des règles définies dans l'accord de Marrakech n'est pas satisfaisante pour l'Europe et pour la France.

En effet, certains pays ne respectent pas leurs engagements. Ils savent qu'il est impossible de contrôler une bonne partie des aides versées, par exemple les fameuses "aides subfédérales" ou celles attribuées au titre de l'aide alimentaire ou encore les crédits exports. Il en va tout autrement chez nous puisque la transparence budgétaire de l'Union Européenne permet au reste du monde de contrôler nos engagements. La différence de traitement entre les signataires de l'accord de Marrakech est ici particulièrement flagrante.

Voilà autant de raisons de faire preuve de prudence lors du nouveau cycle de négociations. Nous avons affaire à forte partie. La volonté de domination des Etats-Unis apparaît très clairement en matière agricole, aéronautique ou audiovisuelle. Mais il y a bien d'autres pays qui ne respectent pas leurs engagements et dont la priorité est l'ouverture du marché européen à leur profit.

Nous devons réagir et clarifier la position de l'Europe, d'autant plus que la France va assumer la présidence de l'Union Européenne au second semestre de l'an 2000.

Nous l'avons constaté dans le passé : lorsque l'Europe se présente en ordre dispersé dans une telle négociation mondiale, elle part avec un lourd handicap. Elle doit donc avant tout résoudre ses contradictions internes.

Prenons l'exemple de l'intégration européenne. La plupart du temps, nous sommes amenés à définir pour les Etats membres et les entreprises communautaires des règles plus strictes que celles adoptées par l'OMC.

C'est le cas pour les subventions.

M. Jean-Claude Lefort - Oui.

M. Philippe Vasseur - De même, l'Union européenne se montre plus ouverte à la concurrence en permettant aux entreprises des pays tiers un accès facilité au marché, notamment aux marchés publics. J'ajoute que le statut des entreprises commerciales d'Etat a été remis en cause en Europe alors qu'il ne l'est pas au niveau de l'OMC. Sur tous ces points, il faut rendre le jeu plus égal.

Deuxième exemple de clarification nécessaire : la lutte contre le chômage. Les pays de l'Union européenne doivent veiller à ce que toute concession accordée dans le cadre de la négociation mondiale fasse l'objet d'une évaluation en termes de destruction d'emplois afin que l'Europe puisse au moins exiger un équilibre global en fin de négociation.

Le troisième exemple concerne l'élargissement de l'Union aux pays d'Europe Centrale et Orientale. Cette perspective doit être intégrée dans les négociations de l'OMC. En effet, l'Europe doit absolument éviter de payer deux fois : une fois lors de la négociation du cycle qui va s'ouvrir, puis une nouvelle fois au moment de l'adhésion de ces pays.

Une clarification préalable est donc nécessaire au sein de l'Union européenne qui doit aussi manifester une forte cohésion dans la conduite de la politique commerciale.

Rappelons-nous ce qui s'est passé du temps du commissaire Brittan, qui avait fait de la libéralisation totale des échanges un credo économique assimilable à un véritable intégrisme. La politique d'ouverture des marchés ainsi défendue était vibrionnante et consistait à vouloir multiplier les zones de libre-échange avec l'Afrique du Sud, les pays d'Amérique latine ou les Etats-Unis. Je crois qu'une telle démarche, dont la cohérence m'a d'ailleurs toujours échappé, doit être proscrite.

Mme Béatrice Marre - Nous sommes d'accord.

M. Philippe Vasseur - Tous les pays du monde souhaitent évidemment bénéficier d'un accord privilégié avec l'énorme marché que représente l'Union européenne. Mais comme tout accord bilatéral doit ensuite être agréé par l'OMC, des pays tiers peuvent dans ce cadre demander à bénéficier de compensations. On entre alors dans une spirale infernale puisque des concessions octroyées à certains pays sont suivies de compensations accordées à d'autres.

Il n'est pas raisonnable non plus que les aspirations des peuples, par exemple dans le domaine alimentaire, soient tenues pour quantité négligeable. Or, à chaque fois qu'un pays a mis en place des mesures de protection sanitaire et qu'il a été fait appel à l'arbitrage de l'Organisation mondiale, c'est le pays exportateur qui a gagné.

M. Claude Gaillard - Oui, c'est choquant.

M. Philippe Vasseur - Pour le saumon, le Canada a gagné contre l'Australie. Pour la viande aux hormones, les Etats-Unis et le Canada ont gagné contre l'Union européenne...

Ce sont donc toujours les intérêts du commerce qui triomphent sur le principe de précaution et le respect dû aux consommateurs.

M. Jean-Claude Lefort et Mme Béatrice Marre - Eh oui !

M. Philippe Vasseur - Pourquoi ? Parce qu'un pays qui refuse d'importer un produit pour des raisons sanitaires doit apporter la preuve scientifique que ce produit présente un danger. Le consommateur européen voudrait, lui, l'inverse, à savoir que l'absence de tout risque soit scientifiquement prouvée.

M. Jean-Claude Lefort et Mme Béatrice Marre - Tout à fait !

M. Philippe Vasseur - C'est le désaccord de fond qui nous oppose aux Etats-Unis à propos de la viande aux hormones et des organismes génétiquement modifiés.

Que l'OMC prétende passer outre le refus des citoyens d'un pays voilà qui pose un problème dépassant largement le cadre des considérations économiques.

En tout cas, il est impératif que l'Union européenne clarifie ses positions, définisse ses objectifs et fixe ses priorités avant le début du nouveau cycle.

Dans ce contexte, la France doit avoir une position forte.

D'abord, elle doit défendre ses intérêts sans aucun complexe, que ce soit dans le domaine agricole, aéronautique ou des services.

M. Jean-Claude Lefort - Très bien.

M. Philippe Vasseur - Mais elle doit aussi faire valoir les principes qu'elle a toujours défendus, étant entendu que le débat ne saurait se limiter à l'OMC. La négociation commerciale ne peut pas être considérée comme une fin en soi. Une coopération plus étroite est nécessaire à travers la Banque mondiale, le FMI, l'OMS ou l'OIT. Il faut en particulier que la France joue un rôle moteur sur les "nouveaux sujets" comme la liaison entre le commerce et les normes relatives à l'environnement. Comme l'a rappelé récemment le Président de la République en recevant les partenaires sociaux, elle doit aussi prendre "la défense d'un modèle de développement original contre les risques de dumping social induits par la mondialisation". Il ne peut donc pas y avoir de discussions sur les échanges internationaux sans que soient pris en compte les libertés démocratiques et les droits fondamentaux des travailleurs.

Enfin, la France doit être le porte-parole des pays en développement. A condition de bien préciser la notion. Est-il normal que certains pays soient encore classés comme tels alors que leur produit national brut par habitant dépasse celui de bien des pays industrialisés ? Je pense par exemple à la Corée. Il n'est pas logique que nous accordions à ces pays des concessions et que nous fassions preuve à leur égard de souplesse en matière de subventions alors qu'eux-mêmes nous refusent toute réciprocité.

En revanche, lorsqu'il s'agit vraiment de pays en développement, il faut adapter les instruments de l'OMC. Il reste, en effet, difficile de comparer le statut d'un producteur agricole d'un pays en développement à celui d'un producteur européen, et il en va de même pour les produits manufacturés.

La priorité doit être donnée aux pays les moins avancés. Et la France doit accorder une attention toute particulière aux pays africains, les éternels oubliés de la négociation. Nous devons leur apporter une coopération technique en sorte qu'ils puissent aborder ce cycle de négociations en toute confiance et bénéficier de concessions. Nous devrions d'ailleurs créer un groupe d'études sur les possibilités d'aide et de soutien à la négociation pour les pays africains.

La libéralisation des échanges, pour nécessaire qu'elle soit, ne saurait s'effectuer sans précautions et sans régulations.

L'idée selon laquelle les échanges peuvent avoir lieu sans réserve entre des pays riches qui s'imposent des mesures rigoureuses pour préserver leur environnement et garantir les droits de leurs travailleurs, et des pays pauvres qui n'ont aucun souci environnemental et dans lesquels la main d'oeuvre est exploitée à un point tel qu'elle comprend parfois des enfants, porte ses propres contradictions. Elle me paraît moralement inacceptable, économiquement contestable et politiquement dangereuse.

Si la mondialisation devait aboutir à créer de plus en plus de richesse mais à multiplier dans le même temps le nombre de pauvres ou de personnes en situation précaire, elle ne serait pas défendable. Une telle évolution pourrait même remettre en cause la légitimité du capitalisme et de l'économie de marché.

M. Jean-Claude Lefort - Important !

M. Philippe Vasseur - Comme l'a affirmé le prix Nobel d'économie Maurice Allais, "la libéralisation totale des échanges et des mouvements de capitaux n'est possible, elle n'est souhaitable, que dans le cadre d'ensembles régionaux, groupant des pays économiquement et politiquement associés, de développement économique et social comparable".

Le commerce mondial, c'est comme un match de football : on ne peut pas faire n'importe quoi, il y a des règles à respecter et la compétition ne doit pas mettre en présence des équipes de forces trop inégales.

M. Alain Barrau - Doivent-elles être cotées en Bourse ?

M. Philippe Vasseur - C'est un autre débat.

La liberté, ça n'est pas l'anarchie. Et le libéralisme, décrié par certains, vanté par d'autres, n'a de sens que s'il est avant tout un humanisme, s'il permet l'épanouissement de la personne humaine sans laisser quiconque au bord de la route.

Lacordaire disait qu'entre le riche et le pauvre, entre le fort et le faible, "c'est la liberté qui opprime et c'est la loi qui affranchit".

La France et l'Europe doivent vouloir pour l'Organisation mondiale du commerce une grande loi qui permette à tous les habitants de la planète de s'affranchir pour vivre pleinement leur liberté (Applaudissements sur de nombreux bancs).

M. Jean-Claude Lefort - C'était plutôt bien, son discours.

Mme Béatrice Marre - Nous abordons ce matin un sujet fondamental pour l'avenir non seulement de notre pays mais aussi de notre petite planète toute entière.

La question des relations commerciales internationales touche à l'ensemble des relations internationales et, dans l'opinion publique, le mot "mondialisation" cristallise toutes les peurs d'une époque en pleine mutation.

L'OMC n'est pas la mondialisation. Celle-ci est une tendance de fond de l'évolution de nos sociétés, qui s'est accélérée de façon fantastique au cours de ce siècle, l'exemple le plus récent en étant Internet. Il s'agit donc non pas de débattre de la possibilité, voire de l'opportunité, de s'opposer à la mondialisation mais de déterminer le sens et la nature de l'intégration planétaire que nous souhaitons.

La question qui nous est posée est donc la suivante : peut-on mettre en place des instruments d'encadrement et d'orientation de la mondialisation ? Je le pense et l'OMC en est un, qui doit nous permettre de peser en faveur d'un modèle européen de fonctionnement et de développement du monde. La création de l'OMC en 1995 est d'ailleurs révélatrice d'une prise de conscience à cet égard. Ses premiers pas nous ont été plutôt favorables, l'expansion du commerce extérieur français le montre.

Mais, précisément, cette expansion n'a guère profité qu'aux pays les plus développés, creusant même l'écart avec les pays en voie de développement. Elle reste de surcroît extrêmement fragile, comme en témoignent les deux dernières crises de 1997 et 1998.

C'est pourquoi le nouveau cycle qui s'ouvrira le 1er janvier 2000 est tout à fait fondamental. Alors que les quatre cycles précédents s'étaient ouverts sous la domination des Etats-Unis et avaient eu pour axe presque unique, la libéralisation des échanges, le prochain cycle devra rétablir l'équilibre en faveur des autres groupes régionaux et poursuivre dans la voie timidement ouverte à Marrakech où l'accent a été mis sur la régulation des échanges. C'est dans ce sens que nous devons mener la bataille en nous fondant sur les aspirations et les préoccupations des citoyens de tous les pays. A cet égard, le développement de l'information a contribué à conforter la démocratie.

La transparence qui implique information et débat public, fait sortir les questions économiques internationales du cénacle des diplomates et des experts pour permettre à la société civile d'en débattre. Je salue, sur ce point, Monsieur le ministre, la méthode dont vous usez depuis six mois. Il est impératif que la représentation nationale soit saisie. Le débat de ce matin n'est qu'un premier pas, le Congrès américain a d'ailleurs quelques longueurs d'avance ! Je suis donc d'accord avec l'esprit de la proposition de loi de Jean-Claude Lefort, même si l'on peut se demander s'il faut vraiment créer une structure de plus. Je propose en outre que l'Assemblée soit associée non seulement au suivi mais aussi au déroulement de la conférence de Seattle.

Au regard de l'équité, le débat le plus important porte sur les normes sociales. Jusqu'à présent, seule comptait en matière de concurrence la notion de "produits comparables". Aujourd'hui le mode de production est aussi sujet à comparaison et il faut s'en réjouir. L'Union européenne a décidé à Berlin d'inscrire ce débat à l'ordre du jour hors agenda incorporé.

N'oublions pas toutefois que cet accent mis sur les normes sociales inquiète fortement nombre de PVD. Il nous faudra les convaincre de toute l'importance de l'application des normes sociales, en particulier quant au travail des enfants et sans doute, étudier des dispositions transitoires particulières pour leur permettre de rejoindre le niveau des autres pays. Saluons à ce propos le travail commun engagé entre l'OMC et l'OIT.

Il en va de même pour la protection de l'environnement : soyons intraitables entre pays de même niveau de développement -ainsi l'attitude des Etats-Unis à l'égard de l'effet de serre est inadmissible- mais trouvons collectivement les moyens de permettre aux autres pays d'en assumer les coûts. Ce sera une rude bataille sur le sujet particulièrement sensible du développement durable, donc de l'agriculture. La défense du modèle agricole européen en particulier de la multifonctionalité sera l'un des points chauds de ce futur cycle de négociations.

La sécurité, sanitaire et alimentaire en particulier, enfin, est une exigence d'une criante actualité : ESB, dioxyne, hormones, OGM, représentent aux yeux de nos concitoyens l'horreur économique. Nous devons faire admettre à nos partenaires, d'outre Atlantique notamment, notre volonté de faire respecter le principe de précaution. Je ne reviens pas sur ce qui a déjà été dit à propos de l'inversion de la charge de la preuve. L'introduction de ces notions dans les négociations sera de nature à transformer encore davantage l'OMC, de l'instance de libéralisation pure et simple des échanges qu'elle était en une instance de régulation.

Pour y parvenir, l'Union européenne et la France ont un rôle déterminant à jouer.

Le commerce des marchandises et des services relève, aujourd'hui, de la compétence communautaire et la Commission européenne sera la seule habilitée à négocier au nom de l'Union européenne sur ces questions. Toutefois sur toute une série de compétences mixtes -propriété intellectuelle, marchés publics- ou de la stricte compétence des Etats membres -services financiers-, la Commission n'est que le porte-parole et les Etats membres conservent toute liberté pour s'exprimer.

La France, quatrième pays exportateur mondial, second en Europe, derrière l'Allemagne, est aussi au deuxième rang mondial pour les services financiers, comment pèsera-t-elle dans ces négociations ?

Nous devons, en premier lieu, agir en faveur de la cohésion de l'Union européenne, condition essentielle d'un rééquilibrage global de l'OMC. Ensuite, à l'intérieur de l'Union européenne, -et à cet égard comment ne pas évoquer à mon tour Leon Brittan ?-, il est impératif que la Commission soit munie d'un mandat de négociation clair et précis. Notre Assemblée devra être appelée à se prononcer dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution. Cela apparaît d'autant plus important que les Etats-Unis sont actuellement dans une position inconfortable, le Congrès américain ne semblant pas vouloir donner à l'administration Clinton le fast track, c'est-à-dire un mandat de négociation.

Enfin nous devons peser pour que, sur le fond de la négociation on respecte un équilibre entre la libre circulation et l'impérieuse nécessité de réguler les échanges. En cela il nous faut être fermes sur nos positions défensives concernant la PAC -le sommet de Berlin a établi la base d'un mandat de négociation- et l'exception culturelle. Il nous faut être fermes également sur nos positions offensives : lutte contre les pics tarifaires, pour l'ouverture des marchés de services, contre des pratiques contraires à l'esprit et à la lettre de l'OMC et autres instances internationales, pour une négociation globale et de durée raisonnable.

L'OMC ne mérite ni excès d'honneur, ni indignité. Ce doit être un outil au service du développement, du progrès et de la démocratie. A nous de peser en ce sens. L'Union européenne a la puissance économique nécessaire. A nous de lui insuffler la volonté politique (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Hervé Gaymard - Certains jugent ce débat prématuré, mais le groupe RCV a eu raison de demander qu'on l'organise. Chaque jour nous apprenons que des négociations sont lancées, que des engagements sont pris, sans que la représentation nationale soit jamais consultée. La guerre de la banane, le boeuf aux hormones et leurs "dommages collatéraux" ne sont pas que des problèmes techniques mais aussi des enjeux politiques.

Favorables à une économie ouverte, nous rejetons le protectionnisme. La France peut affronter la compétition internationale sans complexe. Encore faut-il savoir avec quelles règles du jeu. Nous ne pouvons adopter une attitude passive, il n'y a, dans ces négociations, aucune fatalité. Or je n'ai pas entendu présenter une vision claire des intérêts de la France et de l'Europe.

La négociation sera importante et difficile. Des questions nouvelles font leur apparition.

Elles touchent d'abord à la santé et à l'alimentation. Jamais, dans ce domaine, la confiance des citoyens n'a été aussi ébranlée. De plus les différents pays n'ont pas la même sensibilité, d'où des contentieux et une défiance sur fond d'incertitudes scientifiques. Pour en sortir, il faut appliquer le principe de précaution. Mais tout dépend de sa mise en oeuvre. Nous voulons obtenir des garanties pour les consommateurs mais aussi protéger nos producteurs contre l'arbitraire et l'irrationnel. J'avais proposé il y a trois ans la création d'une agence de sécurité alimentaire. Celle qui a finalement vu le jour n'est pas assez ambitieuse. Il faut reprendre cette initiative au niveau européen et international, comme vient de le faire le Président de la République au sommet de Cologne.

Il s'agit en second lieu de la culture. Ce ne peut être un bien comme les autres. André Malraux écrivait avant la guerre "Par ailleurs, le cinéma est aussi une industrie...". Aujourd'hui, il nous faut dire que la culture n'est pas seulement une industrie. Il faut donc savoir gré à Edouard Balladur et Alain Juppé d'avoir fait reconnaître l'exception culturelle. Préserver cette diversité culturelle de la mondialisation n'est pas un combat d'arrière-garde.

En troisième lieu, il faut se préoccuper de protéger la vie privée devant le développement du commerce électronique. Internet accroîtra le choix des consommateurs mais il sera plus difficile de lutter contre les abus. Il faut donc renforcer la coopération internationale. Malheureusement les Etats-Unis préfèrent s'en remettre à la liberté du marché. La négociation doit être transparente et associer tous les acteurs de la société civile. Au lieu de quoi, nous assistons à des négociations quasi-confidentielles entre Bruxelles et le gouvernement américain.

Il s'agit là d'enjeux de société. Il est d'autres exemples. Sommes-nous prêts à les affronter ? J'ai apprécié que vous refusiez les vendanges précoces. Pouvons-nous faire prendre en compte ces questions fondamentales ? La négociation sera inutile, voire dangereuse si nous n'obtenons pas la garantie formelle qu'elles seront convenablement traitées.

J'en viens aux point central de la politique commerciale. La succession des cycles de négociations est une bonne chose. Mais ne cédons pas au syndrome du millénaire. Pour ouvrir un nouveau cycle il faut satisfaire à plusieurs conditions préalables.

D'abord, les Etats-Unis ne disposent pas aujourd'hui de mandat de négociation du Congrès et rien n'indique qu'ils en disposeront dans un avenir prévisible. Faut-il négocier sans garantie que notre principal partenaire pourra lui-même tenir ses engagements ? J'en suis d'autant moins certain que les contentieux se multiplient, pour remettre en cause des politiques importantes de l'Union européenne et lui demander de "faire l'ajustement" des effets commerciaux de la crise asiatique.

En second lieu, la récente réforme de la PAC a obligé nos agriculteurs à des efforts très importants. Or il faudrait recommencer pour satisfaire des partenaires dont l'obsession est de démanteler la PAC tout en augmentant le soutien à leur agriculture ! Quelles sont vos perspectives dans ce domaine ? Accepter de négocier sur les subventions agricoles serait courir un risque inacceptable. Il faut au contraire réaffirmer la vocation exportatrice de notre agriculture, atout majeur pour la France.

En troisième lieu, le lien sur lequel la France a toujours insisté entre libéralisation commerciale et stabilité des taux de change est plus que jamais nécessaire.

Inlassablement le Président de la République plaide pour que soit renforcée la coopération internationale en matière monétaire. Il serait souhaitable que ce combat soit relayé dans toutes les enceintes. Rappeler ce lien a toujours été un préalable à toute négociation commerciale. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Enfin, nous nous préoccupons du fonctionnement de l'OMC. Elle est, rappelons le, une idée française. Sa création aurait été impossible sans l'impulsion décisive donnée par Edouard Balladur et Alain Juppé en 1993, afin de mettre fin à l'unilatéralisme américain et d'établir des règles commerciales claires.

Or l'OMC traverse aujourd'hui une crise grave. Depuis plusieurs mois, elle se montre incapable de se choisir un directeur général, offrant un spectacle désolant. Dans cette crise, la position française a manqué pour le moins de clarté. Deux candidats s'opposent : l'un originaire de Thaïlande, l'autre de Nouvelle-Zélande. Après plusieurs mois, il m'est encore impossible de comprendre qui soutient la France et pourquoi. Nous avons entendu à Bangkok, il y a deux mois, que la préférence de la France allait au candidat thaïlandais. Immédiatement, un communiqué de M. Védrine a démenti cette information. Puis, plus rien. Je lis aujourd'hui dans la presse que nous soutenons le candidat néo-zélandais. Quel est exactement le choix du Gouvernement ? Et s'il est vrai que nous penchons pour la Nouvelle-Zélande, quelle est la logique de ce choix puisque ce pays est parmi les plus hostiles à la PAC, dont il souhaite le démantèlement ? Des éclaircissements seraient bienvenus.

L'incapacité de l'OMC à trancher augure mal de l'avenir. On peut douter que l'organisation soit aujourd'hui capable de piloter une négociation complexe, encore moins de faire respecter des règles équitables dans le commerce international.

Un danger sérieux se profile : celui d'un "gouvernement des juges" à l'échelle internationale, c'est-à-dire une situation dans laquelle le mécanisme de règlement des différends se substituerait petit à petit aux négociations, paralysées par la procédure et les oppositions nationales. Une telle dérive est perceptible, voir les décisions prises à l'occasion des contentieux relatifs à la banane et au boeuf aux hormones. Il est urgent que les Etats reprennent leurs responsabilités et qu'une limite soit clairement tracée entre le champ d'application des procédures contentieuses et celui de la négociation.

Dernier exemple de notre relative impuissance : les conditions dans lesquelles se négocie, aujourd'hui, l'adhésion de la Chine à l'OMC. S'il est souhaitable que ce grand pays, devenu en dix ans une puissance commerciale majeure, intègre rapidement cette organisation, je trouve anormal que les conditions de son adhésion se discutent exclusivement avec les Etats-Unis et soient ainsi soumises aux aléas d'une relation politique bilatérale très agitée ainsi qu'à ceux du débat partisan américain.

La passivité européenne est difficile à comprendre.

La grande question qui se pose est celle de la finalité de la négociation. Quelles sont les valeurs qui nous guident, les motivations qui nous animent ? Je ne crois pas au protectionnisme. Mais je refuse également le libéralisme aveugle et irréfléchi ("Très bien !" sur les bancs du groupe communiste et du groupe RCV).

Il faut promouvoir cette "mondialisation à visage humain" défendue par le Président de la République.

Source de prospérité, la mondialisation est aussi cause d'inégalités et d'insécurité. Nombreux sont ceux que le progrès laisse sur le bord de la route. La négociation ne peut les ignorer. Elle doit permettre de les rassurer.

La France, depuis six ans, défend la prise en compte, dans le débat international, des droits fondamentaux de l'homme au travail. Elle le fait, d'abord, au sein de l'Organisation internationale du travail mais aussi dans l'ensemble des institutions internationales à vocation économique et financière. La négociation commerciale ne peut faire l'impasse sur ces préoccupations. Je connais les inquiétudes ressenties à ce sujet, dans certains pays en développement. Elles doivent pouvoir être apaisées par le dialogue. Il ne s'agit pas de priver ces pays de leur avantage comparatif mais de les aider à rendre leur développement durable.

Les thèses françaises progressent. Aucune négociation n'a de sens si elle ne conduit pas, en définitive, à une meilleure compréhension entre les hommes et entre les peuples.

Vigilance, imagination, combativité : telles sont pour le groupe RPR les qualités dont devra faire preuve la France dans le grand jeu qui s'annonce et dans lequel le Parlement devra tenir sa place (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et plusieurs bancs du groupe socialiste).

M. d'Aubert remplace M. Paecht au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE DE M. François d'AUBERT

vice-président

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne - Il n'y a plus de libéraux dans cet hémicycle ! C'est pour nous un motif de satisfaction (Protestations sur les bancs du groupe UDF).

Parviendrons-nous à construire un monde véritablement multipolaire ? C'est en tout cas ce que nous sommes nombreux à souhaiter.

Je veux avant tout remercier le groupe RCV de nous avoir donné l'occasion de débattre aujourd'hui sur ce sujet. Il est certes un peu tôt, mais je trouve bon que l'Assemblée se prononce dès le début du processus et non à la dernière minute, comme ce fut le cas à propos de l'AMI.

Certes, le chemin de fer ne fait pas le printemps... (Sourires) Cependant, l'adoption par tous les groupes, à l'exception de Démocratie libérale, d'une résolution visant à empêcher la libéralisation absolue du transport ferroviaire a aidé le Gouvernement. Je propose que nous suivions une procédure analogue pour les négociations avec l'OMC et le propos de M. Vasseur me fait espérer que le consensus sera alors encore plus large. La politique commerciale commune, qui est une compétence exclusive de l'Union européenne, fait l'objet d'une attention constante de la délégation, qui a déjà analysé les relations économiques avec les Etats-Unis dans un rapport de M. Lefort et celles avec le Mercosur dans un rapport que j'ai signé. La délégation, en outre, a désigné M. Yves Dauge pour examiner la renégociation de la convention de Lomé et Mme Béatrice Marre pour suivre les négociations au sein de l'OMC.

Celles-ci débuteront en janvier 2000, après la conférence interministérielle qui se tiendra à Seattle entre le 30 novembre et le 3 décembre 1999.

Il est encore trop tôt pour que je vous présente des conclusions. Je me contenterai donc de tracer des perspectives générales et de rechercher comment le Parlement peut prendre part au processus.

La décennie 1990 aura été marquée par le débat sur la mondialisation. Quatrième exportateur mondial, la France n'a jamais réalisé de plus grands excédents commerciaux que ces dernières années. Pour autant, la mondialisation reste impopulaire dans notre pays, où on retient surtout ses conséquences sur l'emploi, sur l'environnement et sur la sécurité alimentaire. Les craintes des Français ne sont d'ailleurs pas sans fondement. Je souhaite, à cet égard, que le Gouvernement procède à une évaluation de l'accord de Marrakech, qui a conclu l'Uruguay round, afin de déterminer quel a été le coût économique et social de la libéralisation des échanges.

Les négociations commerciales, autrefois réservées aux cénacles diplomatiques, mobilisent aujourd'hui l'opinion. On ne peut plus négocier comme avant, l'affaire de l'AMI l'a montré.

Les nouvelles négociations ressemblent par certains aspects à celles de l'Uruguay round : l'agriculture est au premier plan, avec les attaques américaines contre la PAC, et l'exception culturelle est de nouveau menacée. Pourtant, les choses ont changé. L'OMC a été créée le 1er janvier 1995 afin de réguler les échanges. La préoccupation centrale des Européens est de placer l'homme au coeur de ces négociations.

Au dernier sommet du G8 d'ailleurs, qui vient de se tenir à Cologne, a été officiellement reconnue la dimension sociale de la mondialisation. Suite à la crise asiatique, les chefs d'Etat et de gouvernement se sont entendus pour "accroître la prospérité et promouvoir le progrès social et humaniser la mondialisation".

Il faudra profiter des négociations pour rendre plus loyaux les échanges, ce qui implique de renforcer la coopération entre l'OMC, le FMI, la CNUCED et l'OIT.

Les citoyens demandent, à juste titre, aux gouvernements de conserver la maîtrise de la mondialisation et de la réguler.

L'OMC a été créée à l'initiative de l'Union européenne pour mettre fin à cinquante ans de domination des Etats-Unis sur les règles du commerce international, au travers de la structure provisoire qu'était le GATT. Seuls les Etats-Unis auraient avantage à sa disparition. Les travaux de l'OMC gagneraient à être plus transparents. Il faudrait aussi améliorer la procédure de règlement des différends.

Ces nouvelles négociations amèneront une nouvelle confrontation entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Il faudra être intraitable à l'égard de l'usage que font les Etats-Unis de leurs législations unilatérales et extra-territoriales.

La Commission européenne ne devra pas chercher à "donner l'exemple", comme elle a trop tendance à le faire, mais négocier durement des concessions équilibrées. Il faudra montrer aux pays tiers que les Etats-Unis ont des pratiques protectionnistes inadmissibles, tel le refus d'appliquer au sein de chaque Etat les règles relatives aux marchés publics, ou aux investissements étrangers.

Les Etats-Unis ne respectent pas les règles du jeu, même s'ils ont largement contribué à les établir. Ainsi, M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture, dénonçait-il récemment leur utilisation massive de crédits déguisés à l'exportation de céréales sur le marché mondial. Les négociations pourraient se trouver compliquées par le refus du Congrès américain de donner au Président Clinton une habilitation générale.

Comment se présentent ces négociations ? La Commission européenne, lors du conseil informel des ministres du commerce extérieur de Berlin les 99 et 10 mai dernier, a estimé qu'elles ne devraient pas durer plus de trois ans.

La Commission européenne, approuvée par le conseil, propose un cycle global comportant un grand nombre de sujets et reposant sur la règle de l'engagement unique : conclure de façon anticipée les négociations les plus faciles priverait l'Union européenne de moyens de pression sur les dossiers plus difficiles.

Les négociations devront reprendre en janvier 2000 sur deux sujets : l'agriculture et les services. Dans le secteur des services, l'Union européenne, et singulièrement la France, ont des positions à conquérir et des atouts nécessaires à cet effet ; rien ne doit être négligé en ce domaine, riche en création d'emplois. Mais il faudra sans doute élargir le programme de travail.

L'Union européenne appuiera sans doute une nouvelle négociation tarifaire : ayant des droits de douane parmi les plus bas du monde elle pourra demander la suppression des "pics tarifaires", pratiqués notamment par les Américains. Elle aura aussi intérêt à demander l'amélioration du respect de la protection intellectuelle, dans tous ses aspects : droits d'auteur, brevets, appellations d'origine, appellations géographiques, à l'égard desquels la France a beaucoup d'intérêts à défendre. L'Union européenne pourra soutenir l'intégration des pays en voie de développement, notamment par une prise en compte de leurs contraintes particulières et par des programmes d'assistance.

Un meilleur respect de l'environnement et des règles élémentaires de sécurité sanitaire et alimentaire seront des objectifs à prendre en compte. L'Europe devra demander la reconnaissance d'un principe de précaution. A Genève, les experts de l'OMS ne reconnaissaient-ils pas, le 11 juin dernier, qu'ils étaient dans l'incapacité d'évaluer l'ampleur du risque sanitaire dû à la présence de dioxine dans les farines animales ?

La déclaration de la Conférence ministérielle de l'OMC de Singapour, en décembre 1996, sur le respect des normes sociales est restée en grande partie lettre morte. Certes l'OIT a adopté en juin 1998 une déclaration sur les droits fondamentaux de l'homme au travail. Mais il reste à les intégrer dans les règles du commerce international : interdiction du travail des enfants et du travail forcé, respect de la négociation collective et de la liberté syndicale, principe de non-discrimination. Les consommateurs attendent plus d'éthique dans les méthodes de production. Il faudra convaincre les pays en voie de développement, sans donner l'impression de leur donner des leçons, qu'il est de leur intérêt de mettre leurs enfants à l'école et d'assurer une juste rémunération des travailleurs.

L'investissement devra aussi être abordé, mais sur des bases différentes de celles qui ont abouti à l'échec de la négociation de l'AMI à l'OCDE. Il ne faudra pas imposer tous les devoirs aux Etats et tous les droits aux multinationales mais établir le cadre général d'une protection des investissements directs à l'étranger. Le droit de la concurrence pourra aussi être traité à l'OMC. Pourquoi ne pas demander, enfin, que l'OMC prenne en compte les facteurs monétaires et financiers, afin de limiter les fluctuations erratiques des monnaies, en particulier du dollar ?

Avant le début des négociations, le Conseil devra donner à la Commission européenne un mandat claire et précis ; Commission, Conseil et Parlement européen devront travailler ensemble à définir une position forte des Quinze, à la hauteur de leur puissance économique. Il faudra, en particulier, identifier clairement les sujets sensibles, sur lesquels nous ne serons pas prêts à faire de concessions.

La Commission devra s'attacher en particulier à défendre le "modèle social européen", dans toutes ses dimensions. Ainsi, il faudra préserver la politique agricole commune, dont la réforme décidée lors du conseil européen de Berlin des 24 et 25 mars 1999 doit constituer le moteur. Il faudra obtenir une certaine reconnaissance de la multi-fonctionnalité de l'agriculture, qui ne doit plus répondre aux seuls buts productivistes et mercantilistes. Il faudra aussi préserver de façon permanente "l'exception culturelle" que nous avions réussi à arracher en 1993 aux Américains et s'assurer que les règles internationales permettent le développement de l'industrie aérospatiale européenne, modèle de coopération industrielle.

Pour tout cela, il faut que l'Union européenne et la France se cherchent des alliés, dans d'autres régions du monde -en Afrique, dans le bassin méditerranéen et en Asie.

L'Assemblée nationale doit jouer son rôle dans le suivi des prochaines négociations commerciales. L'information devra être complète tout au long du processus de négociation ; en retour, le Gouvernement devra être attentif aux opinions exprimées par l'Assemblée. In fine, le résultat des négociations sera soumis au Parlement pour ratification.

L'Assemblée nationale devra utiliser tous les moyens de contrôle à sa disposition. La délégation entend prendre sa part de ce travail : ainsi, le Gouvernement devrait transmettre au Parlement, en application de l'article 88-4 de la Constitution, la communication que présentera la Commission européenne en juillet prochain et, surtout, le projet de mandat de négociation qu'elle proposera au Conseil à l'automne ; ces documents serviraient ainsi de base au prochain rapport d'information de la délégation et à des propositions de résolution.

Voilà les souhaits que je formule en mon nom et en celui de la délégation pour l'Union européenne (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Michel Suchod - On se félicite sur tous les bancs de l'initiative qu'a prise le groupe RCV de demander ce débat et je remercie le Gouvernement de l'avoir prévu très en amont de la réunion de Seattle. C'est une première que de consulter aussi la société civile, les syndicats, les ONG.

Toutefois, vous ne nous avez guère donné d'informations sur la préparation de l'Union européenne à ces négociations. Je sais bien que c'est surtout la Commission qui va négocier. Mais nous avons gardé un souvenir très mitigé de la façon dont elle a abordé le dernier round du GATT et l'emblématique sir Leon Brittan a été à juste titre critiqué. Même si la vacance actuelle de la Commission complique les choses, nous aimerions savoir comment la négociation va s'organiser à Bruxelles.

La France a fait le choix d'une économie ouverte et nous l'assumons complètement. Comment ne pas le faire alors que notre pays exporte près de la moitié de sa production industrielle, est le deuxième fournisseur de services au monde et la deuxième puissance agricole ?

Mais ce choix de l'ouverture ne nous conduit pas à baisser la garde à l'approche de négociations qui vont être très difficiles et qu'il faut aborder avec beaucoup de fermeté, tant sur les sujets traditionnels que sur les nouveaux sujets.

Les obstacles non tarifaires évoqués par M. Barrau sont inadmissibles. Pour ne citer qu'un exemple, dans ma circonscription la poudrerie de Bergerac a en permanence des procès aux Etats-Unis sous prétexte qu'elle recevrait des aides indirectes à la production.

M. Yves Cochet - Sujet explosif (Sourires).

M. Michel Suchod - Le Japon, lui, a fait des efforts méritoires à cet égard.

Il faut rester fermes également dans la négociation agricole, en s'appuyant sur la réforme de la PAC et la LOAT.

Il nous faudra défendre avec fermeté le maintien de la préférence communautaire et des aides directes aux agriculteurs. Au nom de la concurrence, ces deux protections seront sans nul doute menacées.

S'agissant des services, nous sommes très attachés à l'exception culturelle française. A travers elle, nous ne défendons pas seulement nos artistes et nos créateurs, mais aussi ceux du monde entier, qui doivent pouvoir échapper à la logique marchande. Je vous remercie, Monsieur le secrétaire d'Etat, d'avoir insisté sur ce point. La diversité culturelle doit être défendue au même titre que la diversité biologique.

M. Yves Cochet - Très bien !

M. Michel Suchod - Il importe à ce titre que nous puissions continuer de soutenir notre secteur audiovisuel notamment face au développement de la diffusion par satellite.

Une protection s'impose également pour nos professions juridiques : la prédominance de la "common law" anglo-saxonne ne doit pas condamner la loi écrite, héritée du droit romain, à disparaître.

Nous devrons aussi être très fermes sur les nouveaux sujets de négociation, comme les investissements. Beaucoup d'entre nous se sont félicités de la décision prise par Lionel Jospin de suspendre les négociations de l'AMI en cours à l'OCDE. Cela étant, pour n'avoir pas lâché la proie pour l'ombre, il conviendra de défendre un système différent dans le cadre de l'OMC. La France proposera, semble-t-il, que la non-discrimination en matière d'accès des marchés nationaux aux investisseurs étrangers n'entraîne pas pour autant l'obligation d'ouverture de ces marchés, ce qui est une bonne mesure. Il y va de la sauvegarde de la souveraineté nationale.

Nous sommes, pour notre part, réservés sur l'intégration des règles de la concurrence dans l'agenda de l'OMC. Est-il opportun qu'elle aborde de nouveaux champs alors même que subsistent autant de difficultés dans ses champs traditionnels d'intervention, comme la levée des obstacles non tarifaires ?

Nous souhaitons en revanche l'instauration de normes sociales dans le cadre de l'OMC. La mondialisation n'a jusqu'à présent guère aidé au développement du Tiers-monde où 30 % de la population vit toujours avec moins d'un dollar par jour et où 13 % de la population active a moins de 14 ans, comme vous l'avez rappelé, Monsieur le secrétaire d'Etat. Instituer des labels sociaux fiables en concertation avec les entreprises, mobiliser toutes les organisations internationales, le FMI en particulier, sur la question du travail des enfants, autant d'objectifs que j'approuve.

A l'OMC, la France ne défend pas seulement ses intérêts mais ceux de la Communauté internationale tout entière.

M. Yves Cochet - Très bien !

M. Michel Suchod - Nous devons tout particulièrement défendre les pays émergents. L'intérêt bien compris de la communauté internationale est que la Chine soit d'emblée intégrée à l'OMC sans que l'on exige d'elle en contrepartie des évolutions politiques immédiates. Les députés dU MDC considérant, pour leur part, qu'il s'agit là de prétextes.

M. Yves Cochet - Ce serait tout de même mieux si elle était plus démocratique !

M. Michel Suchod - Je conclurai en évoquant la présidence de l'OMC vacante depuis le 30 avril dernier. L'échec de la réunion de vendredi dernier risque d'aboutir à un blocage total des négociations. Chacun sait que les Etats-Unis soutiennent le candidat néo-zélandais alors que les pays en développement donneraient la préférence au candidat thaïlandais, vice-Premier ministre de son pays. Il n'appartient tout de même pas aux Etats-Unis de dicter le nom du futur président de l'OMC. Peut-être conviendrait-il de rechercher un candidat plus représentatif de l'ensemble de la communauté économique internationale (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. Joseph Parrenin - Je traiterai plus particulièrement des aspects agricoles et alimentaires.

La libéralisation des échanges ne doit pas conduire à la loi de la jungle. C'est pourtant le sentiment que c'est à quoi aboutit l'application des accords de Marrakech, dont il conviendra en effet de dresser le bilan.

Si les pays riches ne peuvent bien sûr pas rester indifférents aux famines ponctuelles ou conjoncturelles, ils ne peuvent pas pour autant choisir d'y porter remède dans une logique purement commerciale. Il faut prendre en compte les politiques d'auto-développement engagées par certains pays du tiers-monde. Certaines organisations paysannes indiennes ne viennent-elles pas de remettre en question les choix techniques et de production très souvent imposés par les Etats-Unis ? Il faut prendre en compte également les modèles alimentaires des différents pays : une charte des droits des peuples en matière alimentaire serait à cet égard bienvenue. Les fermiers américains ne peuvent pas, au travers des grandes firmes, imposer au reste du monde les habitudes alimentaires américaines.

Une baisse des prix trop forte, souvent imposée, là encore, par les Etats-Unis -qui la compensent de façon déguisée pour leurs agriculteurs, quoiqu'ils s'en défendent- conduit inévitablement à des techniques de production et de transformation des produits susceptibles de menacer la sécurité alimentaire et la santé publique. Plusieurs affaires récentes en ont encore apporté la preuve. On ne peut continuer dans cette voie. Sur ce point, je me félicite des propos tenus hier par le Premier ministre devant la Banque mondiale : la qualité des produits s'accommode mal de la baisse des prix.

Les produits sains et de qualité ne doivent pas pour autant être réservés à la population des pays riches ni, au sein de celle-ci, aux catégories les plus aisées. Non, le poulet fermier ne saurait l'être aux consommateurs des beaux quartiers tandis que ceux de cités devraient se contenter de celui à ramasser à l'écumoire ! Il est possible de proposer des produits alimentaires sûrs et de qualité à un prix acceptable. Enfin, il faut renoncer à imposer à certains pays des modèles alimentaires totalement étrangers à leurs habitudes culturelles. Non, le monde entier n'est pas condamné à manger un hamburger arrosé de Coca trois fois par jour !

Je terminerai en évoquant les accords de Berlin. Je pense comme Jean-Claude Lefort, qu'il s'agit d'un minimum. Aussi devront-ils être révisés le plus rapidement possible. La renégociation d'une véritable PAC s'impose. La loi d'orientation agricole que nous venons de voter constitue un bon point d'appui. Il est regrettable à cet égard qu'elle n'ait pu être votée à l'unanimité : la position de la France en eût été renforcée au sein de l'Union comme à l'OMC.

Je ne crois pas à un libéralisme humaniste, notion qui me paraît bien angélique. Le pouvoir politique ne doit pas se laisser dicter ses choix par les pouvoirs économiques.

M. Yves Cochet - Très bien !

M. Joseph Parrenin - Non, les grandes firmes ne peuvent pas faire n'importe quoi, sachant qu'elles pourront toujours s'en remettre aux Etats en cas de problèmes, s'il faut par exemple rassurer l'opinion ou retirer certains produits du marché.

M. le Président - Veuillez conclure, je vous prie.

M. Joseph Parrenin - Liberté des peuples, justice sociale, sécurité sanitaire, tels sont les principes qui doivent guider les choix politiques dans le domaine agricole et alimentaire. Le rôle du pouvoir politique est bien d'ouvrir grand les yeux : le Gouvernement français en a fait le choix en décidant par exemple d'associer le Parlement à sa réflexion (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

M. Jean Pontier - Les objectifs que nous nous fixons pour la prochaine négociation sont nombreux : promouvoir des normes sociales et environnementales, poursuivre la libéralisation des échanges, chercher des remèdes à la crise asiatique et, plus largement, à l'instabilité économique internationale, aider les pays en développement à mieux profiter de l'échange international.

Chacun de ces thèmes est important. Mais l'OMC pourra-t-elle les traiter tous ? N'attendons-nous pas trop d'elle ? Et sommes-nous capables d'amener tous nos partenaires à discuter de ces sujets difficiles ?

Je prendrai un exemple pour illustrer mon inquiétude. Le règlement des différends devait, théoriquement, donner aux petits pays l'assurance d'un traitement plus équitable que par le passé. Nous voyons cependant que les Etats-Unis ont obtenu une condamnation de l'Union européenne à la fois sur les bananes et sur les hormones. S'agissant de la banane, cette décision affaiblit l'organisation communautaire du marché, gêne le respect des engagements que nous avons pris dans le cadre des accords de Lomé vis-à-vis des pays ACP et met d'ores et déjà en difficulté bien des PME. S'agissant des hormones, nous sommes placés devant un choix difficile : soit nous autorisons la viande aux hormones, alors que de nouvelles études viennent de confirmer ses effets nocifs sur la santé, soit nous acceptons d'être à nouveau sanctionnés. Dans les deux cas, les Etats-Unis imposent une fois encore leur point de vue. Aujourd'hui comme hier, ils jouent sur les registres de l'intimidation et de la force, que cela passe par des sanctions unilatérales ou par la mobilisation de cohortes d'avocats.

Ces derniers développements vont clairement à l'encontre des objectifs que nous nous fixons en matière de développement ou de protection du consommateur. Ils doivent nous conduire à nous interroger sur le bon fonctionnement du règlement des différends de l'OMC.

Plus généralement, je m'interroge sur notre capacité à faire évoluer l'OMC dans la bonne direction car, sur de nombreux sujets, beaucoup de membres de l'OMC, à commencer par les Etats-Unis et les pays en développement, ne semblent pas prêts à retenir l'approche globale et ambitieuse que proposent la France et l'Union Européenne. La plupart n'attendent que peu de choses de la prochaine négociation, en dehors peut-être de quelques réductions de tarifs supplémentaires. L'accent est mis au contraire sur la recherche de "récoltes précoces". Dans ce contexte, nous courons le risque que les membres de l'OMC ne parviennent à s'entendre que sur le plus petit commun dénominateur et que l'agriculture et l'audiovisuel restent les seuls sujets véritablement proposés à la négociation.

Une telle orientation conduirait à une pression renforcée sur l'agriculture et l'audiovisuel, et serait très préjudiciable à nos consommateurs, nos entreprises, nos salariés, notre environnement. La représentation nationale doit donc faire passer clairement le message : nous ne souhaitons pas un tel accord et nous ne l'accepterions pas.

Mais dans le même temps, nous aurions tort de renoncer à rechercher un cadre multilatéral plus solide.

Il nous faudra donc vraiment conjuguer nos efforts si nous voulons qu'il soit débattu, à l'OMC, d'autre chose que d'un agenda dicté par nos amis américains (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Jean-Claude Daniel - Face à la mondialisation de l'économie, à l'ouverture des marchés et à la libéralisation des échanges, le monde a besoin, sauf à accepter l'anarchie, de règles du jeu et d'institutions chargées d'assurer le respect de ces règles, mission dont l'OMC ne saurait avoir l'exclusivité. Celle-ci a traversé une grave crise à l'occasion de la nomination de son directeur général. Première puissance commerciale du monde, l'Europe n'aurait-elle pas dû se comporter, dans cette affaire, en médiateur entre l'Asie et les Etats-Unis, entre les pays riches et les pays pauvres ?

La détermination américaine, elle, reste très forte. Les Etats-Unis ont allégrement ignoré les règles de l'OMC en prenant des sanctions unilatérales à l'encontre de l'Europe dans le dossier de la banane. Mais ils collectionnent aussi les différends, qu'il s'agisse de la viande aux hormones, des OGM ou des nuisances sonores de certains avions de ligne. Sans doute leur détermination est-elle attisée par leur énorme déficit commercial.

C'est le fonctionnement même du système de règlement des différends qui est ainsi mis à l'épreuve. En effet, en vertu de la disposition dite 301, Washington s'autorise à prendre des mesures de rétorsion unilatérales quand les intérêts américains sont directement en jeu. Cette disposition est-elle compatible avec les règles de l'OMC ?

Quelle sera à ce sujet la position du Gouvernement français ?

A quelques mois de l'ouverture des négociations de Seattle, un bilan du respect des engagements pris à Marrakech s'impose, et il est demandé avec insistance par les pays en développement. Où en est ce travail, Monsieur le ministre ?

Deux stratégies s'affronteront lors de ce "cycle du millénaire". Celle de la France -et, je l'espère, de l'Union- consiste à ce que la négociation soit globale, tandis que celle des Etats-Unis vise plutôt la poursuite de la libéralisation des échanges au travers d'une succession de négociations sectorielles. Compte tenu de tous les sujets qui peuvent être traités et de l'obligation pour les pays les plus riches de prendre en compte les conditions du développement durable des pays pauvres ou émergents, l'organisation des négociations ne sera en tout cas pas sans conséquence. Comment défendrez-vous, Monsieur le secrétaire d'Etat, le principe d'un terme unique pour tous les dossiers, de préférence à un calendrier différencié par sujet ? Comment privilégerez-vous le principe du "simple undertaking" -selon lequel rien n'est acquis tant que tout n'est pas acquis- par rapport à celui des "récoltes précoces" ? Enfin, quelle stratégie d'alliance intra et extra-communautaire poursuivrez-vous pour soutenir les choix politiques que vous nous avez présentés, sans s'enfermer dans l'opposition Europe - Etats-Unis, mais dans l'optique de la construction d'une Europe solidaire et ouverte au développement des pays les moins avancés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste)

M. le Secrétaire d'Etat - Avant de répondre aux différentes questions des intervenants, j'observe qu'il y a un consensus assez large sur le besoin de transparence, sur l'équilibre à respecter entre les différents sujets, sur la préférence à accorder à un cycle global plutôt qu'à des "récoltes précoces".

Plusieurs orateurs, dont M. Cochet, qui est à l'origine de cette séance, ont demandé un bilan. La Direction des relations économiques extérieures y travaille et, dès qu'il sera établi, il sera distribué aux parlementaires.

Je voudrais dire un mot à propos de la nomination du directeur général de l'OMC. Si nous n'avons pas abouti, ce n'est pas une question de personne mais parce que deux doctrines se sont opposées, entre lesquelles la France a hésité. Il y avait au départ un candidat marocain, M. Abouyoub, puis le Maroc a retiré se candidature avant même que l'on compte ses partisans. Le candidat canadien a été écarté. Restent en lice M. Supachaï, qui défend des thèses favorables aux pays en développement mais qui refuse de s'engager sur l'inclusion de normes sociales et environnementales, et M. Moore, candidat néo-zélandais, plus "syndicaliste", et plus soucieux desdites normes, et qui par conséquent fait petit à petit le plein des voix puisqu'il compte aujourd'hui environ 80 partisans. Les pays asiatiques préfèrent, eux, le Thaïlandais, à l'exception, depuis peu, du Japon.

Il n'est pas sûr que l'on parvienne à s'entendre sur un troisième homme qui concilie les différentes positions.

Sur les clauses environnementales, il faut se demander si l'on doit laisser les PVD nous livrer des marchandises produites dans des conditions qui posent problème. Les élus des régions textiles savent bien qu'apparaissent d'excellents produits à des prix dont il n'est pas étonnant qu'ils soient bas quand on n'a pas investi les 4 à 5 millions nécessaires à une station d'épuration pour les teintures.

L'Union européenne n'a pas de doctrine commune. Huit ou neuf pays sont partisans de clauses sociales et environnementales ; les autres qui ne veulent poser aucune condition, sont menés, comme par hasard, par le Grande-Bretagne et leur féal, les Pays-Bas. Cela rend fort pénible d'assister aux réunions européennes où l'on s'aperçoit que l'Union n'est pas encore faite...

Je souhaite que l'on arrive à Seattle avec un directeur général qui défende un peu les idées exprimées ici ce matin.

Le problème du boeuf aux hormones est plus compliqué que celui des bananes. Nous ne voulons pas que les Etats-Unis appliquent des sanctions unilatérales d'autant qu'elles ne sont pas ici justifiées par un déficit, au contraire. Nous sommes très corrects vis-à-vis des Etats-Unis et nous espérons en retour une suppression de la section 301 comme des lois Helms-Burton et d'Amato, tout aussi scandaleuses. Les Etats-Unis ne peuvent être à la fois les gardiens et la superpuissance du monde.

Le Gouvernement est donc tout à fait en phase avec ceux qui ont souhaité un monde multipolaire. Toutefois la mondialisation nous paraît moins propice aux conflits que le système des sous-ensembles mondiaux, certes plus favorable aux retournements de l'économie.

Les oreilles de M. Brittan ont dû siffler ce matin... Je l'ai rencontré à Berlin alors qu'il s'apprêtait à partir expliquer en Asie la position de l'Europe -en fait la sienne- et je lui ai rappelé qu'il était démissionnaire... Le manque de contrôle sur les anciens commissaires est tout à fait fâcheux.

M. Alain Barrau et Mme Béatrice Marre - Très bien !

M. le Secrétaire d'Etat - Je suis tout à fait favorable à ce que le Parlement soit associé aux négociations de Seattle, sous une forme qui reste à trouver, même si je rappelle que c'est l'Union européenne qui négociera (M. Jean-Claude Lefort fait un signe de dénégation).

En ce qui concerne la protection de la vie privée et le commerce électronique, je suis partisan que l'on laisse les expérimentations se faire avant de légiférer, d'autant que cela ne représente encore qu'une faible part du commerce international et que le Gouvernement a déjà pris une bonne décision en autorisant des codages plus complexes.

Je suis d'accord avec l'orateur qui a souhaité que l'on négocie à Bruxelles. Chacun de vos groupes a des élus au Parlement européen, faites en sorte que vos idées s'y expriment et que l'on pèse ainsi sur la Commission qui, après une démission collective qui ressemblait fort au suicide collectif de certaines sectes (Rires), ne retrouvera jamais son indépendance d'antan.

A propos des investissements, lors d'un voyage en Equateur, je me suis aperçu que la loi y autorisait la nationalisation d'une entreprise sans contrepartie ni indemnité d'aucune sorte. Une telle spoliation n'est pas acceptable et le nouveau président s'est engagé à modifier la loi.

Le dispositif de règlement des différends est sans doute à l'origine de la puissance de l'OMC. C'est à partir de là qu'elle peut maintenant traiter des questions sociales et veiller à ce qu'elles ne jouent pas toujours au détriment des petits pays.

M. Cochet a proposé une cour de cassation,...

M. Yves Cochet - Auprès de la Cour internationale de justice.

M. le Secrétaire d'Etat - ...et l'on va de plus en plus vers l'intervention de magistrats dans le traitement des différends.

M. Yves Cochet - C'est mieux que la chambre de commerce internationale !

M. le Secrétaire d'Etat - Telles sont donc les bases, non pas uniquement commerciales mais aussi éthiques, sur lesquelles nous souhaitons que la négociation s'engage. Je vous propose de tenir un nouveau débat début octobre ("Très bien !" sur plusieurs bancs) avant de partir à Seattle.

Je souhaite aussi que nous nous concertions avec d'autres pays, comme nous l'avons fait récemment à Monaco avec les pays francophones, pour adopter une ligne commune qui ne se traduise pas par l'écrasement des plus petits et des moins développés.

Il faut aider les pays les moins avancés à décoller et à dépasser ce stade inacceptable d'un dollar de revenu par jour et par habitant (Applaudissements sur de nombreux bancs).

Le débat est clos.

Prochaine séance cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 45.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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